******************************************************** DC.Title = LES FÂCHEUX, COMÉDIE DC.Author = MOLIERE DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie-ballet DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:20. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MOLIERE_FACHEUX.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86107890 DC.Source.cote = BnF RLR RES-YF-4165 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES FÂCHEUX COMÉDIE REPRÉSENTÉE SUR le Théâtre du Palais-Royal. M. DC. LXII. DE J.B.P MOLIÈRE À PARIS, Chez GUILLAUME DE LUYNE, Libraire juré, au Palais, dans la Salle des Merciers, à la Justice.Achevé d'imprimer le 18 février 1662. Registré sur le livre de la communauté le 13 février 1662. Signé DUBRAY, syndic. Les exemplaires ont été fournis. SIRE, J'ajoute une scène à la comédie, et c'est une espèce de fâcheux insupportable, qu'une homme qui dédie un livre. VOTRE MAJESTÉ en sait des nouvelles plus que personne de son royaume, et ce n'est pas d'aujourd'hui qu'elle se voit en butte à la furie des épîtres dédicatoires. Mais, bien que je suive l'exemple des autres, et me mette moi-même au rang de ceux que j'ai joués, j'ose dire toutefois à VOTRE MAJESTÉ que ce que j'en ai fait, n'est pas tant pour lui présenter un livre, que pour avoir de lui rendre grâces du succès de cette comédie. Je le dois dire, SIRE, ce succès qui a passé mon attente, non seulement à cette glorieuse approbation dont votre majesté honora d'abord la pièce, et qui a entraîné si hautement celle de tout le monde ; mais encore à l'ordre qu'elle me donna d'y ajouter un caractère de fâcheux dont elle eut la bonté de m'ouvrir les idées elle-même, et qui a trouvé partout le plus beau morceau de l'ouvrage. Il faut avouer SIRE, que je n'ai jamais rien fait avec tant de facilité, ni si promptement, que cet endroit, où VOTRE MAJESTÉ me commanda de travailler. J'avais une joie à lui obéir, qui me valait bien mieux qu'Appollon, et toutes les Muses ; et je conçois par là ce que je serais capable d'exécuter par une comédie entière, si j'étais inspiré par de pareils commandements. Ceux qui sont nés dans un rang élevé peuvent se proposer l'honneur de servir VOTRE MAJESTÉ dans les grands emplois ; mais pour moi, toute la gloire où je puisse aspirer, c'est de la réjouir. Je borne là l'ambition de mes souhaits ; et je crois qu'en quelque façon ce n'est pas être inutile à la France que de contribuer en quelque chose au divertissement de son Roi. Quand je n'y réussirais pas, ce ne sera jamais un défaut de zèle, ni d'étude ; mais seulement par un mauvais destin qui suit assez souvent les meilleures intentions, et qui sans doute affligerait sensiblement, SIRE, de VOTRE MAJESTÉ. Le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur, J.P.B. MOLIÈRE. PRÉFACE Jamais entreprise au théâtre ne fut si précipitée que celle-ci ; et c'est une chose, je crois, toute nouvelle, qu'une comédie ait été conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours. Je ne dis pas cela pour me piquer de l'Impromptu, et en prétendre de la gloire ; mais seulement pour prévenir certaines gens, qui pourraient trouver à redire, que je n'aie pas mis ici toutes les espèces de Fâcheux, qui se trouvent. Je sais que le nombre en est grand, et à la Cour, et dans la ville, et que sans épisodes, j'eusse bien pu en composer une comédie de cinq actes bien fournis, et avoir encore de la matière de reste. Mais dans le peu de temps qui me fut donné, il m'était impossible de faire un grand dessein, et de rêver beaucoup sur le choix de mes personnages, et sur la disposition de mon sujet. Je me réduisis donc à ne toucher qu'un petit nombre d'Importuns ; et je pris ceux qui s'offrirent d'abord à mon esprit, et que je crus les plus propres à réjouir des augustes personnes devant qui j'avais à paraître ; et pour lier promptement toutes ces choses ensemble, je me servis du premier noeud que je pus trouver. Ce n'est pas mon dessein d'examiner maintenant si tout cela pouvait être mieux, et si tous ceux qui s'y sont divertis ont ri selon les règles ; Le temps viendra de faire imprimer mes remarques sur les pièces que j'aurai faites, et je ne désespère pas de faire voir un jour, en grand auteur, que je puis citer Aristote et Horace. En attendant cet examen, qui peut-être ne viendra point, je m'en remets assez aux décisions de la multitude; et je tiens aussi difficile de combattre un ouvrage que le public approuve, que d'en défendre un qu'il condamne. Il n'y a personne qui ne sache pour quelle réjouissance la pièce fut composée, et cette fête a fait un tel éclat, qu'il n'est pas nécessaire d'en parler ; mais il ne sera pas hors de propos de dire deux paroles des ornements qu'on a mêlés avec la Comédie. Le dessein était de donner un ballet aussi ; et, comme il n'y avait qu'un très petit nombre choisi de danseurs excellents, on fut contraint de séparer les entrées de ce ballet, et l'avis fut de les jeter dans les Entre-Actes de la Comédie, afin que ces intervalles donnassent temps aux mêmes baladins de revenir sous d'autres habits. De sorte que pour ne point rompre aussi le fil de la pièce, par ces manières d'intermèdes, on avisa de les coudre au sujet du mieux que l'on put, et de ne faire qu'une seule chose du ballet, et de la comédie : mais comme le temps était fort précipité, et que tout cela ne fut pas réglé entièrement par une même tête, on trouvera peut-être quelques endroits du ballet, qui n'entrent pas dans la Comédie aussi naturellement que d'autres. Quoi qu'il en soit, c'est un mélange qui est nouveau pour nos théâtres, et dont on pourrait chercher quelques autorité dans l'Antiquité ; et comme tout le monde l'a trouvé agréable, il peut servir l'idée à d'autres choses, qui pourraient être méditées avec plus de loisir. D'abord que la toile fut levée, un des acteurs, comme vous pourriez dire de moi, parut sur le théâtre en habit de ville, et s'adressant au Roi avec le visage d'un homme surpris, fit des excuses en désordre de ce qu'il se trouvait là seul, et manquait de temps, et d'acteurs pour donner à sa majesté le divertissement qu'elle semblait attendre. En même temps, au milieu de vingt jets d'eau naturels, s'ouvrit cette coquille, que tout le monde à vue ; et l'agréable naïade qui parut dedans s'avança au bord du théâtre, et d'un air héroïque prononça les vers que Monsieur Pelisson avait faits, et qui servent de Prologue. ACTEURS ÉRASTE, amoureux d'Orphise. LA MONTAGNE, valet d'Éraste. ALCIDOR, fâcheux. ORPHISE. LISANDRE, fâcheux. ALCANDRE, fâcheux. ALCIPPE, fâcheux. ORANTE, fâcheux. CLIMÈNE, fâcheux. DORANTE, fâcheux. CARITIDÈS, fâcheux. ORMIN, fâcheux. FILINTE, fâcheux. DAMIS, tuteur d'Orphise. L'ÉPINE, valet de Damis. LA RIVIÈRE, et deux camarades. La Scène est à Paris. PROLOGUE [UNE NAÏADE.] Pour voir en ces beaux lieux le plus grand roi du monde,Mortels je viens à vous de ma grotte profonde.Faut-il, en sa faveur, que la Terre ou que l'EauProduisent à vos yeux un spectacle nouveau ?Qu'il sache, ou qu'il souhaite : il n'est rien d'impossible : Lui-même n'est-il pas un miracle visible ?Son règne si fertile en miracles divers,N'en demande-t-il pas à tout cet Univers ?Jeune, victorieux, sage, vaillant, auguste,Aussi doux que sévère, aussi puissant que juste, Régler, et ses états, et ses propres désirs,Joindre aux nobles travaux les plus nobles plaisirs,En ces justes projets jamais ne se méprendre,Agir incessamment, tout voir, et tout entendre ;Qui peut cela peut tout ; il n'a qu'à tout oser ; Et le ciel à ses voeux ne peut rien refuser,Ces termes marcheront, et si Louis l'ordonne,[Note : Dedonne : ou Dodonne, sanctuaire oraculaire au nord de la Grèce dédié à Zeus.]Ces arbres parleront mieux que ceux de Dedone.Hôtesses de leurs troncs, moindres divinités,C'est Louis qui le veut, sortez nymphes, sortez ; Je vous montre l'exemple : il s'agit de lui plaire.Quittez pour quelque temps votre forme ordinaire,Et paraissons aux yeux des spectateurs,Pour ce nouveau théâtre, autant de vrais acteurs. Plusieurs dryades, accompagnés de faunes et de satyres sortent des arbres et des thermes.Vous, soin de ses sujets, sa plus charmante étude, Héroïque souci, royale inquiétude,Laissez le respirer, et souffrez qu'un momentSon grand coeur s'abandonne au divertissement :Vous le verrez demain, d'une force nouvelleSous le fardeau pénible, où votre voix l'appelle, Faire obéir les lois, partager les bienfaits,Par ses propres conseils prévenir vos souhaitsMaintenir l'univers dans une paix profonde,Et s'ôter le repos pour le donner au monde.Qu'aujourd'hui tout lui plaise, et semble consentir À l'unique dessein de le bien divertir.Fâcheux retirez-vous ; où s'il faut qu'on vous voie,Que ce soit seulement pour exciter sa joie. La naïade emmène avec elle, pour la comédie, une partie des gens qu'elle a fait paraître, pendant que le reste se met à danser au son des hautbois qui se joignent aux violons. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Éraste, La Montagne. ÉRASTE. Sous quel astre, bon Dieu, faut-il que je sois né,Pour être de fâcheux toujours assassiné ! Il semble que partout le sort me les adresse,Et j'en vois chaque jour quelque nouvelle espèce.Mais il n'est rien d'égal au fâcheux d'aujourd'hui ;J'ai cru n'être jamais débarrassé de lui ;Et cent fois j'ai maudit cette innocente envie Qui m'a pris à dîné, de voir la comédie,Où, pensant m'égayer, j'ai misérablement,Trouvé de mes péchés le rude châtiment.Il faut que je te fasse un récit de l'affaire ;Car je m'en sens encor tout ému de colère. J'étais sur le théâtre, en humeur d'écouterLa pièce, qu'à plusieurs j'avais ouï vanter ;Les acteurs commençaient, chacun prêtait silence,Lorsque d'un air bruyant et plein d'extravagance,Un homme à grands canons est entré brusquement En criant, holà-ho, un siège promptement ;Et de son grand fracas surprenant l'assemblée,Dans le plus bel endroit a la pièce troublée.Hé mon Dieu ! Nos Français, si souvent redressés,Ne prendront-ils jamais un air de gens sensés, Ai-je dit, et faut-il sur nos défauts extrêmesQu'en théâtre public nous nous jouions nous-mêmes,Et confirmions ainsi par des éclats de fous,Ce que chez nos voisins on dit partout de nous !Tandis que là-dessus je haussais les épaules, Les acteurs ont voulu continuer leurs rôles ;Mais l'homme pour s'asseoir a fait nouveau fracas,Et traversant encor le théâtre à grands pas,Bien que dans les côtés il pût être à son aise,Au milieu du devant il a planté sa chaise, [Note : Morguer : Regarder fixement un prisonnier, afin de le reconnaître. Signifie aussi, braver par des regards fiers, fixes et méprisants. [F]]Et de son large dos morguant les spectateurs,Aux trois quarts du parterre a caché les acteurs.Un bruit s'est élevé, dont un autre eût eu honte ;Mais lui, ferme et constant, n'en a fait aucun compte,Et se serait tenu comme il s'était posé, Si, pour mon infortune, il ne m'eût avisé.Ha ! Marquis, m'a-t-il dit, prenant près de moi place,Comment te portes-tu ? Souffre, que je t'embrasse.Au visage sur l'heure un rouge m'est monté,Que l'on me vît connu d'un pareil éventé. Je l'étais peu pourtant, mais on en voit paraître,De ces gens qui de rien veulent fort vous connaîtreDont il faut au salut les baisers essuyer,Et qui sont familiers jusqu'à vous tutoyer.Il m'a fait, à l'abord, cent questions frivoles, Plus haut que les acteurs élevant ses paroles.Chacun le maudissait, et moi, pour l'arrêter,Je serais, ai-je dit, bien aise d'écouter.Tu n'as point vu ceci, Marquis ; ah ! Dieu me damneJe le trouve assez drôle, et je n'y suis pas âne ; Je sais par quelles lois un ouvrage est parfait,Et Corneille me vient lire tout ce qu'il fait.Là-dessus de la pièce il m'a fait un sommaire,Scène, à scène, averti de ce qui s'allait faire,Et jusques à des vers qu'il en savait par coeur, Il me les récitait tout haut avant l'acteur.J'avais beau m'en défendre, il a poussé sa chance,Et s'est, devers la fin, levé longtemps d'avance ;Car les gens du bel air pour agir galamment,Se gardent bien, surtout, d'ouïr le dénouement. Je rendais grâce au Ciel, et croyais de justice,Qu'avec la comédie eût fini mon supplice :Mais, comme si c'en eût été trop bon marché,Sur nouveaux frais mon homme à moi s'est attaché ;M'a conté ses exploits, ses vertus non communes ; Parlé de ses chevaux, de ses bonnes fortunes,Et de ce qu'à la Cour il avait de faveur,Disant, qu'à m'y servir il s'offrait de grand coeur.Je le remerciais doucement de la tête,Minutant à tous coups quelque retraite honnête : Mais lui, pour le quitter, me voyant ébranlé,Sortons, ce m'a-t-il dit, le monde est écoulé :Et sortis de ce lieu, me la donnant plus sèche :[Note : On lit "galèche" dans l'édition originale de 1662. Mot inconnu du Littré et du Dictionnaire Furetière. Très vraisemblablement calèche.][Note : Le Cours de la Reine était un lieu de promenade au bout du jardin des Tuileries sur plus de 500 mètres le long de la Seine.]Marquis, allons au Cours faire voir ma calèche ;Elle est bien entendue, et plus d'un Duc et Pair En fait à mon faiseur faire une du même air.Moi de lui rendre grâce, et pour mieux m'en défendreDe dire que j'avais certain repas à rendre.Ah Parbleu j'en veux être, étant de tes amis,Et manque au Maréchal à qui j'avais promis. De la chère, ai-je fait, la dose est trop peu forte,Pour oser y prier des gens de votre sorte.Non ; m'a-t-il répondu, je suis sans compliment,Et j'y vais pour causer avec toi seulement ;Je suis des grands repas fatigué, je te jure : Mais si l'on vous attend, ai-je dit, c'est injure...Tu te moques, Marquis, nous nous connaissons tous ;Et je trouve avec toi des passe-temps plus doux.Je pestais contre moi, l'âme triste et confuseDu funeste succès qu'avait eu mon excuse, Et ne savais à quoi je devais recourirPour sortir d'une peine à me faire mourir ;Lorsqu'un carrosse fait de superbe manière,Et comblé de laquais et devant, et derrière,S'est avec un grand bruit devant nous arrêté ; D'où sautant un jeune homme amplement ajusté,Mon importun et lui courant à l'embrassadeOnt surpris les passants de leur brusque incartade ;Et tandis que tous deux étaient précipitésDans les convulsions de leurs civilités, Je me suis doucement esquivé sans rien dire ;Non sans avoir longtemps gémi d'un tel martyre,Et maudit ce fâcheux, dont le zèle obstinéM'ôtait au rendez-vous qui m'est ici donné. LA MONTAGNE. Ce sont chagrins mêlés aux plaisirs de la vie. Tout ne va pas, Monsieur, au gré de notre envie.Le ciel veut qu'ici-bas chacun ait ses fâcheux ;Et les hommes seraient, sans cela, trop heureux. ÉRASTE. Mais de tous mes fâcheux, le plus fâcheux encore,C'est Lysandre, le tuteur de celle que j'adore ; Qui rompt ce qu'à mes voeux elle donne d'espoir,Et fait qu'en sa présence elle n'ose me voir.Je crains d'avoir déjà passé l'heure promise,Et c'est dans cette allée, où devait être Orphise. LA MONTAGNE. L'heure d'un rendez-vous d'ordinaire s'étend, Et n'est pas resserrée aux bornes d'un instant. ÉRASTE. Il est vrai ; mais je tremble, et mon amour extrêmeD'un rien se fait un crime envers celle que j'aime. LA MONTAGNE. Si ce parfait amour, que vous prouvez si bien,Se fait vers votre objet un grand crime de rien, Ce que son coeur, pour vous, sent de feux légitimes,En revanche, lui fait un rien de tous vos crimes. ÉRASTE. Mais, tout de bon, crois-tu que je sois d'elle aimé ? LA MONTAGNE. Quoi ? Vous doutez encor d'un amour confirmé... ? ÉRASTE. Ah c'est malaisément qu'en pareille matière, Un coeur bien enflammé prend assurance entière.Il craint de se flatter, et dans ses divers soins,Ce que plus il souhaite est ce qu'il croit le moins.Mais songeons à trouver une beauté si rare. LA MONTAGNE. Monsieur, votre rabat par devant se sépare. ÉRASTE. N'importe. LA MONTAGNE. Laissez-moi l'ajuster, s'il vous plaît. ÉRASTE. Ouf, tu m'étrangles, fat, laisse-le comme il est. LA MONTAGNE. Souffrez qu'on peigne un peu... ÉRASTE. Sottise sans pareille !Tu m'as, d'un coup de dent, presque emporté l'oreille. LA MONTAGNE. Vos canons... ÉRASTE. Laisse-les, tu prends trop de souci. LA MONTAGNE. Ils sont tout chiffonnés. ÉRASTE. Je veux qu'ils soient ainsi. LA MONTAGNE. Accordez-moi du moins, pour grâce singulière,De frotter ce chapeau, qu'on voit plein de poussière. ÉRASTE. Frotte donc, puisqu'il faut que j'en passe par là. LA MONTAGNE. Le voulez-vous porter fait comme le voilà ? ÉRASTE. Mon Dieu, dépêche-toi. LA MONTAGNE. Ce serait conscience. ÉRASTE, après avoir attendu. C'est assez. LA MONTAGNE. Donnez-vous un peu de patience. ÉRASTE. Il me tue. LA MONTAGNE. En quel lieu vous êtes-vous fourré ? ÉRASTE. T'es-tu de ce chapeau pour toujours emparé ? LA MONTAGNE. C'est fait. ÉRASTE. Donne-moi donc. LA MONTAGNE, laissant tomber le chapeau. Hai ! ÉRASTE. Le voilà par terre : Je suis fort avancé : que la fièvre te serre ! LA MONTAGNE. Permettez qu'en deux coups j'ôte... ÉRASTE. Il ne me plaît pas.Au diantre tout valet qui vous est sur les bras ;Qui fatigue son maître, et ne fait que déplaireÀ force de vouloir trancher du nécessaire ! SCÈNE II. Orphise, Alcidor, Éraste, la Montagne. Orphise traverse le fond du théâtre ; Alcidor lui donne la main. ÉRASTE. Mais vois-je pas Orphise ? Oui, c'est elle, qui vient.Où va-t-elle si vite, et quel homme la tient ? Il la salue comme elle passe, et elle, en passant, détourne la tête.Quoi me voir en ces lieux devant elle paraître,Et passer en feignant de ne me pas connaître !Que croire ! Qu'en dis-tu ? Parle donc, si tu veux. LA MONTAGNE. Monsieur, je ne dis rien, de peur d'être fâcheux. ÉRASTE. Et c'est l'être en effet que de ne me rien direDans les extrémités d'un si cruel martyre.Fais donc quelque réponse à mon coeur abattu :Que dois-je présumer ? Parle, qu'en penses-tu ? Dis-moi ton sentiment. LA MONTAGNE. Monsieur, je veux me taire,Et ne désire point trancher du nécessaire. ÉRASTE. Peste l'impertinent ! Va-t'en suivre leurs pas ;Vois ce qu'ils deviendront, et ne les quitte pas. LA MONTAGNE, revenant. Il faut suivre de loin ?... ÉRASTE. Oui. LA MONTAGNE, revenant sur ses pas. Sans que l'on me voie, Ou faire aucun semblant qu'après eux on m'envoie [?] ÉRASTE. Non, tu feras bien mieux de leur donner avis,Que par mon ordre exprès ils sont de toi suivis. LA MONTAGNE, revenant sur ses pas. Vous trouverai-je ici ? ÉRASTE. Que le ciel te confonde,Homme, à mon sentiment, le plus fâcheux du monde. La Montagne s'en va.Ah ! Que je sens de trouble, et qu'il m'eût été doux.Qu'on me l'eût fait manquer, ce fatal rendez-vous !Je pensais y trouver toutes choses propices ;Et mes yeux pour mon coeur y trouvent des supplices. SCÈNE III. Lisandre, Éraste. LISANDRE. Sous ces arbres, de loin, mes yeux t'ont reconnu, Cher marquis, et d'abord je suis à toi venu.Comme à de mes amis il faut que je te chanteCertain air, que j'ai fait, de petite courante,Qui de toute la Cour contente les experts,Et sur qui plus de vingt ont déjà fait des vers. J'ai le bien, la naissance, et quelque emploi passable,Et fais figure en France assez considérable :Mais je ne voudrais pas, pour tout ce que je suis,N'avoir point fait cet air, qu'ici je te produis.La, la, hem, hem : écoute avec soin, je te prie. Il chante sa courante.N'est-elle pas belle ? ÉRASTE. Ah ! LISANDRE. Cette fin est jolie. Il rechante la fin quatre ou cinq fois de suite.Comment la trouves-tu ? ÉRASTE. Fort belle assurément. LISANDRE. Les pas que j'en ai faits n'ont pas moins d'agrément,Et surtout la figure a merveilleuse grâce. Il chante, parle et danse tout ensemble, et fait faire à Éraste les figures de la femme.Tiens, l'homme passe ainsi : puis la femme repasse : Ensemble : puis on quitte, et la femme vient là.Vois-tu ce petit trait de feinte que voilà ?Ce fleuret ? Ces coupés courant après la belle ?Dos à dos : face à face, en se pressant sur elle. Après avoir achevé.Que t'en semble Marquis ? ÉRASTE. Tous ces pas là sont fins. LISANDRE. Je me moque, pour moi, des maîtres baladins. ÉRASTE. On le voit. LISANDRE. Les pas donc... ? ÉRASTE. N'ont rien qui ne surprenne. LISANDRE. Veux-tu, par amitié, que je te les apprenne ? ÉRASTE. Ma foi, pour le présent, j'ai certain embarras... LISANDRE. Et bien donc, ce sera, lorsque tu le voudras. Si j'avais dessus moi ces paroles nouvelles,Nous les lirions ensemble, et verrions les plus belles. ÉRASTE. Une autre fois. LISANDRE. Adieu : Baptiste le très cher[Note : Courante : Pièce de Musique d'une mesure triple ou mouvement ternaire. Elle commence et finit, quand celui qui bat la mesure baise la main ; au contraire de la sarabande qui finit ordinairement quand il la lève. C'est la plus commun de toutes les danses qu'on pratique en France, qui se fait d'un temps, d'un pas, d'un balancement, et d'un coupé. [L]]N'a point vu ma courante, et je le vais chercher.Nous avons pour les airs de grandes sympathies, Et je veux le prier d'y faire des parties. Il s'en va chantant toujours. ÉRASTE. Ciel ! Faut-il que le rang, dont on veut tout couvrir,De cent sots, tous les jours, nous oblige à souffrir ;Et nous fasse abaisser jusques aux complaisances, D'applaudir bien souvent à leurs impertinences ? SCÈNE IV. La Montagne, Éraste. LA MONTAGNE. Monsieur, Orphise est seule, et vient de ce côté. ÉRASTE. Ah d'un trouble bien grand je me sens agité !J'ai de l'amour encor pour la belle inhumaine,Et ma raison voudrait que j'eusse de la haine ! LA MONTAGNE. Monsieur, votre raison ne sait ce qu'elle veut ; Ni ce que sur un coeur une maîtresse peut.Bien que de s'emporter on ait de justes causes,Une belle, d'un mot, rajuste bien des choses. ÉRASTE. Hélas ! Je te l'avoue, et déjà cet aspect,À toute ma colère imprime le respect. SCÈNE V. Orphise, Éraste, La Montagne. ORPHISE. Votre front à mes yeux montre peu d'allégresse.Serait-ce ma présence, Éraste, qui vous blesse ?Qu'est-ce donc ? Qu'avez-vous ? Et sur quels déplaisirs,Lorsque vous me voyez, poussez-vous des soupirs ? ÉRASTE. Hélas, pouvez-vous bien me demander, cruelle, Ce qui fait de mon coeur la tristesse mortelle ?Et d'un esprit méchant n'est-ce pas un effet,Que feindre d'ignorer ce que vous m'avez fait ?Celui dont l'entretien vous a fait, à ma vue,Passer... ORPHISE, riant. C'est de cela que votre âme est émue ? ÉRASTE. Insultez inhumaine, encore à mon malheur.Allez, il vous sied mal de railler ma douleur ;Et d'abuser, ingrate, à maltraiter ma flamme,Du faible, que pour vous, vous savez, qu'a mon âme. ORPHISE. Certes il en faut rire, et confesser ici, Que vous êtes bien fou, de vous troubler ainsi.L'homme, dont vous parlez, loin qu'il puisse me plaire,Est un homme fâcheux dont j'ai su me défaire ;Un de ces importuns et sots officieux,Qui ne sauraient souffrir qu'on soit seule en des lieux ; Et viennent aussitôt, avec un doux langage,Vous donner une main, contre qui l'on enrage.J'ai feint de m'en aller, pour cacher mon dessein ;Et jusqu'à mon carrosse, il m'a prêté la main ;Je m'en suis promptement défaite de la sorte, Et j'ai pour vous trouver, rentré par l'autre porte. ÉRASTE. À vos discours, Orphise, ajouterai-je foi ?Et votre coeur est-il tout sincère pour moi ? ORPHISE. Je vous trouve fort bon de tenir ces paroles ;Quand je me justifie à vos plaintes frivoles. Je suis bien simple encor, et ma sotte bonté... ÉRASTE. Ah ne vous fâchez pas, trop sévère beauté.Je veux croire en aveugle, étant sous votre empire,Tout ce que vous aurez la bonté de me dire.Trompez, si vous voulez, un malheureux amant ; J'aurai pour vous respect, jusques au monument.Maltraitez mon amour, refusez-moi le vôtre;Exposez à mes yeux le triomphe d'un autre,Oui, je souffrirai tout de vos divins appas,J'en mourrai, mais enfin je ne m'en plaindrai pas. ORPHISE. Quand de tels sentiments régneront dans votre âme,Je saurai de ma part... SCÈNE VI. Alcandre, Orphise, Éraste, La Montagne. ALCANDRE, à Orphise. Marquis, un mot. Madame,De grâce, pardonnez si je suis indiscret,En osant, devant vous, lui parler en secret. Orphise sort.Avec peine, Marquis, je te fais la prière ; Mais un homme vient là de me rompre en visière,Et je souhaite fort, pour ne rien reculer,Qu'à l'heure de ma part, tu l'ailles appeler.Tu sais, qu'en pareil cas, ce serait avec joie,Que je te le rendrais en la même monnaie. ÉRASTE, après avoir un peu demeuré sans parler. Je ne veux point ici faire le Capitan ;Mais on m'a vu soldat avant que courtisan.J'ai servi quatorze ans, et je crois être en passe,De pouvoir d'un tel pas me tirer avec grâce,Et de ne craindre point, qu'à quelque lâcheté Le refus de mon bras me puisse être imputé.Un duel met les gens en mauvaise posture,Et notre roi n'est pas un monarque en peinture.Il sait faire obéir les plus grands de l'État,Et je trouve qu'il fait en digne potentat, Quand il faut le servir, j'ai du coeur pour le faire ;Mais je ne m'en sens point, quand il faut lui déplaire.Je me fais de son ordre une suprême loi.Pour lui désobéir, cherche un autre que moi.Je te parle, Vicomte, avec franchise entière, Et suis ton serviteur en toute autre matière.Adieu. Cinquante fois au Diable les Fâcheux,Où donc s'est retiré cet objet de mes voeux ? LA MONTAGNE. Je ne sais. ÉRASTE. Pour savoir où la belle est allée,Va-t'en chercher partout, j'attends dans cette allée. BALLET DU PREMIER ACTE. PREMIÈRE ENTRÉE. PREMIÈRE ENTRÉE. PREMIÈRE ENTRÉE. PREMIÈRE ENTRÉE. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. ÉRASTE. Mes fâcheux à la fin se sont-ils écartés ?Je pense qu'il en pleut ici de tous côtés.Je les fuis, et les trouve, et pour second martyre,Je ne saurais trouver celle que je désire.Le tonnerre et la pluie ont promptement passé, Et n'ont point de ces lieux le beau monde chassé.Plût au ciel, dans les dons que ses soins y prodiguent,Qu'ils en eussent chassé tous les gens qui fatiguent !Le soleil baisse fort, et je suis étonné,Que mon valet encor ne soit point retourné. SCÈNE II. Alcippe, Éraste. ALCIPPE. Bonjour. ÉRASTE, à part. Eh quoi toujours ma flamme divertie ! ALCIPPE. Console-moi, Marquis, d'une étrange partie,[Note : Piquet : Sorte de jeu qu'on joue aujourd'hui avec trente-deux cartes, mais qui se jouait avec trente-six cartes. [L]]Qu'au piquet je perdis, hier contre un Saint-Bouvain,À qui je donnerais quinze points, et la main.C'est un coup enragé, qui depuis hier m'accable, Et qui ferait donner tous les joueurs au Diable ;Un coup assurément à se pendre en public.Il ne m'en faut que deux ; l'autre a besoin d'un pic.Je donne; il en prend six, et demande à refaire :Moi, me voyant de tout, je n'en voulus rien faire. Je porte l'As de Trèfle, admire mon malheur,L'As, le Roi, le Valet, le huit et dix de Coeur ;Et quitte, comme au point allait la politique,Dame, et Roi de Carreau ; dix et Dame de Pique.Sur mes cinq Coeurs portés la Dame arrive encor, Qui me fait justement une quinte major :Mais mon homme, avec l'As, non sans surprise extrême,Des bas Carreaux, sur table, étale une sixième.J'en avais écarté la Dame avec le Roi ;[Note : Fallant : participe présent du verbe falloir qui n'existe pas. ]Mais lui fallant un Pique, je sortis hors d'effroi, Et croyais bien du moins faire deux points uniques.Avec les sept Carreaux il avait quatre Piques,Et jetant le dernier, m'a mis dans l'embarras,De ne savoir lequel garder de mes deux As.J'ai jeté l'As de Coeur, avec raison me semble ; Mais il avait quitté quatre Trèfles ensemble,Et par un Six de Coeur je me suis vu capot,Sans pouvoir, de dépit, proférer un seul mot.Morbleu fais-moi raison de ce coup effroyable.À moins que l'avoir vu, peut-il être croyable ? ÉRASTE. C'est dans le jeu, qu'on voit les plus grands coups du sort. ALCIPPE. Parbleu tu jugeras, toi-même, si j'ai tort ;Et si c'est sans raison que ce coup me transporte ;Car voici nos deux jeux, qu'exprès sur moi je porte.Tiens, c'est ici mon port, comme je te l'ai dit, Et voici... ÉRASTE. J'ai compris le tout par ton récit,Et vois de la justice au transport qui t'agite ;Mais, pour certaine affaire, il faut que je te quitte :Adieu. Console-toi, pourtant, de ton malheur. ALCIPPE. Qui moi ? J'aurai toujours ce coup-là sur le coeur : Et c'est, pour ma raison, pis qu'un coup de tonnerre.Je le veux faire, moi, voir à toute la terre, Il s'en va, et prêt à rentrer, il dit par réflexion :Un six de coeur ! Deux points ! ÉRASTE. En quel lieu sommes-nous ?De quelque part qu'on tourne, on ne voit que des fous.Ah ! Que tu fais languir ma juste impatience ! SCÈNE III. Éraste, La Montagne. LA MONTAGNE. Monsieur, je n'ai pu faire une autre diligence. ÉRASTE. Mais me rapportes-tu quelque nouvelle enfin ? LA MONTAGNE. Sans doute ; et de l'objet qui fait votre destin,J'ai par un ordre exprès quelque chose à vous dire. ÉRASTE. Et quoi ? Déjà mon coeur après ce mot soupire, Parle. LA MONTAGNE. Souhaitez-vous de savoir ce que c'est ? ÉRASTE. Oui, dis vite. LA MONTAGNE. Monsieur, attendez, s'il vous plaît.Je me suis, à courir, presque mis hors d'haleine. ÉRASTE. Prends-tu quelque plaisir à me tenir en peine ? LA MONTAGNE. Puisque vous désirez de savoir promptement L'ordre que j'ai reçu de cet objet charmant,Je vous dirai... Ma foi, sans vous vanter mon zèle,J'ai bien fait du chemin, pour trouver cette belle ;Et si... ÉRASTE. Peste soit fait de tes digressions. LA MONTAGNE. Ah ! Il faut modérer un peu ses passions, Et Sénèque... ÉRASTE. Sénèque est un sot dans ta bouche,Puisqu'il ne me dit rien de tout ce qui me touche.Dis-moi ton ordre, tôt. LA MONTAGNE. Pour contenter vos voeux,Votre Orphise... Une bête est là dans vos cheveux. ÉRASTE. Laisse. LA MONTAGNE. Cette beauté de sa part vous fait dire... ÉRASTE. Quoi ! LA MONTAGNE. Devinez. ÉRASTE. Sais-tu que je ne veux pas rire ? LA MONTAGNE. Son ordre est qu'en ce lieu vous devez vous tenir,Assuré que dans peu vous l'y verrez venir,Lorsqu'elle aura quitté quelques provinciales,Aux personnes de Cour fâcheuses animales. ÉRASTE. Tenons-nous donc au lieu qu'elle a voulu choisir :Mais, puisque l'ordre ici m'offre quelque loisir,Laisse-moi méditer, j'ai dessein de lui faireQuelques vers sur un air où je la vois se plaire. Il se promène en rêvant. SCÈNE IV. Orante, Climène, Éraste, dans un coin du théâtre sans être aperçu. ORANTE. Tout le monde sera de mon opinion. CLIMÈNE. Croyez-vous l'emporter par obstination ? ORANTE. Je pense mes raisons meilleures que les vôtres. CLIMÈNE. Je voudrais qu'on ouït les unes et les autres. ORANTE, apercevant Éraste. J'avise un homme ici qui n'est pas ignorant ;Il pourra nous juger sur notre différend. Marquis, de grâce, un mot : souffrez qu'on vous appelle,Pour être, entre nous deux juges, d'une querelle,D'un débat, qu'ont ému nos divers sentiments,Sur ce qui peut marquer les plus parfaits amants. ÉRASTE. C'est une question à vider difficile, Et vous devez chercher un juge plus habile. ORANTE. Non, vous nous dites là d'inutiles chansons :Votre esprit fait du bruit, et nous vous connaissons ;Nous savons que chacun vous donne à juste titre... ÉRASTE. Hé de grâce,... ORANTE. En un mot vous serez notre arbitre, Et ce sont deux moments qu'il vous faut nous donner. CLIMÈNE, à Orante. Vous retenez ici qui vous doit condamner :Car enfin, s'il est vrai ce que j'en ose croire,Monsieur à mes raisons donnera la victoire. ÉRASTE, à Orante. Que ne puis-je à mon traître inspirer le souci, D'inventer quelque chose à me tirer d'ici ! ORANTE. Pour moi, de son esprit j'ai trop bon témoignage,Pour craindre qu'il prononce à mon désavantage.Enfin, ce grand débat qui s'allume entre nous,Est de savoir s'il faut qu'un amant soit jaloux. CLIMÈNE. Ou, pour mieux expliquer ma pensée et la vôtre,Lequel doit plaire plus d'un jaloux ou d'un autre. ORANTE. Pour moi, sans contredit, je suis pour le dernier. CLIMÈNE. Et dans mon sentiment je tiens pour le premier. ORANTE. Je crois que notre coeur doit donner son suffrage, À qui fait éclater du respect davantage. CLIMÈNE. Et moi, que si nos voeux doivent paraître au jour,C'est pour celui qui fait éclater plus d'amour. ORANTE. Oui, mais on voit l'ardeur dont une âme est saisie.Bien mieux dans le respect que dans la jalousie. CLIMÈNE. Et c'est mon sentiment, que qui s'attache à nousNous aime d'autant plus, qu'il se montre jaloux. ORANTE. [Note : Fi : Particule qui sert à faire une exclamation pour témoigner le mépris, la haine, l'aversion qu'on a pour quelque personne ou quelque chose. [F]]Fi ne me parlez point, pour être amants, Climène,De ces gens dont l'amour est fait comme la haine,Et qui, pour tous respects, et toute offre de voeux, Ne s'appliquent jamais, qu'à se rendre fâcheux ;Dont l'âme, que sans cesse un noir transport anime,Des moindres actions cherche à nous faire un crime,En soumet l'innocence à son aveuglement,Et veut, sur un coup d'oeil, un éclaircissement : Qui de quelque chagrin nous voyant l'apparence,Se plaignent aussitôt, qu'il naît de leur présence,Et lorsque dans nos yeux brille un peu d'enjouement,Veulent que leurs rivaux en soient le fondement :Enfin, qui prenant droit des fureurs de leur zèle, Ne vous parlent jamais, que pour faire querelle ;Osent défendre à tous l'approche de nos coeurs,Et se font les tyrans de leurs propres vainqueurs.Moi, je veux des amants que le respect inspire ;Et leur soumission marque mieux notre empire. CLIMÈNE. Fi ne me parlez point, pour être vrais amants,De ces gens, qui pour nous n'ont nuls emportements ;De ces tièdes galants, de qui les coeurs paisibles,Tiennent déjà pour eux les choses infaillibles ;N'ont point peur de nous perdre, et laissent chaque jour, Sur trop de confiance endormir leur amour ;Sont avec leurs rivaux en bonne intelligence,Et laissent un champ libre à leur persévérance.Un amour si tranquille excite mon courroux.C'est aimer froidement que n'être point jaloux ; Et je veux qu'un amant, pour me prouver sa flamme,Sur d'éternels soupçons laisse flotter son âme,Et par de prompts transports, donne un signe éclatantDe l'estime qu'il fait de celle qu'il prétend.On s'applaudit alors de son inquiétude, Et s'il nous fait parfois un traitement trop rude,Le plaisir de le voir soumis à nos genoux,S'excuser de l'éclat qu'il a fait contre nous,Ses pleurs, son désespoir d'avoir pu nous déplaire,Est un charme à calmer toute notre colère. ORANTE. Si pour vous plaire il faut beaucoup d'emportement,Je sais qui vous pourrait donner contentement ;Et je connais des gens dans Paris plus de quatre,Qui, comme ils le font voir, aiment jusques à battre. CLIMÈNE. Si pour vous plaire il faut n'être jamais jaloux, Je sais certaines gens fort commodes pour vous ;Des hommes en amour d'une humeur si souffrante,Qu'ils vous verraient sans peine entre les bras de trente. ORANTE. Enfin par votre arrêt vous devez déclarer,Celui de qui l'amour vous semble à préférer. ÉRASTE. Puisqu'à moins d'un arrêt je ne m'en puis défaire,Toutes deux à la fois je vous veux satisfaire ;Et pour ne point blâmer ce qui plaît à vos yeux,Le jaloux aime plus, et l'autre aime bien mieux. CLIMÈNE. L'arrêt est plein d'esprit ; mais... ÉRASTE. Suffit, j'en suis quitte. Après ce que j'ai dit, souffrez que je vous quitte. SCÈNE V. Orphise, Éraste. ÉRASTE. Que vous tardez, Madame, et que j'éprouve bien... ORPHISE. Non, non, ne quittez pas un si doux entretien.À tort vous m'accusez d'être trop tard venue,Et vous avez de quoi vous passer de ma vue. ÉRASTE. Sans sujet contre moi voulez-vous vous aigrir,Et me reprochez-vous ce qu'on me fait souffrir ?Ha ! De grâce, attendez,... ORPHISE. Laissez-moi, je vous prie,Et courez vous rejoindre à votre compagnie. Elle sort. ÉRASTE. Ciel, faut-il qu'aujourd'hui fâcheuses et fâcheux, Conspirent à troubler les plus chers de mes voeux !Mais allons sur ses pas, malgré sa résistance,Et faisons à ses yeux briller notre innocence. SCÈNE VI. Dorante, Éraste. DORANTE. Ha Marquis que l'on voit de fâcheux tous les jours,Venir de nos plaisirs interrompre le cours ! Tu me vois enragé d'une assez belle chasse,Qu'un fat... C'est un récit qu'il faut que je te fasse. ÉRASTE. Je cherche ici quelqu'un, et ne puis m'arrêter. DORANTE, le retenant. Parbleu chemin faisant je te le veux conter.Nous étions une troupe, assez bien assortie, Qui pour courir un cerf avions hier fait partie ;Et nous fûmes coucher sur le pays exprès,C'est-à-dire, mon cher, en fin fond de forêts.Comme cet exercice est mon plaisir suprême,Je voulus, pour bien faire, aller au bois moi-même ; Et nous conclûmes tous d'attacher nos efforts,Sur un cerf, qu'un chacun nous disait cerf dix-cors ;Mais moi, mon jugement, sans qu'aux marques j'arrête,Fut qu'il n'était que cerf à sa seconde tête.Nous avions, comme il faut, séparé nos relais, Et déjeunions en hâte, avec quelques oeufs frais ;Lorsqu'un franc campagnard, avec longue rapière,Montant superbement sa jument poulinière,Qu'il honorait du nom de sa bonne jument,S'en est venu nous faire un mauvais compliment, Nous présentant aussi, pour surcroît de colère,Un grand benêt de fils, aussi sot que son père.Il s'est dit grand chasseur, et nous a priés tous,Qu'il pût avoir le bien de courir avec nous.Dieu préserve, en chassant, toute sage personne, [Note : Huchet : Cornet pour avertir de loin. [L]]D'un porteur de huchet, qui mal à propos sonne ;[Note : Houret : Mauvais chien de chasse. Molière raille ces chasseurs qui suivis de dix hourets galeux, disent ma meute. [F]]De ces gens qui, suivis de dix hourets galeuxDisent ma meute, et font les chasseurs merveilleux.Sa demande reçue, et ses vertus prisées,Nous avons été tous frapper à nos brisées. À trois longueurs de trait, tayaut ; voilà d'abordLe cerf donné aux chiens. J'appuie, et sonne fort.Mon cerf débuche, et passe une assez longue plaine,Et mes chiens après lui ; mais si bien en haleine,[Note : Justaucorps : Habit d'homme, qui descend jusqu'aux genoux, et qui serre le corps, d'où lui est venu son nom. [FC]]Qu'on les aurait couverts tous d'un seul justaucorps. Il vient à la forêt. Nous lui donnons alorsLa vieille meute ; et moi, je prends en diligence[Note : Alezan : Ne s'emploie qu'on parlant du cheval ou de la jument. Il désigne ce genre de robe dans laquelle le corps est recouvert de poils rouges ou bruns plus ou moins foncés, les crins et les extrémités étant de même couleur ou d'une nuance plus claire. [L]]Mon cheval alezan. Tu l'as vu ? ÉRASTE. Non, je pense. DORANTE. Comment ? C'est un cheval aussi bon qu'il est beau,[Note : Gaveau : est un célèbre marchand de chevaux de l'époque.]Et que ces jours passés, j'achetai de Gaveau. Je te laisse à penser si sur cette matière,Il voudrait me tromper, lui qui me considère :Aussi je m'en contente, et jamais, en effet,Il n'a vendu cheval, ni meilleur, ni mieux fait.Une tête de barbe, avec l'étoile nette ; L'encolure d'un cygne, effilée, et bien droite ;Point d'épaules non plus qu'un lièvre ; court-jointé,Et qui fait dans son port voir sa vivacité.Des pieds, morbleu, des pieds ! Le rein double : à vrai dire,J'ai trouvé le moyen, moi seul, de le réduire, Et sur lui, quoique aux yeux il montrât beau semblant,Petit-Jean de Gaveau ne montait qu'en tremblant.Une croupe, en largeur, à nulle autre pareille ;Et des gigots, Dieu sait ! Bref, c'est une merveille ;Et j'en ai refusé cent pistoles, crois-moi, Au retour d'un cheval amené pour le Roi.Je monte donc dessus, et ma joie était pleine,De voir filer de loin les coupeurs dans la plaine ;Je pousse, et je me trouve en un fort à l'écart,[Note : Drécar : était un célèbre piqueur.]À la queue de nos chiens, moi seul avec Drécar. Une heure là-dedans notre cerf se fait battre.J'appuie alors mes chiens, et fais le diable à quatre :Enfin jamais chasseur ne se vit plus joyeux ;Je le relance seul, et tout allait des mieux ;Lorsque d'un jeune cerf s'accompagne le nôtre, Une part de mes chiens se sépare de l'autre,Et je les vois, Marquis, comme tu peux penser,Chasser tous avec crainte, et Finaut balancer.Il se rabat soudain, dont j'eus l'âme ravie ;Il empaume la voie, et moi je sonne et crie, À Finaut à Finaut : j'en revois à plaisir,Sur une taupinière, et resonne à loisir.Quelques chiens revenaient à moi, quand pour disgrâce,Le jeune cerf, Marquis, à mon campagnard passe.Mon étourdi se met à sonner comme il faut, Et crie à pleine voix, tayaut, tayaut, tayaut.Mes chiens me quittent tous, et vont à ma pécore,J'y pousse et j'en revois dans le chemin encore ;Mais à terre, mon cher, je n'eus pas jeté l'oeil,Que je connus le change, et sentis un grand deuil. J'ai beau lui faire voir toutes les différences,Des pinces de mon cerf, et de ses connaissances ;Il me soutient toujours, en chasseur ignorant,Que c'est le cerf de meute, et par ce différendIl donne temps aux chiens d'aller loin : j'en enrage, Et pestant de bon coeur contre le personnage,Je pousse mon cheval et par haut et par bas :[Note : Gaulis : Terme de chasse. Grandes branches qui arrêtent les chasseurs en courant dans l'épaisseur des bois. [L]]Qui pliait des gaulis aussi gros que les bras :Je ramène les chiens à ma première voie,Qui vont, en me donnant une excessive joie, Requérir notre cerf, comme s'ils l'eussent vu :Ils le relancent ; mais, ce coup est-il prévu ?À te dire le vrai, cher marquis, il m'assomme.Notre cerf relancé va passer à notre homme,Qui croyant faire un trait de chasseur fort vanté, D'un pistolet d'arçon qu'il avait apportéLui donne justement au milieu de la tête,Et de fort loin me crie, ah ! J'ai mis bas la bête.A-t-on jamais parlé de pistolets, bon Dieu !Pour courre un cerf ? Pour moi, venant dessus le lieu, J'ai trouvé l'action tellement hors d'usage,Que j'ai donné des deux à mon cheval, de rage,Et m'en suis revenu chez moi toujours courant,Sans vouloir dire un mot à ce sot ignorant. ÉRASTE. Tu ne pouvais mieux faire, et ta prudence est rare : C'est ainsi, des fâcheux, qu'il faut qu'on se sépare ;Adieu. DORANTE. Quand tu voudras, nous irons quelque part,Où nous ne craindrons point de chasseur campagnard. ÉRASTE, seul. Fort bien. Je crois qu'enfin je perdrai patience.Cherchons à m'excuser avec diligence. BALLET DU SECOND ACTE. PREMIÈRE ENTRÉE. PREMIÈRE ENTRÉE. PREMIÈRE ENTRÉE. PREMIÈRE ENTRÉE. PREMIÈRE ENTRÉE. PREMIÈRE ENTRÉE. PREMIÈRE ENTRÉE. PREMIÈRE ENTRÉE. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Éraste, La Montagne. ÉRASTE. Il est vrai, d'un côté mes soins ont réussi :Cet adorable objet enfin s'est adouci :Mais, d'un autre on m'accable, et les astres sévères,Ont, contre mon amour, redoublé leurs colères.Oui Damis son tuteur, mon plus rude fâcheux, Tout de nouveau s'oppose aux plus doux de mes voeux,À son aimable nièce a défendu ma vue,Et veut, d'un autre époux, la voir demain pourvue.Orphise toutefois, malgré son désaveu,Daigne accorder ce soir une grâce à mon feu ; Et j'ai fait consentir l'esprit de cette belle,À souffrir qu'en secret je la visse chez elle.L'amour aime surtout les secrètes faveurs ;Dans l'obstacle, qu'on force, il trouve des douceurs ;Et le moindre entretien de la beauté qu'on aime, Lorsqu'il est défendu, devient grâce suprême.Je vais au rendez-vous : c'en est l'heure, à peu près :Puis, je veux m'y trouver plutôt avant qu'après. LA MONTAGNE. Suivrai-je vos pas ? ÉRASTE. Non, je craindrais que peut-êtreÀ quelques yeux suspects tu me fisses connaître. LA MONTAGNE. Mais... ÉRASTE. Je ne le veux pas. LA MONTAGNE. Je dois suivre vos lois :Mais au moins si de loin... ÉRASTE. Te tairas-tu, vingt fois ?Et ne veux-tu jamais quitter cette méthode,De te rendre, à toute heure, un valet incommode ! SCÈNE II. Caritidès, Éraste. CARITIDÈS. Monsieur, le temps répugne à l'honneur de vous voir. Le matin est plus propre à rendre un tel devoir :Mais de vous rencontrer il n'est pas bien facile ;Car vous dormez toujours, où vous êtes en ville ;Au moins, Messieurs vos gens me l'assurent ainsi,Et j'ai, pour vous trouver, pris l'heure que voici. Encore est-ce un grand heur dont le destin m'honore ;Car deux moments plus tard, je vous manquais encore. ÉRASTE. Monsieur, souhaitez-vous quelque chose de moi ? CARITIDÈS. Je m'acquitte, Monsieur, de ce que je vous dois ;Et vous viens... Excusez l'audace qui m'inspire, Si... ÉRASTE. Sans tant de façons, qu'avez-vous à me dire ? CARITIDÈS. Comme le rang, l'esprit, la générosité,Que chacun vante en vous... ÉRASTE. Oui, je suis fort vanté.Passons, monsieur. CARITIDÈS. Monsieur, c'est une peine extrême,Lorsqu'il faut à quelqu'un se produire soi-même, Et toujours, près des grands on doit être introduit,Par des gens, qui de nous fassent un peu de bruit ;Dont la bouche écoutée, avec poids débite,Ce qui peut faire voir notre petit mérite :Enfin j'aurais voulu que des gens bien instruits, Vous eussent pu, Monsieur, dire ce que je suis. ÉRASTE. Je vois assez, Monsieur, ce que vous pouvez être,Et votre seul abord le peut faire connaître. CARITIDÈS. Oui, je suis un savant charmé de vos vertus.[Note : Us : Terme de pratique, qui ne se dit qu'avec le mot coutumes, dont il est le synonyme. C'est la manière ordinaire d'agir qui a passé en force de loi. [F] ]Non pas de ces savants, dont le nom n'est qu'en us : Il n'est rien si commun, qu'un nom à la Latine.Ceux qu'on habille en grec ont bien meilleure mine ;Et pour en avoir un qui se termine en es,Je me fais appeler Monsieur Caritidès. ÉRASTE. Monsieur Caritidès soit, qu'avez-vous à dire ? CARITIDÈS. C'est un placet, Monsieur, que je voudrais vous lire ;Et que, dans la posture, où vous met votre emploi,J'ose vous conjurer de présenter au Roi. ÉRASTE. Hé ! Monsieur, vous pouvez le présenter vous-même. CARITIDÈS. Il est vrai que le Roi fait cette grâce extrême ; Mais par ce même excès de ses rares bontés,[Note : Placet : requête abrégée, ou prière qu'on présente au roi, aux ministres, ou aux juges pour leur demander quelque grâce, quelque audience, pour quelque recommandation. [F]]Tant de méchants placets, Monsieur, sont présentés,Qu'ils étouffent les bons ; et l'espoir où je fonde,Est qu'on donne le mien, quand le prince est sans monde. ÉRASTE. Eh bien ! Vous le pouvez, et prendre votre temps. CARITIDÈS. Ah Monsieur ! Les huissiers sont de terribles gens.[Note : Nasardes : chiquenaude que l'on donne sur le bout du nez. On dit d'un homme ridicule, et faible, qu'il a le nez à camouflets ou à nasardes. [F]]Ils traitent les savants de faquins à nasardes ;Et je n'en puis venir qu'à la salle des gardes.Les mauvais traitements qu'il me faut endurer,Pour jamais de la Cour me feraient retirer, Si je n'avais conçu l'espérance certaine,Qu'auprès de notre roi vous serez mon mécène.Oui, votre crédit m'est un moyen assuré... ÉRASTE. Eh bien donnez moi donc, je le présenterai. CARITIDÈS. Le voici ; mais au moins oyez-en la lecture. ÉRASTE. Non... CARITIDÈS. C'est pour être instruit, Monsieur, je vous conjure.AU ROI.SIRE,Votre très humble, très obéissant, très fidèle et très savant sujet et serviteur Caritidès, français de nation, grec de profession, ayant considéré les grands et notables abus, qui se commettent aux inscriptions des enseignes des maisons, boutiques, cabarets, jeux de boule, et autres lieux de votre bonne Ville de Paris, en ce que certains ignorants compositeurs desdites inscriptions renversent, par une barbare, pernicieuse et détestable orthographe toute sorte de sens et raison, sans aucun égard d'étymologie, analogie, énergie, ni allégorie quelconque ; au grand scandale de la République des Lettres, et de la nation Française, qui se décrie et déshonore par lesdits abus, et fautes grossières, envers les étrangers, et notamment envers les Allemands, curieux lecteurs, et inspectateurs desdites Inscriptions,... ÉRASTE. Ce placet est fort long et pourrait bien fâcher... CARITIDÈS. Ah ! Monsieur pas un mot ne s'en peut retrancher. ÉRASTE. Achevez promptement. CARITIDÈS, continue. Supplie humblement Votre Majesté de créer, pour le bien de son État, et la gloire de son empire, une charge de contrôleur, intendant, correcteur, réviseur, et restaurateur général desdites inscriptions ; et d'icelle honorer le suppliant, tant en considération de son rare et éminent savoir, que des grands et signalés services qu'il a rendus à l'État et à votre Majesté en faisant l'anagramme de votre dite majesté en Français, Latin, Grec, Hébreu, Syriaque, Chaldéen, Arabe... ÉRASTE, l'interrompant. Fort bien : donne[z]-le vite, et faites la retraite :Il sera vu du Roi ; c'est une affaire faite. CARITIDÈS. Hélas ! Monsieur, c'est tout que montrer mon placet.Si le Roi le peut voir, je suis sûr de mon fait :Car comme sa justice en toute chose est grande,Il ne pourra jamais refuser ma demande.Au reste, pour porter au ciel votre renom, Donnez-moi par écrit votre nom, et surnom,[Note : Acrostiche : Sorte de poésie disposée de telle façon, que chacun des vers commence par une lettre qui fait partie d'un nom qu'on écrit de travers dans la marge. [F]]J'en veux faire un poème, en forme d'acrostiche,[Note : Hémistiche : La moitié d'un vers. [F]]Dans les deux bouts du vers, et dans chaque hémistiche. ÉRASTE. Oui, vous l'aurez demain, Monsieur Caritidès.Ma foi, de tels savants sont des ânes bien faits. J'aurais dans d'autres temps bien ri de sa sottise... SCÈNE III. Ormin, Éraste. ORMIN. Bien qu'une grande affaire en ce lieu me conduise,J'ai voulu qu'il sortît avant que vous parler. ÉRASTE. Fort bien, mais dépêchons, car je veux m'en aller. ORMIN. Je me doute à peu près que l'homme qui vous quitte Vous a fort ennuyé, Monsieur, par sa visite :C'est un vieux importun, qui n'a pas l'esprit sain,Et pour qui j'ai toujours quelque défaite en main.Au Mail, à Luxembourg et dans les Tuileries,Il fatigue le monde, avec ses rêveries : Et des gens comme vous doivent fuir l'entretienDe tous ces savants, qui ne sont bons à rien.Pour moi, je ne crains pas que je vous importune,Puisque je viens, Monsieur, faire votre fortune. ÉRASTE. Voici quelque souffleur, de ces gens qui n'ont rien ; Et vous viennent toujours promettre tant de bien.Vous avez fait, Monsieur, cette bénite pierre,Qui peut seule enrichir tous les Rois de la terre ? ORMIN. La plaisante pensée, hélas, où vous voilà !Dieu me garde, Monsieur, d'être de ces fous-là. Je ne me repais point de visions frivoles,Et je vous porte ici les solides paroles,D'un avis, que pour vous je veux donner au Roi ;Et que tout cacheté je conserve sur moi.Non de ces sots projets, de ces chimères vaines, Dont les surintendants ont les oreilles pleines ;Non de ces gueux d'avis, dont les prétentionsNe parlent que de vingt ou trente millions :Mais un, qui tous les ans, à si peu qu'on le monte,En peut donner au Roi quatre cents, de bon conte : Avec facilité, sans risque, ni soupçon,Et sans fouler le peuple en aucune façon.Enfin c'est un avis d'un gain inconcevable,Et que du premier mot on trouvera faisable.Oui, pourvu que par vous je puisse être poussé... ÉRASTE. Soit, nous en parlerons, je suis un peu pressé. ORMIN. Si vous me promettiez de garder le silence,Je vous découvrirais cet avis d'importance. ÉRASTE. Non, non, je ne veux point savoir votre secret. ORMIN. Monsieur, pour le trahir, je vous crois trop discret, Et veux, avec franchise, en deux mots vous l'apprendre.Il faut voir si quelqu'un ne peut point nous entendre.Cet avis merveilleux, dont je suis l'inventeur,Est que... ÉRASTE. D'un peu plus loin, et pour cause, Monsieur. ORMIN. Vous voyez le grand gain, sans qu'il faille le dire, Que de ces ports de mer le Roi tous les ans tire.Or l'avis dont encor nul ne s'est avisé,Est qu'il faut de la France, et c'est un coup aisé,En fameux ports de mer, mettre toutes les côtes.Ce serait pour monter à des sommes très hautes, Et si... ÉRASTE. L'avis est bon, et plaira fort au Roi.Adieu, nous nous verrons. ORMIN. Au moins, appuyez-moi,Pour en avoir ouvert les premières paroles. ÉRASTE. Oui, oui. ORMIN. [Note : Pistole : Monnaie d'or étrangère battue en Espagne, et en quelques endroits d'Italie. La pistole est maintenant [XVIIème] d'une valeur de onze livres, et du poids des louis, et au même titre et remède. On dit qu'un homme a bien des pistoles pour dire qu'il est riche. ]Si vous vouliez me prêter deux pistoles,Que vous reprendriez sur le droit de l'avis, Monsieur... ÉRASTE. Oui, volontiers. Plût à Dieu, qu'à ce prixDe tous les importuns je pusse me voir quitte !Voyez quel contretemps prend ici leur visite !Je pense qu'à la fin je pourrai bien sortir.Viendra-t-il point quelqu'un encor me divertir ? SCÈNE IV. Filinte, Éraste. FILINTE. Marquis, je viens d'apprendre une étrange nouvelle. ÉRASTE. Quoi ? FILINTE. Qu'un homme tantôt t'a fait une querelle. ÉRASTE. À moi ? FILINTE. Que te sert-il de le dissimuler ?Je sais de bonne part qu'on t'a fait appeler ;Et comme ton ami, quoi qu'il en réussisse, Je te viens, contre tous, faire offre de service. ÉRASTE. Je te suis obligé ; mais crois que tu me fais... FILINTE. Tu ne l'avoueras pas, mais tu sors sans valets :Demeure dans la ville, ou gagne la campagne,Tu n'iras nulle part que je ne t'accompagne. ÉRASTE. Ah j'enrage ! FILINTE. À quoi bon de te cacher de moi ? ÉRASTE. Je te jure, Marquis, qu'on s'est moqué de toi. FILINTE. En vain tu t'en défends. ÉRASTE. Que le ciel me foudroie,Si d'aucun démêlé... FILINTE. Tu penses qu'on te croie ? ÉRASTE. Eh mon Dieu ! Je te dis, et ne déguise point, Que... FILINTE. Ne me crois pas dupe, et crédule à ce point. ÉRASTE. Veux-tu m'obliger ? FILINTE. Non. ÉRASTE. Laisse-moi, je te prie. FILINTE. Point d'affaire, Marquis. ÉRASTE. Une galanterie,En certain lieu ce soir... FILINTE. Je ne te quitte pas :En quel lieu que ce soit, je veux suivre tes pas. ÉRASTE. Parbleu, Puisque tu veux que j'aie une querelle,Je consens à l'avoir pour contenter ton zèle :Ce sera contre toi, qui me fais enrager,Et dont je ne me puis par douceur dégager. FILINTE. C'est fort mal d'un ami recevoir le service : Mais puisque je vous rends un si mauvais office,Adieu, videz sans moi tout ce que vous aurez. ÉRASTE. Vous serez mon ami quand vous me quitterez.Mais voyez quels malheurs suivent ma destinée !Ils m'auront fait passer l'heure qu'on m'a donnée. SCÈNE V. Damis, L'Épine, Éraste, La Rivière. DAMIS. Quoi, malgré moi le traître espère l'obtenir ?Ah ! Mon juste courroux le saura prévenir. ÉRASTE, à part. J'entrevois là quelqu'un sur la porte d'Orphise.Quoi toujours quelque obstacle aux feux qu'elle autorise ! DAMIS, à L'Épine. Oui, j'ai su que ma nièce, en dépit de mes soins, Doit voir ce soir chez elle Éraste sans témoins. LA RIVIÈRE. Qu'entends-je à ces gens-là dire de notre maître ?Approchons doucement, sans nous faire connaître. DAMIS. Mais avant qu'il ait lieu d'achever son dessein,Il faut de mille coups percer son traître sein. Va,-t'en faire venir ceux que je viens de dire,Pour les mettre en embûche aux lieux que je désire ;Afin, qu'au nom d'Éraste, on soit prêt à vengerMon honneur, que ses feux ont l'orgueil d'outrager ;À rompre un rendez-vous, qui dans ce lieu l'appelle, Et noyer dans son sang sa flamme criminelle. LA RIVIÈRE, attaquant Damis avec ses compagnons. Avant qu'à tes fureurs on puisse l'immoler,Traître tu trouveras en nous à qui parler. ÉRASTE, mettant l'épée à la main. Bien qu'il m'ait voulu perdre, un point d'honneur me presseDe secourir ici l'oncle de ma maîtresse. Je suis à vous, Monsieur. DAMIS, après leur fuite. Ô ciel, par quel secours,D'un trépas assuré vois-je sauver mes jours !À qui suis-je obligé d'un si rare service ? ÉRASTE, revenant. Je n'ai fait, vous servant, qu'un acte de justice. DAMIS. Ciel ! Puis-je à mon oreille ajouter quelque foi ? Est-ce la main d'Éraste... ÉRASTE. Oui, oui, Monsieur, c'est moi.Trop heureux que ma main vous ait tiré de peine,Trop malheureux d'avoir mérité votre haine. DAMIS. Quoi celui, dont j'avais résolu le trépas,Est celui, qui pour moi, vient d'employer son bras ? Ah ! C'en est trop, mon coeur est contraint de se rendre ;Et quoi que votre amour, ce soir, ait pu prétendreCe trait si surprenant de générosité,Doit étouffer en moi toute animosité.Je rougis de ma faute, et blâme mon caprice. Ma haine, trop longtemps, vous a fait injustice ;Et pour la condamner par un éclat fameux,Je vous joins, dès ce soir, à l'objet de vos voeux. SCÈNE VI. Orphise, Damis, Éraste, suite. ORPHISE, venant avec un flambeau d'argent à la main. Monsieur quelle aventure a d'un trouble effroyable... ? DAMIS. Ma nièce elle n'a rien que de très agréable, Puisque après tant de voeux que j'ai blâmés en vous,C'est elle qui vous donne Éraste pour époux.Son bras a repoussé le trépas, que j'évite ;Et je veux, envers lui, que votre main m'acquitte. ORPHISE. Si c'est pour lui payer ce que vous lui devez, J'y consens, devant tout, aux jours qu'il a sauvés. ÉRASTE. Mon coeur est si surpris d'une telle merveille,Qu'en ce ravissement, je doute, si je veille. DAMIS. Célébrons l'heureux sort, dont vous allez jouir ;Et que nos violons viennent nous réjouir. Comme les violons veulent jouer, on frappe à la porte de Damis. ÉRASTE. Qui frappe là si fort ? L'ÉPINE. Monsieur ce sont des masques,[Note : Crin-crin : Terme très familier. Mauvais violon. [L]]Qui portent des crin-crins, et des tambours de Basques. Les masques entrent qui occupent toute la place. ÉRASTE. Quoi toujours des fâcheux, holà Suisses, ici,Qu'on me fasse sortir ces gredins que voici. BALLET DU TROISIÈME ACTE. PREMIÈRE ENTRÉE. PREMIÈRE ENTRÉE. PREMIÈRE ENTRÉE. PREMIÈRE ENTRÉE. ==================================================