******************************************************** DC.Title = LE SOUPER D'AUTEUIL, COMÉDIE. DC.Author = LONGHAYE, Georges DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:08:09. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/LONGHAYE_SOUPERDAUTEUIL.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5568263j DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE SOUPER D'AUTEUIL EN UN ACTE ET EN VERS. 1879 TOURS, ALFRED MAME ET FILS, ÉDITEURS PERSONNAGES J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE, valet de chambre tapissier, comédien du roi. ARMAND DE MAUVILLAIN, doyen de la faculté de médecine. BOILEAU DESPRÉAUX. JEAN DE LA FONTAINE, homme de lettres. CLAUDE-EMMANUEL CHAPELLE, homme de lettres. JEAN-BAPTISTE LULLI, maître de la musique du roi. UN LAQUAIS. La scène se passe à Auteuil, dans une maison de campagne louée par Molière. Vers 1670. Extrait de "Théâtre chrétien" par le R.P.G. LONGHAYE. pp. 317-349 LE SOUPER D'AUTEUIL SCENE I. Molière, Boileau, Mauvillain, La Fontaine, Chapelle. BOILEAU, lisant. « Voilà l'homme en effet : il va du blanc au noir,« Il condamne au matin ses sentiments du soir ;« Importun à tout autre, à soi-même incommode,« Il change à tous moments d'esprit comme de mode :« Il tourne au moindre vent, il tombe au moindre choc, [Note : Boileau.]« Aujourd'hui dans un casque, et demain dans un froc. » CHAPELLE. Ah ! LA FONTAINE. Comment ? MOLIÈRE. Relisez. BOILEAU. La chute est un peu dure. CHAPELLE. Un homme dans un casque ! Ô plaisante figure ! LA FONTAINE. Qui tourne au moindre vent ! MOLIÈRE. Qui tombe au moindre choc ! CHAPELLE. Sentez-vous la beauté de ces rimes en oc ? Moi je requiers, messieurs, la sentence mortelle :Maître Boileau lira vingt vers de la Pucelle. MOLIÈRE. Il les lira. BOILEAU. Messieurs ! MAUVILLAIN. Il l'a bien mérité. BOILEAU. Si... MOLIÈRE. L'arrêt sur-le-champ veut être exécuté. BOILEAU. Par Apollon... ! CHAPELLE, apportant le livre. Voici l'instrument du supplice. BOILEAU. Par Minerve... ! CHAPELLE. Lisez. BOILEAU. Ah ! MOLIÈRE. Ce n'est que justice.Quiconque en pareils vers insulta son prochain,Doit vite s'aller pendre, ou lire Chapelain. BOILEAU. Mais condamner ainsi les gens sans les entendre ! MOLIÈRE. J'ai trop bien entendu. BOILEAU. Mais j'aime mieux me pendre. CHAPELLE. Ah ! pardon. Nous avons ici la faculté,Et nul ne peut mourir sans son autorité.Monsieur de Mauvillain dictera la sentence.À Boileau Despréaux accorde-t-il licenceEt congé de se pendre, ou tel autre moyen Qui puisse chez Pluton le mener pour son bien ? BOILEAU. De grâce ! CHAPELLE. Ou, sur le fait de la rime trop dure,Lui plaît-il des vingt vers ordonner la lecture ? MOLIÈRE, à Mauvillain. Tenez pour Chapelain. BOILEAU. Mais c'est aussi la mort ! MAUVILLAIN, gravement. Qu'il lise, et que les dieux ordonnent de son sort. CHAPELLE, à Boileau. Esculape a jugé : vous n'avez rien à dire. BOILEAU, prenant le livre. Esculape... fort bien... mais gare la satire !Il est dieu ; mais Guénaut, mais Rainssant, mais Brayer...Suffit. Il se met à lire. MOLIÈRE, à Mauvillain. Entendez-vous ? MAUVILLAIN. Pense-t-il m'effrayer ?Je m'en ris. CHAPELLE. Il est vrai qu'en pareille matière Rien ne reste à glaner sur les pas de Molière.[Note : BOILEAU, Épître XI.]La pierre, la colique et les gouttes cruelles,Guénaut, Rainssant, Brayer, presque aussi.tristes qu'elles... MAUVILLAIN. Que pourrait son courroux ? Au mot de médecinCoudre tant bien que mal là rime d'assassin ? CHAPELLE. Le tour est rebattu. MOLIÈRE. La chose est peu nouvelle. BOILEAU, fermant le livre avec bruit. Me faire dévorer vingt vers de la Pucelle !Mais je me vengerai. MOLIÈRE. Sur qui ? Sur Mauvillain ? BOILEAU. Non. CHAPELLE. Sur moi, j'en suis sûr. BOILEAU. Hé ! non : sur ChapelainJe me sens contre lui quatre fois plus de haine. CHAPELLE. Mais que fait dans ce coin notre bon La Fontaine ?Le voilà bien rêveur. MAUVILLAIN. Il dort assurément. MOLIÈRE, à demi-voix. Non, messieurs, il poursuit quelque entretien charmantAvec ses animaux, son singe ou sa belette.Tenez, je gagerais, la fable est déjà faite ; Il est content de lui ; voyez, il rit tout bas,Gardez de le troubler. BOILEAU. Bonhomme ! MAUVILLAIN. Il n'entend pas. MOLIÈRE. Nous serons bien chanceux s'il revient dans une heure. CHAPELLE. Bah ! Il va tout d'un temps s'éveiller, ou je meure.Attendez. Je m'en vais l'intriguer comme il faut. Enflant la voix.Oh ! Parbleu ! La Fontaine est un plaisant maraud ;C'est un coquin fieffé... BOILEAU. Sourd comme une statue. CHAPELLE, de même. Un bélître, un pédant, un fat... MOLIÈRE. Peine perdue.Autant vaut haranguer une pièce de bois. CHAPELLE. De vrai, notre bonhomme est bizarre parfois. Docteur, expliquez-nous cette étrange manie. LA FONTAINE, brusquement. Avez-vous lu Baruch ? C'était un grand génie. BOILEAU. Hé ! CHAPELLE. Si j'ai lu Baruch, moi ? MOLIÈRE, à Mauvillain. N'est-ce pas joli ? LA FONTAINE. Vous ne l'avez pas lu ? CHAPELLE. Non. BOILEAU. Ah ! voici Lulli. SCÈNE II. Les Mêmes, Lulli. CHAPELLE, courant au-devant de Lulli. Baptiste, vite à l'oeuvre ! Un sujet magnifique ! Il faut lire Baruch et le mettre en musique. LULLI. Baruch... ! LA FONTAINE, à Chapelle. Vous vous moquez ? Vous avez tort vraiment. LULLI. Au diable si j'entends un pareil compliment !Vous auriez plus de grâce à parler de cuisine.Çà, messieurs, soupons-nous ? MOLIÈRE. Mais où donc est Racine ? Vous deviez aujourd'hui nous l'amener céans. LULLI. Ma foi, depuis huit jours il a perdu le sens.Vous diriez, tant il est de ses moments avare,L'homme le plus pressé de France et de Navarre.Avant-hier il m'aborde, et, d'un maintien fâché : « Ah ! Lulli, me dit-il, je suis bien empêché :On me force à manquer le souper de Molière. »Puis il a poursuivi sur un ton de mystère :« Oui, quelqu'un de très haut, dont j'ai commandement,M'a chargé d'une pièce à finir promptement. J'y rêve nuit et jour, et ne peux, sur mon âme... » BOILEAU. [Note : Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans.]Hier il fut à Saint-Cloud appelé par Madame. CHAPELLE. Bon ! Qu'il livre sa voile au vent de la faveur. MOLIÈRE. Il n'y laissera rien de sa naïve humeur :Il est grand ennemi des allures pédantes. MAUVILLAIN. À propos, n'a-t-il pas, en deux lettres mordantes,Imitant la façon de feu monsieur Pascal,[Note : J. Racine, Lettres à l'auteur des Hérésies imaginaires et des Deux Visionnaires.]Daubé gaillardement les gens de Port-Royal ? BOILEAU. C'est fort mal fait à lui. CHAPELLE, montrant Boileau. Voyez le janséniste. BOILEAU. Mais aussi vous savez, le prélat moliniste, De la Sainte-Chapelle indigne trésorier,[Note : Sur le fond historique du Lutrin, voir le P. Cahour, Bibliothèque critique des poètes français, tome II.]Messire Claude Auvry, devient un grand guerrier. CHAPELLE. Comment ? Contre le Turc il prêche une croisade ? BOILEAU. Non, bien mieux que cela ; c'est toute une Iliade.Il s'agit d'un lutrin... UN LAQUAIS. Messieurs, on a servi. Le souper vous attend. LULLI. Parbleu, j'en suis ravi. CHAPELLE, avec solennité. Aux joutes de Bacchus, messieurs, on nous appelle.Marchons. BOILEAU. Moi, sans combat, je le cède à Chapelle. LULLI. Moi, je veux disputer. CHAPELLE, secouant la Fontaine. Allons, mon beau rêveur,Venez boire. LA FONTAINE. Ah ! J'entends. BOILEAU. Quel enragé buveur ! CHAPELLE, acculant Boileau dans un coin et à demi-voix. Çà, maître Despréaux, trêve de pédantisme.Rappelez-vous le jour où votre jansénisme,Venant au cabaret prêcher contre le vin,Au fond d'une bouteille a laissé son latin. LULLI, à Molière. Eh bien... ? MOLIÈRE. Non, je ne puis être de la partie. LULLI. Bon ! Notre amphitryon nous fausse compagnie. CHAPELLE. Qu'est-ce à dire ? MOLIÈRE. Messieurs, l'état de ma santé... BOILEAU. Ce que c'est que chez soi loger la faculté.Monsieur de Mauvillain, vous allez en répondre. LULLI. [Note : Mauvaise comédie de Leboulanger de Clialussay. On y voit Molière malade recourir aux médecins, qui se moquent de lui.]Allons donc ! Jouons-nous Elomire Hypocondre ? MOLIÈRE. Mais point. CHAPELLE. Qu'est devenu ce généreux courroux ?Avec les médecins vous raccommodez-vous ?Pour mourir, disait-on, vous n'en aviez que faire. MAUVILLAIN. Mais pour vivre, messieurs, c'est tout une autre affaire. MOLIÈRE. Aussi bien tels courroux ne sont que jeux d'esprit. Tout homme bien portant d'Hippocrate se rit ;Mais quand un feu secret dans nos veines s'allume,Quand un mal dévorant lentement nous consume,Le plus ferme courage est bien vite alarmé.[Note : Célèbre fanfaron d'athéisme.]Des Barreaux croit en Dieu dès qu'il est enrhumé. Pour moi, sans faire éclat d'une vaine bravade,Je crois aux médecins dès que je suis malade,Et du sieur Mauvillain j'implore le secours.Mais il a fait serment de respecter mes jours,Et par un bon contrat, passé devant notaire, M'a promis pour trente ans de me laisser sur terre. LULLI, émerveillé. Je veux être pendu si je ne vais demainCongédier Valot, ce docteur inhumain,Qui, pour des fluxions à la chasse gagnées,M'a fait en quatre jours endurer huit saignées. BOILEAU. Je renonce à Fagon. CHAPELLE. Nous sommes tous vos gens,Monsieur de Mauvillain. Mais vos soins indulgentsNe peuvent-ils ce soir nous accorder Molière ?Jurons qu'il va garder une abstinence entière. BOILEAU et LULLI. Nous le jurons. MAUVILLAIN. Le bruit de tant de gais propos... Je crains... MOLIÈRE. Non, mes amis, laissez-moi mon repos. LULLI. Votre absence chez nous suspendra toute joie ;Je tremble d'en jeûner. MOLIÈRE. Souffrez que j'y pourvoie,Et que, sans autre épreuve expliquant le destin,Ma seule autorité fasse un roi du festin. Je délègue, messieurs, tous mes droits à Chapelle. CHAPELLE. J'accepte avec transport une charge si belle. BOILEAU, à part. S'il veut vider sa cave, il ne peut mieux choisir. CHAPELLE. Messieurs, on boira sec : tel est mon bon plaisir. Ils sortent, excepté Mauvillain. SCÈNE III. Molière, Mauvillain. MOLIÈRE. Vous ne les suivez pas ? MAUVILLAIN. Je n'en sens nulle envie. MOLIÈRE. Souffrez-vous à regret leur aimable folie ? MAUVILLAIN. Chaque homme suit, son goût. Permettez que le mienS'accommode plutôt d'un solide entretien.Oui, j'estime assez peu cette bruyante ivresse,Ce fracas de bons mots, ces fureurs d'allégresse, Ces fatigants éclats de bouffonne gaîté,Où se perd le bon sens par l'humeur emporté ;Où l'homme bien souvent, ?pardonnez ma franchise, ?Commençant par l'esprit, finit par la sottise. MOLIÈRE. Au vieux rire gaulois faites-vous le procès ? MAUVILLAIN. Non : j'approuve le rire et j'en blâme l'excès ;Je serais trop fâché que ma philosophieTranchât du sot orgueil de la misanthropie.On ne me voit jamais dans les cercles joyeuxAffecter l'air chagrin d'un censeur ennuyeux ; Je me prête aux plaisants, et d'assez bonne grâce.Mais le plaisant forcé m'importune, me lasse,Et me pousse à chercher des agréments plus douxDans les sages discours d'un ami tel que vous.À mes prétentions trouvez-vous à redire ? Et puis il est, monsieur, bien des façons de rire.Despréaux, quand il veut, plaisante finement ;La Fontaine est divin dans son libre enjouement ;Mais quel astre envieux leur a fait pour modèleAdopter un maraud tel que votre Chapelle, Qui, lorsqu'il n'est pas ivre, est plus lourd qu'un oison,Et n'attrape l'esprit qu'en perdant la raison ?Je hais par-dessus tout les bouffons après boire ;Leurs propos avinés me donnent l'humeur noire,Et je ne puis m'y plaire, alors qu'à chaque trait, Morbleu ! Je sens à plein l'odeur du cabaret. MOLIÈRE. Oui, Chapelle a grand tort, et je vous l'abandonne.Je l'ai, sur ce sujet, prêché plus que personne.Je lui vois cent défauts, que ma vieille amitiéTolère par faiblesse ou plutôt par pitié. Pourtant votre chagrin me semble un peu sévère,Mauvillain. MAUVILLAIN. Vous pensez ? MOLIÈRE. Et puis, soyons sincère,Vous parlez de Chapelle, et dans le fond je voisVos coups passer par lui pour arriver à moi. MAUVILLAIN. Entre Chapelle et vous grande est la différence. Le Ciel pour vous former joignit Plaute à Térence,Et Chapelle n'est, lui, qu'un cerveau de travers,Un drôle, un bel esprit qui tourne bien les vers.Mais à vous parler franc, de vos fameux ouvragesJe voudrais bien, monsieur, déchirer quelques pages. MOLIÈRE. Déchirer ! MAUVILLAIN. Déchirer, et pour l'amour de vous. Pourrais-je, mon ami, ne pas être en courrouxA vous voir abaisser le plus heureux génie,Quitter ce ton charmant de bonne compagnie,Ce badinage fin, noble en sa liberté, Étincelant de verve et de simplicité,Ces traits éblouissants de naïve peintureOù l'esprit sans dégoût reconnaît la nature,Et tout ce qui de vous fait le roi des auteurs ;Pour aller trop souvent, déchu de ces hauteurs, Avec l'appât grossier d'une équivoque saleOrner un lieu commun de petite morale ? MOLIÈRE. Hé ! monsieur, comme moi vous savez mon désir.Parbleu ! si je pouvais travailler à loisir,Si pour seuls auditeurs de mes heureuses pièces J'avais des ducs et pairs, des marquis, des comtesses,Si pour les gens de goût libre je m'appliquais... MAUVILLAIN. J'entends. Il faut aussi divertir les laquais.Alceste est pour la Cour, Scapin pour la canaille. MOLIÈRE. Ouais, mon Scapin lui-même a fait rire à Versailles. On y goûterait peu votre sévérité. MAUVILLAIN. Quand on prend les humains par leur méchant côté,Monsieur, fût-ce à la Cour, on est trop sûr de plaire,Et toute flatterie appelle son salaire. MOLIÈRE, piqué. Enfin que voulez-vous ? Un rimeur tel que moi Ne voit rien au-dessus des suffrages du roi.Il me protège. MAUVILLAIN. Soit. MOLIÈRE. Il m'honore. MAUVILLAIN. Peut-être.Entre nous, vous flattez les caprices du maître.Ne vous y fiez pas ; le rôle est dangereux.Un jour ils passeront ; vous passerez comme eux. MOLIÈRE. Vous croyez ? MAUVILLAIN. J'en suis sûr. MOLIÈRE. Hélas ! MAUVILLAIN. Et puis en somme,Si grand que soit le prince, en êtes-vous moins homme ?Et consumer ses jours à divertir un roi,Est-ce là pour un homme un assez digne emploi ?Des plus humbles respects entourer sa personne, Affronter les hasards si sa gloire l'ordonne,Voilà par où l'on doit mériter ses bienfaits.Son serviteur toujours, mais son bouffon jamais.Ai-je tort ? MOLIÈRE. Non, monsieur ; c'est grand, noble, héroïque...Mais vraiment-vous chaussez le cothurne tragique, [Note : Chrême : Huile mêlée de baume, et consacrée pour servir aux onctions dans l'administration de certains sacrements. [L]]Et Chrêmes en courroux n'aurait point parlé mieux. MAUVILLAIN. Ai-je tort ou raison ? C'est tout ce que je veux. MOLIÈRE. Soit. Mais vous me poussez d'une étrange manière.Que prétendez-vous donc ? MAUVILLAIN. Ah ! mon pauvre Molière,Ma constante amitié ne peut-elle obtenir Que vous rompiez... ? MOLIÈRE. Allons, je vous vois bien venir.Il faut... MAUVILLAIN. Il faut, monsieur, n'être plus que poète ;Il faut vous résigner, la conséquence est nette,À ne plus engager par un lâche traficVotre geste et votre air aux sifflets du public ; Il faut vous affranchir enfin, il faut en croireLa voix de vos amis, et surtout votre gloire. MOLIÈRE. Oui, vous me conseillez de la bonne façon,Et ma gloire a, monsieur, parfaitement raison ;Mais je n'en ferai rien. MAUVILLAIN. Quoi ! Votre âme obstinée Voudrait.. ? MOLIÈRE. Tenez, Monsieur, chacun sa destinée :La mienne est là ; suffit : je la suis jusqu'au bout. MAUVILLAIN. Cependant... MOLIÈRE. Oui, d'accord, oui, je conviens de tout.Dites que ce métier ne m'est pas nécessaire ;Dites que je suis riche assez pour ne rien faire ; Que parmi le beau monde et chez les courtisansJe m'épargnerais là mille traits méprisants.Pour le bien de mes jours gendarmez-vous encore ;Dites que je me tue. Est-ce que je l'ignore,Parbleu ? J'ai contre moi santé, gloire, bonheur ; Je n'en démordrai pas : ce m'est un point d'honneur. MAUVILLAIN. [Note : Ais : Planche de bois. [L]]Plaisant honneur vraiment ! Sur les ais d'un théâtreAffecter les éclats d'une gaîté folâtre,En spectacle public s'offrir à tout venant ;S'immoler au plaisir du beau premier manant Qui, pour ses quinze sous devenu votre maître,Par-devant son bon goût vous force à comparaître,Et vous peut jeter... ? Non ! j'aimerais mieux cent lois,Plutôt que mériter par semblables emploisCes indignes honneurs et ces honteux salaires, Pendant quatre-vingts ans ramer sur les galères. MOLIÈRE. Monsieur, de vingt acteurs je suis le gagne-pain.Pour vous plaire faut-il les livrer à la faim ?Me les nourrirez-vous si je les abandonne ? MAUVILLAIN. Donnez-leur vos chefs-d'oeuvre, et non votre personne. Ils n'y peuvent rien perdre, et faire plus pour euxEnfin, c'est être aveugle et non pas généreux.Mais non, confessez tout ; un autre noeud vous lie,Et dans le fond du coeur... MOLIÈRE. Brisons là, je vous prie.Vous êtes mon ami, vous me voulez du bien, Vous parlez sagement, mais vous n'obtiendrez rien.À tout votre courroux mon esprit se résigne,Et quant à vos bontés, Monsieur, j'en suis indigne,Et si... MAUVILLAIN. Vous vous moquez. MOLIÈRE. Non, sérieusement,Vous ne me ferez pas quitter mon sentiment. MAUVILLAIN. Hélas ! MOLIÈRE. Docteur, je tiens qu'une heureuse folieEst l'unique remède aux maux de cette vie.Que vois-je autour de moi ? Des vices, des travers,Des coeurs lâches et faux, des têtes à l'envers,[Note : Canon : Ornement de drap, de serge ou de soie qu'on attachait au bas de la culotte, froncé et embelli de rubans, faisant comme le haut d'un bas fort large. [L]]Des gens à grands canons, des Marquis, des Comtesses, Des partisans niais enflés de leurs richesses,Des beaux esprits de Cour, des pédants attitrés,De toute baliverne admirateurs jurés,Des bourgeois bien épais tranchant du gentilhomme.D'honneur, si je ne ris, ce spectacle m'assomme. Rions donc. Aussi bien je ne suis pas d'humeurÀ faire un Héraclite, un pédant, un pleureur.Puis de tous les fâcheux le plus insupportable,De tous les assassins le plus inévitable,Pour chacun d'entre nous, c'est lui-même, je crois. MAUVILLAIN. Vous ne vous trompez point. MOLIÈRE. Eh bien ! Pour moi, c'est moi.Tous moyens me sont bons, pourvu que je m'appliqueÀ réduire aux abois ce traître domestique.Je suis comédien : vu par son beau côté,Mon état est bruyant, variable, agité ; Et vous me demandez après pourquoi je l'aime !Hé ! parbleu ! c'est qu'il m'aide à m'oublier moi-même.N'en parlons plus, docteur, et demeurons amis. MAUVILLAIN. Je vous ferai, Monsieur, grâce de mes avis :Mais dussiez-vous encor me trouver incommode, Sachez que je réprouve une telle méthode ;Que, malgré le silence où vous m'avez contraint,Ma sincère amitié vous condamne et vous plaint.Je ne vous dirai pas qu'un véritable sageDans l'oubli de ses maux ne met pas son courage, Que d'un ferme regard, sans faste et sans courroux,Il aime pour les vaincre à les contempler tous.Non. - Mais pour apaiser l'ennui qui vous possède,Je vous souhaiterais un plus puissant remède.Du bruit de sa folie on a beau s'étourdir, Ce sont éclats d'un jour, que suit le repentir.Même parmi les jeux de la scène comique,L'invisible ennemi nous harcèle et nous pique.En vain nous le bravons d'un sourire moqueur :L'esprit ne guérit pas les blessures du coeur. - Mais de cet entretien la longueur importuneVous fatigue, et je veux... MOLIÈRE. Du moins pas de rancune. MAUVILLAIN. Non, mais reposez-vous en malade soumis ;Regagnez votre chambre. Auprès de vos amisJe m'en vais excuser cette prompte retraite. MOLIÈRE. J'y consens : Hippocrate aura ce qu'il souhaite.Bonsoir. MAUVILLAIN. Adieu. SCÈNE IV. MAUVILLAIN, seul. Pourtant, s'il ne veut pas guérir,Je ne puis me résoudre à le laisser mourir.J'espère quelque jour le trouver plus traitable.Pauvre homme ! Il cache mal le chagrin qui l'accable : C'est pitié !... Mais quel bruit ! Eh ! qu'est-ce quej'entends ? BOILEAU, derrière le théâtre. C'est dit. LULLI, de même. C'est résolu. CHAPELLE, de même. Ne perdons point de temps. La porte s'ouvre. SCÈNE V. Mauvillain, Chapelle, Boileau, La Fontaine, Lulli. CHAPELLE. Ah ! Voici Mauvillain. MAUVILLAIN, à part. Ils sont tous au plus ivre. LULLI, aux arrivants. [Note : Angarier : Terme vieilli. Vexer, tourmenter. [L]]Je vais l'angarier. À Mauvillain.Docteur, il faut nous suivre. MAUVILLAIN. Mais où donc ? BOILEAU. À la Seine. MAUVILLAIN. À la Seine ! Pourquoi ? LA FONTAINE. La sotte question ! CHAPELLE. Pour nous noyer, ma foi. LULLI. Nous allons, s'il vous plaît, mourir de compagnie,Entre nous, sans flambeaux et sans cérémonie. BOILEAU. Venez. MAUVILLAIN, à part. Que diable faire avec ces quatre fous ? Haut.Messieurs, considérez... LA FONTAINE. Allons, décidons-nous. Je suis impatient de sortir de ce monde. CHAPELLE. Faites tôt. LULLI. Dépêchez. MAUVILLAIN. Avant que je réponde, - À part.Il faut gagner du temps, - Haut.Pourrais-je pas savoirAu moins quelques raisons de ce beau désespoir ?J'admire, je l'avoue, une action si prompte, Et de ce que je fais j'aime à me rendre compte. LA FONTAINE. [Note : Lantiponnage : action de lantiponner, Terme populaire. Tenir des discours frivoles, inutiles et importuns. [L]]C'est du lantiponnage. CHAPELLE. Il tourne autour du pot. BOILEAU. Noyez-vous sur parole. MAUVILLAIN. Eh ! non ; de grâce, un mot.Sur vos pas, dans l'instant, je cours à la rivière,Mais je prétends mourir avec choix et lumière. Voyons. LA FONTAINE. Parle, Chapelle. CHAPELLE. Allons, parle, Boileau. LULLI, impatienté. Faut-il tant de façons pour se jeter à l'eau ? À Mauvillain.Moi je vous dis en bref que l'humaine existenceEst un charivari. MAUVILLAIN. C'est bien ce que je pense. LULLI. Concert sans harmonie et plein de contre-temps, Cacophonie horrible, à rendre sourds les gens,Indigne pot pourri de musique brutale.Or sus, allegretto ! Je siffle et je détale. CHAPELLE. Très bien. LA FONTAINE. Voilà parler. MAUVILLAIN. C'est trop juste. BOILEAU. Docteur,Imaginez un peu les chagrins d'un auteur. L'envie ou le faux goût étouffent son mérite.S'il est grave, on s'endort ; s'il plaisante, on s'irrite ;S'il parle de satire, on se sauve d'effroi...L'auteur de la Pucelle est mieux renté que moi ! MAUVILLAIN. C'est criant. CHAPELLE. Voyez-moi : l'on me connaît à peine ! MAUVILLAIN. Oui, cela me révolte. LULLI. Allons donc à la Seine. LA FONTAINE. Docteur, qu'aperçoit-on dans ce triste univers ?Les pauvres innocents grugés par les pervers.« La raison du plus fort est toujours la meilleure. »Le loup vous assassine et le renard vous leurre. Lisez l'histoire : « On voit, hélas ! Que de tout temps,Les petits ont pâti des sottises des grands. »Et moi, chétif, perdu dans ce monde où j'enrage,Je ne vois qu'un parti, c'est de plier bagage. BOILEAU. Point d'autre. CHAPELLE. Assurément. MAUVILLAIN. J'en demeure d'accord. CHAPELLE, avec gravité. [Note : Tite et Bérénice, acte V, scène 1.]« Chaque instant de la vie est un pas vers la mort, »A dit monsieur Corneille ; et s'il faut qu'on arrive,En dépit qu'on en ait, à l'infernale rive,Sans attendre en moutons qu'on nous vienne chercher,Au-devant du trépas il est beau de marcher. Allons avant le temps, d'une façon gaillarde,[Note : Camarde : Dans le style burlesque, la camarde, la mort. [L]]Dérouter les destins et narguer la camarde !Pluton n'y verra goutte. LULLI. Oui, morbleu ! c'est bien dit.Rien n'est, ma foi, plus sot que mourir dans son lit. MAUVILLAIN. Messieurs, à vos raisons je dois rendre les armes ; Et pour qui vous ouït la mort a tant de charmesQue je serais un fat de ne me pas noyer.Mais prenons garde aussi de ne rien oublier. CHAPELLE. Qu'est-ce à dire ? MAUVILLAIN. Qu'il faut, si vous voulez m'en croire,Faire à nos héritiers bénir notre mémoire. Instrumentons un peu, messieurs ; faites état[Note : Intestat : Terme de jurisprudence qui ne s'emploie que dans ces phrases : mourir, décéder intestat, mourir sans avoir fait de testament. [L]]Qu'il est fort incivil de mourir intestat. CHAPELLE. Je n'ai point d'héritiers. LA FONTAINE. Je n'ai point d'héritageDont on puisse après moi contester le partage. LULLI. Moi j'ai dix mille écus de dettes à léguer. Je les donne à qui veut. BOILEAU. C'est trop nous haranguer,Docteur. J'ai trois cousins natifs de Normandie ;Ils plaideront vingt ans ; la chose est plus jolie. MAUVILLAIN. Messieurs... À part.Qu'inventerai-je... ? BOILEAU. Eh ! Mais je crois, au fait,Que ce noble trépas fera meilleur effet Si nous en consignons une marque publiqueEn trois ou quatre mots d'écriture authentique.Tenez, pour compléter cette grande action,Donnons un petit bout de déclaration. LULLI. Bah ! CHAPELLE. Mais oui. BOILEAU. Deux instants. LA FONTAINE. Que le diable m'emporte Si j'y songeais ! LULLI, se résignant. Allons. MAUVILLAIN, à part. Courons chercher main forte. Il sort. SCÈNE VI. La Fontaine, Boileau, Chapelle, Lulli. CHAPELLE, en posture d'écrire. Dicte-moi, Despréaux : le projet me sourit. BOILEAU. Écris : « Nous soussignés, gens de coeur et d'esprit,Considérant, primo... » LULLI. [Note : Chicane : Par dénigrement, procès en général. [L]]Quel style de chicane ! BOILEAU. Monsieur, sur ce point-là vous êtes un profane. LA FONTAINE. Voulez-vous prendre ici le ton du madrigal ? CHAPELLE. Laissez faire. LULLI. Après tout, cela m'est fort égal. BOILEAU. « Considérant, primo, que le monde où nous sommes... » CHAPELLE. J'y suis. BOILEAU. « A de tout temps méconnu les grands hommes,À ce faire incité par un esprit jaloux... » LULLI. Où donc est Mauvillain ? LA FONTAINE. S'est-il moqué de nous ? BOILEAU. Qu'est-ce ? LULLI. [Note : Venelle : Petite rue. [L]]Il a, sans mot dire, enfilé la venelle : CHAPELLE. Le lâche ! Entre Molière. SCÈNE VII. Les Mêmes, Molière. MOLIÈRE. Eh bien ! J'apprends une étrange nouvelle !Des lois de l'amitié l'on fait ici grand cas.Non, de tels procédés ne se pardonnent pas. CHAPELLE. Ah ! Molière... MOLIÈRE. Comment ! Un dessein mémorable,Inouï, merveilleux !... Mais c'est abominable. BOILEAU. Eh ! je... MOLIÈRE. Le concevoir... LA FONTAINE. Si nous... MOLIÈRE. L'exécuter... CHAPELLE. C'est que... MOLIÈRE. Sans m'en instruire et sans me consulter ! LULLI. Non, si... MOLIÈRE. Vous me trouvez indigne de vous suivre ? CHAPELLE. Point... MOLIÈRE. J'ai donc mérité l'affront de vous survivre ? LA FONTAINE. En aucune façon. Je... MOLIÈRE. Parbleu ! c'est flatteur.Vous croyez bonnement que la mort me fait peur ? BOILEAU. Hé... ! MOLIÈRE. Qu'on ne saura pas se noyer comme un autre ? CHAPELLE. Nenni. Je connais bien... MOLIÈRE. Quelle idée est la vôtre ? Je vous trouve plaisants de me juger ainsi. LA FONTAINE. Écoute... ! MOLIÈRE. Non, vraiment ; je vous déclare iciQue mon coeur, affranchi par ce cruel outrage,Des noeuds de l'amitié pour jamais se dégage. LULLI. Mais crois... MOLIÈRE. Je ne crois rien. BOILEAU. Si tu... MOLIÈRE. Pas de raisons. Entre Mauvillain. SCÈNE VIII. Les Mêmes, Mauvillain. CHAPELLE. Enfin... MAUVILLAIN, à l'oreille de Molière. Tout sera prêt. MOLIÈRE, à Mauvillain, de même. J'ai bridé nos oisons. CHAPELLE, à Mauvillain. Docteur, faites au moins que Molière m'entende. MOLIÈRE. Non, je n'entendrai point : ma colère est trop grande.Ah ! Vous me dédaignez ! Assez d'autres, ma foi,Se feraient quelque honneur de mourir avec moi ; Et voici Mauvillain, si peu que je l'en prie,Qui jusqu'au fond de l'eau me tiendra compagnie. MAUVILLAIN. Assurément. CHAPELLE, à Molière. Veux-tu me voir à tes genoux ? MOLIÈRE. À d'autres. MAUVILLAIN, à part. Suis-je pas à l'hôpital des fous ? MOLIÈRE. Et puis, si vous m'aviez averti de l'affaire, J'aurais pu vous donner quelque avis salutaire. BOILEAU. Comment ? MOLIÈRE. Vit-on jamais se noyer à minuit,Comme des gens honteux, en cachette et sans bruit ? LULLI. Mais... MOLIÈRE. Vous n'entendez rien. Allez, je vous pardonne :Vous êtes trop naïfs et j'ai l'âme trop bonne. CHAPELLE, avec attendrissement. Ah ! MOLIÈRE. Mais songez du moins à ce qu'on penseraQuand demain vers Saint-Cloud l'on vous repêchera. LA FONTAINE. Bah ! Nous n'y serons plus. BOILEAU. Que veux-tu que l'on dise ? MOLIÈRE. Hé ! l'on ne dira rien. Voilà votre sottise.Le beau projet vraiment, mourir incognito ! On dira : Ces messieurs prenaient l'air en bateau. CHAPELLE. Tiens, au fait !... MOLIÈRE. Vous voulez faire honte à la France,Et d'un siècle sans goût punir l'indifférence ?Mais c'est devant témoins, mais c'est en plein soleilQu'il faut exécuter cet exploit sans pareil. BOILEAU. Nous allions rédiger... MOLIÈRE. Voudra-t-on vous en croire ?Vos jaloux s'entendront pour ternir votre gloire ;[Note : Donneau de Visé, rédacteur du Mercure.]Et monsieur de Visé, ce conteur impudent,Au Mercure écrira que c'est pur accident. LULLI. Nous devions y songer. BOILEAU. C'est un trait de lumière. LA FONTAINE. Tout le monde n'a pas tant d'esprit que Molière. CHAPELLE. Je ne suis qu'un grand sot ; je ne me comprends pas. LULLI, à Molière. Ordonne : nous ferons tout ce que tu voudras. MOLIÈRE. Eh bien, messieurs, demain sans retard, avant l'heureOù chacun pour dîner regagne sa demeure, Au Pont-Neuf... BOILEAU. Au Pont-Neuf, parmi les charlatans,Auprès de Brioché ! MOLIÈRE. C'est bien ce que j'entends.Vous voulez une place où le public abonde :C'est près des charlatans qu'il faut chercher le monde. LA FONTAINE. C'est bien vrai. BOILEAU. Je me rends. MOLIÈRE. Donc, demain vendredi, Quand l'horloge au Palais aura sonné midi,Dessus le parapet sans vergogne je monte ;Là, d'un style énergique, à la foule je conteQue, las d'un monde ingrat, les plus fameux auteurs... LULLI, enthousiasmé. Oh parbleu ! j'y voudrais cent mille spectateurs. MOLIÈRE. ... Au pays de Pluton, s'en vont chercher fortune.Après cet impromptu de façon peu commune,Je saute ; mon exemple est par vous imité,Et la mort nous élève à l'immortalité. BOILEAU. Bravo ! LULLI. Bravissimo ! LA FONTAINE. Quel éclat ! CHAPELLE. Quel tapage ! LA FONTAINE. Mais nous n'y serons plus, et vraiment c'est dommage.Ah ! Si de l'autre monde on pouvait revenir ! LULLI. Qui sait ? BOILEAU. En quel endroit faut-il nous réunir ? LA FONTAINE. Il suffit d'être à l'heure au Pont-Neuf. À Molière.Que t'en semble ? CHAPELLE. Avant de nous quitter, si nous jurions ensemble [Note : Styx : Fleuve qui, selon la mythologie, coulait aux enfers ; les dieux juraient par le Styx, et ce serment ne pouvait être violé. [L]]Par l'Olympe et le Styx... MOLIÈRE. Hé ! Non, ne jurons pas ;Et quant au rendez-vous, ce n'est point l'embarras. Molière sonne. Un laquais entre.À tous les quatre ici je puis offrir un gîte.Souffrez que pour la nuit Molière vous invite :Tous sous le même toit nous attendrons le jour. BOILEAU. Las ! Nous ne pourrons plus te payer de retour. LA FONTAINE. C'est au mieux. CHAPELLE, à Molière. Mon ami, vous êtes un grand homme. MOLIÈRE. Allons, dormez en paix pour votre dernier somme.Demain, quand il faudra, j'irai vous avertir. CHAPELLE. Çà, nous déjeunerons avant que de partir ? MOLIÈRE. Sans doute. Laissez-moi ; l'affaire me regarde. Au laquais.Conduisez ces messieurs, À part.Et faites bonne garde. Haut.Au revoir. CHAPELLE. À bientôt. Ils sortent. SCÈNE IX. Molière, Mauvillain. MOLIÈRE. La nuit porte conseil,Et vous serez, messieurs, bien penauds au réveil. Il tombe sur un fauteuil.Je n'en puis plus. MAUVILLAIN. Eh bien ! Leur aimable folie Est-elle un bon remède aux maux de cette vie ?Que dit de tout cela votre facile humeur ? MOLIÈRE. Mauvillain, vous avez le secret de mon coeur ;La tristesse est au fond... Demeurez-moi fidèle.Oui, je le sens ; il faut, pour me défendre d'elle Et pour n'être ici-bas malheureux qu'à demi,Qu'un homme sérieux soit mon premier ami. ==================================================