******************************************************** DC.Title = LE MAGNIFIQUE, COMÉDIE DC.Author = LA MOTTE, Antoine Houdart de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 06/07/2022 à 16:26:58. DC.Coverage = Italie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/LAMOTTE_MAGNIFIQUE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE MAGNIFIQUE COMÉDIE EN DEUX ACTES. M. D. CC. LII. par M. Houdart de La Motte de l'Académie française VIENNE EN AUTRICHE, Chez JEAN PIERRE VAN GHELEN, Imprimeur de la Cour de sa Majesté Impériale et Royale. Représenté pour la première fois le 6 mars 1721 au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain par la troupe de la Comédie française ACTEURS ALDOBRANDIN, Tuteur de Lucelle. HORACE, Frère d'Aldobrandin. ZIMA, Amant de Lucelle. LUCELLE, Pupille d'Aldobrandin. LA GOUVERNANTE. LE NOTAIRE. UN LAQUAIS. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Aldobrandin, Horace. ALDOBRANDIN. Hé bien, mon frère, vous venez de l'avoir, vous venez de l'entendre. HORACE. Hé bien mon Frère, ce n'est pas la première fois. ALDOBRANDIN. Je suis sûr que vous la trouvez toujours plus charmante. HORACE. Assurément. ALDOBRANDIN. La voilà dans un âge où un mari ne lui siérait pas mal. HORACE. Vous avez raison. ALDOBRANDIN. Sa beauté est dans tout son éclat, rien n'y manque, et je gage que vous n'en connaissez guère de plus touchante. HORACE. Il est vrai. ALDOBRANDIN. Vous voyez la bonté de son esprit, sa douceur, sa docilité pour tout ce que je veux. HORACE. Il me semble que vous devez en être assez content. ALDOBRANDIN. Vous savez de plus, que je suis son tuteur, et que la volonté de ses parents me laisse le maître de disposer de son sort. HORACE. Eh bien que concluez-vous? ALDOBRANDIN. Que j'aurais grand tort de ne pas recueillir moi-même le fruit des soins que j'ai pris d'elle depuis son enfance, et que ce sera l'action d'un homme sage de l'épouser plutôt que plus tard. HORACE. Ce n'est pas tout à fait ce que je concluais moi. ALDOBRANDIN. Pourquoi donc s'il vous plaît ? HORACE. Seigneur Aldobrandin, vous n'êtes point jeune. ALDOBRANDIN. Je ne suis pas vieux. HORACE. Vous êtes avare. ALDOBRANDIN. Dites que je ne suis pas dissipateur. HORACE. Vous êtes jaloux. ALDOBRANDIN. J'en conviens. HORACE. D'où je conclus, Monsieur mon frère, que rien n'est plus imprudent que le dessein de ce mariage, et que vous vous préparez à des accidents dont personne ne vous plaindrait. ALDOBRANDIN. [Note : Muguet : galant, coquet, qui fait l'amour aux Dames, qui est paré et bien mis pour leur plaire. [F]]Vous n'y entendez rien, mon frère, je n'ai plus qu'un reste de jeunesse, je n'ai point de temps à perdre. Je ne suis pas dissipateur, une personne élevée dans la simplicité et accoutumée à la retraite comme Lucelle ne dérangera pas mon économie. Je suis Jaloux, d'accord : La jalousie sera mon repos et ma sûreté, et je prendrai de si bonnes mesures que je défie tout les muguets de Florence de me jouer le moindre petit tour. HORACE. Ne défiez pas tant, mon frère, ne défiez pas tant, un Jaloux est déjà plus d'à demi trompé. ALDOBRANDIN. Oh, je ne donne point dans vos belles maximes ; vous croyez, vous, que la grande précaution avec une femme c'est la confiance. Que la plus grande garde c'est la vertu ? Je soutiens moi qu'il n'y en a point de plus mauvaise, et que la femme la plus sage est toujours celle à qui on ôte les moyens de faillir. HORACE. Oui, si on pouvait les lui ôter tous, mais vous seriez le premier qui auriez trouvé ce secret. ALDOBRANDIN. Le premier, soit ; comptez du moins que je n'y épargnerai rien. J'attends dès aujourd'hui de Boulogne une personne admirable pour veiller sur une jeune femme, où un de nos amis communs, que j'avais chargé de cette recherche, m'assure que c'est un prodige dans ce genre, et qu'elle a déjà formé trois ou quatre Lucreces dans la Ville qui y ont mis la vertu à la mode. HORACE. Eh ! Mon frère, on trompe tous les jours ces Argus-là, et souvent ce sont eux les premiers qui nous trompent. ALDOBRANDIN. Nous y prendrons garde ; de plus je veux faire accommoder cette maison à ma fantaisie, et retrancher exactement toutes les vues qu'elle a sur la Place, n'y laisser des fenêtres que sur le jardin, dont je ferai encore élever les murs le plus haut qu'il me sera possible, et c'est pour en être le maître que je veux acheter la maison. J'ai fait prier le Seigneur Zima, dont je la tiens, de vouloir bien passer ici, et j'espère conclure le marché tout à l'heure. HORACE. Le Marché sera difficile. Je vous ai déjà dit que vous êtes avare. ALDOBRANDIN. À la bonne heure. Mais il est magnifique lui, il n'y regardera pas de si près. Vous le dirai je ? C'est pour me débarrasser de lui-même, que j'achète sa maison. Il vient souvent ici sous divers prétextes pour épier l'occasion de parler à Lucelle, il n'en est pas encore venu à bout : D'ailleurs, il donne tous les jours des fêtes dans la place ; toutes les nuits des sérénades. Lucelle prend plaisir à tout cela, et il faut une bonne fois me délivrer de cette inquiétude. HORACE. Je crains que vous ne vous y preniez trop tard, ce ne sera pas un bon moyen de plaire à Lucelle que de lui ôter cette petite récréation. ALDOBRANDIN. Elle en aura, d'autres, mon frère, car enfin je l'épouse au premier jour, le parti en est pris, et le Contrat est déjà dressé chez mon notaire. HORACE. [Note : Duègne : Gouvernante chargée de veiller sur la conduite d'une jeune personne. [L]]Adieu donc Seigneur Aldobrandin. Vous concluez ce mariage contre mon avis, mais malgré vos duègnes et vos barricades, vous ne tarderez guère à vous en repentir. ALDOBRANDIN. C'est mon affaire... HORACE. Les amants sont bien ingénieux, mon frère. ALDOBRANDIN. Je les mets au pis. HORACE. Les Jaloux sont bien haïs, mon frère. ALDOBRANDIN. Les jaloux s'en moquent. HORACE. Je suis fâché de la petite disgrâce qui vous menace. ALDOBRANDIN. Votre front ne payera pas pour le mien. HORACE. Tout Florence en rira de bon coeur. ALDOBRANDIN. Et vous, vous en riez d'avance ? HORACE. Je vous avoue que j'ai bien de la peine à m'en empêcher et telle est l'étoile d'un jaloux ; tout votre frère que je suis, je crois que j'aiderais moi-même à vous tromper. ALDOBRANDIN. En vous remerciant, mon frère, mais j'irai mon train, malgré vos plaisanteries, et je retourne de ce pas à Lucelle pour lui annoncer l'honneur que je lui fais. SCÈNE II. HORACE, seul. Le pauvre homme, il va faire une sottise. Je sais que Lucelle ne l'aime point. Elle va être malheureuse, et son père m'a conjuré en mourant de veiller à son bonheur ; que ne puis-je pour elle et pour mon frère empêcher ce ridicule mariage, je m'y tiendrais obligé en conscience. SCÈNE III. Horace, Zima. HORACE. Ah ! Vous voilà, Seigneur Zima, mon frère va se rendre ici tout à l'heure, il a quelque affaire à traiter avec vous. ZIMA. Il est avec Lucelle, n'est-ce pas ? HORACE. Lucelle vous vient d'abord dans l'esprit. Cela signifie quelque chose, Seigneur Zima ! ZIMA. Cela signifie seulement qu'on est instruit de son attachement pour Elle. HORACE. Cela ne signifierait-il pas encore qu'on la trouve belle et qu'on porte envie à la fortune d'un homme qui la voit à toute heure ? Vous me répondez plus que vous ne pensez, par votre peu d'attention à ce que je dis. Vous tournez les yeux de toutes parts dans l'espérance de voir Lucelle. ZIMA. Je suis un peu distrait. HORACE. Eh ! Que ne dites-vous amoureux ? ZIMA. Vous êtes bien pressant, Seigneur Horace. HORACE. Et vous bien dissimulé. Je gagerais volontiers mille pistoles contre votre beau cheval d'Espagne que vous en voulez à Lucelle. ZIMA. Vous avez gagné Seigneur Horace, je vous enverrai le cheval dès que je serai de retour chez moi. HORACE. Non pas s'il vous plaît, j'avais trop beau jeu. Vous l'aimez donc enfin ? Et c'est bien fait : Mais vous en tiendrez-vous là ? Laisserez-vous la plus belle fille de Florence au pouvoir de l'homme qui le mérite le moins ? Fi cela serait honteux. Vous vous étonnez que je vous parle ainsi ; je suis frère d'Aldobrandin, mais c'est pour cela que je m'intéresse à la sottise qu'il est prêt de faire ; s'il épouse Lucelle voilà deux malheureux : une jeune fille dans l'esclavage, cela vous fait pitié ; mon pauvre frère dans un trouble éternel, cela me touche. Allons courage, Seigneur Zima, délivrez mon frère de ce danger, et assurez par un bon mariage votre bonheur et celui de Lucelle. Il vous en coûte un argent infini dans toutes vos fêtes qui ne vont tout au plus qu'à être aperçues de Lucelle. Vaudrait-il pas mieux l'employer à de bons stratagèmes pour la tirer des mains d'un jaloux ? Courage, vous dis je, rétablissez un peu l'honneur de la galanterie, il y a longtemps que nos amants n'ont fait parler d'eux à Florence. ZIMA. C'en est fait, je n'ai plus de défiance, je vois que vous êtes un bon parent. Il faut répondre à vos intentions, et je vais vous ouvrir mon coeur. Il y a six mois que pour la première fois j'aperçus Lucelle à sa fenêtre, j'en fus frappé jusqu'au fond du coeur, mais le farouche Aldobrandin était avec elle, il ne me laissa jouir qu'un moment d'une vue dont il craignit sans doute l'impression qu'elle fit sur moi. Lucelle disparut, et me laissa le plus amoureux de tous les hommes. Depuis ce commencement je n'ai songé qu'à la revoir, toutes mes fêtes n'ont d'autres objets que de l'engager à reparaître ; je l'ai revue quelques fois en effet, mais toujours avec ce maudit Aldobrandin qui ne levait presque point les yeux de dessus elle ; si par hasard pourtant il regardait un petit moment la fête, il me semble qu'alors Lucelle ne regardait que moi ; plaire à l'amour que je ne me trompe point : mais pour peu, qu'elle m'ait vu, elle ne saurait douter que je ne l'adore : Je n'ai pu jusqu'ici l'assurer mieux de mon amour ; mais heureusement il vient de s'offrir une occasion favorable que j'ai crû ne pouvoir trop acheter : Une femme arrivée de Boulogne a demandé à mon Valet votre demeure et celle d'Aldobrandin ; de question en question, ( car il est curieux ) il a appris qu'un ami l'adressait à votre frère pour la mettre auprès de Lucelle comme une gouvernante incorruptible. Scapin m'a averti de sa découverte ; avec bien des prières et un diamant de dix mille écus, j'ai enfin résolu cette femme à n'entrer chez Aldobrandin que pour m'y servir. Elle m'attend chez moi. HORACE. Je vais la trouver, et je veux l'introduire moi même ; je prends l'aventure sur mon compte, c'est un service que je dois à mon frère ; adieu, j'entends du bruit, c'est lui sans doute. SCÈNE IV. Zima, Aldobrandin. ALDOBRANDIN. Ah ! Seigneur, je suis charmé de vous voir, je vous ai prié de vouloir bien passer ici j'ai, un marché à faire avec vous, ou plutôt j'ai une grâce à vous demander. ZIMA. Parlez Seigneur, je suis trop heureux si je puis, vous obliger en quelque chose. ALDOBRANDIN. Vous le pouvez, et je compte beaucoup sur cette politesse magnifique que tout le monde vous connaît. ZIMA. De quoi s'agit-il ? ALDOBRANDIN. Je voudrais acheter votre maison ; j'ai dessein d'y faire mille accommodements où vous ne consentiriez peut-être pas, et que je ne dois pas risquer sur le fond d'autrui, je suis prêt de vous en donner un prix raisonnable : que m'en demandez-vous ? ZIMA. Écoutez, Seigneur Aldobrandin : C'est un bien de mes pères, j'ai de la répugnance à m'en désaisir, mais pour un ami que ne fait on pas ? Cette Acquisition vous tient-elle bien au coeur ? ALDOBRANDIN. On ne peut pas plus. ZIMA. Il faut donc sacrifier mes répugnances, et relâcher même beaucoup de mes intérêts. Vous ne sauriez m'en donner moins de vingt-cinq mille écus. ALDOBRANDIN. Vous n'y songez pas, Seigneur, vous parlez, d'obliger, et vous m'en demandez un prix exorbitant, allons, quinze mille écus et finirons. ZIMA. Vous vous moquez aussi, ce serait vous donner la maison, et vous croiriez l'avoir achetée ; encore vaudrait il mieux que vous m'en eussiez toute l'obligation. ALDOBRANDIN. Non s'il vous plaît, quinze mille écus, et je vous serai obligé tant qu'il vous plaira pour le reste. ZIMA. Attendez Seigneur Aldobrandin, il me passe une folie par la tête. ALDOBRANDIN. Quoi donc ? ZIMA. Vous allez vous moquer de moi ! Mais à quoi sert le Bien, qu'à satisfaire ses caprices ? ALDOBRANDIN. Expliquez-vous. ZIMA. On dit que vous avez chez vous une personne admirable, que Lucelle est un prodige d'esprit et de beauté. ALDOBRANDIN. Eh bien, qu'a de commun ce prodige avec votre maison ? ZIMA. Le voici. C'est que la Maison est à vous si... Je ris de ma fantaisie, si... ALDOBRANDIN. Si... ZIMA. Si vous m'accordez un quart d'heure d'entretien avec Lucelle, et déterminez vous, il ne s'agit plus de vingt cinq mille écus, je n'abandonne plus ma maison qu'à ce prix. ALDOBRANDIN. En vérité, Seigneur Zima, la proposition est trop folle, si elle est sérieuse. Quoi donc, me croyez-vous homme à commettre mon honneur et celui de Lucelle ? Non, non, vous me connaissez mal. Finissons, il n'y a plus rien entre nous. ZIMA. Vous vous épouvantez trop tôt ; j'imagine des conditions qui vont vous rassurer. ALDOBRANDIN. Voyons. ZIMA. Comme je ne veux point attaquer sa sagesse, je consens que vous soyez présent. ALDOBRANDIN. Cela change l'affaire. ZIMA. Vous vous placerez de façon qu'aucune nos actions ne vous échappe ; il me suffit que vous n'entendiez pas nos discours. C'est un caprice qu'il faut contenter ; quoi qu'il m'en coûte, je veux faire ma cour aux Dames par ce trait de galanterie qui n'a point encore eu d'exemple, et qu'on sache partout quel cas je fais de leur mérite, puisque j'achète si cher un quart d'heure d'entretien avec une belle. ALDOBRANDIN. Ma foi, Seigneur Zima, la rareté du fait me pique aussi. Il est juste que vos caprices vous coûtent, et peut-être l'aventure vous corrigera-t-elle. Passez dans mon cabinet, signez moi une bonne cession de la maison. Je vais faire venir Lucelle, et la montre sur la table, vous viendrez l'entretenir tout votre quart d'heure en ma présence. Songez bien que ce sont-là nos conditions précises ; et de plus, j'exige votre parole de ne lui rien dire qu'une fille sage ne puisse entendre. ZIMA. Allez donne. SCÈNE V. ALDOBRANDIN, seul. La bonne dupe. Il ne s'attend pas au tour que je vais lui jouer. Je lui tiendrai exactement parole, et il n'en fera pas plus content. Que les jeunes gens sont fous ! SCÈNE VI. Aldobrandin, Lucelle. ALDOBRANDIN. Venez Lucelle, vous savez mes desseins : je vais être votre époux au premier jour, et les soumissions que vous avez toujours fait voir pour mes volontés, vont devenir pour vous un devoir encore plus indispensable. LUCELLE. Puisque c'est un devoir, vous y pouvez compter. ALDOBRANDIN. Voilà parler en fille raisonnable, et je ne puis trop m'applaudir de mes soins, comptez aussi sur tout l'amour que mérite une docilité si touchante, et que je ne négligerai rien pour vous rendre heureuse. LUCELLE. Hélas ! Que n'est-il aussi aisé d'être heureuse que d'être sage. ALDOBRANDIN. Votre bonheur est en bonnes mains, j'en fais mon affaire. Voici à présent ce que j'exige de vous, il m'importe pour certain intérêt, que vous saurez, que le Seigneur Zima vous entretienne un quart d'heure ; j'y ai consenti. Je ne sais ce qu'il a à vous dire, je me suis engagé à ne point l'entendre. Je serai présent ; j'observerai toutes vos actions , et je veux que, les yeux toujours attachés sur moi, vous le laissiez parler tant qu'il lui plaira sans lui répondre un seul mot. LUCELLE. Quoi, pas un seul mot ? ALDOBRANDIN. Pas un seul, il faut m'obéir à la lettre. LUCELLE. Voilà qui est bien bizarre ; et que dira-t-il de moi ? ALDOBRANDIN. Que vous importe, ne vous suffit-il pas de ce que j'en pense ? Songez que désormais rien ne vous doit intéresser dans le monde que mes sentiments. LUCELLE. Ma dessinée le veut, il faut bien vous complaire. ALDOBRANDIN. Arrangeons un peu tout ceci. Voilà votre place, et voilà la sienne, et moi j'observerai d'ici. Les yeux sur moi, prenez y garde. SCèNE VII. Zima, Lucelle, Aldobrandin. ZIMA. TEnez, voilà la cession en bonne forme, lisez. ALDOBRANDIN. On ne peut pas mieux. Voici aussi Lucelle prête à vous écouter, regardez bien quelle heure il est à cette montre, sept heures dix minutes, dix minutes, la voilà sur la table, ne perdez rien de votre quart-d'heure. ZIMA. Les moments me sont précieux, Charmante Lucelle, mais heureusement tout vous a déjà dit que je vous adore, toutes mes fêtes ont été des déclarations assez éclatantes ; et il ne me reste à vous demander pour prix de mon amour, que vous avez daigné l'apercevoir ; parlez de grâce, parlez, dites un mot. Si cet amour vous offense, je me retire dans le moment : Mais si vous l'avez vu avec quelque bonté, il n'est rien que je n'entreprenne pour mériter un plus grand bonheur. ALDOBRANDIN. Je ne me sens pas de joie. ZIMA. Vous ne me répondez rien ; quelle froideur, que dis je, quel mépris injurieux dans ce silence ! Ah , vous n'êtes pas capable d'un dédain si grossier, c'est sans doute un jaloux qui vous gêne et qui m'envie jusqu'à la douceur de votre voix. Seigneur Aldobrandin ! ALDOBRANDIN. Ne vous interrompez pas, les moments s'écoulent bien vite. ZIMA. Il est donc vrai qu'Aldobrandin vous défend de me répondre : je ne saurais croire que vous vouliez lui complaire à ce point, par un véritable attachement pour lui : il en est indigne ; préféreriez vous un tyran qui n'imagine de plaisir que votre possession, sans s'embarrasser du bonheur de vous plaire, à un homme qui voudrait payer de mille vies le moindre de vos sentiments ? ALDOBRANDIN. J'ai toutes les peines du monde à m'empêcher d'éclater. ZIMA. Non, vous n'aimez point Aldobrandin, vous lui obéissez malgré vous ; mais sa précaution est inutile, et il ne tiendra qu'à vous de la rendre vaine. ALDOBRANDIN. J'ai déjà quatre minutes sur la maison. ZIMA. Je vais me parler pour vous, charmante Lucelle, vous pourrez désavouer d'un geste tout ce que j'oserai me dire. Je m'arrête au moindre signe. Mais trouvez bon que je prenne votre silence pour un aveu et que je m'y conforme comme à un ordre inviolable. ALDOBRANDIN. Cela est trop plaisant. ZIMA. Oui Zima (C'est vous qui me parlez Madame) J'ai vu vôtre amour, et je vous avoue même que j'en ai été touchée ; mais je dépends d'Aldobrandin, il est le maître de disposer de mon sort, je ne veux pas m'abandonner a une inclination qui ne saurait être heureuse. Qui ne saurait être heureuse dites-vous ? Quoi donc est-il impossible de vous tirer des mains d'un jaloux ? Consentez-y seulement, je romprai votre esclavage. Et si je vous mets en liberté de recevoir ma foi, et de m'engager la vôtre, vous refuserez-vous au plus amoureux et au plus fidèle de tous les hommes ? Non Zima, mais je n'ose me flatter du succès, et s'il manquait, à quel état m'auriez, vous réduite ? Ah ! Que vous m'enflammez encore par de pareils discours. Car enfin, c'est vous qui me parlez : Ne craignez rien, il suffit d'éluder quelque temps les instances du jaloux, différez seulement le mariage qui vous menace. C'est à moi de le prévenir, et et je vous en réponds au péril de ma vie. Seigneur Aldobrandin ! ALDOBRANDIN. Qu'est-ce ? Vos affaires ne vont-elles pas bien ? ZIMA. Vous y avez mis bon ordre. ALDOBRANDIN. Ne vous découragez pas. ZIMA. Je vous avertis déjà, qu'il va arriver ici une femme qui a toute ma confiance, et à qui vous pouvez donner la vôtre, le frère d'Aldobrandin est lui-même de notre intelligence ; c'est à vous de seconder nos vues puisque vous m'aimez, (car vous ne m'en désavouez pas;) votre vertu même doit tout tenter pour n'être qu'à moi. Soyez content Zima, achevez. Madame, j'attends vos ordres. Soyez content, il ne m'est pas échappé le moindre geste de désaveu, j'ai toujours eu les yeux sur mon jaloux, mais c'était pour le mieux surprendre : achevez ce que vous avez commencé, et délivrez-moi dès aujourd'hui s'il est possible de l'horreur de le revoir. J'y vais travailler de ce pas. Je me rends, Seigneur Aldobrandin, la maison est à vous, je ne la tiens pas trop bien gagnée, je la mets sur votre conscience. ALDOBRANDIN. Pourquoi vous pressez-vous tant ? Il vous reste encore cinq bonnes minutes. ZIMA. M'en resta-t-il vingt ; que m'importe, j'en ferais grand marché à qui les voudrait, et qu'en faire auprès d'une statue dont on ne saurait tirer un mot ? ALDOBRANDIN. Elle est un peu silencieuse, mais vous en revanche je crois que vous lui avez dit de jolies choses. ZIMA. Me voilà guéri pour jamais de l'entretien des Dames. ALDOBRANDIN. Vous réussirez mieux une autre fois. ZIMA. Adieu, gardez la maison, mais je vous avertis que j'y sais un Trésor que je n'ai pas prétendu mettre dans notre marché, et que je m'y réserve tout mes droits. ALDOBRANDIN. Bon, un Trésor ! Belle chimère ! En tout cas nous verrons.. ZIMA. Adieu, Madame ; jugez combien je suis charmé de votre conversation, il n'y a pas un mot à perdre. SCÈNE VIII. Aldobrandin, Lucelle. ALDOBRANDIN. Le pauvre sot te croit sans doute une imbécile, je suis charmé de ta complaisance, tu as joué ton rôle à merveille ; allons serrer la cession, et rire ensemble de sa duperie. LUCELLE. Je vous assure que j'en ris encore de meilleur coeur que vous. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. LUCELLE, seule. Je me dérobe un moment d'Aldobrandin, pour soupire[r] seule en liberté. Que je le haïs depuis que Zima m'a parlé ! Qu'allais-je faire ? Je me livrais à mon persécuteur. La passion de Zima m'a fait sentir tout mon péril. Amour, protège mon amant et rends le fidèle : abrège les moments où je suis encore forcée de feindre ; je ne suis pas faite pour l'artifice, et tout légitime qu'il est pour me tirer d'esclavage, je souffre même à tromper mon tyran. Plaise à l'Amour que ce soit le dernier malheur de ma vie. SCÈNE II. Aldobrandin, Lucelle. ALDOBRANDIN. Oui, ma chère Lucelle, je suis charmé de la joie que vous a donné l'étourderie de Zima : vous en riez encore, et vous voyez par là ce que c'est que les jeunes gens ; il lui en coûte sa maison pour s'être fait moquer de lui ; et voilà comme ils sont tous faits. Rien ne leur coûte, à la moindre fantaisie qui leur passe par la tête ; tout est sacrifié au moment présent ; ils appellent cette dissipation, Magnificence ; mais cela ne va pas loin, et une pauvre Fille qui s'y laisse prendre est souvent surprise de ne trouver qu'un mari ruiné dans l'amant magnifique. LUCELLE. Oh ! Je vois bien, qu'un jeune homme n'est point le fait d'une jeune fille. ALDOBRANDIN. Point du tout ; ils ont tant de mauvaises qualités, car ce n'est pas tout que leur dissipation, leur inconstance est encore pis : à peine sont-ils trois mois les maris de leurs femmes ; après quelque mois de passion et quelques semaines de complaisance, un mépris marqué succède à leur empressement ; ils se trouvent trop aimables pour se réduire à ne faire que le bonheur d'une seule épouse ; ils courent de conquête en conquête, et ces petits Messieurs-là ne se croient de mérite qu'à proportion de leurs perfidies. LUCELLE. Bon Dieu qu'ils sont haïssables ! ALDOBRANDIN. Plus qu'on ne saurait croire. Vous êtes trop heureuse, Lucelle, que par le choix que je fais de vous, je vous mette à couvert de tous ces dangers : vous méritiez un homme de ma prudence et de mon âge, qui veille sans relâche à votre fortune, et de qui la maturité vous répondit d'un attachement solide. LUCELLE. Quelle comparaison de votre conversation à celle de Zima ! ALDOBRANDIN. Je crois qu'il t'a bien ennuyé. LUCELLE. Aussi je vous assure que je fais une grande différence de vous à lui, et vous le verrez bientôt par ma conduite. ALDOBRANDIN. J'ai fait là une bonne éducation. J'entends quelqu'un, c'est Horace. SCÈNE III. Aldobrandin, Horace, La Gouvernante, Lucelle. HORACE. Oui, mon frère, je vous amène la gouvernante que notre ami commun vous envoie ; il me mande que c'est un trésor, et que vous pouvez entièrement vous reposer à sa vigilance et à sa discrétion. ALDOBRANDIN. Elle a en effet l'air fort raisonnable ; sa physionomie respire la vertu. Vous rougissez ? LA GOUVERNANTE. C'est ma manière ordinaire de répondre aux louanges, je n'ai pu encore m'en corriger. Voici, Seigneur, une Lettre du Seigneur Albert de Bologne, je vous conseille de vous en fier plus à lui qu'à ma physionomie. ALDOBRANDIN. Il lit. Voyons... La personne que je vous adresse est admirable pour sa vigilance et ses bons conseils, elle a fait ici la sûreté de plusieurs maris ; je souhaite qu'elle fasse aussi la vôtre. C'est la chose du monde la plus rare qu'une gouvernante incorruptible ; il y a bien des aventures qui ne donnent pas bonne opinion de leur fidélité ; mais celle-ci est le désespoir des amants, elle a gouverné trois ou quatre femmes qui sont mortes au bout de quatre mois de mariage. Pendant tout ce temps il n'y a as eu le moindre soupçon sur leur vertu ; quelques uns disaient qu'elle les avait fait mourir de chagrin, mais en tout cas pour un jaloux, il vaut encore mieux perdre sa femme que d'en être la dupe. Après qu'il a lu.Je connais son style, il fait le plaisant ; je crois pourtant qu'il a raison ; mais serait-il vrai, que vous eussiez fait mourir ces femmes de chagrin ? LA GOUVERNANTE. Hélas ! Ces mauvais plaisants ont grand tort. Moi ! Faire mourir de jeunes personnes que l'on ne confie. Moi ! La douceur même, moi ! Qui compte pour rien de prêcher la vertu si je ne la persuade ; que dis je ? Si je ne la fais pas aimer ; le Ciel de sa grâce m'en a accordé le talent ; oui, je vous tourne si bien un jeune coeur qu'en moins de rien j'y change le devoir en plaisir, et que j'ôte à tout ce qui est défendu le goût vif qu'on prétend que la défense lui donne, je ne le dis pas pour me vanter, mais faut rendre grâces au Ciel de ses dons. ALDOBRANDIN. Voilà vraiment de belles maximes, je suis fort obligé au Seigneur Albert, et je ne saurais remettre en de meilleures mains ce que j'ai de plus cher au monde. Voilà la personne quel j'épouse et que je remets dès ce moment sous votre conduite. LA GOUVERNANTE. Quoi, Seigneur ! C'est là votre future épouse ? ALDOBRANDIN. Oui, qu'en dites vous ? LA GOUVERNANTE. Ce que j'en dis ? Que sur son air, je me sens presque inutile auprès d'elle, que mes conseils sont déjà dans le fond de son coeur, et qu'il s'est déjà dit ce que je pourrai lui dire. ALDOBRANDIN. Vous pensez bien d'elle, et elle le mérite. LUCELLE. Non, Madame, vous ne vous trompez pas ; je sais et je sens tout ce que je devrai à un époux ; et celui qui veut être le mien, doit s'assurer que son amour seul fera plus sur moi, que tous les surveillants du monde. ALDOBRANDIN. Elle m'enchante. HORACE. J'en suis bien aise, et malgré l'avis dont j'étais tantôt, je commence à être très content de tout ceci. ALDOBRANDIN. Je savais bien que j'avais raison. LA GOUVERNANTE. Non, Seigneur, il faut l'avouer, ce ne sont point les grilles ni les verrous, ni la vigilance des gouvernantes qui font la sûreté d'un mari. Quand c'est tyrannie de sa part, une femme trouve bientôt moyen de s'en venger ; mais une femme sage doit les souhaiter pour sa propre gloire ; on la soupçonne aisément, quand elle a la facilité de faillir ; il faut qu'elle s'en ôte scrupuleusement toutes les occasions pour faire taire la médisance ; tenez, Mademoiselle, par exemple, est Personne à vous conjurer au premier jour de prendre toutes les précautions de la jalousie, non pas pour votre tranquillité, mais pour la sienne. ALDOBRANDIN. Oh, j'aurai là-dessus toutes les complaisances qu'elle voudra. LA GOUVERNANTE. Quelle douceur pour une femme vertueuse de n'être point assiégée par ces galants de profession , qui outragent dès le premier abord par espérance qu'ils ont de nous séduire, qui se vantent indiscrètement de leurs succès, et qui, quand on les rebute, ont encore la perfidie d'en laisser douter. Cela est indigne, quand il n'y n'y aurait que l'ennui de leur mauvais compliments, je fuirais au bout du monde pour les éviter ; je m'échauffe, je vous en demande pardon, mais l'honneur des femmes est si précieux ! HORACE. Mon frère, j'aperçois Zima dans votre antichambre. ALDOBRANDIN. Que me veut-il, et pourquoi l'a-t-on laissé entrer ? HORACE. Bon, un homme qui a toujours l'argent à la main, trouve-t-il des portes fermées ? Je gage qu'il épie le moment de parler à la gouvernante : il me vient une idée. ALDOBRANDIN. Quelle idée ? HORACE. N'est-il pas plaisant, que je sois plus soupçonneux que vous ? ALDOBRANDIN. Comment ? HORACE. Cette Femme tient à la vérité les plus beaux discours du monde, mais après tout ; ce sont des discours ; l'effet est peut-être bien différent. Voici une belle occasion de l'éprouver, feignez de rentrer, et laissez-la dans cette chambre. Zima va l'aborder, sans doute, nous les observerons, vous verrez par vous même si elle est personne à se laisser séduire. ALDOBRANDIN. C'est bien avisé, mon frère... Attendez ici un moment je vous rejoins tout à l'heure. HORACE, bas. Songez à vous, on vous écoute. LA GOUVERNANTE. Ce n'est pas mon coup d'essai. Qu'il y a de plaisir à tromper un jaloux ! SCÈNE IV. Zima, La Gouvernante, Horace, et Aldobrandin. ZIMA. Est-elle seule ? LA GOUVERNANTE. Qu'est ce ? Un jeune Homme ose entrer jusqu'ici, oh, oh, le bon ordre n'est pas encore ans cette maison, il faudra l'y mettre ; halte là Seigneur, que cherchez-vous ? Bas. Prenez garde on nous observe, faites semblant de me vouloir corrompre, vous allez voir un dragon de vertu. ZIMA. Êtes-vous de cette maison, ma bonne Dame ? LA GOUVERNANTE. Oui, Monsieur : à qui en voulez-vous vous dis-je, avez vous quelque chose à me dire [?] ZIMA, bas. Oui, dans un moment... Vous êtes nouvelle ici ce me semble ? LA GOUVERNANTE. Je n'y suis que d'aujourd'hui ; mais vous l'on m'en veut croire, vous y venez pour la dernière fois. ZIMA. Pourquoi le prendre d'un ton si sauvage ? LA GOUVERNANTE. C'est que vous le prenez vous d'un ton trop doucereux, vous avez l'air d'un amant, et mon devoir est d'écarter tous ceux qui vous ressemblent. ZIMA, bas. J'ai gagné le notaire. LA GOUVERNANTE. Bon. ZIMA, bas. Je suis ravi de vous savoir auprès de Lucelle, vous me paraissez une personne fort raisonnable, et je crois que vous la serviriez volontiers si elle avait quelque inclination honnête. LA GOUVERNANTE. Qu'appelez-vous quelque inclination honnête ? Ne savez vous pas qu'elle épouse Aldobrandin, et qu'il n'y a plus rien d'honnête pour elle, que de l'aimer uniquement ? ZIMA, bas. Avertis-la qu'elle peut signer aveuglément tout ce qu'on lui présentera, nous sommes d'accord... Haut. Mais elle ne l'a pas encore épousé, et peut-être qu'un jeune homme bien amoureux, bien riche, bien magnifique serait mieux le fait de Lucelle que son vieux tuteur... Bas. Il faut résoudre Aldobrandin à conclure dès ce soir, ce sera le moment de notre bonheur. LA GOUVERNANTE. Parlez tout haut, Monsieur, parlez tout haut. Ces tous bas-là marquent toujours de mauvaises intentions. ZIMA. Doucement, doucement, ma vénérable dame ; mille pistoles, deux mille pistoles ne vous croient-ils pas trouver mes intentions meilleures ? LA GOUVERNANTE. Comment mille pistoles ! Deux mille pistoles ! Ah ! C'est où je vous attendais. Vous voilà donc un amant déclaré ; sachez que vous m'en donneriez cent mille, je ne vous servirais pas mieux que je fais : je sais pourquoi je suis entrée dans cette maison, et ce qu'on s'y promet de moi, je ferai mon devoir, et j'en sortirai à mon honneur, sur ma parole. ZIMA. Vous êtes bien inflexible. LA GOUVERNANTE. C'est une chose affreuse que ces chercheurs d'aventure, cela met le trouble dans une ville. Y a-t-il une personne aimable dans une maison ? La voilà le but de cent complots criminels. Les pauvres maris ne sauraient dormir en repos, et la République n'y mets pas ordre ; hélas ! ZIMA. Tenez toutes ces invectives là ne vous enrichiront pas, et je serais homme à le faire moi si vous le vouliez. LA GOUVERNANTE. M'enrichir moi ! M'enrichir ! Ah ! Peut-on outrager à ce point, une personne de mon caractère. Non, non détrompez-vous. Mes richesses, mon trésor, ma couronne, c'est la vertu des femmes que je gouverne, et le repos de ceux qui me les confient. Vous me connaissez, cherchez fortune ailleurs, gardez vos présents pour qui vous servira. Vous voyez comme je m'y prends pour vous seconder, comptez que je serai toujours la même. ZIMA. Il faut que je sois bien malheureux ! Qui a jamais vu Gouvernante refuser deux mille pistoles ? SCÈNE V. Aldobrandin, Horace, La Gouvernante. ALDOBRANDIN. NOn je n'ai jamais senti plus de joie. Il faut avouer que vous êtes une femme merveilleuse. LA GOUVERNANTE. Quoi, vous m'écoutiez ? ALDOBRANDIN. Si je vous écoutais ! Avec ravissement. Je ne saurais m'en tenir, il faut que je vous embrasse. LA GOUVERNANTE. Dispensez m'en s'il vous plaît. La pudeur ne permet pas ces sort[e]s de reconnaissances. ALDOBRANDIN. Vous vous moquez, c'est pousser la pudeur trop loin. LA GOUVERNANTE. Oh ! Dans cette matière le scrupule est d'obligation. ALDOBRANDIN. Ma foi, vous m'inspirez presqu'autant de respect que de confiance. Vous avez traité le Seigneur Zima de manière que je ne pense pas qu'il y revienne. LA GOUVERNANTE. Je ne lui ai pourtant dit que des choses fort raisonnables, et tout cela en conscience pour assurer à Lucelle un mari, qui la rende heureuse, et la délivre d'un persécuteur qui n'en est pas digne. ALDOBRANDIN. Mon frère, ce zèle, n'est-il pas admirable ? HORACE. Vous êtes trop heureux , je ne crains plus pour vous de disgrâce conjugale, je vois que tout concourt à vous en affranchir, je n'espérais pas que les choses se tournassent si heureusement. LA GOUVERNANTE. Et moi malgré la confiance, je crains tout encore. ALDOBRANDIN. Comment ? LA GOUVERNANTE. Vous n'êtes point encore le mari de Lucelle, Zima le sait, il est homme à ne rien négliger pour vous l'enlever ; de la façon dont il s'y prend on vient à bout de tout ; m'en croirez vous ? Je lui ôterai au plutôt toute espérance. Quand vous proposez-vous d'épouser ? ALDOBRANDIN. Dans huit jours au plus tard, après l'arrangement de quelques affaires. LA GOUVERNANTE. Quoi donc ! En avez vous de plus importantes tes que celle-ci ? Huit jours de délai ! Vous m'effrayez, Zima peut les mettre à profit, et il n'aura pas d'autres affaires, lui. Croyez moi, vous dis-je, épousez dès ce soir, qu'on le sache aussi par toute la ville ; que Zima perde tout espoir ; c'est le seul moyen d'arrêter toutes ses poursuites, et même d'éteindre son amour. On connaît les jeunes gens, ils n'aiment qu'autant qu'ils espèrent. ALDOBRANDIN. Je me rends de bon coeur à un ami si sage, allez mon frère, allez vous-même chercher le notaire, qu'il apporte le contrat, nous le signerons tout à l'heure. HORACE. J'y vais. SCÈNE VI. Aldobrandin, Lucelle, La Gouvernante. ALDOBRANDIN. Lucelle. LUCELLE. Que vous plaît-il ? ALDOBRANDIN. J'avance, ma chère enfant, l'instant de notre bonheur ; on est allé chercher le notaire, et je vous épouse dès ce soir. LUCELLE. Dès ce soir, Seigneur ! Vous me surprenez, ne m'aviez vous pas promis quelques jours pour me préparer à ce changement d'état ? LA GOUVERNANTE. Je vois que vous vous alarmez Mademoiselle, et c'est une bonne marque ; une fille bien élevée comme vous, ne passe pas à l'état de femme sans émotion, il lui faut quelques jours pour y accoutumer sa pudeur, mais nous avons eu des raisons de hâter l'affaire, et cela pour vous assurer l'époux que vous souhaitez. LUCELLE. Mais, quoi ? Cela est-il si pressé ? LA GOUVERNANTE. Oui. C'est moi même qui ai conseillé au Seigneur Aldobrandin de conclure dès ce soir, il faut bien vous délivrer de la persécution, c'est pour votre vertu que l'on travaille. LUCELLE. Ce mot me ferme la bouche, et je consens à tout. ALDOBRANDIN. Va mignonne, je reconnaîtrai bien cette complaisance ; que nous allons être heureux ensemble ! Là, dis franchement, ne te sens-tu pas un peu d'amour pour moi ? LUCELLE. Ah ! C'est ce que je ne saurais vous dire ; cet amour n'est dû qu'à un époux, et un pareil aveu ne m'échappera qu'en donnant ma main. ALDOBRANDIN, à part. Quelle honnêteté ! Quelle bienséance ! SCÈNE VII. Aldobrandin, Horace, Lucelle, La Gouvernante, Le Notaire, Zima en clerc. HORACE. Vous êtes servi à point nommé mon frère. Voici le notaire et son clerc. LE NOTAIRE. Tenez, Seigneur Aldobrandin, le contrat était tout prêt, il est en bonne forme, vous pouvez le lire. ALDOBRANDIN. Fort bien, fort bien. LUCELLE. Quelle étrange figure ? LA GOUVERNANTE. C'est Zima. LUCELLE. Je tremble. ALDOBRANDIN. Cela est fort bien, nous n'avons qu'à signer. LE NOTAIRE, à un Laquais. Allons ; approchez cette table... Mettez-là votre nom, Seigneur. ALDOBRANDIN. Je n'ai jamais rien fait de si bon coeur. LE NOTAIRE. Et vous Mademoiselle mettez-y le vôtre ; allons point de timidité. LA GOUVERNANTE. Comptez que vous signez votre fortune. LE NOTAIRE. Signez aussi mon clerc, cela est d'usage ici ; voilà le premier contrat qu'il signe, cela lui portera bonheur. ALDOBRANDIN. Et vous, mon frère, vous n'étiez pas tantôt d'avis de ce mariage, vous signerez pourtant. HORACE. Ah ! De grand coeur, et j'en augure bien. LE NOTAIRE, Signant. Rien n'y manque plus. ZIMA. Il est donc temps de me découvrir. ALDOBRANDIN. Que vois-je ? C'est Zima ! ZIMA. Oui Seigneur Aldobrandin, je vous ai cédé ma maison, elle est bien employée ; mais voilà le trésor que je m'y réservais, et vous venez vous-même de le mettre en ma possession de la meilleure grâce du monde. ALDOBRANDIN. Qu'entends-je ? LUCELLE. Pardonnez-moi mon artifice, j'y sentais de la répugnance, mais il a bien fallu se résoudre cette petite dissimulation pour pouvoir être sincère toute ma vie. ALDOBRANDIN. Ah, perfide ! J'ai bien à faire de vos excuses ; mais quel est donc le contrat que j'ai signé ? LE NOTAIRE. Voilà celui que vous avez lu, et je lui ai substitué celui-ci que vous avez signé comme tuteur Monsieur, et Mademoiselle comme épouse... ALDOBRANDIN. Comment Monsieur le Notaire1, et qui a pu cous engager à me jouer ainsi ? LE NOTAIRE. C'est un avis de parents : Monsieur votre frère m'en a prié pour l'amour de vous : D'ailleurs Monsieur est si Magnifique, que l'on ne saurait lui rien refuser. ALDOBRANDIN. Tout m'a donc trahi ! HORACE. Non, mon frère, tout vous a servi ; vous alliez faire une sottise, vous en êtes quitte, et vous avez encore une maison de reste. LA GOUVERNANTE. Que de Maris voudraient se défaire de leur femmes à pareil prix ! SCÈNE VIII et DERNIÈRE. Les Acteurs précédents, Un Laquais. LE LAQUAIS. Monsieur, il y a là des instruments qui vous demandent. ALDOBRANDIN. Tiens Benêt, voilà pour tes instruments. Quoi ! Des fêtes dans ma maison ! ZIMA. Eh ! Seigneur Aldobrandin, trouvez bon qu'ils entrent ; j'aime mieux encore vous laisser la dot de Lucelle. ALDOBRANDIN. Ma foi Seigneur Zima le notaire avait raison, on ne saurait vous refuser. MARCHE DE PLUSIEURS NATIONS. [LE RÉCITANT DE LA MARCHE]. Le Ciel dans nos climats a versé ses largesses,Et nous venons de nos richesses.Offrir le tribut à vos yeux ;Quel emploi plus noble pour ellesQu'ont-elles de plus précieux, Que de pouvoir parer les belles. VAUDEVILLE. [LE CHANTEUR DU VAUDEVILLE]. Qu'un Empire a d'autorité. Quand notre penchant nous seconde, Tel est celui de la beauté ; Les belles sont les Rois du Monde. Beaux yeux dès que vous ordonnez Il faut qu'à vos lois tout réponde ; Les coeurs sont vos Esclaves nés ; Les belles sont les Rois du Monde. Il n'est courage ni fierté Qu'un regard charmant ne confonde : Hercule même en fut dompté ; Les belles sont les Rois du Monde. Vous pouvez avec un souris Troubler la Paix la plus profonde : Le plus Rebelle est bientôt prisV; Les belles sont les Rois du Monde. Vos Captifs aiment leur Prison, C'est en vain que la raison gronde : L'amour fait taire la raison ; es Belles sont les Rois du Monde. AIR A DANSER. AIR.Fuyez, fuyez, avares sentiments ;Fuyez, fuyez, jalouse frénésie :L'amour a maudit de tout temps,L'avarice et la jalousie. Amant, pour plaire à la beautéQui vous a forcé de vous rendre ;Joignez à l'amour le plus tendre,Magnificence et liberté. AIR A DANSER. AIR. Dans une Tour d'airain, Danaé sans amant s'ennuie :Jupiter dans son seinVerse une riche pluie :Par un métal divin,Soudain la tour se brise ; La belle est priseEt l'EntrepriseEst à sa fin. AIR À DANSER. VAUDEVILLE. Ne gênons ni femme ni fille, Les renfermer c'est un abus : L'Amour assoupit les Argus, Il rompt les verrous et les grilles : Les mieux gardés s'échappent bien ; Sans le coeur on n'est sûr de rien. L'Amant avare ou tyrannique, Verra rebuter ses désirs : Mais si l'Amour a des plaisirs, Ils sont pour l'amant magnifique ; Donnez amants, mais donnez bien, Donnez mal, c'est ne donner rien. Quoi qu'on goûte un bonheur extrême, On sent qu'il valait plus encor : Amant ne connaît de trésor Que l'objet de son amour même. Donnez amants, mais donnez bien, Donnez mal, c'est ne donner rien. La manière ajoute au service, Il faut que les dons soient adroits : Les présents même quelquefois Offensent plus que l'avarice. Donnez amants, mais donnez bien, Donnez mal, c'est ne donner rien. Damon pour enrichir sa belle, Ne va point offrir son argent ; Il sait pour cacher le présent, Jouer de malheur avec elle. Donnez amants, mais donnez bien, Donnez mal, c'est ne donner rien. Prenez tous Zima pour modèle Amants, et vous serez heureux: À l'Amant tendre et généreux, Est-il quelque Beauté rebelle ? Donnez amants, mais donnez bien, Donnez mal, c'est ne donner rien. Jusqu'à présent rien ne me touche ; Mais tout nous vient avec le temps : Laissez passer quatre Printemps, Mes yeux diront mieux que ma bouche, Donnez amants, mais donnez bien, Donnez mal, c'est ne donner rien. On soumets des amants bizarres ; On peut aimer d'aimables fous ; Mais que peut on faire de vous Vilains jaloux, vilains avares ? Donnez amants, mais donnez bien, Donnez mal, c'est ne donner rien. Les Grandeurs de toute la terre, À mes yeux s'offriraient en vain Quand vous me donnez votre main, Quel autre don pourrait me plaire ? Mon cher Zima fait tout mon bien Sans son coeur, le reste n'est rien. Un Coeur généreux et sensible, S'offense d'être mis à prix : Pour l'or il n'a que du mépris ; L'Amour seul le rend accessible; Ce Dieu peut tout, l'Intérêt rien Sur un coeur fait comme le mien. Tout koe san fin noc papa jl jjf Chou sout y a faui kin kin Ou na pou pou chou mi bin bin Hac, hic, hoc, kam, mou mou pa jjf Ka ka fau y am ka ka hou Ka ka nim, ton ton ka ka chou. ==================================================