******************************************************** DC.Title = À BAS MOLIÈRE, PIÈCE EN UN ACTE. DC.Author = MERLE et DESESSARTS DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Vaudeville DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:20. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MERLE_ABASMOLIERE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5741974h DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** À BAS MOLIÈRE PIÈCE EN UN ACTE ET EN VAUDEVILLES. M. DCCC. IX. Par Messieurs [CHAZET,] MERLE et DESESSARTS. À PARIS, Chez BARRAT, libraire, galerie du Théâtre Français. Représentée pour la première fois, sur le théâtre des Variétés, le 21 août 1809. La musique de cet ouvrage se trouve chez M. Gilbert, chef d'orchestre du théâtre des Variétés, rue de la Vrillière, n°4. AVERTISSEMENT. À BAS MOLIÈRE ! est un blasphème littéraire si étonnant, que nous avons cru devoir prévenir les personnes qui pourraient l'ignorer, que l'idée première de cet ouvrage nous a été fournie par une aventure arrivée à Rouen, et plus récemment à Paris, où deux ouvrages de Molière ont été outrageusement sifflés. Il n'a rien moins fallu que la publicité d'un pareil scandale, pour nous autoriser à mettre en scène un pareil sujet, et pour éviter le reproche qu'on aurait pu nous faire, de nous créer des fantômes, pour les combattre. Le public, qui a accueilli cet ouvrage avec bienveillance, a sans doute été plus touché de notre intention, que de son mérite. Nous ne nous dissimulons pas, au reste, que cette bluette n'a dû son succès qu'au nom de l'immortel génie que nous avons célébré, aux emprunts que nous lui avons faits, et au jeu remarquable des acteurs, auxquels le public et les journaux se sont plu à rendre justice. PERSONNAGES. MALINGRE, malade imaginaire, maître de café. M. Tiercelin LARIFFARDIÈRE, comédien, amant d'Adèle. M. Bosquier ADÈLE, fille de Malingre. Mlle. Aldégonde GÉRONTE, vieil avare, ami de Malingre. M. Dubois DRAMANTOUR, auteur de mélodrames, neveu de Géronte. M. Cazot. DE LAHAUSSE, moderne enrichi. M. Lefevre. TANTMIEUX, médecin. M. Blondin. DANDINVILLE, bourgeois. M. Liez ALAIN, garçon de café. M. Becquet La scène se passe dans une ville de province. VAUDEVILLE EN UN ACTE. Le théâtre représente l'intérieur d'un café, dans lequel on voit les bustes de quelques grands hommes, ni entr'autres celui de Molière. SCÈNE I. Malingre, à son comptoir ; Lariffardière, lisant un journal ; Dramatour, écrivant ; Lahausse, jouant aux échecs avec Dandinville. LARIFFARDIÈRE. Alain , une demi-tasse. ALAIN. Voilà, monsieur, voilà. Versez à Molière. DRAMANTOUR. Toujours Molière ; on n'entend que ce nom, comme si mes pièces n'avaient pas un autre mérite que les siennes. LAHAUSSE. Monsieur Dramantour a raison : quand est-ce que vous faites enlever ce buste là, monsieur Malingre ? MALINGRE. Ma foi, Monsieur de Lahausse, j'attends, pour le déplacer quelqu'un... LARIFFARDIÈRE. Quelqu'un qui vaille mieux que lui ? Vous attendrez longtemps. Air : Qui m'importe ma liberté.Des sots il brave le courroux ; Malgré leur insolente audace,Sur le Pinde, mieux que chez vous,Longtemps il gardera sa place.Que de portraits dans ses tableaux ! [Note : Thalie : Une des neuf muses, présidait à la comédie et à l'épigramme. Thalie est aussi l'une des trois grâces. [B]]Il sut, courtisan de Thalie, Copier les originaux,Et rester toujours sans copie. ALAIN. Voilà votre demi-tasse. MALINGRE. Du premier au vint-neuf, vingt-neuf demi-tasses : quand me payerez-vous ? LARIFFARDIÈRE. Vous pouvez compter... sur ma bonne volonté. MALINGRE. Je ne payerai pas mon médecin avec votre bonne volonté. LARIFFARDIÈRE. Laissez donc votre médecin : vous n'êtes pas plus malade que moi. MALINGRE. Je ne suis pas malade ! Je ne suis pas malade ! Moi qui suis toute l'année entre les mains d'un médecin et de deux apothicaires : je ne suis pas malade ! LARIFFARDIÈRE. Hé, renvoyez-les. MALINGRE. Mêlez-vous de payer vos créanciers, Monsieur de Lariffardière : moi je paye mes médecins, et je ne les renvoie pas. LARIFFARDIÈRE. Nous différons en cela, monsieur ; moi je renvoie mes créanciers, et je ne les paye pas. LAHAUSSE. Monsieur le comédien, songez donc qu'il y a ici des gens comme il faut... Vous faites un bruit à n'y pas tenir. Air : du Ballet des Pierrots.Vous interrompez ma partie ;Voilà que je perds mes deux tours : Je n'ai plus d'esprit quand on crie... LARIFFARDIÈRE. Monsieur, nous crions donc toujours. LAHAUSSE. Encore une lourde sottise... LARIFFARDIÈRE. Ah ! Je conçois votre fureur :Sitôt qu'on dit une bêtise,D'abord vous criez au voleur. DRAMANTOUR, travaillant. Ma princesse paraît sur le donjon... L'aspect de la nature, de l'eau, du pain sec... Garçon. ALAIN. Monsieur. DRAMANTOUR. Une glace. LAHAUSSE, jouant. Qu'est-ce que c'est que çà, Monsieur Dandinville ? DANDINVILLE. C'est un fou. DRAMANTOUR. La dame est à côté de la tour ; le chevalier défend la dame, de peur d'un échec... DANDINVILLE, à Dramantour. Oh ! Que diable, Monsieur, ne parlez donc pas sur le jeu ! DRAMANTOUR. Eh ! Peut-on s'occuper de votre jeu lorsqu'on est en proie aux sublimes conceptions du théâtre ? LAHAUSSE. Parce que Monsieur Dramantour fait des comédies... DRAMANTOUR. Des comédies, Monsieur ! Dites donc des mélodrames. LARIFFARDIÈRE. Sans doute, cela n'a rien de commun. Air : Pour être heureux dans cette vie.Pour écrire un bon mélodrame, Le bon comique est superflu :Il faut un tyran, une femme,Un poignard, un enfant perdu.De grands combats, une tempête,Et. surtout un rôle de bête : Ce rôle est toujours plein d'effet ;Maint auteur y met son cachet. DRAMANTOUR. Vous verrez le mien. LAHAUSSE. J'y serai. MALINGRE et DANDINVILLE. Nous y serons tous en dépit de Molière. DRAMANTOUR. Molière ! Il est passé de mode. MALINGRE. Un homme qui se moque des médecins et des pauvres malades. DRAMANTOUR. [Note : Trissotin : Personnage des Femmes savantes de Molière.]Qui plaisante les poètes célèbres : Vadius et Trissotin. LAHAUSSE. [Note : Monsieur Jourdain : Personnage du Bourgeois gentilhmme de Molière.]Qui tourne en ridicule Monsieur Jourdain. DANDINVILLE. Qui n'a rien de sacré ; qui ne respecte pas même les maris. LARIFFARDIÈRE. Qui a peint tout le monde. DRAMANTOUR. Six heures, messieurs. Au théâtre, au théâtre. Deux pièces de lui ! Il faut qu'il succombe : l'heure de la vengeance a sonné. Air : du Méléagre champenois.Allons, messieurs, ceux qui nous attendentSont, comme nous, soutiens des bonnes moeurs :Point de pitié, lorsqu'elles commandent. Du vrai talent montrons-nous les vengeurs. MALINGRE. Sur les docteurs, sifflez bien ses critiques. DRAMANTOUR. Sur les auteurs, sifflons tous ses écrits.Sur les Jourdains, sifflons ses traits caustiques; DANDINVILLE. Sifflons surtout ses traits sur les maris. ENSEMBLE. Allons, messieurs, etc. SCÈNE II. Malingre, Lariffardière. MALINGRE. Ouf, je suis bien aise qu'on aille apprendre à vivre à cet impertinent Molière. Vous n'y allez pas, vous? LARIFFARDIÈRE. Vous lui en voulez donc beaucoup ? MALINGRE. Moi ? Je ne le connais pas ; mais tout mon café lui en veut. LARIFFARDIÈRE. Air : J'aime ce mot de gentillesse.Par son ignorance poussée,Chez nous on vit, dans tous les temps,Des sots la cohorte insenséeS'armer contre les vrais talents :Envers Molière leur audace De ses tableaux prouve l'effet ;C'est le rustre brisant la glaceQui lui présente son portrait. MALINGRE. Enfin, monsieur Dramantour n'est pas de votre avis ; et il doit se connaître en comédies ; il fait de si jolis mélodrames. LARIFFARDIÈRE. Malpeste ! On s'en aperçoit à sa conversation ; il y mêle des petits passages tirés de ses sombres compositions ; il ne parle que par échantillon de ses pièces. MALINGRE. Il y a de l'étoffe dans ce jeune homme-là. J'espère que, son oncle Géronte arrivant aujourd'hui, il épousera ma fille ce soir. LARIFFARDIÈRE. Ma foi, je vous le conseille. À part.Je saurai bien l'empêcher. MALINGRE. Comment ! Je vous supposais des intentions. Je croyais que vous aviez mis cette alliance dans votre tête. Est-ce que cela vous serait sorti de l'idée ? LARIFFARDIÈRE. Que voulez-vous ? Vous m'avez refusé ; cependant cela nous arrangeait tous les deux. Je vous devais déjà deux cent quinze francs ; j'espérais aussi vous devoir mon bonheur. Nous aurions été quittes. Vous me réfutez ; et, comme a dit Molière, il faut vouloir ce qu'on ne peut empêcher. SCÈNE III. Les mêmes, Aalain. ALAIN. Eh bien ! Où est donc Monsieur Dramantour ? Il demande quelque chose, et il s'en va ; il n'a donc pas de mémoire ? LARIFFARDIÈRE. C'est égal, c'est égal. J'en ai un, moi, et je m'en charge. MALINGRE. Prenez garde ; c'est que ce sera trop froid. LARIFFARDIÈRE. Voulez-vous en prendre votre part ? MALINGRE. Vous plaisantez, je crois ! Air : Jeune fille et jeune garçon.Dans un état comme le mien,Où le régime est nécessaire , Bien loin de m'Ëtre salutaire,Pour moi cela ne vaudrait rien.En vain l'on me condamne ;A la fin voulant mePorter beaucoup mieux, je Vais prendre un verre deMa ptisane. Ma ptisane. Il sort. SCÈNE IV. LARIFFARDIÈRE, seul. Me voilà seul... Songeons un peu à nos affaires. Géronte, vieil avare, oncle de Dramantour, arrive ce soir... Diable ! C'est embarrassant... Heureusement Dramantour, mon rival, n'est point aimé... Si je pouvais tirer parti de tous ces caractères... Pourquoi pas ? Oui, je n'aurai point joué pendant dix ans les valets de comédie pour être arrêté par des originaux, Molière a joué tous les ridicules ; il me fournira mes moyens d'attaque... Malingre, malade imaginaire ; un médecin m'en fera raison. Il m'a refusé sa fille à cause de mes dettes ; monsieur de Lahausse, vous qui ne vous doutez pas que nous soyons parents, ceci vous regarde. Géronte, nouvel Harpagon... À moi, Scapin, avec tes fourberies. Air : Le magistrat irréprochable.De Duguesclin, l'arme invincible,Rappelant ses nombreux hauts faits, Après sa mort, toujours terrible,Effrayait encor les Anglais.Molière, ainsi malgré leur nombre,Malgré leur cabale et leurs cris,[Note : Férule : Petite palette de bois assez épaisse ; sceptre de pédant, dont il se sert pour frapper dans la main des écoliers qui ont manqué à leurs devoirs. [F]]Avec ta férule et ton ombre, J'écraserai tes ennemis. Il se met à table. SCÈNE V. Adèle, Lariffardière. ADÈLE. Ah ! Monieur de Lariffardière, vous voilà. LARIFFARDIÈRE, mangeant. Elle est excellente. ADÈLE. Quoi ! Dans le moment où l'on va me forcer à épouser Monsieur Dramantour, vous n'avez pas l'air de me voir. Je vois bien que vous ne m'aimez pas. LARIFFARDIÈRE, se levant. Je ne vous aime pas !... Je ne vous aime pas! Eh ! Quelles preuves voulez-vous de mon amour ? Depuis six mois que je vous connais, ai-je manqué de venir un seul jour ici, prendre le matin ma tasse de chocolat ; à deux heures, d'y venir dîner ; et le soir, ne m'y revoyez-vous pas encore prendre le dernier repas de la journée ? Cruelle ! C'est pour vous, et je ne vous aime pas !... ADÈLE. Voilà bien votre caractère ; toujours prêt à plaisanter dans les choses les plus sérieuses. LARIFFARDIÈRE. Soyez tranquille ; on a toujours assez de temps pour se désoler. J'ai pour notre mariage certain projet. ADÈLE. Exécutez-le donc au plus tôt ; car vous êtes, en tout, d'une inconstance... Par exemple, depuis huit jours, avez-vous pensé un seul moment à me faire répéter un rôle. LARIFFARDIÈRE. Je n'ai pas beaucoup de temps ; mais je suis trop heureux de vous le consacrer. Mais, vous qui parlez, avez-vous seulement pensé à achever mon portrait ? ADÈLE. Air : En deux moitiés le ciel, dit-on.Ce doux travail fait mon bonheur ;Mais l'art parfois est inutile :Vos traits sont comme votre coeur ;Les fixer n'est pas très facile. Ce portrait m'offre à chaque instantUne difficulté nouvelle ;Car, pour qu'il soit bien ressemblant.Il ne faut pas qu'il soit fidèle. LARIFFARDIÈRE. Je vais vous donner un bon moyen. Même air.De l'artiste judicieux Voulez-vous éviter le blâme,Peignez mon amour dans mes yeux.Et dans mes yeux peignez mon âme :De mon portrait facilementVous ferez un autre moi-même. Si vous voulez qu'il soit parlant,Faites-lui dire : je vous aime.Mais voici votre père ; il ne faut pas qu'il nous trouve ensemble ; nous nous reverrons. Il sort. SCÈNE VI. MALINGRE, seul. [Note : Voir l'acte I, scène 1, du Malade imaginaire de Molière.][Note : Ptisane : Nom, chez les Grecs, de l'orge pilée, avec laquelle on faisait une décoction qu'on administrait aux malades soit non passée et avec le grain, soit passée. [L]]Je ne puis pas me plaindre de cette ptisane-là, elle m'a fait bien de l'effet... Mettons mes comptes en ordre, et voyons celui de Monsieu Calmant, mon apothicaire... Racine de patience... Celle-là il y a longtemps que je m'en sers... Casse, pour médecine... Le séné ne m'avait rien fait ; mais le docteur me répond de la casse... Voyons le total : Cinq et cinq, dix; dix et dix, vingt; pose... Hum... hum... Quatre-vingt-quatre francs... Ah ! Mon Dieu ! Que d'argent, sans compter l'opium, qui ne me fait pas fermer l'oeil, et mon médecin veut que je ferme les yeux là-dessus. Air: L'astre des nuits.L'astre des jours me voit passer les nuitsDans les tourments d'une longue insomnie ;Et ce qui vient redoubler mes ennuis, C'est que l'on met ma bourse à l'agonie,Par les soins d'un docteur vanté :Puisque tout mon argent s'évade,Je n'aurai plus la faculté (bis.)La faculté d'être malade. Et encore on me laisse, on m'abandonne. Je reste sur mes jambes, moi qui devrais être dans mon lit...Quelle maison ! Adèle... Adèle... Personne ne vient... Adèle. SCÈNE VII. Malingre, Dramatour, Lahausse, Dandinville, Leriffardière, Tantmieux. CHOEUR. Air : Ah ! quel scandale abominable.Nous avons la victoire entière :Ah ! Quel grand jour ! Ah ! Quel bonheur !Le parterre a sifflé Molière,Et le bon goût reste vainqueur. MALINGRE. Eh ! Messieurs, quel tapage faites-vous donc ? Vous ne songez pas à ma position. DRAMANTOUR. Que n'étiez-vous là ; deux pièces de Molière qu'on n'a pas laissé achever. MALINGRE. Ah ! Vous me comblez d'aise. LAHAUSSE. Bon !... DRAMANTOUR. Air : Dans ma chaumière, ou Bouton de rose.Plus de Molière, Criait en choeur notre parti ;Sa gaité nous paraît grossière,Et le bon ton le veut ainsi :Plus de Molière. LAHAUSSE. Plus de Molière, Disait maint auteur délicat ;Il faut des douceurs pour nous plaire :[Note : Marivaux, Pierre Carlet de Chamblain de [1688-1763] : auteur dramatique prolixe et romancier. Académicien, Il est l'auteur, entre autres, de Arlequin poli par l'amour, La Double inconstance, le Jeu de l'amour et du hasard, les Fausses confidences, Le Prince travesti, La Surprise de l'Amour.][Note : Dorat, CLaude Joseph [1734-1780] : auteur dramatique et poète. Auteur, entre autres, de Tancrède, Théagène, Pierre le Grand et des comédie du Célibataire et Apollon à Brunoy.]Vivent Marivaux et Dorat ;Plus de Molière. LARIFFARDIÈRE. Plus de Molière, Je le répète comme vous ;Il ouvre et ferme la carrière :Messieurs, on ne verra chez nousPlus de Molière. LAHAUSSE. Le docteur Tantmieux a bien fait son devoir. TANTMIEUX. Je ne devais pas ménager un auteur de mauvais ton. LAHAUSSE. Qui vivait dans un siècle reculé. DANDINVILLE. Dont les pièces fourmillent d'expressions triviales et indécentes. N'appelle-t-il pas les maris... Il parle à l'oreille de Malingre. LARIFFARDIÈRE. Voilà de vos arrêts, messieurs les gens de goût. Air : Du partage de la richesse.Sa franchise vous indispose ; D'un rien vous êtes alarmés :Le terme qui sied à la chose,Il l'adopte, et vous l'en blâmez :Vous exigez un mot qui flatte ;Mais moi je vous le dis tout bas : L'oreille n'est si délicate,Que lorsque le coeur ne l'est pas. DANDINVILLE. C'est bon, c'est bon, Monsieur de Lariffardière. DRAMANTOUR. Messieurs, n'oublions pas ce que l'amitié nous commande. Air : Vaudeville de Gilles en deuil.Portons cette grande nouvelle,Et chez nos amis allons tous :Ils ont secondé notre zèle; Ils vont en jouir avec nous.Le jour de notre mariageDoit être un grand jour d'apparat ;Et ce soir, moi je vous engage...À venir signer le contrat. Portons cette grande, etc. TOUS. LARIFFARDIÈRE. Laissons les croire à leur nouvelle,Car d'honneur je crois qu'ils sont fous ;Mais bientôt, grâces à mon zèle,Ici je veux les jouer tous. SCÈNE VIII. Tantmieux Malingre. MALINGRE. Enfin, nous pourrons causer librement. Il y a longtems que vous n'êtes venu ? TANTMIEUX. J'ai tant d'affaires ; tant de gens à voir. MALINGRE. Et ce jeune homme, votre voisin, comment va-t-il ? TANTMIEUX. C'est une affaire finie. MALINGRE. Il va donc bien ? TANTMIEUX. Eh ! Non ; il est mort. MALINGRE. Vous aviez pourtant dit que vous le guéririez. TANTMIEUX. Aussi ai-je fait ; il est mort guéri. Mais parlons de vous ; comment cela va-t-il,depuis que je ne vous ai vu ? MALINGRE. Pas trop bien ; je dépéris visiblement sans que ça paraisse. TANTMIEUX. Tant mieux ; car vous sentez votre mal. MALINGRE. C'est que vos\isites sont si rares. TANTMIEUX. À présent j'aurai plus de temps à moi. MALINGRE. Comment ? TANTMIEUX. Air : Dans ce salon où Poussin.Trois colons avaient des accèsD'humeur noire et mélancolique :Chaque jour je leur conseillaisDe retourner en Amérique.Longtemps ils furent indécis, Malgré ma science profonde ;Enfin ils ont cru mes avis,Et sont partis pour l'autre monde. MALINGRE. Ce que c'est que la docilité. TANTMIEUX. Mais à propos, où en est le mariage de votre fille ? MALINGRE. [Note : Géronte : personnage typique du vieillard de comédie dont Le Médecin malgré lui de Molière.]Nous attendons Géronte, l'oncle du jeune homme. Adèle n'aime pas beaucoup son futur ; mais Monsieur Dramantour achalande beaucoup mon café. Air : De sommeiller encor ma chère.Ce garçon là m'est fort utile ;Son esprit m'est d'un grand secours : Chez moi je vois toute la villeVenir écouter ses discours.Ses chutes sont loin de l'abattre ;Son talent n'est point étouffé ;Et s'il ne prend point au théâtre, Il prend beaucoup dans mon café. TANTMIEUX. Tant mieux, tant mieux. Mais voici quelqu'un. SCÈNE IX. Les précédents, Géronte. GÉRONTE. Eh ! Bonjour , mon vieil ami. MALINGRE. Comment c'est vous !... C'est un ami d'enfance ; il y a cinquante ans que nous ne nous sommes vus ! GÉRONTE. Aussi, quel plaisir de se revoir ! Comme cela déride !... MALINGRE. Oui, mon ami, ça déride, et ça ne laisse pas que de rajeunir. GÉRONTE, à Monsieur Tantmieux. Monsieur, je vous salue. MALINGRE. Vous vous portez toujours bien ; ce n'est pas comme moi, je ne sais pas ce qui m'arrive, mais je m'en vas, je décline, décline, décline... GÉRONTE. Parlons de mon neveu. On m'a dit qu'il faisait des vers ; je trouve que ça ne rime à rien. MALINGRE. [Note : Pinde : chaîne de montagnes qui sépare la Thessalie de l'Epire. Elle est consacrée à Apollon et aux Muses. Ici, sens métophorique pour le lieu des Arts et de l'inspiration.]Que dites-vous donc ? Un jeune homme qui à ce qu on dit, est très connu au Pinde. GÉRONTE. Ah ! Ah ! TANTMIEUX. Un jeune homme qui monte Pégase. GÉRONTE. Oh ! Oh ! TANTMIEUX. Un jeune homme qui brille dans les citations ! GÉRONTE. Son procureur est donc bien content de lui ? TANTMIEUX. Son procureur ! Laissez donc. Air : Quant on ne dort pas de la nuit.Méprisant d'indignes liens,Fatigué de la servitude,Mettant en oeuvre ses moyens,Avec des goûts comme les siens, Il peut bien se passer d'étude :Epris d'une plus noble ardeur,Parcourant des routes nouvelles,Il a quitté son procureur.Pour voler (bis) de ses propres ailes. GÉRONTE. Eh bien ! Alors cela revient au même. Allons, que ce mariage se fasse ce soir. MALINGRE. Ce soir... Un instant ; si je suis malade, je ne serai pas à la noce. GÉRONTE. C'est votre faute aussi, et si vous n'étiez pas toujours entouré de médecins, qui vous ruinent le corps et la bourse. TANTMIEUX. Que voulez-vous dire, monsieur. GÉRONTE. Que j'ai vu dans une comédie de Molière, ou peut-être de Rabelais, je ne sais, qu'ils étaient fort tournés en ridicule. TANTMIEUX. En ridicule, monsieur, en ridicule ! SCÈNE X. Les mêmes, Lariffardière, derrière. GÉRONTE. Entre nous, nous les connaissons. TANTMIEUX. Pensez-vous bien à ce que vous dites ? LARIFFARDIÈRE. On se dispute, écoutons. GÉRONTE. Je dis ce que je pense, et je pense comme Molière. TANTMIEUX, en colère. Molière est un sot, et vous un imperlinent, Monsieur Géronte. MALINGRE, effrayé. Monsieur Géronte.... Monsieur le docteur. TANTMIEUX. Apprenez qu'un homme dont le savoir est attesté sur un diplôme en parchemin... GÉRONTE. D'accord ; mais... LARIFFARDIÈRE, à part. Allez donc. TANTMIEUX. Qui a pris ses grades dans l'Université d'Orange. GÉRONTE. Cela est fort bien ; mais... TANTMIEUX. Qui du bachalauréat a passé au doctorat. GÉRONTE. Sans doute ; mais... TANTMIEUX. Ne doit pas être traité comme un ignorant. GÉRONTE. Je ne dis pas cela ; mais... LARIFFARDIÈRE. Courage. TANTMIEUX. [Note : Crime de lèze-faculté : Terme inventé à partir de crime de lèze-majesté qui signifie "majesté offensée".]Et que celui qui pense ainsi se rend coupable du crime de lèze-faculté. MALINGRE. Monsieur le docteur... Monsieur Géronte... GÉRONTE. Je n'ai point prétendu... TANTMIEUX. Et mérite d'être livré à la vengeance hippocratique. Air : Daignez m'épargner le reste.Contre vous et tous vos amis,Je vois se former un orage :Vous méritez d'être punis ;Je saurai venger mon outrage. À Malingre.Vous avez partagé son tort : Craignez maint accident funeste ;Craignez la fièvre et le transport,[Note : Gravelle : maladie des reins et de la vessis causée par quelque gravier qui s'y forme, ou qui s'y arrête. [F] [Gravelle : calcul des reins ou de la vessie]]L'asthme, la gravelle, la mort. MALINGRE. Daignez m'épargner le reste. GÉRONTE, en sortant. Moi je me moque du reste. SCÈNE XI. Malingre, Lariffardière. MALINGRE. Ô mon Dieu ! Mon Dieu ! Quel malheur ! Faut-il que j'en sois la victime !... Maudite amitié, à quoi m'exposes-tu ? LARIFFARDIÈRE. Qu'avez-vous, Monsieur Malingre ? Vous paraissez fortement ému ; vous est-il arrivé qu'elqu'accident fâcheux ? MALINGRE. Mon ancien ami, Monsieur Géronte, se permet de dire devant mon docteur, que Molière a bien fait de s'égayer sur le compte de la médecine. LARIFFARDIÈRE. Il a osé !... Ciel ! Que m'apprenez-vous ! Il ne tremble pas du sort de Molière ? Savez-vous comment les médècins se sont vengés de lui ? MALINGRE. Que lui ont-ils donc fait ? LARIFFARDIÈRE. Ce qu'ils lui ont fait ? Rien. MALINGRE. Ô mon Dieu ! LARIFFARDIÈRE. Il n'a pas pu en obtenir la plus petite saignée. MALINGRE. Ô Ciel ! LARIFFARDIÈRE. [Note : Emetique : est un remède qui purge avec violence par haut et par bas, fait de la poudre et du beurre d'antimoine preparé, dont on a separé les sels corrosifs par plusieurs lotions. [F]]Pas le moindre petit grain d'émétique. MALINGRE. Miséricorde ! LARIFFARDIÈRE. Et, enfin, abandonné par eux, je ne conçois pas comment il ne s'en est pas tiré. MALINGRE. Ce qui m'arrive est aussi fâcheux. Monsieur Tantmieux a menacé Géronte et ses amis de toutes les maladies ; or , il est.... il était mon ami, et, d'après cela, je suis en danger. LARIFFARDIÈRE. Ma foi, par l'intérêt que je vous porte, je vous plains. MALINGRE. Monsieur Lariffardière, allez, je vous prie, trouver Monsieur Tantmieux, dites-lui que sans un dédit de trois mille francs qui me lie avec Monsieur Géronte, je ne le verrais plus. LARIFFARDIÈRE. Un dédit, j'en fais mon affaire. Quel homme est-ce que ce Géronte ? MALINGRE. Air : Tenez-moi, je sais un bon homme.C'est un bon homme assez bizarre ; LARIFFARDIÈRE. C'est-là ce qu'on appelle un sot ; MALINGRE. Économe ; LARIFFARDIÈRE. C'est un avare ; MALINGRE. Crédule ; LARIFFARDIÈRE. C'est ce qu'il nous faut ;Je me charge de votre affaire,Et, prouvant aujourd'hui mon tact, Je traite l'oncle à la Molière,Et le Géronte est dans le sac. MALINGRE. Il ne sera pas à son aise ; mais ceci m'a tout troublé , et je me sens... Allez trouver Monsieur Tantmieux ; c'est une affaire très pressante, très pressante. LARIFFARDIÈRE. Allez, allez, et laissez-moi faire. SCÈNE XII. Adèle, Lariffardière. Tous deux à part. LARIFFARDIÈRE. Les circonstances me favorisent ; il faut en profiter. ADÈLE. Mon père a l'air bien ému. LARIFFARDIÈRE. Je suis fort tranquille. ADÈLE. D'abord, s'il me fait épouser M. Dramantour... LARIFFARDIÈRE. Nous serons deux, monsieur mon rival. ADÈLE. Il serait si aisé avec du caractère. LARIFFARDIÈRE. On peut s'en tirer avec de l'esprit. ADÈLE. Mais mon père n'en a pas. LARIFFARDIÈRE. Enfin, mon parti est pris. ADÈLE. J'y suis décidée. Je sais bien qui est-ce qui m'instruira.. . LARIFFARDIÈRE. Surtout ne disons rien à Adèle... Ah ! Vous voilà. ADÈLE. Ah ! C'est vous. Ah ! Monsieur, je vous y prends, c'est bien joli, de vouloir me cacher vos secrets. LARIFFARDIÈRE. Mais j'ai cru, ma chère amie. ADÈLE. Comme s'ils n'étaient pas à moi comme à vous. LARIFFARDIÈRE. D'accord ; mais... ADÈLE. Lorsque l'on s'aime, peine et plaisir doivent ctr-e en commun. Air : Mon soeur soupire.Dans le plaisir, dans la tristesse,la confiance est un bonheur ;C'est le charme de la tendresse ; C'est le premier besoin du coeur ;Tendre amour c'est, grâce à ta flamme,Qu'on devient doublement heureux :Les indifférents n'ont qu'une âme ;Mais lorsqu'on aime, on en a deux. LARIFFARDIÈRE. Je sens tout cela comme vous... Mais voici justement Monsieur de Lahausse ; j'ai besoin d'être seul avec lui. Adieu, mon Adèle. ADÈLE. Adieu , puisque vous ne voulez pas que je sache... Je me soumets... Il part.Mais j'écouterai. SCÈNE XIII. Lariffardière, Lahausse. LAHAUSSE. Tous nos amis sont d'accord, et on n'entendra plus parler de Molière. LARIFFARDIÈRE, à part. Tu ne demanderais pas mieux. LAHAUSSE. Encore ce comédien.... Attaquer Monsieur Jourdain. LARIFFARDIÈRE. Oui. Je vois que Monsieur Jourdain vous tient au coeur. LAHAUSSE. C'est bon, c'est bon... Qui est-ce qui lui parle ? LARIFFARDIÈRE, à part. Je t'y ferai bien venir. Haut.Mais Monsieur de Lahausse, il n'y a rien de commun entre vous et ce bourgeois. LAHAUSSE. Il est certain qu'il y a de la différence. LARIFFARDIÈRE. Votre famille est connue, et... LAHAUSSE. Il n'y a pas de doute que... LARIFFARDIÈRE. Il y a toujours quelque chose qui distingue les gens de votre sorte. LAHAUSSE. Les gens de ma sorte... Ce garçon-là a des expressions... Vous trouvez donc ma tournure... LARIFFARDIÈRE. On n'a pas l'air distingué comme vous. LAHAUSSE. [Note : Punch : Mélange de thé et d'eau de vie ou de rhu, avec du jus de citron et du sucre ; on le fait brûler. [L]]Parbleu ! Monsieur de Lariffardière... Garçon, un quart de punch. LARIFFARDIÈRE. Ah ! Monsieur, je n'oserai pas avec un homme de votre rang. LAHAUSSE. De mon rang !... Un demi-bol. LARIFFARDIÈRE. En vérité, vous me comblez ; je n'ai jamais vu de seigneur... LAHAUSSE. De seigneur... Le bol entier. Je ne regarde pas à la dépense, lorsque je rencontre des personnes aussi respectueuses pour les gens comme moi. LARIFFARDIÈRE. Je sais les apprécier, et leur rendre la justice qu'ils méritent. D'ailleurs, monsieur, je n'oublierai jamais que j'ai connu monsieur votre père. LAHAUSSE, à part. Il a connu mon père !... Hum !... Où diable veut-il en venir ? LARIFFARDIÈRE. C'était un homme fort estimable, un coeur si pur ; qui faisait valoir lui-même les terres des autres. LAHAUSSE. Oui, oui, il aimait beaucoup la campagne. LARIFFARDIÈRE. Il y passait sa vie au milieu des troupeaux, qu'il gardait lui-même, comme dans l'âge d'or... Vous aviez un oncle aussi, ce me semble ? LAHAUSSE. Oui, je crois me rappeler... LARIFFARDIÈRE. Il se consacrait à l'instruction de la jeunesse. On l'appelait le Magister du village... C'était mon père, monsieur. LAHAUSSE, à part. Ah ! Dieux ! Maudite rencontre ! Haut.Quoi ! Vous seriez ?... LARIFFARDIÈRE. Eustache Desvignes, ton cousin ; la nature ne te le disait pas ? LAHAUSSE. Certainement... Mon cher cousin. À part.Que la peste t'étouffe. LARIFFARDIÈRE. Écoute, Grégoire ; tu as fait fortune, tu as oublié tes parents ; c'est l'usage. Je suis toujours resté gueux ; je me souviens des miens ; c'est tout naturel. Tu as besoin d'un nom, j'ai besoin d'argent ; je puis t'ôter l'un, tu peux me donner l'autre. Arrangeons-nous. LAHAUSSE. Comment l'entendez-vous ? LARIFFARDIÈRE. Je vais me marier ; il me faut cent louis ; tu me le donneras, et, par reconnaissance, j'aurai l'air de ne t'avoir jamais connu. LAHAUSSE. Non, parbleu pas. LARIFFARDIÈRE. Aimes-tu mieux signer au contrat comme mon cousin ; au fait, cela me conviendrait assez. LAHAUSSE. Attendez un peu... Si vingt-cinq louis... LARIFFARDIÈRE. Ah ! Fi donc ! Fi donc, l'honneur de t'appartenir ; non, non. LAHAUSSE. Que diable... Arrangeons-nous... Voyons, trente louis. LARIFFARDIÈRE. Air : De l'enfantine.Je ne puis en conscience ;Crois-moi, perds toute espéranceQu'ici de ton allianceJe me désiste à ce prix. LAHAUSSE. Mettons cinquante louis. LARIFFARDIÈRE. J'en veux cent, je le redis :Songe que dans la province,Tu tiens un état de prince ;Que connu pour ton parent,J'aurai un crédit important. LAHAUSSE. C'est à regret que j'augmente ;Mais enfin j'en mets soixante :Voyez si cela vous tente ;Mais le secret entre nous. LARIFFARDIÈRE. Non, car je suis jaloux Du grand honneur d'être à vous ;Et quand pour moi l'espoir brilleDe retrouver ma famille,Pour si peu doit-on penserQue mon coeur puisse y renoncer ! Le même. Les deux répliques suivantes sont dites ensemble.Non, je n'en veux rien rabattre,Et dut-on me mettre en quatre :Cessons donc de nous débattre ;C'est trop longtemps balancer. LAHAUSSE. Puisqu'il n'en veut rien rabattre, Il faut donc me mettre en quatre,Et j'aurai beau me débattre,Je ne puis plus balancer. LAHAUSSE. Allons, je vais les chercher ; voilà un parent qui m'est bien cher ! LARIFFARDIÈRE. Et d'une ; ah ! Molière, Molière ! Que je te remercie. Voici Monsieur Géronte, l'oncle de mon rival ; comme il vient à propos. SCÈNE XIV. Géronte, Lariffardière. GÉRONTE, à part. Mon neveu, Dramantour, n'était pas chez lui ; la notaire était sorti ; où diable peuvent-ils être. Cet homme me regarde bien. J'espérais les rencontrer l'un ou l'autre ; mais à qui en veut donc cet homme ? LARIFFARDIÈRE, à part. À toi, et tu paieras ton dédit. Monsieur ? GÉRONTE. Est-ce à moi que cela s'adresse ? LARIFFARDIÈRE. Oui, monsieur ; pardon de mon importunilé ; mais vous me paraissez un homme respectable, serviable, équitable, et vous me serez favorable. GÉRONTE, à part. Voudrait-il me demander de l'argent. LARIFFARDIÈRE. Il s'agit d'un malheureux. Donnez-moi... GÉRONTE. Impossible. Air de l'Opéra comique.Je donne parfois le bonjour ;Je donne parfois audience ; Je donne aux voisins, tour à tour,De l'eau, du feu sans conséquence ;Je donne encore quelquefois,Plus d'une recette assez bonne. LARIFFARDIÈRE. Et de l'argent ? GÉRONTE. Je le reçois, Et jamais je n'en donne. LARIFFARDIÈRE. Il ne s'agit pas d'argent ; mais d'un conseil. GÉRONTE. Je suis à vous. J'en donne aussi très volontiers. LARIFFARDIÈRE, pleurant. Eh bien ! Sachez que j'ai un ami... Ah ! Un jeune homme qui a un oncle, qu'il aime... Ah ! Qu'il aime, qu'il aime... Ah, ah , ah ! GÉRONTE. Ne pleurez pas tant ; voyons. LARIFFARDIÈRE. Un joli garçon , aimant à rire ; mais sage, rangé, qui aime les plaisirs, les fêtes, le bal, la comédie, pourvu qu'il ne lui en coûte rien. GÉRONTE. C'est bien ; après, après. LARIFFARDIÈRE. Et ce jeune homme s'endette par économie, et ne paie pas par arrangement. GÉRONTE. Comment, par arrangement ? LARIFFARDIÈRE. Sans doute , il place son argent à gros intérêts, et il fait attendre ses créanciers : il a beaucoup d'ordre. GÉRONTE. J'aime les jeunes gens comme ça. Quel est le nom de votre ami ? LARIFFARDIÈRE. On l'appelle Dramantour ; homme d'esprit, de talent. GÉRONTE, à part. C'est mon neveu. Haut.Vous ne sauriez croire combien cela m'intéresse. Eh bien ! LARIFFARDIÈRE. Ah, ah , ah ! GÉRONTE. Comment, ah , ah ! Lui serait-il arrivé quelque malheur. LARIFFARDIÈRE. Ah ! Monsieur ; ah ! Monsieur. GÉRONTE. Eh bien ! LARIFFARDIÈRE. Eh bien ! Il est en prison. GÉRONTE. En prison ! Et pourquoi ? LARIFFARDIÈRE. Parce que ses créanciers n'ont pas voulu entrer dans ses arrangements ; ayant su qu'il était au spectacle, car il y va... GÉRONTE. De grâce, achevez.... Et apprenez que je suis son oncle. LARIFFARDIÈRE. Ciel ! Vous, son oncle... Ô destin ! Ô nature ! Voilà de tes coups... Sachez donc, qu'ayant appris qu'on l'attendait tous les soirs, il sortait par une petite porte de derrière, pour éviter la cohue, et c'est là qu'on s'est saisi de lui. GÉRONTE. Pourquoi diable sortir par cette porte. Est-ce qu'il n'y en a pas une autre ? LARIFFARDIÈRE. Non, monsieur ; c'est pour cela qu'il l'a choisie. GÉRONTE. Maudits créanciers ! LARIFFARDIÈRE. Il s'agit de le tirer de leurs mains ; et vous seul pouvez... GÉRONTE. Voici ce qu'il faut faire... Dites-lui que je l'aime beaucoup... LARIFFARDIÈRE. Ah ! Le cher oncle !... Le cher oncle ! GÉRONTE. Dites-lui qu'il trouve un répondant, et qu'il vienne se jeter dans mes bras. LARIFFARDIÈRE. Ami malheureux, le ciel m'est témoin que si j'étais en fonds, cher Pylade, tu serais délivré par Oreste. GÉRONTE. Cet homme-là lui est bien attaché. Eh bien ! Monsieur Preste, combien faudrait-il ? LARIFFARDIÈRE. Une misère, mille écus. GÉRONTE. Mille écus ! Ah ! Mon Dieu ! LARIFFARDIÈRE. Eh ! Monsieur, pour une si petite somme, vous, son oncle, voulez-vous lui faire manquer un mariage qui doit placer sur sa tête... GÉRONTE. Quoi donc ? LARIFFARDIÈRE. Quarante mille francs au moins. GÉRONTE. Cela est fort bien... Mais mille écus. LARIFFARDIÈRE. Il vous les rendra. GÉRONTE. Ah ! Bath. LARIFFARDIÈRE. Avec les intérêts. GÉRONTE, sortant une bourse. Vous croyez... Je les ai là en or. Mais m'en séparer sitôt. Air : Vers le temple de l'hymen.Je ne me doutais en rienQue j'aurais cette faiblesse ;Mais enfin votre promesse....Les mille écus y sont bien. LARIFFARDIÈRE. Avarice et bienfaisanceLuttaient dans cette occurrence ;Mais grâce à mon éloquence,La bourse va me rester.J'étais, je vous le confesse, En invoquant la tendresse,Bien certain de l'emporter. Il prend la bourse. SCÈNE XV. Lariffardière, Géronte, Dramatour. LARIFFARDIÈRE, à Dramantour. J'ai mis vos affaires en bon train. Convenez de tout. J'ai menti à votre oncle : ne me démentez pas, et comptez sur moi. DRAMANTOUR. Diable m'emporte si je sais ce qu'il veut dire ; mais c'est égal. SCÈNE XVI. Géronte, Dramatour. DRAMANTOUR, à part. Voici mon oncle. Ici, la tirade de la reconnaissance. Haut.Ô mon oncle inattendu ! C'est vous que le destin prospère précipite dans mon sein ! GÉRONTE. Mon cher neveu, que je suis aise de t'embrasser ! On t'a donc laissé sortir de prison sur parole ? DRAMANTOUR, embarrassé. Oui, mon oncle... Mais au reste.... GÉRONTE. Oreste, il m'a tout conté ; mais une autre fois, ne sors plus par cette maudite porte. DRAMANTOUR. Oui, mon oncle. GÉRONTE. Cela parait te faire de la peine : parlons de ton mariage ; cela te plaira mieux. DRAMANTOUR. Sans doute. À part.Ma phrase de la confidence. C'est sur Adèle ; c'est sur cet objet de mes plus tendres affections que repose la base de tout mon avenir, embelli par le prisme de l'espérance. GÉRONTE. Ah ! Elle est donc jolie, ta future ? DRAMANTOUR. Tenez, la voici, suivie du respectable vieillard de qui elle tient le jour. SCÈNE XVII. Les précèdents, Malingre, Adèle. MALINGRE. Approchez, approchez, Adèle ; vous avez toujours fait ce que je vous ai dit, et je vais vous dire ce qu'il faut faire. ADÈLE. Mon père, je ferai ce que vous me direz. MALINGRE. Ce sera très bien fait. GÉRONTE. Et c'est fort bien dit. MALINGRE. Cela voit toujours du même oeil que moi. GÉRONTE. Je lui en fais mon compliment. DRAMANTOUR, à part. Ici ma tirade sentimentale. Haut.Adèle, non, le ciel peut sur moi exercer sa colère ; je brave les traits du destin, quelle que soit sa rigueur ; le bonheur qui m'attend près de vous sera l'égide de mon âme. Ange tutélaire, je connais l'héroïsme des femmes ; comptes sur ma franchise : je ne suis pas l'homme à trois visages ; et j'ose espérer que vous ne serez, jamais la femme à deux maris... ADÈLE. Air : J'ai vu partout dans mes voyages.[Note : Amphibologie : Terme de grammaire. C'est un vice du discours qui le rend ambigu et obscur, et qui le peut fait interpréter en divers sens. [F]]Ce langage amphibologiquePrésente deux sens an lieu d'un ;[Note : Amphigourie : Ecrit burlesque et qu'on remplit de galimatias. Discours dépourvu d'ordre et de sens. [F]]C'est une énigme amphigourique, Dont le mot n'est pas sens commun.Ce style a droit de me confondre ;Mais quoiqu'il ait bien du succès.Moi je ne puis pas y répondre ;Car je ne sais que le français. GÉRONTE, à part. Hum , si le reste n'est pas intelligible, ceci me parait assez clair. MALINGRE. Comment, vous ne savez pas ce que signifie le discours de monsieur ! Qu'est-ce que cela signifie, mademoiselle ? ADÈLE. Cela signifie, mon père, que s'il s'agit d'aimer monsieur... MALINGRE. Il s'agit de l'épouser. DRAMANTOUR. Elle me refuse ! À part. Ici mon couplet du tyran. Haut.Eh quoi ! Ni mes prières ni mon désespoir ne peuvent attendrir votre coeur formé par l'insensibilité... Eh bien ! Cruelle, craignez tout de ma juste fureur. Holà, gardes... À part. Ce n'est pas ça ; j'ai été trop loin. GÉRONTE. Mon neveu, on ne vous aime pas ; il faut prendre votre parti, et que Monsieur Malingre paye le dédit. MALINGRE. Le dédit, je ne le payerai pas. GÉRONTE. Vous le payerez, ou vous nous épouserez. MALINGRE. Je ne... Si mon médecin ne m'avait pas défendu de me mettre en colère.... SCÈNE XVIII. Les précédents, Lariffardière, Tantmieux. LARIFFARDIÈRE. Allons, courage, Monsieur le docteur. TANTMIEUX. Air : de la Rozière.Eh quoi ! votre audaceJamais ne se lasse !De ce qui se passeNe tremblez-vous pas ?Sans mon ordonnance, Faire une alliance,Dont la conséquenceEst votre trépas.Contre HippocrateVotre âme ingrate, Ici constateUn grief certain :Quoi ! Téméraire,Vous osez faireDe sa colère Un fatal dédain !Mais l'apoplexie,[Note : Hydropisie : Enflure des membres du corps causée par une eau qui se coule entre cuir et chair lorsque le foie ne fait plus ses fonctions. [F]]Et l'hydropisie,Et l'épilepsie, Servant mon courroux,Avec la colique,[Note : Étique : Il signifie, qui est atteint d'une maladie qui déssèche, et consume toute l'habitude du corps. Ce mot se dit aussi d'une fièvre qui rend les personnes étiques, en les déssechant, et en les consumant.]Et la sciatique,Vous rendront étique :C'en est fait de vous. MALINGRE, tombant dans un fauteuil. Ah ! Ah ! De grâce, Monsieur le docteur. TANTMIEUX. Je suis inflexible... Allez, vous n'êtes pas digne d'être malade. MALINGRE. Faut-il mourir ?.... Je me recommande à vous. LARIFFARDIÈRE. Allons, voyons, Monsieur Tantmieux, composons. TANTMIEUX. S'allier avec une famille qui a encouru la haine de la médecine ! GÉRONTE. Bath, bath, nous n'avons jamais eu de médecins dans notre famille, et nous n'en sommes pas moin» morts bien portants. DRAMANTOUR. Ici mon... imprécation... barbare ! Non, tes menaces ne peuvent rien sur moi. Soutenu par ma vertu, je te braverai dans les fers : qui méprise la mort, ne craint point.... un médecin. TANTMIEUX. Monsieur Malingre, vous me résistez ! MALINGRE. Mais Monsieur le docteur , c'est que ce dédit. LARIFFARDIÈRE. Ne vous inquiétez pas. J'aime votre fille; je lui plais. MALINGRE. Vrai ? ADÈLE. Oui, mon père. LARIFFARDIÈRE. Et je paye le droit. MALINGRE. Depuis que vous êtes sorti, il vous est donc survenu des rentrées. LARIFFARDIÈRE. Monsieur Géronte, donnez-moi l'écrit, et je vais vous satisfaire. C'est bon. Voilà les mille écus bien comptés dans cette bourse. GÉRONTE. C'est la bourse de tantôt. LARIFFARDIÈRE. La même, Monsieur Géronte, la même. GÉRONTE. Et les dettes de mon neveu ? LARIFFARDIÈRE. Vous les payerez avec cet argent là. GÉRONTE, à part. Je commence à m'apercevoir... Il m'attrape... Mais je rattrape mon argent. DRAMANTOUR. Nous sommes les jouets d'une conspiration ténébreuse. GÉRONTE. Ah ! Bath, avec tes phrases. SCÈNE XIX ET DERNIÈRE. Les précèdent, Lahausse, Dandinville. DANDINVILLE. Après vous, monsieur. LAHAUSSE. C'est très bien. Monsieur de Lariffardière, voilà vos cent louis. LARIFFARDIÈRE. Je vous remercie bien, mon cher cousin. TOUS. Quoi ! Ton cousin ! LARIFFARDIÈRE. Oui, je l'étais ; mais il ne s'en souviens plus. Air : Aussitôt que la lumière.Son nouvel éclat se change ;Le destin brise nos noeuds ;[Note : Pactole : Petite rivière de Lydie, sortait du mont Tmolus. Elle chariait beaucoup de paillettes d'or. Suivant la fable, elle possédait cette propriété depuis que Midas, qui transformait tout ce qu'il touchait en or, s'était baigné dedans. [B]]Et de cette mode étrange,Les exemples sont nombreux. Notre mémoire s'envole Quand le sort nous a souri ;Et le fleuve du PactoleDevient le fleuve d'oubli. LAHAUSSE. C'est affreux, monsieur ; d'après nos conventions, vous deviez vous taire. GÉRONTE. Comme ce monsieur s'est laissé jouer ! Ah ! Ah ! Voilà bien un autre Monsieur de Jourdain ! LARIFFARDIÈRE. Et vous qui parlez, n'est-ce pas avec votre argent que vous vous êtes payé le dédit ? LAHAUSSE. Ah ! Ah ! Vous êtes bien plus crédule que le Géronte des Fourberies de Scapin. TANTMIEUX. Et vous Monsieur Dramantour, petit Trissotin, comme il vous a attrapé ! Ah ! Ah ! Ah ! DRAMANTOUR. Et c'est vous, Monsieur Purgon, qu'il a fait agir auprès du malade imaginaire ; et s'il en était permis de rire. Ah ! Ah ! Ah ! MALINGRE. Qu'appelez-vous malade imaginaire ? J'aime mieux être malade imaginaire , que... À l'oreille de Dandinville. DANDINVILLE. C'est bon, c'est bon ; mais il a respecté les maris, et je suis le seul qui ne suis pas... LARIFFARDIÈRE. Non, non, Monsieur Dandinville ; il y en a beaucoup comme vous. ADÈLE. Mon ami, vous n'avez pas voulu faire des jaloux vous les avez joués tous. LARIFFARDIÈRE. Ils ont sifflé Molière, et Molière s'est vengé. Air : de Mariane.Du coeur humain peintre fidèle,Il en a trahi le secret ; Il a fait rire le modèleEn lui présentant son portrait.Drapant la cour,Il mit au jour,Près d'un flatteur, Un vertueux frondeur.Dans ses tableauxLes faux dévotsSont dévoilés ;Les Cotins signalés. Sans la chercher, trouvant la gloire,D'un naturel toujours exquis,Il fit de ses moindres croquisDes tableaux pour l'histoire. TANTMIEUX. Oui, oui ; il faut convenir qu'à certains égards il a du bon. VAUDEVILLE. Air de l'Anglaise. LARIFFARDIÈRE. Nous changerons tous : Honneur à l'immortel Molière,Pourvu que sur nousIl ne dirige pas ses coups. TOUS. Nous chanterons tous, etc. TANTMIEUX. Que contre un Jourdain, Il lance sa critique amère,Bravo ; mais qu'enfinIl apprécie un médecin. LAHAUSSE. De la faculté,Qu'il fasse rire le parterre ; Mais dans sa gaîté,Que le riche soit respecté. DRAMANTOUR. D'un George DandinQu'il persiffle le caractère,Bon ; mais que Cotin Soit à l'abri du trait malin. DANDINVILLE. Qu'il lance ses traitsSur un malade imaginaire,J'applaudirai ; maisQu'il laisse les maris en paix. MALINGRE. Qu'il fasse rougirLe ladre, je ne m'en plains guère ;Mais pourquoi venirM'attaquer, moi qui vais mourir. GÉRONTE. Je ris quand il mord ; Mais faire à l'avare la guerre.C'est aussi trop fort :Garder son or n'est un tort. ADÈLE, au Public. Que tous nos défautsSoient pardonnés, grâce à Molière ; Car pour nos tableauxIl aurait fallu ses pinceaux. LARIFFARDIÈRE. L'ouvrage nouveau,Après tout, ne saurait déplaire ;Car un nom si beau N'a jamais eu que des bravo. ==================================================