******************************************************** DC.Title = CANENTE, TRAGÉDIE DC.Author = LA MOTTE, Antoine Houdart de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 26/11/2020 à 09:32:31. DC.Coverage = Pays mythologique DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/LAMOTTE_CANENTE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** CANENTE TRAGÉDIE. Représentée par l'Académie Royale de Musique. Le quatrième jour de Novembre 1700. Musique de COLASSE M. D. CC. LII. par M. Houdart de La Motte de l'Académie française Représentée par l'Académie Royale de Musique. Le quatrième jour de Novembre 1700. PERSONNAGES DU PROLOGUE. L'AURORE. LE TIBRE. VERTUMNE. DIVERTISSEMENT DU PROLOGUE. DIANE. FLORE. SUITE DE FLORE. PERSONNAGES DE LA TRAGÉDIE. PICUS. CANENTE. LE TIBRE. SATUENE. NÉRINE, confidente de Circé. LA NUIT. L'AMOUR. UN DIEU DU FLEUVE. UN RUISSEAU. ALECTION. ERINNIS. MÉGÈRE. DIVERTISSEMENT DE LA TRAGÉDIE. L'ÂGE D'OR. L'ÂGE D'ARGENT. L'ÂGE D'AIRAIN. L'ÂGE DE FER. DIEUX DES RUISSEAUX. NYMPHES DE FONTAINES. MINISTRES DE RUISSEAUX. PLAISIRS, AMOURS ET JEUX. MAGICIENS ET MAGICIENNNES. FURIES, sous la forme de Plaisirs. La scène est dans l'île de la Folie. PROLOGUE. Le théâtre représente Fontainebleau, du côté du parterre du Tibre et les bocages d'alentour, où les Sylvains sont endormis. L'AURORE. Fuyez, Ombres, fuyez, cédez à la Lumière,Laissez-moi commencer le jour,D'un astre plus brillant j'annonce le retour ;Contente d'ouvrir sa carrière,Je vais bientôt lui céder à mon tour. Fuyez, Ombres, fuyez, cédez à la Lumière,Laissez-moi commencer le jour. CHOEUR DES SYLVAINS. Éveillons-nous, éveillons-nous ;L'Aurore nous appelle,Non, le sommeil n'est pas si doux Que la Lumière est belle. L'AURORE. Sylvains, empressez-vous d'embellir ce séjour.Que le Dieu des Jardins, que Diane, que Flore,Y viennent à l'envi faire briller leur Cour.Le beau jour qu'annonce l'Aurore Doit vous offrir encoreUn spectacle pour vous plus charmant que le jour.Votre héros revient dans ces campagnes ;La Gloire et la Vertu sont ses dignes compagnes ;Et pour se délasser de ses nobles travaux, Il en vient en ces lieux méditer de nouveaux. VERTUMNE. Venez, aimables Dieux, secondez ma puissance ;Que ce séjour soit digne de ses yeux :Et pour mériter la présence,Qu'il égale celui des Dieux Diane et Flore viennent avec leurs nymphes seconder les soins de Vertumne. On voit naître de nouveaux berceaux, des termes et des statues qui embellissent les Jardins. VERTUMNE. Célébrez son nom, chantez tous ;Faites en à l'envi retentir ces bocages :Oiseaux, à nos chants les plus doux ;Mêlez vos plus tendres ramages ;Et vous Échos, réveillez-vous, Célébrez sa gloire avec nous. LE CHOEUR. Célébrons son nom, chantons tous,Faisons-en à l'envi retentir ces bocages :Oiseaux, à nos chants les plus doux,Mêlez vos plus tendres ramages ; Et vous, Échos, réveillez-vous,Célébrez sa gloire avec nous. LE TIBRE. Jadis les favoris de MarsHabitaient mes fameuses rives,Cent fois parmi mes flots leurs ennemis épars Ont retardé mes ondes fugitives :Et j'entendais les voix plaintivesDes héros et des rois enchaînés à leurs chars.Mais, malgré l'éclat de leur gloire,Cet Empire jouit d'un Roi plus glorieux, Et ce héros est plus grand à mes yeuxQu'ils ne le sont à ma mémoire. VERTUMNE. Puisse-t-il voir cent fois refleurir ces berceaux ;Puisse-t-il mille fois entendre les oiseaux,Célébrer du printemps le retour favorable : Et que le peuple heureux qui jouit de ses lois,Sous son règne à jamais durable,Se renouvelle mille fois. LE CHOEUR. Chantons, redoublons nos concerts,Que toutes les voix nous secondent ; Du bruit de ses vertus remplissons l Univers ;Que la terre, les mers et les cieux nous répondent. LE TIBRE. Joignons-nous, profitons ici de son repos ;Qu'un spectacle charmant aujourd'hui lui retraceL'origine de ces héros Que la terre adorait, et que lui seul efface. ACTE I Le Théâtre représente le Temple de Saturne. SCÈNE I. Circé, Nérine. NÉRINE. Picus va vous devoir un trône glorieux,Un peuple indépendant cesse pour lui de l'être ;On va le proclamer à la face des Dieux, Et c'est par vos conseils qu'on le choisit pour maître. Circé, m'est-il permis de lire en votre coeurD'où naissent vos soins pour sa gloire ? CIRCÉ. Tu crois que c'est l'effet d'une secrète ardeurAh ! Picus sera-t-il le dernier à le croire ? NÉRINE. Qu'entends-je ? Il est donc vrai qu'il est votre vainqueur, Et vous me l'avouez vous-même. CIRCÉ. Tu sais que je l'ai vu, doutes-tu que je l'aime !Dans les forêts voisines de ces lieuxJe cherchais ces poisons dont je forme mes charmes :Tandis que de ces bois les hôtes furieux Fuyaient devant Picus l'atteinte de ses armes,Je le vis, ses regards troublèrent ma raison,Mon coeur devint sa proie et l'Amour mon poison. NÉRINE. Rejetez ce poison que l'Amour vous présenteLe Héros qui vous charme est soumis à Canente Il trouve dans ses yeux ses plaisirs et ses maux ;Et ses feux sont payés par des flammes égales ;Il l'emporte sur cent rivauxEt la préfère à cent rivales.Est-il instruit de votre feu ? CIRCÉ. C'est par mes seuls bienfaits que j'en ai fait l'aveu.Tout devrait le forcer à me rendre les armes,C'est par moi qu'il règne en ce jour ;Hélas ! Sera-ce en vain que j'ajoute à mes charmesTant de bienfaits et tant d'amour. N'ai-je, pour le fléchir, que d'impuissantes armes !Mais on vient, vois ce Prince et comprend mon ardeur,Un Dieu même serait moins digne de mon coeur. SCÈNE II. Circé, Picus, Nérine, Le Peuple. CHOEURS DES PEUPLES. Régnez, jeune Héros, la gloire vous appelle,Elle a réglé notre choix. Régnez, régnez sur nous ; pour prix de notre zèle.Nous ne voulons que vos lois. PICUS. Si je règne vous devez croireQue mon rang va pour vous redoubler mon ardeur :Heureux ! Si par votre bonheur Je puis un jour vous payer de ma gloire. CIRCÉ. C'est ce peuple aujourd'hui qui s'acquitte envers vous ;Cent fois ses ennemis sont tombés sous vos coups ; Quand vous l'avez sauvé, souffrez qu'il vous couronne,Soyez le premier de ses Rois ; Régnez, l'Empire qu'il vous donneSerait détruit sans vos exploits. PICUS. C'est à vous que je dois ma nouvelle puissance,Le suffrage du peuple est un de vos bienfaits ;Pour première reconnaissance, Recevez l'aveu que j'en fais. Circé conduit Picus à son trône, et les Peuples lui rendent leurs hommages et le reconnaissent pour leur Roi. LE CHOEUR. Vénérable Saturne, et vous qu'il a fait naître,Recevez nos serments, Arbitres des humains.Ce héros désormais est notre unique maître,Nous remettons notre sort en ses mains. Qu'il exerce un pouvoir suprême : Qu'il nous tienne lieu de vous-même,Le jour nous est moins cher que ses commandementsVous, justes Dieux, lancez la foudre,Punissez, réduisez en poudre Le premier d'entre nous qui rompra nos serments. PICUS. Père des Dieux, Auteur de ma naissance,Écoute, c'est ton fils qui t'implore à son tour.Fais régner avec moi la paix et l'abondance,Qu'à jamais l'âge d'or revienne en ce séjour. PICUS, CIRCÉ, NÉRINE. Mais quel éclat soudain ! Quel nuage s'avance ?D'où viennent dans les airs ces sons harmonieux !Ces doux concerts, cette magnificenceD'un Dieu propice annoncent la présence,Saturne nous entend, il descend en ces lieux. PICUS. Seconde l'ardeur qui m'engageÀ rendre ces peuples heureux ;Que les peines soient mon partageEt que les plaisirs soient pour eux. SATURNE, accompagné des Ages. Apprends mon fils pour qui ta voix m'implore, Ce peuple doit des Dieux épuiser les bienfaits,Sa gloire doit aller encoreAu-delà des voeux que tu fais.Le sort dans l'avenir me fait voir sa puissance,La victoire pour lui fixe son inconstance ; Son nom seul fait trembler le reste des humainsTous les Sceptres sont dans ses mains,Et tous les Rois sous son obéissance,Mille Héros vaincus gémissent dans ses fers,Il ne voit que les Dieux qui puissent le détruire ; Et les bornes de son empireSont les bornes de l'Univers.Âges qui me suivez, formez d'aimables jeux ;Pour célébrer leur sort, joignez-vous avec eux. PREMIER DIVERTISSEMENT. Les quatre Âges. CHOEUR DE L'ÂGE DE FER. Allez porter par tout la guerre, Achevez de fameux exploits,Et forcez la terreDe se ranger sous vos loisQue les cris, le sang et les larmes, Que le sort contraire à vos armes N'ébranlent jamais vos coeurs.Que tout cède à votre couragePar la force et par le carnage :Montez au rang des vainqueurs. CHOEUR DES PEUPLES. Quel destin pour nous ! Quelle gloire! Redoublons notre ardeur,Méritons la grandeurQue nous destine la victoire, SCÈNE III. Circé, Picus. CIRCÉ. Prince, pour couronner vos voeux,La gloire avec l'amour aujourd'hui se rassemble ; Et l'on dirait qu'ils disputent ensembleÀ qui vous rendra plus heureux.Tout fléchit sous vos lois, tout s'empresse à vous plaire,Heureuse la beauté que votre coeur préfère !Canente est cet objet charmant ? PICUS. Je sentis à la voir que j'avais un coeur tendre,J'aimai dès le même moment ;Je ne voulus point m'en défendre,Je l'aurais voulu vainement. CIRCÉ. Quoi ! Tant d'autres pour vous n'ont que de faibles armes. PICUS. Sa voix seule vaut tous leurs charmes.Elle forme à son gré les sons les plus touchants ;Et l'on voit chaque jour à ses aimables chantsToute la nature attentive,Les arbres, les rochers sont émus à sa voix, Elle arrête le cours de l'onde fugitive ;Philomele au milieu des bois,Pour l'écouter, suspend sa voix plaintive ;Ses beaux yeux sont encor plus puissants mille fois,Voilà les fers charmants où mon âme est captive. CIRCÉ. Mais comme vous le Tibre en est charmé ;Faut-il vous opposer à l'ardeur de son âme ? PICUS. Pour Canente, il est vrai, ce Dieu s'est enflammé:Mais depuis qu'il a vu que j'en étais aimé,Il semble avoi[r] éteint sa flamme. CIRCÉ. Craignez, craignez toujours sa jalouse fureur,Ne sauriez-vous brûler d'une ardeur plus tranquille. PICUS. Je veux, par notre Hymen, assurer mon bonheur. CIRCÉ. Votre rival rendra ce dessein inutile. PICUS. Il est las de troubler le bonheur de nos feux. Je cours hâter ce jour heureuxQui doit nous unir l'un à l'autre ;Et l'Amour n'aura plus, pour combler tous mes voeux,Qu'à vous faire un destin aussi doux que le nôtre. SCÈNE IV. Circé, Nérine. CIRCÉ. Tu le vois, de mes feux rien n'a pu l'informer, Il ne s'aperçoit point de ma langueur extrême,Hélas ! Qu'il est loin de m'aimer,Puisqu'il ne voit pas que je l'aime ! NÉRINE. Eh bien ! Laisserez-vous servir tous vos bienfaitsAu triomphe d'une rivale ? CIRCÉ. Tu me connais trop bien pour le penser jamais?Brisons, brisons cette chaîne fataleQu'ils opposent à mes souhaits.Je veux dans mes desseins que le Tibre s'unisse :Il faut armer contre eux la force et l'artifice. Venez transports cruels, implacable fureur,C'est l'Amour en courroux qui vous offre mon coeur,En préparant une vengeance affreuse,Ne laissons voir au Roi que mes soins les plus doux ;Mais perçons en secret des plus funestes coups Une rivale trop heureuse.Venez transports cruels, implacable fureur ;C'est l'Amour en courroux qui vous ouvre mon coeurExerçons sur la nymphe une rage inhumaine,Sans irriter l'amant qui me tient sous ses lois, Contentons à la foisMon amour et ma haine.Venez transports cruels, implacable fureur,C'est l'Amour en courroux qui vous ouvre mon coeur. ACTE II Le Théâtre représente les rivages du Tibre. SCÈNE PREMIÈRE. CANENTE. Coulez tranquilles eaux, volez charmants Zéphirs, Ne vous arrêtez point ; ma voix n'a plus de charmes ;Mon coeur depuis qu'il aime éprouve trop d'alarmes,L'Écho ne répond plus qu'à mes tristes soupirs.Mon amant aujourd'hui jouit du rang suprême ;Je crains que sa grandeur ne borne ses désirs ; La crainte suit toujours une tendresse extrême ;Quand rien ne trouble mes plaisirs,Mon coeur se plaît à se troubler lui-même.Coulez tranquilles eaux, volez charmants Zéphirs,Ne vous arrêtez point, ma voix n'a plus de charmes, Mon coeur depuis qu'il aime éprouve trop d'alarmes,L'Écho ne répond plus qu'à mes tristes soupirs. SCÈNE II. Picus, Canente. PICUS. Belle Nymphe, j'échappe à la foule importuneQu'attache sur mes pas ma brillante fortune.La liberté règne en ce beau séjour, Et nous n'avons enfin de témoin que l'Amour. CANENTE. Je vous revois couvert d'une nouvelle gloire,N'affaiblit-elle point l'amour dans votre coeur ! PICUS. Jamais je n'ai brûlé d'une si vive ardeur,Il faut la sentir pour la croire. Lorsque l'Amour forma mes noeuds,Je ne concevais pas en ces moments heureuxQue vous pussiez briller d'une beauté nouvelle,Ni rien ajouter à mes feux.Cependant chaque jour je vous trouve plus belle, Et je me sens plus amoureux.Sans vous le jour m'est un supplice,Loin du Temple tantôt quel soin vous retenait ? CANENTE. Au Dieu d'Amour j'offrais un sacrificeDans le temps qu'on vous couronnait. Dans un coeur que la gloire enflammeIl reste peu de place à l'amoureuse ardeur ;Et je priais l'Amour de défendre votre âmeContre la gloire et la grandeur. PICUS. Bannissez ces vaines alarmes, Je fais tout mon bonheur de suivre votre loi,Mon trône perdrait tous ses charmes,Si vous n'y montiez avec moi. CANENTE. Circé s'approche ici, cachons notre tendresse. PICUS. Non, ne contraignons point de si doux sentiments. SCÈNE III. Picus, Canente, Circé. PICUS. Venez, favorable Déesse,Prenez part aux transports de deux heureux amants. CIRCÉ. Aimez-vous sans mystère, aimez-vous sans alarmes,Ne cachez plus vos tendres soinsUn bonheur sans témoins N'a pas ses plus doux charmes. PICUS. L'Hymen va découvrir notre secret lien,Je vais le préparer, je vous laisse Canente ;Aimez, Déesse, aimez cette nymphe charmante,Que son bonheur vous soit aussi cher que le mien. SCÈNE IV. Circé, Canente. CIRCÉ. Pour flatter vos désirs que reste-t-il à faire ?Les Dieux et les mortels de vos yeux sont charmés,Tous les biens sont renfermésDans l'avantage de plaire.Le Maître de ces eaux languit sous votre loi, Vous l'enflammez au milieu de son onde. CANENTE. Si je n'enflammais que le Roi,Je jouirais encor d'une paix plus profonde. CIRCÉ. Vous trouvez un bonheur plus grandÀ choisir aujourd'hui la chaîne la moins belle ; Mais ne craignez-vous point de regretter le rangOù votre beauté vous appelle. On entend ici une symphonie agréable. Un Rocher s'ouvre dans le fond du Théâtre, et laisse voir un Palais magnifique qui s'approche, s'étend et occupe enfin toute la scène, où paroissent aussitôt tous les Dieux des Ruisseaux et des Fontaines soumises au Tibre. CIRCÉ et CANENTE pendant le spectacle. Qu'entends-je ! Quels charmants accordsDe ces paisibles lieux troublent l'heureux silence ?Quel Palais éclatant de ce rocher s'avance Qui pourrait attirer tant d'éclat sur ces bords ? CANENTE, Circé. Est ce votre art ? CIRCÉ, à Canente. Est-ce votre présence ? SCÈNE V. Troupes de Dieux de Ruisseaux et de Fontaines. UN DIEU DE LA TROUPE à Canente. Voyez de quels sujets vous êtes souveraine.C'est pour voir en vous notre Reine Que le Tibre en ces lieux vient de nous rassembler.Nymphe recevez notre hommage,Ce n'est encor que le présageDes honneurs éclatants dont il veut vous combler. CANENTE. Qu'entends-je ! Que je crains ! Secourez-moi Déesse. CIRCÉ. Nymphe redoutez moins l'honneur qu'on vous adresse. SECOND DIVERTISSEMENT. Tritons et Néréides. UN RUISSEAU. Les Ruisseaux ont une penteQue leur onde suit toujours,Une pente plus charmanteConduit les coeurs aux Amours, À quoi sert notre défense ?Leur pouvoir en est plus grand,Et souvent la résistanceD'un ruisseau fait un torrent. CHOEUR. Vos yeux de tous les coeurs vont troubler le repos, Ils n'en laissent point de tranquille ;Nos Rochers, nos grottes, nos flotsNe sont pas contre eux un asile. CANENTE. Hélas ! Que je souffre en ces lieux,Que mon coeur... CIRCÉ. Arrêtez, le Dieu s'offre à nos yeux. SCÈNE VI. Le Tibre, Canente et Circé. LE TIBRE, à Canente. Quoi, lorsque tout mon coeur à vos charmes se livre,Rien ne vous touche à votre tour ?De l'hommage empressé que vous offre ma Cour,Vous souhaitez qu'on vous délivre ! CANENTE. Vous en étonnez-vous ? Vous savez mon amour. LE TIBRE. C'est le mien que vous devez suivre.La nymphe à qui l'Hymen engagera ma foiDoit par l'ordre du sort devenir immortelle :Venez, montez au rang où l'Amour vous appelle ;Il vous devait un Dieu, c'était trop peu d'un Roi. Vous ne répondez rien, vous vous troublez, cruelle ,Pour vous hélas ! Est-ce un sujet d'effroiQue d'être immortelle avec moi. CANENTE. Pour troubler une ardeur trop fidèle et trop pureQue vous sert de m'offrir un honneur odieux ? Dois-je monter au rang des DieuxPar l'inconstance et le parjure ? LE TIBRE. Ce n'est pas l'infidélité,C'est moi que votre coeur abhorre. CANENTE. Je sais trop qu'un grand Dieu doit être respecté. LE TIBRE. Ah ! Ce respect outrage un Dieu qui vous adore,Avec le plus haut rang vous refusez ma main ;Je connais à quel point ma tendresse vous gêneEt c'est sur les faveurs que je vous offre en vainQue je mesure votre haine. CANENTE. Pour un rang éclatant doit-on changer de chaîne ?Quand un coeur est bien enflammé,À trahir un beau feu rien ne peut le contraindre ;Quand la grandeur ne l'a pas allumé,La grandeur ne saurait l'éteindre. LE TIBRE. Que vous m'apprenez bien par ces cruels discoursLe destin d'une ardeur qui vous est odieuse ;Vous êtes trop ingénieuseÀ trouver des raisons pour me haïr toujours.Mais craignez que mon coeur ne se livre à la rage ; Craignez le désespoir d'un amant furieux ;Plutôt que de souffrir un hymen qui m'outrage,Je désolerai tous ces lieux.Tout s'y ressentira de ma fureur extrême :En d'horribles torrents j'y répandrai mes eaux, Et si l'Hymen pour vous allume ses flambeaux,J'irai les éteindre moi-même.Pour porter jusqu'à vous d'affreux débordements,J'épuiserai mes cavernes profondes,Et j'engloutirai dans mes ondes La victime, l'autel, le prêtre et les amants. CANENTE. Qu'ai-je entendu ? Quelle rage fatale ? À Circé.Déesse à ces transports daignez vous opposer. CIRCÉ. Connais enfin mon coeur ; c'est assez t'abuser,Cesse d'implorer ta rivale. CANENTE. Ô Ciel ! C'est donc à toi de me favoriser. CIRCÉ. Tremble, crains tout des feux que je te viens d'apprendre,Tout mon bonheur dépend de t'arracher au Roi ;Ce que j'ai fait pour lui doit te faire comprendreCe que je ferai contre toi. LE TIBRE et CIRCÉ. Il faut répondre à mon envie. LE TIBRE. Il faut combler mes voeux. CIRCÉ. Ou craindre ma furie. LE TIBRE. Devenir immortelle. CIRCÉ. Ou renoncer au jour. CANENTE. Vous pouvez m'arracher la vie,Mais rien ne peut jamais m'arracher mon amours. CIRCÉ. Démons soumis à mon empireEnlevez-là d'ici, volez dans mon Palais. Les Démons enlèvent Canente. CIRCÉ, au Tibre. Je vous l'ai déjà dit, et je vous le promets ; Je vais par tout mon art tâcher de la réduireÀ profiter de vos bienfaits. LE TIBRE. Mais d'un premier amour si rien ne la dégage, CIRCÉ. Opposons, opposons la colère à l'outrage ;Il faut que l'Amour soit vengé, C'est au dépit, c'est à la rageÀ venger l'Amour outragé. LE TIBRE et CIRCÉ. Opposons opposons la colère à l'outrage ;Il faut que l'Amour soit vengé,C'est au dépit, c'est à la rage À venger l'Amour outragé. ACTE III Le Théâtre représente un endroit du Palais de Circé. SCÈNE PREMIÈRE. Circé, Nérine. NÉRINE. On cherche Canente en tous lieux ;Son Amant est saisi d'une douleur extrême,Les larmes coulent de ses yeux,Il s'emporte, il gémit, il accuse les Dieux De lui ravir tout ce qu'il aime. CIRCÉ. Ah ! Faut-il que l'ingrat aime si tendrement ?Ma haine pour Canente en devient plus cruelle :Je veux à cet amour égaler son tourment.Si je ne la rends infidèle, Qu'elle payera chèrementLes pleurs que l'on répand pour elle !Va, fais apprendre au Roi que la nymphe est ici ;Et qu'elle doit s'unir au Tibre qui l'adore.Va, Nérine ; mais qu'il ignore Que c'est de mon aveu qu'il en est éclairci.Ma rivale paraît, qu'on me laisse avec elle. SCÈNE II. Circé, Canente. CIRCÉ. Enfin, Nymphe, avez-vous comprisCe que c'est que d'être immortelle ? CANENTE. D'un bien si glorieux je connais tout le prix, Mais j'aime mieux être fidèle. CIRCÉ. Quoi pour le vain honneur de la fidélitéVous méprisez des Dieux l'avantage suprême ? CANENTE. Est-il un plus grand mal que l'immortalité,Quand on vit loin de ce qu'on aime ! Par des liens trop forts mon coeur est arrêté. CIRCÉ. Pouvez-vous ne pas voir les charmesDes honneurs que vous refusez ?Et pouvez-vous voir sans alarmesLes maux où vous vous exposez ? Vous vous troublez, vous répandez des larmes ? CANENTE. Je ne m'en défend point, vous voyez la frayeurDont mon âme est atteinte,Mais c'est sans y régner qu'elle trouble mon coeur,Et mon amour est plus fort que ma crainte. CIRCÉ. Eh bien, il faudra me vengerPuisque vous voulez m'y réduire ;Le destin de Sylla doit assez vous instruire,Des maux que je prépare à qui m'ose outrager.En des monstres affreux j'ai changé tous ses charmes, On ne la voit plus sans alarmes,Ses cris, ses hurlements troublent l'onde et les airs ;Monument éternel de ma haine implacable,Pour avoir été trop aimable,Je l'ai fait devenir l'horreur de l'Univers, Craignez, craignez une égale vengeance. CANENTE. S'il faut briser mes fers, je ne puis l'éviter. CIRCÉ. Je vais pour vos tourments épuiser ma puissance. CANENTE. J'aime mieux les souffrir que de les mériter. CIRCÉ. Ministres de mon art, vous que la rage anime, Qui semez à mon gré l'épouvante et l'horreur ;Venez, rassemblez-vous, voilà votre victime ;Inventez des tourments dignes de ma fureur :Employez le fer et la flamme,Faites de ce Palais un horrible séjour ; Que l'effroi, que l'horreur s'empare de son âmeN'y laissez point de place pour l'Amour. LE CHOEUR. Employons le fer et la flamme,Faisons de ce Palais un horrible séjour ;Que l'effroi, que l'horreur s'empare de son âme, N'y laissons point de place pour l'Amour. CIRCÉ. Je vous laisse le soin de vaincre sa constanceJe vais chercher le Dieu qui s'obstine à l'aimer,Et je reviens consommer ma vengeance,Si son coeur plus soumis n'aime mieux la calmer. TROISIÈME DIVERTISSEMENT. Les Ministres de Circé viennent hâter sa vengeance par des embrasements. SCÈNE III. Troupe de Ministres de Circé. CANENTE. Où suis-je ? Hélas ! Qui prendra ma défense ? LE CHOEUR. Embrasons, brûlons tout, n'offrons à ses regardsQue débris enflammés, que ruines ardentes ;Et que des flammes dévorantesL'environnent de toutes parts. CANENTE. Juste Ciel ! De ma voix daigne augmenter le charme.Cédez, Cruels, cédez à mes tristes accents ;Calmez un transport qui m'alarme ;Laissez toucher vos coeurs, laissez charmer vos sens ;Que la pitié, que l'Amour vous désarme ; Ne me préparez point de funestes bûchers,Que mes tendres accords rendent vos coeurs paisibles ; J'ai mille fois attendri les rochers,Seriez-vous encore moins sensibles ?Cédez, Cruels, cédez à mes tristes accents ; Calmez un transport qui m'alarme ;Laissez toucher vos coeurs, laissez charmer vos sens ;Que la pitié, que l'Amour vous désarme. CHOEUR DES MINISTRES DE CIRCÉ. Ciel ! Quel enchantement odieux ! Où sommes nous ?Quelle pitié soudaine éteint notre courroux ? CHOEUR D'AMOURS ET DE GRÂCES attirées par la voix de Canente. Le charme de ta voix en ces lieux nous attire,L'embrasement s'éteint, la rage sort des coeurs ;De tes divins accents tout reconnaît l'empire ;Puissent-ils de Circé vaincre aussi les fureurs. CHOEUR DES MINISTRES. Quel est le charme Qui nous désarme ?Vos chants des coeursBannissent les fureurs. CHOEUR DES GRÂCES. Aimez sans cesse,Tout vous en presse ; Un tendre AmourTrouve enfin un beau jour. CHOEUR DES MINISTRES. Quel est le charmeQui nous désarme ?Vos chants des coeurs Bannissent les fureurs. CHOEUR DES GRÂCES. Que la constance,A de puissance,Des doux AmoursC'est le plus sûr secours. Les Plaisirs et les Amours s'envolent au retour de Circé. SCÈNE IV. Le Tibre, Canente, ses ministres. CIRCÉ, au Tibre. Venez, je l'ai prévu, tout est ici tranquilles.La Nymphe se rend à vos voeux ;Vous ne brûlerez plus d'une ardeur inutile,Mes soins ont réussi, vous allez être heureux. CANENTE. Non, ce n'est point en éteignant ma flamme, Que j'ai désarmé leurs fureurs,L'effroi n'a point changé mon âme,Mais la pitié vient de changer leurs coeurs. CIRCÉ. Qu'entends-je, Ministres perfides ?Elle a pu vous toucher pour la première fois ? Eh bien, lâches, il faut pour accomplir mes loisVous donner des coeurs moins timides,Devenez à l'instant des monstres furieux,Dévorez, malgré vous, ma rivale à mes yeux. Les Ministres de Circé se changent en monstres. LE TIBRE. Arrêtez, ma flamme est trop vive ; Je sens que jusques-là je ne puis la trahir :Mon coeur demande qu'elle vive,Quand ce serait pour me haïr. CIRCÉ. Non, ma fureur ne peut vous obéir. LE TIBRE. Si vous attentez sur sa vie, Tremblez, les jours du Roi me répondront des siens. CANENTE. Ah ! Ne me vengez pas par cette barbarie. CIRCÉ. Monstres, calmez votre furie ;On menace le Roi, ses périls sont les miens. CIRCÉ, LE TIBRE, CANENTE. Quel horreur, quel supplice extrêmes Que de craindre pour ce qu'on aime !Quel coup pour les tendres amants !Non, la Mort, non, l'Enfer mêmeN'ont point de si cruels tourments. SCÈNE V. Nérine, NÉRINE, à Circé. J'ai servi vos desseins avec un soin fidèle, Et Picus alarmé vous cherche en ce Palais. CIRCÉ. Venez, vous saurez mes projets. LE TIBRE. Mais me répondez-vous.... CIRCÉ. Ne craignez rien pour elle. ACTE IV Le Théâtre représente les jardins de Circé. SCÈNE PREMIÈRE. Circé, Picus. PICUS. Ciel ! Que me dites-vous ? La croirai-je infidèle ?Aux dépens de mes jours veut-elle être immortelle ? Croirai-je que l'ingrate au mépris de sa foiGardait ce prix à ma constance ?Et se peut-il que contre moiElle implore votre puissance ? CIRCÉ. Vous doutez que la Gloire ait pu la dégager, Et je m'en étonne moi-même.Je comprends trop comme on vous aime,Mais je ne comprends pas comme l'on peut changer. PICUS. Ah ! Laissez-moi-la voir, cédez à mes alarmes ;Laissez-moi lui montrer un dépit éclatant ; Qu'au moins mon désespoir, mes reproches, mes larmesTroublent le bonheur qu'elle attend. CIRCÉ. Dois-je trahir son espérance ?Elle fuit en ces lieux votre juste douleur. PICUS. Pourriez-vous à mes voeux refuser sa présence, Aidez-vous la perfide à me percer le coeur ! CIRCÉ. Cessez d'aimer une inhumaine,Le dépit doit vous dégager,Dans le plaisir d'une nouvelle chaîneVous trouveriez celui de vous venger. PICUS. Dieux ! Quelle trahison ! Quoi Nymphe trop cruelle,Mon rival vous rend infidèle ?Quoi, vous sacrifiez mes feux à ses amours ?Il vous est doux d'être immortelle,Pour l'adorer sans cesse, et me haïr toujours. Ah ! C'en est trop, mon coeur au désespoir se livre,Cherchons un sort plus doux dans l'éternel oubli.Cruelle, c'en est fait, je vais cesser de vivre,Votre bonheur est accompli. Il tombe accablé de douleur, et Circé le touche de sa baguette pour l'enchanter. CIRCÉ. Profitons, profitons du transport qui l'accable ; Effaçons de son coeur ses premières amours ;Et pour forcer l'ingrat à me trouver aimable,Employons de mon art les plus puissants secours.Les voiles de la nuit sont mes plus fortes armes,Venez, sombre Déesse, et triomphez du jour ; Et s'il se peut, pour éclairer mes charmesPrenez le flambeau de l'Amour. SCÈNE II. Circé, La Nuit. LA NUIT. Je viens à ton pouvoir ajouter ma puissance,Tes charmes ne vont plus trouver de résistance ;Je les dérobe à tous les yeux ; Sombre mystère et vous profond silence,Régnez avec moi dans ces lieux. CIRCÉ. Esprits soumis à mon empire,Faites briller ici de magiques clartés,Venez verser sur lui des parfums enchantés, Et portez dans son sein tout l'amour qu'il m'inspire. Troupes de Magiciens et de Démons sous des formes agréables. LE CHOEUR. Descendez, Dieu charmant, répondez à nos voix,Lancez, lancez vos traits, et secondez nos charmes,Employez avec nous vos plus puissantes armes,Soumettez ce héros à de nouvelles lois. CIRCÉ et LA NUIT. Amour c'est trop troubler mon [son] âme,Vole, viens réparer les maux que tu me [lui] fais,Éteins les feux, brise les traitsQu'on oppose à ma [sa] flamme. LA NUIT. Dieu charmant, je te sers mieux que les plus beaux jours, Je déploie à ton gré mes voiles les plus sombres ;Paye aujourd'hui par ton secoursCelui que mille fois tu reçus de mes ombres. CIRCÉ. Des fers de ma rivale arrache mon vainqueur,Fais de ses premiers feux triompher ma tendresse ; Amour, que mes soupirs désarment ta rigueur ;C'est toi qui formes dans mon coeurLes voeux que je t'adresse. CIRCÉ et LA NUIT. Amour que mes [ses] soupirs désarment ta rigueur,C'est toi qui formes dans mon [ton] coeur, Les voeux que je [qu'elle] t'adresse. CIRCÉ. Le Soleil s'éclipse à ma voix,La Nuit descend quand je l'appelle ;Je commande aux monstres des bois.[Note : Alecton : l'une des Furies, avec Mégère et Tisiphone.]Alecton, à mon gré, sort de l'ombre éternelle ; L'Enfer, le Ciel, la Terre est soumise à mes lois,L'Amour lui seul y sera-t-il rebelle ? L'AMOUR, volant. Prétends-tu me soumettre à tes commandements,Cesse de combattre sa flamme,Le trait dont j'ai blessé son âme, Ne peut être brisé par tes enchantements. CIRCÉ. Ah ! Si pour mon bonheur je manque de puissance,Je n'en manquerai pas du moins pour ma vengeance. À la Nuit.Laissez-moi, je me livre à mes emportements, À part.Feignons, laissons-lui voir les plus doux sentiments. Elle touche Picus. SCÈNE III. Picus et Circé. PICUS. Je vis encor, le Ciel me condamne à la vie,Je reprends à la fois mes sens et ma langueur ;J'adore encore Canente après sa perfidie,L'Amour se plaît pour elle à déchirer mon coeur. CIRCÉ. Il faut vous détromper, votre nymphe est fidèle. PICUS. Vous l'accusiez d'une perfide ardeur. CIRCÉ. Je vous aime, et l'Amour m'avait armé contre elle,Mais je cède à vos feux, il faut vous rassurer,L'Amour a fait mon crime, il va le réparer. PICUS. Ah ! Rendez-moi Canente et cet effort suprême... CIRCÉ. Je ferai plus, je veux vous unir dès ce jour.Connaissez tout mon coeur, je sens que je vous aime,Jusqu'à pouvoir pour vous immoler mon amour. PICUS. Après tant d'artifice, ô Dieux, vous puis-je croire ? CIRCÉ. Croyez-moi , j'en atteste et l'Amour et la Gloire. Allons à votre nymphe annoncer ce bonheur, À part.Qu'ils savent peu l'hymen qu'apprête ma fureur. ACTE V Le Théâtre représente un Antre horrible. SCÈNE PREMIÈRE. CIRCÉ. Ô vous, cruelles soeurs, noires filles du Styx,[Note : Euménides : autre nom des furies.]Euménides, quittez le ténébreux rivage,Venez, répondez à mes cris J'implore toute votre rage.Allumez vos flambeaux, irritez vos serpents ;Que l'homicide fer dans vos mains étincelle :Égalez vos fureurs à celles que je sens ;L'Amour au désespoir par ma voix vous appelle. Ô vous, cruelles soeurs, noires filles du Styx,Euménides, quittez le ténébreux rivage,Venez, répondez à mes cris,J'implore toute votre rage, Les Furies sortent des Enfers. LES FURIES. Ordonne, nous t'obéissons ; Des plus grands criminels nous suspendons les peines,Console-nous par des lois inhumainesDu repos où nous les laissons. CIRCÉ. Vos fureurs ne seront pas vaines,Deux amants sur ma foi viennent de s'assurer Que leurs flammes vont être heureuses.Ils pensent voir l'hymen prêt à les éclairer ;Mais je ne veux que vous pour ces noces affreuses,C'est à vous de les célébrer. LES FURIES. Quel plaisir de servir le courroux qui t'entraîne ! Unissons, unissons ces amants malheureuxSous les auspices de la haine ;Que nos flambeaux forment leurs feux,Que nos serpents forment leur chaîne. CIRCÉ. Que ce transport à mes yeux est charmant ! Mais sur Canente seule il faut qu'il se signale ;Il faut immoler ma rivaleEt respecter les jours de mon amant.Pour les tromper que ce lieu s'embellisse,Vous, paraissez ces Dieux qu'attendent leurs désirs, Et sous la forme des plaisirsPréparez un affreux supplice. L'Antre se change en un Palais éclatant. Alecton prend la forme de l'Hymen, et toutes les Furies, celles des Jeux et des Plaisirs. SCÈNE II. Circé, Le Tibre. LE TIBRE. Inhumaine Déesse, à quoi consentez-vous ?Quoi vous comblez du Roi les désirs les plus doux !Par vous son bonheur se prépare ? Et que vous ai-je fait, barbare,Pour me porter de si sensibles coups ! CIRCÉ. Calmez cet injuste courroux.Dans ces plaisirs trompeurs connaissez les Furies,Et jugez quel Hymen j'apprête à ces amants. LE TIBRE. Ah ! Je comprends vos barbaries ;Mais ce n'est pour mon coeur que changer de tourments.Canente périrait, ô Dieux ! Son hymen mêmeNe m'avait pas troublé d'un plus cruel transport.C'est un supplice égal de voir ce que l'on aime Dans les bras d'un rival ou dans ceux de la mort. CIRCÉ. Que mon amour est différent du vôtre ;Malheur à qui me fait souffrir.Le Roi n'a pu m'aimer, il m'en préfère une autre,Il ne saurait trop tôt mourir. LE TIBRE. Eh ! Qu'il soit donc le seul que votre amour punisse. CIRCÉ. Ne craignez point que Canente périsse,Je prépare à l'ingrat des coups plus inhumains ;Je veux pour combler son supplice,Qu'il voie en expirant son amante en vos mains. LE TIBRE. Ah ! Si c'est là votre vengeanceJ'en attends le succès avec impatience. CIRCÉ. On vient, j'aperçois ces amants. Au Choeur.Secondez leurs transports par des concerts charmants. SCÈNE III. Circé, Le Tibre, Picus, Canente. LE CHOEUR. Venez, venez former la chaîne la plus belle, Jouissez d'un bonheur constant,L'Amour vous appelle,L'Hymen vous attend. CIRCÉ, à Picus et à Canente. Venez, qu'un noeud charmant vous joigne l'un à l'autre.Le Tibre,comme moi, fait son bonheur du vôtre, LE TIBRE et CIRCÉ. Quand nous triomphons de nos feux,Le prix de notre effort est de vous voir heureux. PICUS et CANENTE. Cet effort généreux passe notre espérance ;À de nouveaux respects il doit nous engager ;Notre coeur va se partager. Entre l'Amour et la reconnaissance. CINQUIÉME ET DERNIER DIVERTISSEMENT. Les Furies, sous la forme des Plaisirs. LE CHOEUR. Soupirez, jeunes coeurs, formez d'heureux désirs,Qui résiste à l'Amour, se refuse aux plaisirs.L'Hymen suit nos alarmes,Nos malheurs sont finis ; Bienheureuses les larmesDont il donne le prix ! PICUS. L'Amour calme nos peines,Et l'Hymen est pour nous ;Quand ils joignent leurs chaînes, Que le poids en est doux ! LE CHOEUR. Si l'Amour nous soumet, c'est en charmant nos coeurs,Les chaînes de l'Amour sont des chaînes de fleurs. CANENTE. Venez, Amour, venez réparer vos rigueurs,Régnez à jamais dans mon âme ; Et pour tout le prix de mes pleursVenez serrer ma chaîne et redoubler ma flamme. PICUS. Amour, je suis épris d'un si charmant lien,Et chaque instant m'enchante encore ;Quels yeux t'inspirent mieux que les yeux que j'adore ? Quel coeur te sent mieux que le mien ! PICUS et CANENTE. Que rien ne brise notre chaîne.Que de nos feux rien ne borne le cours ;Que la cruelle Mort, que la Parque inhumaineNe puisse triompher de nos tendres amours. Alecton, sous la forme de l'Hymen, s'approche pour unir Picus et Canente, et porte son flambeau pour la Nymphe. L'HYMEN. Jeunes Amants, prenez les plus doux de mes noeuds ;Que vos tendres feuxSoient les plus durablesEt les plus heureux ;Soyez toujours aimables Et toujours amoureux. CANENTE, empoisonnée par Alecton. Où suis-je ? Quels transports ! Quelles douleurs soudaines !Quel poison dévorant se répand dans mes veines ! LE TIBRE et PICUS. Ô Dieux ! CANENTE. Je vois, je sens tout l'Enfer en courroux ;Cet hymen, ses plaisirs sont d'affreuses furies ; Prince, fuyez leurs barbaries,Fuyez, laissez-moi seule expirer sous leurs coups. LE TIBRE et PICUS. Que vois-je ? On me trompait, la douleur vous accable.Ah ! Quel désespoir ! Quelle horreur ! LE TIBRE, PICUS et CANENTE. Inhumaine Circé, furie impitoyable, Sont-ce-là les plaisirs dont vous flattiez mon coeur ? PICUS. Laissez-vous attendrir, calmez sa peine affreuse. CIRCÉ. Tu la plains, elle est trop heureuse. TOUS QUATRE. Ah ! Quel désespoir ! Quelle horreur ! CANENTE. Cher Prince, c'en est fait, vous me voyez mourante, La douleur vous arrache une fidèle amante.Circé nous a trahi, mais malgré ses fureursL'Amour suit aux Enfers mon âme fugitive,Et ma flamme pour vous ne fut jamais si vive,Qu'au moment que je meurs. LE TIBRE et PICUS. Que deviendrai je ? Ô Ciel ! Le Tibre suit Canente qu'on emporte, et Picus continue. PICUS, à Circé. Il faut que je la suiveMalgré vos barbares effortsInhumaine, je vais la joindre chez les morts. CIRCÉ. C'est vainement que ton amour l'espère : Mon dépit à jamais veut séparer vos coeurs ;Vole, fuis malgré toi la mort qui t'est si chère ;Va nourrir dans les airs d'éternelles douleurs. Picus est changé en Pivert. CIRCÉ, aux Furies. Vous, en vous replongeant au ténébreux rivage,De mon coeur s'il se peut, arrachez son image. Les Furies, en disparaissant, détruisent le Palais, qui servait qu'à tromper Picus. ==================================================