******************************************************** DC.Title = NUIT DE NOCES, COMÉDIE. DC.Author = LAFORGUE, Jules DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:20. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/LAFORGUE_NUITDENOCES.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1525391b?rk=257512;0 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** NUIT DE NOCES Gravures de Charles Martin de JULES LAFORGUE. Cet ouvrage a été tiré à 7 exemplaire sur papier japon impérial avec un dessin et une double suite, et 200 exemplaires sur papier d'arches. Il a été achevé d'imprimer à Paris, le vingt-cinq mars mille neuf cent vingt sept, sur les presses du maître imprimeur LOUIS KALDOR, pour la typographie et chez ROGER LACOURIÈRE pour la taille-douce. ACTEURS PIERROT, poète très lyrique et boursier, 30 ans. COLOMBINETTE, ingénue, 19 ans. Texte issu de l'ouvrage "Pierrot fumiste par Jules Laforgue" cote BnF Rés. M. YF-41. pp.28-32 NUIT DE NOCES SCÈNE I MINUIT. La chambre nuptiale. Décorée avec beaucoup de luxe et de goût par Pierrot d'après celle de Marthe et Dumailly. Le lit très étroit, une faible veilleuse. Colombinette est déjà au lit. MADAME COLOMBINE tire sur elle les blancs rideaux et lui murmure des choses avec des larmes dans l'organe, lui met un dernier gros baiser avec un sanglot sur le front. Mon pauv'chat ! Du courage ! C'est un coeur d'or. Soudain au fond on voit la portière s'entr'ouvrir pour laisser passer l'O rond de la bouche de Pierrot et l'on entend roucouler : Coucou! Rires étouffés et frémissements de Colombinette. Dernier baiser. Dernier mon pauv'chat. Dernier courage ! Puis encore un gros baiser sur le front de ce pauv'chat. MADAME COLOMBINE, ferme les rideaux et sortant, à Pierrot qui est derrière la portière. Ah ! Ménagez-là, mon gendre. PIERROT, imitant le voyou d'une façon adorable. As pas peur. On sait ce qu'on sait. Suffit, ma p'tite mère. Ça me connait, j'vous dis ! Il lui pince la taille, et entre. Il est dans un galant déshabillé, s'avance à pas de loup, il entr'ouvre les rideaux à peine y met l'O dans sa bouche et d'une voix formidable qui fait trembler la maison.Coucou ! COLOMBINETTE, très effrayée, se pelotonne. Ah ! Mon Dieu, mon Dieu ! PIERROT, avec une voix naturelle qu'on ne lui connaissait pas. Maintenant, soyons sérieux. Tout en murmurant des mots rassurants, il s'est glissé sous les couvertures avec mille pudeurs et passe délicatement son bras sous la tête de Colombinette qu'il amène ainsi sur son épaule. Colombinette entr'ouvre les yeux, Pierrot la regarde avec un doux sourire. Ils se regardent. Pierrot la baise sur les lèvres. Colombinette est prise d'un grand frisson. Alors Pierrot avec 36000 lyres dans le gosier.Aimez vous un peu ce pauvre Pierrot, Colombinette de... mon âme ? COLOMBINETTE. Ah ! Vous savez bien que je vous aime tant, Monsieur Pierrot. PIERROT, la serre doucement dans ses bras, d'une voix tremblante. Ne m'appelle plus Monsieur Pierrot, ma Colombinette. Appelle-moi Pierrot et dis-moi : je t'aime, mon pauvre Pierrot. COLOMBINETTE. Je t'aime, mon Pierrot bien-aimé. Je t'aime tant... Oui. Elle sent une larme chaude tomber sur sa gorge.Ah ! Mon Dieu, vous pleurez ! Tu pleures ! Ne pleures pas ! Et lui met ses bras autour du cou et cache sa tête dans sa poitrine. PIERROT, la serrant follement contre lui. J'ai tant besoin qu'on m'aime, vois-tu ; Pierrot pantin de lettres, c'est la tristesse éternelle des choses. Mais ne parlons pas de cela. Tu m'aimes, redis-le moi. COLOMBINETTE. Je t'aime, Pierrot bien-aimé. Je sais que tu as le coeur trop bon pour cette vie. Les autres ne te comprennent pas, mais je t'ai compris dès le premier jour. Je t'aime et je mourrai en extase et ravissement pour te consoler un peu. Elle l'étreint.Oh ! Oui, mon pauvre Pierrot, tu verras. Ils restent amoureusement enlacés, se murmurant des mots d'amour et des baisers. PIERROT, se dégageant un peu. Si tu savais, ma Pierrette, comme tous ces gens m'étaient insupportables aujourd'hui. Qu'il me tardait d'être seul avec toi ! Je croyais que ce bal ne finirais pas. COLOMBINETTE, langoureusement pendue à son cou, les yeux fermés, parlant comme du fond d'un rêve. Alors, il aime un peu sa Colombinette, ce vilain Pierrot ? PIERROT. Si je t'aime, pauvre bébé, va. Il l'enlace de nouveau. COLOMBINETTE. Bien vrai ? Elle soupire sous les baisers et les étreintes de Pierrot.Ah ! Pierrot, Pierrot. Ils se taisent. Pierrot l'enlace de mille manières, couvre de baisers ses épaules, son cou, sa petite gorge. Colombinette se pâme. Pierrot l'enveloppe de tous côtés. Ils se taisent, ne murmurant que leurs noms. Pierrot va la posséder, et soudain. PIERROT, se dégageant. Ah ! Je ne suis qu'une brute ! Un infâme. Un sale taureau ! - Ma pauvre Colombinette est fatiguée de cette semaine d'émotions et de toute cette journée, et moi, brutal, je vais la tuer encore ! Pardon, pardon, ma Colombinette, dis que tu me pardonnes. Colombinette n'ose protester et l'embrasse passionnément.Pauvre bébé ! Nous allons faire dodo. Tiens, avance la tête sur mon épaule, là. Pauvre ange ! Il l'embrasse sur le front. Longtemps il la berce de mots d'amour; elle s'endort les bras autour du cou de Pierrot, la tête dans sa poitrine, comme un gracieux oiseau mouillé par une averse, avec son nom sur les lèvres. Une heure après, il s'endort de son côté. La nuit. Deux respirations dans les rideaux, et le tic-tac éternel d'une pendule. SCÈNE II. 3h. 20 DU MATIN PIERROT, rêvant tout haut, ronchonnant. Oui, les épreuves, vraiment ? Il se réveille, se rappelle.Chut ! Elle dort à poings fermés, les bras nus croisés sur la gorge, étendue comme une martyre sur son tombeau, une martyre au minois chiffonné, a la coiffure ébouriffée. Il lui envoie un baiser du bout du doigt et chuchote :Adorable ! Il fait très chaud, pour ce soir de mai. Pierrot se penche sur elle les yeux brillants. Il écarte avec mille infinies précautions la chemisette qui est tombée de la gorge, se retournant vers le public, envoyant un baiser :Lys ! Ivoire ! Satin ! Neige épiderme de la femme aimée ! Albâtre. Il n'ose la toucher, la contemple, les mains tremblantes et ivres. Il se chuchote à lui-même.Ah ! Ces amours de petits pieds ! L'attache délicatement modelée des épaules ! Le pli de l'aisselle! La douce petite gorge avec ses deux pastilles dures ! Cet amour de petit ventre. Il y met un baiser ; par un mouvement réflexe Colombinette y porte la main, à ce mouvement. Pierrot qui a craint de l'avoir éveillée s'est rejeté ; feignant de dormir. Fausse alerte, il reprend son examen. Il paraît en proie à des angoisses.Non, elle ne sera pas à moi ! Et passer toutes les nuits à ses côtés ! Non, le vertige finira par me ruer sur elle ! - Il faudra chercher un régime : dormons. Il lui tourne le dos et s'assoupit. Tout retombe au silence. SCÈNE III. PIERROT. [Note : "Ode sur la prise de Namur" de Nicolas Boileau, 1693.]Non, je ne puis m'endormir; mon cerveau travaille et vous devinez quelle fièvre y bouillonne, comme mes tempes battent. Ô mon ange gardien! la chair est faible ! J'y suis ! Je vais réciter l'ode sur la prise de Namur, car je la sais par coeur ! Oui, un pari que j'ai fait il y a trois mois. Et, - comme ça se rencontre, - Boileau était eunuque, il doit y avoir des vertus insoupçonnées dans cette ode. Mais avant, encore un coup d'oeil. Il se retourne et la contemple longuement.Bah ! Après tout elle est toujours la même chose, toutes les femmes se ressemblent ; nous les voyons à travers les vieilles lunettes de la mère Maïa, j'allais dire Mayeux. - Donc allons-y de notre Boileau. Namur. Tiens c'est en Belgique. Mons, Namur, dix minutes, buffet. J'ai même eu à Namur une aventure ruisselante de croustillance d'épatance. Il se perd dans ses souvenirs et sa songerie.Pierrot fait la roue contre le long de la pièce. SCÈNE IV. 8 HEURES PIERROT, se réveille. Comme j'ai dormi ! Huit heures ! Ah ! Pourvu que je ne me sois pas émancipé à mon insu, hein ! Me voyez vous sganarellisé par moi-même sans savoir ! Malheureusement ! Brrr ! Le sang seul laverait... Il se retourne.Elle dort, ce qu'elle doit être lasse, la pauvre ! Il saute du lit doucement, fait la roue sur le tapis en négligé de satin clair de lune très flottant, un croissant de velours noir en bandoulière, s'habille en un clin d'oeil, sort de la chambre. Revient avec un service pour le café au lait. Dispose le tout et met le café sur le réchaud pour attendre. Il se frotte les mains, se frappe sur l'épaule : Pierrot, mon vieux, nous nous sommes bien conduits. Il se met à sa table de travail, étale des papiers et s'y absorbe. Un quart d'heure s'écoule. Colombinette fait mine de s'éveiller. Pierrot met sa plume d'oie à l'oreille, et apprête vite le café au lait de Colombinette. Au moment où elle ouvre les yeux, il le lui pose sur la tablette. PIERROT, l'embrassant Bonjour, ma poupoule. Cristi ! elle est toute tiède. COLOMBINETTE, se frottant les yeux. Mon Dieu, comme j'ai dormi, quelle heure est-il ? PIERROT. Huit heures et demie, ma poupoule. COLOMBINETTE. Est-ce possible ? PIERROT. De la dernière exactitude, poulette, voici votre café au lait, prenez-le en faisant votre toilette du matin, je frapperai pour rentrer. COLOMBINETTE. Ah ! Monsieur Pierrot ! PIERROT. Encore ! COLOMBINETTE. Non, mon bon Pierrot va, je suis tout de suite prête. Monologue COLOMBINETTE, seule. Je suis encore vierge ! - Que vont dire mes amies? - Elle vaque à sa toilette tout en prenant son café au lait.Comme elles vont être jalouses. Elles sont mariées à des philistins, pour elles cette chose est venue lourdement, brutalement, aussitôt après le bal, sans qu'elles s'y fussent préparées, avant qu'elles aient pu se reconnaître elles ont été exécutées, elles ont reçu cela comme le dernier coup de masse de cette journée de fatigues. Moi, me voilà reposée : mise en ardeur par les étreintes de la nuit, avec toute une journée devant moi pour que mon imagination travaille et que mes nerfs s'affinent dans l'attente. Vraiment, ces artistes restent artistes en tout. Ah ! L'art ! Comme dit mon bon Pierrot ! Je suis heureuse ! Comme mes amies vont être jalouses ! - Ce café au lait est bien froid. Mais à quelle heure s'est-il levé lui ? Il a travaillé, il avait sa plume à l'oreille, voyons ce que c'est. Elle s'approche de la table, et lit les papiers.La mosaïque... incrustations monochromes... le christianisme devait régénérer cet art grandiose... etc., etc., ça n'est pas amusant. Il faudrait que je lise tous ses livres. Oh ! Je vais l'aimer bien. On entend toc, toc!Entrez... PIERROT, imitant le chant de la poule qui vient de pondre. Bonjour Poupoupoupou-lette! ==================================================