******************************************************** DC.Title = LE DÉPIT AMOUREUX DC.Author = MOLIERE DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 12:07:22. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MOLIERE_DEPITAMOUREUX.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1280417h DC.Source.cote = BnF ASP RESERVE 8-RF-2939 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE DÉPIT AMOUREUX COMÉDIE Réprésenté sur le théâtre du Palais Royal. M.DC LXIII. Avec Privilège du Roi. De J.B.P. MOLIÈRE À PARIS, Chez Gabriel QUINET, au Palais, dans la Galerie des Prisonniers, à l'Ange Gardien.Achevé d'imprimé le 24 novembre 1662. Les exemplaires ont été fournis. Représenté pour la première fois le 14 septembre 1659, au Théâtre du Petit-Bourbon. MONSIEUR, Si cette pièce, n'avait reçu les applaudissement de toute le France, si elle n'avait été le charme de Paris, et si elle n'avait été le charme de Paris,et si elle n'avait été le divertissement du plus grand Monarque de la Terre, je ne prendrais pas la liberté de vous l'offrir. Il y a longtemps que j'avais résolu de vous présenter quelque chose qui vous manquât mes respects ; mais ne trouvant rien qui fut digne de vous être offert, et qui fut proportionné à vos mérites, j'vais toujours différée le juste et respectueux hommage que je m'étais proposé de vous rendre ; et j'eusse peut-être encore tardé longtemps à le faire, sir le DÉPIT AMOUREUX de l'auteur le plus approuve de ce siècle ne me fut tombé entre les mains. J'ai cru, Monsieur, que je ne devais pas laisser échapper cette occasion de satisfaire aux lois que que je m'étais imposées, et que tous les gens d'esprit demandant tous les jours cette pièce, pour avoir le plaisir de la lecture, comme ils ont eu celui de la représentation, ils seraient bien aises de rencontrer votre nom à la tête. Pour moi, Monsieur, ma joie sera tout à fait grande de la voir passer, non seulement dans plusieurs mains, mais encore dans la bouche des plus charmantes personnes du monde ; c'est alors que chacun se souviendra de toutes les belles et avantageuses qualités que vous possédez, que les uns loueront votre prudence, les autres votre esprit, les autres votre justice,les autres la douceur qui est inséparable de tout ce que vous faites, et qui est si vivement dépeinte sur votre visage, qu'il n'est personne qui puisse douter que vos actions n'en soient remplies. Jugez, Monsieur, quelle satisfaction j'aurai de savoir que l'on rendra à votre mérite ce qui lui est dû, que l'on vous donnera des louanges que vous avez si légitimement méritées, que l'on m'estimera d'avoir fait un si juste choix, et si glorieux pour moi, et que l'on louera le zèle et le respect avec lequel je suis, MONSIEUR, Votre très humble, et très obéissant serviteur, G. QUINET. ACTEURS ÉRASTE, amant de Lucile. ALBERT, père de Lucile. GROS-RENÉ, valet d'Eraste. VALÈRE, fils de Polydore. LUCILE, fille d'Albert. MARINETTE, suivante de Lucile. POLYDORE, père de Valère. FROSINE, confidente d'Ascagne. ASCAGNE, fille sous l'habit d'homme. MASCARILLE, valet de Valère. MÉTAPHRASTE, pédant. LA RAPIÈRE, bretteur. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. ÉRASTE. Veux-tu que je te dise ? Une atteinte secrèteNe laisse point mon âme en une bonne assiette :Oui, quoi qu'à mon amour tu puisse[s] repartir,Il craint d'être la dupe ; à ne te point mentir :Qu'en faveur d'un rival ta foi ne se corrompe, Ou du moins, qu'avec moi, toi-même on ne te trompe. GROS-RENÉ. Pour moi, me soupçonner de quelque mauvais tour,Je dirai, n'en déplaise à monsieur votre amour,Que c'est injustement blesser ma prudhommieEt se connaître mal en physionomie. Les gens de mon minois ne sont point accusésD'être, grâces à Dieu, ni fourbes, ni rusés :Cet honneur qu'on nous fait, je ne le démens guère,Et suis homme fort rond de toutes les manières.Pour que l'on me trompât, cela se pourrait bien, Le doute est mieux fondé ; pourtant je n'en crois rien.Je ne vois point encore, ou je suis une bête,Sur quoi vous avez pu prendre martel en tête.Lucile, à mon avis vous montre assez d'amour,Elle vous voit, vous parle, à toute heure du jour, Et Valère après tout qui cause votre crainteSemble n'être à présent souffert que par contrainte. ÉRASTE. Souvent d'un faux espoir un amant est nourri,Le mieux reçu toujours n'est pas le plus chéri ;Et tout ce que d'ardeur font paraître les femmes Parfois n'est qu'un beau voile à couvrir d'autres flammes.Valère enfin, pour être un amant rebuté,Montre depuis un temps trop de tranquillité ;Et ce qu'à ces faveurs, dont tu crois l'apparence,Il témoigne de joie ou bien d'indifférence M'empoisonne à tous coups leurs plus charmants appas,Me donne ce chagrin que tu ne comprends pas ;Tient mon bonheur en doute, et me rend difficileUne entière croyance aux propos de Lucile.Je voudrais, pour trouver un tel destin plus doux, Y voir entrer un peu de son transport jaloux,Et sur ses déplaisirs et son impatienceMon âme prendrait lors une pleine assurance.Toi-même, penses-tu, qu'on puisse, comme il fait,Voir chérir un rival d'un esprit satisfait ? Et si tu n'en crois rien, dis-moi, je t'en conjure,Si j'ai lieu de rêver dessus cette aventure. GROS-RENÉ. Peut-être que son coeur a changé de désirsConnaissant qu'il poussait d'inutiles soupirs. ÉRASTE. Lorsque par les rebuts une âme est détachée, Elle veut fuir l'objet dont elle fut touchée,Et ne rompt point sa chaîne avec si peu d'éclat,Qu'elle puisse rester en un paisible état :De ce qu'on a chéri la fatale présenceNe nous laisse jamais dedans l'indifférence ; Et si de cette vue on n'accroît son dédain,Notre amour est bien près de nous rentrer au sein.Enfin, crois-moi, si bien qu'on éteigne une flamme,Un peu de jalousie occupe encore une âme,Et l'on ne saurait voir, sans en être piqué, Posséder par un autre un coeur qu'on a manqué. GROS-RENÉ. Pour moi, je ne sais point tant de philosophie ;Ce que voient mes yeux, franchement je m'y fie,Et ne suis point de moi si mortel ennemi,Que je m'aille affliger sans sujet ni demi, Pourquoi subtiliser et faire le capableÀ chercher des raisons pour être misérable?Sur des soupçons en l'air je m'irais alarmer ?Laissons venir la fête avant que la chômer.Le chagrin me paraît une incommode chose ; Je n'en prends point pour moi, sans bonne et juste cause ?Et mêmes à mes yeux cent sujets d'en avoirS'offrent le plus souvent que je ne veux pas voir.Avec vous en amour je cours même fortune ;Celle que vous aurez me doit être commune ; La maîtresse ne peut abuser votre foi,À moins que la suivante en fasse autant pour moi :Mais j'en fuis la pensée avec un soin extrême.Je veux croire les gens quand on me dit Je t'aime ;Et ne vais point chercher, pour m'estimer heureux, Si Mascarille ou non, s'arrache les cheveux.Que tantôt Marinette endure qu'à son aiseJodelet par plaisir la caresse et la baise,Et que ce beau rival en rie ainsi qu'un fou,À son exemple aussi j'en rirai tout mon soûl ; Et l'on verra qui rit avec meilleure grâce. ÉRASTE. Voilà de tes discours. GROS-RENÉ. Mais je la vois qui passe. SCÈNE II. Marinette, Éraste, Gros-René. GROS-RENÉ. St, Marinette. MARINETTE. Oh, oh. Que fais-tu là ? GROS-RENÉ. Ma foi,Demande, nous étions tout à l'heure sur toi. MARINETTE. Vous êtes aussi là ! Monsieur, depuis une heure Vous m'avez fait trotter comme un Basque, je meure ! ÉRASTE. Comment ! MARINETTE. Pour vous chercher j'ai fait dix mille pas,Et vous promets, ma foi... ÉRASTE. Quoi ? MARINETTE. Que vous n'êtes pasAu temple, au cours, chez vous, ni dans la grande place. GROS-RENÉ. Il fallait en jurer. ÉRASTE. Apprends-moi donc de grâce Qui te fait me chercher ? MARINETTE. Quelqu'un en vérité,Qui pour vous n'a pas trop mauvaise volonté.Ma maîtresse en un mot. ÉRASTE. Ah ! Chère Marinette,Ton discours de son coeur est-il bien l'interprète ?Ne me déguise point un mystère fatal, Je ne t'en voudrai pas pour cela plus de mal :Au nom des dieux, dis-moi si ta belle maîtresseN'abuse point mes voeux d'une fausse tendresse. MARINETTE. Hé, hé, d'où vous vient donc ce plaisant mouvement ?Elle ne fait pas voir assez son sentiment ? Quel garant est-ce encore que votre amour demande ?Que lui faut-il ? GROS-RENÉ. À moins que Valère se pende,Bagatelle ; son coeur ne s'assurera point. MARINETTE. Comment ! GROS-RENÉ. Il est jaloux jusques en un tel point. MARINETTE. De Valère ? Ah ! Vraiment la pensée est bien belle ! Elle peut seulement naître en votre cervelle !Je vous croyais du sens, et jusqu'à ce moment ;J'avais de votre esprit quelque bon sentiment,Mais, à ce que je vois, je m'étais fort trompée.Ta tête de ce mal est-elle aussi frappée ? GROS-RENÉ. Moi, jaloux ? Dieu m'en garde, et d'être assez badinPour m'aller emmaigrir avec un tel chagrin ;Outre que de ton coeur ta foi me cautionne,L'opinion que j'ai de moi-même est trop bonnePour croire auprès de moi que quelqu'autre te plût, Où diantre pourrais-tu trouver qui me valût ? MARINETTE. En effet, tu dis bien, voilà comme il faut être,Jamais de ces soupçons qu'un jaloux fait paraître ;Tout le fruit qu'on en cueille est de se mettre mal,Et d'avancer par là les desseins d'un rival : Au mérite souvent de qui l'éclat vous blesse,Vos chagrins font ouvrir les yeux d'une maîtresse,Et j'en sais tel qui doit son destin le plus douxAux soins trop inquiets de son rival jaloux.Enfin quoi qu'il en soit, témoigner de l'ombrage C'est jouer en amour un mauvais personnage,Et se rendre après tout misérable à crédit :Cela, Seigneur Éraste, en passant vous soit dit. ÉRASTE. Eh bien, n'en parlons plus, que venais-tu m'apprendre ? MARINETTE. Vous mériteriez bien que l'on vous fît attendre : Qu'afin de vous punir je vous tinsse caché,Le grand secret pourquoi je vous ai tant cherché.Tenez, voyez ce mot, et sortez hors de doute.Lisez-le donc tout haut ; personne ici n'écoute. ÉRASTE, lit. Vous m'avez dit que votre amour Était capable de tout faire ; Il se couronnera lui-même dans ce jour, S'il peut avoir l'aveu d'un père. Faites parler les droits qu'on a dessus mon coeur, Je vous en donne la licence : Et si c'est en votre faveur, Je vous réponds de mon obéissance. Ah ! Quel bonheur ! Ô, toi, qui me l'as apportéJe te dois regarder comme une Déité. GROS-RENÉ. Je vous le disais bien contre votre croyance, Je ne me trompe guère aux choses que je pense. ÉRASTE, lit. Faites parler les droits qu'on a dessus mon coeur ; Je vous en donne la licence : Et si c'est en votre faveur, Je vous réponds de mon obéissance. MARINETTE. Si je lui rapportais vos faiblesses d'esprit,Elle désavouerait bientôt un tel écrit. ÉRASTE. Ah ! Cache-lui de grâce, une peur passagèreOù mon âme a cru voir quelque peu de lumière ;Ou si tu la lui dis, ajoute que ma mort Est prête d'expier l'erreur de ce transport;Que je vais à ses pieds, si j'ai pu lui déplaire,Sacrifier ma vie à sa juste colère. MARINETTE. Ne parlons point de mort, ce n'en est pas le temps. ÉRASTE. Au reste, je te dois beaucoup, et je prétends Reconnaître dans peu, de la bonne manière[Note : Courrière : féminin de courrier. Mot qui n'appartient guère qu'à la poésie. [L]]Les soins d'une si noble et si belle courrière. MARINETTE. À propos ; savez-vous où je vous ai cherchéTantôt encore ? ÉRASTE. Hé bien ? MARINETTE. Tout proche du marché,Où vous savez. ÉRASTE. Où donc ? MARINETTE. Là, dans cette boutique Où dès le mois passé votre coeur magnifiqueMe promit, de sa grâce, une bague. ÉRASTE. Ha ! J'entends. GROS-RENÉ. La matoise ! ÉRASTE. Il est vrai, j'ai tardé trop longtempsÀ m'acquitter vers toi d'une telle promesse :Mais... MARINETTE. Ce que j'en ai dit, n'est pas que je vous presse. GROS-RENÉ. Ho ! Que non ! ÉRASTE. Celle-ci peut-être aura de quoiTe plaire. Accepte-la pour celle que je dois. MARINETTE. Monsieur, vous vous moquez, j'aurais honte à la prendre. GROS-RENÉ. Pauvre honteuse, prends, sans davantage attendre.Refuser ce qu'on donne, est bon à faire aux fous[.] MARINETTE. Ce sera pour garder quelque chose de vous. ÉRASTE. Quand puis-je rendre grâce à cet ange adorable. MARINETTE. Travaillez à vous rendre un père favorable. ÉRASTE. Mais s'il me rebutait, dois-je... MARINETTE. Alors comme alors,Pour vous on emploiera toutes sortes d'efforts, D'une façon ou d'autre il faut qu'elle soit vôtre ;Faites votre pouvoir, et nous ferons le nôtre. ÉRASTE. Adieu, nous en saurons le succès dans ce jour. MARINETTE. Et nous, que dirons-nous aussi de notre amour ?Tu ne m'en parles point. GROS-RENÉ. Un hymen qu'on souhaite Entre gens comme nous est chose bientôt faite.Je te veux. Me veux-tu de même ? MARINETTE. Avec plaisir. GROS-RENÉ. Touche, il suffit. MARINETTE. Adieu, Gros-René, mon désir. GROS-RENÉ. Adieu, mon astre. MARINETTE. Adieu, beau tison de ma flamme. GROS-RENÉ. Adieu, chère comète, arc-en-ciel de mon âme. Le bon Dieu soit loué, nos affaires vont bien,Albert n'est pas un homme à vous refuser rien. ÉRASTE. Valère vient à nous. GROS-RENÉ. [Note : Hère : Terme de mépris. Homme sans considération, sans fortune. [L]]Je plains le pauvre hère,Sachant ce qui se passe. SCÈNE III. Éraste, Valère, Gros-René. ÉRASTE. Hé bien, Seigneur Valère ? VALÈRE. Hé bien, Seigneur Éraste ? ÉRASTE. En quel état l'amour ? VALÈRE. En quel état vos feux ? ÉRASTE. Plus forts de jour en jour. VALÈRE. Et mon amour plus fort. ÉRASTE. Pour Lucile ? VALÈRE. Pour elle. ÉRASTE. Certes, je l'avouerai, vous êtes le modèleD'une rare constance. VALÈRE. Et votre fermetéDoit être un rare exemple à la postérité. ÉRASTE. Pour moi, je suis peu fait à cet amour austère,Qui dans les seuls regards trouve à se satisfaire.Et je ne forme point d'assez beaux sentiments,Pour souffrir constamment les mauvais traitementsEnfin, quand j'aime bien, j'aime fort que l'on m'aime. VALÈRE. Il est très naturel, et j'en suis bien de même :Le plus parfait objet dont je serais charméN'aurait pas mes tributs, n'en étant point aimé. ÉRASTE. Lucile cependant... VALÈRE. Lucile dans son âmeRend tout ce que je veux qu'elle rende à ma flamme. ÉRASTE. Vous êtes donc facile à contenter. VALÈRE. Pas tantQue vous pourriez penser. ÉRASTE. Je puis croire pourtant,Sans trop de vanité, que je suis en sa grâce. VALÈRE. Moi, je sais que j'y tiens une assez bonne place. ÉRASTE. Ne vous abusez point ; croyez-moi. VALÈRE. Croyez-moi, Ne laissez point duper vos yeux à trop de foi. ÉRASTE. Si j'osais vous montrer une preuve assuréeQue son coeur... Non ; votre âme en serait altérée. VALÈRE. Si je vous osais moi découvrir en secret...Mais, je vous fâcherais, et veux être discret. ÉRASTE. Vraiment, vous me poussez ; et contre mon envieVotre présomption veut que je l'humilie.Lisez. VALÈRE. Ces mots sont doux. ÉRASTE. Vous connaissez la main ? VALÈRE. Oui, de Lucile. ÉRASTE. Hé bien ? Cet espoir si certain... VALÈRE, riant. Adieu, Seigneur Éraste. GROS-RENÉ. Il est fou le bon Sire Où vient-il donc, pour lui de voir le mot pour rire ? ÉRASTE. Certes, il me surprend, et j'ignore, entre nous,Quel diable de mystère est caché là-dessous. GROS-RENÉ. Son valet vient, je pense. ÉRASTE. Oui, je le vois paraître.Feignons, pour le jeter sur l'amour de son maître. SCÈNE IV. Mascarille, Éraste, Gros-René. MASCARILLE. Non, je ne trouve point d'état plus malheureux,Que d'avoir un patron jeune et fort amoureux. GROS-RENÉ. Bonjour. MASCARILLE. Bonjour. GROS-RENÉ. Où tend Mascarille à cette heure ?Que fait-il ? Revient-il ? Va-t-il ? Ou s'il demeure ? MASCARILLE. Non, je ne reviens pas ; car je n'ai pas été : Je ne vais pas aussi, car je suis arrêté :Et ne demeure point ; car tout de ce pas même,Je prétends m'en aller. ÉRASTE. La rigueur est extrême :Doucement, Mascarille. MASCARILLE. Ha ! Monsieur, serviteur. ÉRASTE. Vous nous fuyez bien vite ? Hé quoi ! Vous fais-je peur ? MASCARILLE. Je ne crois pas cela de votre courtoisie. ÉRASTE. Touche : nous n'avons plus sujet de jalousie ;Nous devenons amis, et mes feux que j'éteinsLaissent la place libre à vos heureux desseins. MASCARILLE. Plût à Dieu ! ÉRASTE. Gros-René sait qu'ailleurs je me jette. GROS-RENÉ. Sans doute : et je te cède aussi la Marinette. MASCARILLE. Passons sur ce point-là ; notre rivalitéN'est pas pour en venir à grande extrémité :Mais, est-ce un coup bien sûr que votre seigneurieSoit désenamourée, ou si c'est raillerie ? ÉRASTE. J'ai su qu'en ses amours ton maître était trop bien ;Et je serais un fou de prétendre plus rienAux étroites faveurs qu'il a de cette belle. MASCARILLE. Certes, vous me plaisez avec cette nouvelle ;Outre qu'en nos projets je vous craignais un peu, Vous tirez sagement votre épingle du jeu.Oui, vous avez bien fait de quitter une place,Où l'on vous caressait pour la seule grimace ;Et mille fois, sachant tout ce qui se passait,J'ai plaint le faux espoir dont on vous repaissait. On offense un brave homme alors que l'on l'abuse.Mais, d'où, diantre, après tout, avez-vous su la ruse :Car cet engagement mutuel de leur foiN'eut pour témoins, la nuit, que deux autres et moi ;Et l'on croit jusqu'ici la chaîne fort secrète Qui rend de nos amants la flamme satisfaite. ÉRASTE. Hé ! Que dis-tu ? MASCARILLE. Je dis que je suis interdit :Et ne sais pas, Monsieur, qui peut vous avoir dit,Que, sous ce faux semblant, qui trompe tout le monde,En vous trompant aussi, leur ardeur sans seconde D'un secret mariage a serré le lien. ÉRASTE. Vous en avez menti. MASCARILLE. Monsieur, je le veux bien. ÉRASTE. Vous êtes un coquin. MASCARILLE. D'acco[rd]. ÉRASTE. Et cette audaceMériterait cent coups de bâton sur la place. MASCARILLE. Vous avez tout pouvoir. ÉRASTE. Ha ! Gros-René. GROS-RENÉ. Monsieur. ÉRASTE. Je démens un discours dont je n'ai que trop peur; À Mascarille.Tu penses fuir ? MASCARILLE. Nenni. ÉRASTE. Quoi ! Lucile est la femme... MASCARILLE. Non, Monsieur, je raillais. ÉRASTE. Ah ! Vous raillez ! Infâme. MASCARILLE. Non, je ne raillais point. ÉRASTE. Il est donc vrai ? MASCARILLE. Non pas,Je ne dis pas cela. ÉRASTE. Que dis-tu donc ? MASCARILLE. Hélas ! Je ne dis rien de peur de mal parler. ÉRASTE. Assure,Ou si c'est chose vraie, ou si c'est imposture. MASCARILLE. C'est ce qu'il vous plaira : je ne suis pas iciPour vous rien contester. ÉRASTE. Veux-tu dire ? Voici,Sans marchander, de quoi te délier la langue. MASCARILLE. Elle ira faire encore quelque sotte harangue.Hé, de grâce, plutôt, si vous le trouvez bon,Donnez-moi vitement quelques coups de bâton,Et me laissez tirer mes chausses sans murmure. ÉRASTE. Tu mourras, ou je veux que la vérité pure S'exprime par ta bouche. MASCARILLE. Hélas ! Je la dirai ;Mais, peut-être, Monsieur, que je vous fâcherai. ÉRASTE. Parle : mais prends bien garde à ce que tu vas faire ;À ma juste fureur rien ne te peut soustraire,Si tu mens d'un seul mot en ce que tu diras. MASCARILLE. J'y consens, rompez-moi les jambes et les bras ;Faites-moi pis encor, tuez-moi si j'imposeEn tout ce que j'ai dit ici la moindre chose. ÉRASTE. Ce mariage est vrai ? MASCARILLE. Ma langue, en cet endroit,A fait un pas de clerc dont elle s'aperçoit : Mais enfin, cette affaire est comme vous la dites ;Et c'est après cinq jours de nocturnes visites,Tandis que vous serviez à mieux couvrir leur jeu,Que depuis avant-hier ils sont joints de ce noeu[d] ;Et Lucile depuis fait encore moins paraître La violente amour qu'elle porte à mon maître,Et veut absolument que tout ce qu'il verra,Et qu'en votre faveur son coeur témoignera,Il l'impute à l'effet d'une haute prudence,Qui veut de leurs secrets ôter la connaissance. Si, malgré mes serments, vous doutez de ma foi,Gros-René peut venir une nuit avec moi ;Et je lui ferai voir étant en sentinelleQue nous avons dans l'ombre un libre accès chez elle. ÉRASTE. Ôte-toi de mes yeux, maraud. MASCARILLE. Et de grand coeur ; C'est ce que je demande. ÉRASTE. Hé bien ! GROS-RENÉ. Hé bien ! Monsieur :Nous en tenons tous deux, si l'autre est véritable. ÉRASTE. Las ! Il ne l'est que trop, le bourreau détestable,Je vois trop d'apparence à tout ce qu'il a dit :Et ce qu'a fait Valère en voyant cet écrit, Marque bien leur concert, et que c'est une bayeQui sert sans doute aux feux dont l'ingrate le paye. SCÈNE V. Marinette, Gros-René, Éraste. MARINETTE. Je viens vous avertir que tantôt sur le soirMa maîtresse au jardin vous permet de la voir. ÉRASTE. Oses-tu me parler, âme double, et traîtresse ? Va, sors de ma présence, et dis à ta maîtresse ;Qu'avec ses écrits elle me laisse en paix,Et que voilà l'état, infâme, que j'en fais. MARINETTE. Gros-René, dis-moi donc quelle mouche le pique. GROS-RENÉ. M'oses-tu bien encore parler ? Femelle inique ? Crocodile trompeur, de qui le coeur félon[Note : Lestrygon : Nom d'un peuple de la Sicile. Fig. une personne barbare. [L]]Est pire qu'un Satrape ou bien qu'un Lestrygon ?Va, va, rendre réponse à ta bonne maîtresse,Et lui dis bien et beau que, malgré sa souplesse,Nous ne sommes plus sots, ni mon maître, ni moi, Et désormais qu'elle aille au diable avec toi. MARINETTE. Ma pauvre Marinette, es-tu bien éveillée ?De quel démon est donc leur âme travaillée ?Quoi ? Faire un tel accueil à nos soins obligeants !Oh ! Que ceci chez nous va surprendre les gens ! ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Ascagne, Frosine. FROSINE. Ascagne, je suis fille à secret, Dieu merci. ASCAGNE. Mais, pour un tel discours, sommes-nous bien ici ?Prenons garde qu'aucun ne nous vienne surprendre,Ou que de quelque endroit on ne nous puisse entendre. FROSINE. Nous serions au logis beaucoup moins sûrement : Ici de tous côtés on découvre aisément,Et nous pouvons parler avec toute assurance. ASCAGNE. Hélas ! Que j'ai de peine à rompre mon silence ! FROSINE. Ouais ! Ceci doit donc être un important secret. ASCAGNE. Trop, puisque je le fie à vous-même à regret, Et que si je pouvais le cacher davantage,Vous ne le sauriez point. FROSINE. Ha ! C'est me faire outrageFeindre à s'ouvrir à moi ! Dont vous avez connuDans tous vos intérêts l'esprit si retenu.Moi nourrie avec vous ! Et qui tiens sous silence Des choses qui vous sont de si grande importance !Qui sais... ASCAGNE. Oui, vous savez la secrète raisonQui cache aux yeux de tous mon sexe et ma maison ;Vous savez que dans celle où passa mon bas âgeJe suis pour y pouvoir retenir l'héritage Que relâchait ailleurs le jeune Ascagne mort,Dont mon déguisement fait revivre le sort,Et c'est aussi pourquoi ma bouche se dispenseÀ vous ouvrir mon coeur avec plus d'assurance.Mais, avant que passer, Frosine à ce discours, Éclaircissez un doute où je tombe toujours.Se pourrait-il qu'Albert ne sût rien du mystèreQui masque ainsi mon sexe, et l'a rendu mon père ? FROSINE. En bonne foi, ce point sur quoi vous me pressez,Est une affaire aussi qui m'embarrasse assez : Le fond de cette intrigue est pour moi lettre close ;Et ma mère ne put m'éclaircir mieux la chose.Quand il mourut ce fils l'objet de tant d'amour,Au destin de qui même, avant qu'il vînt au jour,Le testament d'un oncle abondant en richesses, D'un soin particulier avait fait des largesses,Et que sa mère fit un secret de sa mort,De son époux absent redoutant le transport,S'il voyait chez un autre aller tout l'héritageDont sa maison tirait un si grand avantage, Quand dis-je pour cacher un tel événement,La supposition fut de son sentiment,Et qu'on vous prit chez nous où vous étiez nourrie,Votre mère d'accord de cette tromperieQui remplaçait ce fils à sa garde commis, En faveur des présents le secret fut promis.Albert ne l'a point su de nous ; et pour sa femme,L'ayant plus de douze ans conservé dans son âme,Comme le mal fut prompt dont on la vit mourir,Son trépas imprévu ne put rien découvrir. Mais cependant, je vois qu'il garde intelligenceAvec celle de qui vous tenez la naissance.J'ai su, qu'en secret même, il lui faisait du bien ;Et peut-être cela ne se fait pas pour rien.D'autre part il vous veut porter au mariage ; Et, comme il le prétend, c'est un mauvais langage :Je ne sais s'il saurait la suppositionSans le déguisement ; mais la digressionTout insensiblement pourrait trop loin s'étendre :Revenons au secret que je brûle d'apprendre. ASCAGNE. Sachez donc que l'amour ne sait point s'abuser ;Que mon sexe à ses yeux n'a pu se déguiser,Et que ses traits subtils, sous l'habit que je porte,Ont su trouver le coeur d'une fille peu forte :J'aime enfin. FROSINE. Vous aimez ? ASCAGNE. Frosine, doucement ; N'entrez pas tout à fait dedans l'étonnement :Il n'est pas temps encore : et ce coeur qui soupireA bien pour vous surprendre autre chose à vous dire. FROSINE. Et quoi ? ASCAGNE. J'aime Valère. FROSINE. Ha ! Vous aviez raison.L'objet de votre amour, lui dont à la maison Votre imposture enlève un puissant héritage,Et qui de votre sexe ayant le moindre ombrage,Verrait incontinent ce bien lui retourner,C'est encore un plus grand sujet de s'étonner. ASCAGNE. J'ai de quoi toutefois surprendre plus votre âme : Je suis sa femme. FROSINE. Ô dieux ! Sa femme ! ASCAGNE. Oui, sa femme. FROSINE. Ha ! Certes celui-là l'emporte, et vient à boutDe toute ma raison. ASCAGNE. Ce n'est pas encore tout. FROSINE. Encore ! ASCAGNE. Je la suis, dis-je sans qu'il le pense,Ni qu'il ait de mon sort la moindre connaissance. FROSINE. Ho ! Poussez ; je le quitte, et ne raisonne plus,Tant mes sens coup sur coup se trouvent confondus.À ces énigmes-là je ne puis rien comprendre. ASCAGNE. Je vais vous l'expliquer, si vous voulez m'entendre.Valère, dans les fers de ma soeur arrêté, Me semblait un amant digne d'être écouté,Et je ne pouvais voir qu'on rebutât sa flamme,Sans qu'un peu d'intérêt touchât pour lui mon âme.Je voulais que Lucile aimât son entretien,Je blâmais ses rigueurs, et les blâmai si bien, Que moi-même j'entrai, sans pouvoir m'en défendre.Dans tous les sentiments qu'elle ne pouvait prendre.C'était en lui parlant moi qu'il persuadait,Je me laissais gagner aux soupirs qu'il perdait,Et ses voeux rejetés de l'objet qui l'enflamme, Étaient, comme vainqueurs, reçus dedans mon âme.Ainsi mon coeur, Frosine, un peu trop faible, hélas !Se rendit à des soins qu'on ne lui rendait pas,Par un coup réfléchi reçut une blessure,Et paya pour un autre avec beaucoup d'usure. Enfin, ma chère, enfin l'amour que j'eus pour luiSe voulut expliquer, mais sous le nom d'autrui :Dans ma bouche, une nuit, cet amant trop aimableCrut rencontrer Lucile à ses voeux favorable,Et je sus ménager si bien cet entretien, Que du déguisement il ne reconnut rien.Sous ce voile trompeur qui flattait sa pensée,Je lui dis que pour lui mon âme était blessée ;Mais que voyant mon père en d'autres sentiments,Je devais une feinte à ses commandements ; Qu'ainsi de notre amour nous ferions un mystère,Dont la nuit seulement serait dépositaire,Et qu'entre nous de jour, de peur de rien gâter,Tout entretien secret se devait éviter ;Qu'il me verrait alors la même indifférence, Qu'avant que nous eussions aucune intelligence,Et que de son côté, de même que du mien,Geste, parole, écrit, ne m'en dît jamais rien.Enfin, sans m'arrêter sur toute l'industrieDont j'ai conduit le fil de cette tromperie. J'ai poussé jusqu'au bout un projet si hardi,Et me suis assuré l'époux que je vous dis. FROSINE. Peste ! Les grands talents que votre esprit possède !Dirait-on qu'elle y touche, avec sa mine froide ?Cependant vous avez été bien vite ici ; Car je veux que la chose ait d'abord réussi,Ne jugez-vous pas bien, à regarder l'issue,Qu'elle ne peut longtemps éviter d'être sue [?] ASCAGNE. Quand l'amour est bien fort, rien ne peut l'arrêter ;Ses projets seulement vont à se contenter, Et pourvu qu'il arrive au but qu'il se propose,Il croit que tout le reste après est peu de chose.Mais enfin aujourd'hui je me découvre à vous,Afin que vos conseils... Mais voici cet époux. SCÈNE II. Valère, Ascagne, Frosine. VALÈRE. Si vous êtes tous deux en quelque conférence, Où je vous fasse tort de mêler ma présence,Je me retirerai. ASCAGNE. Non, non ; vous pouvez bien,Puisque vous le faisiez, rompre notre entretien. VALÈRE. Moi ? ASCAGNE. Vous-même. VALÈRE. Et comment ? ASCAGNE. Je disais que ValèreAurait, si j'étais fille, un peu trop su me plaire; Et que si je faisais tous les voeux de son coeur,Je ne tarderais guère à faire son bonheur. VALÈRE. Ces protestations ne coûtent pas grand chose,Alors qu'à leur effet un pareil si s'oppose :Mais vous seriez bien pris, si quelque événement Allait mettre à l'épreuve un si doux compliment. ASCAGNE. Point du tout ; je vous dis que régnant dans votre âmeJe voudrais de bon coeur couronner votre flamme. VALÈRE. Et si c'était quelqu'une où par votre secoursVous pussiez être utile au bonheur de mes jours. ASCAGNE. Je pourrais assez mal répondre à votre attente. VALÈRE. Cette confession n'est pas fort obligeante. ASCAGNE. Hé ! Quoi ! Vous voudriez, Valère, injustement,Qu'étant fille, et mon coeur vous aimant tendrement,Je m'allasse engager avec une promesse De servir vos ardeurs pour quelque autre maîtresse.Un si pénible effort pour moi m'est interdit[.] VALÈRE. Mais cela n'étant pas ? ASCAGNE. Ce que je vous ai ditJe l'ai dit comme fille, et vous le devez prendreTout de même. VALÈRE. Ainsi donc il ne faut rien prétendre, Ascagne, à des bontés que vous auriez pour nous,À moins que le ciel fasse un grand miracle en vous.Bref, si vous n'êtes fille, adieu votre tendresse ;Il ne vous reste rien qui pour nous s'intéresse. ASCAGNE. J'ai l'esprit délicat plus qu'on ne peut penser, Et le moindre scrupule a de quoi m'offenserQuand il s'agit d'aimer ; enfin je suis sincère ;Je ne m'engage point à vous servir, Valère,Si vous ne m'assurez au moins absolument,Que vous gardez pour moi le même sentiment ; Que pareille chaleur d'amitié vous transporte,Et que si j'étais fille, une flamme plus forteN'outragerait point celle où je vivrais pour vous. VALÈRE. Je n'avais jamais vu ce scrupule jaloux ;Mais tout nouveau qu'il est, ce mouvement m'oblige, Et je vous fais ici tout l'aveu qu'il exige. ASCAGNE. Mais sans fard ? VALÈRE. Oui sans fard. ASCAGNE. S'il est vrai, désormais ;Vos intérêts seront les miens, je vous promets[.] VALÈRE. J'ai bientôt à vous dire un important mystère,Où l'effet de ces mots me sera nécessaire. ASCAGNE. Et j'ai quelque secret de même à vous ouvrir,Où votre coeur pour moi se pourra découvrir. VALÈRE. Hé ! De quelle façon cela pourrait-il être ? ASCAGNE. C'est que j'ai de l'amour qui n'oserait paraître,Et vous pourriez avoir sur l'objet de mes voeux Un empire à pouvoir rendre mon sort heureux. VALÈRE. Expliquez-vous, Ascagne, et croyez par avanceQue votre heur est certain, s'il est en ma puissance. ASCAGNE. Vous promettez ici plus que vous ne croyez. VALÈRE. Non, non ; dites l'objet pour qui vous m'employez. ASCAGNE. Il n'est pas encore temps ; mais c'est une personneQui vous touche de près. VALÈRE. Votre discours m'étonne ;Plût à Dieu que ma soeur... ASCAGNE. Ce n'est pas la saison,De m'expliquer, vous dis-je. VALÈRE. Et pourquoi ? ASCAGNE. Pour raison.Vous saurez mon secret, quand je saurai le vôtre. VALÈRE. J'ai besoin pour cela de l'aveu de quelque autre. ASCAGNE. Ayez-le donc ; et lors nous expliquant nos voeux,Nous verrons qui tiendra mieux parole des deux. VALÈRE. Adieu, j'en suis content. ASCAGNE. Et moi content, Valère. FROSINE. Il croit trouver en vous l'assistance d'un frère. SCÈNE III. Frosine, Ascagne, Marinette, Lucile. LUCILE. C'en est fait ; c'est ainsi que je me puis venger :Et, si cette action a de quoi l'affliger,C'est toute la douceur que mon coeur s'y propose.Mon frère, vous voyez une métamorphose.Je veux chérir Valère après tant de fierté, Et mes voeux maintenant tournent de son côté. ASCAGNE. Que dites-vous ? Ma soeur ; comment ! Courir au change !Cette inégalité me semble trop étrange. LUCILE. La vôtre me surprend avec plus de sujet,De vos soins autrefois Valère était l'objet ; Je vous ai vu pour lui m'accuser de caprice,D'aveugle cruauté, d'orgueil et d'injustice :Et, quand je veux l'aimer, mon dessein vous déplaît,Et je vous vois parler contre son intérêt. ASCAGNE. Je le quitte, ma soeur, pour embrasser le vôtre : Je sais qu'il est rangé dessous les lois d'un autre,Et ce serait un trait honteux à vos appas,Si vous le rappeliez et qu'il ne revînt pas. LUCILE. Si ce n'est que cela, j'aurai soin de ma gloire ;Et je sais pour son coeur tout ce que j'en dois croire : Il s'explique à mes yeux intelligiblement.Ainsi, découvrez-lui sans peur, mon sentiment :Ou, si vous refusez de le faire, ma boucheLui va faire savoir que son ardeur me touche.Quoi ! Mon frère, à ces mots vous restez interdit ! ASCAGNE. Ha ! Ma soeur, si sur vous je puis avoir crédit ;Si vous êtes sensible aux prières d'un frère,Quittez un tel dessein, et n'ôtez point ValèreAux voeux d'un jeune objet dont l'intérêt m'est cher,Et qui sur ma parole, a droit de vous toucher. La pauvre infortunée aime avec violence ;À moi seul de ses feux elle fait confidence,Et je vois dans son coeur de tendres mouvementsÀ dompter la fierté des plus durs sentiments.Oui, vous auriez pitié de l'état de son âme, Connaissant de quel coup vous menacez sa flamme,Et je ressens si bien la douleur qu'elle aura,Que je suis assuré, ma soeur, qu'elle en mourra.Si vous lui dérobez l'amant qui peut lui plaire.Éraste est un parti qui doit vous satisfaire ; Et des feux mutuels... LUCILE. Mon frère, c'est assez :Je ne sais point pour qui vous vous intéressez ;Mais, de grâce, cessons ce discours, je vous prie,Et me laissez un peu dans quelque rêverie. ASCAGNE. Allez, cruelle soeur, vous me désespérez, Si vous effectuez vos desseins déclarés. SCÈNE IV. Marinette, Lucile. MARINETTE. La résolution, Madame, est assez prompte. LUCILE. Un coeur ne pèse rien alors que l'on l'affronte ;Il court à sa vengeance, et saisit promptementTout ce qu'il croit servir à son ressentiment. Le traître ! Faire voir cette insolence extrême ? MARINETTE. Vous m'en voyez encore toute hors de moi-même ;Et quoique là-dessus je rumine sans fin,L'aventure me passe, et j'y perds mon latin.Car enfin, aux transports d'une bonne nouvelle, Jamais coeur ne s'ouvrit d'une façon plus belle :De l'écrit obligeant le sien tout transportéNe me donnait pas moins que de la déité ;Et cependant jamais, à cet autre message,Fille ne fut traitée avec tant d'outrage. Je ne sais pour causer de si grands changements,Ce qui s'est pu passer entre ces courts moments. LUCILE. Rien ne s'est pu passer dont il faille être en peine,Puisque rien ne le doit défendre de ma haine.Quoi ! Tu voudrais chercher hors de sa lâcheté La secrète raison de cette indignité !Cet écrit malheureux dont mon âme s'accuse,Peut-il à son transport souffrir la moindre excuse ? MARINETTE. En effet, je comprends que vous avez raison,Et que cette querelle est pure trahison. Nous en tenons, Madame ; et puis prêtons l'oreilleAux bons chiens de pendards qui nous chantent merveille,Qui pour nous accrocher feignent tant de langueur ;Laissons à leurs beaux mots fondre notre rigueur,Rendons-nous à leurs voeux, trop faibles que nous sommes. Foin de notre sottise, et peste soit des hommes. LUCILE. Hé bien, bien qu'il s'en vante, et rie à nos dépens ;Il n'aura pas sujet d'en triompher longtemps ;Et je lui ferai voir qu'en une âme bien faiteLe mépris suit de près la faveur qu'on rejette. MARINETTE. Au moins, en pareil cas, est-ce un bonheur bien doux,Quand on sait qu'on n'a point d'avantage sur vous.Marinette eut bon nez, quoi qu'on en puisse dire,De ne permettre rien un soir qu'on voulait rire.[Note : Matrimonion : Terme de plaisanterie, qui est le latin matrimonium, écrit à la française, et signifie mariage. [L]]Quelque autre, sous espoir de matrimonion, Aurait ouvert l'oreille à la tentation ;Mais moi, nescio vos. LUCILE. Que tu dis de folies !Et choisis mal ton temps pour de telles saillies !Enfin je suis touchée au coeur sensiblement,Et si jamais celui de ce perfide amant Par un coup de bonheur, dont j'aurais tort, je pense,De vouloir à présent concevoir l'espérance,(Car le ciel a trop pris plaisir à m'affliger,Pour me donner celui de me pouvoir venger)Quand dis-je par un sort à mes désirs propice, Il reviendrait m'offrir sa vie en sacrifice,Détester à mes pieds l'action d'aujourd'hui,Je te défends surtout de me parler pour lui.Au contraire je veux que ton zèle s'exprimeÀ me bien mettre aux yeux la grandeur de son crime. Et même, si mon coeur était pour lui tentéDe descendre jamais à quelque lâcheté,Que ton affection me soit alors sévère,Et tienne comme il faut la main à ma colère. MARINETTE. Vraiment, n'ayez point peur, et laissez faire à nous, J'ai pour le moins autant de colère que vous ;Et je serais plutôt fille toute ma vie,Que mon gros traître aussi me redonnât envie.S'il revient... SCÈNE V. Marinette, Lucile, Albert. ALBERT. Rentrez, Lucile, et me faites venirLe précepteur, je veux un peu l'entretenir, Et m'informer de lui qui me gouverne Ascagne,S'il sait point quel ennui depuis peu l'accompagne. Il continue seul.En quel gouffre de soins et de perplexitéNous jette une action faite sans équité !D'un enfant supposé par mon trop d'avarice Mon coeur depuis longtemps souffre bien le supplice,Et, quand je vois les maux où je me suis plongé,Je voudrais à ce bien n'avoir jamais songé.Tantôt je crains de voir, par la fourbe éventée,Ma famille en opprobre et misère jetée ; Tantôt, pour ce fils-là, qu'il me faut conserver,Je crains cent accidents qui peuvent arriver.S'il advient que dehors quelque affaire m'appelle,J'appréhende au retour cette triste nouvelle,las ! Vous ne savez pas ? Vous l'a-t-on annoncé ? Votre fils a la fièvre, ou jambe, ou bras cassé :Enfin, à tous moments, sur quoi que je m'arrête,Cent sortes de chagrins me roulent par la tête.Ha ! SCÈNE VI. Albert, Métaphraste. MÉTAPHRASTE. [Note : Cicéron : J'obéis à votre commandement avec diligence.]Mandatum tuum curo diligenter. ALBERT. Maître, j'ai voulu... MÉTAPHRASTE. Maître est dit à Magister : C'est comme qui dirait trois fois plus grand. ALBERT. Je meure,Si je savais cela. Mais, soit ; à la bonne heure.Maître donc... MÉTAPHRASTE. Poursuivez. ALBERT. Je veux poursuivre aussi ;Mais ne poursuivez point, vous, d'interrompre ainsi.Donc, encore une fois, Maître, c'est la troisième, Mon fils me rend chagrin, vous savez que je l'aime,Et que soigneusement je l'ai toujours nourri. MÉTAPHRASTE. [Note : Terme juridique latin : On ne peut préférer qu'un fils à un fils.]Il est vrai : filio non potest praeferriNisi filius. ALBERT. Maître, en discourant ensemble,Ce jargon n'est pas fort nécessaire, me semble, Je vous crois grand latin, et grand docteur juré :Je m'en rapporte à ceux qui m'en ont assuré :Mais, dans un entretien qu'avec vous je destine,N'allez point déployer toute votre doctrine,Faire le pédagogue, et cent mots me cracher, Comme si vous étiez en chaire pour prêcher.Mon père, quoiqu'il eût la tête des meilleure[s],Ne m'a jamais rien fait apprendre que mes heures,Qui, depuis cinquante ans dites journellementNe sont encore pour moi que du haut allemand. Laissez donc en repos votre science auguste,Et que votre langage à mon faible s'ajuste. MÉTAPHRASTE. Soit. ALBERT. À mon fils, l'hymen semble lui faire peur,Et, sur quelque parti que je sonde son coeur,Pour un pareil lien il est froid, et recule. MÉTAPHRASTE. [Note : Marc-Tulle Ciceron (-106, -43): philosophe et auteur latin.]Peut-être a-t-il l'humeur du frère de Marc-Tulle,[Note : Titus Pomponius Atticus (-110, -32): ami de Cicéron.]Dont avec Atticus le même fait sermon ;Et comme aussi les Grecs disent Atanaton. ALBERT. Mon Dieu, Maître éternel, laissez là, je vous prie,Les Grecs, les Albanais, avec l'Esclavonie, Et tous ces autres gens dont vous venez parler ;Eux et mon fils n'ont rien ensemble à démêler. MÉTAPHRASTE. Hé bien donc, votre fils ? ALBERT. Je ne sais si dans l'âmeIl ne sentirait point une secrète flamme.Quelque chose le trouble, ou je suis fort déçu, Et je l'aperçus hier, sans en être aperçu,Dans un recoin du bois où nul ne se retire. MÉTAPHRASTE. Dans un lieu reculé du bois, voulez-vous dire,Un endroit écarté, Latine secessus ;Virgile l'a dit, est in secessu locus... ALBERT. Comment aurait-il pu l'avoir dit, ce Virgile ?Puisque je suis certain que dans ce lieu tranquilleÂme du monde enfin n'était lors que nous deux. MÉTAPHRASTE. Virgile est nommé là comme un auteur fameuxD'un terme plus choisi que le mot que vous dites, Et non comme témoin de ce que hier vous vîtes. ALBERT. Et moi, je vous dis, moi, que je n'ai pas besoinDe terme plus choisi, d'auteur ni de témoinEt qu'il suffit ici de mon seul témoignage. MÉTAPHRASTE. Il faut choisir pourtant les mots mis en usage Par les meilleurs auteurs ; tu, vivendo, bonos,Comme on dit, scribendo sequare peritos. ALBERT. Homme, ou démon, veux-tu m'entendre sans conteste ? MÉTAPHRASTE. Quintilien en fait le précepte. ALBERT. La pesteSoit du causeur ? MÉTAPHRASTE. Et dit là-dessus doctement Un mot que vous serez bien aise assurémentD'entendre. ALBERT. Je serai le diable qui t'emporte,Chien d'homme. Ô ! Que je suis tenté d'étrange sorteDe faire sur ce mufle une application ! MÉTAPHRASTE. Mais, qui cause seigneur, votre inflammation ? Que voulez-vous de moi ? ALBERT. Je veux que l'on m'écoute,Vous ai-je dit vingt fois, quand je parle. MÉTAPHRASTE. Ha ! Sans doute,Vous serez satisfait, s'il ne tient qu'à cela.Je me tais. ALBERT. Vous ferez sagement. MÉTAPHRASTE. Me voilàTout prêt de vous ouïr. ALBERT. Tant mieux. MÉTAPHRASTE. Que je trépasse, Si je dis plus mot. ALBERT. Dieu vous en fasse la grâce. MÉTAPHRASTE. [Note : Caquet : Fig. Babil haut et bruyant, et aussi babil de jactance. [L]]Vous n'accuserez point mon caquet désormais. ALBERT. Ainsi soit-il. MÉTAPHRASTE. Parlez quand vous voudrez. ALBERT. J'y vais. MÉTAPHRASTE. Et n'appréhendez plus l'interruption nôtre. ALBERT. C'est assez dit. MÉTAPHRASTE. Je suis exact plus qu'aucun autre. ALBERT. Je le crois. MÉTAPHRASTE. J'ai promis que je ne dirais rien. ALBERT. Suffit. MÉTAPHRASTE. Dès à présent je suis muet. ALBERT. Fort bien. MÉTAPHRASTE. Parlez : courage ; au moins, je vous donne audience ;Vous ne vous plaindrez pas de mon peu de silence,Je ne desserre pas la bouche seulement. ALBERT. Le traître ! MÉTAPHRASTE. Mais, de grâce, achevez vitement ;Depuis longtemps j'écoute, il est bien raisonnableQue je parle à mon tour. ALBERT. Donc bourreau détestable... MÉTAPHRASTE. Hé ! Bon Dieu ! Voulez-vous que j'écoute à jamais ?Partageons le parler, au moins, ou je m'en vais. ALBERT. Ma patience est bien... MÉTAPHRASTE. Quoi ! Voulez-vous poursuivre ?[Note : Per Jovem : Latin, par Jupiter.]Ce n'est pas encore fait, Per Jovem, je suis ivre. ALBERT. Je n'ai pas dit... MÉTAPHRASTE. Encore ! Bon Dieu ! Que de discours !Rien n'est-il suffisant d'en arrêter le cours ? ALBERT. J'enrage. MÉTAPHRASTE. Derechef ? Ô ! L'étrange torture ! Hé ! Laissez-moi parler un peu, je vous conjure :Un sot qui ne dit mot ne se distingue pasD'un savant qui se tait. ALBERT, s'en allant. Parbleu, tu te tairas ! MÉTAPHRASTE. D'où vient fort à propos cette sentence expresseD'un philosophe, parle, afin qu'on te connaisse. Donc, si de parler le pouvoir m'est ôté,Pour moi, j'aime autant perdre aussi l'humanité,Et changer mon essence en celle d'une bête.Me voilà pour huit jours avec un mal de tête.Ô ! Que les grands parleurs sont par moi détestés ! Mais quoi ? Si les savants ne sont point écoutés,Si l'on veut que toujours ils aient la bouche close,Il faut donc renverser l'ordre de chaque chose ;Que les poules dans peu dévorent les renards ;Que les jeunes enfants remontrent aux vieillards ; Qu'à poursuivre les loups les agnelets s'ébattent ;Qu'un fou fasse les lois ; que les femmes combattent ;Que par les criminels les juges soient jugés :Et par les écoliers les maîtres fustigés ;Que le malade au sain présente le remède ; Que le lièvre craintif... Miséricorde, à l'aide. Albert lui vient sonner aux oreilles une cloche qui le fait fuir. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. MASCARILLE. Le ciel parfois seconde un dessein téméraire,Et l'on sort comme on peut d'une méchante affaire.Pour moi, qu'une imprudence a trop fait discourir,Le remède plus prompt où j'ai su recourir, C'est de pousser ma pointe, et dire en diligenceÀ notre vieux patron toute la manigance.Son fils qui m'embarrasse est un évaporé :L'autre, diable, Disant ce que j'ai déclaré,Gare une irruption sur notre friperie : Au moins, avant qu'on puisse échauffer sa furie,Quelque chose de bon nous pourra succéder,Et les vieillards entre eux se pourront accorder.C'est ce qu'on va tenter ; et de la part du nôtre,Sans perdre un seul moment, je m'en vais trouver l'autre. SCÈNE II. Macarille, Albert. ALBERT. Qui frappe ? MASCARILLE. Amis. ALBERT. Ho ! Ho ! Qui te peut amener ?Mascarille. MASCARILLE. Je viens, Monsieur, pour vous donnerLe bonjour. ALBERT. Ha ! Vraiment, tu prends beaucoup de peine !De tout mon coeur, bonjour. MASCARILLE. La réplique est soudaine.Quel homme brusque ! ALBERT. Encor ? MASCARILLE. Vous n'avez pas ouï, Monsieur. ALBERT. Ne m'as-tu pas donné le bonjour ? MASCARILLE. Oui. ALBERT. Eh bien ! Bonjour, te dis-je. MASCARILLE. Oui, mais je viens encoreVous saluer au nom du seigneur Polydore. ALBERT. Ha ! C'est un autre fait. Ton maître t'a chargéDe me saluer ? MASCARILLE. Oui. ALBERT. Je lui suis obligé ; Va, que je lui souhaite une joie infinie. MASCARILLE. Cet homme est ennemi de la cérémonie.Je n'ai pas achevé, Monsieur, son compliment :Il voudrait vous prier d'une chose instamment. ALBERT. Hé bien ! Quand il voudra je suis à son service. MASCARILLE. Attendez, et souffrez qu'en deux mots je finisse.Il souhaite un moment pour vous entretenirD'une affaire importante, et doit ici venir. ALBERT. Hé ? Quelle est-elle encore l'affaire qui l'obligeÀ me vouloir parler ? MASCARILLE. Un grand secret, vous dis-je, Qu'il vient de découvrir en ce même moment,Et qui, sans doute, importe à tous deux grandement.Voilà mon ambassade. SCÈNE III. ALBERT. Ô ! Juste ciel, je tremble !Car enfin nous avons peu de commerce ensemble.Quelque tempête va renverser mes desseins, Et ce secret sans doute est celui que je crains.L'espoir de l'intérêt m'a fait quelque infidèle,Et voilà sur ma vie une tache éternelle ;Ma fourbe est découverte. Ô ! Que la véritéSe peut cacher longtemps avec difficulté ! Et qu'il eût mieux valu, pour moi, pour mon estime,Suivre les mouvements d'une peur légitime,Par qui je me suis vu tenté plus de vingt fois,De rendre à Polydore un bien que je lui dois,De prévenir l'éclat où ce coup-ci m'expose, Et faire qu'en douceur passât toute la chose.Mais, hélas ! C'en est fait, il n'est plus de saison,Et ce bien, par la fraude entré dans ma maisonN'en sera point tiré, que dans cette sortieIl n'entraîne du mien la meilleure partie. SCÈNE IV. Albert, Polidore. POLYDORE. S'être ainsi marié sans qu'on en ait su rien !Puisse cette action se terminer à bien :Je ne sais qu'en attendre, et je crains fort du pèreEt la grande richesse et la juste colère.Mais je l'aperçois seul. ALBERT. Dieu, Polydore vient ! POLYDORE. Je tremble à l'aborder. ALBERT. La crainte me retient. POLYDORE. Par où lui débuter ? ALBERT. Quel sera mon langage ? POLYDORE. Son âme est toute émue. ALBERT. Il change de visage. POLYDORE. Je vois, Seigneur Albert, au trouble de vos yeuxQue vous savez déjà qui m'amène en ces lieux. ALBERT. Hélas ! Oui. POLYDORE. La nouvelle a droit de vous surprendre,Et je n'eusse pas cru ce que je viens d'apprendre... ALBERT. J'en dois rougir de honte et de confusion. POLYDORE. Je trouve condamnable une telle action,Et je ne prétends point excuser le coupable. ALBERT. Dieu fait miséricorde au pécheur misérable. POLYDORE. C'est ce qui doit par vous être considéré. ALBERT. Il faut être chrétien. POLYDORE. Il est très assuré. ALBERT. Grâce, au nom de Dieu, grâce, ô seigneur Polydore. POLYDORE. Eh ! C'est moi qui de vous présentement l'implore. ALBERT. Afin de l'obtenir je me jette à genoux. POLYDORE. Je dois en cet état être plutôt que vous. ALBERT. Prenez quelque pitié de ma triste aventure. POLYDORE. Je suis le suppliant dans une telle injure. ALBERT. Vous me fendez le coeur avec cette bonté. POLYDORE. Vous me rendez confus de tant d'humilité. ALBERT. Pardon, encore un coup. POLYDORE. Hélas ! Pardon, vous-même. ALBERT. J'ai de cette action une douleur extrême. POLYDORE. Et moi j'en suis touché de même au dernier point. ALBERT. J'ose vous convier qu'elle n'éclate point. POLYDORE. Hélas ! Seigneur Albert, je ne veux autre chose. ALBERT. Conservons mon honneur. POLYDORE. Hé ! Oui, je m'y dispose. ALBERT. Quant au bien qu'il faudra, vous-même en résoudrez. POLYDORE. Je ne veux de vos biens que ce que vous voudrez :De tous ces intérêts je vous ferai le maître, Et je suis trop content si vous le pouvez être. ALBERT. Hé ! Quel homme de Dieu ! Quel excès de douceur ? POLYDORE. Quelle douceur vous-même, après un tel malheur ! ALBERT. Que puissiez-vous avoir toutes choses prospères. POLYDORE. Le bon Dieu vous maintienne. ALBERT. Embrassons-nous en frères. POLYDORE. J'y consens de grand coeur, et me réjouis fortQue tout soit terminé par un heureux accord. ALBERT. J'en rends grâces au ciel. POLYDORE. Il ne vous faut rien feindre,Votre ressentiment me donnait lieu de craindre ;Et Lucile tombée en faute avec mon fils, Comme on vous voit puissant, et de biens, et d'amis... ALBERT. Heu ! Que parlez-vous là de faute, et de Lucile ? POLYDORE. Soit, ne commençons point un discours inutile.[Note : Vers 879, on lit Et en tête du vers.]Je veux bien que mon fils y trempe grandement.Même, si cela fait à votre allégement, J'avouerai qu'à lui seul en est toute la faute ;Que votre fille avait une vertu trop haute,Pour avoir jamais fait ce pas contre l'honneur,Sans l'incitation d'un méchant suborneur ;Que le traître a séduit sa pudeur innocente, Et de votre conduite ainsi détruit l'attente ;Puisque la chose est faite, et que selon mes voeux,Un esprit de douceur nous met d'accord tous deux,[Note : Ramentevoir : Terme vieilli. Remettre en l'esprit, rappeler. [L]]Ne ramentevons rien, et réparons l'offensePar la solennité d'une heureuse alliance. ALBERT. Ô Dieu ! Quelle méprise ! Et qu'est-ce qu'il m'apprend ?Je rentre ici d'un trouble en un autre aussi grand :Dans ces divers transports je ne sais que répondre,Et, si je dis un mot, j'ai peur de me confondre. POLYDORE. À quoi pensez-vous là, Seigneur Albert ? ALBERT. À rien : Remettons, je vous prie à tantôt l'entretien :Un mal subit me prend qui veut que je vous laisse. SCÈNE V. POLYDORE. Je lis dedans son âme et vois ce qui le presse.À quoi que sa raison l'eût déjà disposé,Son déplaisir n'est pas encore tout apaisé. L'image de l'affront lui revient, et sa fuiteTâche à me déguiser le trouble qui l'agite.Je prends part à sa honte, et son deuil m'attendrit.Il faut qu'un peu de temps remette son esprit :La douleur trop contrainte aisément se redouble. Voici mon jeune fou d'où nous vient tout ce trouble. SCÈNE VI. Polidore, Valère. POLYDORE. Enfin, le beau mignon, vos bons déportementsTroubleront les vieux jours d'un père à tous moments.Tous les jours vous ferez de nouvelles merveilles ;Et nous n'aurons jamais autre chose aux oreilles. VALÈRE. Que fais-je tous les jours qui soit si criminel ?En quoi mériter tant le courroux paternel ? POLYDORE. Je suis un étrange homme, et d'une humeur terrible,D'accuser un enfant si sage et si paisible.Las ! Il vit comme un saint, et dedans la maison Du matin jusqu'au soir il est en oraison.Dire qu'il pervertit l'ordre de la nature,Et fait du jour la nuit, ô ! La grande imposture !Qu'il n'a considéré père, ni parentéEn vingt occasions, horrible fausseté ! Que, de fraîche mémoire un furtif hyménéeÀ la fille d'Albert a joint sa destinée,Sans craindre de la suite un désordre puissant,On le prend pour un autre, et le pauvre innocentNe sait pas seulement ce que je lui veux dire ! Ha ! Chien, que j'ai reçu du ciel pour mon martyre,Te croiras-tu toujours et ne pourrai-je pas,Te voir être une fois sage avant mon trépas. VALÈRE, seul. D'où peut venir ce coup ? Mon âme embarrasséeNe voit que Mascarille, où jeter sa pensée ? Il ne sera pas homme à m'en faire un aveu ;Il faut user d'adresse, et me contraindre un peuDans ce juste courroux. SCÈNE VII. Mascarille, Valère. VALÈRE. Mascarille, mon pèreQue je viens de trouver, sait toute notre affaire. MASCARILLE. Il la sait ? VALÈRE. Oui. MASCARILLE. D'où diantre a-t-il pu la savoir ? VALÈRE. Je ne sais point sur qui ma conjecture asseoir ;Mais enfin d'un succès cette affaire est suivieDont j'ai tous les sujets d'avoir l'âme ravie.Il ne m'en a pas dit un mot qui fût fâcheux ;Il excuse ma faute, il approuve mes feux, Et je voudrais savoir qui peut être capableD'avoir pu rendre ainsi son esprit si traitable,Je ne puis t'exprimer l'aise que j'en reçois. MASCARILLE. Et que me diriez-vous, Monsieur, si c'était moi?Qui vous eût procuré cette heureuse fortune ? VALÈRE. Bon, bon ; tu voudrais bien ici m'en donner d'une. MASCARILLE. C'est moi, vous dis-je, moi dont le patron le sait,Et qui vous ai produit ce favorable effet. VALÈRE. Mais, là, sans te railler ? MASCARILLE. Que le diable m'emporte,Si je fais raillerie, et s'il n'est de la sorte. VALÈRE. Et qu'il m'entraîne, moi, si tout présentementTu n'en vas recevoir le juste payement. MASCARILLE. Ha ! Monsieur, qu'est-ce ci ? Je défends la surprise. VALÈRE. C'est la fidélité que tu m'avais promise ?Sans ma feinte jamais tu n'eusses avoué Le trait que j'ai bien cru que tu m'avais joué.Traître, de qui la langue à causer trop habileD'un père contre moi vient d'échauffer la bile,Qui me perds tout à fait, il faut sans discourirQue tu meures. MASCARILLE. Tout beau ; mon âme, pour mourir, N'est pas en bon état. Daignez, je vous conjure.Attendre le succès qu'aura cette aventure.J'ai de fortes raisons qui m'ont fait révélerUn hymen que vous-même aviez peine à celer ;C'était un coup d'État, et vous verrez l'issue Condamner la fureur que vous avez conçue.De quoi vous fâchez-vous ? Pourvu que vos souhaitsSe trouvent par mes soins pleinement satisfaits,Et voient mettre à fin la contrainte où vous êtes ? VALÈRE. Et si tous ces discours ne sont que des sornettes ? MASCARILLE. Toujours serez-vous lors à temps pour me tuer,Mais enfin mes projets pourront s'effectuer.Dieu fera pour les siens, et content dans la suiteVous me remercierez de ma rare conduite. VALÈRE. Nous verrons. Mais, Lucile... MASCARILLE. Halte son père sort. SCÈNE VIII. Valère, Albert, Mascarille. ALBERT. Plus je reviens du trouble où j'ai donné d'abord,Plus je me sens piqué de ce discours étrange,Sur qui ma peur prenait un si dangereux change ;Car Lucile soutient que c'est une chanson,Et m'a parlé d'un air à m'ôter tout soupçon. Ha ! Monsieur, est-ce vous, de qui l'audace insigneMet en jeu mon honneur, et fait ce conte indigne ? MASCARILLE. Seigneur Albert, prenez un ton un peu plus doux,Et contre votre gendre ayez moins de courroux. ALBERT. Comment gendre, coquin, tu portes bien la mine De pousser les ressorts d'une telle machine,Et d'en avoir été le premier inventeur. MASCARILLE. Je ne vois ici rien à vous mettre en fureur. ALBERT. Trouves-tu beau, dis-moi, de diffamer ma fille ?Et faire un tel scandale à toute une famille ? MASCARILLE. Le voilà prêt de faire en tout vos volontés. ALBERT. Que voudrais-je, sinon qu'il dît des vérités ?Si quelque intention le pressait pour Lucile,La recherche en pouvait être honnête et civile,Il fallait l'attaquer du côté du devoir, Il fallait de son père implorer le pouvoir,Et non pas recourir à cette lâche feinte,Qui porte à la pudeur une sensible atteinte. MASCARILLE. Quoi ! Lucile n'est pas sous des liens secretsÀ mon maître ? ALBERT. Non, traître, et n'y sera jamais. MASCARILLE. Tout doux : et s'il est vrai que ce soit chose faite,Voulez-vous l'approuver cette chaîne secrète ? ALBERT. Et, s'il est constant, toi, que cela ne soit pas,Veux-tu te voir casser les jambes et les bras ? VALÈRE. Monsieur, il est aisé de vous faire paraître Qu'il dit vrai. ALBERT. Bon ! Voilà l'autre encore digne maîtreD'un semblable valet. Ô ! Les menteurs hardis ! MASCARILLE. D'homme d'honneur, il est ainsi que je le dis. VALÈRE. Quel serait notre but de vous en faire accroire ? ALBERT. Ils s'entendent tous deux comme larrons en foire. MASCARILLE. Mais venons à la preuve, et sans nous quereller,Faites sortir Lucile et la laissez parler. ALBERT. Et si le démenti par elle vous en reste ? MASCARILLE. Elle n'en fera rien, Monsieur, je vous proteste.Promettez à leurs voeux votre consentement, Et je veux m'exposer au plus dur châtiment,Si de sa propre bouche elle ne vous confesse,Et la foi qui l'engage et l'ardeur qui la presse. ALBERT. Il faut voir cette affaire. MASCARILLE. Allez ; tout ira bien. ALBERT. Holà, Lucile, un mot. VALÈRE. Je crains... MASCARILLE. Ne craignez rien. SCÈNE IX. Valère, Albert, Mascarille, Lucile. MASCARILLE. Seigneur Albert, au moins, silence. Enfin, madame,Toute chose conspire au bonheur de votre âme,Et monsieur votre père averti de vos feuxVous laisse votre époux, et confirme vos voeux ;Pourvu que bannissant toutes craintes frivoles, Deux mots de votre aveu confirment nos paroles. LUCILE. Que me vient donc conter ce coquin assuré ? MASCARILLE. Bon, Me voilà déjà d'un beau titre honoré. LUCILE. Sachons un peu, Monsieur, quelle belle saillieFait ce conte galant qu'aujourd'hui l'on publie. VALÈRE. Pardon, charmant objet, un valet a parlé,Et j'ai vu, malgré moi, notre hymen révélé. LUCILE. Notre hymen ? VALÈRE. On sait tout, adorable Lucile,Et vouloir déguiser est un soin inutile. LUCILE. Quoi ! L'ardeur de mes feux vous a fait mon époux ? VALÈRE. C'est un bien qui me doit faire mille jaloux ;Mais j'impute bien moins ce bonheur de ma flammeÀ l'ardeur de vos feux qu'aux bontés de votre âme.Je sais que vous avez sujet de vous fâcher ;Que c'était un secret que vous vouliez cacher, Et j'ai de mes transports forcé la violence,À ne point violer votre expresse défense ;Mais... MASCARILLE. Hé bien, oui, c'est moi ; le grand mal que voilà ! LUCILE. Est-il une imposture égale à celle-là ?Vous l'osez soutenir en ma présence même Et pensez m'obtenir par ce beau stratagème.Ô ! Le plaisant amant ! Dont la galante ardeurVeut blesser mon honneur au défaut de mon coeur,Et que mon père, ému de l'éclat d'un sot conte,Paye avec mon hymen qui me couvre de honte. Quand tout contribuerait à votre passion,[Note : Inclination : Se dit figurément en choses spirituelles des affections de l'âme ; de l'humeur de la pente, de la disposition naturelle à faire quelque chose. [F]]Mon père, les destins, mon inclination,On me verrait combattre en ma juste colèreMon inclination, les destins, et mon père ;Perdre même le jour avant que de m'unir À qui par ce moyen aurait cru m'obtenir.Allez ; et si mon sexe, avec bienséance,Se pouvait emporter à quelque violence,Je vous apprendrais bien à me traiter ainsi. VALÈRE. C'en est fait son courroux ne peut être adouci. MASCARILLE. Laissez-moi lui parler. Hé ! Madame, de grâce,À quoi bon maintenant toute cette grimace ?Quelle est votre pensée ; Et quel bourru transportContre vos propres voeux vous fait raidir si fort ?Si monsieur votre père était homme farouche, Passe ; mais il permet que la raison le touche,Et lui-même m'a dit qu'une confessionVous va tout obtenir de son affection.Vous sentez, je crois bien, quelque petite honteÀ faire un libre aveu de l'amour qui vous dompte. Mais s'il vous a fait perdre un peu de liberté,Par un bon mariage on voit tout rajusté ;Et, quoi que l'on reproche au feu qui vous consomme,Le mal n'est pas si grand, que de tuer un homme.On sait que la chair est fragile quelquefois, Et qu'une fille enfin n'est ni caillou ni bois.Vous n'avez pas été sans doute la première,Et vous ne serez pas, que je crois, la dernière. LUCILE. Quoi ! Vous pouvez ouïr ces discours effrontés !Et vous ne dites mot à ces indignités ! ALBERT. Que veux-tu que je die ? Une telle aventureMe met tout hors de moi. MASCARILLE. Madame, je vous jureQue déjà vous devriez avoir tout confessé. LUCILE. Et quoi donc confesser ? MASCARILLE. Quoi ? Ce qui s'est passéEntre mon maître et vous ; la belle raillerie ! LUCILE. Et que s'est-il passé, monstre d'effronterie,Entre ton maître et moi ? MASCARILLE. Vous devez, que je crois,En savoir un peu plus de nouvelles que moi,Et pour vous cette nuit fut trop douce, pour croireQue vous puissiez si vite en perdre la mémoire. LUCILE. C'est trop souffrir, mon père, un impudent valet. SCÈNE X. Valère, Mascarille, Albert. MASCARILLE. Je crois qu'elle me vient de donner un soufflet. ALBERT. Va, coquin, scélérat, sa main vient sur ta joueDe faire une action dont son père la loue. MASCARILLE. Et nonobstant cela, qu'un diable en cet instant M'emporte, si j'ai dit rien que de très constant. ALBERT. Et nonobstant cela, qu'on me coupe une oreille,Si tu porte[s] fort loin une audace pareille. MASCARILLE. Voulez-vous deux témoins qui me justifieront ? ALBERT. Veux-tu deux de mes gens qui te bâtonneront. MASCARILLE. Leur rapport doit au mien donner toute créance. ALBERT. Leurs bras peuvent du mien réparer l'impuissance. MASCARILLE. Je vous dis que Lucile agit par honte ainsi. ALBERT. Je te dis que j'aurai raison de tout ceci. MASCARILLE. Connaissez-vous Ormin, ce gros notaire habile ? ALBERT. Connais-tu bien Grimpant, le bourreau de la ville ? MASCARILLE. Et Simon le tailleur jadis si recherché ? ALBERT. Et la potence mise au milieu du marché [?] MASCARILLE. Vous verrez confirmer par eux cet hyménée. ALBERT. Tu verras achever par eux ta destinée. MASCARILLE. Ce sont eux qu'ils ont pris pour témoins de leur foi. ALBERT. Ce sont eux qui dans peu me vengeront de toi. MASCARILLE. Et ces yeux les ont vus s'entre-donner parole. ALBERT. [Note : Capriole : Forme ancienne de cabriole. [L]]Et ces yeux te verront faire la capriole. MASCARILLE. Et, pour signe, Lucile avait un voile noir. ALBERT. Et, pour signe, ton front nous le fait assez voir. MASCARILLE. Ô ! L'obstiné vieillard ! ALBERT. Ô ! Le fourbe damnable !Va, rends grâce à mes ans qui me font incapableDe punir sur-le-champ l'affront que tu me fais ;Tu n'en perds que l'attente, et je te le promets. SCÈNE XI. Valère, Mascarille. VALÈRE. Hé bien ce beau succès que tu devais produire... MASCARILLE. J'entends à demi-mot ce que vous voulez dire ;Tout s'arme contre moi ; pour moi de tous côtésJe vois coups de bâton, et gibets apprêtés :Aussi pour être en paix dans ce désordre extrême, Je me vais d'un rocher précipiter moi-même,Si dans le désespoir dont mon coeur est outré,Je puis en rencontrer d'assez haut à mon gré.Adieu, Monsieur. VALÈRE. Non, non ; ta fuite est superflue :Si tu meurs, je prétends que ce soit à ma vue. MASCARILLE. Je ne saurais mourir quand je suis regardé,Et mon trépas ainsi se verrait retardé. VALÈRE. Suis-moi, traître, suis-moi ; mon amour en furieTe fera voir si c'est matière à raillerie. MASCARILLE. Malheureux Mascarille ! À quels maux aujourd'hui T[e] vois-tu condamné pour le péché d'autrui ! ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Ascagne, Frosine. FROSINE. L'aventure est fâcheuse. ASCAGNE. Ha ! Ma chère Frosine,Le sort absolument a conclu la ruine :Cette affaire venue au point où la voilàN'est pas assurément pour en demeurer là ; Il faut qu'elle passe outre ; et Lucile, et Valère,Surpris des nouveautés d'un semblable mystèreVoudront chercher un jour dans ces obscurités,Par qui tous mes projets se verront avortés.Car, enfin, soit qu'Albert ait part au stratagème, Ou qu'avec tout le monde on l'ait trompé lui-même ;S'il arrive une fois que mon sort éclairciMette ailleurs tout le bien dont le sien a grossi,Jugez s'il aura lieu de souffrir ma présence :Son intérêt détruit me laisse à ma naissance ; C'est fait de sa tendresse, et, quelque sentimentOù pour ma fourbe alors pût être mon amant,Voudra-t-il avouer pour épouse une filleQu'il verra sans appui de biens et de famille ? FROSINE. Je trouve que c'est là raisonné comme il faut ; Mais ces réflexions devaient venir plutôt.Qui vous a jusqu'ici caché cette lumière ?Il ne fallait pas être une grande sorcière,Pour voir, dès le moment de vos desseins pour lui,Tout ce que votre esprit ne voit que d'aujourd'hui. L'action le disait ; et dès que je l'ai sue,Je n'en ai prévu guère une meilleure issue. ASCAGNE. Que dois-je faire enfin ? Mon trouble est sans pareil :Mettez-vous en ma place, et me donnez conseil. FROSINE. Ce doit être à vous[-même], en prenant votre place, À me donner conseil dessus cette disgrâce :Car, je suis maintenant vous, et vous êtes moi ;Conseillez-moi, Frosine, au point où je me vois.Quel remède trouver ? Dites, je vous en prie. ASCAGNE. Hélas ! Ne traitez point ceci de raillerie ; C'est prendre peu de part à mes cuisants ennuis,Que de rire, et de voir les termes où j'en suis. FROSINE. Non vraiment, tout de bon, votre ennui m'est sensible,Et pour vous en tirer je ferais mon possible.Mais que puis-je après tout ? Je vois fort peu de jour À tourner cette affaire au gré de votre amour. ASCAGNE. Si rien ne peut m'aider, il faut donc que je meure. FROSINE. Ha ! Pour cela toujours il est assez bonne heure ;La mort est un remède à trouver quand on veut,Et l'on s'en doit servir le plus tard que l'on peut. ASCAGNE. Non, non, Frosine, non ; si vos conseils propicesNe conduisent mon sort parmi ces précipices,Je m'abandonne toute aux traits du désespoir. FROSINE. Savez-vous ma pensée ? Il faut que j'aille voirLa... Mais Éraste vient, qui pourrait nous distraire, Nous pourrons en marchant parler de cette affaire ;Allons, retirons-nous. SCÈNE II. Éraste, Gros-René ÉRASTE. Encore rebuté ? GROS-RENÉ. Jamais ambassadeur ne fut moins écouté :À peine ai-je voulu lui porter la nouvelleDu moment d'entretien que vous souhaitiez d'elle, Qu'elle m'a répondu, tenant son quant-à-moi,Va, va ; je fais état de lui, comme de toi :Dis-lui qu'il se promène ; et sur ce beau langage,Pour suivre son chemin m'a tourné le visage ;Et Marinette aussi, d'un dédaigneux museau, Lâchant un, laisse-nous, beau valet de carreau,M'a planté là comme elle, et mon sort et le vôtreN'ont rien à se pouvoir reprocher l'un à l'autre. ÉRASTE. L'ingrate ! Recevoir avec tant de fiertéLe prompt retour d'un coeur justement emporté ! Quoi ! Le premier transport d'un amour qu'on abuseSous tant de vraisemblance est indigne d'excuse ?Et ma plus vive ardeur, en ce moment fatalDevait être insensible au bonheur d'un rival ;Tout autre n'eût pas fait même chose en ma place, Et se fût moins laissé surprendre à tant d'audace ?De mes justes soupçons suis-je sorti trop tard ;Je n'ai point attendu de serments de sa part ;Et, lorsque tout le monde encore ne sait qu'en croire,Ce coeur impatient lui rend toute sa gloire, Il cherche à s'excuser, et le sien voit si peuDans ce profond respect la grandeur de mon feu :Loin d'assurer une âme, et lui fournir des armes,Contre ce qu'un rival lui veut donner d'alarmes,L'ingrate m'abandonne à mon jaloux transport, Et rejette de moi, message, écrit, abord.Ha ! Sans doute un amour a peu de violence,[Note : Le vers 1218, n'est pas dans l'édition 1663 de l'imprimeur-libraire Quinet.][Qu'est capable d'éteindre une si faible offense ;]Et ce dépit si prompt à s'armer de rigueurDécouvre assez pour moi tout le fond de son coeur, Et de quel prix doit être à présent à mon âmeTout ce dont son caprice a pu flatter ma flamme.Non, je ne prétends plus demeurer engagéPour un coeur, où je vois le peu de part que j'ai ;Et, puisque l'on témoigne une froideur extrême À conserver les gens, je veux faire de même. GROS-RENÉ. Et moi de même aussi : soyons tous deux fâchés,Et mettons notre amour au rang des vieux péchés :Il faut apprendre à vivre à ce sexe volage,Et lui faire sentir que l'on a du courage. Qui souffre ses mépris les veut bien recevoir.Si nous avions l'esprit de nous faire valoir,Les femmes n'auraient pas la parole si haute.Ô ! Qu'elles nous sont bien fières par notre faute !Je veux être pendu, si nous ne les verrions Sauter à notre cou plus que nous ne voudrions,Sans tous ces vils devoirs, dont la plupart des hommesLes gâtent tous les jours dans le siècle où nous sommes. ÉRASTE. Pour moi, sur toute chose, un mépris me surprend ;Et, pour punir le sien par un autre aussi grand, Je veux mettre en mon coeur une nouvelle flamme. GROS-RENÉ. Et moi, je ne veux plus m'embarrasser de femme ;À toutes je renonce, et crois, en bonne foi,Que vous feriez fort bien de faire comme moi.Car, voyez-vous, la femme est, comme on dit, mon maître, Un certain animal difficile à connaître,Et de qui la nature est fort encline au mal :Et comme un animal est toujours animal,Et ne sera jamais qu'animal, quand sa vieDurerait cent mille ans ; aussi, sans repartie, La femme est toujours femme, et jamais ne seraQue femme, tant qu'entier le monde durera.D'où vient qu'un certain Grec dit, que sa tête passePour un sable mouvant : car, goûtez bien, de grâce,Ce raisonnement-ci, lequel est des plus forts : Ainsi que la tête est comme le chef du corps,Et que le corps sans chef est pire qu'une bête ;Si le chef n'est pas bien d'accord avec la tête,Que tout ne soit pas bien réglé par le compas,Nous voyons arriver de certains embarras ; La partie brutale alors veut prendre empireDessus la sensitive, et l'on voit que l'un tire[Note : Proverbe ; L'un tire à hue et l'autre à dia. Le charretier dit à Dia pour aller à gauche, hue pour faire avancer.]À dia, l'autre à hurhaut ; l'un demande du mou,L'autre du dur ; enfin tout va sans savoir où :Pour montrer qu'ici-bas, ainsi qu'on l'interprète, La tête d'une femme est comme la girouetteAu haut d'une maison, qui tourne au premier vent.C'est pourquoi le cousin Aristote souventLa compare à la mer ; d'où vient qu'on dit qu'au mondeOn ne peut rien trouver de si stable que l'onde. Or, par comparaison ; car la comparaisonNous fait distinctement comprendre une raison ;Et nous aimons bien mieux, nous autres gens d'étude,Une comparaison qu'une similitude.Par comparaison donc, mon maître, s'il vous plaît, Comme on voit que la mer, quand l'orage s'accroît,Vient à se courroucer, le vent souffle, et ravage,Les flots contre les flots font un remue-ménage[Note : Nautonier : Celui, celle qui conduit un navire. [L]]Horrible, et le vaisseau, malgré le nautonier,Va tantôt à la cave, et tantôt au grenier ; Ainsi, quand une femme a sa tête fantasque,On voit une tempête en forme de bourrasque,[Note : Compétiter : (Rare) Être en compétition. [Wikitionary]]Qui veut compétiter par de certains... propos ;Et lors un... certain vent, qui par... de certains flotsDe... certaine façon, ainsi qu'un banc de sable... Quand... Les femmes enfin ne valent pas le diable. ÉRASTE. C'est fort bien raisonner. GROS-RENÉ. Assez bien, Dieu merci :Mais je les vois, Monsieur, qui passent par ici.Tenez-vous ferme au moins. ÉRASTE. Ne te mets pas en peine. GROS-RENÉ. J'ai bien peur que ses yeux resserrent votre chaîne. SCÈNE III. Éraste, Lucile, Marinette, Gros-René. MARINETTE. Je l'aperçois encor ; mais ne vous rendez point. LUCILE. Ne me soupçonne pas d'être faible à ce point. MARINETTE. Il vient à nous. ÉRASTE. Non, non ; ne croyez pas, Madame,Que je revienne encore vous parler de ma flamme ;C'en est fait ; je me veux guérir, et connais bien Ce que de votre coeur a possédé le mien.Un courroux si constant pour l'ombre d'une offenseM'a trop bien éclairé de votre indifférence,Et je dois vous montrer que les traits du méprisSont sensibles surtout aux généreux esprits. Je l'avouerai, mes yeux observaient dans les vôtresDes charmes qu'ils n'ont point trouvés dans tous les autres,Et le ravissement où j'étais de mes fersLes aurait préférés à des sceptres offerts :Oui, mon amour pour vous sans doute était extrême, Je vivais tout en vous ; et, je l'avouerai même,Peut-être qu'après tout j'aurai, quoiqu'outragé,Assez de peine encore à m'en voir dégagé :Possible, que malgré la cure qu'elle essaie,Mon âme saignera longtemps de cette plaie, Et qu'affranchi d'un joug qui faisait tout mon bien,Il faudra se résoudre à n'aimer jamais rien.Mais, enfin, il n'importe ; et puisque votre haineChasse un coeur tant de fois que l'amour vous ramène,C'est la dernière ici des importunités Que vous aurez jamais de mes voeux rebutés. LUCILE. Vous pouvez faire aux miens la grâce toute entière,Monsieur, et m'épargner encore cette dernière. ÉRASTE. Hé bien, Madame, hé bien, ils seront satisfaits :Je romps avec vous, et j'y romps pour jamais, Puisque vous le voulez ; que je perde la vieLorsque de vous parler je reprendrai l'envie ! LUCILE. Tant mieux c'est m'obliger. ÉRASTE. Non, non ; n'ayez pas peur,Que je fausse parole, eussé-je un faible coeurJusques à n'en pouvoir effacer votre image, Croyez que vous n'aurez jamais cet avantageDe me voir revenir. LUCILE. Ce serait bien en vain. ÉRASTE. Moi-même, de cent coups je percerais mon sein,Si j'avais jamais fait cette bassesse insigne,De vous revoir, après ce traitement indigne. LUCILE. Soit ; n'en parlons donc plus. ÉRASTE. Oui, oui ; n'en parlons plus :Et, pour trancher ici tous propos superflus,Et vous donner, ingrate, une preuve certaineQue je veux sans retour sortir de votre chaîne,Je ne veux rien garder, qui puisse retracer Ce que de mon esprit il me faut effacer.Voici votre portrait, il présente à la vueCent charmes merveilleux dont vous êtes pourvue ;Mais il cache sous eux cent défauts aussi grands,Et c'est un imposteur enfin que je vous rends. GROS-RENÉ. Bon. LUCILE. Et moi, pour vous suivre au dessein de tout rendre,Voilà le diamant que vous m'aviez fait prendre. MARINETTE. Fort bien. ÉRASTE. Il est à vous encore ce bracelet. LUCILE. Et cette agate à vous, qu'on fit mettre en cachet. ÉRASTE, lit. Vous m'aimez d'une amour extrême, Éraste ; et de mon coeur voulez être éclairci : Si je n'aime Éraste de même, Au moins, aimé-je fort qu'Éraste m'aime ainsi. Lucile. Éraste, continue.Vous m'assuriez par là d'agréer mon service ?C'est une fausseté digne de ce supplice. LUCILE, lit. J'ignore le destin de mon amour ardente, Et jusqu'à quand je souffrirai : Mais je sais, ô beauté charmante ! Que toujours je vous aimerai. Éraste. Elle continue.Voilà qui m'assurait à jamais de vos feux ? Et la main et la lettre, ont menti toutes deux. GROS-RENÉ. Poussez. ÉRASTE. Elle est de vous ? Suffit ; même fortune. MARINETTE. Ferme. LUCILE. J'aurais regret d'en épargner aucune. GROS-RENÉ. N'ayez pas le dernier. MARINETTE. Tenez bon jusqu'au bout. LUCILE. Enfin, voilà le reste. ÉRASTE. Et, grâce au Ciel, c'est tout. Que sois-je exterminé si je ne tiens parole ! LUCILE. Me confonde le Ciel si la mienne est frivole ! ÉRASTE. Adieu donc. LUCILE. Adieu donc. MARINETTE. Voilà qui va des mieux. GROS-RENÉ. Vous triomphez. MARINETTE. Allons, ôtez-vous de ses yeux. GROS-RENÉ. Retirez-vous, après cet effort de courage. MARINETTE. Qu'attendez-vous encore ? GROS-RENÉ. Que faut-il davantage ? ÉRASTE. Ha ! Lucile, Lucile, un coeur comme le mienSe fera regretter, et je le sais fort bien. LUCILE. Éraste, Éraste, un coeur fait comme est fait le vôtreSe peut facilement réparer par un autre. ÉRASTE. Non, non : cherchez partout, vous n'en aurez jamaisDe si passionné pour vous, je vous promets.Je ne dis pas cela pour vous rendre attendrie ;J'aurais tort d'en former encore quelque envie.Mes plus ardents respects n'ont pu vous obliger, Vous avez voulu rompre ; il n'y faut plus songer :Mais personne, après moi, quoi qu'on vous fasse entendre,N'aura jamais pour vous de passion si tendre. LUCILE. Quand on aime les gens, on les traite autrement ;On fait de leur personne un meilleur jugement. ÉRASTE. Quand on aime les gens, on peut de jalousie,Sur beaucoup d'apparence, avoir l'âme saisie :Mais alors qu'on les aime, on ne peut en effetSe résoudre à les perdre, et vous, vous l'avez fait. LUCILE. La pure jalousie est plus respectueuse. ÉRASTE. On voit d'un oeil plus doux une offense amoureuse. LUCILE. Non votre coeur, Éraste était mal enflammé. ÉRASTE. Non, Lucile, jamais vous ne m'avez aimé. LUCILE. Eh ! Je crois que cela faiblement vous soucie:Peut-être en serait-il beaucoup mieux pour ma vie, Si je... Mais laissons là ces discours superflus :Je ne dis point quels sont mes pensers là-dessus. ÉRASTE. Pourquoi ? LUCILE. Par la raison que nous rompons ensemble,Et que cela n'est plus de saison ce me semble. ÉRASTE. Nous rompons ? LUCILE. Oui, vraiment, quoi n'en est-ce pas fait. ÉRASTE. Et vous voyez cela d'un esprit satisfait. LUCILE. Comme vous. ÉRASTE. Comme moi ? LUCILE. Sans doute c'est faiblesse,De faire voir aux gens que leur perte nous blesse. ÉRASTE. Mais cruelle c'est vous qui l'avez bien voulu. LUCILE. Moi Point du tout c'est vous qui l'avez résolu. ÉRASTE. Moi, je vous ai cru là faire un plaisir extrême. LUCILE. Point vous avez voulu vous contenter vous-même. ÉRASTE. Mais si mon coeur encore revoulait sa prison :Si, tout fâché qu'il est il demandait pardon. LUCILE. Non, non, n'en faites rien ma faiblesse est trop grande, J'aurais peur d'accorder trop tôt votre demande. ÉRASTE. Ha ! Vous ne pouvez pas trop tôt me l'accorder,Ni moi sur cette peur trop tôt le demander ;Consentez-y Madame, une flamme si belle;Doit pour votre intérêt demeurer immortelle. Je le demande enfin : me l'accorderez-vousCe pardon obligeant ? LUCILE. Remenez-moi chez nous. SCÈNE IV. Marinette, Gros-René. MARINETTE. Ô ! La lâche personne ! GROS-RENÉ. Ha ! Le faible courage ! MARINETTE. J'en rougis de dépit. GROS-RENÉ. J'en suis gonflé de rage :Ne t'imagine pas que je me rende ainsi. MARINETTE. Et ne pense pas, toi, trouver ta dupe aussi. GROS-RENÉ. Viens, viens, frotter ton nez auprès de ma colère. MARINETTE. Tu nous prends pour un autre, et tu n'as pas affaire[Note : Arder : Brûler. [L]]À ma sotte maîtresse. Ardez le beau museau,Pour nous donner envie encore de sa peau : Moi, j'aurais de l'amour pour ta chienne de face !Moi, je te chercherais ! Ma foi, l'on t'en fricasseDes filles comme nous ! GROS-RENÉ. Oui ? Tu le prends par là ?Tiens, tiens, sans y chercher tant de façon, voilàTon beau galant de neige, avec ta nompareille : Il n'aura plus l'honneur d'être sur mon oreille. MARINETTE. Et toi, pour te montrer que tu m'es à mépris :Voilà ton demi-cent d'épingles de Paris,Que tu me donnas hier avec tant de fanfare. GROS-RENÉ. Tiens encore ton couteau ; la pièce est riche et rare : Il te coûta six blancs lorsque tu m'en fis don. MARINETTE. Tiens tes ciseaux, avec ta chaîne de laiton. GROS-RENÉ. J'oubliais d'avant-hier ton morceau de fromage ;Tiens : je voudrais pouvoir rejeter le potageQue tu me fis manger, pour n'avoir rien à toi. MARINETTE. Je n'ai point maintenant de tes lettres sur moi ;Mais j'en ferai du feu jusques à la dernière. GROS-RENÉ. Et des tiennes tu sais ce que j'en saurai faire ? MARINETTE. Prends garde à ne venir jamais me reprier. GROS-RENÉ. Pour couper tout chemin à nous rapatrier, Il faut rompre la paille : une paille rompueRend, entre gens d'honneur, une affaire conclue,Ne fais point les doux yeux ; je veux être fâché. MARINETTE. Ne me lorgne point, toi ; j'ai l'esprit trop touché. GROS-RENÉ. Romps ; voilà le moyen de ne s'en plus dédire : Romps ; tu ris, bonne bête ! MARINETTE. Oui, car tu me fais rire. GROS-RENÉ. La peste soit ton ris ; voilà tout mon courroux[Note : Dulcifier : Terme de pharmacie. Rendre doux, tempérer l'âcreté, l'acidité, la force d'un liquide en le mêlant avec un autre liquide plus doux. Fig. et dans le style plaisant. [L] ]Déjà dulcifié : qu'en dis-tu ? Romprons-nous ?Ou ne romprons-nous pas ? MARINETTE. Vois. GROS-RENÉ. Vois toi. MARINETTE. Vois toi-même. GROS-RENÉ. Est-ce que tu consens que jamais je ne t'aime ? MARINETTE. Moi ? Ce que tu voudras. GROS-RENÉ. Ce que tu voudras, toi.Dis... MARINETTE. Je ne dirai rien. GROS-RENÉ. Ni moi non plus. MARINETTE. Ni moi. GROS-RENÉ. Ma foi, nous ferons mieux de quitter la grimace .Touche, je te pardonne. MARINETTE. Et moi, je te fais grâce. GROS-RENÉ. Mon Dieu ! Qu'à tes appas je suis acoquiné ! MARINETTE. Que Marinette est sotte après son Gros-René ! ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. MASCARILLE. Dès que l'obscurité régnera dans la ville,Je me veux introduire au logis de Lucile :Va vite de ce pas préparer pour tantôt,Et la lanterne sourde, et les armes qu'il faut. Quand il m[']a dit ces mots, il m'a semblé d'entendre :Va vitement chercher un licou pour te pendre.Venez çà, mon patron ; car dans l'étonnementOù m'a jeté d'abord un tel commandement,Je n'ai pas eu le temps de vous pouvoir répondre ; Mais je vous veux ici parler, et vous confondre :Défendez-vous donc bien, et raisonnons sans bruit.Vous voulez, dites-vous, aller voir cette nuitLucile ? Oui, Mascarille. Et que pensez-vous faire ?"Une action d'amant qui se veut satisfaire, Une action d'un homme à fort petit cerveau,Que d'aller san[s] besoin risquer ainsi sa peau.Mais tu sais quel motif à ce dessein m'appelle :Lucile est irritée. Eh bien, tant pis pour elle,Mais l'amour veut que j'aille apaiser son esprit. Mais l'amour est un sot qui ne sait ce qu'il dit :Nous garantira-t-il cet amour, je vous prie,D'un rival, ou d'un père, ou d'un frère en furie ?Penses-tu qu'aucun d'eux songe à nous faire mal ?Oui vraiment, je le pense ; et surtout, ce rival. Mascarille, en tout cas, l'espoir où je me fonde,Nous irons bien armés, et si quelqu'un nous gronde,Nous nous chamaillerons. Oui, voilà justementCe que votre valet ne prétend nullement :Moi chamailler ! Bon Dieu ! Suis-je un Roland ? Mon maître, [Note : Ferragus : Géant dans un roman de chevalerie, rival Sarrasin de Roland qui le tua.]Ou quelque Ferragu ? C'est fort mal me connaître,Quand je viens à songer, moi qui me suis si cher,Qu'il ne faut que deux doigts d'un misérable ferDans le corps, pour vous mettre un humain dans la bière,Je suis scandalisé d'une étrange manière. [Note : Cap : Tête. Usité seulement dans les locutions suivantes : De pied en cap, de la tête aux pieds. [L]]Mais tu seras armé de pied en cap. Tant pis ;J'en serai moins léger à gagner le taillis :Et de plus, il n'est point d'armure si bien jointe,Où ne puisse glisser une vilaine pointe.Oh ! Tu seras ainsi tenu pour un poltron. Soit ; pourvu que toujours je branle le menton :À table comptez-moi, si vous voulez pour quatre ;Mais comptez-moi pour rien, s'il s'agit de se battre :Enfin, si l'autre monde a des charmes pour vous,Pour moi, je trouve l'air de celui-ci fort doux : Je n'ai pas grande faim de mort ni de blessure,Et vous ferez le sot tout seul, je vous assure. SCÈNE II. Valère, Mascarille. VALÈRE. Je n'ai jamais trouvé de jour plus ennuyeux :Le soleil semble s'être oublié dans les Cieux,Et jusqu'au lit qui doit recevoir sa lumière, Je vois rester encore une telle carrière,Que je crois que jamais il ne l'achèvera,Et que de sa lenteur mon âme enragera. MASCARILLE. Et cet empressement pour s'en aller dans l'ombre,[Note : Encombre : Accident fâcheux qui empêche, qui fait échouer. [L]]Pêcher vite à tâtons quelque sinistre encombre... Vous voyez que Lucile, entière en ses rebuts... VALÈRE. Ne me fais point ici de contes superflus.Quand j'y devrais trouver cent embûches mortelles,Je sens de son courroux des gênes trop cruelles ;Et je veux l'adoucir, ou terminer mon sort. C'est un point résolu. MASCARILLE. J'approuve ce transport ;Mais le mal est, Monsieur, qu'il faudra s'introduireEn cachette. VALÈRE. Fort bien. MASCARILLE. Et j'ai peur de vous nuire. VALÈRE. Et comment ? MASCARILLE. Une toux me tourmente à mourir,Dont le bruit importun vous fera découvrir : De moment en moment... Vous voyez le supplice. VALÈRE. Ce mal te passera prends du jus de réglisse. MASCARILLE. Je ne crois pas, Monsieur, qu'il se veuille passer.Je serais ravi moi de ne vous point laisser ;Mais j'aurais un regret mortel, si j'étais cause Qu'il fût à mon cher maître arrivé quelque chose. SCÈNE III. Valère, La Rapière, Mascarille. LA RAPIÈRE. Monsieur, de bonne part je viens d'être informéQu'Éraste est contre vous fortement animé ;Et qu'Albert parle aussi de faire pour sa filleRouer jambes et bras à votre Mascarille. MASCARILLE. Moi, je ne suis pour rien dans tout cet embarras.Qu'ai-je fait ? Pour me voir rouer jambes et bras ?Suis-je donc gardien, pour employer ce style,De la virginité des filles de la ville ?Sur la tentation ai-je quelque crédit ? Et puis-je mais, chétif, si le coeur leur en dit. VALÈRE. Ô ! Qu'ils ne seront pas si méchants qu'ils le disent !Et quelque belle ardeur que ses feux lui produisent,Éraste n'aura pas si bon marché de nous. LA RAPIÈRE. S'il vous faisait besoin, mon bras est tout à vous. Vous savez de tout temps que je suis un bon frère. VALÈRE. Je vous suis obligé, Monsieur de la Rapière. LA RAPIÈRE. J'ai deux amis aussi que je vous puis donner,Qui contre tous venants sont gens à dégainer,Et sur qui vous pourrez prendre toute assurance. MASCARILLE. Acceptez-les, Monsieur. VALÈRE. C'est trop de complaisance. LA RAPIÈRE. Le petit Gille encore eût pu nous assister,Sans le triste accident qui vient de nous l'ôter.Monsieur, le grand dommage ! Et l'homme de serviceVous avez su le tour que lui fit la justice ? Il mourut en César, et lui cassant les osLe bourreau ne lui put faire lâcher deux mots. VALÈRE. Monsieur de la Rapière, un homme de la sorteDoit être regretté ; mais, quant à votre escorte,Je vous rends grâce. LA RAPIÈRE. Soit ; mais soyez averti Qu'il vous cherche, et vous peut faire un mauvais parti. VALÈRE. Et moi, pour vous montrer combien je l'appréhende :Je lui veux, s'il me cherche, offrir ce qu'il demande:Et par toute la ville aller présentement,Sans être accompagné que de lui seulement. MASCARILLE. Quoi ! Monsieur, vous voulez tenter Dieu ? Quelle audace !Las ! Vous voyez tous deux comme l'on nous menace,Combien de tous côtés... VALÈRE. Que regardes-tu là ? MASCARILLE. C'est qu'il sent le bâton du côté que voilà.Enfin, si maintenant ma prudence en est crue, Ne nous obstinons point à rester dans la rue :Allons nous renfermer. VALÈRE. Nous renfermer ! Faquin ;Tu m'oses proposer un acte de coquin !Sus, sans plus de discours, résous-toi de me suivre. MASCARILLE. Eh ! Monsieur, mon cher maître, il est si doux de vivre ! On ne meurt qu'une fois,;et c'est pour si longtemps ! VALÈRE. Je m'en vais t'assommer de coups, si je t'entends.Ascagne vient ici ; laissons-le ; il faut attendreQuel parti de lui-même il résoudra de prendre.Cependant avec moi viens prendre à la maison Pour nous frotter. MASCARILLE. Je n'ai nulle démangeaison.Que maudit soit l'amour, et les filles maudites,[Note : Chattemite : Personne affectant des manières humbles et flatteuses. [L]]Qui veulent en tâter, puis font les chattemites ! SCÈNE IV. Ascagne, Frosine. ASCAGNE. Est-il bien vrai, Frosine ? Et ne rêvé-je point ?De grâce, contez-moi bien tout de point en point. FROSINE. Vous en saurez assez le détail ; laissez faire :Ces sortes d'incidents ne sont pour l'ordinaireQue redits trop de fois de moment en moment.Suffit que vous sachiez, qu'après ce testamentQui voulait un garçon pour tenir sa promesse, De la femme d'Albert la dernière grossesseN'accoucha que de vous, et que lui dessous mainAyant depuis longtemps concerté son dessein,Fit son fils de celui d'Ignès la bouquetière.Qui vous donna pour sienne à nourrir à ma mère. La mort ayant ravi ce petit innocentQuelque dix mois après, Albert étant absent,La crainte d'un époux et l'amour maternelle,Firent l'événement d'une ruse nouvelle.Sa femme en secret lors se rendit son vrai sang ; Vous devîntes celui qui tenait votre rang,Et la mort de ce fils mis dans votre familleSe couvrit pour Albert de celle de sa fille.Voilà de votre sort un mystère éclairciQue votre feinte mère a caché jusqu'ici. Elle en dit des raisons, et peut en avoir d'autres,Par qui ses intérêts n'étaient pas tous les vôtres.Enfin cette visite où j'espérais si peu,Plus qu'on ne pouvait croire a servi votre feu.Cette Ignès vous relâche ; et par votre autre affaire L'éclat de son secret devenu nécessaire,Nous en avons nous deux votre père informé :Un billet de sa femme a le tout confirmé,Et poussant plus avant encore notre pointe,Quelque peu de fortune à notre adresse jointe, Aux intérêts d'Albert, de Polydore après,Nous avons ajusté si bien les intérêts,Si doucement à lui déplié ces mystères,Pour n'effaroucher pas d'abord trop les affaires,Enfin, pour dire tout, mené si prudemment Son esprit pas à pas à l'accommodement,Qu'autant que votre père il montre de tendresseÀ confirmer les noeuds qui font votre allégresse. ASCAGNE. Ha ! Frosine, la joie où vous m'acheminez !...Et que ne dois-je point à vos soins fortunés ! FROSINE. Au reste, le bonhomme est en humeur de rire,Et pour son fils encor nous défend de rien dire. SCÈNE V. Ascagne, Frosine, Polydore. POLYDORE. Approchez-vous, ma fille, un tel nom m'est permis;Et j'ai su le secret que cachaient ces habits.Vous avez fait un trait, qui dans sa hardiesse, Fait briller tant d'esprit et tant de gentillesse,Que je vous en excuse, et tiens mon fils heureux,Quand il saura l'objet de ses soins amoureux.Vous valez tout un monde, et c'est moi qui l'assure.Mais le voici ; prenons plaisir de l'aventure. Allez faire venir tous vos gens promptement. ASCAGNE. Vous obéir sera mon premier compliment. SCÈNE VI. Mascarille, Polydore, Valère. MASCARILLE. Les disgrâces souvent sont du ciel révélées :J'ai songé cette nuit de perles défilées,Et d'oeufs cassés, Monsieur, un tel songe m'abat. VALÈRE. Chien de poltron ! POLYDORE. Valère, il s'apprête un combat,Où toute ta valeur te sera nécessaire.Tu vas avoir en tête un puissant adversaire. MASCARILLE. Et personne, Monsieur, qui se veuille bougerPour retenir des gens qui se vont égorger ! Pour moi, je le veux bien ; mais au moins s'il arriveQu'un funeste accident de votre fils vous prive,Ne m'en accusez point. POLYDORE. Non, non : en cet endroitJe le pousse moi-même à faire ce qu'il doit. MASCARILLE. Père dénaturé ! VALÈRE. Ce sentiment, mon père, Est d'un homme de coeur, et je vous en révère.J'ai dû vous offenser, et je suis criminelD'avoir fait tout ceci sans l'aveu paternel ;Mais à quelque dépit que ma faute vous porte,La nature toujours se montre la plus forte, Et votre honneur fait bien, quand il ne veut pas voirQue le transport d'Éraste ait de quoi m'émouvoir. POLYDORE. On me faisait tantôt redouter sa menace ;Mais les choses depuis ont bien changé de face ;Et, sans le pouvoir fuir, d'un ennemi plus fort Tu vas être attaqué. MASCARILLE. Point de moyen d'accord ? VALÈRE. Moi ! Le fuir ! Dieu m'en garde. Et qui donc pourrait-ce être ? POLYDORE. Ascagne. VALÈRE. Ascagne ? POLYDORE. Oui, tu le vas voir paraître. VALÈRE. Lui, qui de me servir m'avait donné sa foi ! POLYDORE. Oui, c'est lui qui prétend avoir affaire à toi ; Et qui veut, dans le champ où l'honneur vous appelle,Qu'un combat seul à seul vide votre querelle. MASCARILLE. C'est un brave homme ; il sait que les coeurs généreuxNe mettent point les gens en compromis pour eux. POLYDORE. Enfin d'une imposture ils te rendent coupable, Dont le ressentiment m'a paru raisonnable ;Si bien qu'Albert et moi sommes tombés d'accord,Que tu satisferais Ascagne sur ce tort,Mais aux yeux d'un chacun, et sans nulles remises,Dans les formalités en pareil cas requises. VALÈRE. Et Lucile, mon père, a d'un coeur endurci !... POLYDORE. Lucile épouse Éraste, et te condamne aussi :Et, pour convaincre mieux tes discours d'injustice,Veut qu'à tes propres yeux cet hymen s'accomplisse. VALÈRE. Ha ! C'est une impudence à me mettre en fureur : Elle a donc perdu sens, foi, conscience, honneur ? SCÈNE VII. Mascarille, Lucile, Éraste, Polydore, Arbert, Valère. ALBERT. Hé bien ? Les combattants ? On amène le nôtre.Avez-vous disposé le courage du vôtre ? VALÈRE. Oui, oui, me voilà prêt, puisqu'on m'y veut forcer ;Et si j'ai pu trouver sujet de balancer, Un reste de respect en pouvait être cause,Et non pas la valeur du bras que l'on m'oppose.Mais c'est trop me pousser, ce respect est à bout ;À toute extrémité mon esprit se résoutEt l'on fait voir un trait de perfidie étrange, Dont il faut hautement que mon amour se venge.Non pas que cet amour prétende encore à vous ;Tout son feu se résout en ardeur de courroux,Et quand j'aurai rendu votre honte publique,Votre coupable hymen n'aura rien qui me pique. Allez, ce procédé, Lucile, est odieux :À peine en puis-je croire au rapport de mes yeux ;C'est de toute pudeur se montrer ennemie :Et vous devriez mourir d'une telle infamie. LUCILE. Un semblable discours me pourrait affliger, Si je n'avais en main qui m'en saura venger.Voici venir Ascagne, il aura l'avantageDe vous faire changer bien vite de langage,Et sans beaucoup d'effort. SCÈNE VIII. Mascarille, Lucile, Éraste, Albert, Gros-René, Marinette, Ascagne, Frosine, Polydore. VALÈRE. Il ne le fera pas,Quand il joindrait au sien encore vingt autres bras Je le plains de défendre une soeur criminelle :Mais, puisque son erreur me veut faire querelle,Nous le satisferons, et vous, mon brave, aussi. ÉRASTE. Je prenais intérêt tantôt à tout ceci ;Mais enfin, comme Ascagne a pris sur lui l'affaire, Je ne veux plus en prendre, et je le laisse faire. VALÈRE. C'est bien fait : la prudence est toujours de saison ;Mais... ÉRASTE. Il saura pour tous vous mettre à la raison. VALÈRE. Lui ? POLYDORE. Ne t'y trompe pas : tu ne sais pas encoreQuel étrange garçon est Ascagne. ALBERT. Il l'ignore : Mais il pourra dans peu le lui faire savoir. VALÈRE. Sus donc que maintenant il me le fasse voir. MARINETTE. Aux yeux de tous ? GROS-RENÉ. Cela ne serait pas honnête. VALÈRE. Se moque-t-on de moi ? Je casserai la têteÀ quelqu'un des rieurs. Enfin, voyons l'effet. ASCAGNE. Non, non, je ne suis pas si méchant qu'on me fait :Et, dans cette aventure où chacun m'intéresse,Vous allez voir plutôt éclater ma faiblesse,Connaître que le ciel qui dispose de nousNe me fit pas un coeur pour tenir contre vous, Et qu'il vous réservait pour victoire facile,De finir le destin du frère de Lucile.Oui, bien loin de vanter le pouvoir de mon bras,Ascagne va par vous recevoir le trépas :Mais il veut bien mourir, si sa mort nécessaire Peut avoir maintenant de quoi vous satisfaire,En vous donnant pour femme en présence de tousCelle qui justement ne peut être qu'à vous. VALÈRE. Non, quand toute la terre après sa perfidieEt les traits effrontés... ASCAGNE. Ha ! Souffrez que je dis, Valère, que le coeur qui vous est engagéD'aucun crime envers vous ne peut être chargé :Sa flamme est toujours pure, et sa constance extrême ;Et j'en prends à témoin votre père lui-même. POLYDORE. Oui, mon fils, c'est assez rire de ta fureur, Et je vois qu'il est temps de te tirer d'erreur.Celle à qui par serment ton âme est attachée,Sous l'habit que tu vois à tes yeux est cachée ;Un intérêt de bien, dès ses plus jeunes ansFit ce déguisement qui trompe tant de gens ; Et depuis peu l'amour en a su faire un autre,Qui t'abusa joignant leur famille à la nôtre.Ne va point regarder à tout le monde aux yeux ;Je te fais maintenant un discours sérieux ;Oui, c'est elle, en un mot, dont l'adresse subtile La nuit reçut ta foi sous le nom de Lucile,Et qui par ce ressort qu'on ne comprenait pas,A semé parmi vous un si grand embarras.Mais puisqu'Ascagne ici fait place à Dorothée,Il faut voir de vos feux toute imposture ôtée, Et qu'un noeud plus sacré donne force au premier. ALBERT. Et c'est là justement ce combat singulier,Qui devait envers nous réparer votre offense,Et pour qui les Édits n'ont point fait de défense. POLYDORE. Un tel événement rend tes esprits confus ; Mais en vain tu voudrais balancer là-dessus. VALÈRE. Non, non ; je ne veux pas songer à m'en défendre ;Et, si cette aventure a lieu de me surprendre,La surprise me flatte, et je me sens saisirDe merveille à la fois, d'amour et de plaisir, Se peut-il que ces yeux ?... ALBERT. Cet habit, cher Valère,Souffre mal les discours que vous lui pourriez faire.Allons lui faire en prendre un autre ; et cependantVous saurez le détail de tout cet incident. VALÈRE. Vous, Lucile, pardon, si mon âme abusée... LUCILE. L'oubli de cette injure est une chose aisée. ALBERT. Allons, ce compliment se fera bien chez nous,Et nous aurons loisir de nous en faire tous. ÉRASTE. Mais vous ne songez pas, en tenant ce langage,Qu'il reste encore ici des sujets de carnage : Voilà bien à tous deux notre amour couronné ;Mais de son Mascarille et de mon Gros-René,Par qui doit Marinette être ici possédée ?Il faut que par le sang l'affaire soit vidée. MASCARILLE. Nenni, nenni : mon sang dans mon corps sied trop bien. Qu'il l'épouse en repos, cela ne me fait rien :De l'humeur que je sais la chère Marinette,L'hymen ne ferme pas la porte à la fleurette. MARINETTE. Et tu crois que de toi je ferai mon galant ?Un mari, passe encore ; tel qu'il est, on le prend ; On n'y va pas chercher tant de cérémonie :Mais il faut qu'un galant soit fait à faire envie. GROS-RENÉ. Écoute, quand l'hymen aura joint nos deux peaux,Je prétends qu'on soit sourde à tous les damoiseaux. MASCARILLE. Tu crois te marier pour toi tout seul, compère ? GROS-RENÉ. Bien entendu, je veux une femme sévère :Ou je ferai beau bruit. MASCARILLE. Eh ! Mon Dieu, tu ferasComme les autres font : et tu t'adouciras.Ces gens avant l'hymen si fâcheux et critiquesDégénèrent souvent en maris pacifiques. MARINETTE. Va, va, petit mari : ne crains rien de ma foi :Les douceurs ne feront que blanchir contre moi :Et je te dirai tout. MASCARILLE. Oh ! Las ! Fine pratique !Un mari confident !... MARINETTE. Taisez-vous, as de pique[.] ALBERT. Pour la troisième fois, allons-nous-en chez nous, Poursuivre en liberté des entretiens si doux. ==================================================