******************************************************** DC.Title = PSYCHÉ, TRAGÉDIE-BALLET DC.Author = MOLIERE DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie-ballet DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 30/03/2023 à 06:48:47. DC.Coverage = Grèce DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MOLIERE_PSYCHE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5603509t DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** PSYCHÉ TRAGI-BALLET M. DC. LXXIII. Par J.B.P. MOLIÈRE À PARIS, Chez CLAUDE BARBIN, au Palais, sur le Second Perron de la Sainte Chapelle.Achevé d'imprimer le 12 avril 1673. Représentée pour le roi dans la grande salle des machines du Palais des tuileries en janvier et durant tout le carnaval de l'année 1671 par la Troupe du Roi et donnée au public sur le Théâtre de la salle du Palais-Royal, le 24e juillet 1671. AVERTISSEMENT. Cet ouvrage n'est pas tout d'une même main. Le Carnaval approchait, et les ordres pressants du Roi, qui voulait en voir plusieurs représentations avant le Carême, obligèrent Molière à avoir recours à d'autres personnes. Il n'y a que le plan et la disposition du sujet, les vers qui se récitent dans le prologue, le prologue, le premier acte, la première scène du second acte, et la première scène du troisième. Le reste de la pièce est de Pierre Corneille, qui y a employé une quinzaine de jours. Les paroles qui se chantent, sont de Quinault, à la réserve de la plainte italienne. ACTEURS DU PROLOGUE. FLORE. VERTUMNE, Dieu des Jardins. PALÉMON, Dieu des Eaux. AEGIALE, Grâce. VÉNUS, Grâce. L'AMOUR. ÉGIALE, grâce. PHAENE, grâce. NYMPHES de la suite de Flore, chantantes. DRYADES, de la Suite de Vertumne, dansant. SYLVAINS, de la Suite de Vertumne, dansants et chantants. DIEUX DES FLEUVES, de la Suite de Palémon, dansants. NAÏADES. AMOURS, de la suite de Vénus, dansants. ACTEURS JUPITER. VÉNUS. L'AMOUR. AEGIALE, Grâce. PHÈNE, Grâce. PSYCHÉ. LE ROI, père de Psyché. AGLAURE, soeur de Psyché. CIDIPPE, soeur de Psyché. CLÉOMÈNE, prince amant de Psyché. AGÉNOR, prince amant de Psyché. LE ZÉPHYR. LYCAS, capitaine des gardes. LE DIEU D'UN FLEUVE. SUITE DU ROI. Extrait de "Les Oeuvres de Monsieur de Molière, Tome VII", Barbin, 1673, pp. 1-90 PROLOGUE Le théâtre représente, sur le devant, un lieu champêtre, et la mer dans le fond. SCÈNE PREMIÈRE. Flore, Vertumne, Palémon, Nymphes de Flore, Dryades, Sylvains, Fleuves, Naïades. On voit des nuages suspendus en l'air qui, en descendant, roulent, s'ouvrent, s'étendent ; et, répandu dans toute la largeur du théâtre, laissent voir Vénus et l'Amour accompagnés de six Amours, et, à leurs côtés, Égiale et Phaene. FLORE. Ce n'est plus le temps de la guerre ;Le plus puissant des RoisInterrompt ses exploits,Pour donner la paix à la terre.Descendez, Mère des Amours, Venez nous donner de beaux jours. Vertumne et Palaemon, avec les divinités qui les accompagnent, joignent leurs voix à celle de Flore, et chantent ces paroles. CHOEUR DES DIVINITÉS DE LA TERRE ET DES EAUX. Nous goûtons une paix profonde ;Les plus doux jeux sont ici-bas ;On doit ce repos plein d'appasAu plus Grand Roi du Monde. Descendez, mère des Amours,Venez nous donner de beaux jours. Il se fait ensuite une entrée de ballet, composée de deux Dryades, quatre Sylvains, deux Fleuves et deux Naïades. Après laquelle, Vertumne et Palaemon chantent ce dialogue. VERTUMNE. Rendez-vous, beautés cruelles,Soupirez à votre tour. PALAEMON. Voici la reine des Belles, Qui vient inspirer l'amour. VERTUMNE. Un bel objet toujours sévèreNe se fait jamais bien aimer. PALAEMON. C'est la beauté qui commence de plaire,Mais la douceur achève de charmer. [VERTUMNE, PALAEMON]. Ils répètent ensemble ces derniers vers.C'est la beauté qui commence de plaire.Mais la douceur achève de charmer. VERTUMNE. Souffrons tous qu'Amour nous blesse ;Languissons, puisqu'il le faut. PALAEMON. Que sert un coeur sans tendresse ? Est-il un plus grand défaut ? VERTUMNE. Un bel objet toujours sévèreNe se fait jamais bien aimer. PALAEMON. C'est la beauté qui commence de plaire,Mais la douceur achève de charmer. Flore répond au Dialogue de Vertumne et de Palaemon, par ce menuet ; et les autres Divinités y mêlent leurs danses. FLORE. Est-on sageDans le bel âge,Est-on sageDe n'aimer pas ?Que sans cesse L'on se presseDe goûter les plaisirs ici-bas :La sagesseDe la jeunesse,C'est de savoir jouir de ses appas. L'amour charmeCeux qu'il désarme ;L'Amour charme,Cédons-lui tous,Notre peine Serait vaineDe vouloir résister à ses coups :Quelque chaîneQu'un amant prenne,La liberté n'a rien qui soit si doux. Vénus descend du ciel dans une grande machine avec l'Amour son fils, et deux petites Grâces, nommés AEgiale et Phaène, et les Divinités de la Terre et des Eaux recommencent de joindre toutes leurs voix, et continuent par leurs danses de lui témoigner la joie qu'elles ressentent à son abord. CHOEUR DE TOUTES LES DIVINITÉS DE LA TERRE ET DES EAUX. Nous goûtons une paix profonde ;Les plus doux jeux sont ici-bas ;On doit ce repos plein d'appasAu plus grand Roi du Monde.Descendez, mère des Amours, Venez nous donner de beaux jours. VÉNUS, dans sa machine. Cessez, cessez pour moi tous vos chants d'allégresse :De si rares honneurs ne m'appartiennent pas,Et l'hommage qu'ici votre bonté m'adresseDoit être réservé pour de plus doux appas. C'est une trop vieille méthodeDe me venir faire sa Cour ;Toutes les choses ont leur tour,Et Vénus n'est plus à la mode.Il est d'autres attraits naissants, Où l'on va porter ses encens ;Psyché, Psyché la belle, aujourd'hui tient ma place,Déjà tout l'Univers s'empresse à l'adorer,Et c'est trop que dans ma disgrâceJe trouve encor quelqu'un qui me daigne honorer. On ne balance point entre nos deux mérites,À quitter mon parti tout s'est licencié,Et du nombreux amas de Grâces favorites,Dont je traînais partout les soins et l'amitié,Il ne m'en est resté que deux des plus petites, Qui m'accompagnent par pitié.Souffrez que ces demeures sombresPrêtent leur solitude aux troubles de mon coeur,Et me laissez parmi leurs ombresCacher ma honte et ma douleur. Flore et les autres Déités se retirent, et Vénus avec sa suite sort de sa machine. AEGIALE. Nous ne savons, Déesse, comment faire,Dans ce chagrin qu'on voit vous accabler :Notre respect veut se taire,Notre zèle veut parler. VÉNUS. Parlez, mais si vos soins aspirent à me plaire, Laissez tous vos conseils pour une autre saison,Et ne parlez de ma colère,Que pour dire que j'ai raison.C'était là, c'était là la plus sensible offense,Que ma divinité pût jamais recevoir ; Mais j'en aurai la vengeance,Si les Dieux ont du pouvoir. PHAÈNE. Vous avez plus que nous de clartés, de sagesse,Pour juger ce qui peut être digne de vous :Mais pour moi j'aurais cru qu'une grande Déesse Devrait moins se mettre en courroux. VÉNUS. Et c'est là la raison de ce courroux extrême.Plus mon rang a d'éclat, plus l'affront est sanglant,Et si je n'étais pas dans ce degré suprême,Le dépit de mon coeur serait moins violent. Moi la fille du Dieu qui lance le tonnerre,Mère du Dieu qui fait aimer ;Moi, les plus doux souhaits du Ciel et de la Terre,Et qui ne suis venue au jour que pour charmer ;Moi, qui par tout ce qui respire Ai vu de tant de voeux encenser mes autels,Et qui de la beauté, par des droits immortels,Ai tenu de tout temps le souverain Empire ;Moi, dont les yeux ont mis deux grandes DéitésAu point de me céder le prix de la plus belle, Je me vois ma victoire et mes droits disputésPar une chétive mortelle !Le ridicule excès d'un fol entêtementVa jusqu'à m'opposer une petite fille !Sur ses traits et les miens j'essuierai constamment Un téméraire jugement !Et du haut des cieux où je brille,J'entendrai prononcer aux mortels prévenus,Elle est plus belle que Vénus ! AEGIALE. Voilà comme l'on fait, c'est le style des Hommes, Ils sont impertinents dans leurs comparaisons. PHAÈNE. Ils ne sauraient louer dans le siècle où nous sommes,Qu'ils n'outragent les plus grands noms. VÉNUS. Ah que de ces trois mots la rigueur insolenteVenge bien Junon et Pallas, Et console leurs coeurs de la gloire éclatanteQue la fameuse pomme acquit à mes appas !Je les vois s'applaudir de mon inquiétude,Affecter à toute heure un ris malicieux,Et d'un fixe regard chercher avec étude Ma confusion dans mes yeux.Leur triomphante joie au fort d'un tel outrage,Semble me venir dire, insultant mon courroux,Vante, vante, Vénus, les traits de ton visage,Au jugement d'un seul tu l'emportas sur nous, Mais par le jugement de tousUne simple mortelle a sur toi l'avantage.Ah ! Ce coup-là m'achève, il me perce le coeur,Je n'en puis plus souffrir les rigueurs sans égales,Et c'est trop de surcroît à ma vive douleur, Que le plaisir de mes rivales.Mon fils, si j'eus jamais sur toi quelque crédit,Et si jamais je te fus chère,Si tu portes un coeur à sentir le dépitQui trouble le coeur d'une mère, Qui si tendrement te chérit ;Emploie, emploie ici l'effort de ta puissanceÀ soutenir mes intérêts,Et fais à Psyché par tes traitsSentir les traits de ma vengeance. Pour rendre son coeur malheureux,Prends celui de tes traits le plus propre à me plaire,Le plus empoisonné de ceuxQue tu lances dans ta colère ;Du plus bas, du plus vil, du plus affreux mortel, Fais que jusqu'à la rage elle soit enflammée,Et qu'elle ait à souffrir le supplice cruelD'aimer, et n'être point aimée. L'AMOUR. Dans le Monde on n'entend que plaintes de l'Amour,On m'impute partout mille fautes commises, Et vous ne croiriez point le mal et les sottisesQue l'on dit de moi chaque jour.Si pour servir votre colère... VÉNUS. Va, ne résiste point aux souhaits de ta mère,N'applique tes raisonnements Qu'à chercher les plus prompts momentsDe faire un sacrifice à ma gloire outragée.Pars, pour toute réponse à mes empressements,Et ne me revois point que je ne sois vengée. L'Amour s'envole, et Vénus se retire avec les Grâces. La scène est changée en une grande ville, où l'on découvre des deux côtés, des palais et des maisons de différents ordres d'architecture. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Aglaure, Cidippe. AGLAURE. Il est des maux, ma Soeur, que le silence aigrit, Laissons, laissons parler mon chagrin et le vôtre,Et de nos coeurs l'un à l'autreExhalons le cuisant dépit :Nous nous voyons Soeurs d'infortune,Et la vôtre et la mienne ont un si grand rapport, Que nous pouvons mêler toutes les deux en une,Et dans notre juste transportMurmurer à plainte communeDes cruautés de notre sort.Quelle fatalité secrète, Ma soeur, soumet tout l'UniversAux attraits de notre Cadette,Et de tant de princes diversQu'en ces lieux la Fortune jette,N'en présente aucun à nos fers ? Quoi, voir de toutes parts pour lui rendre les armes,Les coeurs se précipiter,Et passer devant nos charmes,Sans s'y vouloir arrêter ?Quel sort ont nos yeux en partage, Et qu'est-ce qu'ils ont fait aux Dieux,De ne jouir d'aucun hommage,Parmi tous ces tributs de soupirs glorieux,Dont le superbe avantageFait triompher d'autres yeux ? Est-il pour nous, ma Soeur, de plus rude disgrâce,Que de voir tous les coeurs mépriser nos appas,Et l'heureuse Psyché jouir avec audaceD'une foule d'amants attachés à ses pas ? CIDIPPE. Ah, ma Soeur, c'est une aventure À faire perdre la raison,Et tous les maux de la Nature,Ne sont rien en comparaison. AGLAURE. Pour moi j'en suis souvent jusqu'à verser des larmes,Tout plaisir, tout repos, par là m'est arraché, Contre un pareil malheur ma constance est sans armes,Toujours à ce chagrin mon esprit attachéMe tient devant les yeux la honte de nos charmes,Et le triomphe de Psyché.La nuit il m'en repasse une idée éternelle Qui sur toute chose prévaut ;Rien ne me peut chasser cette image cruelle,Et dès qu'un doux sommeil me vient délivrer d'elle,Dans mon esprit aussitôtQuelque songe la rappelle, Qui me réveille en sursaut. CIDIPPE. Ma Soeur, voilà mon martyre,Dans vos discours je me vois,Et vous venez là de direTout ce qui se passe en moi. AGLAURE. Mais encor, raisonnons un peu sur cette affaire.Quels charmes si puissants en elle sont épars,Et par où, dites-moi, du grand secret de plaire,L'honneur est-il acquis à ses moindres regards ?Que voit-on dans sa personne, Pour inspirer tant d'ardeurs ?Quel droit de beauté lui donneL'empire de tous les coeurs ?Elle a quelques attraits, quelque éclat de jeunesse,On en tombe d'accord, je n'en disconviens pas ; Mais lui cède-t-on fort pour quelque peu d'aînesse,Et se voit-on sans appas ?Est-on d'une figure à faire qu'on se raille ?N'a-t-on point quelques traits, et quelques agréments,Quelque teint, quelques yeux, quelque air et quelque taille À pouvoir dans nos fers jeter quelques amants ?Ma soeur, faites-moi la grâceDe me parler franchement :Suis-je faite d'un air à votre jugement,Que mon mérite au sien doive céder la place, Et dans quelque ajustementTrouvez-vous qu'elle m'efface ? CIDIPPE. Qui, vous, ma Soeur ? Nullement.Hier à la chasse, près d'elle,Je vous regardai longtemps, Et sans vous donner d'encens,Vous me parûtes plus belle.Mais moi, dites ma Soeur, sans me vouloir flatter,Sont-ce des visions que je me mets en tête,Quand je me crois taillée à pouvoir mériter La gloire de quelque conquête ? AGLAURE. Vous, ma Soeur, vous avez, sans nul déguisement,Tout ce qui peut causer une amoureuse flamme ;Vos moindres actions brillent d'un agrémentDont je me sens toucher l'âme, Et je serais votre amant,Si j'étais autre que femme. CIDIPPE. D'où vient donc qu'on la voit l'emporter sur nous deux,Qu'à ses premiers regards les coeurs rendent les armes,Et que d'aucun tribut de soupirs et de voeux On ne fait honneur à nos charmes ? AGLAURE. Toutes les dames d'une voixTrouvent ses attraits peu de chose,Et du nombre d'amants qu'elle tient sous ses lois,Ma Soeur, j'ai découvert la cause. CIDIPPE. Pour moi je la devine, et l'on doit présumerQu'il faut que là-dessous soit caché du mystère :Ce secret de tout enflammerN'est point de la Nature un effet ordinaire ;[Note : Thessalie : Région historique de la Grèce, située au Sud de la Macédoine.]L'art de la Thessalie entre dans cette affaire, Et quelque main a su sans doute lui formerUn charme pour se faire aimer. AGLAURE. Sur un plus fort appui ma croyance se fonde,Et le charme qu'elle a pour attirer les coeurs,C'est un air en tout temps désarmé de rigueurs, Des regards caressants que la bouche seconde,[Note : Souris : Même sens que sourire. [L]]Un souris chargé de douceursQui tend les bras à tout le monde,Et ne vous promet que faveurs.Notre gloire n'est plus aujourd'hui conservée, Et l'on n'est plus au temps de ces nobles fiertés,Qui par un digne essai d'illustres cruautés,Voulaient voir d'un amant la constance éprouvée.De tout ce noble orgueil qui nous seyait si bien,On est bien descendu dans le siècle où nous sommes, Et l'on en est réduite à n'espérer plus rien,À moins que l'on se jette à la tête des hommes. CIDIPPE. Oui, voilà le secret de l'affaire, et je voisQue vous le prenez mieux que moi.C'est pour nous attacher à trop de bienséance, Qu'aucun amant, ma Soeur, à nous ne veut venir,Et nous voulons trop soutenirL'honneur de notre sexe, et de notre naissance.Les hommes maintenant aiment ce qui leur rit,L'espoir, plus que l'amour, est ce qui les attire, Et c'est par là que Psyché nous ravitTous les amants qu'on voit sous son empire.Suivons, suivons l'exemple, ajustons-nous au temps,Abaissons-nous, ma Soeur, à faire des avances,Et ne ménageons plus de tristes bienséances Qui nous ôtent les fruits du plus beau de nos ans. AGLAURE. J'approuve la pensée, et nous avons matièreD'en faire l'épreuve premièreAux deux princes qui sont les derniers arrivés.Il sont charmants, ma Soeur, et leur personne entière Me... Les avez-vous observés ? CIDIPPE. Ah, ma Soeur, ils sont faits tous deux d'une manière,Que mon âme... Ce sont deux princes achevés. AGLAURE. Je trouve qu'on pourrait rechercher leur tendresse,Sans se faire déshonneur. CIDIPPE. Je trouve que sans honte une belle PrincesseLeur pourrait donner son coeur. SCÈNE II. Cléomène, Agénor, Aglaure, Cidippe. AGLAURE. Les voici tous deux, et j'admireLeur air et leur ajustement. CIDIPPE. Ils ne démentent nullement Tout ce que nous venons de dire. AGLAURE. D'où vient, Princes, d'où vient que vous fuyez ainsi ?Prenez-vous l'épouvante en nous voyant paraître ? CLÉOMÈNE. On nous faisait croire qu'iciLa Princesse Psyché, Madame, pourrait être. AGLAURE. Tous ces lieux n'ont-ils rien d'agréable pour vous,Si vous ne les voyez ornés de sa présence ? AGÉNOR. Ces lieux peuvent avoir des charmes assez doux ;Mais nous cherchons Psyché dans notre impatience. CIDIPPE. Quelque chose de bien pressant Vous doit à la chercher pousser tous deux sans doute. CLÉOMÈNE. Le motif est assez puissant,Puisque notre fortune enfin en dépend toute. AGLAURE. Ce serait trop à nous, que de nous informerDu secret que ces mots nous peuvent enfermer. CLÉOMÈNE. Nous ne prétendons point en faire de mystère ;Aussi bien malgré nous paraîtrait-il au jour,Et le secret ne dure guère,Madame, quand c'est de l'amour. CIDIPPE. Sans aller plus avant, Princes, cela veut dire, Que vous aimez Psyché tous deux. AGÉNOR. Tous deux soumis à son empireNous allons de concert lui découvrir nos feux. AGLAURE. C'est une nouveauté sans doute assez bizarre,Que deux rivaux si bien unis. CLÉOMÈNE. Il est vrai que la chose est rare,Mais non pas impossible à deux parfaits amis. CIDIPPE. Est-ce que dans ces lieux il n'est qu'elle de belle,Et n'y trouvez-vous point à séparer vos voeux ? AGLAURE. Parmi l'éclat du sang, vos yeux n'ont-ils vu qu'elle À pouvoir mériter vos feux ? CLÉOMÈNE. Est-ce que l'on consulte au moment qu'on s'enflamme ?Choisit-on qui l'on veut aimer ?Et pour donner toute son âme,Regarde-t-on quel droit on a de nous charmer ? AGÉNOR. Sans qu'on ait le pouvoir d'élire ;On suit dans une telle ardeur,Quelque chose qui nous attire,Et lorsque l'amour touche un coeur,On n'a point de raisons à dire. AGLAURE. En vérité, je plains les fâcheux embarrasOù je vois que vos coeurs se mettent ;Vous aimez un objet dont les riants appasMêleront des chagrins à l'espoir qu'ils vous jettent,Et son coeur ne vous tiendra pas Tout ce que ses yeux vous promettent. CIDIPPE. L'espoir qui vous appelle au rang de ses amantsTrouvera du mécompte aux douceurs qu'elle étale ;Et c'est pour essuyer de très fâcheux moments,Que les soudains retours de son âme inégale. AGLAURE. Un clair discernement de ce que vous valezNous fait plaindre le sort où cet amour vous guide,Et vous pouvez trouver tous deux, si vous voulez,Avec d'autant d'attraits, une âme plus solide. CIDIPPE. Par un choix plus doux de moitié Vous pouvez de l'amour sauver votre amitié,Et l'on voit en vous deux un mérite si rare,Qu'un tendre avis veut bien prévenir par pitiéCe que votre coeur se prépare. CLÉOMÈNE. Cet avis généreux fait pour nous éclater Des bontés qui nous touchent l'âme ;Mais le Ciel nous réduit à ce malheur, Madame,De ne pouvoir en profiter. AGÉNOR. Votre illustre pitié veut en vain nous distraireD'un amour dont tous deux nous redoutons l'effet ; Ce que notre amitié, Madame, n'a pas fait,Il n'est rien qui le puisse faire[.] CIDIPPE. Il faut que le pouvoir de Psyché... La voici[.] SCÈNE III. Psyché, Cidippe, Aglaure, Cléomène, Agénor. CIDIPPE. [V]enez jouir, ma soeur, de ce qu'on vous apprête. AGLAURE. Préparez vos attraits à recevoir ici Le triomphe nouveau d'une illustre conquête. CIDIPPE. Ces princes ont tous deux si bien senti vos coups,Qu'à vous le découvrir leur bouche se dispose. PSYCHÉ. Du sujet qui les tient si rêveurs parmi nousJe ne me croyais pas la cause, Et j'aurais cru toute autre choseEn les voyant parler à vous. AGLAURE. N'ayant ni beauté, ni naissanceÀ pouvoir mériter leur amour et leurs soins,Ils nous favorisent au moins De l'honneur de la confidence. CLÉOMÈNE. L'aveu qu'il nous faut faire à vos divins appas,Est sans doute, Madame, un aveu téméraire ;Mais tant de coeurs près du trépas,Sont par de tels aveux forcés à vous déplaire, Que vous êtes réduite à ne les punir pasDes foudres de votre colère.Vous voyez en nous deux amis,Qu'un doux rapport d'humeurs sut joindre dès l'enfance ;Et ces tendres liens se sont vus affermis Par cent combats d'estime et de reconnaissance.Du Destin ennemi les assauts rigoureux,Les mépris de la mort et l'aspect des supplices,Par d'illustres éclats, de mutuels officesOnt de notre amitié signalé les beaux noeuds : Mais à quelques essais qu'elle se soit trouvée,Son grand triomphe est en ce jour,Et rien ne fait tant voir sa constance éprouvée,Que de se conserver au milieu de l'amour.Oui, malgré tant d'appas, son illustre constance Aux lois qu'elle nous fait a soumis tous nos voeux ;Elle vient d'une douce et pleine déférenceRemettre à votre choix le succès de nos feux,Et pour donner un poids à notre concurrenceQui des raisons d'État entraîne la balance Sur le choix de l'un de nous deux,Cette même amitié s'offre sans répugnanceD'unir nos deux États au sort du plus heureux. AGÉNOR. Oui, de ces deux États, Madame,Que sous votre heureux choix nous nous offrons d'unir, Nous voulons faire à notre flammeUn secours pour vous obtenir.Ce que pour ce bonheur, près du Roi votre pèreNous nous sacrifions tous deux,N'a rien de difficile à nos coeurs amoureux, Et c'est au plus heureux faire un don nécessaireD'un pouvoir dont le malheureux,Madame, n'aura plus affaire. PSYCHÉ. Le choix que vous m'offrez, Princes, montre à mes yeuxDe quoi remplir les voeux de l'âme la plus fière, Et vous me le parez tous deux d'une manière,Qu'on ne peut rien offrir qui soit plus précieux.Vos feux, votre amitié, votre vertu suprême,Tout me relève en vous l'offre de votre foi,Et j'y vois un mérite à s'opposer lui-même À ce que vous voulez de moi.Ce n'est pas à mon coeur qu'il faut que je défèrePour entrer sous de tels liens ;Ma main, pour se donner, attend l'ordre d'un père,Et mes soeurs ont des droits qui vont devant les miens, Mais si l'on me rendait sur mes voeux absolue,Vous y pourriez avoir trop de part à la fois,Et toute mon estime entre vous suspendue,Ne pourrait sur aucun laisser tomber mon choix.À l'ardeur de votre poursuite Je répondrais assez de mes voeux les plus doux ;Mais c'est parmi tant de mériteTrop que deux coeurs pour moi, trop peu qu'un coeur pour vous.De mes plus doux souhaits j'aurais l'âme gênée.À l'effort de votre amitié, Et j'y vois l'un de vous prendre une destinéeÀ me faire trop de pitié.Oui, Princes, à tous ceux dont l'amour suit le vôtre,Je vous préférerais tous deux avec ardeur ;Mais je n'aurais jamais le coeur De pouvoir préférer l'un de vous deux à l'autre.À celui que je choisirais,Ma tendresse ferait un trop grand sacrifice,Et je m'imputerais à barbare injustice,Le tort qu'à l'autre je ferais. Oui, tous deux vous brillez de trop de grandeur d'âme.Pour en faire aucun malheureux,Et vous devez chercher dans l'amoureuse flammeLe moyen d'être heureux tous deux.Si votre coeur me considère Assez pour me souffrir de disposer de vous,J'ai deux soeurs capables de plaire,Qui peuvent bien vous faire un destin assez doux,Et l'amitié me rend leur personne assez chère,Pour vous souhaiter leurs époux. CLÉOMÈNE. Un coeur dont l'amour est extrêmePeut-il bien consentir, hélas,D'être donné par ce qu'il aime !Sur nos deux coeurs, Madame, à vos divins appasNous donnons un pouvoir suprême, Disposez-en pour le trépas,Mais pour une autre que vous-mêmeAyez cette bonté de n'en disposer pas. AGÉNOR. Aux Princesses, Madame, on ferait trop d'outrage,Et c'est pour leurs attraits un indigne partage, Que les restes d'une autre ardeur ;Il faut d'un premier feu la pureté fidèle,Pour aspirer à cet honneurOù votre bonté nous appelle,Et chacune mérite un coeur Qui n'ait soupiré que pour elle. AGLAURE. Il me semble, sans nul courroux,Qu'avant que de vous en défendre,Princes, vous deviez bien attendreQu'on se fût expliqué sur vous. Nous croyez-vous un coeur si facile et si tendre ?Et lorsqu'on parle ici de vous donner à nous,Savez-vous si l'on veut vous prendre ? CIDIPPE. Je pense que l'on a d'assez hauts sentimentsPour refuser un coeur qu'il faut qu'on sollicite, Et qu'on ne veut devoir qu'à son propre mériteLa conquête de ses amants. PSYCHÉ. J'ai cru pour vous, mes Soeurs, une gloire assez grande,Si la possession d'un mérite si haut... SCÈNE IV. Lycas, Psyché, Aglaure, Cidippe, Cléomène, Agénor. LYCAS. Ah, Madame ! PSYCHÉ. Qu'as-tu ? LYCAS. Le Roi... PSYCHÉ. Quoi ? LYCAS. Vous demande. PSYCHÉ. De ce trouble si grand que faut-il que j'attende ? LYCAS. Vous ne le saurez que trop tôt. PSYCHÉ. Hélas ! Que pour le Roi tu me donnes à craindre ! LYCAS. Ne craignez que pour vous, c'est vous que l'on doit plaindre. PSYCHÉ. C'est pour louer le Ciel, et me voir hors d'effroi, De savoir que je n'aie à craindre que pour moi.Mais apprends-moi, Lycas, le sujet qui te touche. LYCAS. Souffrez que j'obéisse à qui m'envoie ici,Madame, et qu'on vous laisse apprendre de sa boucheCe qui peut m'affliger ainsi. PSYCHÉ. Allons savoir sur quoi l'on craint tant ma faiblesse. SCÈNE V. Aglaure, Cidippe, Lycas. AGLAURE. Si ton ordre n'est pas jusqu'à nous étendu,Dis-nous quel grand malheur nous couvre ta tristesse. LYCAS. Hélas ! Ce grand malheur dans la Cour répandu,Voyez-le vous-même, Princesse, Dans l'Oracle qu'au Roi les Destins ont rendu.Voici ses propres mots, que la douleur, Madame,A gravés au fond de mon âme. Que l'on ne pense nullement À vouloir de Psyché conclure l'Hyménée ; Mais qu'au sommet d'un mont elle soit promptement En pompe funèbre menée, Et que de tous abandonnée, Pour époux elle attende en ces lieux constamment Un monstre dont on a la vue empoisonnée, Un serpent qui répand son venin en tous lieux, Et trouble dans sa rage et la Terre et les Cieux. Après un arrêt si sévère.Je vous quitte, et vous laisse à juger entre vous,Si par de plus cruels et plus sensibles coups Tous les Dieux nous pouvaient expliquer leur colère. SCÈNE VI. Aglaure, Cidippe. CIDIPPE. Ma soeur, que sentez-vous à ce soudain malheurOù nous voyons Psyché par les Destins plongée ? AGLAURE. Mais vous, que sentez-vous, ma Soeur ? CIDIPPE. À ne vous point mentir, je sens que dans mon coeur Je n'en suis pas trop affligée. AGLAURE. Moi, je sens quelque chose au mienQui ressemble assez à la joie.Allons, le Destin nous envoieUn mal que nous pouvons regarder comme un bien. PREMIER INTERMÈDE. La scène est changée en des rochers affreux, et fait voir en éloignement une grotte effroyable. La scène est changée en des rochers affreux, et fait voir en éloignement une grotte effroyable. La scène est changée en des rochers affreux, et fait voir en éloignement une grotte effroyable. FEMME DÉSOLÉE. Deh, piangete al pianto mio,Sassi duri, antiche selve,Lagrimate fonti, e belve,D'un bel volto il fato rio. PREMIER HOMME AFFLIGÉ. Ahi dolore ! SECOND HOMME AFFLIGÉ. Ahi martire ! PREMIER HOMME AFFLIGÉ. Cruda morte ! SECOND HOMME AFFLIGÉ. Empia sorte ! TOUS TROIS. Che condanni a morir tanta beltà.Cieli, stelle, ahi crudeltà ! SECOND HOMME AFFLIGÉ. Com'esser puo fra voi, ò Numi eterni,Chi voglia estinta una beltà innocente ?Ahi ! Che tanto rigor, Cielo inclemente,Vince di crudeltà gli stessi Inferni. PREMIER HOMME AFFLIGÉ. Nume fiero ! SECOND HOMME AFFLIGÉ. Dio severo ! ENSEMBLE. Perche tanto rigorContro innocente cor ?Ahi, sentenza inudita,Dar morte à la beltà, ch'altrui da vita ! FEMME DÉSOLÉE. Ahi ch'indarno si tarda,Non resiste a li Dei mortale affetto,Alto impero ne sforza :Ove commanda il Ciel, l'uom cede a forza. PREMIER HOMME AFFLIGÉ. Ahi dolore ! etc. Come Sopra Ces plaintes sont entrecoupées et finies par une entrée de ballet de huit personnes affligées. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Le Roi, Psyché, Aglaure, Cidippe, Lycas, Suite. PSYCHÉ. De vos larmes, Seigneur, la source m'est bien chère ;Mais c'est trop aux bontés que vous avez pour moi,Que de laisser régner les tendresses de pèreJusque dans les yeux d'un grand Roi.Ce qu'on vous voit ici donner à la Nature Au rang que vous tenez, Seigneur, fait trop d'injure,Et j'en dois refuser les touchantes faveurs :Laissez moins sur votre sagessePrendre d'empire à vos douleurs,Et cessez d'honorer mon destin par des pleurs, Qui dans le coeur d'un roi montrent de la faiblesse. LE ROI. Ah ! Ma fille, à ces pleurs laisse mes yeux ouverts,Mon deuil est raisonnable, encor qu'il soit extrême,Et lorsque pour toujours on perd ce que je perds,La sagesse, crois-moi, peut pleurer elle-même. En vain l'orgueil du diadèmeVeut qu'on soit insensible à ces cruels revers,En vain de la Raison les secours sont offerts,Pour vouloir d'un oeil sec voir mourir ce qu'on aime :L'effort en est barbare aux yeux de l'Univers, Et c'est brutalité plus que vertu suprême.Je ne veux point dans cette adversitéParer mon coeur d'insensibilité,Et cacher l'ennui qui me touche ;Je renonce à la vanité De cette dureté faroucheQue l'on appelle fermeté ;Et de quelque façon qu'on nommeCette vive douleur dont je ressens les coups,Je veux bien l'étaler, ma Fille, aux yeux de tous, Et dans le coeur d'un roi montrer le coeur d'un homme. PSYCHÉ. Je ne mérite pas cette grande douleur :Opposez, opposez un peu de résistanceAux droits qu'elle prend sur un coeurDont mille événements ont marqué la puissance. Quoi, faut-il que pour moi vous renonciez, Seigneur,À cette royale constance,Dont vous avez fait voir dans les coups du malheurUne fameuse expérience ? LE ROI. La constance est facile en mille occasions. Toutes les révolutionsOù nous peut exposer la fortune inhumaine,La perte des grandeurs, les persécutions,Le poison de l'Envie, et les traits de la Haine,N'ont rien qui ne puissent sans peine Braver les résolutionsD'une âme où la raison est un peu souveraine :Mais ce qui porte des rigueursÀ faire succomber les coeursSous le poids des douleurs amères, Ce sont, ce sont les rudes traitsDe ces fatalités sévères,Qui nous enlèvent pour jamaisLes personnes qui nous sont chères.La raison contre de tels coups N'offre point d'armes secourables ;Et voilà des Dieux en courrouxLes foudres les plus redoutablesQui se puissent lancer sur nous. PSYCHÉ. Seigneur, une douceur ici vous est offerte : Votre hymen a reçu plus d'un présent des Dieux,Et, par une faveur ouverteIls ne vous ôtent rien en m'ôtant à vos yeux,Dont ils n'aient pris le soin de réparer la perte.Il vous reste de quoi consoler vos douleurs, Et cette loi du Ciel que vous nommez cruelleDans les deux Princesses mes Soeurs,Laisse à l'amitié paternelleOù placer toutes ses douceurs. LE ROI. Ah, de mes maux soulagement frivole ! Rien, rien ne s'offre à moi qui de toi me console ;C'est sur mes déplaisirs que j'ai les yeux ouverts,Et dans un destin si funesteJe regarde ce que je perds,Et ne vois point ce qui me reste. PSYCHÉ. Vous savez mieux que moi qu'aux volontés des Dieux,Seigneur, il faut régler les nôtres,Et je ne puis vous dire en ces tristes adieux,Que ce que beaucoup mieux vous pouvez dire aux autres.Ces Dieux sont maîtres souverains Des présents qu'ils daignent nous faire ;Ils ne les laissent dans nos mainsQu'autant de temps qu'il peut leur plaire.Lorsqu'ils viennent les retirer,On n'a nul droit de murmurer Des grâces que leur main ne veut plus nous étendre ;Seigneur, je suis un don qu'ils ont fait à vos voeux,Et quand par cet arrêt ils veulent me reprendre,Ils ne vous ôtent rien que vous ne teniez d'eux,Et c'est sans murmurer que vous devez me rendre. LE ROI. Ah, cherche un meilleur fondementAux consolations que ton coeur me présente,Et de la fausseté de ce raisonnementNe fais point un accablementÀ cette douleur si cuisante, Dont je souffre ici le tourment.Crois-tu là me donner une raison puissante,Pour ne me plaindre point de cet arrêt des Cieux ?Et dans le procédé des DieuxDont tu veux que je me contente, Une rigueur assassinanteNe paraît-elle pas aux yeux ?Vois l'état où ces Dieux me forcent à te rendre,Et l'autre où te reçut mon coeur infortuné :Tu connaîtras par là qu'ils me viennent reprendre Bien plus que ce qu'ils m'ont donné.Je reçus d'eux en toi, ma Fille,Un présent que mon coeur ne leur demandait pas ;J'y trouvais alors peu d'appas,Et leur en vis sans joie accroître ma famille. Mais mon coeur ainsi que mes yeuxS'est fait de ce présent une douce habitude :J'ai mis quinze ans de soins, de veilles et d'étude,À me le rendre précieux,Je l'ai paré de l'aimable richesse De mille brillantes vertus,En lui j'ai renfermé par des soins assidusTous les plus beaux trésors que fournit la Sagesse,À lui j'ai de mon âme attaché la tendresse,J'en ai fait de ce coeur le charme et l'allégresse, La consolation de mes sens abattus,Le doux espoir de ma vieillesse.Ils m'ôtent tout cela, ces Dieux,Et tu veux que je n'aie aucun sujet de plainte,Sur cet affreux arrêt dont je souffre l'atteinte ? Ah ! Leur pouvoir se joue avec trop de rigueurDes tendresses de notre coeur :Pour m'ôter leur présent, leur fallait-il attendreQue j'en eusse fait tout mon bien ?Ou plutôt, s'ils avaient dessein de le reprendre, N'eût-il pas été mieux de ne me donner rien ? PSYCHÉ. Seigneur, redoutez la colèreDe ces Dieux contre qui vous osez éclater. LE ROI. Après ce coup que peuvent-ils me faire ?Ils m'ont mis en état de ne rien redouter. PSYCHÉ. Ah, Seigneur, je tremble des crimesQue je vous fais commettre, et je dois me haïr... LE ROI. Ah, qu'ils souffrent du moins mes plaintes légitimes,Ce m'est assez d'effort que de leur obéir,Ce doit leur être assez que mon coeur t'abandonne Au barbare respect qu'il faut qu'on ait pour eux,Sans prétendre gêner la douleur que me donneL'épouvantable arrêt d'un sort si rigoureux.Mon juste désespoir ne saurait se contraindre,Je veux, je veux garder ma douleur à jamais, Je veux sentir toujours la perte que je fais,De la rigueur du Ciel je veux toujours me plaindre,Je veux jusqu'au trépas incessamment pleurerCe que tout l'Univers ne peut me réparer. PSYCHÉ. Ah, de grâce, Seigneur, épargnez ma faiblesse, J'ai besoin de constance en l'état où je suis :Ne fortifiez point l'excès de mes ennuisDes larmes de votre tendresse,Seuls ils sont assez forts, et c'est trop pour mon coeur,De mon destin et de votre douleur. LE ROI. Oui, je dois t'épargner mon deuil inconsolable.Voici l'instant fatal de m'arracher de toi :Mais comment prononcer ce mot épouvantable ?Il le faut toutefois, le Ciel m'en fait la loi,Une rigueur inévitable M'oblige à te laisser en ce funeste lieu.Adieu, je vais... Adieu.[Note : Ce qui suit, jusqu'à la fin de la pièce, est de M. C[orneille], à la réserve de la première scène du troisième acte, qui est de la même main que ce qui a précédé.] SCÈNE II. Psyché, Aglaure, Cidippe. PSYCHÉ. Suivez le Roi, mes Soeurs : vous essuierez ses larmes,Vous adoucirez ses douleurs,Et vous l'accableriez d'alarmes, Si vous vous exposiez encore à mes malheurs.Conservez-lui ce qui lui reste,Le serpent que j'attends peut vous être funeste,Vous envelopper dans mon sort,Et me porter en vous une seconde mort. Le Ciel m'a seule condamnéeÀ son haleine empoisonnée,Rien ne saurait me secourir,Et je n'ai pas besoin d'exemple pour mourir. AGLAURE. Ne nous enviez pas ce cruel avantage De confondre nos pleurs avec vos déplaisirs,De mêler nos soupirs à vos derniers soupirs ;D'une tendre amitié souffrez ce dernier gage. PSYCHÉ. C'est vous perdre inutilement. CIDIPPE. C'est en votre faveur espérer un miracle, [Note : Monument : Dans le style élevé. Tombeau. [L]]Ou vous accompagner jusques au monument. PSYCHÉ. Que peut-on se promettre après un tel oracle ? AGLAURE. Un Oracle jamais n'est sans obscurité,On l'entend d'autant moins que mieux on croit l'entendre,Et peut-être après tout n'en devez-vous attendre Que gloire et que félicité.Laissez-nous voir, ma Soeur, par une digne issue,Cette frayeur mortelle heureusement déçue,Ou mourir du moins avec vous,Si le Ciel à nos voeux ne se montre plus doux. PSYCHÉ. Ma Soeur, écoutez mieux la voix de la Nature,Qui vous appelle auprès du Roi.Vous m'aimez trop, le devoir en murmure,Vous en savez l'indispensable loi,Un père vous doit être encor plus cher que moi. Rendez-vous toutes deux l'appui de sa vieillesse,Vous lui devez chacune un gendre, et des neveux,Mille Rois à l'envi vous gardent leur tendresse,Mille Rois à l'envi vous offriront leurs voeux :L'oracle me veut seule, et seule aussi je veux Mourir, si je puis, sans faiblesse,Ou ne vous avoir pas pour témoins toutes deuxDe ce que malgré moi, la Nature m'en laisse. AGLAURE. Partager vos malheurs, c'est vous importuner. CIDIPPE. J'ose dire un peu plus, ma Soeur, c'est vous déplaire. PSYCHÉ. Non, mais enfin c'est me gêner,Et peut-être du Ciel redoubler la colère. AGLAURE. Vous le voulez, et nous partons.Daigne ce même Ciel plus juste et moins sévère,Vous envoyer le sort que nous vous souhaitons, Et que notre amitié sincère,En dépit de l'Oracle et malgré vous espère. PSYCHÉ. Adieu, c'est un espoir, ma Soeur, et des souhaits,Qu'aucun des Dieux ne remplira jamais. SCÈNE III. PSYCHÉ, seule. Enfin seule, et toute à moi-même, Je puis envisager cet affreux changement,Qui du haut d'une gloire extrêmeMe précipite au monument.Cette gloire était sans seconde,L'éclat s'en répandait jusqu'aux deux bouts du monde, Tout ce qu'il a de Rois semblaient faits pour m'aimer :Tous leur sujets me prenant pour déesse,Commençaient à m'accoutumerAux encens qu'ils m'offraient sans cesse ;Leurs soupirs me suivaient sans qu'il m'en coûtât rien, Mon âme restait libre en captivant tant d'âmes,Et j'étais, parmi tant de flammesReine de tous les coeurs, et maîtresse du mien.Ô Ciel ! M'auriez-vous fait un crimeDe cette insensibilité ? Déployez-vous sur moi tant de sévérité,Pour n'avoir à leurs voeux rendu que de l'estime ?Si vous m'imposiez cette loi,Qu'il fallût faire un choix pour ne pas vous déplaire,Puisque je ne pouvais le faire, Que ne le faisiez-vous pour moi ?Que ne m'inspiriez-vous ce qu'inspire à tant d'autresLe mérite, l'amour, et... Mais que vois-je ici ? SCÈNE IV. Cléomène, Agénor, Psyché. CLÉOMÈNE. Deux amis, deux rivaux, dont l'unique souciEst d'exposer leurs jours pour conserver les vôtres. PSYCHÉ. Puis-je vous écouter quand j'ai chassé deux soeurs ?Princes, contre le Ciel pensez-vous me défendre ?Vous livrer au serpent qu'ici je dois attendre,Ce n'est qu'un désespoir qui sied mal aux grands coeurs,Et mourir alors que je meurs, C'est accabler une âme tendreQui n'a que trop de ses douleurs. AGÉNOR. Un serpent n'est pas invincible ;Cadmus qui n'aimait rien, défit celui de Mars ;Nous aimons, et l'Amour sait rendre tout possible Au coeur qui suit ses étendards,À la main dont lui-même il conduit tous les dards. PSYCHÉ. Voulez-vous qu'il vous serve en faveur d'une ingrateQue tous ses traits n'ont pu toucher ?Qu'il dompte sa vengeance au moment qu'elle éclate, Et vous aide à m'en arracher ?Quand même vous m'auriez servie,Quand vous m'auriez rendu la vie,Quel fruit espérez-vous de qui ne peut aimer ? CLÉOMÈNE. Ce n'est point par l'espoir d'un si charmant salaire Que nous nous sentons animer,Nous ne cherchons qu'à satisfaireAux devoirs d'un amour qui n'ose présumerQue jamais, quoi qu'il puisse faire,Il soit capable de vous plaire, Et digne de vous enflammer.Vivez, belle princesse, et vivez pour un autre ;Nous le verrons d'un oeil jaloux,Nous en mourrons, mais d'un trépas plus douxQue s'il nous fallait voir le vôtre. Et si nous ne mourrons en vous sauvant le jour,Quelque amour qu'à nos yeux vous préfériez au nôtre,Nous voulons bien mourir de douleur et d'amour. PSYCHÉ. Vivez, Princes, vivez, et de ma destinéeNe songez plus à rompre, ou partager la loi : Je crois vous l'avoir dit, le Ciel ne veut que moi,Le Ciel m'a seule condamnée.Je pense ouïr déjà les mortels sifflementsDe son ministre qui s'approche,Ma frayeur me le peint, me l'offre à tous moments, Et maîtresse qu'elle est de tous mes sentiments,Elle me le figure au haut de cette roche,J'en tombe de faiblesse, et mon coeur abattuNe soutient plus qu'à peine un reste de vertu.Adieu, Princes, fuyez, qu'il ne vous empoisonne. AGÉNOR. Rien ne s'offre à nos yeux encor qui les étonne,Et quand vous vous peignez un si proche trépas,Si la force vous abandonne,Nous avons des coeurs et des brasQue l'espoir n'abandonne pas. Peut-être qu'un rival a dicté cet Oracle,Que l'or a fait parler celui qui l'a rendu :Ce ne serait pas un miracle,Que pour Dieu muet un homme eût répondu,Et dans tous les climats on n'a que trop d'exemples Qu'il est ainsi qu'ailleurs des méchants dans les temples. CLÉOMÈNE. Laissez-nous opposer au lâche ravisseur,À qui le sacrilège indignement vous livre,Un amour qu'a le Ciel choisi pour défenseurDe la seule beauté pour qui nous voulons vivre. Si nous n'osons prétendre à sa possession,Du moins en son péril permettez-nous de suivreL'ardeur et les devoirs de notre passion. PSYCHÉ. Portez-les à d'autres moi-mêmes,Princes, portez-les à mes Soeurs Ces devoirs, ces ardeurs extrêmesDont pour moi sont remplis vos coeurs,Vivez pour elles quand je meurs,Plaignez de mon destin les funestes rigueurs,Sans leur donner en vous de nouvelles matières. Ce sont mes volontés dernières,Et l'on a reçu de tout tempsPour souveraines lois les ordres des mourants. CLÉOMÈNE. Princesse... PSYCHÉ. Encore un coup, Princes, vivez pour elles,Tant que vous m'aimerez, vous devez m'obéir ; Ne me réduisez pas à vouloir vous haïr,Et vous regarder en rebelles,À force de m'être fidèles.Allez, laissez-moi seule expirer en ce lieu,Où je n'ai plus de voix que pour vous dire adieu. Mais je sens qu'on m'enlève, et l'air m'ouvre une routeD'où vous n'entendrez plus cette mourante voix,Adieu, Princes, adieu pour la dernière fois,Voyez si de mon sort vous pouvez être en doute. Elle est enlevée en l'air par deux Zéphyrs. AGÉNOR. Nous la perdons de vue, allons tous deux chercher Sur le faîte de ce rocher,Prince, les moyens de la suivre. CLÉOMÈNE. Allons-y chercher ceux de ne lui point survivre. SCÈNE V. L'AMOUR, en l'air. Allez mourir, rivaux d'un dieu jaloux,Dont vous méritez le courroux, Pour avoir eu le coeur sensible aux mêmes charmes,Et toi, forge, Vulcain, mille brillants attraitsPour orner un palaisOù l'Amour de Psyché veut essuyer les larmes,Et lui rendre les armes. SECOND INTERMÈDE. La scène se change en une Cour magnifique, ornée de colonnes de lapis enrichies de figures d'or, qui forment un palais pompeux et brillant, que l'Amour destine pour Psyché. Six cyclopes, avec quatre fées y font une entrée de ballet, où ils achèvent en cadence quatre gros vases d'argent que les fées leur ont apportés. Cette entrée est entrecoupée par ce récit de Vulcain, qu'il fait à deux reprises. [Récit de VULCAIN]. Dépêchez, préparez ces lieux Pour le plus aimable des Dieux, Que chacun pour lui s'intéresse, N'oubliez rien des soins qu'il faut : Quand l'Amour presse, On n'a jamais fait assez tôt. L'Amour ne veut point qu'on diffère, Travaillez, hâtez-vous, Frappez, redoublez vos coups ; Que l'ardeur de lui plaire Fasse vos soins le plus doux. SECOND COUPLET. Servez bien un dieu si charmant, Il se plaît dans l'empressement. Que chacun pour lui s'intéresse, N'oubliez rien des soins qu'il faut : Quand l'Amour presse, On n'a jamais fait assez tôt. L'Amour ne veut point qu'on diffère, Travaillez, etc. ACTE III SCÈNE I. L'Amour, Zéphyr. ZÉPHYR. Oui, je me suis galamment acquitté De la commission que vous m'avez donnée,Et du haut du rocher je l'ai, cette beauté,Par le milieu des airs doucement amenéeDans ce beau palais enchanté,Où vous pouvez en liberté Disposer de sa destinée :Mais vous me surprenez par ce grand changementQu'en votre personne vous faites ;Cette taille, ces traits, et cet ajustement,Cachent tout à fait qui vous êtes, Et je donne aux plus fins à pouvoir en ce jourVous reconnaître pour l'Amour. L'AMOUR. Aussi, ne veux-je pas qu'on puisse me connaître,Je ne veux à Psyché découvrir que mon coeur,Rien que les beaux transports de cette vive ardeur Que ses doux charmes y font naître ;Et pour en exprimer l'amoureuse langueur,Et cacher ce que je puis êtreAux yeux qui m'imposent des lois,J'ai pris la forme que tu vois. ZÉPHYR. En tout vous êtes un grand maître,C'est ici que je le connais.Sous des déguisements de diverse natureOn a vu les Dieux amoureuxChercher à soulager cette douce blessure Que reçoivent les coeurs de vos traits pleins de feux ;Mais en bon sens vous l'emportez sur eux,Et voilà la bonne figurePour avoir un succès heureux,Près de l'aimable sexe où l'on porte ses voeux. Oui, de ces formes-là l'assistance est bien forte,Et sans parler ni de rang, ni d'esprit,Qui peut trouver moyen d'être fait de la sorte,Ne soupire guère à crédit. L'AMOUR. J'ai résolu, mon cher Zéphyr, De demeurer ainsi toujours,Et l'on ne peut le trouver à redireÀ l'aîné de tous les Amours.Il est temps de sortir de cette longue enfanceQui fatigue ma patience, Il est temps désormais que je devienne grand. ZÉPHYR. Fort bien, vous ne pouvez mieux faire,Et vous entrez dans un mystèreQui ne demande rien d'enfant. L'AMOUR. Ce changement sans doute irritera ma mère. ZÉPHYR. Je prévois là-dessus quelque peu de colère.Bien que les disputes des ansNe doivent point régner parmi des Immortelles,Votre Mère Vénus est de l'humeur des BellesQui n'aiment point de grands enfants. Mais où je la trouve outragée,C'est dans le procédé que l'on vous voit tenir,Et c'est l'avoir étrangement vengée,Que d'aimer la beauté qu'elle voulait punir.Cette haine où ses voeux prétendent que réponde La puissance d'un fils que redoutent les Dieux... L'AMOUR. Laissons cela, Zéphyr, et me dis si tes yeuxNe trouvent pas Psyché la plus belle du monde ?Est-il rien sur la Terre, est-il rien dans les Cieux,Qui puisse lui ravir le titre glorieux De beauté sans seconde ?Mais je la vois, mon cher Zéphyr,Qui demeure surprise à l'éclat de ces lieux. ZÉPHYR. Vous pouvez vous montrer pour finir son martyre,Lui découvrir son destin glorieux, Et vous dire entre vous tout ce que peuvent direLes soupirs, la bouche, et les yeux.En confident discret je sais ce qu'il faut fairePour ne pas interrompre un amoureux mystère. SCÈNE II. PSYCHÉ. Où suis-je ? Et dans un lieu que je croyais barbare, Quelle savante main a bâti ce palais, Que l'Art, que la Nature pare De l'assemblage le plus rare Que l'oeil puisse admirer jamais ? Tout rit, tout brille, tout éclate, Dans ces jardins, dans ces appartements, Dont les pompeux ameublements N'ont rien qui n'enchante et ne flatte ; Et de quelque côté que tournent mes frayeurs, Je ne vois sous mes pas que de l'or, ou des fleurs. Le Ciel aurait-il fait cet amas de merveilles Pour la demeure d'un serpent ? Et lorsque par leur vue il amuse et suspend De mon destin jaloux les rigueurs sans pareilles, Veut-il montrer qu'il s'en repent ? Non, non, c'est de sa haine en cruautés féconde Le plus noir, le plus rude trait, Qui par une rigueur nouvelle et sans seconde N'étale ce choix qu'elle a fait De ce qu'a de plus beau le Monde, Qu'afin que je le quitte avec plus de regret. Que mon espoir est ridicule, S'il croit par là soulager mes douleurs ! Tout autant de moments que ma mort se recule, Sont autant de nouveaux malheurs, Plus elle tarde, et plus de fois je meurs. Ne me fais plus languir, viens prendre ta victime, Monstre qui dois me déchirer ; Veux-tu que je te cherche, et faut-il que j'anime Tes fureurs à me dévorer ? Si le Ciel veut ma mort, si ma vie est un crime, De ce peu qui m'en reste ose enfin t'emparer, Je suis lasse de murmurer Contre un châtiment légitime, Je suis lasse de soupirer, Viens, que j'achève d'expirer. SCÈNE III. L'Amour, Psyché, Zéphyr. L'AMOUR. Le voilà ce serpent, ce monstre impitoyable,Qu'un Oracle étonnant pour vous a préparé,Et qui n'est pas peut-être à tel point effroyableQue vous vous l'êtes figuré. PSYCHÉ. Vous, Seigneur, vous seriez ce monstre dont l'oracleA menacé mes tristes jours,Vous qui semblez plutôt un Dieu qui par miracleDaigne venir lui-même à mon secours ! L'AMOUR. Quel besoin de secours au milieu d'un Empire, Où tout ce qui respireN'attend que vos regards pour en prendre la loi,Où vous n'avez à craindre autre monstre que moi ? PSYCHÉ. Qu'un monstre tel que vous inspire peu de crainte !Et que s'il a quelque poison, Une âme aurait peu de raisonDe hasarder la moindre plainte,Contre une favorable atteinteDont tout le coeur craindrait la guérison !À peine je vous vois, que mes frayeurs cessées Laissent évanouir l'image du trépas,Et que je sens couler dans mes veines glacéesUn je ne sais quel feu que je ne connais pas.J'ai senti de l'estime et de la complaisance,De l'amitié, de la reconnaissance, De la compassion les chagrins innocentsM'en ont fait sentir la puissance,Mais je n'ai point encore senti ce que je sens.Je ne sais ce que c'est, mais je sais qu'il me charme ;Que je n'en conçois point d'alarme ; Plus j'ai les yeux sur vous, plus je m'en sens charmée :Tout ce que j'ai senti n'agissait point de même,Et je dirais que je vous aime,Seigneur, si je savais ce que c'est que d'aimer.Ne les détournez point, ces yeux qui m'empoisonnent, Ces yeux tendres, ces yeux perçants, mais amoureux,Qui semblent partager le trouble qu'ils me donnent.Hélas ! Plus ils sont dangereux,Plus je me plais à m'attacher sur eux.Par quel ordre du Ciel que je ne puis comprendre Vous dis-je plus que je ne dois,Moi de qui la pudeur devrait du moins attendreQue vous m'expliquassiez le trouble où je vous vois ?Vous soupirez, Seigneur, ainsi que je soupire,Vos sens comme les miens paraissent interdits, C'est à moi de m'en taire, à vous de me le dire,Et cependant c'est moi qui vous le dis. L'AMOUR. Vous avez eu, Psyché, l'âme toujours si dure,Qu'il ne faut pas vous étonner,Si, pour en réparer l'injure L'Amour en ce moment se paye avec usureDe ceux qu'elle a dû lui donner.Ce moment est venu qu'il faut que votre boucheExhale des soupirs si longtemps retenus,Et qu'en vous arrachant à cette humeur farouche, Un amas de transports aussi doux qu'inconnusAussi sensiblement tout à la fois vous touche,Qu'ils ont dû vous toucher durant tant de beaux joursDont cette âme insensible a profané le cours. PSYCHÉ. N'aimer point, c'est donc un grand crime ! L'AMOUR. En souffrez-vous un rude châtiment ? PSYCHÉ. C'est punir assez doucement. L'AMOUR. C'est lui choisir sa peine légitime,Et se faire justice en ce glorieux jourD'un manquement d'amour, par un excès d'amour. PSYCHÉ. Que n'ai-je été plus tôt punie !J'y mets le bonheur de ma vie,Je devrais en rougir, ou le dire plus bas,Mais le supplice a trop d'appas :Permettez que tout haut je le die et redie, Je le dirais cent fois et n'en rougirais pas.Ce n'est point moi qui parle, et de votre présenceL'empire surprenant, l'aimable violence,Dès que je veux parler, s'empare de ma voix.C'est en vain qu'en secret ma pudeur s'en offense, Que le sexe et la bienséanceOsent me faire d'autres lois ;Vos yeux de ma réponse eux-mêmes font le choix,Et ma bouche asservie à leur toute-puissanceNe me consulte plus sur ce que je me dois. L'AMOUR. Croyez, belle Psyché, croyez ce qu'ils vous disent.Ces yeux, qui ne sont point jaloux,Qu'à l'envi les vôtres m'instruisentDe tout ce qui se passe en vous.Croyez-en ce coeur qui soupire, Et qui, tant que le vôtre y voudra répartir,Vous dira bien plus d'un soupirQue cent regards ne peuvent dire.C'est le langage le plus doux,C'est le plus fort, c'est le plus sûr de tous. PSYCHÉ. L'intelligence en était dueÀ nos coeurs, pour les rendre également contents :J'ai soupiré, vous m'avez entendue ;Vous soupirez, je vous entends.Mais ne me laissez plus en doute, Seigneur, et dites-moi si par la même routeAprès moi le Zéphyr ici vous a renduPour me dire ce que j'écoute.Quand j'y suis arrivée, étiez-vous attendu ?Et quand vous lui parlez, êtes-vous entendu ? L'AMOUR. J'ai dans ce doux climat un souverain empire,Comme vous l'avez sur mon coeur :L'Amour m'est favorable, et c'est en sa faveurQu'à mes ordres Éole a soumis le Zéphyr.C'est l'Amour qui pour voir mes feux récompensés Lui-même a dicté cet Oracle,Par qui vos beaux jours menacésD'une foule d'amants se sont débarrassés,Et qui m'a délivré de l'éternel obstacleDe tant de soupirs empressés, Qui ne méritaient pas de vous être adressés.Ne me demandez point quelle est cette province,Ni le nom de son Prince,Vous le saurez quand il en sera temps :Je veux vous acquérir, mais c'est par mes services, Par des soins assidus, et par des voeux constants,Par les amoureux sacrificesDe tout ce que je suis,De tout ce que je puis,Sans que l'éclat du rang pour moi vous sollicite, Sans que de mon pouvoir je me fasse un mérite ;Et bien que souverain dans cet heureux séjour,Je ne vous veux, Psyché, devoir qu'à mon amour.Venez en admirer avec moi les merveilles,Princesse, et préparez vos yeux et vos oreilles À ce qu'il a d'enchantements.Vous y verrez des bois et des prairiesContester sur leurs agrémentsAvec l'or et les pierreries ;Vous n'entendrez que des concerts charmants, De cent beautés vous y serez servie,Qui vous adoreront sans vous porter envie,Et brigueront à tous momentsD'une âme soumise et ravieL'honneur de vos commandements. PSYCHÉ. Mes volontés suivent les vôtres,Je n'en saurais plus avoir d'autres ;Mais votre Oracle enfin vient de me séparerDe deux soeurs, et du Roi mon Père,Que mon trépas imaginaire Réduit tous trois à me pleurer.Pour dissiper l'erreur dont leur âme accabléeDe mortels déplaisirs se voit pour moi comblée,Souffrez que mes Soeurs soient témoinsEt de ma gloire et de vos soins. Prêtez-leur comme à moi les ailes du Zéphyr,Qui leur puissent de votre EmpireAinsi qu'à moi faciliter l'accès ;Faites-leur voir en quels lieux je respire,Faites-leur de ma perte admirer le succès. L'AMOUR. Vous ne me donnez pas, Psyché, toute votre âme :Ce tendre souvenir d'un père et de deux soeursMe vole une part des douceursQue je veux toutes pour ma flamme.N'ayez d'yeux que pour moi, qui n'en ai que pour vous, Ne songez qu'à m'aimer, ne songez qu'à me plaire,Et quand de tels soucis osent vous en distraire... PSYCHÉ. Des tendresses du sang peut-on être jaloux ? L'AMOUR. Je le suis, ma Psyché, de toute la Nature.Les rayons du soleil vous baisent trop souvent, Vos cheveux souffrent trop les caresses du vent ;Dès qu'il les flatte, j'en murmure :L'air même que vous respirez,Avec trop de plaisir passe par votre bouche ;Votre habit de trop près vous touche ; Et sitôt que vous soupirez,Je ne sais quoi qui m'effaroucheCraint parmi vos soupirs des soupirs égarés.Mais vous voulez vos soeurs, allez, partez, Zéphyr,Psyché le veut, je ne l'en puis dédire. Le Zéphyr s'envole.Quand vous leur ferez voir ce bienheureux séjour,De ses trésors faites-leur cent largesses,Prodiguez-leur caresses sur caresses,Et du sang, s'il se peut, épuisez les tendresses,Pour vous rendre toute à l'amour. Je n'y mêlerai point d'importune présence,Mais ne leur faites pas de si longs entretiens ;Vous ne sauriez pour eux avoir de complaisance,Que vous ne dérobiez aux miens. PSYCHÉ. Votre amour me fait une grâce Dont je n'abuserai jamais. L'AMOUR. Allons voir cependant ces jardins, ce palais,Où vous ne verrez rien que votre éclat n'efface.Et vous, petits Amours, et vous jeunes Zéphyrs,Qui pour âmes n'avez que de tendres soupirs, Montrez tous à l'envi ce qu'à voir ma PrincesseVous avez senti d'allégresse. TROISIÈME INTERMÈDE. Il se fait une entrée de ballet de quatre Amours et quatre Zéphyrs interrompue deux fois par un dialogue chanté par un Amour et un Zéphyr. LE ZÉPHYR. Aimable jeunesse,Suivez la tendresse,Joignez aux beaux jours La douceur des amours.C'est pour vous surprendre,Qu'on vous fait entendreQu'il faut éviter leurs soupirs,Et craindre leurs désirs : Laissez-vous apprendreQuels sont leurs plaisirs. Ils chantent ensemble. Chacun est obligé d'aimerÀ son tour,Et plus on a de quoi charmer, Plus on doit à l'Amour. LE ZÉPHYR, seul. Un coeur jeune et tendreEst fait pour se rendre,Il n'a point à prendreDe fâcheux détour. LES DEUX ENSEMBLE. Chacun est obligé d'aimerÀ son tour,Et plus on a de quoi charmer,Plus on doit à l'Amour. L'AMOUR, seul. Pourquoi se défendre ? Que sert-il d'attendre ?Quand on perd un jour,On le perd sans retour. LES DEUX ENSEMBLE. Chacun est obligé d'aimerÀ son tour, Et plus on a de quoi charmer,Plus on doit à l'Amour. SECOND COUPLET. LE ZÉPHYR. L'Amour a des charmes,Rendons-lui les armes,Ses soins et ses pleurs Ne sont pas sans douceurs.Un coeur pour le suivreÀ cent maux se livre,Il faut pour goûter ses appasLanguir jusqu'au trépas, Mais ce n'est pas vivreQue de n'aimer pas. Ils chantent ensemble. S'il faut des soins et des travauxEn aimant,On est payé de mille maux Par un heureux moment. LE ZÉPHYR, seul. On craint, on espère,Il faut du mystère,Mais on n'obtient guèreDe bien sans tourment. LES DEUX ENSEMBLE. S'il faut des soins et des travauxEn aimant,On est payé de mille mauxPar un heureux moment. L'AMOUR, seul. Que peut-on mieux faire, Qu'aimer, et que plaire ?C'est un soin charmant,Que l'emploi d'un amant. LES DEUX ENSEMBLE. S'il faut des soins et des travaux,En aimant, On est payé de mille mauxPar un heureux moment. Le théâtre devient un autre palais magnifique, coupé dans le fond par un vestibule, au travers duquel on voit un jardin superbe et charmant, décoré de plusieurs vases d'orangers et d'arbres chargés de toutes sortes de fruits. ACTE IV SCÈNE I. Aglaure, Cidippe. AGLAURE. Je n'en puis plus, ma Soeur, j'ai vu trop de merveilles,L'avenir aura peine à les bien concevoir ;Le soleil qui voit tout, et qui nous fait tout voir, N'en a vu jamais de pareilles.Elles me chagrinent l'esprit ;Et ce brillant palais, ce pompeux équipage,Font un odieux étalageQui m'accable de honte autant que de dépit. Que la Fortune indignement nous traite,Et que sa largesse indiscrèteProdigue aveuglément, épuise, unit d'efforts,Pour faire de tant de trésorsLe partage d'une cadette ! CIDIPPE. J'entre dans tous vos sentiments,J'ai les mêmes chagrins, et dans ces lieux charmantsTout ce qui vous déplaît me blesse ;Tout ce que vous prenez pour un mortel affront,Comme vous m'accable, et me laisse L'amertume dans l'âme, et la rougeur au front. AGLAURE. Non, ma Soeur, il n'est point de reines,Qui dans leur propre État parlent en souveraines,Comme Psyché parle en ces lieux.On l'y voit obéie avec exactitude, Et de ses volontés une amoureuse étudeLes cherche jusque dans ses yeux.Mille beautés s'empressent autour d'elle,Et semblent dire à nos regards jaloux,Quels que soient nos attraits, elle est encor plus belle, Et nous qui la servons, le sommes plus que vous.Elle prononce, on exécute,Aucun ne s'en défend, aucun ne s'en rebute :Flore, qui s'attache à ses pas,Répand à pleines mains autour de sa personne Ce qu'elle a de plus doux appas,Zéphyr vole aux ordres qu'elle donne,Et son amante et lui s'en laissant trop charmer,Quittent pour la servir les soins de s'entr'aimer. CIDIPPE. Elle a des Dieux à son service, Elle aura bientôt des autels ;Et nous ne commandons qu'à de chétifs mortels,De qui l'audace et le capriceContre nous à toute heure en secret révoltés,Opposent à nos volontés Ou le murmure, ou l'artifice. AGLAURE. C'était peu que dans notre CourTant de coeurs à l'envi nous l'eussent préférée ;Ce n'était pas assez que de nuit et de jourD'une foule d'amants elle y fût adorée : Quand nous nous consolions de la voir au tombeauPar l'ordre imprévu d'un Oracle,Elle a voulu de son destin nouveauFaire en notre présence éclater le miracle,Et choisi nos yeux pour témoins De ce qu'au fond du coeur nous souhaitions le moins. CIDIPPE. Ce qui le plus me désespère,C'est cet amant parfait et si digne de plaire,Qui se captive sous ses lois.Quand nous pourrions choisir entre tous les monarques, En est-il un de tant de roisQui porte de si nobles marques ?Se voir du bien par delà ses souhaits,N'est souvent qu'un bonheur qui fait des misérables :Il n'est ni train pompeux, ni superbes palais, Qui n'ouvrent quelque porte à des maux incurables ;Mais avoir un amant d'un mérite achevé,Et s'en voir chèrement aimée,C'est un bonheur si haut, si relevé,Que sa grandeur ne peut être exprimée. AGLAURE. N'en parlons plus, ma Soeur, nous en mourrions d'ennui,Songeons plutôt à la vengeance,Et trouvons le moyen de rompre entre elle et luiCette adorable intelligence.La voici. J'ai des coups tous prêts à lui porter, Qu'elle aura peine d'éviter. SCÈNE II. Psyché, Aglaure, Cidippe. PSYCHÉ. Je viens vous dire adieu, mon amant vous renvoie,Et ne saurait plus endurerQue vous lui retranchiez un moment de la joieQu'il prend de se voir seul à me considérer. Dans un simple regard, dans la moindre parole,Son amour trouve des douceurs,Qu'en faveur du sang je lui vole,Quand je les partage à des soeurs. AGLAURE. La jalousie est assez fine, Et ses délicats sentimentsMéritent bien qu'on s'imagineQue celui qui pour vous a ces empressements,Passe le commun des amants.Je vous en parle ainsi faute de le connaître. Vous ignorez son nom, et ceux dont il tient l'être,Nos esprits en sont alarmés :Je le tiens un grand prince, et d'un pouvoir suprêmeBien au delà du diadème,Ses trésors sous vos pas confusément semés Ont de quoi faire honte à l'abondance même ;Vous l'aimez autant qu'il vous aime,Il vous charme, et vous le charmez ;Votre félicité, ma Soeur, serait extrême,Si vous saviez qui vous aimez. PSYCHÉ. Que m'importe : j'en suis aimée ;Plus il me voit, plus je lui plais ;Il n'est point de plaisirs dont l'âme soit charmée,Qui ne préviennent mes souhaits,Et je vois mal de quoi la vôtre est alarmée, Quand tout me sert dans ce palais. AGLAURE. Qu'importe qu'ici tout vous serve,Si toujours cet amant vous cache ce qu'il est ?Nous ne nous alarmons que pour votre intérêt.En vain tout vous y rit, en vain tout vous y plaît, Le véritable amour ne fait point de réserve,Et qui s'obstine à se cacher,Sent quelque chose en soi qu'on lui peut reprocher.Si cet amant devient volage,Car souvent en amour le change est assez doux, Et j'ose le dire entre nous,Pour grand que soit l'éclat dont brille ce visage,Il en peut être ailleurs d'aussi belles que vous.Si, dis-je, un autre objet sous d'autres lois l'engage,Si dans l'état où je vous vois, Seule en ses mains, et sans défense,Il va jusqu'à la violence,Sur qui vous vengera le Roi,Ou de ce changement, ou de cette insolence ? PSYCHÉ. Ma soeur, vous me faites trembler. Juste Ciel ! Pourrais-je être assez infortunée... CIDIPPE. Que sait-on si déjà les noeuds de l'hyménée... PSYCHÉ. N'achevez pas, ce serait m'accabler. AGLAURE. Je n'ai plus qu'un mot à vous dire.Ce prince qui vous aime, et qui commande aux vents, Qui nous donne pour char les ailes du Zéphyr,Et de nouveaux plaisirs vous comble à tous moments,Quand il rompt à vos yeux l'ordre de la nature,Peut-être à tant d'amour mêle un peu d'imposture,Peut-être ce palais n'est qu'un enchantement, Et ces lambris dorés, ces amas de richessesDont il achète vos tendresses,Dès qu'il sera lassé de souffrir vos caresses,Disparaîtront en un moment.Vous savez comme nous ce que peuvent les charmes. PSYCHÉ. Que je sens à mon tour de cruelles alarmes ! AGLAURE. Notre amitié ne veut que votre bien. PSYCHÉ. Adieu, mes Soeurs, finissons l'entretien,J'aime, et je crains qu'on ne s'impatiente.Partez, et demain si je puis Vous me verrez, ou plus contente,Ou dans l'accablement des plus mortels ennuis. AGLAURE. Nous allons dire au Roi quelle nouvelle gloire,Quel excès de bonheur le Ciel répand sur vous. CIDIPPE. Nous allons lui conter d'un changement si doux La surprenante et merveilleuse histoire. PSYCHÉ. Ne l'inquiétez point, ma Soeur, de vos soupçons ;Et quand vous lui peindrez un si charmant empire... AGLAURE. Nous savons toutes deux ce qu'il faut taire, ou dire,Et n'avons pas besoin sur ce point de leçons. Le Zéphyr enlève les deux soeurs de Psyché dans un nuage qui descend jusqu'à terre, et dans lequel il les emporte avec rapidité. SCÈNE III. L'Amour, Psyché. L'AMOUR. Enfin vous êtes seule, et je puis vous redire,Sans avoir pour témoins vos importunes soeurs,Ce que des yeux si beaux ont pris sur moi d'empire,Et quel excès ont les douceursQu'une sincère ardeur inspire Sitôt qu'elle assemble deux coeurs.Je puis vous expliquer de mon âme ravieLes amoureux empressements,Et vous jurer qu'à vous seule asservieElle n'a pour objet de ses ravissements, Que de voir cette ardeur de même ardeur suivieNe concevoir plus d'autre envieQue de régler mes voeux sur vos désirs,Et de ce qui vous plaît faire tous mes plaisirs.Mais d'où vient qu'un triste nuage Semble offusquer l'éclat de ces beaux yeux ?Vous manque-t-il quelque chose en ces lieux ?Des voeux qu'on vous y rend dédaignez-vous l'hommage ? PSYCHÉ. Non, Seigneur. L'AMOUR. Qu'est-ce donc, et d'où vient mon malheur ?J'entends moins de soupirs d'amour que de douleur, Je vois de votre teint les roses amortiesMarquer un déplaisir secret ;Vos soeurs à peine sont parties,Que vous soupirez de regret !Ah, Psyché, de deux coeurs quand l'ardeur est la même, Ont-ils des soupirs différents ?Et quand on aime bien, et qu'on voit ce qu'on aime,Peut-on songer à des parents ? PSYCHÉ. Ce n'est point là ce qui m'afflige. L'AMOUR. Est-ce l'absence d'un rival, Et d'un rival aimé qui fait qu'on me néglige ? PSYCHÉ. Dans un coeur tout à vous que vous pénétrez mal !Je vous aime, Seigneur, et mon amour s'irriteDe l'indigne soupçon que vous avez formé :Vous ne connaissez pas quel est votre mérite, Si vous craignez de n'être pas aimé.Je vous aime, et depuis que j'ai vu la lumière,Je me suis montrée assez fière,Pour dédaigner les voeux de plus d'un roi :Et s'il vous faut ouvrir mon âme toute entière, Je n'ai trouvé que vous qui fût digne de moi.Cependant j'ai quelque tristesseQu'en vain je voudrais vous cacher,Un noir chagrin se mêle à toute ma tendresse,Dont je ne la puis détacher. Ne m'en demandez point la cause,Peut-être la sachant, voudrez-vous m'en punir ;Et si j'ose aspirer encore à quelque chose,Je suis sûre du moins de ne point l'obtenir. L'AMOUR. Et ne craignez-vous point qu'à mon tour je m'irrite, Que vous connaissiez mal quel est votre mérite,Ou feigniez de ne pas savoirQuel est sur moi votre absolu pouvoir ?Ah ! Si vous en doutez, soyez désabusée,Parlez. PSYCHÉ. J'aurai l'affront de me voir refusée. L'AMOUR. Prenez en ma faveur de meilleurs sentiments,L'expérience en est aisée,Parlez, tout se tient prêt à vos commandements.Si, pour m'en croire il vous faut des serments,J'en jure vos beaux yeux, ces maîtres de mon âme, Ces divins auteurs de ma flamme ;Et si ce n'est assez d'en jurer vos beaux yeux,[Note : Styx : Fleuve qui, selon la mythologie, coulait aux enfers ; les dieux juraient par le Styx, et ce serment ne pouvait être violé. [L]]J'en jure par le Styx, comme jurent les Dieux. PSYCHÉ. J'ose craindre un peu moins après cette assurance.Seigneur, je vois ici la pompe et l'abondance, Je vous adore, et vous m'aimez,Mon coeur en est ravi, mes sens en sont charmés ;Mais parmi ce bonheur suprêmeJ'ai le malheur de ne savoir qui j'aime.Dissipez cet aveuglement, Et faites-moi connaître un si parfait amant. L'AMOUR. Psyché, que venez-vous de dire ? PSYCHÉ. Que c'est le bonheur où j'aspire ;Et si vous ne me l'accordez... L'AMOUR. Je l'ai juré, je n'en suis plus le maître, Mais vous ne savez pas ce que vous demandez.Laissez-moi mon secret, si je me fais connaître,Je vous perds, et vous me perdez.Le seul remède est de vous en dédire. PSYCHÉ. C'est là sur vous mon souverain empire ? L'AMOUR. Vous pouvez tout, et je suis tout à vous ;Mais si nos feux vous semblent doux,Ne mettez point d'obstacle à leur charmante suite,Ne me forcez point à la fuite :C'est le moindre malheur qui nous puisse arriver D'un souhait qui vous a séduite. PSYCHÉ. Seigneur, vous voulez m'éprouver,Mais je sais ce que j'en dois croire.De grâce, apprenez-moi tout l'excès de ma gloire,Et ne me cachez plus pour quel illustre choix J'ai rejeté le voeux de tant de rois. L'AMOUR. Le voulez-vous ? PSYCHÉ. Souffrez que je vous en conjure. L'AMOUR. Si vous saviez, Psyché, la cruelle aventureQue par là vous vous attirez... PSYCHÉ. Seigneur, vous me désespérez. L'AMOUR. Pensez-y bien, je puis encor me taire. PSYCHÉ. Faites-vous des serments pour n'y point satisfaire ? L'AMOUR. Hé bien, je suis le Dieu le plus puissant des Dieux,Absolu sur la Terre, absolu dans les Cieux ;Dans les eaux, dans les airs mon pouvoir est suprême, En un mot, je suis l'Amour même,Qui de mes propres traits m'étais blessé pour vous ;Et sans la violence, hélas ! Que vous me faites,Et qui vient de changer mon amour en courroux,Vous m'alliez avoir pour époux. Vos volontés sont satisfaites,Vous avez su qui vous aimiez,Vous connaissez l'amant que vous charmiez,Psyché, voyez où vous en êtes.Vous me forcez vous-même à vous quitter, Vous me forcez vous-même à vous ôterTout l'effet de votre victoire :Peut-être vos beaux yeux ne me reverront plus ;Ce palais, ces jardins, avec moi disparusVont faire évanouir votre naissante gloire ; Vous n'avez pas voulu m'en croire,Et pour tout fruit de ce doute éclairci,Le Destin, sous qui le Ciel tremble,Plus fort que mon amour, que tous les Dieux ensemble,Vous va montrer sa haine, et me chasse d'ici. L'Amour disparaît, et dans l'instant qu'il s'envole, le superbe jardin s'évanouit. Psyché demeure seule au milieu d'une vaste campagne, et sur le bord sauvage d'un grand fleuve où elle se veut précipiter. Le Dieu du Fleuve paraît assis sur un amas de joncs et de roseaux et appuyé sur une grande urne, d'où sort une grosse source d'eau. SCÈNE IV. PSYCHÉ. Cruel destin ! Funeste inquiétude !Fatale curiosité !Qu'avez-vous fait, affreuse solitude,De toute ma félicité ?J'aimais un Dieu, j'en étais adorée, Mon bonheur redoublait de moment en moment,Et je me vois seule, éplorée,Au milieu d'un désert, où pour accablement,Et confuse, et désespérée,Je sens croître l'amour, quand j'ai perdu l'amant. Le souvenir m'en charme et m'empoisonne,Sa douceur tyrannise un coeur infortunéQu'aux plus cuisants chagrins ma flamme a condamné.Ô Ciel ! Quand l'Amour m'abandonne,Pourquoi me laisse-t-il l'amour qu'il m'a donné ? Source de tous les biens inépuisable et pure,Maître des hommes et des Dieux ;Cher auteur des maux que j'endure,Êtes-vous pour jamais disparu de mes yeux ?Je vous en ai banni moi-même ; Dans un excès d'amour, dans un bonheur extrême,D'un indigne soupçon mon coeur s'est alarmé ;Coeur ingrat, tu n'avais qu'un feu mal allumé,Et l'on ne peut vouloir du moment que l'on aime.Que ce que veut l'objet aimé. Mourons, c'est le parti qui seul me reste à suivre,Après la perte que je fais.Pour qui, grands Dieux, voudrais-je vivre,Et pour qui former des souhaits ?Fleuve, de qui les eaux baignent ces tristes sables, Ensevelis mon crime dans tes flots,Et pour finir des maux si déplorables,Laisse-moi dans ton lit assurer mon repos. LE DIEU DU FLEUVE. Ton trépas souillerait mes ondes,Psyché, le Ciel te le défend, Et peut-être qu'après des douleurs si profondesUn autre sort t'attend.Fuis plutôt de Vénus l'implacable colère :Je la vois qui te cherche et qui te veut punir,L'amour du fils a fait la haine de la mère. Fuis, je saurai la retenir. PSYCHÉ. J'attends ses fureurs vengeresses.Qu'auront-elles pour moi qui ne me soit trop doux ?Qui cherche le trépas, ne craint Dieux, ni Déesses,Et peut braver tout leur courroux. SCÈNE V. Vénus, Psyché. VÉNUS. Orgueilleuse Psyché, vous m'osez donc attendre,Après m'avoir sur Terre enlevé mes honneurs,Après que vos traits suborneursOnt reçu les encens qu'aux miens seuls on doit rendre ?J'ai vu mes temples désertés, J'ai vu tous les mortels séduits par vos beautésIdolâtrer en vous la beauté souveraine,Vous offrir des respects jusqu'alors inconnus,Et ne se mettre pas en peineS'il était une autre Vénus : Et je vous vois encor l'audaceDe n'en pas redouter les justes châtiments,Et de me regarder en face,Comme si c'était peu que mes ressentiments. PSYCHÉ. Si de quelques mortels on m'a vue adorée, Est-ce un crime pour moi d'avoir eu des appas,Dont leur âme inconsidéréeLaissait charmer des yeux qui ne vous voyaient pas ?Je suis ce que le Ciel m'a faite,Je n'ai que les beautés qu'il m'a voulu prêter : Si les voeux qu'on m'offrait vous ont mal satisfaite,Pour forcer tous les coeurs à vous les reporter,Vous n'aviez qu'à vous présenter,Qu'à ne leur cacher plus cette beauté parfaite,Qui pour les rendre à leur devoir, Pour se faire adorer, n'a qu'à se faire voir. VÉNUS. Il fallait vous en mieux défendre,Ces respects, ces encens se devaient refuser,Et pour les mieux désabuser,Il fallait à leurs yeux vous-même me les rendre. Vous avez aimé cette erreurPour qui vous ne deviez avoir que de l'horreur ;Vous avez bien fait plus, votre humeur arroganteSur le mépris de mille roisJusques aux Cieux a porté de son choix L'ambition extravagante. PSYCHÉ. J'aurais porté mon choix, Déesse, jusqu'aux Cieux ? VÉNUS. Votre insolence est sans seconde ;Dédaigner tous les rois du monde ;N'est-ce pas aspirer aux Dieux ? PSYCHÉ. Si l'Amour pour eux tous m'avait endurci l'âme,Et me réservait toute à lui,En puis-je être coupable, et faut-il qu'aujourd'huiPour prix d'une si belle flamme,Vous vouliez m'accabler d'un éternel ennui ? VÉNUS. Psyché, vous deviez mieux connaîtreQui vous étiez, et quel était ce Dieu. PSYCHÉ. Et m'en a-t-il donné ni le temps, ni le lieu,Lui qui de tout mon coeur d'abord s'est rendu maître ? VÉNUS. Tout votre coeur s'en est laissé charmer, Et vous l'avez aimé dès qu'il vous a dit, j'aime. PSYCHÉ. Pouvais-je n'aimer pas le Dieu qui fait aimer,Et qui me parlait pour lui-même ?C'est votre fils, vous savez son pouvoir,Vous en connaissez le mérite. VÉNUS. Oui, c'est mon fils, mais un fils qui m'irrite,Un fils qui me rend mal ce qu'il sait me devoir,Un fils qui fait qu'on m'abandonne,Et qui pour mieux flatter ses indignes amours,Depuis que vous l'aimez, ne blesse plus personne Qui vienne à mes autels implorer mon secours.Vous m'en avez fait un rebelle,On m'en verra vengée, et hautement, sur vous,Et je vous apprendrai s'il faut qu'une mortelleSouffre qu'un Dieu soupire à ses genoux, Suivez-moi, vous verrez par votre expérienceÀ quelle folle confianceVous portait cette ambition ;Venez, et préparez autant de patience,Qu'on vous voit de présomption. QUATRIÈME INERMÈDE. La scène représente les Enfers. On y voit une mer toute de feu, dont les flots sont dans une perpétuelle agitation. Cette mer effroyable est bornée par des ruines enflammées ; et au milieu de ses flots agités, au travers d'une gueule affreuse, paraît le palais infernal de Pluton. Huit Furies en sortent, et forment une entrée de ballet, où elles se réjouissent de la rage qu'elles ont allumée dans l'âme de la plus douce des Divinités. Un Lutin mêle quantité de sauts périlleux à leurs danses, cependant que Psyché qui a passé aux Enfers par le commandement de Vénus, repasse dans la barque de Charon, avec la boîte qu'elle a reçue de Proserpine pour cette déesse. ACTE V SCÈNE I. PSYCHÉ. Effroyables replis des ondes infernales,Noirs palais où Mégère et ses soeurs font leur Cour,Éternels ennemis du jour,Parmi vos Ixions, et parmi vos Tantales,Parmi tant de tourments, qui n'ont point d'intervalles, Est-il dans votre affreux séjourQuelques peines qui soient égalesAux travaux où Vénus condamne mon amour ?Elle n'en peut être assouvie :Et depuis qu'à ses lois je me trouve asservie, Depuis qu'elle me livre à ses ressentiments,Il m'a fallu dans ces cruels momentsPlus d'une âme, et plus d'une vie,Pour remplir ses commandements.Je souffrirais tout avec joie, Si parmi les rigueurs que sa haine déploie,Mes yeux pouvaient revoir, ne fût-ce qu'un moment,Ce cher, cet adorable amant :Je n'ose le nommer ; ma bouche criminelleD'avoir trop exigé de lui, S'en est rendue indigne, et dans ce dur ennui,La souffrance la plus mortelleDont m'accable à toute heure un renaissant trépas,Est celle de ne le voir pas.Si son courroux durait encore, Jamais aucun malheur n'approcherait du mien :Mais s'il avait pitié d'une âme qui l'adore,Quoi qu'il fallût souffrir, je ne souffrirais rien.Oui, Destins, s'il calmait cette juste colère,Tous mes malheurs seraient finis : Pour me rendre insensible aux fureurs de la mère,Il ne faut qu'un regard d'un fils.Je n'en veux plus douter, il partage ma peine,Il voit ce que je souffre, et souffre comme moi,Tout ce que j'endure le gêne, Lui-même il s'en impose une amoureuse loi :En dépit de Vénus, en dépit de mon crime,C'est lui qui me soutient, c'est lui qui me ranime,Au milieu des périls où l'on me fait courir :Il garde la tendresse où son feu le convie, Et prend soin de me rendre une nouvelle vie,Chaque fois qu'il me faut mourir.Mais que me veulent ces deux OmbresQu'à travers le faux jour de ces demeures sombresJ'entrevois s'avancer vers moi ? SCÈNE II. Psyché, Cléomène, Agénor. PSYCHÉ. Cléomène, Agénor, est-ce vous que je vois ?Qui vous a ravi la lumière ? CLÉOMÈNE. La plus juste douleur qui d'un beau désespoirNous eût pu fournir la matière,Cette pompe funèbre, où du sort le plus noir Vous attendiez la rigueur la plus fière,L'injustice la plus entière. AGÉNOR. Sur ce même rocher, où le Ciel en courrouxVous promettait au lieu d'épouxUn serpent dont soudain vous seriez dévorée, Nous tenions la main préparéeÀ repousser sa rage, ou mourir avec vous.Vous le savez, Princesse, et lorsqu'à notre vue,Par le milieu des airs vous êtes disparue,Du haut de ce rocher, pour suivre vos beautés, Ou plutôt pour goûter cette amoureuse joieD'offrir pour vous au monstre une première proie,D'amour et de douleur l'un et l'autre emportés,Nous nous sommes précipités. CLÉOMÈNE. Heureusement déçus au sens de votre Oracle, Nous en avons ici reconnu le miracle,Et su que le serpent prêt à vous dévorerÉtait le Dieu qui fait qu'on aime,Et qui tout Dieu qu'il est vous adorant lui-même,Ne pouvait endurer Qu'un mortel comme nous osât vous adorer. AGÉNOR. Pour prix de vous avoir suivie,Nous jouissons ici d'un trépas assez doux :Qu'avions-nous affaire de vie,Si nous ne pouvions être à vous ? Nous revoyons ici vos charmes,Qu'aucun des deux là-haut n'aurait revus jamais.Heureux si nous voyons la moindre de vos larmesHonorer des malheurs que vous nous avez faits. PSYCHÉ. Puis-je avoir des larmes de reste Après qu'on a porté les miens au dernier point ?Unissons nos soupirs dans un sort si funeste,Les soupirs ne s'épuisent point.Mais vous soupireriez, Princes, pour une ingrate,Vous n'avez point voulu survivre à mes malheurs, Et quelque douleur qui m'abatte,Ce n'est point pour vous que je meurs. CLÉOMÈNE. L'avons-nous mérité, nous dont toute la flammeN'a fait que vous lasser du récit de nos maux ? PSYCHÉ. Vous pouviez mériter, Princes, toute mon âme, Si vous n'eussiez été rivaux.Ces qualités incomparablesQui de l'un et de l'autre accompagnaient les voeux,Vous rendaient tous deux trop aimables,Pour mépriser aucun des deux. AGÉNOR. Vous avez pu sans être injuste, ni cruelle,Nous refuser un coeur réservé pour un Dieu.Mais revoyez Vénus : le Destin nous rappelle,Et nous force à vous dire adieu. PSYCHÉ. Ne vous donne-t-il point le loisir de me dire Quel est ici votre séjour ? CLÉOMÈNE. Dans des bois toujours verts, où d'amour on respire,Aussitôt qu'on est mort d'amour.D'amour on y revit, d'amour on y soupire,Sous les plus douces lois de son heureux Empire, Et l'éternelle nuit n'ose en chasser le jour,Que lui-même il attireSur nos fantômes qu'il inspire,Et dont aux Enfers même il se fait une Cour. AGÉNOR. Vos envieuses soeurs après nous descendues, Pour vous perdre se sont perdues,Et l'une et l'autre tour à tour,Pour le prix d'un conseil qui leur coûte la vie,[Note : Ixion : Roi des Lapithes, fit périr par surprise Délionée, son beau père, pour ne pas avoir à acquitter une dette contractée envers lui, et fut pour son crime chassé de ses États.][Note : Titye : Géant de la mythologie grecque qui était déviré par un vautour. ]À côté d'Ixion, à côté de Titye,Souffre tantôt la roue, et tantôt le vautour. L'Amour par les Zéphirs s'est fait prompte justiceDe leur envenimée et jalouse malice :Ces ministres ailés de son juste courroux,Sous couleur de les rendre encore auprès de vous,Ont plongé l'une et l'autre au fond d'un précipice, Où le spectacle affreux de leurs corps déchirésN'étale que le moindre, et le premier suppliceDe ces conseils dont l'artificeFait les maux dont vous soupirez. PSYCHÉ. Que je les plains ! CLÉOMÈNE. Vous êtes seule à plaindre. Mais nous demeurons trop à vous entretenir,Adieu, puissions-nous vivre en votre souvenir,Puissiez-vous, et bientôt, n'avoir plus rien à craindre,Puisse, et bientôt, l'Amour vous enlever aux Cieux,Vous y mettre à côté des Dieux, Et rallumant un feu qui ne se puisse éteindre,Affranchir à jamais l'éclat de vos beaux yeuxD'augmenter le jour en ces lieux. SCÈNE III. PSYCHÉ. Pauvres amants ! Leur amour dure encore,Tous morts qu'ils sont l'un et l'autre m'adore, Moi dont la dureté reçut si mal leurs voeux :Tu n'en fais pas ainsi, toi qui seul m'as ravie,Amant, que j'aime encor cent fois plus que ma vie,Et qui brises de si beaux noeuds.Ne me fuis plus, et souffre que j'espère Que tu pourras un jour rabaisser l'oeil sur moi,Qu'à force de souffrir j'aurai de quoi te plaire,De quoi me rengager ta foi.Mais ce que j'ai souffert m'a trop défigurée,Pour rappeler un tel espoir ; L'oeil abattu, triste, désespérée,Languissante, et décolorée,De quoi puis-je me prévaloir,Si par quelque miracle impossible à prévoirMa beauté qui t'a plu ne se voit réparée ? Je porte ici de quoi la réparer,Ce trésor de beauté divine,Qu'en mes mains pour Vénus a remis Proserpine,Enferme des appas dont je puis m'emparer,Et l'éclat en doit être extrême, Puisque Vénus la beauté mêmeLes demande pour se parer.En dérober un peu serait-ce un si grand crime ?Pour plaire aux yeux d'un Dieu qui s'est fait mon amant,Pour regagner son coeur, et finir mon tourment, Tout n'est-il pas trop légitime ?Ouvrons. Quelles vapeurs m'offusquent le cerveau,Et que vois-je sortir de cette boîte ouverte ?Amour, si ta pitié ne s'oppose à ma perte,Pour ne revivre plus, je descends au tombeau. Elle s'évanouit, et l'Amour descend auprès d'elle en volant. SCÈNE IV. L'Amour, Psyché, évanouie. L'AMOUR. Votre péril, Psyché, dissipe ma colère,Ou plutôt de mes feux l'ardeur n'a point cessé,Et, bien qu'au dernier point vous m'ayez su déplaire,Je ne me suis intéresséQue contre celle de ma mère. J'ai vu tous vos travaux, j'ai suivi vos malheurs,Mes soupirs ont partout accompagné vos pleurs ;Tournez les yeux vers moi, je suis encor le même.Quoi ! Je dis et redis tout haut que je vous aime,Et vous ne dites point, Psyché, que vous m'aimez ! Est-ce que pour jamais vos beaux yeux sont fermés ?Qu'à jamais la clarté leur vient d'être ravie ?Ô Mort, devais-tu prendre un dard si criminel,Et sans aucun respect pour mon Être éternelAttenter à ma propre vie ? Combien de fois, ingrate Déité,Ai-je grossi ton noir empire,Par les mépris et par la cruautéD'une orgueilleuse ou farouche beauté ?Combien même, s'il le faut dire, T'ai-je immolé de fidèles amantsÀ force de ravissements ?Va, je ne blesserai plus d'âmes,Je ne percerai plus de coeurs,Qu'avec des dards trempés aux divines liqueurs Qui nourrissent du Ciel les immortelles flammes,Et n'en lancerai plus que pour faire à tes yeux,Autant d'amants, autant de Dieux.Et vous, impitoyable Mère,Qui la forcez à m'arracher Tout ce que j'avais de plus cher,Craignez à votre tour l'effet de ma colère.Vous me voulez faire la loi,Vous qu'on voit si souvent la recevoir de moi !Vous qui portez un coeur sensible comme un autre, Vous enviez au mien les délices du vôtre !Mais dans ce même coeur j'enfoncerai des coups,Qui ne seront suivis que de chagrins jaloux ;Je vous accablerai de honteuses surprises,Et choisirai partout à vos voeux les plus doux [Note : Anchise : Prince troyen fils de Capys et arrière petit-fils de Tros, fut aimé de Vénus et en eut Enée. [B]][Note : Adonis : jeune homme d'une beauté remarquable, était, suivant les Grecs,le fruit du commerce incestueux de Cinyras avec sa fille Myrrha. Il fut changé en anémone. [B]]Des Adonis et des AnchisesQui n'auront que haine pour vous. SCÈNE V. Vénus, L'Amour, Psyché, évanouie. VÉNUS. La menace est respectueuse,Et d'un enfant qui fait le révoltéLa colère présomptueuse... L'AMOUR. Je ne suis plus enfant, et je l'ai trop été,Et ma colère est juste autant qu'impétueuse. VÉNUS. L'impétuosité s'en devrait retenir,Et vous pourriez vous souvenirQue vous me devez la naissance. L'AMOUR. Et vous pourriez n'oublier pasQue vous avez un coeur et des appasQui relèvent de ma puissance :Que mon arc de la vôtre est l'unique soutien,Que sans mes traits elle n'est rien, Et que si les coeurs les plus braves,En triomphe par vous se sont laissés traîner,Vous n'avez jamais fait d'esclavesQue ceux qu'il m'a plu d'enchaîner.Ne me vantez donc plus ces droits de la naissance Qui tyrannisent mes désirs ;Et si vous ne voulez perdre mille soupirs,Songez en me voyant à la reconnaissance,Vous qui tenez de ma puissanceEt votre gloire et vos plaisirs. VÉNUS. Comment l'avez-vous défendue,Cette gloire dont vous parlez ?Comment me l'avez-vous rendue ?Et quand vous avez vu mes autels désolés,Mes temples violés, Mes honneurs ravalés,Si vous avez pris part à tant d'ignominie,Comment en a-t-on vu puniePsyché qui me les a volés ?Je vous ai commandé de la rendre charmée Du plus vil de tous les mortels,Qui ne daignât répondre à son âme enflamméeQue par des rebuts éternels,Par les mépris les plus cruels,Et vous-même l'avez aimée ! Vous avez contre moi séduit des Immortels,C'est pour vous qu'à mes yeux les Zéphyrs l'ont cachée,Qu'Apollon même subornéPar un Oracle adroitement tournéMe l'avait si bien arrachée, Que si sa curiositéPar une aveugle défianceNe l'eût rendue à ma vengeance,Elle échappait à mon coeur irrité.Voyez l'état où votre amour l'a mise, Votre Psyché, son âme va partir,Voyez, et si la vôtre en est encore éprise,Recevez son dernier soupir.Menacez, bravez-moi, cependant qu'elle expire :Tant d'insolence vous sied bien, Et je dois endurer quoi qu'il vous plaise dire,Moi qui sans vos traits ne puis rien. L'AMOUR. Vous ne pouvez que trop, Déesse impitoyable,Le Destin l'abandonne à tout votre courroux :Mais soyez moins inexorable Aux prières, aux pleurs d'un fils à vos genoux.Ce doit vous être un spectacle assez douxDe voir d'un oeil Psyché mourante,Et de l'autre ce fils d'une voix supplianteNe vouloir plus tenir son bonheur que de vous. Rendez-moi ma Psyché, rendez-lui tous ses charmes,Rendez-la, Déesse, à mes larmes,Rendez à mon amour, rendez à ma douleurLe charme de mes yeux, et le choix de mon coeur. VÉNUS. Quelque amour que Psyché vous donne, De ses malheurs par moi n'attendez pas la fin :Si le Destin me l'abandonne,Je l'abandonne à son destin.Ne m'importunez plus, et dans cette infortuneLaissez-la sans Vénus triompher ou périr. L'AMOUR. Hélas ! Si je vous importune,Je ne le ferais pas, si je pouvais mourir. VÉNUS. Cette douleur n'est pas commune,Qui force un immortel à souhaiter la mort. L'AMOUR. Voyez par son excès si mon amour est fort. Ne lui ferez-vous grâce aucune ? VÉNUS. Je vous l'avoue, il me touche le coeur,Votre amour, il désarme, il fléchit ma rigueur :Votre Psyché reverra la lumière. L'AMOUR. Que je vous vais partout faire donner d'encens ! VÉNUS. Oui, vous la reverrez dans sa beauté première :Mais de vos voeux reconnaissants[Note : Déférence : Condescendance mêlée d'égards et dictée par un motif de respect. [L]]Je veux la déférence entière,Je veux qu'un vrai respect laisse à mon amitiéVous choisir une autre moitié. L'AMOUR. Et moi, je ne veux plus de grâce,Je reprends toute mon audace,Je veux Psyché, je veux sa foi,Je veux qu'elle revive et revive pour moi,Et tiens indifférent que votre haine lasse, En faveur d'une autre se passe.Jupiter qui paraît va juger entre nousDe mes emportements et de votre courroux. Après quelques éclairs et roulements de tonnerre, Jupiter paraît en l'air sur son aigle. SCÈNE DERNIÈRE. Jupiter, Vénus, L'Amour, Psyché. Mome déclare qu'il n'a point de plus doux emploi que de médire, et que ce n'est qu'à l'Amour seul qu'il n'ose se jouer. L'AMOUR. Vous à qui seul tout est possible,Père des Dieux, souverain des mortels, Fléchissez la rigueur d'une mère inflexibleQui sans moi n'aura point d'autels.J'ai pleuré, j'ai prié, je soupire, menace,Et perds menaces et soupirs ;Elle ne veut pas voir que de mes déplaisirs Dépend du monde entier l'heureuse ou triste face,Et que si Psyché perd le jour,Si Psyché n'est à moi, je ne suis plus l'Amour.Oui, je romprai mon arc, je briserai mes flèches,J'éteindrai jusqu'à mon flambeau, Je laisserai languir la Nature au tombeau ;Ou si je daigne aux coeurs faire encor quelques brèches,Avec ces pointes d'or qui me font obéirJe vous blesserai tous là-haut pour des mortelles,Et ne décocherai sur elles Que des traits émoussés qui forcent à haïr,Et qui ne font que des rebelles,Des ingrates, et des cruelles.Par quelle tyrannique loiTiendrai-je à vous servir mes armes toujours prêtes, Et vous ferai-je à tous conquêtes sur conquêtes,Si vous me défendez d'en faire une pour moi ? JUPITER. Ma fille, sois-lui moins sévère.Tu tiens de sa Psyché le destin en tes mains,[Note : Parques : divinités des Enfers chargées de filer la vie des hommes, étaient au nombre de trois, Clotho, Lachésis, Atropos : Chlotho préside à la naissance et tient le fuseau, Lachésis le tourne et file, Atropos coupe le fil. [B]]La Parque au moindre mot va suivre ta colère, Parle, et laisse-toi vaincre aux tendresses de mère,Ou redoute un courroux que moi-même je crains.Veux-tu donner le monde en proieÀ la haine, au désordre, à la confusion,Et d'un Dieu d'union, D'un Dieu de douceurs et de joie,Faire un Dieu d'amertume et de division ?Considère ce que nous sommes,Et si les passions doivent nous dominer,Plus la vengeance a de quoi plaire aux Hommes, Plus il sied bien aux Dieux de pardonner. VÉNUS. Je pardonne à ce fils rebelle.Mais voulez-vous qu'il me soit reprochéQu'une misérable mortelle,L'objet de mon courroux, l'orgueilleuse Psyché, Sous ombre qu'elle est un peu belle,Par un hymen dont je rougis,Souille mon alliance, et le lit de mon Fils ? JUPITER. Hé bien, je la fais immortelle,Afin d'y rendre tout égal. VÉNUS. Je n'ai plus de mépris, ni de haine pour elle,Et l'admets à l'honneur de ce noeud conjugal.Psyché, reprenez la lumière,Pour ne la reperdre jamais,Jupiter a fait votre paix, Et je quitte cette humeur fièreQui s'opposait à vos souhaits. PSYCHÉ. C'est donc vous, ô grande Déesse,Qui redonnez la vie à ce coeur innocent ! VÉNUS. Jupiter vous fait grâce, et ma colère cesse. Vivez, Vénus l'ordonne, aimez elle y consent. PSYCHÉ, à l'Amour. Je vous revois enfin, cher objet de ma flamme ! L'AMOUR, à Psyché. Je vous possède enfin, délices de mon âme ! JUPITER. Venez, amants, venez aux CieuxAchever un si grand et si digne hyménée ; Viens-y, belle Psyché, changer de destinée,Viens prendre place au rang des Dieux. Deux grandes machines descendent aux deux côtés de Jupiter, cependant qu'il dit ces derniers vers. Vénus avec sa suite monte dans l'une, l'Amour avec Psyché dans l'autre, et tous ensemble remontent au ciel. Les Divinités, qui avaient été partagées entre Vénus et son fils, se réunissent en les voyant d'accord ; et toutes ensemble, par des concerts, des chants, et des danses, célèbrent la fête des noces de l'Amour. Apollon paraît le premier et comme Dieu de l'Harmonie commence à chanter pour inviter les autres Dieux à se réjouir. Récit d'APOLLON. Unissons-nous, troupe immortelle ;Le Dieu d'Amour devient heureux amant,Et Vénus a repris sa douceur naturelle En faveur d'un fils si charmant :Il va goûter en paix, après un long tourment,Une félicité qui doit être éternelle. TOUTES LES DIVINITÉS CHANTENT ENSEMBLE CE COUPLET À LA GLOIRE DE L'AMOUR. Célébrons ce grand jour ;Célébrons tous une fête si belle : Que nos chants en tous lieux en portent la nouvelle ;Qu'ils fassent retenir le céleste séjour :Chantons, répétons tour à tour,Qu'il n'est point d'âme si cruelle,Qui tôt ou tard ne se rende à l'Amour. APOLLON, continue. Le Dieu qui nous engage À lui faire la Cour, Défend qu'on soit trop sage. Les plaisirs ont leur tour, C'est leur plus doux usage, Que de finir les soins du jour. La nuit est le partage Des jeux et de l'amour. Ce serait grand dommage Qu'en ce charmant séjour On eût un coeur sauvage. Les plaisirs ont leur tour, C'est leur plus doux usage, Que de finir les soins du jour. La nuit est le partage Des jeux et de l'amour. Deux Muses qui ont toujours évité de s'engager sous les lois de l'Amour, conseillent aux Belles, qui n'ont point encore aimé, de s'en défendre avec soin à leur exemple. CHANSON DES MUSES. Gardez-vous, beautés sévères,Les amours font trop d'affaires,Craignez toujours de vous laisser charmer :Quand il faut que l'on soupire, Tout le mal n'est pas de s'enflammer :Le martyreDe le direCoûte plus cent fois que d'aimer. SECOND COUPLET DES MUSES.On ne peut aimer sans peines, Il est peu de douces chaînes,À tout moment on se sent alarmer ;Quand il faut que l'on soupire,Tout le mal n'est pas de s'enflammer ;Le martyre De le direCoûte plus cent fois que d'aimer. Bacchus fait entendre qu'il n'est pas si dangereux que l'Amour. RÉCIT DE BACCHUS. Si quelquefois,Suivant nos douces lois,La raison se perd et s'oublie, Ce que le vin nous cause de folieCommence et finit en un jour ;Mais quand un coeur est enivré d'amour,Souvent c'est pour toute la vie. RÉCIT DE MOME. Je cherche à médire Sur la Terre et dans les Cieux ;Je soumets à ma satireLes plus grands des Dieux.Il n'est dans l'Univers que l'Amour qui m'étonne ;Il est le seul que j'épargne aujourd'hui, Il n'appartient qu'à luiDe n'épargner personne. ENTRÉE DE BALLET. Composée de deux Ménades et de deux égyptiens qui suivent Bachus. ENTRÉE DE BALLET. Composée de quatre polichinelles et de deux matassins qui suivent Mome, et viennent joindre leur plaisanterie et leur badinage aux divertissements de cette grande fête. Composée de quatre polichinelles et de deux matassins qui suivent Mome, et viennent joindre leur plaisanterie et leur badinage aux divertissements de cette grande fête. RÉCIT DE BACCHUS Admirons le jus de la treille :Qu'il est puissant ! Qu'il a d'attraits !Il sert aux douceurs de la paix, Et dans la guerre il fait merveille :Mais surtout pour les amours,Le vin est d'un grand secours. RÉCIT DE MOME. Folâtrons, divertissons-nous, Raillons, nous ne saurions mieux faire, La raillerie est nécessaire Dans les jeux les plus doux. Sans la douceur que l'on goûte à médire, On trouve peu de plaisirs sans ennui ; Rien n'est si plaisant que de rire, Quand on rit aux dépens d'autrui. Plaisantons, ne pardonnons rien, Rions, rien n'est plus à la mode. On court péril d'être incommode, En disant trop de bien. Sans la douceur que l'on goûte à médire, On trouve peu de plaisirs sans ennui ; Rien n'est si plaisant que de rire, Quand on rit aux dépens d'autrui. Mars arrive au milieu du théâtre, suivi de sa troupe guerrière, qu'il excite à profiter de leur loisir ; en prenant part aux divertissements. RÉCIT DE MARS. Laissons en paix toute la Terre, Cherchons de doux amusements ;Parmi les jeux les plus charmants,Mêlons l'image de la Guerre. ENTRÉE DE BALLET. Suivants de Mars, qui font en dansant avec des enseignes, une manière d'exercice. DERNIÈRE ENTRÉE DE BALLET. Les troupes différentes de la suite d'Apollon, de Bacchus, de Mome, et de Mars, après avoir achevé leurs entrées particulières, s'unissent ensemble, et forment la dernière entrée, qui renferme toutes les autres. Les troupes différentes de la suite d'Apollon, de Bacchus, de Mome, et de Mars, après avoir achevé leurs entrées particulières, s'unissent ensemble, et forment la dernière entrée, qui renferme toutes les autres. DERNIER CHOEUR. Chantons les plaisirs charmantsDes heureux amants, Que tout le Ciel s'empresseÀ leur faire sa Cour,Célébrons ce beau jourPar mille doux chants d'allégresse,Célébrons ce beau jour Par mille doux chants pleins d'amour. Dans le grand salon du palais des Tuileries, où Psyché a été représentée devant Leurs Majestés, il y avait des timbales, des trompettes et des tambours mêlés dans ces derniers concerts, et ce dernier couplet se chantait ainsi.Chantons les plaisirs charmantsDes heureux amants,Répondez-nous Trompettes,Timbales et Tambours : Accordez-vous toujoursAvec le doux son des musettes,Accordez-vous toujoursAvec le doux chant des amours. ==================================================