******************************************************** DC.Title = MÉLÉAGRE, TRAGÉDIE DC.Author = LA GRANGE CHANCEL, François-Joseph de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 22/06/2022 à 06:08:51. DC.Coverage = Grèce DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/LAGRANGECHANCEL_MELEAGRE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** MÉLÉAGRE TRAGÉDIE M. D.C. XCIX. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. PAR LAGRANGE DE CHANCEL. À PARIS, Chez PIERRE RIBOU, proche les Augustins, à la descente du Pont-neuf, à l'Image Saint Louis.Achevé d'imprimer pour la première fois le 27 Février 1699. PRÉFACE. Il s'éleva d'abord une si grande quantité de Critiques contre cette pièce, qu'il faut qu'elle ne soit pas sans mérite, puisqu'elle a pu leur résister. Je ne doute point que je n'en doive la réussite au beau sexe qui en a été véritablement touché, et qui est toujours venu en foule à chaque représentation. J'ai eu la gloire d'y voir pleurer une illustre Princesse, dont l'approbation vaut mieux que toutes les louanges du monde. La plupart de nos jeunes gens veulent faire les beaux esprits avec un savoir très médiocre. Ils ne viennent à la Comédie qu'avec un esprit de critique ; et quand ils ont une fois décidé, ils croient que la Cour et la Ville doivent suivre leur jugement. Il y en a quelques-uns dont l'esprit devance les années , et qui loin de faire les mauvais censeurs donnent des avis que je suivrai toujours préférablement aux miens. Il est vrai que le nombre de ces derniers est si petit, qu'à peine en trouve-t-on trois ou quatre ; entre lesquels j'en dois distinguer un, dont l'estime et l'amitié font que je ne m'inquiète pas beaucoup des mauvaises critiques des autres, qui seront aisées à détruire par ceux qui liront cet ouvrage. ACTEURS. ALTHÉE, reine de Calydon. MÉLÉAGRE, Fils d'Althée. ATHALANTE, Reine d'Arcadie. PLEXIPPE, Frère d'Althée. DEJANIRE, Fille de Toxée , Nièce de Plexippe et d'Althée, et depuis femme d'Hercule. DIONE, Confidente d'Althée, et Gouvernante de Déjanire. ÉLISE, Nymphe de la suite d'Athalante. THÉLAME, Domestique de la Reine. La scène est à Calydon, dans le Palais d'Althée. ACTE I SCÈNE PREMIERE. Déjanire , Dione. DIONE. Quoi ! Lorsque nous touchons à l'illustre journée,Qui va de Calydon régler la destinée,Et rendre pour jamais à nos peuples contents,Un repos que le monstre a troublé si longtemps ;Ce spectacle nouveau n'a rien qui vous attire, Et l'on n'y verra point la seule Dejanire. DEJANIRE. La Reine jusques-là n'a point porté ses pas :J'ai beaucoup de raisons pour ne la quitter pas ;La frayeur qui m'agite est égale à la sienne :Elle est au Temple : il faut attendre qu'elle vienne. DIONE. Ainsi lors qu'à nos voeux tout semble conspirer,Madame, votre coeur ne se peut rassurer.Ne vous souvient-il plus que la fière Athalante,Abandonnant pour nous le séjour d'Erimante,Entre tant de héros, charmez de fa valeur, A promis sa Couronne et sa main au vainqueur ?Et que pour l'acquérir toute la Grèce en armes,Se prépare à finir vos mortelles alarmes ?Le Ciel même, le Ciel irrité contre nous,Se lasse après un temps de marquer son courroux, Et veut que nos efforts désarmant sa justice,Le forcent quelquefois à nous être propice. DEJANIRE. Ah Dione ! Les Dieux, quand ils font outragés,Ne s'apaisent jamais qu'après s'être vengés :On irrite aisément leurs suprêmes puissances: Il faut des flots de sang pour laver nos offenses.Rappellerai-je ici ce jour, où leur courroux,Avec tant de rigueur éclata contre nous ?Méléagre échappé d'un péril effroyable,Revenait triomphant d'un peuple formidable. Sa mère, soeur du Prince à qui je dois le jour,Pour nous unir tous deux attendait son retour ;Et pour suivre du Roy la volonté suprême.Devait quitter pour nous l'éclat du diadème.Car, tu n'ignores pas qu'à son dernier moment Il voulut de la Reine exiger un ferment :Pour remettre à leur fils le trône de son père,Quand l'âge à notre hymen ne serait plus contraire.J'ignore quel forfait, ou plutôt quel malheur,De Diane sur nous attira la fureur. Les uns l'ont imputée au mépris de la Reine ;Mais je me crus dès lors le sujet de sa haine ;Et que par trop d'orgueil mon coeur fut entraînéQuand je vis le bonheur qui m'était destiné.Quoi qu'il en soit, trompant cette heureuse espérance, Le monstre en même temps fit sentir sa vengeance.Combien, depuis un an qu'il désole ces bords,Les a-t-on vu semés de carnage et de morts ?En vain pour le combattre on va tout entreprendreLa Déesse irritée a soin de le défendre. Je connais Méléagre , et je sais que son bras,Pour sauver son pays ne s'épargnera pas.Toujours infatigable, et toujours magnanime,Plus le péril est grand, plus la gloire l'anime ;Et peut-être du monstre éprouvant les fureurs... DIONE. Hé pourquoi vous former ces indignes terreurs ?Songez plutôt, combien tous nos Oracles,À ce Prince en naissant promirent de miracles.Comment, si jeune encore, par sa feule valeur,Des tyrans de la Crète il dompta la fureur. Alors, vous le savez, j'excusais vos alarmes, .Il n'avait point encor de renom dans les armes,Cependant on le vit au sortir de nos bois,Combattre, et triompher , pour la première fois.Peut-être que du Monstre, ainsi que de la Crète, Le destin à son bras réserve la défaite :Qu'après cette victoire on verra renouerUn hymen, que le Ciel ne peut désavouer :Et qu'il n'a rassemblé l'élite de la Grèce,Que pour en augmenter la Pompe et l'allégresse. DEJANIRE. Non, non, de mes parents j'ai trop à redouter,Ils font trop attachés à me persécuter ;Mais j'espère qu'un jour... DIONE. Contraignez-vous de grâce,On vient vous informer de tout ce qui se passe. SCÈNE II. Déjanire, Thelame, Dione. DEJANIRE. Thélame, où courez-vous ? Nos Grecs font-ils, vainqueurs : Ont-ils du Monstre enfin surmonté les fureurs ? THELAME. Chacun également aspire à cette gloire,Madame ; et chaque bras se promet la victoire.Tout s'empresse, tout part ; du cor et de la voix,On entend retentir les plaines, et les bois. La Grèce, de Héros semble s'être épuisée.On voit Pirithoüs venir avec Thésée.Les enfants d'Orithie, et Lyncée, et Nestor,Et l'illustre Plexippe, et Pollux, et Castor.Méléagre surtout, notre unique espérance, Qui sort d'une victoire au sortir de l'enfance,Étonne tous les coeurs par sa noble fierté,Voyant tant de jeunesse, et tant de majesté.Mais parmi ces Héros, l'élite de la Grèce,Paraît, comme en triomphe, une illustre Princesse ; On lui voit de Diane et le port, et les traits,Telle qu'on la dépeint courant par les forêts.Ses cheveux par les vents flottants à l'aventure,Son habit relevé d'une simple parure,Empruntent tant d'éclat de sa seule beauté, Qu'elle semble à nos yeux une Divinité.Flatté par ses serments, chacun court à la gloire ;Chacun pour l'acquérir aspire à la victoire.Plexippe dont le zèle agit également,N'a ni moins de valeur, ni moins d'empressement : Il m'envoie à la Reine, et je viens vous apprendre,Qu'auprès de vous, Madame , il va bientôt se rendre :Qu'un secret important l'oblige à vous parler. DEJANIRE. Plexippe ! Et quel secret me peut-il révéler ? THELAME. Je l'ignore, et je cours où mon devoir m'appelle. SCÈNE III. Déjanire, Dione. DEJANIRE. Je ne le cèle point, la surprise est nouvelle.Tu sais malgré le sang qui nous unit tous deux,Que de mes ennemis c'est le plus dangereux ;Après avoir vingt ans gouverné cet Empire,Jamais à ma grandeur il n'a voulu souscrire, Et tu l'as vu constant à ne rien épargner,Pour troubler un hymen qui me faisait régner. DIONE. Mais n'est-ce point, Madame, un soupçon qui l'offense,Il a pris tant de soins d'élever votre enfance :C'est par lui que la Reine a conçu le dessein D'obliger Méléagre à vous donner la main.De ce Prince, d'ailleurs, vantant la renommée,Lui vit-il à regret commander une armée,Et lorsqu'à la victoire il brûlait de courir,Lui ferma-t-il le champ qu'il venait de s'ouvrir. DEJANIRE. Ce fut bien malgré lui que tout couvert de gloire.Ce jeune conquérant remporta la victoire, L'exposer à son âge en un danger si grand,C'était pour s'en défaire un prétexte apparent.C'était un beau projet pour gagner un Empire. Et nos peuples depuis n'ont pas manqué de dire.Que si quelque malheur eût terminé son sort,Il se fut aisément consolé de sa mort. DIONE. Du moins si vous craignez les effets de sa haine,Que n'espérez-vous pas des bontés de la Reine, Madame, autant que lui vous possédez son coeur. Et vous seule à la Cour balancez sa faveur. DEJANIRE. Je ne m'éblouis point d'une vaine tendresse,Un Trône sur un coeur peut bien plus qu'une niéce.De son frère inhumain elle prend les avis ; Les miens auprès des leurs ne sont guères suivis.Par un commun accord du rang qu'on me refuse,Elle accuse son frère ; et son frère l'accuse :Et mon coeur ignorant l'auteur de son ennui,Se défie à la fois de la Reine, et de lui. Du tort qu'elle me fait, par un supplice étrange,Il semble que le Ciel la punit, et me venge.Tu vois depuis quel temps son funeste courrouxPrend soin de lui porter les plus sensibles coups.Songe combien de fois sa raison égarée, A fait place aux fureurs dont elle est déchirée ;Rappelle-toi l'horreur de ces affreux moments,Ou poussant jusqu'au Ciel de longs gémissements,Elle croit voir Diane armer sa main sévère,Pour lancer sur son fils la foudre de son père : Que l'Enfer pour le perdre à sa haine se joint :Elle le voit, le cherche, et ne le connaît point.Et dans nos bras enfin tremblante, évanouie,Elle reste longtemps sans chaleur et sans vie.Cependant par un sort que je ne conçois pas, Pour elle en cet état le Trône a des appas ;Du pouvoir souverain incessamment jalouse,Elle veut à son fils me donner pour épouse ;Contant que sa jeunesse, et ma facilitéLui laisseront toujours toute l'autorité. En vain de ma foiblesse elle est persuadée ;Je ne m'oppose point à cette vaine idée,Je la confirme même autant que je le puis :Mais un jour sur le Trône on verra qui je suis :On verra si mon coeur satisfait d'un vain titre, Veut que de son pouvoir une autre soit l'arbitre,Et fi laissant régner mes ennemis jaloux... DIONE. Contraignez-vous encor ; la Reine vient à vous. SCÈNE IV. Althée, Dejanire, Dione. ALTHÉE. Ah Princesse ! Les Dieux sont sourds à nos prièresDe l'Olympe à nos cris ils ferment les barrières ; Mille signes affreux, par de tristes effets,Nous marquent un courroux à ne finir jamais :Et moi qui dans les maux dont je suis poursuivie, ,Vois presque à chaque instant le dernier de ma vie :Si près du noeud sacré qui vous doit assembler , Pour l'intérêt d'un fils j'ai voulu vous parler :J'ai besoin d'une main où je prenne assurance,Pour remettre un dépôt d'une extrême importance ;Je cherche un coeur fidèle à qui me déclarer,Et ce n'est que de vous que je puis m'assurer. DEJANIRE. Madame, vous savez si mon zèle est sincère,Son secours à vos maux serait-il nécessaire,Vous connaissez mon coeur pour le Prince et pour vous.Et vous ne doutez pas... ALTHÉE. Dione, laissez-nous. Dione se retire, et Althée continue.Je vous connais, Princesse, et sur cette assurance, Je me suis résolue à rompre le silence :Mais pour vous expliquer, connaissant votre foi,Un secret qui n'est su que des Dieux, et de moi,Il faut de nos malheurs reprendre l'origine,Du jour où j'attirai la vengeance divine. Mon hymen commença ma gloire, et mon malheur ;L'État après dix ans n'eût point de successeur,Et le peuple indigné prenait pour un outrage,Que le Ciel n'honorât ma couche d'aucun gagesJe crus que de Diane implorant le pouvoir, Sa clémence aussitôt remplirait mon espoir,Par un zèle fatal je crus tout légitime ;Chaque ennemi captif lui servait de victime :Peut-être j'en fis trop, ou n'en fis pas assez ;Mais voyant que mes voeux n'étaient point exaucés, Je n'espérai plus rien de la bonté céleste,Je détruisis son culte, et le rendis funeste ;J'eus recours à cet art dont les enchantementsSoumettent la nature à ses commandements :Enfin soit que l'Enfer obéit à ces charmes, Soit qu'un Dieu plus humain fut touché de mes larmes,Ce fut dans le moment que par un doux reposLe sommeil des mortels suspendait les travaux ,Et que l'obscure nuit nous couvrant des ses ombres,Déployait dans les airs ses voiles les plus qombres, Qu'à l'éclat d'un flambeau qui vint frapper mes yeux,Je crus voir, et je vis ( quel spectacle odieux ! )Je vis de l'Acheron les filles inflexibles,Les Parques aux mortels si fières, si terribles,S'approcher de mon lit, et peur comble d'horreur, Par ces mots effrayants augmenter ma terreur,« Reine, malgré Diane, et toute sa puissance,Nous te venons d'un fils annoncer la naissance,Éteint, et saisis-toy de ce flambeau fatal,Ses jours font attachés à ce don infernal, Il te donne sur eux un empire suprême.Jamais le feu sans toi ne le peut consumer,Jamais autre que toi ne le peut allumer :Mais tremble, et quelque jour garde-toi de toi-même. » DEJANIRE. Ah ! Que me dites-vous ? ALTHÉE. Cet espoir, sur mon coeur Fit d'abord plus d'effet que ne fit la terreur.Leur fuite du flambeau me rendit la maîtresse,Et je sentis bientôt l'effet de leur promesse.Méléagre naquit : mais depuis ce moment,Je me sens agité d'un autre mouvement. DEJANIRE. Ah ! Si pour votre fils vous n'avez rien à craindre,Est-il quelque malheur dont vous puissiez vous plaindre ?Son sort est en vos mains. ALTHÉE. Je l'ai cru comme vous ;Mais depuis que le Ciel nous marque son courroux,Dès qu'un léger sommeil me ferme la paupière, Je crois voir Méléagre à son heure dernière.Je crois voir les Enfers détruisant leur secours,Allumer dans mes mains le flambeau de ses jours,Et pour mettre le comble à leur rage cruelle,Nous entraîner tous deux dans la nuit éternelle, Le jour même, ce trouble occupe mes esprits,Je me sens effrayée à l'aspect de mon fils ;La crainte de sa mort qui de mon coeur s'empare,Me jette en des transports où ma raison s'égare,Diane, je le vois : ce sont là de tes coups ; Mais je sais les moyens de braver ton courroux,Et malgré tes fureurs, Déesse impitoyable,Tu ne jouiras pas du tourment qui m'accable.Je veux me délivrer du trouble où je me vois,En sachant que mon fils vous est cher comme à moi, Vous céder un trésor dont malgré ma tendresse,Je puis dans mes fureurs n'être pas la maîtresse ;J'en veux à ses jours vous serez son appui ;Et si malgré l'amour dont vous brûlez pour lui,Quelque soupçon jaloux, quelque secrète envie Vous forçait quelque jour d'attenter sur sa vie,Le flambeau qui sans moi ne se peut allumer,Arrache aux noirs projets que vous pourriez former.D'une égale chaleur pour lui nous intéresse.Montrons qui de nous deux a le plus de tendresse. Je craindras pour un fils, et vous pour un époux,Vous veillerez sur moi. Je veillerai sur vous :Et nous détournerons sa funeste aventure,Quand il aura pour lui l'amour, et la nature. DEJANIRE. Ciel ! ALTHÉE. De ce dépôt venez vous assurer. Soudain pour notre hymen je vais tout préparer :En vain Plexippe encore y voudra mettre obstacle,Et sera malgré lui, témoin de ce spectacle,Son trop d'ambition commence à me gêner,Et moi-même à ses yeux je veux vous couronner : Mais le voici qui vient, sachons ce qui l'amène. SCÈNE V. Althée, Plexippe, Dejanire. ALTHÉE. Hé bien, Prince, le Ciel a-t-il calmé sa haine ?Dites-nous si le Monstre est enfin terrassé ;Surtout que fait mon fils ? Où l'avez-vous laissé ? PLEXIPPE. Madame, dissipez d'inutiles alarmes. Le Monstre a succombé sous l'effort de ses armes. ALTHÉE. Quoi ! Le Monstre est donc mort ! Et mon fils est vainqueur !Daignes nous faire part d'un qi rare bonheur.Ah ! Princesse ! Ô mon fils ! Que ta gloire m'est chère !Ô ! Peuples trop heureux : ô ! Trop heureuse mère. PLEXIPPE. À peine du Soleil on voyait le retour,Que frappant de cent cris les échos d'alentour,Qui du Monstre à nos bras promettaient la défaite ,Nous l'avons fait sortir de sa sombre retraite.Il rompt, il perce, il tue, il court de toutes parts, Il s'élance au travers des piques et des dards.Déjà de flots de sang la plaine est inondée ;Il immole Sostrate, et renverse Tydée.L'implacable Diane augmentant sa fureur,Lui fait porter par tout le carnage et l'horreur. C'est en vain que mon bras s'oppose à son passage,Peu s'en faut qu'à l'infant je n'éprouve sa rage :Méléagre embrasé d'un généreux courroux ,Cherche à vaincre, ou périr, pour le salut de tous.La superbe Athalante imite son audace. Elle presse le Monstre, et le suit à la trace :Et lui lançant un trait qui lui perce le flanc,On voit enfin rougir la terre de son sang :Sa fureur s'en irrite, et devient plus ardente ;Comme un torrent rapide il court vers Athalante. Méléagre aussitôt prévenant qes efforts,Soutient, sans s'ébranler, ses furieux transports :Et le frappant au coeur d'une atteinte mortelle,Il le rend pour jamais à la nuit éternelle. ALTHÉE. Ciel ! PLEXIPPE. Alors, mille cris élevés jusqu'aux Cieux, Lui rendent des honneurs qui ne font dûs qu'aux Dieux.Thésée, et tous les Grecs admirent son audace.Chacun avec transport l'environne, et l'embrasse :Mais enfin, il est temps, qu'après de tels exploits,Il commence à ranger nos peuples fous ses lois. Il est temps que l'hymen réglant fa destinée,La Princesse avec lui soit enfin couronnée.Il va venir, Madame, et vous ne doutez pasQue bientôt... ALTHÉE. Ah ! Courons au devant de ses pas,Je ne puis résister à mon impatience. Je vais en l'embrassant jouir de sa présence. SCÈNE VI. Plexippe, Déjanire. PLEXIPPE. Vous le voyez, Madame, il ne tient pas à moi,Qu'à votre tour ici vous ne donniez la loi.Vous m'avez accusé, quand de votre hyménéeVous avez vu longtemps reculer la journée : Mais votre esprit par là se doit désabuser,C'est la Reine, et non moi, qu'il en faut accuser.Quoi qu'elle ait pour son fils une tendresse extrême,Elle ne peut encor quitter le Diadème.Cependant fur le Trône il le faut élever, Ce que j'ai commencé je le veux achever,Il a vaincu le Monstre, et sa main triomphanteEn apporte à vos pieds la dépouille sanglante :Toute la Grèce attend qu'un triomphe si beau,De votre auguste hymen rallume le flambeau ; Et tandis qu'au milieu d'une illustre jeunesse,Qui fait, et l'ornement, et l'appui de la Grèce ,Il ne sait pas encor le bonheur qui l'attend,Je vais tout préparer pour le rendre content.Mais pour vos intérêts quand je fais tout, Madame, Pourrai-je sur les miens vous découvrir mon âme ?D'un service important pourrai-je me flatter ? DEJANIRE. Parlez, Seigneur, pour vous rien ne peut m'arrêter.Vous avez sur mon coeur une entière puissance ;Et vous doutez à tort de ma reconnaissance. PLEXIPPE. Je connais Méléagre ; et je crains, s'il est Roi,Que fa haine aussitôt n'éclate contre moiVous ne savez que trop qu'il me voit avec peine,Dispenser chaque jour les ordres de la Reine.Que du rang que j'occupe il cherche à m'éloigner. Qu'il impute mon zèle à la soif de régner :Et que de mes desseins il conçût de l'ombrage,Quand de la guerre en Crète il fit l'apprentissage.Quelque bruit que l'envie ait osé publier,Ce que j'ai fait suffit pour me justifier. Si de l'ambition mon âme est possédée,Sur ma seule valeur on sait qu'elle est fondée.Qu'un sceptre ne saurait échapper de mes mains,Tant il en est pour moi chez nos peuples voisins :Où faisant en tout temps une juste conquête, Je ne veux que mon bras pour couronner ma tête.Mais le fort aujourd'hui m'offre un plus doux moyen,Pour faire en même temps son bonheur, et le mien.Si je puis m'élever au trône d'Athalante,Mon départ aussitôt remplira son attente, Madame ; et sans regret je quitterai des lieux,Où toujours mon aspect lui blesserait les yeux. DEJANIRE. Athalante, à l'amour a donc soumis votre âme ;Mais pour vos intérêts que puis-je ? PLEXIPPE. Tout, Madame.Sa beauté, je l'avoue, et ses fameux exploits Ont touché de mon coeur les sensibles endroits :Mais enfin quelque amour qui me parle pour elle,Sa Couronne à mes yeux est encore plus belle.Son serment dégagé de n'être qu'au vainqueur,La laisse en liberté de faire mon bonheur. Tâchez de l'arrêter : et de votre hyménéeFaites que sa présence honore la journée.Nos respects appuyez de la commune voix,Peut-être en ma faveur sauront fixer son choix.Pour nous placer au Trône agissons l'un et l'autre : Élevez mon destin, j'élèverai le vôtre.Au Temple où de vos foins j'attendrai les effets,Je vais de votre hymen commencer les apprêts. DEJANIRE. Allez, Seigneur, mes soins rempliront votre attente.Reposez-vous sur moi, je vais voir Athalante ; Où mon coeur, par l'espoir dont vous flattez mes voeux,Ne sera point content, si vous n'êtes heureux. SCÈNE VII. DEJANIRE, seule. Il femble qu'en ce jour la fortune propice,Ait de mes ennemis confondu l'injustice.Plexippe est un esprit que je dois ménager. Retenons Athalante afin de l'obliger.Mais ne m'aveuglons point par trop de confiance.Un bonheur est mal sûr fondé sur l'apparence.Commençons par la Reine ; allons sans différer,M'assurer du dépôt qu'elle veut me livrer. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Athalante, Élise. ATHALANTE. A-t-on tout préparé ? Partirons-nous Élise ? ÉLISE. Tout est prêt : Mais, Madame, excusez ma surprise :Pourquoi vous éloigner d'une pompeuse Cour,Où la paix et les jeux vont être de retour :Tout vous rit : tous les coeurs ne cherchent qu'à vous plaire : Ainsi que vos États, Calidon vous révère.Vous faites de ces lieux le plus bel ornement.Qu'y ferez-vous penser de votre éloignement ? ATHALANTE. Le dessein en est pris : il faut partir. ÉLISE. Madame ;Me serait-il permis de lire dans votre âme ? Dans un jour de triomphe, est-il quelque malheur,Qui puisse de vos yeux obscurcir la splendeur ?Vous possédez des Grecs les plus vastes Provinces.Vous rangez sous vos lois tous ses Rois, tous ses Princes.Mille exploits éclatants consacrent votre nom : Et ce bras a rendu le calme à Calydon ,Lorsqu'il a commencé la célèbre victoire,Qui fait monter son Prince au faîte de la gloire. ATHALANTE. Ah ! Ne rappelle point un fatal souvenir,Qu'en vain de mon esprit je tâche de bannir. Vais-je voir sans rougir de honte, et de colère,Triompher à ma vue un jeune téméraire,Qui m'a presque arraché la victoire des mains ?Ah ! C'en est fait : Partons, évitons des chagrins... ÉLISE. Mais songez que sans lui, dans ce jour plein de gloire, Votre sang eût payé cette illustre victoire.Quel Dieu, quel autre bras vint à votre secours,Quand le Monstre en fureur s'armait contre vos jours ?Avec quelle valeur il courut vous défendre :Je tremblai de le voir dans un âge si tendre. Et quand il fit tomber le Monstre sous ses coups,Mes voeux, je l'avouerai, n'étaient pas tous pour vous. ATHALANTE. Hé par quel droit du Monstre arrêtant la furie,Faut-il que malgré moi je lui doive la vie ?Pourquoi sans mon aveu me vint-il secourir ? Que ne me laissait-il triompher, ou périr ? ÉLISE. Quoi, ce Prince charmant que partout on admire,Qui bientôt sous ces lois va venger cet Empire,Qu'au sortir de l'enfance on a vu deux fois,Des plus vaillants guerriers surpasser les exploits : Par quelle offense, ô Ciel ! D'une si belle reine,A-t-il pu s'attirer une si forte haine ? ATHALANTE. Que le Ciel des mortels confond la vanité :Et qu'il me punit bien de mon trop de fierté !Contrainte par mon peuple à lui donner un maître, Je crus qu'aucun mortel n'était digne de l'être :Je promis au vainqueur mon Empire, et ma foi,Croyant que la victoire était sûre pour moi ;Moi, qui dans les forêts signalant mon courage,De l'arc, des javelots ai fait un long usage. Moi, fille de Jason, qu'on voyait tous les joursAttaquer des lions ; et combattre des ours,Vains projets ! Vain espoir dont je m'étais flattée !Dans quel gouffre d'ennuis m'as-tu précipitée !Parmi tant de héros, digne race des Dieux, Le sort fait triompher un jeune audacieux,Qui ne se souvient pas dans sa nouvelle gloire,Qu'Athalante est ici le prix de sa victoire. . ÉLISE. C'est par là que le sort assurant vos plaisirs,Vous affranchit d'un joug contraire à vos désirs ; Et si par le vainqueur vous êtes négligée,Du moins de vos serments vous êtes dégagée ;C'est un bonheur pour vous, et non pas un mépris.Que cet esprit farouche en ignore le prix. ATHALANTE. Ô bonheur ! Qui pour moi n'a rien que de funeste. Mon trouble t'en dit trop pour te cacher le reste,Laisse, laisse-moi fuir un superbe vainqueur,Par qui sur moi le sort épuise sa rigueur.Élise tu me vois interdite et tremblante.Ne cherche plus en moi cette fière Athalante, Qu'on voyait si souvent dans le fond de nos bois,Rejeter en fuyant les voeux des plus grands Rois ;Et préférer sans cesse à leur grandeur suprême,Le tranquille bonheur de régner sur soi-même.Cet heureux temps n'est plus. Ici de mon orgueil Je sens que Méléagre est devenu l'écueil.Que dis-je ! Devant lui ma constance s'étonne ;Je ne me connais plus ; ma fierté m'abandonne.Des lieux où je le vois je détourne mes pas,J'y pense toujours quand je ne le vois pas. Dieux ! Que n'ai-je du monstre éprouvé la furie,Et conferve ma gloire aux dépens de ma vie :N'y pensons plus : partons : dans nos sombres forêtsCourons ensevelir ma honte pour jamais.Dans l'état ou du Ciel me plonge la colère, Fuyons plus que la mort ce jeune téméraire.Peut-être en le voyant mon trouble, ou ma rougeur, Trahirait malgré moi le secret de mon coeur :J'en mourrais à tes yeux de douleur, ou de rage,Si jusques-là le sort abaissait mon courage, Élise ; et si jamais le trouble où je me vois,Pouvait être connu d'un autre que de toi. ÉLISE. J'entends quelqu'un. Cachez le trouble de votre âme.Plexippe vient à vous. SCÈNE II. Athalante, Plexippe, Élise. PLEXIPPE. Que m'a-t-on dit, Madame ? Vous partez et ces lieux par votre éloignement, Vont perdre pour jamais leur plus bel ornement.Quoi ! Le riche appareil d'une superbe fête,La Reine, nos respects, n'ont rien qui vous arrête.C'est pour le nouveau Roi marquer trop de rigueur. ATHALANTE. J'ignore de quel Roy vous me parlez, Seigneur : Mais mon séjour ici n'étant plus nécessaire, C'est ne faire envers lui qu'une offense légère. PLEXIPPE. Hé quoi ! vous ignorez qu'en ce jour glorieuxNous plaçons Méléagre au rang de ses aïeux ? Que la Reine ma soeur, lui cède un Diadème, Dont j'ai su maintenir l'autorité suprême.Que l'hymen dans une heure allumant son flambeauVa de ses jours sereins éclairer le plus beau :Et combler ses sujets de joie ; et d'allégrese,En nommant une Reine à l'aspect de la Grèce. ATHALANTE. Une Reine ! Seigneur. PLEXIPPE. Madame, en doutez-vous ?Déjanire aujourd'hui l'accepte pour époux.Des voeux de nos états cet hymen est l'ouvrage.Ils sont de même sang, et presque de même âge.Pour ce noeud solennel en naissant réservé, Danss ce Palais ensemble ils furent élevés.Leurs désirs sont pareils ; leur flamme est mutuelle.Il n'est point, après vous, de Princesse plus belle.Méléagre est content de son sort glorieux.Il vient, favorisé des hommes, et des Dieux, Le Monstre terrassé par sa main triomphanteApporter à ses pieds la dépouille sanglante.L'amener dans le temple, et du pied de l'autel,Lui jurer sur ce gage un amour éternel.Ainsi quitte des soins que le sceptre m'impose, Je viens voir si pour moi je pourrai quelque chose :Et si dans ce grand jour, quand je fais tout pour eux,Je suis le seul à plaindre, et le seul malheureux. ATHALANTE. Vous ! Seigneur. PLEXIPPE. Oui, Madame, et plus qu'on ne peut être.Puisqu'enfin de mon coeur je ne suis plus le maître ; Et que m'abandonnant à tout votre courroux,J'ose vous déclarer que je brûle pour vous.Vous changez de couleur : je vois votre pensée ;Et que d'un tel aveu vous êtes offensée.Je l'avais bien prévu : j'en ai frémi. Mais quoi ! Telle est de mon destin l'inévitable loi.D'abord que je vous vis, sans pouvoir me défendre,Mon coeur à vos appas fut contraint de se rendre :Et tant qu'aucun espoir n'a flatté mes désirs,J'ai tâché de vous fuir, d'étouffer mes soupirs. J'ai crû que dans les soins où mon zèle m'engage,Je pourrais de mon coeur effacer votre image ;Et n'ai pu sans rougir du trouble où je me vois,Me confesser vaincu pour la première fois.Mais enfin il est temps de rompre le silence. Un peuple en votre hymen a mis son espérance.Pour remplir son attente il vous faut un époux ;Et puisque le vainqueur ne saurait être à vous,Sorti d'un même sang, excusez mon audace,Si j'ose avec respect vous demander sa place : Et vous offrir un coeur de vos charmes épris,Qui saura mieux qu'un autre en connaître le prix. ATHALANTE. Prince, à de tels discours qui semblent me confondre,Ne vous étonnez pas si je ne puis répondre.En d'autres temps, peut-être, et loin de cette Cour, N'aurait-on pas le front de me parler d'amour !Hé ! comment, pouvez-vous me tenir ce langage ?La paix de Calydon est-elle votre ouvrage ?Qu'avez-vous fait de grand pour être mon époux ?Avez-vous fait tomber le Monstre sous vos coups ? Pour faire de mon sceptre une juste conquête,Venez-vous à mes pieds m'en apporter la tête ?C'est par là qu'il fallait m'expliquer votre ardeur ;Et mériter ma main au défaut de mon coeur. PLEXIPPE. Madame, je le vois, je viens de vous déplaire. L'aveu que je vous fais vous semble téméraire.Si pour vous mériter il faut de grands exploits,Je n'ai pas mis ma gloire à vaincre dans les bois :Mais assez de lauriers environnent ma tête,Pour ne pas envier cette faible conquête, Et fi vous ignorez encor ce que je puis :Tout l'Univers entier vous dira qui je suis :Je ne joins point un Sceptre à votre Diadême,Mais j'en sais affermir la majesté suprême :Du bras et du conseil en soutenir le poids : Et tout cela vaut bien des fantômes de Rois,Je vous laisse y penser. SCÈNE III. Ahtalante, Élise. ATHALANTE. Ô Fortune ennemie !Ai-je assez éprouvé ton injuste furie !Tu ne peux me porter de plus sensibles coups.Je sens naître en mon coeur mille transports jaloux. Qui l'eût crû ? Méléagre à l'amour est sensible :Lui que j'ai cru toujours si fier et si terrible.Il brûle pour une autre : il reconnaît sa loi ;Et l'ingrat n'eût jamais de mépris que pour moi.Athalante ! Quel est le pouvoir de tes charmes ? Tu ne vois que des coeurs qui te rendent les armes.Et par un sort fatal, tu ne peux remporterLa conquête du seul qui te peut mériter !Ah ! J'avais résolu de partir tout à l'heure.On arrête mes pas. On veut que je demeure. Demeurons : j'y consens. Pour les désespérer,Pour troubler leur bonheur, je prétends demeurer !Ne quittons pas ces lieux sans venger cet outrage.Mon coeur désespéré s'abandonne à la rage.De ce couple odieux je veux trancher les jours. C'est au Temple où l'hymen les assemble : j'y cours.Allons, ne souffrons pas... Malheureuse Princesse,Rendras-tu l'Univers témoin de ta faiblesse ?Va, fuis plus que jamais ce séjour odieux.Que vois-je ? Quel objet se présente à mes yeux. SCÈNE IV. Athalante, Dejanire, Dione, Élise. DEJANIRE. Quoi ! Madame, est-il vrai, qu'après une victoire,Dont la seule Athalante a partagé la gloire,Malgré les voeux ardents de cent peuples divers,Elle va se cacher aux plus lointains déserts ;Et sans daigner nous voir, ni même nous entendre, Se dérobe aux honneurs qu'on s'apprête à lui rendre.Plexippe, en vous quittant, interdit, et confus,M'est venu dans le Temple annoncer vos refus ;Et la Reine elle-même à l'Autel occupée,D'un juste étonnement en a paru frappée. Madame, au nom du noeud, et du sacré flambeau,Qui va rendre mon sort si content, et si beau ;Au nom d'un jeune Prince environné de gloire,Qui fait tomber sur moi l'éclat de fa victoire ;Au nom de tous les Grecs, qui d'une même voix, Autant que vos beautés célèbrent vos exploits ;Dans un jour de triomphe, et de réjouissance,Ne nous refusez pas votre auguste présence :Et croyez que mon sort me semblera plus doux,Si j'ai de mon bonheur un témoin tel que vous. ATHALANTE. Madame, ç'en est trop. Pour finir vos alarmesJe n'ai pas refusé le secours de mes armes ;Mais dans le doux retour du calme où je vous vois,L'on se passe aisément d'un témoin tel que moi.Mon Peuple, mes États, demandent ma présence : Et je vais à mon tour... DEJANIRE. Méléagre s'avance.Quoique tous nos efforts n'aient pu vous émouvoir,Sa prière peut-être aura plus de pouvoir. ATHALANTE. Non , Madame, à l'Autel il vient pour vous conduire,Souffrez que je l'évite, et que je me retire. SCÈNE V. Méléagre, Athalante, Déjanire, Dione, Élise. MÉLÉAGRE. Que vois-je ! Mon abord vous chasse de ces lieux !Madame, mon aspect vous est-il odieux ?Ou s'il faut qu'avec vous mon âme s'éclaircisse,Me condamneriez-vous si je vous rends justice ?Et si dans un moment on va vous apporter Un prix que vos exploits vous ont fait mériter ? ATHALANTE. Seigneur, un tel discours ne peut que me surprendre,N'ayant rien mérité, je n'ai rien à prétendre. MÉLÉAGRE. Ah ! Madame, on sait trop que pour notre secoursVous avez exposé votre sceptre, et vos jours. On sait à quel excès portant votre courage,Vos coups d'un maître affreux ont surmonté la rage.Et si lorsqu'à vos pieds mon bras l'a terrassé,J'ai suivi le chemin que vous m'aviez tracé.Vous seule, je l'avoue, en êtes triomphante ; Et sa dépouille est due à l'illustre Athalante. DEJANIRE. Qu'entends-je ? Ah ! Juste Ciel! ATHALANTE. Vous vous trompez, Seigneur ;Vous n'avez pas encor consulté votre coeur.Quoi sans aucun respect du rang où je suis née,A d'éternels affronts je me vois condamnée ! MÉLÉAGRE. Madame... ATHALANTE. Non, Seigneur, rien ne me retient plus.Plexippe fait ici des efforts superflus.Il croit par cette adresse ébranler ma constance.Mais je hais son audace, et votre complaisance,S'il voulait à ce prix devenir mon époux, Il devait l'apporter triomphant ! comme vous :Et ne pas m'outrager par une indigne flamme,Que l'on pourrait par force arracher de son âme. MÉLÉAGRE. Quoi ! Madame, Plexippe, au milieu de ma CourA la témérité de vous parler d'amour ! Tandis qu'il est des Rois, plus dignes de vous plaire,Qui ne font que languir, soupirer, et se taire. ATHALANTE. Seigneur, de mes soupçons je reconnais l'erreur.Et j'ai parlé peut-être avec trop de chaleur ;Quand j'ai cru qu'un héros que j'estime, et révère Appuyait d'un sujet l'audace téméraire.Mais puisqu'à son orgueil vous n'avez point de part,Je vais, d'un jour encor, différer mon départ :Pourvu qu'au seul objet digne de votre hommage,De vos feux promptement vous rapportiez le gage. À Déjanire.Madame, vous voyez que mon coeur aujourd'huiNe veut point s'enrichir des dépouilles d'autrui.Je consens pour vous plaire à voir notre hyménée ;Mais pour en voir sans trouble expirer la journée,Faites taire Plexippe, ou craignez que ses feux Ne forcent mon courroux à plus que je ne veux. SCENE VI. Méléagre, Déjanire, Dione. MÉLÉAGRE. Que me dit-on, Madame, et quel est ce langage ?Moi-même quel discours puis-je mettre en usage ?Je sais qu'à ma grandeur vous avez accordé,Ce qu'en vain mon amour vous aurait demandé ; Et que sans consulter ni mon coeur, ni le vôtre,Il prétendit un jour nous unir l'un à l'autre :Mais pour un sort plus beau l'on doit vous réserver,Dans un rang plus illustre il vous faut élever :À mille autres beautés Hercule vous préfère, Et je sais que lui seul est digne de vous plaire. DEJANIRE. Non, Seigneur, c'est en vain qu'on vante sa valeur,J'ai refusé pour vous son Empire, et son coeur.J'ai toujours espéré qu'un héros plus aimable ,Me rendrait de son sort compagne inséparable, Mais si dans d'autres noeuds vous trouvez plus d'appas, À vos contentements je ne m'oppose pas.Voir Méléagre heureux est ma plus chère envie :Le sang nous lie assez, sans que l'hymen nous lie ;Et quoi que je renonce à l'espoir d'être à vous, Si vous êtes content, mon sort fera trop doux. MÉLÉAGRE. Ah ! Je n'en doute point. Je sais, belle Princesse,Que le sang, l'amitié pour moi vous intéresse :Mais daignez avec moi vous unir aujourd'hui,Pour confondre Plexippe, et nous venger de lui. L'offense également nous touche l'un et l'autre ;dispose sans nous de mon sort, et du vôtre.Je vais trouver la Reine, et presser fa bontéDe nous faire raison de sa témérité.Ou j'atteste du Ciel la suprême puissance, Que mon bras dans son sang lavera son offense. SCÈNE VII. Déjanire, Dione. DIONE. Je ne puis trop, Madame, admirer cet effort.Quoi ! Vous-même, avec lui, vous vous montrez d'accord !vous pouvez souffrir, sans en être étonnée,Qu'il rompe aux yeux de tous un si saint hyménée. DEJANIRE. Dieux ! Quel trouble mortel m'accable et me confond !Crois-tu que je supporte un si cruel affront ?Il adore Athalante. Ah ! superbe rivale,Va, porte loin de nous ta présence fatale.Je ne te retiens plus : évite ma fureur. Ou crains le désespoir qui déchire mon coeur.As-tu vu de quel front l'orgueilleuse étrangèreTantôt , en ta présence, a reçu ma prière.Et comme sur le point de quitter nos États,Un mot de Méléagre a retenu ses pas. N'en doutons point : j'ai lu jusqu'au fond de son âmeElle sent pour ce Prince une secrète flamme.Soutenue en ces lieux d'un faux bruit de valeur,D'un jeune conquérant elle a séduit le coeur.On n'a jamais aimé si tendrement qu'il aime. S'il ne l'eût jamais vue il m'aimerait de même.À l'espoir que j'ai pris il me faut renoncer,Dione ; Ah ! Sans frémir je n'y saurais penser.Mais que dis-je : insensée ! On m'outrage, et je pleure,Moi qui puis, si je veux, me venger tout-à-l'heure. Je ne m'explique point : mais loin de m'irriter,Peut-être Déjanire est-elle à redouter ?Ne désespérons pas : ma crainte se dissipe,Puisque dans mon parti j'ai la Reine, et Plexippe.De tout ce qui se passe allons les informer. Contre mon infidèle il les faut animer.Tandis que par mes soins, et par ma complaisance,Je veux de mon côté gagner sa confiance :Me montrer attachée à tous ses intérêts :Cacher adroitement mes déplaisirs secrets : Et s'il faut qu'à son coeur je cesse de prétendre,Dione, nous verrons quel parti je dois prendre. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Althée, Déjanire, Dione. ALTHÉE. Calmez vos déplaifirs, c'est trop verser de pleurs,Princesse, je prends part à vos justes douleurs :Mon fils se flatte en vain de l'hymen d'Athalante. Tout l'État périra plutôt que j'y consente. DEJANIRE. Ah ! Si mon interêt vous cause ce courroux,Madame, au nom des Dieux, ne regardez que vous ;Et ne me forcez pas à la douleur amère,D'avoir mis la discorde entre un fils et sa mère. Cet hymen, il est vrai, peut dans votre maison,D'une guerre civile allumer tison.On connaît le génie, et l'humeur d'Athalante.Le crime, et les dangers n'ont rien qui l'épouvante.On dit que si le Prince est un jour son époux, Son adresse saura le détacher de vous :Et le pousser peut-être au projet téméraireDe mettre sur son front le bandeau d'une mère.Mais ces bruits que dément la tendresse d'un fils.Ne doivent pas sans doute alarmer vos esprits. Méléagre vous aime, et l'amour d'une femmeNe vous pourra jamais effacer de son âme.Il a trop de vertu pour tant de lâcheté,Madame ; et je réponds de sa sincérité. ALTHÉE. Et m'en répondrez-vous quand pour cette Athalante Il vous fait, à ma honte, une injure sanglante.Sur le point d'être unis par les noeuds les plus doux,Il lui rend des honneurs qui ne sont dûs qu'à vous.Il vient de lui porter la dépouille fatale,Qui devait devancer la fête nuptiale. Il triomphe : à ses voeux tout cède, tout se rend :Avant qu'il se grossisse arrêtons ce torrent.C'est trop contre vous-même embrasser sa défense.Ce n'est plus vous : c'est moi que touche son offense :Et plus pour un ingrat vous montrez de bonté, Plus je rougis pour lui de sa témérité. DEJANIRE. Ah ! Madame, songez que ce trouble funeste,Peut rallumer encore la colère céleste.Il vaut mieux vous résoudre à couronner leurs feux,Que d'irriter un fils si grand, si généreux. ALTHÉE. Il faut donc me résoudre à la honte cruelle,De payer de mon Sceptre une ardeur criminelle.Tantôt en sa faveur j'y voulais renoncer :Mais je le garderai s'il prétend m'y forcer :Et l'on ne verra point, tandis que je respire, Qu'un fils m'ait pu contraindre à lui céder l'Empire.J'ai fait beaucoup pour lui ; vous ne l'ignorez pas :Mais si l'ingratitude a pour lui des appas,Peut-être à ses dépens lui ferai-je connaître,Qu'il doit plus de respect à qui lui donna l'être. Déjà de mes desseins mon frère est averti :Contre ce fils rebelle il prendra mon parti.Il fait tout préparer pour remplir mon attente ;Je puis par son moyen m'assurer d'Athalante.Il l'aime : et pour ôter tout espoir à mon fils ; Des soins qu'il prend pour nouselle fera le Prix. DEJANIRE. Il est vrai que Plexippe a cru pouvoir pour elleMontrer tout ce qu'il sent, et d'amour, et de zèle.s'il lui faut un époux pour lui servir d'appui,La Grèce n'en a point de plus digne que lui. À sa rare valeur autant qu'à sa prudence,On sait que Calydon doit sa toute puissance :Et l'honneur à jamais en rejaillit sur vous,S'il faut que d'une Reine il devienne l'époux.Mais quoi vous flattez-vous qu'à ce cruel spectacle, Méléagre en fureur ne mettra point d'obstacle.A-t-on vu dans sa source arrêter un torrent ?Et guérit-on un mal en le désespérant ?Assez et trop longtemps pour de moindres querelles,Toute la Grèce a vu leurs haines mutuelles. Vous les verrez encore, aux pieds de nos autels,Se percer à la fois de mille coups mortels :Exécuter des Dieux la vengeance obstinée,Et faire une hécatombe au lieu d'une hyménée.Puisse le juste Ciel détourner ces malheurs, Et sur moi feule enfin épuiser ses rigueurs ! ALTHÉE. Vous prenez trop de part au sort d'un infidèle,Il ne mérite pas une flamme si belle.Le Ciel m'inspira bien, lorsque dans votre seinD'épancher mon secret je conçus le dessein ; Et que pour le sauver de ma propre furie,Je remis en vos mains le destin de sa vie.Chaque instant contre lui redouble mon courroux,Il ne régnera point qu'il ne règne avec vous.je veux qu'avec éclat Athalante nous quitte. Qu'un triomphe apparent lui déguise sa fuite :Et que pour m'assurer d'elle, et de ses États,Mon frère dans une heure accompagne ses pasN'en parlons plus : j'ai fait tout ce que j'ai du faire.Et si mon fils encore est assez téméraire, Pour vouloir résister à mes commandements...Il vient : sachons de lui quels sont ses sentiments. SCÈNE II. Althée, Méléagre, Déjanire, Dione. MÉLÉAGRE. Madame, enfin le Ciel sensible à nos alarmes,S'est servi de mon bras pour essuyer vos larmes.Le Monstre a succombé sous l'effort de mes coups, Je ne pouvais pas moins étant sorti de vous.Mais ce qui va combler mon bonheur et ma gloire,C'est moins de remporter une illustre victoire,D'avoir été l'appui d'un peuple malheureux,Que de voir qu'Athalante est le prix de mes feux. De pouvoir exprimer tout ce que sent mon âme.De lui faire à toute heure un aveu de ma flamme ;Et d'aspirer sans crainte à me voir son époux,Puis qu'enfin je n'ai plus qu'à l'obtenir de vous.Souffrez que sans prétendre à vitre Diadème, L'amour me fasse ailleurs trouver un rang suprême ;Et que tout l'Univers de mon bonheur surpris,Apprenant ma victoire, en admire le prix. ALTHÉE. Mais, Prince, songez-vous qu'un ferment vous engage,À celle devant qui vous tenez ce langage. Qu'elle a bien mérité de si vives ardeurs :Et qu'il n'est pas permis de vous donner ailleurs. DEJANIRE. Non, Madame, du Prince écoutez la prière.Un fils doit tout pouvoir sur le coeur d'une mère.Ne vous opposez point à ses pressants désirs, Le triomphe est cruel qui coûte des soupirs.Si je fais quelque obstacle à son bonheur extrême,Souffrez que de la Cour je m'exile moi-même.Sans regret, loin de vous j'irai passer mes jours :Lorsqu'il sera content, je la serai toujours. Je n'aspire en effet qu'à m'en voir estimée,Cette douceur pour moi vaut celle d'être aiméeEt ce noble motif m'oblige à vous quitter,Pour ne pas empêcher vos bontés d'éclater. SCÈNE III. Althée, Méléagre, Dione. ALTHÉE. Quelle fureur ! Mon fils, quel caprice incroyable, D'une pareille erreur vous peut rendre capable ?Vous quittez Déjanire, et pour ce changementVous vous êtes flatté de mon contentement.Songez-vous que ce trône où le destin nous placeFut toujours occupé par ceux de nôtre race ? Qu'il ne m'est pas permis de renverser nos lois,En mêlant d'autre sang à celui de nos Rois.Ah ! Ne démentez point par ce trait de jeunesse,L'estime qui pour vous se répand dans la Grèce.Rendez à la Princesse un coeur tendre, et soumis, Qui sache se dompter comme nos ennemis.Commencez, pour régner, de régner sur vous-même ;Et montrez-vous par là digne du diadème. MÉLÉAGRE. Ce reproche, Madame, est sensible pour moi.Trouvez-vous Athalante indigne de ma foi ? Mais non, lorsque votre âme à mes désirs s'oppose,D'un si cruel refus je pénètre la cause.Ce n'est donc pas assez qu'un Prince ambitieuxAit possédé vingt ans le rang de mes aïeux :Qu'il ait, sans mon aveu, dispose de moi-même. Il veut encor ; il veut m'enlever ce que j'aime.Il adore Athalante ; et pour comble d'ennui,Madame, contre moi vous lui servez d'appui. ALTHÉE. Hé puis-je à ses desseins m'empêcher de souscrire,Quand je le vois par là s'assurer d'un Empire ? Puis-je ne prendre pas l'intérêt de mon sang ?Il n'est pas comme vous esclave de son rang.De qu'ont fait pour l'État son zèle, et sa prudence,Mérite qu'on en ait quelque reconnaissance.Et quand je puis l'aider à faire son bonheur... MÉLÉAGRE. Ah ! Madame, achevez de me percer le coeur.Quoi ! Vous pouvez souffrir que Plexippe me brave :Hé faites-vous un Roi pour être son esclave ?Songez-vous aux malheurs qu'il en peut arriver ?On abaisse un sujet qui veut trop s'élever. Je ne suis plus enfant. Vous voulez que je règne :Il faut vous faire craindre : ou souffrir qu'on me craigne.D'un rival insolent confondez les projets :Qu'il ne tente plus rien contre mes intérêts :Ou des Dieux tous puissants la majesté suprême, Ne saurait le soustraire à ma fureur extrême. ALTHÉE. Vous me parlez en maître, et vous le menacez,Prince. Vous n'êtes pas encore où vous pensez.Je vois ce que de vous il me faudrait attendre,Si vous étiez au rang dont je voulais descendre. Bien loin d'en murmurer, je rends grâces aux Dieux,Que votre emportement m'ait dessillé les yeux.Je penserai deux fois à ce que je dois faire.Cependant étouffez un amour téméraire.Oubliez un objet qui ne peut être à vous. Ne m'en parlez jamais, ou craignez mon courroux, SCÈNE IV. MÉLÉAGRE, seul. Ciel ! Puis-je d'une mère entendre ce langage ?Allons chercher l'auteur d'un si cruel outrage.C'est à lui d'éprouver mes transports furieux.Mais que vois-je ? SCÈNE V. Méléagre, Athalante. ATHALANTE. Je viens vous faire mes adieux, Seigneur. Dans mes États la Reine me renvoie.On craint que mon aspect ne trouble votre joie.Que sais-je ? On ne veut pas que pour vous admirer,Près de vous plus longtemps je puisse demeurer.En vain par des apprêts plus grands que de coutume, On veut de ce départ me cacher l'amertume.Ces honneurs concertés ne me rassurent pas,Quand je vois que Plexippe accompagne mes pas.Je suis prête à partir : mais le bien où j'aspire,C'est de pouvoir sans lui rentrer dans mon Empire. On prend en ma faveur trop de soins superflus :Que par de vains honneurs on ne me gêne plus.Que Plexippe demeure, et dans mon Arcadie,Qu'on me laisse rentrer comme j'en suis sortie.C'est ce qu'en vous quittant je viens vous demander : Que vos seules bontés me peuvent accorder :Et si jamais mon bras vous devient nécessaire,Ou pour vous affranchir d'un sujet téméraire,Ou pour vous secourir contre vos ennemis,Mon Peuple, mes États, tout vous fera soumis ; Et je n'aurai jamais une plus forte envie,Que d'exposer pour vous, et mon Sceptre, et ma vie. MÉLÉAGRE. Quoi ! Jusques-là, Madame, on porte la fureur :On use contre vous d'une telle rigueur !On prétend pour jamais m'éloigner d'Athalante, Et vous pouvez penser que mon coeur y consente ?Non, cet ordre inhumain ne regarde que moi ;Un ferment solennel m'engage votre foi :Et quoi que le respect m'engage d'y prétendre,Contre tous mes rivaux je saurai la défendre. ATHALANTE. Non, Seigneur, d'autres noeuds vous doivent arrêter,Et ce n'est pas un prix qu'il faille disputer.Si vous êtes sensible à ma juste prière,Retenez seulement un prince téméraire.À de plus grands efforts je ne puis consentir. Vivez pour Dejanire, et me laissez partir. MÉLÉAGRE. Quoi ! Vous laisser partir, et vivre pour une autre !Ciel! quelle injustice est égale à la vôtre ?Tant que j'aurai du sang à répandre à vos yeux,Vous ne partirez point : j'en atteste les Dieux : Car enfin, il est temps de vous parler sans feindre.Souvent pour craindre trop, on cesse de rien craindre.Insensible à l'amour, nourri dans les forêts,Je me croyais toujours à l'abri de ses traits :Mais je sentis bientôt, en vous voyant paraître, Que de ma liberté je n'étais plus le maître.Un seul de vos regards dissipant mon erreur,Vint troubler pour jamais le repos de mon coeur.Il fallut, malgré moi, vous en faire l'hommage ;Et mes premiers soupirs devinrent votre ouvrage. Que dis-je ! Si mon bras animé par vos yeux,Vient de purger ces bords d'un monstre furieux ;Le prix, dont vos serments me promettaient la gloire,M'a fait seul remporter cette illustre victoire.Mais c'est trop différer à punir les cruels, Qui forment contre vous des projets criminels,Je vais de votre sort vous rendre la maîtresse ;Et sans rien exiger d'une injuste promesse,Vous remettre un serment contraire à mon bonheur,S'il me donne une main que ne suit pas le coeur. ATHALANTE. Seigneur ; par cet aveu je vois toute la flamme,Que mes faibles attraits ont causé dans votre âme.Mais que prétendez-vous ? Et quel est votre espoir,Tant que Plexippe ici retient tout le pouvoir :En montant sur le Trône abaissez son audace. Forcez vos ennemis de vous demander grâce :Et vous pourrez alors vous estimer heureux.Si vous n'avez que moi de contraire à vos voeux :Mais ne présumez pas qu'une indigne tendresse,D'un coeur comme le mien se rendre la maîtresse. La gloire, le devoir vous engagent ma main,Et ce n'est pas l'amour qui règle mon destin.J'avouerai toutefois que parmi tant de princes,Que la gloire a tirés du fond de leurs provinces,Et qui font vanité de vivre sous ma loi, Je n'ai trouvé que vous qui fut digne de moi :Et qu'avant que le sort la rendît légitime,Vous aviez en secret ma plus parfaite estime. MÉLÉAGRE. Ah ! Madame... ATHALANTE. Seigneur, Plexippe vient à nous. SCÈNE VI. Méléagre, Athalante, Pléxippe. PLEXIPPE. Qui vous retient, Madame, on n'attend plus que vous ? À vos heureux sujets on s'apprête à vous rendre,Avec tous les honneurs que vous devez attendre :Un triomphe nouveau, jusques dans vos États,Doit marquer en passant les traces de vos pas ;Et je bénis le sort qui m'offre l'avantage, De pouvoir jusques-là vous rendre mon hommage. ATHALANTE. Seigneur, voila le Roi, faites l'y consentir :Dés qu'il aura parlé, je suis prête à partir. SCÈNE VII. Méléagre, Plexippe. MÉLÉAGRE. Quel est donc ce projet ? Prince, et par quelle attente,Veut-on, sans m'en rien dire, éloigner Athalante ? D'où vient cet ordre ? Enfin, qu'est-ce que l'on prétend ? PLEXIPPE. Seigneur, c'est pour l'État un secret important.Je ne puis en parler sans l'aveu de la Reine,Je vais l'en avertir. MÉLÉAGRE. N'en prenez pas la peine ;L'intérêt de l'État me touche également, Et vous pouvez parler sans son contentement. PLEXIPPE. Seigneur,quand vous aurez la suprême puissance,Vous verrez mon aveugle et prompte obéissance :Mais jusqu'à ce moment perdez un vain espoir.Rien ne peut n'obliger de trahir mon devoir. MÉLÉAGRE. Ah ! Je ne vois que trop où tend tout ce mystère :Et pourquoi vous cherchez à parler à ma mère.On dit que votre orgueil vous a fait espérer,Qu'à l'hymen d'Athalante il pouvait aspirer :Que déjà votre bouche a su lui faire entendre... PLEXIPPE. Ne pouvant être à vous, n'y puis je pas prétendre . MÉLÉAGRE. Hé par quelle raison ne peut-elle être à moi ? PLEXIPPE. N'avez-vous pas ailleurs engagé votre foi ? MÉLÉAGRE. Moi ! Je n'ai rien promis, et si dans mon enfance,Vous avez abusé d'une injuste puissance. N'est-il pas temps qu'ici je commande à mon amour ?Est-ce à vous de régler ma haine, et mon amour ?Est-ce que votre orgueil a pu vous faire croire,Que vous deviez jouir du fruit de ma victoire ?Mais enfin, il est temps de jouir de mes droits, Quand j'ai sauvé mon sceptre une seconde fois.Athalante, avec moi doit être couronnée :Elle doit partager toute ma destinée,D'un inutile espoir cessez de vous flatter.e vous l'ai déjà dit : craignez de m'irriter. Et ne me forcez pas à vous faire connaître,Le respect qu'un sujet doit porter à son maître. PLEXIPPE. Des sujets tels que moi sont l'appui des États ;Les menaces, Seigneur, ne les étonnent pas.Je ne dois de respect qu'autant que j'en veux rendre : Mais pour m'en affranchir, je vais tout entreprendre :Et de ce vain courroux quels que soient les projets,Vous ne me verrez plus au rang de vos sujets. SCÈNE VIII. Méléagre, Élise. MÉLÉAGRE. Ah ! Ç'en est trop: il faut que dans ton sang, perfide,Mon bras... ÉLISE. Venez, Seigneur, si la gloire vous guide : Empêchez un dessein rempli de cruauté,Qui du Trône, et du Ciel blesse la majesté.Sans égard pour le rang, ni le nom d'Athalante ;La Reine écoutant trop sa haine impatiente,Veut la faire par force éloigner de ces lieux. MÉLÉAGRE. Quel excès de fureur ! Que dites-vous, ah, Dieux !Elise ? ÉLISE. On vient déjà de lui ravir le gageDont vous aviez tantôt honoré son courage.Son bras, sans s'étonner, écarte les plus fiers,Et les plus obstinés périssent les premiers. Quelques Princes pour elle ont déjà pris les armes ;Mais Plexippe qui sort redouble mes allarmes. MÉLÉAGRE. Ah ! Qu'est-ce que j'entends ! Je vais la secourir ;Et me perdre à ses yeux ; ou faire tout périr. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Althée, Dione. DIONE. Où courez-vous, Madame , et qu'est-ce que vous faites ? Je ne vous connais plus dans l'état où vous êtes !On voit sur votre teint la pâleur du trépas.À peine savez-vous où vous portez vos pas :Je crains de vous revoir dans le trouble funeste,Où vous plonge souvent la colère céleste ! Vos yeux font obscurcis de moment en moment :Ah ! Venez, et rentrez dans votre appartement. ALTHÉE. Ah Dione ! Quel trouble excite mes allrmes ?Quel murmure confus se mêle au bruit des armes ?Que mon fils est longtemps sans paraître à mes yeux ! Où l'a-t-on vu à d'où vient qu'il n'est plus en ces lieux ?Je l'ai désespéré. Crois-tu qu'il se contraigne...Je crains ; et je ne sais ce qu'il faut que que je craigne.De noirs pressentiments où je n'ose penser,Viennent... SCÈNE II. Althée, Déjanire, Dione. ALTHÉE. Ah ! malheurs venez-vous m'annoncer Princesse ? DEJANIRE. Il n'est plus temps, Madame, de vous taire,Le defordrecadu ciel nous plonge la colere.Athalante en ces lieux s'obstine à demeurer ;De vôtre rang par force elle veut s'emparer.Elle a de vos soldats forcé la refistance. Tous nos jeunes Heros embraffent fa défence:Tandis que l'on épargne et fon fexe, et fon rang ,Elle voit à fes pieds couler des flots fang: .Et fur fon front altier marquant fon allegreffe,Reçoit ce sacrifice ainfi qu'une Deeffe, ! ALTHÉE. Et mon fils que fait-il? DEJANIRE. Remettez vos esprits.Je n'ai point dans ce trouble aperçu votre fils,Je n'ai vu que Plexippe ardent, et plein de zèle,Qui courait fièrement prendre votre querelle.Mais enfin si le Prince en peut être informé, Doutez-vous que de rage, et d'amour animé,Il n'aille se ranger auprès de ce qu'il aime,Et remettre l'État dans un péril extrême.Venez, venez, Madame, empêcher ces malheurs,Tandis que d'autres soins le retiennent ailleurs. ALTHÉE. Oui, Princesse, courons punir qui nous offense.Allons à sa sureur opposer ma présence.Je souffrons pas qu'ici l'on nous fasse la loi.Du fuis-je! malheureuse? et qu'est-ce que je vois ? SCÈNE III. Althée, Plexippe blessé, Déjanire, Dione, Thélame. ALTHÉE. Ah mon frère ! PLEXIPPE. Le fort a trompé mon envie, Madame : en vous servant il m'en coûte la vie.J'ai fait ce que j'ai pu. Mais si je vous fus cher :Si l'état où je fuis a de quoi vous toucher.Si votre âme aux remords ne veut point être en proie,Ce n'est point dans les pleurs qu'il faut que l'on se noie. Puissent les Dieux témoins de mes derniers moments,Au gré de ma fureur régler vos châtiments :Si vous souffrez, ma soeur, que sans être vengéeDans l'éternelle nuit mon ombre soit plongée,C'est l'espoir dont mon coeur peut encor se flatter, Et le seul qu'aux Enfers je prétends emporter. ALTHÉE. Oui :tandis qu'élevée à la grandeur suprême,On verra sur mon front briller un Diadème,Vous n'aurez pas en vain imploré mon secours,Contre les assassins qui terminent vos jours. Jusque sur nos autels votre cendre sacrée,S'abreuvera du sang dont elle est altérée :Mais quel bras inhumain vous a percé le flanc ?Quel monstre insatiable a versé votre sang ?Nommez-le moi. Bientôt sur le rivage sombre, Je saurai le forcer d'accompagner votre ombre ;Et mon coeur agité des plus noires fureurs... PLEXIPPE. Vous saviez mon amour... Athalante... je meurs. SCÈNE IV. Althée, Déjanire, Dione. ALTHÉE. Athalante ! Ô fureurs ! Ô crime détestable !De la mort de mon frère Athalante est coupable ! Oui, Prince infortuné, digne d'un autre fort,Que pour moi trop de zèle a conduit à la mort.Me punissent les Dieux : et me puisse leur foudreÉcraser tout-à-l'heure, et me réduire en poudre :Puissai-je de ma peine effrayant l'Univers, Voir contre moi le Ciel, la Terre, et les Enfers ;Si tant que Reine ici j'aurai quelque puissance,Je cesse de poursuivre une telle vengeanceEt toi, fleuve d'Enfer, si je romps mes serments,Puisse-tu m'apprêter les plus cruels tourments. Puisse l'affreux Nocher sur ta funeste rive,Refuser le passage à mon ombre plaintive.Dieux, ou suis-je ? L'horreur de cette trahison,Fait contre tous mes sens révolter ma raison.La perfide. Courons ordonner son supplice. Faisons-en à mon frère un juste sacrifice.Vengeons-le : vengeons-nous. Il n'est rien désormaisQui puisse réparer la perte que je fais/ DEJANIRE. Ciel ! Quels malheurs fur nous assemble ta colère. SCÈNE V. Althée, Méléagre, Déjanire, Dione. ALTHÉE. Venez, mon fils, venez consoler votre mère. Mon frère ne vit plus. De ses glorieux joursUne main sacrilège a terminé le cours.J'ai juré de venger cette perte fatale.De plonger l'assassin dans la nuit infernale.Je sais que votre coeur en pourra murmurer, Et je tremble moi-même à vous le déclarer :Mais quelque coup affreux que votre âme en ressente :Il faut pour me venger, que j'immole Athalante :C'est-elle dont le crime excite ma fureur. MÉLÉAGRE. Qu'entends-je ! Ah dissipez cette funeste erreur. Madame, où vous emporte une aveugle colère :Elle n'a point versé le sang de votre frère. ALTHÉE. Ô Ciel ! Par ce discours vous me glacez d'effroiEt qui donc est l'auteur de ce crime. MÉLÉAGRE. C'est moi. ALTHÉE. Vous ! DEJANIRE. Qu'entends-je ! MÉLÉAGRE. Oui, c'est moi qui de sa tyrannie : Ne pouvais plus longtemps souffrir l'ignominie.C'est moi qui mille fois animé contre lui,Ai conçu le dessein que j'achève aujourd'hui.C'est moi, dans le projet qu'il osait entreprendre,Qui me suis vu frapper par l'endroit le plus tendre, C'est moi qui dans son sang éteignant ses fureurs...Mais que vois-je ! Grands Dieux, Madame ? ALTHÉE. Je me meurs. MÉLÉAGRE. Quoi, Madame ! ALTHÉE. Ô mon fils ! Ô mère infortuné !À quel supplice affreux me vois-je condamnée ?Quel ferment indiscret m'oblige à vous punir ? Comment le pouvoir rompre, et comment le tenir ? MÉLÉAGRE. Hé bien ! Si la vengeance a pour vous tant de charmes,Prenez. Voici le fer qui fait couler vos larmes ;Avec mes tristes jours terminez vos ennuis. ALTHÉE. Grands Dieux ! Par où sortir de l'horreur où je suis ? DEJANIRE. Ah Seigneur ! Elle tombe, et sa raison s'égare. MÉLÉAGRE. Ma mère. Ah quels regards ! ALTHÉE. Va, laisse- moi, barbare. MÉLÉAGRE. Hé quoi ! Jamais les Dieux ne seront apaisez ? DEJANIRE. Voilà l'état funeste où vous la réduisez. ALTHÉE. D'où vient que la clarté se dérobe à ma vue ? Dans l'éternelle nuit serais-je descendue ?Quels gouffres sous mes pas s'ouvrent de toutes parts !Quels spectres ! Quels démons s'offrent à mes regards ?Ah mon frère : est-ce vous ? Sur ce rivage sombreFaut-il que le courroux anime encor votre ombre ? Ne me retracez point le serment que j'ai fait ;S'il ne faut que mon sang, vous serez satisfait.Mais ne présumez pas que mon fils... Ah ! Barbares,Faut-il que contre moi tout l'Enfer se déclare ?Noires divinités dont les sévères mains Ne pardonnent jamais à pas un des humains :Quel flambeau venez-vous présenter à ma vue ?La Perte de mon fils est-elle résolue ?Venez-vous m'enlever ce fils infortuné ?Est-ce là le trésor que vous m'aviez donné ? Dieux ! Que vois-je ! Diane excite leur furie.Ah ! Mon fils, Je vous perds, c'est fait de votre vie.Que pourra votre mère, et son faible secours.Contre tant d'ennemis qui menacent vos jours ? DEJANIRE. Que dites-vous ? Ah Dieux ! MÉLÉAGRE. Que faites-vous, ma mère ? ALTHÉE. Ah ! Se ces Dieux cruels évitez la colère.Fuyez, mon fils : mais non ne m'abandonnez pas.Venez, pour les braver, vous jeter dans mes bras ;Et que le même infant tranche mes destinées,Qui moissonne la fleur de vos jeunes années : Mais quel monstre nouveau vient encore en ces lieux : Dans le temps que la mort me va fermer les yeux ? SCÈNE VI. Althée, Méléagre, Athalante, Déjanire, Élise, Dione. ATHALANTE. Gémissante des maux dont je me vois complice,Je viens de tout mon sang, vous faire un sacrifice.Loin de me dérober à vos inimitiés, Je viens mettre mon Sceptre, et ma vie à vos pieds.C'est moi qui vous réduis en l'état où vous êtes.Ne vous prenez qu'à moi des pertes que vous faitesJ'ai moi seule du Prince excité le courroux ;Et j'ai poussé moi seule, et son bras, et ses coups. Quel malheur en ces lieux lui cause ma venue !Il serait innocent s'il ne m'eût jamais vue.S'il faut une victime à vos ressentiments,Faites tomber sur moi vos plus durs châtiments.S'il se peut à l'offense égalez le supplice. Je n'en murmure point ; vous me ferez justice.Heureuse ! Si par là votre coeur désarméRedonne à votre fils son rang accoutumé :Et si dans vos États la perte de ma vie,Vous peut rendre la paix que je vous ai ravie. ALTHÉE. Où suis-je ? Quelle voix ! Quels lugubres accents,Me rendent tout à coup l'usage de mes sens ?.Qui vient calmer l'horreur dent mon âme est émue ?Que vois-je ! Quel objet se présente à ma vue !Perfide, venez-vous jusques dans ce palais, Par la mort d'une Reine achever vos forfaits ? ATHALANTE. Non, Madame, je viens vous apporter ma tête.À vos ressentiments la voilà toute prête.Le Prince est innocent : ne l'accusez de rien ;Et s'il vous faut du sang, je vous offre le mien. MÉLÉAGRE. Ah ! Si le criminel doit expier son crime,Frappez, Reine, frappez. Voici votre victime :Qu'entre-nous votre coeur ne soit point combattu.Faites justice au crime, et grâce à la vertu. ALTHÉE. Hélas ! DEJANIRE. À votre fils ne soyez point cruelle. ALTHÉE. Tu l'emportes enfin, tendresse maternelle.Haine, serments, fureurs, je n'écoute plus rien.L'intérêt de mon fils l'emporte sur le mien.Et toi fille du Dieu qui lance le Tonnerre,Diane, qui toujours m'as déclaré la guerre, Si mon orgueil a pu si longtemps t'irriter,Par mon abaissement je vais te contenter.Sceptre, bandeau Royal, malheureux Diadème,Ce n'est qu'en vous quittant qu'on peut être à soi-même.Plus on est élevé, plus on est malheureux : Et les rangs les plus hauts sont les plus dangereux.J'entends dans les Enfers ton ombre qui murmure,Mon frère ; et qui me vient reprocher ton parjure :Mais d'un serment affreux daigne me dispenser ;Ou donne-moi du sang que je puisse verser. Allez, Seigneur, régnez : ayez mon ouvrage.Je vous rends mes respects, et mon premier hommage. MÉLÉAGRE. Ah ! Reprenez un rang où tout vous est soumis. ALTHÉE. Il me coûterait trop, s'il me coûtait mon fils. ATHALANTE. Madame, sans quitter votre grandeur suprême, Ce héros peut ailleurs trouver un Diadème ;Aux peuples d'Arcadie il peut donner des lois,Je lui remets mon sceptre, et lui cède mes droits. ALTHÉE. Non, non, de ce dessein rien ne peut me distraire.Mon fils règne : il est vrai : je ne suis que sa mère. MÉLÉAGRE. Madame, le trépas me cause moins d'effroi,Que le trône éclatant que vous quittez pour moi :Si vous ne consentez que dans cette journéeAthalante avec moi puisse être couronnée.Je n'aime à me placer dans ce rang glorieux, Que pour en faire hommage à l'éclat de ses yeux.Favorisez de grâce une flamme fi belle ;Je ne puis ni régner, ni vivre que pour elle. ALTHÉE. Mon fils, car de ce nom j'aime à vous appeler,Vous régnez, il suffit : vous n'avez qu'à parler. MÉLÉAGRE. Ah ! Souffrez qu'à vos pieds... ALTHÉE. C'en est assez, de grâce,Je ne m'informe plus de tout ce qui se passe :Je vais me renfermer aux pieds de nos autels ;Pour vos prospérités prier les immortels ;Et pour rendre l'Enfer à nos desseins propice, Aux mânes de mon frère offrir un sacrifice. À Déjanire.Princesse, il faut céder au souverain pouvoir , !Je vous plains à regret, je trahis votre espoir:Mais pour voir ce revers avec indifférence,Armez-vous, comme moi, d'une noble constance ; Et croyez que vos maux excitant ma pitié,Des peines que je sens redoublent la moitié. SCÈNE VII. Méléagre, Athalante, Déjanire, Élise. MÉLÉAGRE, à Déjanire. Achevez mon bonheur, et dans ce jour insigne,De vos adorateurs choisissez le plus digne.Préparons dans le Temple un spectacle nouveau. Faisons qu'un double hymen allume son flambeau.Parlez : que sur ce choix votre coeur se déclare.Est-ce Hercule ? Ou Thésée, ou les fils de Tyndare. DEJANIRE. Seigneur, l'impatience est permise aux amants.Allez, ne perdez point de précieux moments. Pour hâter le bonheur que votre coeur espère,Je vais joindre mes soins à ceux de votre mère.Et quand vos voeux feront pleinement satisfaits,Alors de vos bontés j'attendrai les effets. MÉLÉAGRE, à Athalante. Vous, Madame, souffrez que je coure moi-même, Faire tout préparer pour ce bonheur extrême. SCÈNE VIII. DEJANIRE, seule. Tu triomphes, cruel, rien ne peut t'arrêter.Tu méprises les pleurs que tu me vas coûter.Orgueilleux de ton crime, et fier de ta conquête,De ce funeste hymen tu vas presser la fête. Puisse le chaste hymen ne point unir vos coeurs.Que l'affreuse Discorde, Alecton, et ses soeurs,De furieux soupçons, des haines immortelles,Prennent soin d'éclairer ces noces criminelles.Allons : ne souffrons pas ces apprêts odieux : Portons plutôt la flamme, et le fer en ces lieux.Pour qui me vengera mon âme se déclare.Qu'à servir ma fureur Hercule se prépare.Appelons en ces lieux le Centaure Ñessus.Faisons-y déborder les eaux d'Acheloüs. Que dis-je ? À nous venger n'employons que nous même.N'ai-je pas sur ses jours un empire suprême ?Ne puis-je pas le perdre, et sans me découvrir,Inventer une voie à le faire périr.Ah ! Ne balançons plus. Prenons cette victime. Égalons ma vengeance au courroux qui m'anime.Quelle rage, grands Dieux ! Quel excès de fureur !Le verrai-je périr sans changer de couleur ?Est-ce un crime pour lui de n'avoir pu lui plaire ?Soutiendrai-je sa vue, et les cris de sa mère ? Tu l'aimes, Déjanire, et tu l'immoleras ?Tu l'aimes, Déjanire, et tu le céderas ?Et tu pourras souffrir qu'une autre ait l'avantage,De soumettre à tes yeux ce superbe courage.Ah ! Puisque tu n'as pu le ranger sous ta loi, Qu'il meure, ou qu'il l'épouse, il est perdu pour toi.Et plonge-le plutôt dans la nuit infernale,Que de le voir jamais épouqer ta rivale.Allons trouver Althée, et pour notre desseinChoisissons, sans remise, et le temps, et la main : Et que tout l'Univers me voyant outragée,APPrenne en même temps que je me suis vengée, ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. ATHALANTE, seule. D'où vient que dans un jour marqué pour mon bonheur,Je ne puis à la joie abandonner mon coeur ?Au plus grand des héros je vais me voir unie. Je vois tous les apprêts de la cérémonie.À mes rapides voeux tout semble conspirer,Et mon coeur toutefois ne se peut rassurer.D'un noir pressentiment je ne puis me défendre,Grands Dieux ! Par cet avis me faites-vous entendre, Qu'il n'est point ici-bas de tranquilles plaisirs,Et que jamais le sort n'a comblé nos désirs ?Calmons ces mouvements, dont j'ignore la cause.Moi-même, à mon bonheur, faut-il que je m'oppose ?Ne vois-je pas qu'un coeur serait mal enflammé , Si jamais en aimant il n'était alarmé ?Et que plus un bonheur peut flatter notre attente,Plus il jette d'effroi dans le coeur d'une amante,Allons, espérons tout de la bonté des Dieux. SCÈNE II. Athalante, Élise. ATHALANTE. Mais quel transport de joie éclate dans tes yeux, Chère Élise ? ÉLISE. Du Temple, où le peuple s'empresse,Je viens d'être témoin des transports de la Grèce.Jamais tant de splendeurs, tant d'appareils diversNe s'offrirent ensemble aux yeux de l'Univers.La Reine si longtemps par Plexippe irritée, À servir ses fureurs n'est plus sollicitée.En vous gardant, Madame, un traitement plus doux,Laisse agir ses bontés pour son fils, et pour vous,Mais ce qui me surprend : Déjanire avec elle.Ordonne de ce jour la pompe solennelle : Et calmant quelquefois ses esprits agités,Mêle ses voeux aux siens pour vos prospérités. ATHALANTE. Que ne lui dois-je point ? Par quelle récompensePourrai-je l'assurer de ma reconnaissance ?Qu'elle fait sur soi-même un effort généreux : Car enfin, Méléagre est l'objet de ses voeux.Elle en sait comme moi le prix et le mérite :Et j'ai vu dans ses yeux le trouble qui m'agite.Mais que fait ce héros ? Par quel retardementTémoigne-t-il pour moi si peu d'empressement ? ÉLISE. Vous l'allez voir, Madame, il a par sa présence,De ses nouveaux sujets calmé l'impatience.Par mille apprêts pompeux, il veut dans ce grand jour,Que sa magnificence égale son amour.Vos peuples à l'envi, par mille cris de joie, Célèbrent le bonheur que le Ciel vous envoie.Votre nom et le sien comblés de leurs souhaits,Font retentir les murs de ce vaste palais.Et tout ce que la Grèce a de coeurs héroïquesVient du Temple à grands flots inonder les portiques. Quel triomphe pour vous : quel spectacle charmant !D'avoir tant de témoins de cet heureux moment,De voir sur votre front un double diadème,Qu'un héros si parfait... Mais le voici lui-même. SCÈNE III. Méléagre, Athalante, Élise. MÉLÉAGRE. Belle Athalante, enfin tout comble mes désirs. Je n'ai plus à pousser d'inutiles soupirs.Après tant de tourments ; je puis en assurance,Vous marquer de mes feux l'extrême violence.Le flambeau de l'hymen est prêt d'unir nos coeurs :Et nous avons du sort surmonté les rigueurs. Mais d'où vient qu'en ce jour de pompe, et d'allégresse,Je vois sur votre front des marques de tristesse :Voyez-vous à regret ces apprêts solennels ?Me suivez-vous par force au pied de nos autels ?Pour la dernière fois, expliquez-vous, Madame, Quelque soit le bonheur dont on flatte mon âme.De votre fort encor vous pouvez disposer,Et j'aime mieux mourir que vous tyranniser. ATHALANTE. Écoutez moins, Seigneur, un soupçon qui m'offense,Je vous suis à l'autel sans nulle violence. Vous avez sur mon coeur un absolu pouvoir. .Je ne murmure pont à suivre mon devoir ;Autant que je le puis je ressens votre joie. MÉLÉAGRE. Hé ! Comment voulez-vous, Madame, que je croieQue j'ai quelque pouvoir sur vous, sur votre coeur. Quand vous m'en affurez avec cette froideur ?Est-ce là tout l'amour dont vous êtes atteinte ?Non, non, Madame, non, il faut parler sans feinte.Je vois que votre trouble éclate malgré vous ;e n'ai pas mérité le nom de votre époux. Non, vous ne m'aimez pas. ATHALANTE. Cruel ! Est-il possibleQu'il me faille essuyer ce reproche sensible ?À vous ouvrir mon coeur ai-je attendu si tard ?N'avez-vous pas d'un mot empêché mon départ ?Tantôt contre Plexippe , et contre votre mère, Vous ai-je avec contrainte adressé ma prière ?Quand vous m'avez parlé vous ai-je rebuté ?Mon coeur avec dédain vous a-t-il écouté ?N'est-ce pas vous montrer que je vous rends justice ?Par un aveu plus fort faut-il que je rougisse ? Faut-il vous dire ici, pour la première fois,Que l'amour, comme vous, m'a soumise à ses lois :Qu'à peine le destin vous offrit à ma vue,Que je sentis pour vous mon âme prévenue ;Et que si votre coeur ne me put échapper, Pour vous du même trait je me sentis frapper ?Prince, êtes-vous content ? Vous savez ma faiblesse.Jouissez de la honte où ce discours me laisse :Mais pour vous découvrir de semblables secretsCroyez qu'il faut aimer autant que je le fais. MÉLÉAGRE. Ô Prince trop heureux ! Ô fort digne d'envie ! :À quel bonheur, ô Ciel ! Réserves-tu ma vie ?Mais de grâce, achevez, rendez mes voeux contents,Et ne différez plus le bonheur que j'attends,Madame. Allons au temple y rejoindre ma mère. Allons : que de l'hymen le flambeau nous éclaire,Et que ce jour enfin si propice à mes voeux,Me rende aussi content que je suis amoureux. ATHALANTE. Je marche sur vos pas. Mais quel sombre nuage,Trace sur votre front cette funeste image ? De quel trouble soudain êtes-vous agité ? MÉLÉAGRE. C'est l'effet d'un bonheur que j'ai peu mérité.Madame, il est si grand que je ne saurais croire, Qu'un mortel en un jour puisse avoir tant de gloire.Et mieux que mes discours le trouble de mes sens, Vous montre tout l'excès de l'amour que je sens. SCÈNE IV. Méléagre, Athalante, Thelame, Élise. THELAME. Que faites-vous, Seigneur, la Reine impatiente,N'attend plus qu'après vous, et l'illustre Athalante,Déjà pour votre hymen elle a tout préparé.La victime est choisie, et l'autel est paré. Elle tient dans ses mains le sacré Diadème,Et veut sur votre front le poser elle-même.En entrant dans le temple une soudaine horreur,À ses premiers transports avait livré son coeur.À l'aspect du bûcher son âme s'est troublée. Sa fureur presque éteinte a semblé réveillée.Elle a crû voir encor les noires déités,Et d'un frère sanglant les mânes irrités.Mais soudain Déjanire à l'autel accourue,A calmé les transports : l'a toujours secourue : Et lui servant de guide en ce pieux dessein,Jusqu'au bûcher fatal elle a conduit sa main.À peine a-t-elle offert ce juste sacrifice,Que l'Enfer à nos voeux s'est montré plus propice :Que la Reine a sorti de son égarement : Et vous mande tous deux en ce même moment. MÉLÉAGRE. Allons.... Mais quel tourment ! Quelle secrète flamme,Avec plus de fureur, s'empare de mon âme ? ATHALANTE. Dieux ! Qu'est-ce que je vois ! Vous chancelez, Seigneur :Vos yeux sont égarés : vous changez de couleur. MÉLÉAGRE. Madame, ce n'est rien : que votre crainte cesse.Venez au temple : il faut surmonter ma faiblesse. ATHALANTE. Ah Seigneur ! Arrêtez. MÉLÉAGRE. Thelame, soutiens-moi. ATHALANTE. Votre mal qui redouble augmente mon effroi. MÉLÉAGRE. Non, c'est trop exposer mon trouble à votre vue. Avançons... Mais ô Dieux ! Que mon âme est émue,Que j'éprouve à la fois de supplices divers !Et pour comble d'horreur je sens que je vous perds. ATHALANTE. Ah ! cherchons du secours. MÉLÉAGRE. Je le vois bien, Madame :Quelque Dieu dans mon sein allume cette flamme. Il a vu mon bonheur avec des yeux jaloux.Il a cru qu'un mortel n'est pas digne de vous.Mais quelque soit des Dieux l'avantage suprême,Ils n'aimeront jamais autant que je vous aime.Et s'ils ont plus que moi de gloire et de pouvoir. J'ai plus d'amour pour vous qu'ils n'en sauraient avoir. ATHALANTE. Dieux ! Étiez-vous jaloux du bonheur de ma vieMortelle : je voyais vos grandeurs sans envie.Avez-vous cru qu'un jour ce Prince généreuxVous pourrait des mortels enlever tous les voeux. Ah ! Ne m'épargnez point, après ce coup funeste,Arrachez-moi, cruels, le jour que je déteste.Si vous voulez encor paraître tout-puissants,Et que sur nos autels on brûle de l'encens,Si vous voulez encor des temples, des hommages, Faites-moi du Cocyte aborder les rivages ;Où vos temples par moi détruits, et renversés,Vous puniront du bien que vous me ravissez. MÉLÉAGRE. N'attirez point sur vous leur funeste colère ;Puissent-ils fur moi seul l'épuiser toute entière. Je reconnais Diane, et son courroux vengeur,Le poison qui me ronge augmente sa fureur :Je brûle : et je ressens dans mes veines ardentesCouler, au lieu de sang, des flammes dévorantes.Hélas ! j'étais aîné. D'un si charmant aveu. Faut-il que je jouisse, et triomphe fi peu ?Ah ! qu'avec déplaisir on renonce à la vie ,Sur le point de goûter un fort digne d'envie.Pour les infortunés la mort n'a rien d'affreux :Mais qu'elle a de rigueurs pour les amants heureux. SCÈNE V. Althée, Méléagre, Athalante, Dione, Elise, Thélame. ALTHÉE. Que vous faites languir ma juste impatience ?Tout le peuple, mon fils, se plaint de votre absence :J'ai déjà dans le Temple allumé le bûcher.Faut-il qu'encor ici je vienne vous chercher ?Venez... Mais quel objet se présente à ma vue ? De quel trouble nouveau me vois-je confondue ?Me trompai-je, grands Dieux ? Est-ce-vous que je vois ?Mon fils, en quel état vous montrez-vous à moi ? ATHALANTE. Un désordre mortel s'empare de son âme.Madame, il va périr. ALTHÉE. Quoi mon fils ? MÉLÉAGRE. Oui , Madame. Mais par ce tendre amour puisé dans votre flanc,Qui m'a dans votre coeur donné le premier rang,Ma mère, prenez soin de ma belle Princesse.C'est le plus cher trésor qu'en mourant je vous laisseRendez-lui mon trépas facile à supporter, En essuyant les pleurs que je lui vais coûter. ALTHÉE. Non, vous ne mourrez point, je ne le saurais croire.Les Dieux d'un sort plus beau vous ont promis la gloire.Changeraient-ils pour vous leurs arrêts éternels.Ou mettraient-ils leur joie à tromper les mortels ? Non, non, que contre vous leur fureur se déploie ;Jamais, sans mon aveu, vous ne serez leur proie.Ils ont beau menacer, j'ai le plaisir de voirQue je puis balancer leur injuste pouvoir :Les Parques de vos jours m'ont su rendre maîtresse : Venez, et surmontez une indigne faiblesse. SCÈNE VI. Althée, méléagre, Athalante, Déjanire, Dione, Élise, Thélame. DEJANIRE. Tu te crois vainement l'arbitre de son fort :Cesse de t'aveugler, Reine, ton fils est mort.C'est toi qui de Diane as servi la colère,Tu l'immoles toi-même aux mânes de ton frère. ALTHÉE. Quel excès de fureur ! Je fais périr mon fils :Qu'as-tu fait du dépôt que je t'avais commis,Perfide ? DEJANIRE. Ignores-tu son malheur, et ton crime ?Et que je viens par toi d'en faire la victime?Qui t'a fait présumer qu'avec tranquillité Je serais le témoin de sa félicité ?Ou que dissimulant mon désespoir extrême,Je ne me vengerais de lui que sur moi-même.Non, non, pour le punir j'ai pris l'heureux moment,Qui t'avait fait rentrer dans ton égarement ; Je n'ai feint à l'autel de te servir de guide,Que pour pousser ta main à faire un parricide.Les Dieux m'ont fait par elle allumer le flambeau.Qui va plonger ton fils dans la nuit du tombeau,Ainsi quand tu priais leur majesté suprême, Tu détruisais les voeux que tu formais toi-même :Ta bouche les pressait de conserver ses jours,Et ta main parricide en terminait le cours. ALTHÉE. Ah Ciel ! Pour l'arracher à son destin funeste,Allons de ce flambeau conserver ce qui reste. Elle sort. SCÈNE DERNIÈRE. Méléagre, Athalante, Déjanire, Élise, Thélame. MÉLÉAGRE. Monstre, que t'ai-je fait pour m'arracher le jour ? DEJANIRE. Ingrat, par ma fureur juge de mon amour ;J'aime mieux te livrer à la Parque fatale,Que de voir avec toi triompher ma Rivale.Et toi qui me bravais avec tant fierté, Va, superbe, jouis de ta félicité,À mes yeux maintenant étale ta victoire,Élève de sa mort un trophée à ta gloire.Du moins j'ai ce plaisir qui me venge de toi,De voir qu'en le perdant tu perdras plus que moi Je ne perds qu'un ingrat qui me hait : que j'abhorre :Et tu perds pour jamais un époux qui t'adore. ATHALANTE. Ne crains-tu point la mort que mon juste courroux... DEJANIRE. Non, j'ai craint seulement de le voir ton époux.Après ce que j'ai fait je me suis attendue, À subir à mon tour la peine qui m'est due. MÉLÉAGRE. Non, cruelle, jouis de la clarté des Cieux,Uy, pour traîner ton crime, et ta flamme en tous lieux,Uy, pour servir d'horreur à toute la nature.Et vous qui prenez part aux tourments que j'endure. Belle Athalante, adieu ; gardez mon souvenir,Et recevez mon coeur par ce dernier soupir. ATHALANTE. Barbare, es-tu contente ? As-tu comblé ta rage ?Puisse-tu te saouler de sang et de carnage. DEJANIRE. Hé bien ! Dieux inhumains, êtes-vous satisfaits ? Avez-vous épuisé le dernier de vos traits. ==================================================