******************************************************** DC.Title = LE MAUZOLÉE, TRAGICOMÉDIE. DC.Author = MARESCHAL, André DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragi-comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:20. DC.Coverage = Turquie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MARESCHALA_MAUZOLEE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8415538 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE MAUZOLÉE TRAGICOMÉDIE M. DC. XLII. Avec Privilège du Roi. PAR A. MARESCHAL. À PARIS, Chez TOUSSAINT-QUINET, au Palais, dans la petite salle, sous la montée de la Cour des Aides.Achevé d'imprimer pour la première fois, le dernier Mars. 1642. Les Exemplaires ont été fournis. MONSIEUR, Jugez si ma témérité n'est pas extrême. Je m'adresse au plus riche, au plus magnifique, au plus libéral du monde ; pour lui faire un présent ; et encore d'une Nature si étrange, que si avecque ces premières qualités, il n'avait celles d'un courage et d'une générosité sublime, ce serait assez pour lui faire horreur, puisque je ne lui offre qu'un tombeau. Toutefois c'est le plus superbe que l'Antiquité ait jamais vu, et qui ayant passé pour une des sept merveilles du monde, et pour le reste le plus raisonnable des siècles passés ; ne pouvait être plus justement adressé qu'à la huitième, et à la véritable merveille de notre siècle. Ce serait offenser votre courage que de chercher des exemples et des persuasions dedans la même Antiquité, pour le fortifier contre ce qu'il y a d'horrible en ce présent ; et pensant l'adoucir à dessein de vous le rendre agréable, ce serait vous traiter de délicat, lorsque je n'ai dessein que de vous considérer généreux. Que les Égyptiens, par une coutume mystérieuse, au milieu de leurs festins et de leur réjouissance fissent apporter une tête de Mort, afin de se la rendre familière dans la joie : qu'au plus haut faste et au couronnement des Rois de Perse elle leur fut mise en spectacle, et qu'on ne les éveillât qu'au son de ces paroles, (Souvenez-vous qu'il faut mourir.) C'est, Monsieur, ce qu'un autre vous rapporterait, pour vous rendre plus familier un don qui n'est de dégoût qu'aux timides et aux délicats. Moi, je vous traite bien plus dignement ; je ne cherche point ces exemples spécieux pour en couvrir et dorer mon présent, afin de le faire trouver plus doux et plus agréable à vos mains mais je porte ouvertement à vos yeux, et présente à votre courage les marques de celle qu'il n'a jamais crainte et qui fait trembler tout le monde. Vous l'avez vue en vos plus jeunes ans, je ne dirai pas sans effroi, mais plutôt avec une ardeur bouillante qui vous la faisait chercher au milieu des rangs et des bataillons, lorsque portant les armes pour le Roi, vous le serviez en homme de votre naissance et de votre condition. Je ne vous représente tel en cet endroit, qu'en faveur de votre courage, et de ces fortes et vaillantes qualités, que couvre maintenant une occupation plus douce, mais non moins épineuse, utile, et nécessaire au Roi et à l'État. Encore est-ce bien moins pour vous louer en l'une et en l'autre profession ; puisque c'est un trop vaste champ pour une lettre de si petite étendue, et qui ne pourrait contenir dedans ses justes bornes la moindre de ces rares vertus, qui vous rendent recommandable à sa Majesté autant qu'à son Éminence, considérable aux Princes et à tous les Grands de ce Royaume, utile au Conseil et agréable aux Ministres, enfin admirable à toute la France. C'est donc seulement pour montrer à ceux qui n'ont pas si bien que moi étudié votre vie, et qui n'en gardent et n'en admirent que l'éclat présent, que ce que j'ai dit de votre courage ne va point au-delà de votre profession et que si vous allez aujourd'hui à la gloire de Nestor, ce n'est que sur les pas d'Achille. Qu'un autre vous admire libéral, courtois, prudent, adroit, pompeux, magnifique, et dans toutes ces vertus plus douces, qui vous font aimer généralement et de l'un et de l'autre sexe : ce n'est que comme généreux que je vous considère ici, pour vous faire sans frayeur et sans délicatesse accepter un ultime tombeau. Ne vous alarmez point, Monsieur ; c'est le plus digne présent que je pouvais faire à un homme si digne, et ce qui reste à désirer à celui qui possède, et se doit voir continuer dans le beau cours de ces longues années tous les trésors d'une glorieuse vie. Comme la vôtre est le plus bel objet des plus beaux voeux : chacun l'admire ; beaucoup de plumes l'ont louée ; et moi je la viens couronner : puisque je lui présente ce qui dans sa fin ne lui en promet point, et qui lui réserve une durée éternelle. Enfin c'est ce qu'attendent tant de grandes et vertueuses actions, et ce qui doit enfermer avec autant de respect que de magnificence, V. N., dont le nom ne doit point avoir d'autre tombeau que tout l'Univers. Voilà le MAUZOLÉE que doit espérer un si grand NOM, et cet illustre NOM doit rendre ce MAUZOLÉE plus durable et plus merveilleux que l'autre, si vous lui permettez l'honneur incomparable qu'il aura de le porter, et à moi celui de me dire, MONSIEUR, Votre très humble et très affectionné serviteur, A. MARESCHAL. AU LECTEUR. Sans t'entretenir plus particulièrement de mes affaires, ou de cette prodigieuse nonchalance que j'ai eue à produire et faire connaître cette Pièce, qui n'a pris son éclat par la Troupe royale en son Hôtel, que quatre ans après sa naissance ; je te dirai que c'est la même longueur ou paresse qui te la donne imprimée, près de deux ans depuis qu'elle est sur le Théâtre. Je t'épargnerais même ce discours, si je ne la devais justifier de quelques incidents, que tu auras peut-être lus presque pareils en d'autres Pièces ; dont toutefois celle-ci n'a rien emprunté ; puisqu'elle les a précédées sinon en l'impression, du moins en la présentation, ou dessus le papier, et qu'elle se peut prévaloir du droit d'aînesse. En ces matières, celui de la nouveauté lui étant préférable, ce n'est pas un grand trait de vanité de disputer de l'âge ; et si ce n'est pour les successions, il n'est point de beauté qui ne cède facilement le nom de vieille, et qui ne perde avecque joie un avantage si stérile, et une richesse incommode comme celle des années. Voici donc une Vieille qui prétend encore d'être belle, sous des traits agréables et nouveaux, puisque d'autres plus jeunes les ont affectées, et n'ont pas feint de les accommoder à leur jeunesse, et de se les approprier. Traite-la comme telle, cher Lecteur ; et considère que tu lui dois quelque sorte de respect, si tu peux lui refuser de l'amour. Lis ses défauts d'un esprit de douceur et de pardon, afin seulement de les exécuter ; et pour étendre ta grâce encore plus loin, lis les fautes qui suivent afin de les corriger. AU MÊME ; Lui dédiant le MAUZOLÉE. SONNET. Quels miracles produit ta vertu non commune : Je pense, en te voyant, en te voyant si propice aux humains, Que le Ciel a choisi tes libérales mains, Et veut tout enrichir de ta seule fortune. Tu réduis, MONTAURON, mille vertus en une ; Tes présents sont toujours aussi nobles que saints ; Alexandre en fit mille, et mille furent vains ; Le Ciel rend par les tiens sa faveur opportune. Qu'attendent tes bienfaits ? Qu'attend ta piété ? Quel autre prix attend ta générosité, Qu'un trône dans le Ciel, en terre un Mauzolée ? Te fais-je pas un don assez noble, assez beau ; S'il ne plus rester à ta vie immolée, Pour te rendre Immortel, qu'un illustre tombeau. A. MARESCHAL. Fautes survenues en l'impression. Page 31. à flame, lis ; à ma flamme. Page 39. nierai, lis : ni'rai. Page 40. entre, lis : entré. Page 48. chasse, lis : chassé. Page 61. suiverai, lis : suivrai. Page 62. trouve, lis : trouver. Page 82. mon, lis : nos. Page 85. sacrifierai, lis : sacrifi'rai. Page 127. armes, lis : âmes. LES ACTEURS. ARTÉMISE, Reine de Carie. DORALIE, sa Fille. HYPÉRIE, esclave, Confidente. CÉNOMANT, Roi, Amant de Doralie. ALCANDRE, Général d'armée d'Artémise. CÉOBANTE, Prince de Lycie, Neveu d'Artémise. TYRENE, Lieutenant d'Alcandre. LYZIDAN, Capitaine Lycien. GARDES, et suite d'Alcandre. L'ÉCHANSON, de la Reine. La Scène est dans le Mauzolée, en Carie. ACTE I La toile étant ouverte, sur laquelle est représentée en perspective la pyramide du Mauzolée, on découvrira le dedans du monument, au milieu duquel sera élevé un superbe tombeau, et au-dessus une petite urne de verre où sont les cendres de Mauzole. SCÈNE I. Artémise, Céobante, Doralie, L'Échanson, Hypérie. ARTÉMISE. Âme de l'univers, père de la lumière, Bel Astre, qui poursuis ta route coutumière, Oses-tu bien porter l'éclat de ton flambeau À travers cette nuit et l'horreur d'un tombeau ? Ce Temple de la Mort, ce deuil, ces voûtes sombres, Et tout ce noir Palais n'est destiné qu'aux Ombres ; Puis-je souffrir ta flamme en ce lieu languissant ? Où mon Soleil est mort voir un Soleil naissant ? Va d'un premier rayon saluer les montagnes, Mire-toi dans les eaux, et dore les campagnes ; Par quel droit oses-tu, Prince de la clarté, Violer un Sépulcre, et cette obscurité ? Tu ne dois éclairer que l'air, la terre, et l'onde ; Moi, dans cet autre Enfer, je me crois hors du monde : Tu luis pour les vivants, et la Mort seulement Sur un trône de fer règne en ce Monument : Je ne suis plus au Monde, et j'en vois trop de marques, [Note : Parque : Déesse qui selon les anciens Païens, préside à la vie des hommes. Il y a trois Parques ; Clothon, Lachésis, Atropos. L'une tirait le fil de nos jours, l'autre tournait le fuseau, et l'autre coupait la trame. ]La nuit seule est mon jour, et mes Dieux sont les Parques, Je vis comme aux Enfers, j'ai les mêmes ennuis, Et j'en ressens la peine au moins si je n'y suis. CÉOBANTE. Jugez depuis quel temps cette tristesse dure ; Vous voyant endurer certes Mauzole endure, Après douze ans de deuil il condamne vos pleurs, Il chérit Artémise, et non pas ses douleurs, Il voit de votre amour le mémorable exemple ; Tout l'Univers en parle, et parle de ce Temple, Ce Temple qui le fait vaincre qui l'a vaincu, Vivre éternellement pour avoir peu vécu ; Pour être plaint ainsi la mort ferait envie, Son trépas est plus beau que la plus belle vie ; Un même sort lui plaît, et lui déplaît aussi, De voir partout sa gloire, et qu'on le pleure ici. ARTÉMISE. Pour un si digne objet la douleur est charmante ; Je suis triste toujours, comme toujours Amante ; Et pour mettre sa cendre en un vivant tombeau Je lui fais de mon corps un monument plus beau. [Note : Arémise II, rein d'Alicarnasse est la femme et la soeur de Mauzole. Elle meurt en -353.] Elle prend l'urne où sont les cendres de son mari Mauzole.Froide cendre, aliment de la plus vive flamme Qu'un saint amour jamais alluma dans une âme ; Noble trésor de poudre, et reliques d'un Roi Qui témoignez mon deuil, mon amour, et ma foi ; Funeste don du sort, triste et cher sacrifice, De mon coeur languissant et poison et délice, Par qui même la Mort ne nous peut désunir, Elle verse quelque peu de cendre dans une coupe que tient son échanson.Qui, fin de notre amour, sers à l'entretenir, Vois Cendre, vois couler mes larmes continues, Vois croître ce torrent lorsque tu diminues : En mémoire d'un Roi, pour rallumer mes feux, Elle prend la coupe que son échanson lui présente, où est la cendre de Mauzole détrempée dans du vin. Prenons, mon coeur, prenons ce breuvage amoureux ; C'est ta cendre, Mauzole, et c'est ma nourriture ; Je te possède mort, et malgré la Nature : Mon sexe, apprends d'amour un mystère inouï, Vois baiser un époux, vois comme j'en jouis. CÉOBANTE, tandis qu'elle boit. Jouissance, qui n'a que le deuil pour tous charmes, Que la mort pour objet, et pour fruit que des larmes. ARTÉMISE, ayant bu. Nouveau Nectar d'amour ! Agréable liqueur ! L'ÉCHANSON. Quel Nectar ? Un poison froid, pesant sur le coeur ? HYPÉRIE. [Note : Ambroisie : Mets des divinités de l'Olympe. L'ambroisie donnait l'immortalité à ceux qui en goûtaient. [L]]Qu'elle lui donne encor le doux nom d'Ambroisie, C'est une étrange soif qu'ainsi l'on rassasie. ARTÉMISE, rendant la coupe à l'Échanson, et remettant l'urne sur le tombeau. Repose, chère Cendre, en moi comme en ce lieu ; Deux autels sont dressés, mais pour un même Dieu ; Conserve ce dépôt, ô Monument insigne, Que je dois mettre encor dans un tombeau plus digne : Sacrifice amoureux, renouvelle souvent, Où j'adore un Dieu mort, dont l'Autel est vivant, Où renaît de sa cendre un feu vif qui m'anime, Où le Dieu même offert est sa propre victime : Transports, oui, poursuivez ; il est Dieu, je le crois, Puisque j'en sens déjà la force dedans moi, C'est dans mon sang qu'il parle, et qu'il se fait entendre ; Quels feux, et quelle ardeur de cette froide cendre ? C'est lui qui m'encourage, et m'enflamme les sens, Il inspire en mon coeur des mouvements puissants, Et réveille les feux de cette humeur guerrière Qui me faisait marcher aux combats la première. CÉOBANTE. Quelle honte en effet de nous voir assiégés Par ceux que le destin sous vos lois a rangés ? [Note : Rhôdes : Nom propre de la ville capitale de l'île de Rhodes. [T] Cette île de 1408 km² est située au large (17km) de la Carie où se situe l'action. ]Ces lâches Rhodiens, et cette populace, Dont l'orgueil ose bien attaquer cette Place, Sont-ce là vos Vaincus, qui dans Rhode autrefois Ont vu vos étendards, et plié sous vos lois ? Qui vous payaient tribut, qui vous ont implorée, D'une Statue à Rhode est d'encens honorée ? De qui la flotte aussi fut défaite en vos ports, Et qui vous ont connue invincible dehors ? Qu'aujourd'hui je vous vois d'humeur bien différente ! Vous triomphiez alors, vous étiez conquérante ; [Note : Xerxès : Xerxès était fils de Darius. Il fut élevé sur le trône, préférablement à son frère aîné Artabazan, parce que Xerxès était porphyrogénète, et que son frère était né avant que son père fût Roi. Xerxès vint en Grèce avec dix-sept cens mille hommes, et fut vaincu aux Thermopyles. [T]]Et Xerxès, qui lui-même admirait vos exploits, Qui parmi ses soldats comptait plus de cent Rois, Pour ton digne second, (quelle gloire ! Madame,) Entre tant de Héros ne comptait qu'une Femme ; Et c'était Artémise, oui, Reine, c'était vous, Dont si souvent l'Asie à ressenti les coups : Mauzole déjà mort n'empêchait pas vos armes, Le sang des Rhodiens vous tenait lieu de larmes, Vous le pleuriez en Reine, et généreusement, Bien mieux dans les combats que dans ce monument ; On l'attaque aujourd'hui ; songez à le défendre. ARTÉMISE. Pour garder son tombeau, je ne veux que sa cendre ; Céobante, elle inspire un surcroît de vertu, Et semble relever mon courage abattu. CÉOBANTE. De vrai, si nous voyons l'Ennemi qui nous presse, C'est moins par sa valeur que par votre tristesse, Vos pleurs et votre deuil font languir nos soldats, Votre ennui les défait plutôt que les combats ; Madame, soutenez leur courage qui tombe, Venez garder ce fort et non pas une tombe, Votre aspect seulement les peut tous animer ; C'est trop être invisible, et trop se renfermer : L'Ennemi tous les jours gagne terre, et s'approche, Il s'est logé par force au pied de cette roche ; Nos dehors sont gagnés, nos forts abandonnés, Nos fossés sont remplis, nos murs environnés, Nous sommes assiégés et renfermés de sorte Qu'à peine avons-nous libre un pas devant la porte ; Et ce qui plus encore afflige mes esprits, [Note : Halicarnasse : Capitale de la Carie décidé par Mauzole et où se situe précisément l'action. Hérodote y est né.]On tient Halicarnasse et ses deux ports sont pris ; Notre armée en ce lieu languit comme inutile ; Devions-nous pour ce Fort abandonner la Ville ? ARTÉMISE. Oui, le Royaume entier ; et je l'aurais perdu Plutôt que ce tombeau qu'Alcandre a défendu ; C'est ici mon trésor, mon sceptre, et pour tout dire Je garde cette cendre, et c'est plus qu'un Empire. DORALIE. Avec elle, Madame, encore gardez-moi, Gardez tant de Sujets qui vous gardent leur foi. ARTÉMISE. Ma Fille, en ce malheur que veut-on que je fasse ? Que j'implore un Tyran, et recherche sa grâce ? Un Roi, qui contre nous s'est joint aux Rhodiens, Qui détruit notre État, qui détient tous nos biens ? Et qu'après tant d'outrage et tant de violence, Pour mon dernier malheur j'entre en son alliance ? Le voulez-vous, ma fille, et serez-vous son prix ? Prendrez-vous pour époux un qui nous a tout pris ? Cet Ennemi qui tient la Carie alarmée Vous recherche, il est vrai ; comment ? À main armée ; Et vous pourriez l'aimer ? DORALIE. Non pas, mais je le crains. ARTÉMISE. Je le hais plus encore, et ses efforts sont vains : Le secours de Lycie après tout nous rassure ; Alcandre et mon Neveu vengeront notre injure. CÉOBANTE. Reposez-vous sur lui, reposez-vous sur moi, Tout jeune que je suis... ARTÉMISE, voyant venir Alcandre. C'est assez ; je le vois. CÉOBANTE. Je suivrai la valeur peinte sur son visage. ARTÉMISE. J'y lis de quelque trouble un sinistre présage ; Armons-nous de constance, ô mon coeur, s'il le faut. SCÈNE II. Alcandre, Céobante, Artémise, Doralie, Hypérie, L'Échanson. ALCANDRE. Madame, l'Ennemi prépare un grand assaut ; Tous filent hors du camp : déjà nos sentinelles Découvrent les drapeaux, les armes, les échelles : L'air résonne du bruir et des cris des soldats, La terre en est chargée, et tremble sous leurs pas : Ils viennent sous l'espoir de forcer nos murailles. CÉOBANTE. Ou jusqu'en nos fossés chercher leurs funérailles : Bordons nos murs, Alcandre, et laissons-les venir. ALCANDRE. Oui, Prince, nos soldats sont prêts à soutenir ; L'ordre est donné partout : comme troupes très fortes J'ai mis vos Lyciens à la garde des portes ; D'autres sur les remparts, afin de renforcer Le côté d'où l'on voit l'Ennemi s'avancer, Qui couvre fièrement les champs d'Halicarnasse, Et qui semble en marchant déjà qu'il nous menace. ARTÉMISE. Ah ! Que mon coeur outré s'enflamme à ce rapport ? Mais sommes-nous, Alcandre, assurez dans ce Fort ? ALCANDRE. Autant que dans le Ciel ; repensez, grande Reine, [Note : Courtine : Terme de Fortification. C'est la partie de la muraille ou du rempart qui est entre deux bastions. [L]]Qu'une double courtine envisage la plaine, Qu'à l'endroit où nos murs peuvent être attaqués, [Note : Bastion : Boulevard, grosse masse de terre qui est souvent revêtue de brique, et quelquefois de pierre, qui s'avance en dehors de la place, pour la fortifier à la moderne. [T]]Pour défense ils font voir deux bastions flanqués, Qui semblent défier les machines de guerre, Chercher en haut le Ciel, et l'Enfer en la terre, Dont la pointe s'étend, et regorge au dehors, Bat le long des fossés, et commande nos bords : Et c'est où Cénomant presse et bat davantage, S'obstine à faire brèche, et trouver un passage. La nature du lieu défend l'autre côté, Qu'on dirait à le voir, dans la roche planté, Lieu hors de batterie, et lieu hors d'escalade, [Note : Encelade : Un des Géants qui firent la guerre à Jupiter. [T] Selobn la légence, il est enterré sous le mont Etna, les éruptions du volcan sont dûes à sa respiration. Il y a un bassin dans les jardins du Château de Versailles qui représente Encelade écrasé sous les rochers de l'Etna.]Qui lasserait la foudre, et les bras d'Encelade ; C'est l'endroit le plus fort que jamais on ait vu ; Je le tiens presque aussi de soldats dépourvu. ARTÉMISE. Laissez-vous dégarnie ainsi la fausse porte ? DORALIE, bas et à côté. Pourquoi sur un tel lieu s'arrêter de la sorte ? Sauraient-ils mon dessein ? Il les faut écouter. ALCANDRE. C'est jusqu'où l'ennemi ne saurait pas monter : Un sentier bas, étroit, taillé dedans la roche, Qu'un seul de front remplit, n'en permet pas l'approche ; Cette porte inconnue, et couverte à l'entour, Bouche un caveau perdu dans le fonds d'une Tour, À moins que de voler où l'on ne peut atteindre, Où l'on ne peut rien faire, où l'on ne doit rien craindre : Madame, de ce soin reposez-vous sur moi. DORALIE, bas. Ils n'ont rien découvert ; enfin je le connais. ARTÉMISE. J'espère tout des Dieux, et de votre assistance ; Alcandre, vos travaux auront leur récompense ; Voyez à quel excès, et de haine et d'horreur Contre un Roi si cruel me porte ma fureur ; Je vous donne un Royaume, et donnez-moi sa tête ; Vous ferez d'un seul coup une double conquête ; Doralie est à vous. ALCANDRE. Quel charme à mes esprits. ARTÉMISE. Je vous promets ma Fille, oui ; sauvez votre prix. CÉOBANTE. Il l'aimait dès longtemps, et n'osait y prétendre. ALCANDRE. Sous un espoir si grand que ne puis-je entreprendre ? Madame, donnez-moi mille Rois à dompter, [Note : Alcide : autre nom d'Hercule.]Mille Alcides nouveaux ; j'irai les affronter ; Qu'est-il que je ne range aux lois de mon courage ? Cénomant contre un roc vient chercher son naufrage : Avançons le dessein de ce Roi furieux, Allons donc l'attaquer pour nous défendre mieux, Et faisant de nos corps la première muraille Obligeons-le au combat, avant qu'il nous assaille ; C'est trop longtemps ici demeurer enfermés, Céobante, sortons de nos murs alarmés ; Prévenir l'Ennemi, c'est presque le surprendre. CÉOBANTE. J'approuve ce conseil : allons donc, brave Alcandre. Ils s'en vont. DORALIE, demeurant seule sur le théâtre. Que cet assaut me donne un bien plus grand souci ! Laisse sortir la Reine, et songe à tout ceci. SCÈNE III. DORALIE, seule. À quelle extrémité me trouvé-je réduite ; Je crains de Cénomant la cruelle poursuite, Et pour me délivrer des mains de Cénomant On m'expose pour prix aux voeux d'un autre Amant. Je suis de l'un des deux l'infaillible victime ; Et je puis approuver ce choix illégitime ; Doralie est à vous ? Alcandre ; et qu'êtes-vous ? Indigne de ce rang, et d'être mon Époux : Je connais vos vertus, je sais votre vaillance ; Et j'honore vos faits de quelque bienveillance ; Votre bras, de l'État est le plus ferme appui : Mais pour l'avoir servi, quoi ? Doit-il être à lui ? Vous n'êtes que sujet, je serai Souveraine ; Quoi ? J'aurais pour Époux qui doit m'avoir pour Reine ? Qui me doit obéir me ferait donc la loi ? Et qui me doit servir enfin serait mon Roi ? Sachez qu'un vain espoir vous flatte, et m'importune, Que le Ciel fait les Rois, et non pas la Fortune ; Que si ma Mère usant de son autorité Peut beaucoup dessus moi, je puis de mon côté ; Qu'au choix de deux Maris, lequel qu'on me fit prendre, Je hais trop Cénomant, et n'aime pas Alcandre. Donc, pour me délivrer d'un sort si rigoureux, Perdons deux Ennemis sous le nom d'amoureux, Étouffons ces deux vents, qui forment la tempête, Ce Roi presse le plus ; commençons par sa tête ; Lui-même par amour la veut mettre en mes mains ; Sus, mon coeur, mes transports, quoiqu'ils soient inhumains. Mais voici Lyzidan. SCÈNE IV. Doralie, Lyzidan. DORALIE. Et bien, l'heure s'approche. LYZIDAN. Madame, dix soldats tenus ici tout proche, Et qui n'attendent plus que vos commandements, Comptent jusqu'à l'emploi déjà tous les moments ; Je les ai tous laissés résolus de bien faire, Quant à moi, je suis prêt de commencer l'affaire. DORALIE. Qu'ils ne se montrent pas qu'on ne leur ait enjoint. LYZIDAN. Ils suivront sans faillir l'ordre de point en point : Mais, Madame, en ce coup, de peur de nous méprendre, Figurez-moi celui que nous devons attendre. DORALIE. Un mot te l'apprendra : connais-tu Cénomant ? LYZIDAN. Le Monarque de Crète ? DORALIE. Oui. LYZIDAN. Quel événement ! Celui qui nous assiège ? Est-ce lui ? DORALIE. C'est lui-même. LYZIDAN. Pourquoi vient-il ici ? DORALIE. Pour témoigner qu'il m'aime. LYZIDAN. Ô d'un effet cruel doux sujet ! DORALIE. Que dis-tu ? LYZIDAN. Que je hais Cénomant, que j'aime sa vertu. DORALIE. Vertu ? Des cruautés d'éternelle mémoire ? Faut-il pour t'animer, t'en raconter l'histoire ? Apprends que Cénomant, après Mauzole mort, Dont ma Mère en ce lieu pleure le triste sort, Jaloux de tant d'honneur qu'elle avait à la guerre Acquis avec Xerxès aux deux bouts de la Terre, Ou peut-être envieux d'un Sceptre et de nos biens Les voulut partager avec les Rhodiens ; De son autorité, sans couleur et sans titre Il prend leurs différents, dont il se fait l'arbitre, Ce peuple contre nous était lors mutiné : Cénomant qui nourrit leur courage obstiné Leur envoie une flotte, et croyant nous détruire La fait jusqu'en nos ports sous Pharnace conduire, Artémise, qui veut décevoir leur effort, Retire ses vaisseaux, laisse libre le port, Et dans un plus petit tient sa flotte équipée : L'Ennemi prend le port, et sans tirer l'épée ; Il entre sur les cris du soldat étonné Dans la Ville, où déjà cet ordre était donné, Qu'au signal qu'on mettrait dessus Halicarnasse File à file en entrant sur eux on fit main basse ; Alcandre suivit l'ordre, et nagea dans leur sang : Le soldat fuit en foule, et ne tient plus de rang ; Effrayés, bien blessés, des dernières cohortes Les plus prompts vont au port, et regagnent les portes : Mais se croyant sauver à l'abri des vaisseaux, Un carnage plus grand se fait dessus les eaux ; La Reine avait déjà par un courage extrême Saisi toute leur flotte. LYZIDAN. Ô Dieux ! Quel stratagème ! J'étais lors loin d'ici, ce récit m'est nouveau. DORALIE. Le carnage apaisé dans la Ville et sur l'eau, Et tenant en ses mains leur Général Pharnace La Reine prend leur flotte et part d'Halicarnasse, Elle vole vers Rhode avec tous ses soldats, Et la gagne d'abord sans siège, et sans combats. LYZIDAN. Comment ? DORALIE. Écoute ici le plus beau trait du monde. Cette flotte paraît triomphante sur l'onde ; Rhode qui la connaît la salue au retour, N'entends que cris de joie éclater à l'entour, Et voit flotter au vent, d'une joie indiscrète, Ses propres étendards avecque ceux de Crète ; Pharnace sur la poupe, et cent Chefs prisonniers Venaient comme en triomphe, et couverts de lauriers : Tout le Peuple exaltait leur conquête apparente ; Mais la seule Artémise était la Conquérante ; Elle entra dedans Rhode en ce superbe train, Et la mit sous le joug d'un pouvoir souverain ; Sa douceur est extrême autant que son adresse : Pharnace est délivré, le Peuple la caresse ; Rhode reçoit ses lois, l'égale aux Immortels, Lui dresse une Statue, ou plutôt des Autels ; Elle emporta tribut de cette République. Cénomant souffre un temps cet affront qui le pique ; Mais comme il est hardi, prompt, jeune et valeureux, Ne pouvant oublier un sort si malheureux, Dessous un simple habit sa qualité voilée, Il vint en inconnu dedans le Mauzolée ; Ce n'était que pour voir les forces et les lieux, Et mon malheur voulut qu'il vit aussi mes yeux ; Quelque peu de beauté qui soit en mon visage, Il feint d'en être épris, il met tout en usage, Retourne, prie, écrit, déclare son amour Par des Ambassadeurs qu'il envoie à la Cour. Artémise indignée, et qui craint quelque ruse D'un Ennemi juré qui s'offre, le refuse ; Ce refus quoique juste attire son courroux, Et fait voir les desseins qu'il cachait contre nous, Il arme, et pour prétexte à son injuste envie Ligue, soulève, et veut venger Rhode asservie ;Pharnace à bras ouverts le reçoit, et le suit ; La Carie est en proie, on assiège, on détruit, On pille, on tue, on brûle, et pour dernière place Nous nous jetons ici, quittant Halicarnasse Que nous avons vu prendre et piller à nos yeux ; On abat nos Autels, on renverse nos Dieux, On voit luire partout et le fer, et la flamme : Te dirai-je le reste ? LYZIDAN. Ah ! Je le sais, Madame ; Mais venu depuis peu de Lycie en ce Fort J'ignorais le sujet d'un si cruel effort. DORALIE. Ce Barbare aujourd'hui me traite de Maîtresse, Veut me voir en ce lieu, m'en conjure, m'en presse, M'en écrit à toute heure ; et c'est où je l'attends, Pour terminer d'un coup tant de soins importants. LYZIDAN. Vous écrit ? Comment ? DORALIE. L'invention est telle ; Un de nos Espions hors de la Citadelle, Et surpris dans le Camp sur quelques factions, Reçut de lui la vie à ces conditions De me faire tenir ses lettres en main sûre. LYZIDAN. Mais comment faire entrer ce Roi ? Quelle aventure ! DORALIE. Par la porte cachée au dessous de la Tour ; Ce jour doit signaler ma haine, ou son amour : Puisque tout est contraire, et ma Mère obstinée, Je veux mettre la main à notre destinée ; Et puisque Cénomant vient seul dedans ce Fort, Il conclura la paix, ou je conclus sa mort. LYZIDAN. Mais il faudrait au moins en avertir la Reine. DORALIE. Pour le voir et l'ouïr elle l'a trop en haine ; Son grand coeur, qui fuirait et l'un et l'autre effet, Souffrira mieux le coup, après qu'il sera fait. LYZIDAN. Alcandre ? DORALIE. Encore moins ; son intérêt l'engage ; Moi, qui lui suis promise, et pour prix et pour gage, S'il met entre nos mains la tête de ce Roi, Je veux le prévenant ne la devoir qu'à moi. LYZIDAN. Ce dessein est hardi. DORALIE. Le sien est téméraire ; Je n'écoute devoir, loi, ni raison contraire. LYZIDAN. Ni moi d'autres non plus que de vous obéir ; Tenez ce Roi pour mort, chacun le doit haïr ; E voilà prêt, Madame, et je jure sa perte. DORALIE. Va donc dans le Caveau tenir la porte ouverte, Et conduis-le toi seul ici secrètement ; Après, que tout soit prêt au premier mandement, De crainte de laisser une proie échappée ; Mais surtout en entrant demande-lui l'épée, Dis-lui que c'est ton ordre, et qu'ainsi je l'entends : Va, ne t'informe plus, rends mes désirs contents. LYZIDAN. Sous votre autorité j'ose donc l'entreprendre. DORALIE. Elle te fait agir, et te saura défendre : L'assaut tient autre part nos soldats empressés ; Il est temps ; ne crains rien ; tu me sers ; c'est assez. LYZIDAN. Il s'en va.J'obéis sans réplique, et l'amène sur l'heure. SCÈNE V. DORALIE, seule. Voici pour nous venger la façon la meilleure ; Faisons un coup célèbre, et contre Cénomant, Qui d'Ennemi mortel feint d'être mon Amant : Pourquoi feindre, et se perdre entrant dans cette place ? Pourquoi secrètement demander cette grâce ? Il m'aime, s'il y vient : mais quelle affection ! Sa main serait contraire à son intention ; Sa haine est apparente, et son amour couverte ; Qu'il tende à m'acquérir, je ne tends qu'à sa perte : Je l'attire, il est vrai, par un perfide appas ; Mais lui-même s'y jette, et cherche son trépas : On doit sur l'Ennemi prendre tout avantage, Et si je suis cruelle, il le fut davantage ; Puisque sa tête enfin peut finir notre ennui, Par elle sauvons-nous et d'Alcandre, et de lui. ACTE II SCÈNE I. Hypérie, Doralie. Doralie vient au théâtre par un côté, et Hypérie par l'autre. HYPÉRIE. Madame ici tout près Lyzidan Capitaine Attend pour vous offrir un Captif qu'il amène. DORALIE. Fais?les entrer. HYPÉRIE. J'y vais. DORALIE, seule. C'est le Roi Cénomant : Préparons ma vengeance, en voici le moment ; Oui, vengeons par son sang tant de peines souffertes, Le sang de nos Sujets, et nos Dieux, et nos pertes ; L'honneur et la raison approuvent mon dessein ; Je porterai le fer la première en son sein : Suivons dans ce transport la fureur qui m'anime : Puisque mon Ennemi s'offre à moi pour victime, Qu'il meure, il doit périr. Courage ; le voici. SCÈNE II. Cénomant, Lyzidan, Doralie. Au bout de la salle, donnant son épée à Lyzidan. CÉNOMANT. Prends-la donc, mon ami, puisqu'on l'ordonne ainsi. LYZIDAN, ayant l'épée. Vous pouvez avancer. DORALIE. Dieux ! Que je suis timide ! Tout désarmé qu'il est je crains ce jeune Alcide.Esclave, éloignez-vous. Lyzidan, écoutez. HYPÉRIE, en se retirant. Quel mystère ! Je vois tous ses sens agités. DORALIE, ayant parlé à l'oreille à Lyzidan. Retirez-vous, tenez la main à l'entreprise. CÉNOMANT. Ô Dieux ! À cet abord que mon âme est surprise ! Madame, permettez qu'à vos pieds prosterné Je vous présente un coeur qui vous est destiné ; Et qu'au lieu d'excuser une faute si belle, Je proteste à vos yeux de la rendre éternelle : [Note : Icare : fils de Dédale, célèbre par son habileté dans les Mécaniques. Icare ayant été enfermé avec son père dans le Labyrinthe que celui-ci avait construit dans l'Île de Créte, Dédale se fit à lui-même et à son fils des ailes pour se sauver en volant dans les airs. Mais Icare, contre l'avis de son père, s'étant approché trop près du soleil, et la cire qui tenoit les plumes de ses ailes s'étant fondue, il tomba dans la mer, et cet endroit de la mer prit son nom.]C'est le désir qui porte un Icare en ces lieux, Qui cherche par sa chute un tombeau glorieux, Qui méprise la mort, et votre courroux même ; Après vous avoir dit seulement (Je vous aime.) Apprenez mon amour, et vous offensez, Écoutez mes soupirs, et puis les punissez ; Je n'attends de pardon quoi que mon amour fasse, Et j'estime bien plus le crime que la grâce ; Votre présence rend mon courage affermi ; Voyez-moi comme Amant, et puis comme Ennemi. Comme Amant : il est vrai, je suis un jeune Prince, Qui laissai pour vous voir les soins de ma Province ; Qui pour juger d'un bien qu'on m'avait tant prisé Vins dans le Mauzolée en habit déguisé ; Qui piqué d'un refus, et ravi de vos charmes Voulus vous acquérir par la force des armes ; Qui n'ai pris ce pays, ni donné tant de coups, Que pour vous voir, Madame, et mourir devant vous ; Qui content d'avoir pu par une force extrême Vous perdre dans ce lieu, m'y viens perdre moi-même, Oui, tant d'efforts cruels ont précédé ce jour Que ce coup seul pouvait témoigner mon amour : Cette amour par écrit vous a sollicitée De recevoir ma tête en ces lieux apportée ; Cette amour vous présente un coeur tout embrasé, Pour le punir du mal que je vous ai causé, Non pas comme Ennemi, mais comme téméraire D'oser bien vous aimer, et ne pouvoir vous plaire. DORALIE, se tournant de l'autre côté. M'aimer ? Qu'en croirons-nous ? Qu'en dites-vous mes sens ? L'agréable Ennemi qu'il a d'attraits puissants ! Est-ce là ce Cruel, ce Monstre, ce Barbare ? CÉNOMANT. Vous consultez ma mort ; et bien, je m'y prépare : Frappez, j'attends le coup ; percez ouvrez ce coeur, Vous n'y lirez qu'amour, que flamme, et que langueur : Pour déclarer mes voeux mon coeur sera ma bouche. DORALIE. Tyran. Que dis-je ? Hélas ! Que son discours me touche ! Cruel ! Est-ce être Amant de nous poursuivre ainsi ? CÉNOMANT. N'est-ce pas l'être trop de m'exposer ici Seul, chez mes ennemis, suppliant, et sans armes ? Qui pouvait m'y porter, que l'amour et vos charmes ? Ah ! Madame, voyez comme après tant de coups J'ai voulu vous gagner, mais ce n'est qu'à genoux ; Cette soumission est toute ma victoire, Et mourir à vos pieds sera toute ma gloire. DORALIE. Levez-vous. CÉNOMANT. Tuez-moi. DORALIE. Je ne puis. CÉNOMANT. Il le faut ; Faites de cette salle un sanglant échafaud : Refusez-vous mon sang ? Refusez-vous ma vie ? Cette canne a de quoi contenter mon envie ; Servons-nous... DORALIE, l'arrêtant, et tirant par le bout sa canne, dont il se veut frapper, il en sort un poignard qui lui demeure en main. Arrêtez. CÉNOMANT. Servons-nous-en, ma main. DORALIE. Ô Dieux ! CÉNOMANT. Voilà le fer ; frappez ; voici le sein. DORALIE. Ah ! Que tiens-je ? Un poignard que sa Canne recèle. CÉNOMANT. Cachez le mieux ici. DORALIE. Serai-je si cruelle ? CÉNOMANT. Non, vous serez sensible, et juste seulement. DORALIE. Meurtrir un Roi ? CÉNOMANT. Punir un téméraire Amant : Mais le nom est trop doux d'un Amant téméraire ; Perdez un Ennemi qui vous fut si contraire ; Et pour m'accorder mieux ce trépas mérité Voyez-moi, voyez-moi comme un Prince irrité, Qui porte en vos pays et le fer, et la flamme. DORALIE. N'achevez pas ; ô Dieux ! Que sens-je dans mon âme ? CÉNOMANT. Cette fureur qu'inspire un vif ressentiment ; Écoutez-le, Madame, écoutez Cénomant, Que j'instruise à ce coup votre vengeance armée, Et soyez contre moi par moi-même animée : C'est moi, qui pour troubler vos États et vos biens, Ai fait ligue deux fois avec les Rhodiens ; C'est moi, qui réveillai leur première querelle, Qui poursuis votre Mère, et les arme contre elle. DORALIE. Dieux ! Qu'il est généreux de s'accuser ainsi ! Plus il me veut aigrir, et plus je m'adoucis, Je le trouve innocent quand il se fait coupable. CÉNOMANT. Pour gagner vos faveurs je m'en rends incapable : Oui, j'ai fait tout ce mal, comme Ennemi juré ; Mais je l'ai, comme Amant le premier enduré. DORALIE. Voilà ce qui me perd, voilà ce qui m'oblige, Qui me rend redevable à celui qui m'afflige : Que j'ai sur même fait un divers sentiment ! J'accuse l'Ennemi, mais j'excuse l'Amant ; Ah ! Que ferai-je ? CÉNOMANT. Un coup et juste et nécessaire ; Frappez, tuez l'Amant. DORALIE. Non. CÉNOMANT. Tuez l'adversaire. DORALIE. Vous me tuez moi-même en ces nobles combats : Elle jette bas le poignard.Va, fer ; j'en sens les coups. CÉNOMANT. Et vous n'en faites pas ? DORALIE. Quoi ? Je pourrais, barbare, offenser qui m'adore, Haïr qui m'aime tant, et perdre qui m'implore ? Ces deux vers bas.Ah ! Mon coeur en dit trop, et vient de me trahir ; Il n'ose encore aimer, et ne peut plus haïr. CÉNOMANT. Faut-il qu'en ma faveur la pitié vous surmonte ? Que j'ajoute à mon crime une si noble honte ? DORALIE. Qu'il m'eût bien mieux valu de ne vous voir jamais ! CÉNOMANT. J'ai cherché les combats, pour y trouver la paix : C'est pour vous mériter que j'ai fait cette guerre ; L'Amour, et non pas moi, désole cette terre ; Et j'atteste le Ciel, qu'en ce cruel dessein Mes coups mes propres coups retournent dans mon sein ; Je poursuis vos soldats, et lorsque je les blesse J'accuse mon courage autant que leur faiblesse, Je crains ma propre force, et doute en ce malheur Lequel m'est plus contraire ou mon bras, ou le leur ; J'ai pitié de leur sang alors que je le tire, Et ma victoire même augmente mon martyre, Le mal que je leur fais me punit doublement ; Mon coeur n'est pas cruel, ma main l'est seulement ; Hélas ! Je les attaque, et les voudrais défendre. Mais puisque je ne puis autrement vous prétendre, Que pour vous acquérir il faut vous ruiner, Ravir de force un bien qu'on me devrait donner ; Pardonnez, Doralie, à ma flamme innocente Le mal qu'un bras vous fait sans que l'âme y consente, Si pour vous tout donner je vous ai tout ôté, Accusez mon amour, non pas ma cruauté ; L'amour vous perd, l'amour m'a mis dans cette place ; Tout le mal que j'ai fait ce mouvement l'efface : Piqué sur un refus, pour me faire estimer, Oui, je me suis fait craindre à qui ne pût m'aimer : Mais vous voyant soumise à l'effort de mes armes, Je viens vous immoler le sujet de vos larmes ; Je ne vous poursuivais que pour m'en repentir, Et ne vous surmontais que pour m'assujettir, Le bien que je vous veux est cause de mes peines, Pour triomphe un Vainqueur vous demandes des chaînes ; Voilà tous mes efforts. DORALIE. Ô Dieux ! Qu'ils sont puissants ! Que leur douceur est forte à combattre mes sens ! Mais c'est un Ennemi. CÉNOMANT. Que l'amour met en cendre. DORALIE. Qui me ravit le sceptre. CÉNOMANT. Afin de vous le rendre. Je n'ai fait tant de maux que pour faire ce bien ; Oui, je vous rends le vôtre, et vous offre le mien. DORALIE. C'est trop de la moitié. CÉNOMANT. Mais c'est trop peu, Madame, Si vous ne recevez et mon coeur, et mon âme. DORALIE. Purgez par un seul don tous ces dons superflus, Et donnez-moi le temps de ne vous haïr plus : Voyez de quelle grâce est ma haine suivie ; Vous me donnez un coeur, je vous donne la vie ; Oui, l'on devait ici vous perdre, et me venger ; On ne vous y reçut que pour vous égorger : Mais le Ciel, qui des Rois est la plus sûre garde, Conserve Cénomant alors qu'il se hasarde ; Il a dedans ce lieu mes complots étouffés ; Vous y deviez mourir, et vous y triomphez. CÉNOMANT. D'une bonté parfaite ô prodige exemplaire ! Donc qui devait me perdre est mon Dieu tutélaire ? Qui n'espérerait pas ? Qui ne serait constant ? Puisqu'Amour sait nous rendre heureux en un instant. DORALIE. Heureux Amant de vrai, qui m'offensant mérite, Se sauve en téméraire, et des dangers profite. CÉNOMANT. Est-ce là ce trépas que j'avais mérité ? Approuver mon amour par ma témérité ? Vous sentir redevable encore à mon offense ? Donner à mes fureurs la vie en récompense ? Payer par une paix tant de sang répandu ? Est-ce là ce trépas que j'avais attendu ? DORALIE. Je ne plains plus nos maux, en regardant la cause ; Mais je crains les hasards où l'amour vous expose ; Je ne saurais vous voir en ce lieu sûrement ; Ah ! C'est déjà beaucoup, je crains pour Cénomant. CÉNOMANT. En cet heureux état, moi, je ne puis rien craindre ; Mourant après ce bien, ma mort n'est pas à plaindre : Merveille de mon sort ! Favorable moment, Où l'extrême danger fait le bien d'un Amant, Où la vertu couronne un amour téméraire. DORALIE. Le péril m'épouvante, et vous devrait distraire ; Car en effet l'assaut sera presque achevé ; Et de pur qu'en ce lieu vous ne soyez trouvé, Permettez, il est temps, que je vous congédie. CÉNOMANT. Hélas ! En cet adieu que faut-il que je die ? Mon coeur a des transports qu'on n'exprime pas bien, Et c'est parler beaucoup que de ne dire rien ; Jugez de ma douleur par le bien que je quitte : Mais notre accord exige encore une visite ; Pour vous entretenir de mon intention Voici le seul moyen, voici l'invention ; Si j'ai libre parfois cette secrète porte, Tout est sûr, soit que j'entre ou bien soit que je sorte ; Car occupant ailleurs vos soldats à l'assaut, Je puis, couvert des miens, monter jusqu'ici haut, Si ma foi pour le moins ne vous est point suspecte. DORALIE. C'est trop, elle est d'un Roi ; telle je la respecte. CÉNOMANT. Et pour mieux leur marquer le temps de mon retour, Il faut mettre une Enseigne au-dessus de la Tour ; Ce signal leur sera l'ordre de la retraite. DORALIE. Quelque espoir qui vous flatte, et de quoi que je traite, En cet accord commun le plus fort n'est pas fait ; Comment fléchir ma Mère au point qu'elle vous hait ? CÉNOMANT. Par son Royaume entier que je veux lui remettre, Par de plus grands effets que je n'en puis promettre. DORALIE. Allez ; nous le verrons. CÉNOMANT. Belle Princesse, adieu. DORALIE. Que je vous accompagne au sortir de ce lieu ; Ma présence vous sauve, et maintient votre vie. CÉNOMANT. Oui, car en vous quittant je me la sens ravie. DORALIE. Une mort plus certaine était devant vos pas ; Ah ! J'en tremble pour vous ; surtout n'avancez pas. Lyzidan. LYZIDAN, à ses soldats. Compagnons tous prêts. DORALIE. Rends cette épée : Qu'elle soit d'autre sang que du vôtre trempée ; Il fallait, pour vous mettre au rang de nos Amis, Que par ma main ce fer dans vos mains fût remis. CÉNOMANT, lui baisant la main. Par cette belle main, je jure que ma vie Ne sera désormais qu'à vos lois asservie ; Et ce fer, que je tiens comme un présent des Cieux, Puisqu'il me vient de vous me rendra glorieux ; Si par lui mes exploits sont dignes de mémoire, Il est vôtre, à vous seul en reviendra la gloire. LYZIDAN. Que ferai-je, Madame ? Irai-je à nos soldats ? DORALIE. Oui retiens leur fureur, et devance mes pas : Grand Prince, avecques moi marchez en assurance. CÉNOMANT, lui ayant pris la main. Ah ! Que je suis heureux contre mon espérance ! SCÈNE III. HYPÉRIE, les voyant sortir. Quel est ce prisonnier si superbe et si vain ? Elle lui fait honneur, il lui baise la main ; Ce mystère m'étonne, il me le faut apprendre ; Mon désir curieux peut obliger Alcandre : Souviens-toi qu'il t'a mise auprès d'elle à dessein D'épier les secrets qu'elle cache en son sein ; Je sers cette Princesse, il est vrai je l'honore, Je l'aime ; mais enfin je m'aime plus encore ; Si je lui dois beaucoup, je me dois plus à moi ; Je suivrai la première et la plus forte loi : Je causerai son mal, mais mon bien en doit naître, J'offense une Princesse, et j'oblige mon Maître : Suivons donc ce dessein ; le dessein rapporté Me pourra faire mettre en pleine liberté, Le prix de mon travail est de rompre ma chaîne. Elle rentre. Écoutons de la chambre prochaine. SCÈNE IV. Lyzidan, Doralie. LYZIDAN, la ramenant. Mais, Madame, d'où vient un si prompt changement ? Ce mystère, il est vrai, passe mon jugement. DORALIE. Il a passé de plus encore mon attente ; Que veux-tu ? Je suis douce, et la pitié me tente : J'avais porté ce Prince à ce dangereux point, Puisque je te l'ai dit, je ne le ni'rai point ; Mais admirant après une âme si hardie, Comparant sa franchise avec ma perfidie, La présence d'un Roi si grave en son aspect, Et sa grâce ont changé ma fureur en respect ; J'ai ma vengeance éteinte, aussitôt qu'allumée ; Dont le feu pourrait bien laisser de la fumée, Et faire mal juger de mon intention ; Accorde ton silence avec ma passion ; Si jamais de ce fait on prend la connaissance, Je sais bien ton devoir, tu sauras ma puissance. LYZIDAN. Quoiqu'en effet mon sort m'enseigne mon devoir, Que vos Grandeurs aussi marquent votre pouvoir ; J'ai du respect, Madame, il vaut mieux que la crainte, Et je n'exerce pas la vertu par contrainte ; Je suis Noble, et surtout je sais garder ma foi. DORALIE. Ton esprit généreux me plaît, et je te crois ; Achève, Lyzidan, ce service fidèle : Cénomant doit rentrer dedans la Citadelle, Pour conclure la paix, dont nous avons traité ; Tiens-lui la porte ouverte en toute sûreté ; Et pour conduire tout avec plus d'industrie, Entré, tu le mettras dans les mains d'Hypérie ; Cette Esclave est adroite. LYZIDAN. Elle l'est je le crois. DORALIE. Va, tu sers une Reine, et tu gagnes un Roi. Il s'en va. SCÈNE V. DORALIE, seule. Ah ! Roi de mes désirs, doux Roi de ma pensée, En excusant vos coups, que vous m'avez blessée ! Douce guerre, chers coups, dignes de m'enflammer ! Ils vous ont fait haïr, ils vont vous faire aimer ; J'en dois blâmer l'effet, mais louer la personne, Et j'aime enfin la main qui m'ôte la Couronne. C'en est fait, je le sens, mon dessein est perdu, Ma haine est effacée, et mon coeur est rendu : Vous emportez, grand Prince, une étrange victoire ; Mais vos yeux à vos bras disputent cette gloire, Vos discours généreux ont plus fait que vos mains, Sans eux tous vos efforts n'eussent étés que vains ; Vous triomphez de moi par un effet contraire ; Même il vous a servi d'être un peu téméraire. Mais l'Esclave revient. Hypérie paraît. SCÈNE VI. Doralie, Hypérie. DORALIE. Toi, qui lis dans mon coeur, Viens apprendre et flatter ma nouvelle langueur, À toi seule je veux la mettre en évidence. HYPÉRIE. Mérité-je l'honneur de votre confidence ? DORALIE. Tu peux encor plus loin porter ta vanité, Si tu me sais servir avec fidélité ; Mes faveurs, et tes biens seront hors de créance ; Tu le confesseras dedans l'expérience. HYPÉRIE. Je confesse déjà, pendante à vos genoux, Que mon coeur est ingrat s'il n'expire pour vous ; Agréez ses devoirs, faites-nous cette grâce, Par ces mains, ces genoux, et ces pieds que j'embrase, Par ces pleurs que mes yeux vous donnent pour témoins Et pour gage assuré de mes fidèles soins ; Par... DORALIE. C'est trop ; lève-toi, je connais ta franchise. HYPÉRIE, bas. Ma feinte l'a touchée ; achevons ; elle est prise. DORALIE. Apprends donc mon secret. J'aime... Ô Dieux ! Qu'ai-je dit ? HYPÉRIE. Un mot seul. DORALIE. Et ce mot a mon coeur interdit : Pudeur, tu veux en vain m'imposer le silence. HYPÉRIE. Je souffre plus que vous en cette violence ; Quoi doncque votre coeur ne s'ouvre qu'à demi ? DORALIE. J'aime... Hélas ! HYPÉRIE. Achevez ; et qui ? DORALIE. Mon ennemi : Après ma lâcheté dans l'amour qui me dompte, Réponds, ne faut-il pas que je meurs de honte ? HYPÉRIE. Votre Ennemi ? Son nom ? DORALIE. Las ! En le nommant Rougis doncque pour moi ; c'est... HYPÉRIE. Dites. DORALIE. Cénomant. HYPÉRIE. [Note : Candie : Nom d'une île de la Méditerranée, aujourd'hui La Crète.]Ce fléau de l'État ? Quoi ? Le Roi de Candie ? DORALIE. C'est lui ; par mon amour connais ma perfidie. HYPÉRIE. Celui qui contre nous s'est joint aux Rhodiens ? DORALIE. Celui-là même, ô Dieux ! Me tient dans ses liens ; Assiégeant une place, il en a pris une autre. HYPÉRIE. Mais son coeur pour le moins est la rançon du vôtre ? DORALIE. Oui. HYPÉRIE. Pourquoi, s'il vous aime et connaît votre amour, D'assauts continuels la presser chaque jour ? DORALIE. Pour témoigner qu'il m'aime. HYPÉRIE. Ô la preuve inhumaine ! DORALIE. C'est un effet d'amour sous un voile de haine : Il le fait pour me plaire, il ne livre l'assaut Que pour me visiter, et monter ici haut ; Moi-même en ce dessein je lui donne l'entrée Par une fausse porte en ce lieu rencontrée : Ainsi, tant pour me voir ses désirs sont ardents : Comme on bat le dehors le Vainqueur est dedans. HYPÉRIE. Que j'apprenne le cours de votre intelligence. DORALIE. Une autre fois ; pour l'heure usons de diligence ; La Reine est toute seule, et sans doute m'attend. HYPÉRIE. Vous en deviez plus dire, ou n'en dire pas tant ; Mon esprit est rempli d'impatience extrême. DORALIE. Viens, viens, tu sauras tout. HYPÉRIE. J'en sais trop pour toi-même. ACTE III SCÈNE I. Artémise, Alcandre, Doralie, Hypérie. ARTÉMISE. Qu'il est triste ! Approchez, Alcandre ; qu'avez-vous ? ALCANDRE. Un désespoir en l'âme, encore est-il trop doux. ARTÉMISE. Pour quelque grande perte ? Ah ! Que son front est blême ? ALCANDRE. De vrai, tout est perdu ; le fussé-je moi-même. ARTÉMISE. Et le combat sanglant ? ALCANDRE. Oui, par notre vertu ; Nous avons trop, Madame, et trop bien combattu, De têtes et de bras les campagnes semées, Chassé les Ennemis leurs lignes alarmées ; Par ce dernier assaut ils auront reconnu Que s'ils le donnent bien, il est mieux soutenu ; Que ce n'est pas un coup d'une faible partie De repousser l'assaut, et faire une sortie : J'ai cent fois au combat appelé Cénomant, [Note : Gros : signifie un amas de troupes qui marchent ensemble. Il parut un gros de Cavalerie sur la colline. Ce régiment s'est rejoint au gros de l'armée. [L]]Cent fois rompu leurs gros, mais inutilement : Je l'ai cherché partout, mu d'une ferme envie D'achever ce combat par la fin de sa vie ; Tout autre sang versé faisait honte à mon bras, J'en tuais de dépit de ne le tuer pas. ARTÉMISE. Jusqu'ici je n'entends aucun sujet de plaintes. ALCANDRE. Voici de nos malheurs les dernières atteintes : Céobante, mon Prince, et votre cher Neveu... ARTÉMISE. Qu'a-t-il ? Dieux ! Que je crains ! DORALIE. Remettez-vous un peu. ALCANDRE. Craignez le sort, Madame ; ah ! qu'il nous est contraire ! Je ne saurais le dire, et je ne le puis taire ; Que ne m'a ce combat emporté le premier ! Céobante... ARTÉMISE. Est-il mort ? ALCANDRE. Non ; il est prisonnier. DORALIE. De qui ? ALCANDRE. De Cénomant. DORALIE, bas. À ce coup je respire. ALCANDRE. Et ce bras l'a souffert ? Ah ! De regret j'expire. ARTÉMISE. Et moi, je meurs de crainte ; ô jour infortuné : Jeune Prince perdu, sous quel Astre es-tu né ? Pour rendre dessus moi sa fureur assouvie Ce Barbare-là va commencer sur ta vie. ALCANDRE. Devais-je pas l'ôter moi-même à Cénomant ? DORALIE, bas. Eût-il plutôt la tienne. Il est pris ? Mais comment ? ALCANDRE. Le voyant résolu de faire une sortie, De nos meilleurs soldats j'ai pris une partie ; Qui rangés en bataille, et poussés tous ardents Contre un gros d'Ennemis, se sont jetés dedans : Rien n'a pu soutenir la première furie Tant de ses Lyciens que de ceux de Carie ; Jamais je ne fus mieux animé, ni suivi ; Nos gens pied contre pied combattent à l'envi ; Le bruit, les coups, les morts, et le sang où l'on nage Représentent sur terre un furieux naufrage : À ce choc violent les rangs sont éclaircis, Les champs couverts de sang, et les Cieux obscurcis ; Ils se font jour partout où l'ardeur les emporte, Rompent à coups de main la presse la plus forte : L'Ennemi craint nos coups, pas un ne les attend : Il fuyait, et déjà nous le menions battant ; Quand leur Cavalerie, ou peut-être pressée, Ou bien devers la roche en embûche dressée, Conduite par le Roi qu'en vain j'avais cherché Enferme Céobante au combat attaché. Suivant les Rhodiens de coups et de menace Je chassais d'autre part leur Général Pharnace ; Hors d'espoir de l'atteindre, et voyant ce renfort Que déjà s'avançait entre nous et le Fort, Content de ma victoire et de cette défaite Je regagne la porte, et je fais ma retraite ; Où Tyrène au galop entrant tout le dernier Donne avis que le Prince était fait prisonnier, Qu'emporté trop avant d'ardeur et de furie Il s'était vu saisi de la Cavalerie, Que Cénomant lui-même empêchant son trépas L'avais sauvé des coups et tiré de leurs bras. DORALIE. Tout Ennemi qu'il est, je lui suis obligée, Et je bénis la main qui me rend affligée ; Puisqu'il l'a garanti de la mort et des coups, On n'en doit espérer qu'un traitement fort doux. ARTÉMISE. Cet espoir mal fondé n'est qu'une rêverie ; Avez-vous oublié sa haine et sa furie ? Céobante est perdu, puisqu'il est en sa main. DORALIE. Il le sauve aujourd'hui. ARTÉMISE. Pour le perdre demain. ALCANDRE. Je crains la perte encor de toute la Lycie, Plus heureux si le sort eût ma trame accourcie. DORALIE. Alcandre, espérons mieux du Ciel et du destin. ARTÉMISE. Qu'est-ce encor ? Nos malheurs n'auront jamais de fin ; Où courrez-vous ? Parlez ; qui vous presse, Tyrène ? SCÈNE II. Tyrène, Alcandre, Artémise, Doralie, Hypérie. TYRENE. Vous saurez en deux mots le sujet qui m'amène : Un de nos espions fidèle reconnu, Du Camp des Ennemis en hâte ici venu, Et de qui le premier j'ai pris langue à la porte... ALCANDRE. Qu'a-t-il vu ? Dépêchez, qu'est-ce enfin qu'il rapporte ? TYRENE. Qu'à peine Céobante au camp des Ennemis Sous une garde sûre avait été remis, Et reçu dignement par le Roi de Candie ; Qu'animant ses soldats d'une fureur hardie, Cependant que le fer était encore chaud, Cénomant les rallie, et remène à l'assaut ; Que Pharnace et les siens ayant repris haleine S'étaient d'un même accord rejeté dans la plaine ; Et qu'après avoir vu leurs Enseignes au vent, Lui, s'était efforcé de gagner le devant : Voilà ce qu'il rapporte, et dont il nous assure. ALCANDRE. Allons venger sur eux et l'une et l'autre injure. ARTÉMISE. Gardez bien de sortir. ALCANDRE. Ô destins inhumains ! Quoi ? Madame, ainsi donc vous me liez les mains ? ARTÉMISE. Voulez-vous laisser seule en ce lieu votre Reine ? ALCANDRE. Soutenons donc l'assaut, et suivez-moi, Tyrène. ARTÉMISE. J'y veux être en personne, et voir l'événement : Ils s'en vont.Vous demeurez. DORALIE. Tant mieux ; j'attendrai Cénomant : [Note : Industrie : Adresse de faire réussir quelque chose, quelque dessein, quelque travail. [F]]Cet assaut pour entrer est un coup d'industrie : Va donc dans le caveau, va le prendre, Hypérie ; Lyzidan est gagné, qui commande en la Tour, Il le doit faire entrer : va ; j'attends ton retour. HYPÉRIE. Je reviens aussitôt, Madame, et je l'amène. Bas.Je lui vendrai bien cher cette légère peine. SCÈNE III. DORALIE, seule. Dangereuse entreprise, et qui flatte mon coeur Dans l'espoir de revoir cet aimable Vainqueur ; Donc pour un Ennemi, Dieux ! Qui pourrait le croire Je trahis mes parents, ma patrie, et ma gloire ? Et fais céder encore au désir de le voir Honneur, raison, vertu, pudeur, crainte, et devoir ?Que dis-je ? En quelle erreur me jette cette crainte ? Devoir, honneur, vertu, votre loi m'est trop sainte ; Non non, sans l'offenser en ce que j'entreprends, Je sauve mon pays, ma gloire, et mes parents. Mais aimer Cénomant ? Lui qui poursuit ma Mère, Lui qui n'épargne pas le tombeau de mon Père ? Mais le trouvant tout autre, et fidèle et charmant, Puis-je, quoi qu'il ait fait n'aimer pas Cénomant ? Il abat nos remparts ; je l'oblige à le faire ; De vrai, pour ce qu'il m'aime il nous est adversaire ; Il a parmi le sang mes appas pour objets, Et pour me posséder il détruit mes Sujets ; Il montre, en les perdant, ce zèle dont il m'aime, Son courage contre eux, son amour pour moi-même : Auteur de mes plaisirs, comme de mon souci, Cher amant annemi ! Mais enfin le voici : [Note : Armet : Casque, ou habillement de tête. [F]][Note : Thrace : Nom de peuple. Ils honoraient surtout Mars. Les Thraces étaient braves et belliqueux. [T]]Tel était sous l'armet le puissant Dieu de Thrace, Tel Achille marchait, et telle fut sa grâce. SCÈNE IV. Cénomant, Hypérie, Doralie. CÉNOMANT, au bout du théâtre en entrant. Quoi ? Tu dis qu'elle m'aime ? Ô Discours plein d'appas ! HYPÉRIE, bas. J'ai trop parlé sans doute, il ne le savait pas. DORALIE, les ayant ouïs, et se tirant à côté. Elle a donc révélé mon amoureux martyre : Tant mieux, c'est m'épargner la honte de le dire. HYPÉRIE, s'avançant à Doralie. J'ai si bien combattu, que voici mon butin ; Je remets en vos mains sa vie et son destin. CÉNOMANT. L'amour et mon désir secondant son envie Vous offrent en effet mon destin et ma vie. DORALIE. Ennemi, prisonnier, quel vous dois-je nommer ? CÉNOMANT. Je ne suis Ennemi, que pour vous trop aimer ; Et de quelques efforts qu'on blâme ma poursuite, L'honneur doit l'achever, et l'amour l'a produite ; Sachant votre pudeur, j'égale en mon souci Au bonheur de vous voir le malheur d'être ici ; Autant que je vous trouve et belle et vertueuse Vous verrez mon amour sainte et respectueuse. DORALIE. C'est triompher d'un lieu difficile et suspect Par armes au dehors, au-dedans par respect. CÉNOMANT. Le fruit de mon triomphe est l'honneur de vous plaire ; Je ne trouve qu'en vous ma gloire et mon salaire : On dirait que ce Dieu qui m'enflamme le sein, Comme il régit mon coeur, gouverne aussi ma main ; Céobante... DORALIE. À propos, qu'a-t-il fait à sa honte ? CÉNOMANT. J'étais ici venu pour vous en rendre compte. DORALIE. Tous objets, près de vous, me sont indifférents ; Je perds, avec mon coeur, le soin de mes Parents. CÉNOMANT. J'en prends assez pour tous ; vous le verrez, Madame : Céobante a gagné plus d'honneur que de blâme ; Ayant de vos désirs l'Oracle consulté, Je veux à mon retour le mettre en liberté ; Ce coup venu du Ciel nous était nécessaire, Pour traiter de la paix, et commencer l'affaire DORALIE. Pour notre commun bien c'est un digne souci : Allons en discourir en autre lieu qu'ici ; La salle n'est pas propre à cette conférence, Vous serez dans ma chambre en plus grande assurance ;Vous pourrez décevoir mes Filles dans ces lieux, Que jamais n'ont connu votre front ni vos yeux, Mais n'y retournez plus, faites-moi cette grâce ; J'aime et crains de vous voir ; n'entrez plus dans la place ; Le danger est trop grand. CÉNOMANT. Plus grande est mon amour. DORALIE. C'est tenter trop de fois la fortune en un jour ; Vous mettez en péril vous, moi, votre Couronne. CÉNOMANT. Pour ce coup Céobante assure ma personne. DORALIE. Allons donc en parler un peu plus sûrement. Écoute. HYPÉRIE, après que Doralie lui a parlé à l'oreille. J'accomplis votre commandement. SCÈNE V. HYPÉRIE, seule. Elle emmène ce Roi ; tout va bien, Hypérie, Tu connais son amour, poursuis ta tromperie : Ne l'ai-je pas déçue avec subtilité ? J'empruntais tous les traits de la fidélité, J'étais modeste ici, là libre et généreuse ; Tout cela, pour sonder sa pensée amoureuse : Qu'elle a bien pris l'amorce, et moi mon temps aussi ! Et qu'Alcandre averti va louer mon souci ! Ce n'est qu'à cet effet qu'il me tient auprès d'elle ; On me verra perfide, afin d'être fidèle ; Oui, c'est mon Maître enfin ; je fais ce que je dois ; L'intérêt me rejette en ma première fois ; Et pour ma liberté que je tiens assurée C'est un prix fort commun qu'une foi parjurée. Au retour de l'assaut allons donc le trouver, Et perdons Doralie afin de nous sauver. Mais elle aura sujet d'accuser ma paresse ; De fait, elle revient, sa présence me presse : Allons exécuter, après avoir tardé, Ce que tantôt tout bas elle m'a commandé. SCÈNE VI. Cénomant, Doralie. CÉNOMANT, sortant de la chambre de Doralie. Oui, je vous le promets, cette affaire est conclue, Sur tous mes intérêts vous êtes absolue ; Dès mon premier retour dans nos retranchements Je suivrai votre avis et vos commandements : Ainsi la liberté rendue à Céobante Le fera seconder mes voeux, et votre attente, Comme il est généreux il pay'ra mes bienfaits ; La Reine à sa prière acceptera la paix. DORALIE. Fût-elle inexorable, il pourra la réduire. CÉNOMANT. Mais Alcandre est à craindre, et nous peut beaucoup nuire ; Car puisqu'il vous prétend ; sur un espoir si doux Il troublera la paix et l'hymen entre nous ; Il gouverne la Reine. DORALIE. Et non pas sa famille. CÉNOMANT. Il est son général. DORALIE. Et moi je suis sa Fille. Mais d'ailleurs vos progrès nous ont réduits au point De rechercher la paix quand il n'en voudrait point. SCÈNE VII. Hypérie, Cénomant, Doralie. HYPÉRIE, s'avançant à Cénomant. Quoi doncque ? Vous trouver encore en cette place ? CÉNOMANT. Mon amour m'y retient. HYPÉRIE. Et ma peur vous en chasse : On est sur la retraite, on va finir l'assaut. Par l'ordre et le signal que j'ai fait voir là-haut. DORALIE. Souffrez qu'elle vous chasse, et que pour vous je craigne. CÉNOMANT. Au-dessus de la Tour avez-vous mis l'Enseigne ? HYPÉRIE. Trop tôt ; puisqu'on vous trouve encore dans ce lieu. DORALIE. Je l'avais ordonné. CÉNOMANT. Belle Princesse, adieu. DORALIE. Mais ne hasardez plus, grand Roi, votre personne : Adieu. CÉNOMANT, donnant un diamant à Hypérie. Voici, pour toi, l'adieu que je te donne. DORALIE. Allez, suivez ce Prince, et le reconduisez. HYPÉRIE. J'offenserais vos dons, s'ils étaient refusés. DORALIE, seule. Après de si grands maux, après un tel orage, Le beau port que je trouve au milieu du naufrage, Alcandre et son Lieutenant viennent par l'endroit où Cénomant est sorti.Mais je retombe en mer quand le port s'est montré : Que vois-je ? Quel danger ! L'ont-ils point rencontré ? Il est parti trop tard ; je tremble, quand j'y pense ; L'assaut n'est pas fini, qu'un plus grand recommence. SCÈNE VIII. Alcandre, Doralie, Tyrène. ALCANDRE. Ne craignez rien, Madame, et pourquoi tremblez-vous ? DORALIE. Ce n'est pas sans sujet ; Fortune ! ALCANDRE. Elle est pour nous ; Ces assauts redoublez sont à notre avantage. TYRENE. Et sur tous le dernier. DORALIE. Je le crains davantage. ALCANDRE. On ne trouva jamais... DORALIE. Quoi ? Qu'aurait-on trouvé ? ALCANDRE. D'assaut si bien donné, ni si mal achevé ; Leur retraite, et si prompte, et si précipitée, Pourrait être à bon droit, pour fuite réputée. DORALIE. Fuite heureuse ! ALCANDRE. Il est vrai ; mais pour eux. DORALIE. Mais pour moi. ALCANDRE. Ils ne me seraient pas échappés, ni leur Roi. DORALIE. Ah ! Je crains pour lui seul, son destin m'épouvante. ALCANDRE. Vous craignez hors de temps ; pour qui ? DORALIE, surprise, et après avoir rêvé. Pour Céobante. TYRENE. Concevez-vous enfin le sujet de sa peur ? DORALIE, bas. Ce mot seul m'a sauvée, et rassure mon coeur. ALCANDRE. Ce bras vous le rendra, Madame, je le jure. DORALIE, en équivoque. Je l'attends. ALCANDRE. Oui, ce bras vengera votre injure. DORALIE. Vous seriez en danger ; vous prenez trop de soin. ALCANDRE. J'en prendrai plus encore. DORALIE, froidement. L'esclave paraît au bout du théâtre.Il n'en est pas besoin. Adieu ; de vos exploits entretenez la Reine. Bas.Sortons ; j'ai vu l'Esclave, et je suis hors de peine. SCÈNE IX. Hypérie, Alcandre, Tyrène. HYPÉRIE. Cherchons Alcandre enfin : que l'assaut m'a duré ! Respirons, et suivons mon dessein différé. ALCANDRE, au bout du théâtre. Cet adieu si mal pris est bien froid pour ma flamme : Mais l'esclave à propos consolera mon âme. Sur quel dessein rêvait Hypérie à l'écart ? HYPÉRIE. Il vous regarde seul. TYRENE, se voulant retirer. Je n'y puis prendre part, Le secret important fait que je me retire. ALCANDRE, le retenant. Nous l'entendrons tous deux, quoi qu'elle puisse dire ; Mon esprit n'eut jamais rien de caché pour vous. Parle donc. HYPÉRIE. Je ne puis, lorsque je m'y résous : Publierai-je ce crime ? Oserai-je le dire ? ALCANDRE. Elle parle d'un crime, elle pleure, et soupire : Que serait-ce ? HYPÉRIE. Un malheur. ALCANDRE. Quel ? HYPÉRIE. Hélas qu'il est grand ! Mon coeur ne l'ose dire, et mon coeur l'entreprend. ALCANDRE. Plus que le propre mal, l'attente en est cruelle : Dépêche. HYPÉRIE. Vous verrez si je vous suis fidèle : Mais pour ce rare effet de ma fidélité, Je demande, Seigneur. ALCANDRE. Et quoi ? HYPÉRIE. La liberté, Ce prix me fut promis, l'affaire est importante. ALCANDRE. Que ta sensible voix et m'afflige, et me tente ! Sois libre. HYPÉRIE. Et ce collier, ces fers, ôtez-les-moi. ALCANDRE, tire une petite clef de sa poche, et en ouvre son collier et ses fers. Viens ; je t'accorde tout : enfin sachons sur quoi. HYPÉRIE, tenant ses fers et son collier en ses mains. Hélas ! Que dois-je dire ? ALCANDRE. Hélas ! Que dois-je craindre ? TYRENE. Quelque remords l'effraie, et semble la contraindre. HYPÉRIE. Préparez maintenant votre coeur aux douleurs, L'oreille à mes discours, comme les yeux aux pleurs. ALCANDRE. D'un tel commencement, quelle fin dois-je attendre ? HYPÉRIE. Tout consiste en deux mots que vous allez entendre : Doralie aime... ALCANDRE. Qui ? Nomme-le. HYPÉRIE. Cénomant. ALCANDRE. Que Doralie ait eu ce lâche mouvement ? HYPÉRIE. Oui contre l'apparence, et contre l'État même. TYRENE. Cette foudre le rend perclus, muet, et blême : Rappelez ce grand coeur, ce coeur si généreux. ALCANDRE. Tirez-le de mon sein plutôt ce malheureux. Justes Dieux ! Mais que fais-je ? En vain je les réclame ; Ils n'ont point de remède aux douleurs de mon âme : Elle aime un Ennemi ? Non ; ma voix, que dis-tu ? Mon coeur, qui te dément, parle de sa vertu ; Elle ne peut commettre une faute pareille ; Dois-je à ce faux rapport en croire mon oreille ? HYPÉRIE. Pour peu que vous soyez sensible et curieux, Si vous ne m'en croyez, vous en croirez vos yeux ; Vous les verrez ensemble ? ALCANDRE. Ici ? HYPÉRIE. Dans cette place. TYRENE. Ô Dieux ! À ce récit je me sens tout de glace. ALCANDRE. Quoi ? Ce Roi dans ce Fort ? TYRENE. Ce Roi. HYPÉRIE. Lui-même, lui, Que Doralie a vu par deux fois aujourd'hui. ALCANDRE. Le sais-tu ? HYPÉRIE. Je le sais, comme leur confidente, Qui vous sers, qui vous rends leur amour évidente, Qui l'ai vu, l'ai conduit, et viens de le quitter. ALCANDRE. Courons à lui, courons ; il faut me contenter ; Montre-le-moi ; volons sur ses pas, Hypérie : Prépare-toi, mon bras ; arme-toi, ma furie : Il me semble déjà que je nage en son sang. HYPÉRIE. Mais en vain ; ô malheur ! Car il est dans son Camp. ALCANDRE. Fureur, bras, arrêtez ; il est en assurance : Quoi ? Ne m'as-tu donné qu'une vaine espérance ? Doncque tout ce grand feu se résout en vapeur ? Tu ne mets en mes mains qu'un fantôme trompeur ? Ne me le cèle plus ; est-il chez la Princesse ? HYPÉRIE. Non ; je l'ai mis dehors. ALCANDRE. Et ma colère cesse ? Ah ! Perfide ! Il fallait avant m'en avertir. HYPÉRIE. Vous étiez à l'assaut ; lui pressé de sortir. ALCANDRE. Et laisser, ô Méchante, échapper cette proie ? Rends-la nous. HYPÉRIE. Oui, Seigneur ; si le sort la renvoie. ALCANDRE. Reviendra-t-il encor ? HYPÉRIE. Non. ALCANDRE. Ah ! Je suis perdu. HYPÉRIE. À ses voeux Doralie a ce point défendu. ALCANDRE. Reprends tes fers, Esclave ; évite ma présence, Pour Doralie encor j'ai cette complaisance : Renchaînez-la Tyrène. HYPÉRIE. Hélas ! Quel changement ! Et bien, si je remets en vos mains Cénomant ? ALCANDRE. Le pourrais-je espérer ? HYPÉRIE. Oui, Seigneur, je le jure, Et que vous vengerez sur ce Roi votre injure. ALCANDRE. Tyrène, laissez-la. Comment le feras-tu ? HYPÉRIE. Songeons-y, mon esprit montre ici ta vertu. J'ai trouvé le moyen, il est indubitable : Mais, Seigneur, j'en prévois ma perte inévitable. ALCANDRE. Ne crains rien, en ce cas je te dois protéger ; Et je prends tout sur moi, ce fardeau m'est léger. Parle donc. HYPÉRIE. Un billet contrefait par adresse Vous le ramène, ici mandé de la Princesse. ALCANDRE. C'est le Ciel qui t'inspire un si beau mouvement. HYPÉRIE. Rentrons ; je vous dirai le tout plus clairement ; D'un esprit plus remis permettez que j'explique Et tant de vains assauts, et toute leur pratique, Leur dessein, leurs amours, le temps, et la façon. ALCANDRE, lui donnant la clef de ses fers. Oui : mais remets tes fers, pour ôter tout soupçon. TYRENE, lui remettant ses fers. Tu sauves d'un seul coup, favorable Hypérie, Doralie, Artémise, Alcandre, et ta Patrie ! On ferme le Mauzolée. ACTE IV SCÈNE I. Doralie, Céobante. DORALIE. Céobante, quel sort vous redonne à mes yeux ? CÉOBANTE. Le plus heureux du monde et le plus glorieux. DORALIE. Dans une heure être pris ? Et rendu dans une autre ? C'est l'effet d'un destin plus heureux que le nôtre. CÉOBANTE. Et si grand, que jamais je ne l'eusse attendu : À peine ai-je eu loisir de me croire perdu ; Comme ce coup fatal m'est venu sans le craindre, Je m'en suis vu guéri devant que de me plaindre ; Sorti j'ai seulement reconnu ma prison, Je ne sais si j'y fus, j'en doute avec raison : Cet Ennemi courtois, en me sauvant la vie, Ne me plaignait pas moins que s'il me l'eût ravie, Mais à cette faveur joignant ma liberté, Que n'a-t-il pas montré de générosité ? DORALIE. Avez-vous vu la Reine ? CÉOBANTE. Un moment. DORALIE. Qu'en dit-elle ? CÉOBANTE. Que sans doute le Ciel me tient en sa tutelle ; Qu'elle ne peur sortir de son étonnement ; Qu'elle rend grâce aux Dieux. DORALIE. Et rien de Cénomant ? CÉOBANTE. Non : soyez plus sensible à sa vertu suprême ; Il est courtois, vaillant ; et de plus il vous aime ; Ce dernier point m'oblige autant que ses bienfaits ; Déjà son alliance entre dans mes souhaits ? Et je m'en vais moi-même y disposer la Reine : Préférez son amour à votre injuste haine, Et croyez, Doralie, après mon sentiment, S'il est fier Ennemi, qu'il est plus doux Amant. DORALIE, froidement. Par votre liberté je connais son mérite. CÉOBANTE, bas. Qu'elle est froide ! Madame, il faut que je vous quitte ; On m'attend au Conseil. DORALIE. Allez ; je vous y suis. Seule.Ah ! Que j'ai déguisé mon désir devant lui ! Reviens, désir, espoir : Dieux ! Comme tout se change ! Qu'est-il que la vertu dessous ses lois ne range ? Elle fait rechercher ce qu'on a dédaigné : Courage, il est à nous, Cénomant l'a gagné ; Avec un tel appui je ne crains plus Alcandre. On dispute ma cause : allons au moins l'entendre. SCÈNE II. Artémise, Doralie, Céobante, Alcandre. On ouvre le Mauzolée, où l'on tient le Conseil de guerre, et Doralie y entre. ARTÉMISE. Est-ce là cette paix ? Est-ce là cet accord ? M'en osez-vous parler ? Me faites-vous ce tort ? Demander Doralie ? Et pour qui ? Quelle audace ! Prenez-vous ce chemin pour rentrer en la place ? Me parler d'alliance avecque Cénomant ? Vous lui deviez promettre encor ce Monument, Les cendres de Mauzole, et toute ma Famille ; Non, ce n'est pas assez d'un sceptre, et de ma Fille : Quoi ? Ne serait-ce pas par de lâches effets Le payer dignement des maux qu'il nous a faits ? Sa fureur qui nous perd, serait récompensée ? Sa haine aurait un prix de m'avoir offensée ? Et pour l'excès commis d'un pays ruiné, Qu'il a détruit lui-même, il lui serait donné ? Ô projet téméraire, et qui n'a pas moins d'exemple ! Faire cet hyménée ? Et comment ? En quel Temple ? Tous les nôtres déjà sont par lui profanés, Nos Autels démolis, nos Dieux abandonnés, La sainteté des lieux est partout violée ; Un seul tombeau nous cache, et c'est le Mauzolée ; Qu'il vienne, le Barbare, en ce projet nouveau Accomplir son hymen dessus ce froid tombeau ; De toute la Carie un seul Temple nous reste, Nous n'avons qu'un Autel, encore est-il funeste : Qu'il s'en serve, qu'il vienne en ce triste séjour Du Temple de la Mort faire un Temple d'Amour ; Voici, voici le lieu propre à cette hyménée ; Ce marbre servira de couche infortunée, Et l'Ombre de Mauzole autour de son tombeau, En la place d'Hymen portera le flambeau. DORALIE. Dieux ! Je tremble à l'ouïr, et ce triste langage D'un hymen malheureux m'est un mortel présage. ARTÉMISE. Mais que vive plutôt j'entre en ce Monument, Que d'agréer ses feux et rompre mon serment ; Je l'ai fait, et je jure encor par cette Cendre, Par ce lieu qu'il attaque, et qu'il nous faut défendre, Que jamais Cénomant, cet Ennemi mortel... CÉOBANTE. N'en parlez pas ainsi, croyez qu'il n'est pas tel : Madame, permettez que ma bouche réponde Pour un Roi si courtois et le plus doux du Monde. ARTÉMISE. Tel le voit la Carie, on l'a tel éprouvé. CÉOBANTE. Je le figure au vrai tel que je l'ai trouvé, Vertueux, obligeant, à nos malheurs sensible : Il n'a pour tous défauts qu'une amour invincible, Qui l'arme contre nous, et le fait soupirer Pour le sang que son bras est contraint de tirer ; Son coeur avec sa main n'est pas d'intelligence ; L'amour le fait combattre, et non pas la vengeance : Regardez ses drapeaux ; on y lit à l'entour (Ennemi seulement pour avoir trop d'amour.) Quoique victorieux il tienne la Carie, Aimez-le, il vous la rend ; écoutez-le, il vous prie ; Il vous offre le sceptre après l'avoir ôté, Pour montrer seulement qu'il l'a trop mérité. Il prétend Doralie, et tout l'en montre digne, Sa vaillance, son rang, et son amour insigne : Je doute qui des deux on doit plus accuser, Lui, de poursuivre ainsi ; vous, de le refuser : Je l'excuse après tout, et désormais j'estime Sur l'injuste refus la guerre légitime ; Voyez de quels malheurs il est accompagné, Et refusant ce Roi ce que l'on a gagné : Depuis que ce refus lui fit prendre les armes Nous n'avons vu que feux, que meurtres, et qu'alarmes ; Même ces Rhodiens près de nos murs logés, Qui vous payaient tribut, nous tiennent assiégés ; Ils vous ont attaquée, ils vous ont combattue, Vous, que dans Rhode même ils craignaient en statue ; Ils vous ont fait fuir jusqu'en ce Monument. ALCANDRE. Et tout cela, mon Prince, enfin par Cénomant : Vous blâmez leur révolte ; et c'est lui qui les pousse ; Sa main rougit de sang ; et vous la nommez douce ; Ils nous sont Ennemis ; il les a soulevés ; Ils suivent ses desseins ; et vous les approuvez. De dire que l'amour le porte en cette terre, Qu'elle soit le sujet de cette injuste guerre ; Non, pourrait-on tirer un triste événement, Et tant de cruauté d'un si doux fondement ? Ô Dieux ! L'étrange amour ! Sachez, quoi qu'il publie, Qu'il aime cet État bien plus que Doralie : Avant que de l'aimer, et que d'être venu Dedans le Mauzolée en habit inconnu, Où lui-même nous dit que son feu prit naissance, N'avions-nous pas senti son injuste puissance ? Il n'aimait pas encore ; alors il déploya Mille voiles au vent qu'à Rhode il envoya, Qui depuis sous la main du Général Pharnace Vinrent fondre sur nous au port d'Halicarnasse : La Reine les défit, mit Rhode sous ses lois : Et ce Roi les soulève encore une autre fois ; Il reprend leur querelle, avec eux il s'allie, Pour prétexte nouveau feint d'aimer Doralie : Pourquoi, s'il n'est qu'Amant, joindre nos Ennemis ? Réveiller des Mutins, qui nous étaient soumis ? Pour juger du dessein, voyez la procédure, Il se plaint d'un refus, et poursuit leur injure : Que ne se couvre-t-il de son propre intérêt ? Prenant ainsi le leur, il montre ce qu'il est, Ennemi conjuré de toute la Carie, Qui sous un nom d'amour exerce sa furie. DORALIE. Que dira-t-il ? Ô Dieux ! Que n'osé-je parler ? ALCANDRE. Son dessein est injuste ; il fallait le voiler ; Le prétexte est d'amour ; l'apparence était belle : Mais l'effet a rendu la cause criminelle : Liguer nos Ennemis, pour venger un refus ? Tout perdre ? DORALIE. À ces raisons il cède, il est confus. CÉOBANTE. Mais il rend tout aussi, pays, sceptre, et moi-même ; Et de tant de faveurs pour prix souffrez qu'il aime ; Permettez-lui ce point, la Carie est à vous ; Ce Conquérant viendra vous la rendre à genoux. ARTÉMISE. Quelques autres raisons que votre esprit invente, Alcandre a pris le fait, généreux Céobante : Je connais votre coeur, je sais que vous m'aimez, Et qu'un même dessein nous tient tous enfermés ; Que vous et vos soldats prenez part à ma perte ; Que toute la Lycie avec eux m'est offerte ; Qu'après la triste mort d'un Époux si chéri Vous m'avez tenu lieu de Fils et de Mari : Tous vos discours, suspects en la bouche d'un autre, Me semblent, cher Neveu, vertueux en la vôtre ; Si vous avez loué ce Monarque vainqueur, C'est par reconnaissance, et non faute de coeur, C'est à quoi par devoir votre honneur vous convie ; Vous lui devez beaucoup, en lui devant la vie : Ce point, qui par raison vous porte à l'estimer, Tout Ennemi qu'il est me le ferait aimer ; Si tant de cruauté, de perte, et de dommage Ne me le présentait dessous une autre image ; Si l'outrage plus grand n'effaçait en effet, Par nos maux endurés, le bien qu'il vous a fait. CÉOBANTE. Nous méritons encor tous ceux qu'il nous prépare ; Quoi ? Pourrais-je oublier une vertu si rare ? Puisque je ne lui sers que d'un si faible appui, Madame, permettez que je retourne à lui, Que je rentre en mes fers, et que mon impuissance Sois la marque du moins de ma reconnaissance. ARTÉMISE. Ô Dieux ! Que dites-vous ? CÉOBANTE. Tout ce que je ferai. ARTÉMISE. Faites, faites, cruel ; sachez que je mourrai ; Oui, devant que le sort à ce Roi nous allie, Je me sacrifi'rai moi-même, et Doralie : Impie, est-ce le fruit de mes plus tendres soins ? Je vous tenais pour fils ; et que m'êtes-vous moins ? N'ai-je pris le souci de vos jeunes années, Qu'afin de voir par vous les miennes terminées ? Va, coeur dénaturé, va donc, il t'est permis, Va, sois le plus méchant de tous mes Ennemis ; Cruel à tes Parents, ingrat à qui t'honore, Va suivre ce Barbare, et le sois plus encore : Va. ALCANDRE. Madame, écoutez : Prince, que direz-vous ? CÉOBANTE. Alcandre, je ne sais. ALCANDRE. La laisser en courroux ? CÉOBANTE. Laisserai-je ma foi ? ALCANDRE. Laisserez-vous la Reine ? CÉOBANTE. Je suis l'honneur, je suis sa loi plus souveraine. ALCANDRE. Le sang et la Nature ont bien un autre rang ; Suivez leurs lois, oyez la Nature, et le sang. Oui, Madame, il revient : quittez votre colère ; S'il a craint d'être ingrat, il craint de vous déplaire ; Enfin il fait céder en un combat si grand Le nom de redevable à celui de Parent. ARTÉMISE, se levant. À ce coup je connais que Céobante m'aime : Et j'ai dompté son coeur, par son courage même. CÉOBANTE. Non, ne relâchons point ; mon esprit se résout ; Plutôt que de te perdre, ô ma foi, perdons tout. ARTÉMISE, l'emmenant. Allons vaincre une humeur si rêveuse et si triste. Ciel, faites-le fléchir. DORALIE, bas. Ciel, faites qu'il persiste. ALCANDRE. Elle sort : tout va bien, songeons à d'autres coups ; Passons. SCÈNE III. Hypérie, Alcandre. HYPÉRIE. Je vous cherchais. ALCANDRE. Et bien, le verrons-nous ? HYPÉRIE. Oui, Seigneur ; le voici, que Lyzidan amène : Je courrais devers vous, et j'en suis hors d'haleine ; Lui-même le conduit, de crainte d'accident ; Je vous ai déjà dit qu'il est leur confident : Vous connaîtrez enfin que je suis véritable. ALCANDRE. Crois, crois que ce dessein te sera profitable : Je te donne à la Reine, afin de t'assurer ; Ta retraite est certaine. HYPÉRIE. Il nous faut retirer, Vous, dans ce Cabinet ; moi, j'irai chez la Reine. ALCANDRE. Mais fais venir devant des Gardes et Tyrène. HYPÉRIE. Voici ce Roi. ALCANDRE. Mon coeur ne se peut contenir : Retirons-nous pourtant, et laissons-le venir. SCÈNE IV. Lyzidan, Cénomant. LYZIDAN. Oui, l'ordre d'Hypérie est que je vous attende : Mais venir sans assaut ? CÉNOMANT. La Princesse me mande ; Lyzidan, c'est assez ; va, retourne en la Tour, Pour y favoriser et cacher mon retour. LYZIDAN. Ah ! Seigneur, remettez une telle visite, Voyez en quel danger elle vous précipite ; Puisque j'ai connu vos secrets importants, Croyez-moi, retournez, et prenez mieux le temps. CÉNOMANT. Je ne puis ; et d'ailleurs Hypérie est prudente ; Ma sûreté dépend de cette Confidente ; Le chemin sera libre, elle te l'a promis. LYZIDAN. Songez où vous allez, parmi vos Ennemis ; Seigneur. CÉNOMANT. Va, laissez-moi. Je vois sa chambre proche. ALCANDRE, bas. Il en sait le chemin. LYZIDAN. J'attendrai vers la roche : Conduisons-le des yeux. CÉNOMANT. Que ce lieu m'est suspect ! Je tremble ; est-ce de peur ? Non pas, c'est de respect : Quoi que le coeur me die, et quoi qu'encore je tremble, Entrons. ALCANDRE. Laissons-le entrer, pour les trouver ensemble. SCÈNE V. Alcandre, Lyzidan, Tyrène, Céobante, Gardes. ALCANDRE. Arrêtez. Vous, Tyrène avancez. LYZIDAN. À quel point Le malheur de ce Prince et le mien est-il joint ? TYRENE. On nous suit. ALCANDRE. Qui ? TYRENE. Seigneur, le Prince de Lycie. ALCANDRE, s'avançant à Céobante. La trahison, grand Prince, enfin est éclaircie. CÉOBANTE. Qu'est-ce ? Alcandre ; et pourquoi ces Gardes assemblés ? ALCANDRE. Cénomant est ici. CÉOBANTE. Que mes sens sont troublés ! Qu'entends-je ? Ah ! Quel malheur ! ALCANDRE. Mais plutôt quelle audace : Il séduit Doralie, et corrompt cette place : Elle l'aime ; il la voit. Lyzidan, qu'est-ce ci ? LYZIDAN. Seigneur, par ordre exprès je l'ai conduit ici ; La Princesse en un mot m'a donné cette charge ; Et son commandement prévaut, et me décharge. ALCANDRE. Ce point me regardait. CÉOBANTE. Quoi ? Même un Lycien ? LYZIDAN. J'obéis. ALCANDRE. C'est beaucoup ; au moins faites le bien. CÉOBANTE. Cénomant dans ce lieu ? Quelle étrange aventure ! Sa perte m'est sensible autant que notre injure : Quoi donc ; que dois-je faire ? ALCANDRE. Ah ! Prince, autant que moi ; Servir ici la Reine, et lui garder la foi. CÉOBANTE. De même à le servir cette foi me convie. ALCANDRE. Un perfide ennemi ? CÉOBANTE. Qui m'a donné la vie. ALCANDRE. C'est bien obstinément aimer nos Ennemis ; Considérez la Reine ; et qu'avez-vous promis ? CÉOBANTE. Trop. ALCANDRE. Ne serez-vous point touché de sa disgrâce ? Contre elle quel Démon a suscité sa race ? L'Ennemi perd sa Fille ; en êtes-vous content ? Sa Fille la trahit ; en ferez-vous autant ? Et bien ; vous le voulez ; le voilà dans la place ; Attendrons-nous qu'il sorte, ou bien qu'il nous en chasse ? Si c'est peu de la Fille à ses honteux desseins, Oui, mettez-lui la Mère encore entre les mains : Il vous rend vif et libre ; et c'est par un envie De vous ôter l'honneur, qui vaut plus que la vie : Ô Dieux ! Qu'à ce bienfait vous êtes obligé ! Que sa témérité vous doit rendre affligé ! Vous êtes généreux ; et ce Méchant vous trompe. CÉOBANTE. Non non, ne croyez pas que ma foi se corrompe : Quelque dessein qu'il ait ; il est Prince, il est Roi ; Je sais ce qu'il mérite, et ce que je lui dois. TYRENE. Il vient. ALCANDRE. Retirons-nous où nous pouvons l'attendre : Allons ; vous saurez tout. CÉOBANTE. Je saurai le défendre. SCÈNE VI. Doralie, Cénomant. DORALIE. Allez ; je n'entends rien ; sortez, retirez-vous. CÉNOMANT. Écoutons-nous, Madame. DORALIE. Hélas ! Conservons-nous : Quoi ? Venir sans assaut ? CÉNOMANT. En diligence extrême. DORALIE. Je l'avais défendu. CÉNOMANT. C'est par votre ordre même. DORALIE. Quel ordre. CÉNOMANT. Le voilà, regardez cet écrit. DORALIE. Aurai-je, pour le lire, assez d'yeux et d'esprit ? On nous trahit tous deux ; et par là je soupçonne Quelque dessein caché contre votre personne : Ce billet de ma part ? CÉNOMANT. Signé de votre main. DORALIE. Il me semble en l'ouvrant qu'un fer m'ouvre le sein. CÉNOMANT. Je le tiens d'Arbiran, votre Espion fidèle. DORALIE. Doralie. On mentait ; ce ne fut jamais d'elle. Mais lisons : Doralie à son Roi Cénomant. CÉNOMANT. Vous deviez m'épargner, et lire : à son Amant. DORALIE. LETTRE, que Doralie lit.Céobante travaille, et montre un grand courage. Venez en diligence, et prenez bien le temps ; Il me reste à vous voir, pour accomplir l'ouvrage ; N'attendez point l'assaut, puisque je vous attends. Puisque je vous attends ? Moi ? Dieux ! Quelle imposture ! CÉNOMANT. Ce nom au bas, du moins est de votre écriture. Ne sortirez-vous point de cet étonnement ? DORALIE. Je ne puis ; sauvez-vous ; on vous perd, Cénomant : Tout est faux, le billet, et l'auteur, et l'affaire ; Nos desseins ont bien pris une face contraire. CÉNOMANT. Que dites-vous ? DORALIE. Sortez, fuyez ; c'est dire tout. CÉNOMANT. Me cacher mon malheur ? DORALIE. Le porter jusqu'au bout ? Allez. SCÈNE VII. Céobante, Cénomant, Doralie, Alcandre, Tyrène, Lyzidan. CÉOBANTE. Non, je ne puis ; c'est en vain qu'on me tente. CÉNOMANT. Encore un mot. Qu'a fait cet ingrat Céobante ? DORALIE. Ce que contre un rocher vainement et sans fruit Font les flots, peu d'écume après, beaucoup de bruit. CÉOBANTE. Et tu pourrais, mon coeur, endurer cette injure ? ALCANDRE, à Céobante. Vous l'oyez : avançons ; souffrez qu'on s'en assure. TYRENE, aux Gardes. Vous autres, tenez-vous tous prêts à l'action. ALCANDRE, tirant l'épée. Tyrène, par ce fer vois mon intention. DORALIE, voyant Alcandre et Tyrène qui surprennent Cénomant. Ah ! Prince, on vous surprend ; hélas ! Je suis perdue. CÉNOMANT, pris et tenu. Quoi ? Perdrai-je la vie ? Et sans l'avoir vendue ? CÉOBANTE. Ce procédé mérite un reproche éternel ; L'attaque-t-on en Prince, ou bien en criminel ? CÉNOMANT. Qui vous retient, mes bras ? ALCANDRE. L'épée, il faut la rendre. CÉNOMANT. Rendre ? Ah ! Si je pouvais... CÉOBANTE. Que l'on l'épargne, Alcandre ; Respectez sa personne. Ah ! Que de vains efforts ! Puis s'adressant à Cénomant.Rendez-vous sur ma foi, puisqu'ils sont les plus forts. CÉNOMANT. Parmi mes Ennemis je vois donc Céobante ? Ingrat, est-ce le fruit d'une si juste attente ? Rends-tu le bien ainsi, qu'on te vient de prêter ? N'as-tu reçu le jour, qu'afin de me l'ôter ? As-tu juré ma mort, toi, qui me dois la vie ? Ta liberté rendue a la mienne asservie ? Qui jamais de la sorte a payé des bienfaits ? Un même jour a vu ces différents effets ; Céobante Ennemi me trouve à sa défense ; Je le sauve ; il me perd ; je l'oblige ; il m'offense. CÉOBANTE. Que vous connaissez mal mon déplaisir secret ! J'ai de votre malheur plus que vous de regret ; Pour vous montrer mes voeux et ma reconnaissance, Ah ! Que ne suis-je encor dessous votre puissance ! Ma prison me plairait, j'aurais moins de souci ; Que n'y suis-je, plutôt que de vous voir ici ! À tous vos intérêts l'honneur, ma foi me lie : Mais venir en ce lieu séduire Doralie ? Je puis, sans être ingrat, blâmer votre attentat ; Que ne vous dois-je point ? Que ne dois-je à l'État ! CÉNOMANT. Je vous rends votre foi. CÉOBANTE. Non, rien ne m'en dispense. CÉNOMANT. Mais j'attends une grâce au moins en récompense, Qu'à mon rang, qu'à ma perte on ne peut dénier : Tenez, je tends les bras, me voilà prisonnier ; Mais pour souffrir ce nom, dont la honte me blesse, Permettez-moi d'offrir l'épée à ma Princesse, Qu'elle seule ait sur moi ce droit d'autorité ; Je ne rougirai point de ma captivité. CÉOBANTE. Laissez-lui son épée ; il m'a laissé la mienne ; Je l'ai pris sur ma foi, je le mets sur la sienne ; Je prétends qu'on le traite ainsi qu'il m'a traité. ALCANDRE. Je regarde ma charge. CÉOBANTE. Et moi sa qualité. DORALIE. Oui, cette charge, Alcandre, est belle et généreuse, Et doit fort avancer votre flamme amoureuse ? Vous croyez, par ce Roi que vous avez surpris, Faire un grand coup d'État, dont je serai le prix : Mais traître, mais, barbare, apprends que je t'abhorre, En perdant Cénomant que tu me perds encore ; Pour sortir de tes mains qu'il me reste un tombeau, Que je l'épouserai plutôt que mon bourreau. ALCANDRE. Ah ! Madame, je sais ce que la Reine ordonne, Et c'est sous d'autres noms, et c'est pour la Couronne. DORALIE. Et c'est pour ton amour, et c'est pour tes desseins : Mais... CÉNOMANT. Tous ces mouvements sont trop grands et trop vains : Vos maux et non les miens veulent que je pâlisse, Votre douleur, Madame, est mon premier supplice ; Et le destin d'un jour, par qui j'ai trop vécu, S'il ne vous touchait point, ne m'aurait pas vaincu : Mais de vous voir en peine et mêlée en ma faute, Vous, qui pour y tomber, avez l'âme trop haute, Vous, dont le Ciel ingrat connaît la pureté ; C'est où de mon destin je sens la cruauté. Employez donc ce fer qui reste en ma puissance, Effacez par ma mort le soupçon d'une offense ; Oui, c'est à ce dessein que je vous l'offre ici : Vengez-vous ; perdez-moi ; l'honneur le veut ainsi. DORALIE. Je le laisse en vos mains, pour vous venger vous-même : Adieu. Vous, cher Cousin, conservez ce qui m'aime. CÉOBANTE. J'aurai pour un Ami, j'aurai pour un Amant Ce qu'un coeur généreux conçoit de sentiment. DORALIE, regardant et Céobante et Cénomant. Enfin souvenez-vous, qu'en vos mains je le laisse. CÉNOMANT. Je vous entends. DORALIE, s'en allant. Cachons mes pleurs et ma faiblesse. CÉOBANTE. Gardes, retirez-vous, n'approchez point ce Roi. ALCANDRE. On le mène à la Reine. CÉOBANTE. Et je l'y mène, moi. ALCANDRE. Le tirer de leurs mains ? Ah ! C'est trop entreprendre : Contre vous nul ici n'oserait se défendre, Ce respect vous est dû, mais, grand Prince, pensez Que j'agis pour la Reine, et que vous l'offenser. CÉOBANTE. Cette offense est vertu ; je veux bien en répondre. CÉNOMANT. Sa générosité commence à me confondre : Prince, conservez-vous, ne suivez point mes pas ; Aimez-moi tout perdu, mais ne vous perdez pas. CÉOBANTE. Non, si vous périssez, il faut que je périsse ; Je ne recule point, voyant le précipice. ALCANDRE. Prince, que faites-vous ? CÉOBANTE. Je fais ce que je dois. LYZIDAN. Voulez-vous donc périr ? CÉOBANTE. Je veux garder ma foi : J'irai de tout, Alcandre, en répondre à la Reine. Lyzidan, suivez-nous. ALCANDRE. Et suivez-les, Tyrène ; Tandis qu'à nos soldats, qu'il en faut avertir, Je donne ordre partout qu'ils ne puissent sortir. ACTE V SCÈNE I. Artémise, Céobante, Tyrène, Hypérie. ARTÉMISE. Quoi ? Vous le retenez ? Quoi vous l'osez défendre ? CÉOBANTE. Résolu de périr plutôt que de le rendre : Je le rendrai pourtant, et dans peu, mais aux siens ; Ou nous mourrons ensemble, et tous mes Lyciens. ARTÉMISE. Allez : c'est trop souffrir un excès de licence : Allez, ingrat, allez ; sortez de ma présence. CÉOBANTE. Oui, Madame, je sors ; et je jure en sortant De signaler ma foi par un coup important ; Alcandre... ARTÉMISE. Que dit-il ? CÉOBANTE. Répondra de l'outrage ; Qui rit de ma vertu connaîtra mon courage. ARTÉMISE. Comment ? Vous menacez ? CÉOBANTE. C'est peu. ARTÉMISE. Sortez. CÉOBANTE. Je sors ; Je parle ici, Madame, et j'agirai dehors. ARTÉMISE. Qu'a-t-il dit ? Qu'ai-je ouï ? Me craint-il ? Suis-je Reine ? Empêchez son dessein. TYRENE. N'en soyez point en peine ; Que je meure à vos pieds si l'un ni l'autre sort : Alcandre a déjà mis tout l'ordre dans le fort, Tient en armes chacun ; la Garde est renforcée. ARTÉMISE. Observez l'insolent ; il m'a trop offensée. TYRENE, s'en allant. C'est un feu de jeunesse, et je vais l'apaiser. ARTÉMISE. Ah ! Fille ! Que de maux ton amour va causer !N'était-ce pas assez de me voir assiégée, Mon Royaume perdu, ma maison ravagée ? Devais-je aux derniers maux où mes jours sont soumis Compter ma Fille encore parmi mes ennemis ? Hélas ! Ce dernier trait me perce jusqu'à l'âme : S'est-elle pu jeter dans une indigne flamme ? Recevoir en son coeur, recevoir en ces lieux Un Ennemi mortel, sanglant, et furieux ? S'entendre avecque lui par de sourdes pratiques, Et joindre ce Barbare à nos Dieux domestiques ? En faire son Idole ? Ô sensible regret ! Le voir et lui parler, l'attirer en secret ? HYPÉRIE. Madame, n'ayez point de soupçon qui l'offense ; Permettez, s'il vous plaît, ce mot en sa défense : Je n'ai vu Cénomant dans le fort qu'aujourd'hui, Qu'un amour vertueux en elle comme en lui ; J'en suis témoin, Madame, et l'ayant accusée, Si j'en déposais plus, vous seriez abusée. ARTÉMISE. Un vertueux amour ? Que j'avais défendu ? Aimer un Ennemi, par qui j'ai tout perdu ? L'introduire en ce Fort ? Lui livrer cette place ? HYPÉRIE. Sans l'excuser, Madame, écoutez-moi, de grâce : Lyzidan Lycien qui le mit dans le Fort, Qui m'a tout confessé, dit qu'on la blâme à tort, Qu'il avait ordre exprès au sortir de la place De tuer Cénomant sans bruit et sans menace ; Qu'elle ne l'avait vu que pour ce seul effet : Il est vrai que l'amour le rendit imparfait. ARTÉMISE. Croyons ce qu'il en dit ; mais toujours elle l'aime : Et c'est ce qui m'offense ; ah ! L'injure est extrême. Mais je me vengerai d'elle et de son amant ; Je le tiens, je le tiens, ce cruel Cénomant : Royaume désolé, viens venger, ma Carie, Ton outrage est le mien, et tant de barbarie : Arme-toi, ma fureur, viens soutenir mes droits ; Commençons sur ma Fille à le punir tous trois : Fais la venir ; je veux me baigner dans ses larmes, Tandis qu'au Cabinet je vais prendre mes armes, Pour être toute prête à repousser l'effort Et l'orage incertain qui menace le Fort. HYPÉRIE. Madame, épargnez-la. ARTÉMISE, s'en allant. Fais ce que je commande. HYPÉRIE. Sa faute... Elle est partie : Ah ! Que la mienne est grande ! Oserai-je la voir ? Comment ? Et de quel front ? Moi, moi, qui lui procure un si tragique affront ? Hélas ! Que de regrets le repentir me cause ! Que de trouble ! Et j'en suis l'instrument et la cause. Mais attendrai-je Alcandre ? Il s'avance à grands pas. SCÈNE II. Alcandre, Hypérie. ALCANDRE. Tous leurs efforts sont vains ; ils n'échapperont pas. Et bien que fait la Reine ? HYPÉRIE. Ah ! Seigneur, elle s'arme. ALCANDRE. Où ? HYPÉRIE. Dans son cabinet. ALCANDRE. Elle a donc pris l'alarme. HYPÉRIE. Elle mande sa fille ; et je la vais quérir. ALCANDRE, seul. Suis-je Amant ? Qu'ai-je fait ? Ah ! Je devais périr, Oui, je devais plutôt renoncer à ma flamme Que de lui procurer cette honte et ce blâme : Songe à son désespoir, figure-toi ses pleurs ; Et pense, ingrat Amant, que ce sont tes faveurs ; Compte tous ses soupirs, cruel, entends ses plaintes, Vois son coeur offensé dans ces vives atteintes, Peins-la dans ton esprit au milieu du tourment, Qui dit : voilà l'état où m'a mise un Amant. Amant ? Non non, ce titre est pour une Couronne, Par un reproche même en vain je me le donne, Je le perds ce beau nom après ce que j'ai fait, Je me le donne en songe, et me l'ôte en effet : Quand de ce haut désir mon âme fut flattée, Elle n'y monta point, elle s'y vit montée ; J'accusai ma fortune, et suivis ses appas, J'acceptai cet honneur, et ne l'espérai pas, Mon amour écouta la Reine et sa promesse, Sans croire par raison d'obtenir la Princesse : Songe enfin que ce rang ne t'est pas destiné, Qu'il faut avoir un Sceptre et se voir Couronné ; Vois comme Doralie est ailleurs engagée ; Vois les maux où l'amour et sa foi l'ont plongée ; Vois le choix qu'elle a fait, libre, mais glorieux ; D'un Roi, bien qu'Ennemi, grand et victorieux ; Vois la Reine, qui croit sa Fille déloyale ; Vois la combustion dans la Maison Royale ; Vous Céobante armé pour maintenir ce Roi ; Vois tous ces Lyciens révoltés contre toi. Quoi ? Par là mon ardeur est-elle divertie ? Mon honneur, mon devoir, quittez-vous la partie ? Abandonner la Reine en ce coup important ? Va les perdre plutôt. Ne le fais pas pourtant : Crois-tu servir la Reine, en perdant sa Famille ? Vois le bien de l'État, vois le bien de sa Fille ; Oui, pour la mieux servir, contre son propre voeu, Épargne donc sa Fille, épargne son Neveu ; Et puisque Cénomant veut rendre la Province, Pour le bien de l'État épargne encore ce Prince. Tu les peux perdre tous, résous-toi seulement : Sauve-les tous plutôt, suis ce bon mouvement ; Amoureux de l'État, non plus de la Princesse, Sauve-lui son Royaume : ô penser qui me presse ! Le ferai-je, mon coeur ? Ne le ferai-je pas ? Amour, honneur, devoir, que d'étranges combats ! Mais la Reine paraît ; elle vient toute armée Autant que de valeur de colère animée. SCÈNE III. Artémise, Doralie, Alcandre, Hypérie. ARTÉMISE. Vos pleurs et vos raisons sont faibles en ceci ; La mienne est de le perdre, et vous punir aussi : Aimer un Ennemi ? Vous l'osez ? Quelle audace ! Quoi ? Céobante armer, contre moi ? Dans la place ? DORALIE. Il m'aime ; je le souffre, et pour un plus grand bien. ARTÉMISE. Ah ! Quel bien ! C'est le vôtre, et ce n'est pas le mien. Alcandre, que fait-il, ce vaillant, ce rebelle ? ALCANDRE. Ce que pour un ami fait un ami fidèle. ARTÉMISE. Couvrir son attentat de ce nom spécieux ? Quoi ? Nous aimait-il moins ? Qu'il est officieux ! ALCANDRE. Il soutient un ami ? ARTÉMISE. Contre moi ? Que lui suis-je ? ALCANDRE. Moins que l'honneur, et moins que sa foi qui l'oblige. Il se fait du bruit derrière le théâtre, et Hypérie arrive. ARTÉMISE. Mais qu'entends-je ? Quel bruit ! HYPÉRIE, arrivant. Madame, il est fort grand : On nous vient d'avertir que le combat se rend, Que le Prince est aux mains. ARTÉMISE. Le Rebelle ! Ah ! Le traître ! Voyons contre ce fer s'il osera paraître. ALCANDRE. Madame, ce n'est rien ; ne vous exposez pas, Ne rendez pas mortels quelques légers combats ; Ce sont coups de chaleur, un tonnerre sans foudre ; Laissons passer ce vent qui fait un peu de poudre : Perdrez-vous un neveu ? ARTÉMISE. Perdrai-je mon pouvoir ? Allons, allons ranger l'impie à son devoir. ALCANDRE. Ne précipitons rien, il ne peut entreprendre ; Il est parmi les siens, mais c'est pour se défendre : Madame, donnez-lui, sans le désespérer, Le temps de voir sa faute, et de la réparer : J'ai laissé contre lui mon Lieutenant Tyrène, Qui l'observe, et qui tient nos soldats en haleine. ARTÉMISE. J'emploi'rai donc ce temps à me plaindre de toi, Fille, qui nous trahis, fille ingrate et sans foi. ALCANDRE. Ah ! Cessez ; plaignez-vous d'Alcandre, et non pas d'elle ; C'est moi qui suis le traître, et qui suis l'infidèle. Madame, il n'est plus temps de rien dissimuler ; Nos maux et vos douleurs me forcent de parler : Non non, n'accusez point cette sage Princesse, Le Prince, ni ce Roi ; c'est moi, je le confesse, Oui, c'est moi qui causai ce désespoir entre eux, Je suis le plus coupable, et le plus malheureux ; De moi vient le désordre, et de ma tromperie : Un billet contrefait, de la main d'Hypérie, Pour faire dans ce lieu revenir Cénomant, A causé tout ce trouble, et tout l'événement : À Doralie.Ah ! Princesse innocente, et trop peu révérée, Punis ma trahison par ma bouche avérée, Lâche ce coup de foudre, il est trop balancé, Je l'attends, juste Ciel, il dût être lancé. ARTÉMISE. Croirai-je ce qu'il dit ? DORALIE. Croyez mon innocence, Dont vous aurez, Madame, entière connaissance, Et que je n'avais vu Cénomant dans le Fort Qu'à dessein de le perdre, et lui donner la mort. HYPÉRIE, bas. Dieux ! qu'a-t-il découvert ? À peine je respire. ARTÉMISE. Ah ! Que de trouble ! Alcandre ! Il se tait, il soupire. ALCANDRE. Que tarde un coup du Ciel ? Viens, venge en un moment La Reine, son Neveu, sa fille, et Cénomant : Mais n'implorons que moi ; sus il se faut résoudre ; Viens me servir mon bras, et du Ciel et de foudre. ARTÉMISE. Où court ce Furieux ? Arrêtez, arrêtez ; Tirez-moi de ce trouble, en ces extrémités. ALCANDRE. Ah ! Madame, voyez comme le Ciel conspire Pour le bras qui vous ôte et vous rend votre Empire ; Je parle contre moi, pour l'État seulement : Rappelez Céobante, acceptez Cénomant. ARTÉMISE. Un ennemi ? ALCANDRE. Ce nom par un plus doux s'efface ; Il aime, il est aimé. ARTÉMISE. Que faut-il que je fasse ? Tout me nuit, contre moi tout semble conjuré. DORALIE. Mais plutôt tout vous montre un chemin assuré. ARTÉMISE. Ah ! Ma Fille ! DORALIE. Ah ! Madame ! ARTÉMISE. En ce combat étrange Où faut-il haine, amour, honneur, que je me range ? Ô Nature ! Ô mon sang ! DORALIE. Oui c'est de ce côté. HYPÉRIE. Mais que voudrait Tyrène ? Il vient d'un pas hâté. SCÈNE IV. Tyrène, Artémise, Alcandre, Doralie, Hypérie. TYRENE. Oui, ces coups de valeur excèdent la pensée. Tout est perdu, Madame, et la Tour est forcée ; Céobante est dedans avecque Cénomant. ARTÉMISE. Courons-y ? TYRENE. C'est en vain. ARTÉMISE. Courons-y promptement. TYRENE. Quelque si prompt secours, et quelque force humaine Qu'on puisse faire agir, toute assistance est vaine : Ah ! Si quelque valeur nous pouvait secourir, Ce bras sait attaquer, et ce coeur sait mourir ; Mais il n'est plus besoin ni de mon bras ni d'autres. J'observais Céobante avec un gros des nôtres, Ses desseins, sa posture, et tous ses mouvements, Selon l'ordre d'Alcandre, et vos commandements : Quand j'ai vu tout à coup leurs troupes divisées Et se fendre et tenir deux diverses brisées ; Cénomant, qui commande un Gros de Lyciens, Marche, donne à la Tout ; et Céobante aux miens : Il se fait entre nous une rude mêlée ; Tous montrent à l'envi leur valeur signalée, Chacun donne, ou reçoit, ou s'avance, ou soutient ; Tout me fuit ; et tout plie où Céobante vient, Il combat en Lion, pas un ne l'ose attendre. Quand un cri de la Tour enfin se fait entendre : Les miens sont effrayés, et j'y tourne les yeux ; Que vois-je ? Est-il croyable ? Ô sort prodigieux : La Tour était gagnée, et la garde défaite ; Lyzidan au-dessus criait à la retraite ; Cénomant à l'entrée, et sur un tas de corps, Immolait les derniers à ses derniers efforts ; Le Prince soutenu s'y jette et s'y retire : Tous nos soldats sont froids ; on s'étonne, on admire ; J'anime et presse en vain leurs courages ardents ; Ils ne m'écoutent plus ; les autres sont dedans. ARTÉMISE. Ô lâcheté des miens ! Ô trahison insigne ! Mais allons réparer leur action indigne. TYRENE. Madame, c'est en vain ; je vous l'ai déjà dit. Quelque peu dans la Tour que l'on se défendît ; Outre qu'elle commande, et qu'on sait qu'elle est forte ; Ils pourraient faire entrer du secours par la porte ; Et moi-même j'ai vu visitant nos fossés Un bataillon des leurs qui s'approchait assez. ARTÉMISE. Doncque la Tour est prise, et la porte est gagnée ? Et je n'ai pas contre eux ma valeur témoignée ? Je suis tombée, Alcandre, en ce honteux état Par vos facilités, et par leur attentat : Mais allons... ALCANDRE. Où, Madame ? En ce péril extrême Je vais vous conserver, ou me perdre moi-même ; Demeurez, s'il vous plaît ; et vous, Tyrène aussi, Il s'en va.Et pour garder la Reine, et pour défendre ici. ARTÉMISE, à sa fille. Et bien, ils ont la Place ; et vous l'avez donnée : Sont-ce là les apprêts d'un si noble Hyménée ? DORALIE. Croyez-moi, quoiqu'on puisse accuser Cénomant, Sous le nom d'Ennemi toujours il est Amant ; S'il a forcé la Tour, s'il a gagné la porte, Et si de nos soldats une partie est morte, Ce qu'il a fait contre eux était pour se sauver, Moins pour nous perdre enfin que pour se conserver ; S'il attaque, ce n'est qu'afin de se défendre, Et s'il nous a pris tout, il viendra tout nous rendre : Ailez-le seulement ; et j'engage ma foi De vous rendre la Place, et le Camp, et le Roi. ARTÉMISE. Vous promettez beaucoup. DORALIE. Il fera plus encore ; Je sais bien à quel point il m'aime, et vous honore. HYPÉRIE. Mais voici Lyzidan. SCÈNE V. Lyzidan, Tyrène, Artémise, Doralie, Hypérie. LYZIDAN. Qui demande à genoux Une grâce, Madame, et pour vous et pour nous. TYRENE. Ose-t-il bien paraître après sa perfidie ? LYZIDAN. Céobante, Madame, et le Roi de Candie Amenés pas Alcandre, attendent sûreté, Et l'honneur de parler à votre Majesté. ARTÉMISE. Quelle autre sûreté plus grande et plus certaine ? Tyrène s'en va.Alcandre les conduit ; recevez-les, Tyrène. Ô Dieux ! Quelle surprise ! DORALIE. Enfin vous trouverez Un remède à nos maux les plus désespérés. ARTÉMISE. Remède ? Ah ! C'est un mal que le bien que j'espère. À Lyzidan.Parlez ; pour vous ouïr je suspends ma colère : Quoi ? N'entrer pas ? S'ils ont et la porte et la Tour ? Qu'est-ce qui les retient ? LYZIDAN. Le respect, et l'amour ; Oui, le respect pour vous, l'amour pour la Princesse Ont vaincu les Vainqueurs, font que la guerre cesse. Sur le temps du combat, parmi ces grands efforts, Où les coups s'entendaient et dedans et dehors ; Ceux qu'en entrant ici, sans dessein de surprendre, Cénomant fit cacher, et qui devaient l'attendre, Voyant la porte ouverte et le quartier forcé, Paraissent à ce bruit sur le bord du fossé. Cénomant rendu Maître, au devant de la porte ; Qu'aucun n'entre, dit-il, que personne n'en sorte ; Mon respect, mon amour ne le permettent pas, Et l'un et l'autre enfin sont plus forts que mon bras. Il dit ; on obéit, il faut qu'on y consente ; Quoi qu'à sortir au moins le porte Céobante ; Il rentre. Enfin suivons le destin de ce jour, La force a fait beaucoup, laissons faire à l'amour ; Allons voir, lui dit-il, la Princesse et la Reine ; Relevons leur espoir. Cela dit ; il l'emmène ; Après avoir laissé des forces dans la Tour Ou pour leur assurance, ou bien pour le retour, Et quoique les plus forts, tous deux d'une âme haute, Compagnons de vertu, compagnons dans la faute Ils viennent généreux, d'un voeu déterminé, Ou mourir, ou fléchir votre coeur obstiné. DORALIE. Connaissez-vous le leur ? Cette action le montre. LYZIDAN. Près du Palais Alcandre en a fait la rencontre : Ils se sont embrassés ; tous trois viennent ici. ARTÉMISE. Trois, pour combattre un coeur ? Ah : C'est trop. HYPÉRIE. Les voici. SCÈNE VI. Alcandre, Artémise, Cénomant, Céobante, Doralie, Lyzidan, Hypérie, Tyrène. ALCANDRE. Voyez comme le Ciel en peu de temps travaille : J'amène sans effort, sans combat, sans bataille ; À vos sacrés genoux deux Princes animés, Que votre seul respect, Madame, a désarmés. ARTÉMISE, voyant Cénomant à genoux. Vous m'offensez, grand Roi, cet état me fait honte. CÉNOMANT. C'est en cet état qu'il faut que je vous dompte : J'ai par tous les moyens cherché votre amitié, Et voici le dernier, je l'attends par pitié ; Ce que n'ont pu les feux, ni le sang, ni les armes, Un doux effort le peut, et c'est celui des larmes : Mais pour ne rendre pas mon courage suspect, Ce sont larmes d'honneur, et larmes de respect, Par qui mon coeur muet parle sur mon visage ; C'est la première fois que j'en trouve l'usage ; Ce ne sont pas des pleurs que l'honneur nous défend ; Je pleure ma victoire, et pleure en triomphant ; Je fais, mais dans l'honneur, ce qui nous déshonore ; Et c'est pour vous fléchir ; et c'est combattre encore ; Souvent pour les Vaincus les Vainqueurs ont pleuré ; Qui sans honte le fait n'est pas déshonoré : Prenez pour vos sujets, prenez pour la Carie, Prenez pour mon amour, prenez pour ma furie, Pour vos pertes, vos soins, vos maux, et vos malheurs, Ce qui vous rendra tout ; la gloire de mes pleurs. Voilà comme en ce lieu je viens vous satisfaire, De tant d'efforts cruels par un effort contraire ; L'oeil paye ici le sang que le bras a versé : Mais comme ce ruisseau coule d'un coeur percé ; Puisqu'on ne doit payer un sang que par un autre ; Les pleurs sont sang du coeur ; prenez-le pour le vôtre ; Et croyez que ce sang qui coule de mes yeux, Comme il me coûte plus, vous est plus glorieux ; Qu'il m'est plus difficile, et marque mieux mes peines, Que de tirer d'un coup tout l'autre de mes veines ; Et que pour réparer tout le mal enduré, C'est vous venger assez de dire : Il a pleuré. ARTÉMISE. Que sens-je ? DORALIE. Il l'attendrit. CÉOBANTE. Ce peu d'eau qu'il vous donne Vous rends tous vos Sujets, vous rend votre Couronne ; Ce peu d'eau généreuse a son crime effacé, Lave une mer de sang que son bras a versé, Éteint l'embrasement des Châteaux et des Villes, Et va rendre partout vos campagnes fertiles, Rafraîchir votre coeur, noyer votre courroux : Que ce peu d'eau, Madame, enfin nous sauve tous. ARTÉMISE. Qui l'eût cru ? Cénomant m'attaque par des larmes ! Ah ! Qu'elles ont de force ! Ah ! Qu'elles ont de charmes ! Comme les gouttes d'eau pénètrent un rocher, Mon coeur est amolli que rien ne pût toucher : Oui, grand Roi, l'action est si forte et si belle, La générosité m'en paraît si nouvelle, Qu'au lieu de me venger, mon esprit combattu Loue en secret un mal qui finit en vertu : Qu'un doux calme va suivre un si sanglant orage ! Qu'un peu d'eau fait cesser de trouble en mon courage ! CÉNOMANT. Donc, ô moment heureux ! Ce grand coeur offensé Se relâche, et se rend quand je l'ai moins pensé ? C'est ici, c'est ici, le vrai coup de ma gloire ; Oublions mes combats ; c'est ici ma victoire : Pour vaincre ce grand coeur, ô prodige nouveau ! Rien ne l'avait pu faire ; il ne faut qu'un peu d'eau : Ô belle eau triomphante ! Ô glorieuses larmes ! Vous êtes aujourd'hui plus fortes que mes armes ; Armes des malheureux, instruments de pitié, Vous chassez le courroux, domptez l'inimitié, Et faites beaucoup plus que le fer et les flammes ; Leur force est sur les corps, et vous forcez les âmes. Mais, pour bien achever ce miracle d'un jour, Aux armes de pitié joignons celle d'amour : À sa Maîtresse.Dedans ces mêmes yeux voyez, belle Princesse, Un déluge de feux alors que l'autre cesse ; Que l'un et l'autre gagne, ô miracles d'un jour ! La Mère par pitié, la Fille par amour. ARTÉMISE. Vos générosités, votre amour exemplaire, Grand Roi, vous ont acquis et la Fille et la Mère. CÉNOMANT. Que de félicités ! Ô Dieux ! Où sommes-nous ? Qu'en lui baisant la main j'embrasse vos genoux ! DORALIE. Ô mon coeur, que de joie après tant de tristesse. CÉOBANTE, à Artémise. Pour mieux goûter, Madame, une telle allégresse, Pardonnez mes transports, et tous mes feux passés. ARTÉMISE. Ses pleurs les ont éteints, et les ont effacés. Lyzidan, prenez part à la grâce commune. DORALIE. Vous de même, Hypérie. HYPÉRIE. Ô faveur ! Ô fortune ! Ce pardon sans le Ciel ne pouvait nous venir. ALCANDRE. Madame, il reste encore à vous ressouvenir. ARTÉMISE. De quoi ? ALCANDRE. Pour dégager et vous et la Princesse, Qu'elle doit être à moi, suivant votre promesse. ARTÉMISE. Qu'elle doit être à vous ? ALCANDRE. Par les lois du serment, Depuis qu'entre vos mains j'ai remis Cénomant. DORALIE. Que dit-il ? Dans le port, quoi ? Ferais-je naufrage ? CÉOBANTE. Vous ne l'y mettez pas ; c'est moi. CÉNOMANT. C'est mon courage. TYRENE. Que devons-nous attendre encor de tout ceci ? ALCANDRE. C'est moi, qui l'ai conduit et fait venir ici, Oui, je l'ai fait entrer ; interrogez l'Esclave ; Mais ne vous troublez point. CÉOBANTE. Quoi ? Qu'un sujet nous brave ? ALCANDRE. La parole des Rois ne se peut rétracter, C'est la foi, qui les lie et les fait respecter : Pour dégager la vôtre en faveur de ces Princes, En faveur du Royaume, et de tant de Provinces ; Puisque mon désir cède au rang de Potentat, Que je n'ai rien aimé si fort que votre État ; Pour en laisser, Madame, une éternelle marque, Et servir à mon tour ce généreux monarque, Permettez-moi d'offrir la Princesse à ce Roi ; Je tiendrai tout de lui ; qu'il la tienne de moi. ARTÉMISE. Que ce discours me plaît ! DORALIE. À la fin je respire. ARTÉMISE. Prenez-la de ses mains, et des miennes l'Empire. CÉNOMANT. La fin de ce discours me redonne la voix : Reine, Alcandre, mon Coeur, que vous dois-je à tous trois ? Que ne vous dois-je pas, généreux Céobante ? De vous je tiens ma vie, et ma gloire présente ; Et j'atteste le Ciel, et je vous jure à tous Que ma gloire, ma vie est moins à moi qu'à vous. Mais d'autant que le jour et la clarté s'efface, Attendons à demain le Général Pharnace ; Il vous rendra pour Rhode un hommage nouveau. ARTÉMISE. Goûtons ce que la paix a de doux et de beau ; Tant de travaux finis avecque la journée Nous portent au repos, et puis à l'Hyménée : Mauzole, vois ma joie, et ne t'offense pas Si ce dernier plaisir devance mon trépas. ==================================================