******************************************************** DC.Title = FOUQUET À LA BASTILLE, MONOLOGUE DC.Author = JOLY, Adolphe DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Monologue DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:20. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/JOLY_FOUQUETALABASTILLE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1417319q?rk=64378;0 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** FOUQUET À LA BASTILLE MONOLOGUE DRAMATIQUE EN VERS Adolphe JOLY PERSONNAGES. NICOLAS FOUQUET. Texte extrait de "Essais et Monologues dramatiques d'Adolphe Joly, jouées sur les principaux théâtres de Paris", Adolphe Joly, Paris : A. Huré, 1873. [cote BnF YF 9642] FOUQUET À LA BASTILLE FOUQUET. Ah ! Je suis mort pour tous ; ce froid cercueil de pierreEtouffe les sanglots, arrête la prière.Quel étrange destin ! Quelle grande leçon !Au palais écroulé succède la prison.J'ai protesté longtemps, une douce espérance Sommeillait dans mon coeur, allégeait ma souffrance :La désillusion a brisé mon hochet :On ne se souvient plus de Nicolas Fouquet !Tous ils m'ont oublié ! Devant mon infortuneOn s'enfuit prudemment : la douleur importune. Il se lève.Qu'ai-je dit ?... Ah ! C'est mal ! vrais amis, nobles coeursQui m'avez défendu contre mes détracteurs,J'ose vous accuser... Pellisson et Gourville[Note : Nicolas Fouquet était Marquis de Belle-île.]Écrivent en faveur du maître de Belle-île ;Sévigné, Scudéry sollicitent toujours : Leur éloquente ardeur, seule, a sauvé mes jours.Attendons !... Il va vers la fenêtre.J'oubliais une amitié fidèleQui charme mes ennuis : une douce hirondelleQui me parle des bois, du soleil, du ciel bleu.Tous les ans tu reviens, bel oiseau du bon Dieu, Me dire : Le printemps rajeunit la nature,La fleur est parfumée et la brise murmure ;Le pauvre prisonnier va s'asseoir près du nidQu'il prépara pour toi : que ton chant soit béni !Où donc est-elle ?... Eh quoi ! Partie avec l'aurore Pour des climats plus chauds... Non, non, je doute encore :L'hiver est loin de nous... Ingrate, entends ma voix.Je m'alarmais à tort ; enfin je l'aperçois :Pour glaner dans nos champs, ma petite compagneÉtait partie : ou est si bien, dans la campagne ! Avec force.Est-ce un rêve ?... Du sang !... Du sang sur ce barreau :Mon cruel geôlier est devenu bourreau,Et pendant mon sommeil... pauvre oiseau!... C'est infâme !Le lâche !... On a tué son coeur avec son âme.La haine du grand roi me poursuit pas à pas ; Elle ne tombera que devant le trépas.Mon trépas ! Ah ! Qu'il vienne arracher cette grille :Amboise, - Angers, - Moret, - Vincennes, - la Bastille !...De prison en prison, vingt ans ils m'ont traîné.Vingt ans, mon Dieu !... Vingt ans captif, infortuné ! Mes yeux se sont éteints sous cette voûte humide ;Ma taille s'est courbée; un air lourd, homicide,A brûlé mes poumons. Cette cage de ferQue le Dante oublia dans son sublime Enfer,A de mon coeur meurtri vu l'éternel orage, Vu des larmes de sang sillonner mon visage.Le trépas !... Mais la mort est une voluptéQuand son ange apparaît avec la liberté. Ma coupe de douleur est pleine : patience ! Il me faut vivre encor, vivre pour la vengeance ! Louis, dont la puissance effrayait l'univers,A vu ses grands succès se changer en revers.En déchirant l'édit signé par Henri quatre,Il appauvrit l'État ; il a fallu combattreDe fidèles sujets. Cent mille camisards Sont partis, emmenant l'industrie et les arts.La perte de Colbert altère les finances :Plus de coffres. partant, plus de munificences.Le prêt manque aux soldats, et, comme un commerçant,L'État ose emprunter à quatre cents pour cent ! On se perd pour sauver un monarque apathique :- Philippe cinq ; - aveugle et folle politique !Dans Versailles déchu, le passant, plein d'effroi,Regarde mendier les laquais de son roi.Les galants carrousels ont fait place aux grimaces ; La bulle Ugenitus va diviser les masses.L'étiquette partout, partout le décorum, -Et l'on meurt de misère, au chant des Te Deum !La guerre a dépeuplé notre campagne inculte ;Le soleil s'est voilé : ce soleil dont le culte Recrutait - à prix d'or - de vils adorateurs.Ministres. -- généraux, -- poètes, - orateurs,Sont tombés, tour à tour, sous la grande faucille.Tous deux nous survivons à l'illustre familleQui prêta sa splendeur à ce siècle ennobli : Molière, - Fénelon, - Colbert, nouveau Sully,Colbert !... - sur un cercueil la haine glisse et tombe, -Out précédé Racine et Lebrun dans la tombe.L'ouragan a fauché tous nos contemporains;Ce règne prolongé n'a plus de lendemains. Le roi reste debout, droit et fier comme un chêne,Mais l'heure est arrivée et sa chute est prochaine.Pour remplacer Condé, Turenne et Luxembourg,Il a choisi Massin, Tallard : des gens de cour.La disette est partout ; la moitié du royaume Vit d'aumône ; la faim habite sous le chaume !Qui succède à Colbert, à Louvois ?... Chamillart,Fort honnête, mais nul : un grand homme... au billard.Pontchartrain a vendu des lettres de noblesse ;Louis quatorze, orgueilleux, qu'un conseil froisse et blesse On a doublé la taille, ou altère l'argentMonnayé... Quant à toi, souverain indigent,Pour donner un acompte à ton infanterie,On fond tes vieux bijoux, ta lourde argenterie.Tu n'as plus de vaisseaux dans ton beau port de Brest ; Les frontières du nord, de l'est et du sud-estS'ouvrent à l'ennemi, l'ennemi qui resserreDe nombreux bataillons : c'est un coup de tonnerre.Eugène, - Marlborongh, - Heinsius, -- triumviratEnergique et puissant, ont, dans un long contrat, Juré d'anéantir la vieille monarchie.L'or va semer ici la haine et l'anarchie.Il te faut abdiquer : abdiquer c'est souffrir !Le glas tinte... Non, non, je ne veux pas mourir!Je verrai s'envoler l'éclat qui t'environne ; Tu glisseras du trône en perdant ta couronne,Fantôme disparu, soleil au disque éteint,Tu courberas le front. Roi, songe à Charles-Quint ! Un temps.Mais cet abaissement, c'est la France amoindrie ;C'est le démembrement, le deuil de la patrie : Seigneur, n'exaucez pas mes souhaits insensés ;Détournez loin de nous vos regards courroucés.Quoi ! L'ennemi viendrait au foyer de nos pères ;On verrait dans nos murs les hordes étrangères,Nos drapeaux arrachés !... Ô profanation ! Aux armes ! Levez-vous ; sus à l'invasion !Refoulez dans son coeur sa coupable espérance :La France ne meurt pas ; on ne prend pas la France ! Il va s'asseoir près de la table.Pauvre oiseau, c'est pour lui que j'émiettais ce pain :Il ne redira plus son frais et gai refrain. Il trouve un billet dans le pain.Un billet !... un billet !... Quelle est cette écriture ?Je ne me souviens pas... Bien... Pas de signature. Il ouvre le billet et lit, après avoir regardé de tous côtés. Une lime, cachée dans ce pain, vous permettra de scier un barreau. - Votre cachot donne sur un fossé, dans lequel se cache un ami dévoué, qui vous fera parvenir une échelle de corde. À minuit, une lumière brillera à la fenêtre de la première maison du faubourg Saint-Antoine ; si vous acceptez, placez au même instant un flambeau allumé à la meurtrière de votre cellule. » Il se lève, avec joie.Merci ! J'ai retrouvé le courage et la foi :Dévouement inconnu, merci ! Je crois en toi.Oui, voici cette lime : elle m'ouvre l'espace. Minuit !... C'est pour minuit ; lentement l'heure passe.Je reverrai la plaine, et le ciel, et le jour...On sert donc quelquefois de ce triste séjour ?Sois maudite, prison aux terribles annales!Le temps a respecté tes voûtes sépulcrales, Mais l'ère va venir des grandes libertés :Dieu te marque du doigt, et tes jours sont comptés.En vain tu défendras tes vieilles oubliettes,Tes chaînes, les tombeaux, où gisent des squelettes.Quand d'un peuple en courroux s'élèvera la voix, Tes canons tonneront pour la dernière fois,Le peuple brisera tes portes, ta ceinture ;Les outils du bourreau - des outils de torture ! -Seront jetés au feu devant la nation ;Tu tomberas aux cris de malédiction De la foule éplorée. - Effroi de la la famille,On s'écriera bientôt : - Ici, fut la Bastille !Comme un songe envolé, chassons ce souvenir :Le vieux faubourg s'endort, mon exil va finir.Oui, j'irai me cacher au fond de la Hollande, Dans un bourg ignoré, près d'une verte lande ;Je verrai les grands boeufs paître sur le coteau ;J'entendrai les chansons et les bruits du hameau,Le tic-tac du moulin, le chant de la fontaine ;Je relirai les vers de mon bon La Fontaine ; Les laboureurs flamands, les braves mariniersM'offriront des tableaux dignes du vieux Teniers.Marcher au grand soleil, vivre à sa fantaisie,S'enivrer de l'air pur, voilà la poésie. On entend sonner minuit.Mon coeur bat... minuit sonne... Allons, n'hésitons pas : Comme la liberté, pour l'homme, a des appas !On ne m'a pas trompé : là-bas cette lumière,C'est le signal... Plaçons dans cette meurtrièreLe flambeau... Maintenant mon sort va s'accomplir :Dans une heure je veux être libre... On entend un coup de feu. - Fouquet chancelle en portant la main a sa poitrine.Ou mourir! Il se traîne vers la table.J'avais compté sans toi, gouverneur implacable ;Mais ta haine veillait : la mort est préférableÀ ce supplice lent ; plus de captivité ! Il prête l'oreille.[Note : Fouquet meurt le 23 mars 1680 dans la forteresse de Pignerol d'une crise d'apoplexie et non à La Bastille d'un coup de feu.]Pellisson !... Sauve-toi !... Je meurs !... Fatalité ! Il tombe et meurt. ==================================================