******************************************************** DC.Title = LA MAISON DES DIMANCHES, COMÉDIE. DC.Author = HUGUES, Clovis DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:46. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/HUGUES_MAISONDUDIMANCHE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA MAISON DES DIMANCHES COMÉDIE 1906. Tous droits réservés. Par M. CLOVIS HUGUES SOCIÉTÉ ANONYME D'IMPRIMERIE DE VILLEFRANCHE DE ROUERGUE, Jules Bardoux, Directeur. PERSONNAGES. FANNY. VALENTIN, gardien chef de prison. MADAME VALENTIN. HENRIETTE, fille de M. et Mme Valentin. RENÉ, frère d'Henriette FINOT, inspecteur de prison. BONHOMME, docteur. ROGNELARD, entrepreneur. VISITEURS ÉTRANGERS. La scène se passe au pays des bons geôliers. Extrait de "Les Joujoux du Théâtre, comédie enfantine, illustration de Louis Bailly", 1906. pp 114-153 LA MAISON DES DIMANCHES Le théâtre représente une cour de prison. à gauche, une cellule dont on ne voit que la porte munie de gros verrous. Au fond, une guérite pour le service des sentinelles. Des deux côtés entrée et sortie sur le devant. Au lever du rideau, Valentin est assis devant une table sur laquelle se trouve une bouteille à demi vidée. Dans la guérite, René, en militaire, l'arme au bras, enveloppé d'un grand manteau dont le capuchon se rabat sur les yeux. SCÈNE PREMIÈRE. Valentin, René. VALENTIN. Ah ! Comme l'on dédaigne avec peu de raisonLes aimables loisirs d'un gardien de prison !C'est par le dehors seul, dans le siècle où nous sommes,Qu'on juge du bonheur ou du malheur des hommes.Parce que ce château, vieux débris du passé, A l'air sauvage et dur derrière son fossé,Parce qu'il a des tours où le hibou se pose,Il faut, bon gré, mal gré, que je sois très morose,Très bourru, très farouche, et que l'ombre des mursRende sombres comme eux mes rêves les plus purs. Qu'ils sont naïfs ceux-là qui croient qu'une bouteilleContient moins de trésors dans sa panse vermeille,Parce qu'elle est logée au fond d'un château fort,Noir comme ses corbeaux, triste comme la mort ! Prenant la bouteille.Viens ici, ma mignonne, et laissons dire. Réfléchissant.Diable ! S'il est vrai que chacun doive aimer son semblable,Cet amour du prochain dont on rit aujourd'huiDoit au moins se prouver en trinquant avec lui.Sentinelle, approchez ! RENÉ. Le mot d'ordre ? VALENTIN. TromboneEt cornet à pistons ! RENÉ. Mystère et Carcassonne ! VALENTIN. J'ai là d'un vin exquis. Allant vers La guérite.Vous ne m'entendez pas :Un vin délicieux ! RENÉ. Faites encore un pas,Et je fais feu. VALENTIN. Vraiment ? RENÉ. Quand il est au port d'arme,Un soldat ne boit pas : je vais donner l'alarme ! VALENTIN. Voilà comme on accueille un vin de quarante ans, Qui ressusciterait un mort des anciens tempsEt ferait en plein air tituber son squelette !Ah ! si mon fils René, qui, sur un coup de tête,Pour un rien, pour un mot, est allé, pauvre oison,S'enfermer loin de nous dans une garnison, Se trouvait comme vous là, dans cette guérite,Certes de ma bouteille il s'approcherait vite.À propos, n'avez-vous pas connu mon René ?C'est un brave garçon, très joyeux, bien tourné,Qui doit faire à cette heure un parfait militaire... RENÉ. Quand il est au port d'arme, un soldat doit se taire. Bas.Mon bon père ! VALENTIN. Voilà le refrain revenu !Ainsi, mon cher ami, vous n'avez pas connu. RENÉ. Dites encore un mot, et je fais feu. VALENTIN. Quel homme !Allons boire tout seul. C'est qu'il le ferait comme Il le dit. RENÉ, bas. Mon bon père ! Il n'a pas soupçonnéQue sous ce capuchon se cache son René,Et que, muet, drapé dans ma capote grise,Je ménage à son coeur la plus douce surprise. VALENTIN, après avoir bu. Ce vin dans mon gosier glisse comme un velours ; Mais j'ai beau m'étourdir, je me souviens toujoursLa fuite de René rend mes gaîtés moins franches. SCÈNE II. Valentin, René, Fanny. FANNY. Je reviens habiter ma maison des dimanches :Bonjour. VALENTIN. Bonjour, Fanny ! QuoLJ de si grand malin ? FANNY. On est si bien ici, bon papa Valentin ! AIR de Muselle, de Murger. L'abeille, repliant son aile, Dort dans les pétales ouverts ; Au bord de nos toits l'hirondelle Attend le retour des hivers ; Le rossignol au creux des branches Porte son nid et sa chanson ; Moi, j'ai ma maison des dimanches : J'ai fait mon nid d'une prison. À l'orpheline vagabonde Nul astre du ciel n'a souri. Que deviendrais-je dans le monde, Si je n'avais pas cet abri ? Pour avoir des visions blanches Dans un plus étroit horizon, Je retourne tous les dimanches Bercer mes rêves en prison. Ici je trouve la famille Autour du foyer triomphant, Et, comme je suis bonne fille, On me traite comme une enfant. J'entre, les deux poings sur les hanches, Et je dis bonjour sans façon À ceux qui me font les dimanches L'aumône de cette prison ! VALENTIN. C'est parfait : nous savons que tu chantes comme une Fauvette chante au bois, la nuit, au clair de lune ;Mais tu n'as pas encore à mes yeux étaléUn ordre un peu précis de la mettre sous clé... FANNY, lui tendant un papier. Un ordre ? Le voilà. Le parquet est bonhomme :J'arrive, je lui dis de quel nom je me nomme, Que je suis une enfant sans mère, qu'il fait froid,Que les vents de novembre ont emporté le toitDe feuillages mouvants où, sans gêner personne,Je m'endors dans le mois où le ciel bleu rayonne ;Et le parquet, sachant que l'on est bien chez vous, Me donne un logement derrière vos verrous. VALENTIN, prenant le papier. Cet aimable parquet ! FANNY. Que voulez-vous ! j'adoreLes grilles, je me plais avoir lever l'auroreÀ travers des barreaux : chacun a sa façonD'être heureux ici-bas. Moi, je dis ma chanson, Non quand je cours les bois, mais quand je suis en cage VALENTIN. C'est un goût comme un autre. FANNY. On prétend au villageQue j'ai l'esprit troublé, que je devrais rougir.Rougir ? Rougir de quoi ? Faites-moi le plaisirDe me dire pourquoi je devrais rougir d'être Couchée en un bon lit, les pieds chauds, la fenêtreBien close, entre ces murs d'un château fort très vieux,Qu'a peut-être hantés l'ombre de mes aïeux.Fanny n'est plus ! je suis marquise et châtelaine ;Un petit page tient ma pelote de laine ; Un troubadour pensif erre sous mon balcon ;Des chevaliers, portant sur la dextre un faucon,Bardés de fer, les yeux sur une panoplie,Commentent le blason de ma race, et j'oublieMa petite maison sans foyer et sans toit Qu'un enfant de dix ans renverserait du doigt. VALENTIN. Es-tu spirituelle et folle ! FANNY. Un conseil, sire :Oh ! trouvez moins d'esprit à mes éclats de rire,Ébahissez-vous moins devant mes troubadours ;Sire, ouvrez moins l'oreille à mes méchants discours, Croyez moins à mon coeur, conseiller de ma tête,Et faites-moi plus vite embrasser Henriette ! VALENTIN. La voici juste avec madame Valentin :Je te quitte. FANNY. Le temps est très beau ce matin :Sortez-vous du château ? VALENTIN, s'inclinant. Je vous quitte, madame. FANNY. Le service avant tout. VALENTIN. C'est lui qui me réclame ;Mais je reviens, prenant mes jambes à mon cou,Une fois votre nom sur mon cahier d'écrou. FANNY, jouant l'importance. Allez. Je glisserai quatre mots à la reine,Et votre dévouement... VALENTIN, se retirant. Mes respects, châtelaine. SCÈNE III. René, Fanny, Henriette, Mme Valentin. HENRIETTE. Cette chère Fanny ! MADAME VALENTIN. Tu reviens donc nous voir ? FANNY. Je m'ennuyais, j'ai pris mes hardes, et bonsoir !Jamais le même nid, toujours une autre branche ! MADAME VALENTIN. On aime à visiter sa maison du dimanche ! FANNY. À cause des bons coeurs qui l'habitent. HENRIETTE, l'embrassant. Merci. RENÉ, sans quitter la guérite. Mais on va l'étouffer à l'embrasser ainsi ! FANNY. Que chante ce soldat ? MADAME VALENTIN. Chut ! HENRIETTE. Est-ce toi, mon frère ? RENÉ, rejetant son manteau. Présent, mon colonel ! Donne ta main, la mère ;Rapproche-toi, la soeur : tout est-il ordonné ? HENRIETTE. Tout va bien. RENÉ. N'a-t-il pas un instant soupçonné Que vous allez ce soir couronner notre ligueEn tuant le veau gras pour son enfant prodigue ? MADAME VALENTIN. Il ne s'attend à rien. RENÉ. Chut ! MADAME VALENTIN. Chut ! HENRIETTE. Chut ! FANNY. Chut ! ma foi,Puisque chacun dit : chut ! je ne vois pas pourquoiJe ne dirais pas : chut ! RENÉ, tendant la main à Fanny. Soyons deux camarades : J'adore la gaîté. FANNY. Je hais les gens maussades. RENÉ, à voix basse. AIR : Dans mon verre, de Darcier. Le rire, notre vieil ami, Chante dans toutes les poitrines ; Il ne dort jamais qu'à demi Sous nos cendres et nos ruines ; Il est le fruit d'or du jardin, La corde d'argent de la lyre : Lorsque l'homme perdit l'Éden, Nature lui laissa le Rire. Même à nos soupirs et nos pleurs Le rire quelquefois se mêle ; Toutes les lèvres sont des fleurs Quand il les caresse de l'aile. Sa présence au milieu de nous Provoque un aimable délire ; Et la mère tombe à genoux Lorsque l'enfant commence à rire. Dans la création tout rit, L'astre, l'insecte et le nuage : Les passereaux font de l'esprit Sous le dôme vert du feuillage ; L'éclat de rire de l'été Sort de la chanson de Zéphyre ; Et, s'il n'avait pas existé, Un merle eût inventé le Rire. FANNY, riant. Rions donc. HENRIETTE, même jeu. Rions donc. MADAME VALENTIN. Oui, mais n'oublions pasNotre petit complot : le temps marche à grands pas,Et bientôt sonnera l'heure douce à notre âme... FANNY. Bon ! j'allais oublier que nous jouons un drame !Vos airs mystérieux me donnent le frisson : Est-ce sur le poignard, la corde ou le poisonQue nous allons jurer ? Faut-il, comme au théâtre,Conspirer, déclamer, rugir, tonner, se battre ?Me voilà. Elle va de long en large sur la scène.Messeigneurs, mon épée est à vous !Je descends de don Ruy Badilva que les loups D'Aragon saluaient de hurlements funèbres.Notre blason rayonne au milieu des ténèbres.Mon bisaïeul prenait par les cornes un boeufEt, l'ayant assommé, l'avalait comme un oeuf.J'eus pour ancêtre Hernan, qui fut un Grand d'Espagne, Épervier dans la plaine, aigle sur la montagne,Et dont le bras dompta trente rébellions.Mon aïeule Armanda faisait par des lionsTraîner son char d'airain. Voici notre devise :« Je vise qui m'atteint, et j'atteins qui me vise ! » Les rois autorisaient mes aïeux à s'asseoirSur les marches du trône ; et c'est pourquoi, ce soir,À l'heure où le sorcier pâlit sur son grimoire,On verra des éclairs luire dans l'ombre noire ! MADAME VALENTIN. Charmante folle, va ! HENRIETTE. Puisqu'on s'est de plain-pied Introduit dans le drame, écoutez, comme il sied,Les ordres que je donne aux gens de mon escorte.Ma mère et vous, mon frère, entrez par cette porte,Et laissez-nous ici. C'est notre bon plaisir. MADAME VALENTIN. Allons nous préparer : ton père va venir*. RENÉ. Mais pendant ce temps-là, qui montera ma garde ? HENRIETTE. Nous nous chargeons de tout. RENÉ, à Fanny. Adieu, la babillarde ! Madame Valentin et René entrent dans la cellule, à gauche. SCÈNE IV. Fanny, Henriette. HENRIETTE, prenant le manteau de René. Dis-moi, chère Fanny, me reconnaîtrais-tu,Une fois ce manteau sur mon front rabattu ? FANNY. Moi ? Pas le moins du monde ! Aurais-tu le caprice De prendre ce manteau pour aide et pour complice ? HENRIETTE, s'enveloppant dans le manteau. Oh ! c'est merveilleux ! Vois, ces plis raides et longsTombent comme à dessein jusque sur mes talons ;Puis, il est d'une ampleur à m'envelopper toute :Je monterai la garde, et l'on n'y verra goutte. Il faut bien que mon père, en retournant ici,Trouve sa sentinelle et n'en ait plus souci. Elle se place dans la guérite. FANNY. Eh quoi ! c'est sans fusil, monsieur le militaire,Que vous montez la garde ? HENRIETTE, troublée. Est-il bien nécessaireDe porter un fusil ? FANNY, lui présentant le fusil. Vous dites ? Palsambleu ! Prenez-moi ça, troupier. HENRIETTE, prenant le fusil. S'il allait faire feu !S'il allait éclater ! FANNY. Au port d'arme, mignonne ! HENRIETTE. M'y voilà. FANNY. Je te trouve un faux air de Bellone. HENRIETTE. Ce fusil ! FANNY. Allons donc ! chante pour t'aguerrir.Quand on sert son pays, il faut vaincre ou mourir. HENRIETTE, hors de la guérite. AIR. Du Chalet. Au son des trompettes de cuivre, Le soldat français aime à suivre Ses fiers drapeaux ; Qu'il ait petite ou grande taille, Il est à livrer la bataille Toujours dispos. Marchons au pas, au bruit des canons sourds : Sonnez, clairons ; battez, tambours ! Afin de gagner l'épaulette, Il sait qu'il faut dans la tempête Rester debout Et sous la mitraille qui grêle, Sans reculer d'une semelle, Être partout. Marchons au pas, au bruit des canons sourds : Sonnez, clairons ; battez, tambours ! Lorsque la famine l'assiège, Il a, sous le vent et la neige, Le coeur content, Et, le sourire sur la bouche, Brûle sa dernière cartouche Tout en chantant. Marchons au pas, au bruit des canons sourds : Sonnez, clairons ; battez, tambours ! FANNY. Eh bien ! cette chanson t'a-t-elle mis dans l'âme Un peu de cette audace étrangère à la femmeQui nous fait sans pâlir, sans nous épouvanter,Embrasser un fusil qui pourrait éclater ? HENRIETTE. Ma foi, je suis guerrière autant qu'on le peut être,Voyant que mon fusil commence à me connaître. FANNY. Parlons alors sans crainte, ouvrons-nous notre coeur. HENRIETTE, s'appuyant sur son fusil. Moi, je prends, pour t'entendre, un petit air vainqueur ! FANNY. Toi seule sais ici quel devoir me ramèneDans cette forteresse, après chaque semaine.Un soir, une étrangère et sa fille arrivant On n'a jamais su d'où, par la pluie et le vent,Hors d'haleine, encor loin des maisons de la ville,À ces pauvres vieux murs demandèrent asile.Ce château n'était pas encore une prison,Et ses libres créneaux, tapissés de gazon, Laissaient circuler l'air et flotter la lumière.La fille avait six ans ; la mère était ma mère.L'orage qui grondait, terrible, autour de nous,Me faisait chanceler d'effroi sur mes genoux ;Nous fûmes nous blottir dans une cour déserte, Tremblantes, au hasard, sur un lit d'herbe verte.Là je vis tout à coup ma mère s'affaiblir,Sa tête s'incliner, son visage pâlir ;Je pris la fuite, ayant senti frissonner l'aileDe la mort qui planait, prête à fondre sur elle. Hélas ! quand je revins, son front était glacé ;Mais elle put me dire : « Enfant, j'ai déposéUn souvenir de moi dans ces murs en ruines ;Comme il pèserait trop à tes mains enfantines,Tu reviendras le prendre un jour, quand tu seras Grande comme ta mère et que tes petits brasSeront plus forts. Je sens qu'il faut que je m'en aille,Je me meurs... » Et, du doigt me montrant la muraille,Elle expira. Un silence. HENRIETTE. Mon Dieu ! comme tu dois avoirL'âme triste en ces lieux ! FANNY. J'accomplis un devoir ; Et puis, même en contant leur infortune amère,Les enfants sont heureux, s'ils parlent de leur mère.J'ai vécu bien longtemps loin de ces affreux murs ;Mais les champs les plus beaux et les cieux les plus pursN'ont pas fait à l'enfant que son destin emporte Oublier ce château plein de sa mère morte,Et malgré ma jeunesse et malgré mon orgueil,J'en ai fait ma prison pour en franchir le seuilEt pour trouver enfin à travers ces ruinesCe souvenir trop lourd à mes mains enfantines. HENRIETTE. Séparons-nous. J'entends un bruit de pas. SCÈNE V. Henriette, Fanny, Rognelard, Bonhomme. ROGNELARD. Docteur,Serez-vous sans pitié pour un entrepreneur ? BONHOMME. Hé ! Monsieur Rognelard ! Vous me fendez la tête. ROGNELARD. Hé ! Monsieur le docteur ! Je suis un homme honnête,Et vous me dépouillez. BONHOMME. Moi, monsieur ? c'est trop fort ! Lisant une note.Cette enfant est malade et chétive... ROGNELARD. Elle a tort. BONHOMME. Il lui faut de bons soins. ROGNELARD. Mais, docteur, je vous jureQue j'ai fait un contrat de dupe. Sortant un calepin qu'il montre au docteur.Nourriture,Chaussures, vêtements... Vous n'entendez donc rienAux affaires, Monsieur ? BONHOMME. Je les entends très bien. ROGNELARD. Ainsi, vous laisserez figurer sur vos livresCes deux oeufs à la coque et ce pain de trois livres ? BONHOMME. Mais ! ROGNELARD. Vous me ruinez ! BONHOMME. Quand vous aurez fini ! ROGNELARD. Et tout cela, grands dieux, pour leur chère Fanny ! FANNY. Eh quoi ! Votre colère à mon sujet s'allume ? HENRIETTE, à part. Ô falsificateur patenté du légume ! BONHOMME, à Fanny. J'inscris un oeuf de plus. ROGNELARD. Passez donc des marchés ! FANNY, à Rognelard. Monsieur, figurez-vous... HENRIETTE, sans quitter la guérite. Que c'est pour vos péchés ! Bonhomme sort avec Rognelard qui gesticule. SCÈNE VI. Henriette, Fanny, Finot, Valentin, Visiteurs étrangers. VALENTIN. Silence dans les rangs, monsieur le militaire !Quand il est au port d'arme, un soldat doit se taire. FINOT. Fus nous tissiez, monsir, que fus afres iciTe crands andiguidés ? LE VISITEUR ANGLAIS. Vo avoir dit aussiMontrer le cage-fer du cardinal Balue ? FANNY, faisant la révérence. Tous ces gens ne voient pas même qu'on les salue. LA VISITEUSE ALLEMANDE. Moi che temante à foir Tiane te Boidiers. LE VISITEUR ANGLAIS. Vo avoir, paraît-il, un bannière-métiers ? LE VISITEUR ITALIEN. La coulote del ré Dagobert ? LE VISITEUR ESPAGNOL. La houletteDe Juana d'Arc ? LA VISITEUSE ANGLAISE. Moa vouloir toucher la têteDe Cinq-Mars ! FINOT. Les gefeux tu gefelu Glofis ! LA VISITEUSE ALLEMANDE. Le rassoir t'Olifier le Taim ! LE VISITEUR ITALIEN. Le flor da lis Del drapel d'Henri quatre ! FINOT. Allez-fus bas nous tireGuelgue chosse, monsir ? Bas.Ah ! Nous allons bien rire ! Haut.Tides-nous guelgue chosse. VALENTIN, emphatiquement. On vous montrera tout !Ici, sous ces vieux murs, des siècles sont debout,Et vous frissonnerez, quand vous saurez l'histoire De ce château... LA VISITEUSE ALLEMANDE. Fraiment ? FINOT, à part. Je finis par y croire ! VALENTIN. Mais, pour la lire à livre ouvert, pour pénétrerDans l'horreur d'un seul coup, c'est là qu'il faut entrer ! Il se précipite avec les visiteurs vers la cellule où se trouvent René et sa mère. SCÈNE VII. LES PRÉCÉDENTS, PLUS M"" VALENTIN ET RENÉ. RENÉ, dans les bras de son père. Mon père ! VALENTIN. Mon René ! LE VISITEUR ITALIEN, riant. C'est oune histoire horrible. LA VISITEUSE ANGLAISE, avec dépit. Il a promis à nous une chose terrible. RENÉ. Mon père ! VALENTIN. Mon René ! FINOT. C'est drès tiferdissant. MADAME VALENTIN. Mais où donc est ma fille ? RENÉ, appelant Henriette ! HENRIETTE, s'avançant, le capuchon rejeté en arrière. Présent ! FINOT. Te blus vort en blus vort ! FANNY. La chose les intrigue. RENÉ, aux visiteurs. Mesdames et messieurs, je fus l'enfant prodigue :Je reviens au foyer, et nous sommes heureux ! FINOT, insinuant. On ne verra donc pas ce cachot ténébreux ? FANNY. Monsieur, on vous l'eût fait visiter à votre aiseQuand vous parliez moins bien notre langue française. FINOT. Pincé ! VALENTIN. Mais pourquoi donc nous avez-vous... FINOT. Pour rien.Ce château fort et moi nous nous connaissons bien, Et je puis arracher son couvercle de pierreAu moindre des secrets qu'il cache à la lumière.Quand j'étais tout gamin, j'y venais très souventInterroger l'écho dans les rumeurs du vent ;J'avais une complice, et la petite Berthe Partageait avec moi la moindre découverte FANNY, à part. C'est le nom de ma mère. FINOT. Un jour elle partit.Je ne l'ai plus revue : on était si petit !Tout est ici pour moi sujet à rêverie.Tenez, ce mur... FANNY. Ce mur ? HENRIETTE. Parlez. FANNY. Je vous en prie. HENRIETTE. Parlez. FINOT. Eh bien ! ce mur s'ouvre à discrétion. FANNY, à part. Ô ma mère ! J'ai peur, je tremble... FINOT. Attention ! Il touche du doigt le bas du mur. Une petite boite s'ouvre dans le fond, laissant voir une cassette, et sur la cassette une feuille de papier. FANNY, se jetant dans les bras d'Henriette. C'était là ! C'était là ! HENRIETTE. Là ! FINOT. L'histoire est complète :Qui donc a fourré là cette étrange cassette ? Il lit à haute voix la feuille de papier.« Ma fille, ma Fanny, je confie à ces murs Cette cassette : ils sont inébranlables, sûrs,Dévoués, ayant vu sourire mon enfance.J'ai, ton père étant mort, voulu revoir la France,Et j'expire a deux pas de mon pays natal.Sois bonne, fais le bien, plains ceux qui font le mal. Mon frère Valentin, s'il vit, t'aimera certesComme sa fille. Adieu. Ta pauvre mère : Berthe. » VALENTIN, embrassant Fanny. Ma nièce ! MADAME VALENTIN. Notre enfant ! LE VISITEUR ANGLAIS. Tout cet émotionFera grand préjudice à mon digestion ! FANNY, embrassant la lettre de sa mère. Ô relique chérie ! VALENTIN, à Finot. À propos, vous qui faites Pirouetter les murs et bâiller les cachettes,Dites-nous, cher monsieur, à qui l'on a l'honneur... FINOT. Je suis tout simplement monsieur votre inspecteur. VALENTIN, se levant. Diable ! FINOT. Ici, je le vois, tout se passe en famille.Ce gaillard fait monter la garde par sa fille ! Ah ! Sans l'événement qui vous charme si fort,Je lançais contre vous un terrible rapport ! LA VISITEUSE ANGLAISE. Shocking ! LE VISITEUR ANGLAIS. Moa vouloir, n'ayant pas la berlue,Voir le grand cage-fer du cardinal Balue. FINOT, riant. Fus nous tissiez, monsir, que fus nous feriez foir Te crands adrocidés ? VALENTIN, même jeu. Fus basserez ce soir. RENÉ, prenant la main de Fanny. Ma cousine, un baiser sur vos menottes blanches. LA VISITEUSE ALLEMANDE. Z'est une brisson, zà ? FANNY. La maison des dimanches. FINOT. J'y viendrai quelquefois passer un jour d'été. MADAME VALENTIN, à Fanny. Et nous te garderons ? FANNY. À perpétuité. ==================================================