******************************************************** DC.Title = SGANARELLE ou Le COCU IMAGINAIRE, COMÉDIE DC.Author = MOLIERE DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 12/07/2022 à 17:45:06. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MOLIERE_SGANARELLE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1280401n DC.Source.cote = BnF ASP RESERVE 8-RF-2989 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** SGANARELLE OU LE COCU IMAGINAIRE COMÉDIE Avec les arguments de chaque scène. M. DC. LXIII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. À PARIS, chez AUGUSTIN RIBOU, au Palais, en la Galerie des Merciers, à la Palme.Achevé d'imprimer le 12 août 1660. Les exemplaires ont été fournis. Représenté pour la première fois le 28 mai 1660 au Théâtre du Petit-Bourbon. MONSIEUR, Ayant été voir votre charmante comédie du Cocu Imaginaire ; la première fois qu'elle fois paraître ses beautés au public, elle me parut si admirable, que je crus que ce n'était pas rendre justice à un si merveilleux ouvrage, que de ne la voir qu'une fois, ce qui me fit retourner cinq ou six autres ; et comme on retient assez facilement les choses qui frappent vivement l'imagination, j'eus le bonheur de la retenir entière sans aucun dessein prémédité, et je m'en aperçus d'une manière assez extraordinaire. Un jour m'étant trouvé dans une assez célèbre compagnie, où l'on s'entretenait et de votre esprit et du génie particulier que vous avez pour les pièces de théâtre, je coulai mon sentiment parmi celui des autres, et pour enchérir par dessus ce qui se disait à votre avantage, je voulus faire le récit de votre COCU IMAGINAIRE ; mais je fus bien surpris, quand je vis qu'à cent vers près, je savais la pièce par coeur, et qu'au lieu du sujet, je les avais tous récités ; cela m'y fit retourner encore une fois pour achever de retenir ce que je n'en savais pas. Aussitôt un gentilhomme de la Campagne de mes amis, extraordinairement curieux de ces sortes d'ouvrages, m'écrivit, et me pria de lui mander ce que c'était que le COCU IMAGINAIRE, parce que, disait-il il n'avait point vu de pièce dont le titre promit rien de si spirituel, si elle était traitée par un habile homme. Je lui envoyai aussitôt la pièce que j'avais retenue, pour lui montrer qu'il ne s'était pas trompé ; et comme il ne l'avait point vue représenter, je crus à propos de lui envoyer les arguments de chaque scène, pour lui montrer que quoi que cette pièce fut admirable, l'auteur en la représentant y savait encore faire découvrir de nouvelles beautés. Je n'oublierai pas de lui mander expressément, et même de le conjurer pendant de n'en laisser rien sortir de ses mains ; cependant sans savoir comment cela s'est fait, j'en ai vu courir huit ou dix copies en cette ville, et j'ai su que quantité de gens étaient de la faire mettre sous la presse ; ce qui m'a mis dans une colère d'autant plus grande, que la plupart de ceux qui ont décrit cet ouvrage, l'ont tellement défiguré, soit en y ajoutant, soit en y diminuant que je ne l'ai pas trouvée reconnaissable ; et comme il y allait de votre gloire et de la mienne, que l'on ne l'imprimas pas de la sorte, à cause de vers que vous avez faits, et de la prose que j'y ai ajouté, j'ai cru qu'il fallait aller au devant de ces Messieurs, qui impriment les gens malgré qu'ils en aient, et donner donner une copie qui fut correcte (je puis parler ainsi, puisque je crois que vous trouverez votre pièce dans les formes), j'ai pourtant combattu longtemps avant que de la donner ; mais enfin j'ai vu que c'était une nécessité que nous fussions imprimé, et je m'y suis résolu d'autant plus volontiers, que j'ai vu que cela vous pouvait apporter aucun dommage non plus qu'à votre troupe, puisque votre pièce a été jouée près de cinquante fois, je suis, MONSIEUR, Votre très humble serviteur *** MONSIEUR, Vous ne vous êtes pas trompé dans votre pensée, lorsque vous avez dit (avant que l'on le jouât) que si Le COCU IMAGINAIRE, était traité par un habile homme, ce devait être une parfaitement belle pièce : c'est pourquoi je crois qu'il ne me fera pas difficile de vous faire tomber d'accord de la beauté de cette Comédie, même avant que de l'avoir vue, quand je vous aurai dit qu'elle part de la plume de l'ingénieux auteur des PRÉCIEUSES RIDICULES. Jugez après cela, si se ne se doit pas être un ouvrage tout à fait galant et tout à fait spirituel, puisque ce sont deux choses que son auteur possède avantageusement. Elle y brillent aussi avec tant d'éclat, que cette pièce surpasse de beaucoup toutes celles qu'il a faites, quoi que le sujet de ces PRÉCIEUSES RIDICULES soit tout à fait spirituel, et celui de son DÉPIT AMOUREUX tout à fait galant. Mais vous en allez vous-même être juge dès que vous l'aurez lue, et je suis assuré que vous trouverez quantité de vers qui ne se peuvent payer, que plus vous relirez, plus vous connaîtrez avoir été profondément pensés. En effet le sens en est si mystérieux, qu'ils ne peuvent partir que d'un homme consommé dans les Compagnies, et j'ose même avancer que SGANARELLE n'a aucun mouvement jaloux, ni ne pousse aucun sentiment, que l'auteur n'ait peut-être ouï lui-même de quantité de gens au plus fort de leur jalousie, tant ils sont exprimés naturellement ; si bien que l'on peut dire que quand il veut mettre quelque chose au jour, il le lit premièrement dans le monde (s'il est permis de parler ainsi) ce qui ne se peut faire sans avoir un discernement aussi bon que lui, et aussi propre à choisir ce qui plaît. On ne doit donc pas s'étonner après cela, si ses pièces ont une si extraordinaire réussite, puisque l'on n'y voit rien de forcé, que tout y est naturel, que tout y tombe sous le sens, et qu'enfin les plus spirituels confessent, que les passions produiraient en eux les mêmes effets qu'ils produisent en ceux qu'il introduit sur la scène. Je n'aurais jamais fait, si je prétendais vous dire tout ce qui rend recommandable l'auteur des PRÉCIEUSES RIDICULES, ou du COCU IMAGINAIRE; C'est ce qui fait que je ne vous en entretiendrai pas davantage, pour vous dire que quelques beautés que cette pièce vous fasse voir sur le papier, elle n'a pas encore tous les agréments que le théâtre donne d'ordinaire à ces sortes d'ouvrages. Je tâcherai toutefois de vous en faire voir quelque choses aux endroits où il sera nécessaire pour l'intelligence des vers et du sujet, quoi qu'il soit assez difficile de bien exprimer sur le papier ce que les pièces appellent Jeux de Théâtre, qui font que certains endroits où il faut que le corps et le visage jouent beaucoup, et qui dépensent plus du comédien que du poète, consistant presque toujours dans l'action : c'est pourquoi je vous conseille de venir à Paris, pour voir représenter le COCU IMAGINAIRE par son auteur, et vous verrez qu'il y fait des choses qui ne vous donneront pas moins d'admiration, que vous aura donné la lecture de cette pièce ; mais je ne m'aperçois pas que je viens de promettre de ne vous plus entretenir l'esprit de cet auteur, puisque vous en découvrirez plus dans les vers que vous allez lire, que dans tous les discours que je vous en pourrais faire. Je sais bien que je vous ennuie, et je m'imagine pour voir passer les yeux avec chagrin par dessus cette longue épître ; mais prenez vous en à l'auteur... Foin, je voudrais bien éviter ce mot d'auteur ; car je crois qu'il se rencontre presque dans chaque ligne, et j'ai déjà été tenté plus de six fois de mettre MONSIEUR DE MOLIER[E] en sa place. Prenez vous-en donc à MONSIEUR DE MOLIER[E], puisque le voilà. Non, laissons le là toutefois, et ne vous en prenez pas qu'à son esprit qui m'a fait faire une lettre plus longue que je n'aurais voulu, sans toutefois avoir parlé d'autres personnes que de lui, et sans avoir dit le quart de ce que j'avais à dire à son avantage. Mais je finis, de peur que cette épître n'attire quelque maudisson* sur elle, et je gage que dans l'impatience où vous êtes, vous serez bien aise d'en avoir la fin et le commencement de cette pièce. * Synonyme familier de malédiction. ACTEURS GORGIBUS, bourgeois de Paris. CÉLIE, sa fille. LÉLIE, amant de Célie. GROS-RENÉ, valet de Lélie. SGANARELLE, bourgeois de Paris, et cocu imaginaire. SA FEMME. VILLEBREQUIN, père de Valère. LA SUIVANTE de Célie. UN PARENTde Sganarelle. La scène est à Paris. SGANRAELLE OU LE COCU IMAGINAIRE SCÈNE PREMIÈRE. Célie, Gorgibus. Cette première scène, où Gorgibus entre avec sa fille, fait voir à l'auditeur que l'avarice est la passion la plus ordinaire des vieillards, de même que l'amour est celle qui règne le plus souvent dans un jeune coeur, et principalement dans celui d'une fille : car l'on y voit Gorgibus, malgré le choix qu'il avait fait de Lélie, pour son gendre, presser sa fille d'agréer un autre époux nommé Valère, incomparablement plus mal fait que Lélie, sans donner d'autre raison de ce changement, sinon que le dernier est plus riche. L'on voit d'un autre côté que l'amour ne sort pas facilement du coeur d'une fille, quand une fois il en a su prendre : c'est ce qui fait un agréable combat dans cette scène entre le père et la fille, le père lui voulant persuader qu'il faut être obéissante, et lui proposant pour la devenir, au lieu de la lecture de Clélie, celle de quelques vieux livres qui marquent l'Antiquité du bon homme, et qui n'ont rien qui ne parût barbare, si l'en en comparait le style à celui de l'illustre Sapho. Mais que ce que son père lui dit la touche peu, elle abandonnerait volontiers la lecture de toutes sortes de livres pour s'occuper à repasser sans cesse en son esprit les belles qualités de son amant, et les plaisirs dont jouissent deux personnes qui se marient quand ils s'aiment mutuellement : mais las ! Que ce cruel père lui donne sujet d'avoir bien de plus tristes pensées, il la presse si fort que cette fille affligée n'a plus de recours qu'aux larmes, qui sont les armes ordinaires de son sexe, qui ne sont toutefois assez puissantes pour vaincre l'avarice de cet insensible père, qui la laissa toute éplorée. Voici les vers de cette scène qui vous feront voir ce que je viens de dire, mieux que je n'ai fait dans cette prose. CÉLIE, sortant toute éplorée, et son père la suivant. Ah ! N'espérez jamais que mon coeur y consente. GORGIBUS. [Note : Marmoter : mot bas qui signifie parler entre les dents, remuer les lèvres sans se faire entendre. [F]]Que marmottez-vous là, petite impertinente ?Vous prétendez choquer ce que j'ai résolu,Je n'aurai pas sur vous un pouvoir absolu,Et par sottes raisons votre jeune cervelle Voudrait régler ici la raison paternelle ?Qui de nous deux à l'autre a droit de faire loi,À votre avis, qui mieux, ou de vous, ou de moiÔ sotte, peut juger ce qui vous est utile ?Par la corbleu, gardez d'échauffer trop ma bile, Vous pourriez éprouver sans beaucoup de longueurSi mon bras sait encore montrer quelque vigueur,Votre plus court sera, Madame la mutine,D'accepter sans façons l'époux qu'on vous destine.J'ignore, dites-vous, de quelle humeur il est, Et dois auparavant consulter s'il vous plaît.Informé du grand bien qui lui tombe en partage,Dois-je prendre le soin d'en savoir davantage,Et cet époux, ayant vingt mille bons ducats,Pour être aimé de vous doit-il manquer d'appas ? Allez, tel qu'il puisse être avec cette somme,Je vous suis caution qu'il est très honnête homme. CÉLIE. Hélas ! GORGIBUS. Eh bien hélas ! Que veut dire ceci ?Voyez le bel hélas ! Qu'elle nous donne ici.Hé ! Que si la colère une fois me transporte, Je vous ferai chanter hélas ! De belle sorte.Voilà, voilà le fruit de ces empressements,Qu'on vous voit nuit et jour à lire vos romans,De quolibets d'amour votre tête est remplie,[Note : La Clélie est un roman de Madeleine de Scudery, dans lequel il est question du meilleur moyen d'arriver à l'amour. ]Et vous parlez de Dieu bien moins que de Clélie. Jetez-moi dans le feu tous ces méchants écritsQui gâtent tous les jours tant de jeunes esprits,Lisez-moi comme il faut au lieu de ces sornettes[Note : Les Quatrains du Seigneur de Pybrac conseiller du Roi en son conseil privé. contenant préceptes et enseignement utiles pour la vie de l'homme, de nouveau mis en leur ordre et augmentés par ledit Seigneur. (1584)]Les quatrains de Pybrac, et les doctes tablettesDu conseiller Mathieu, ouvrage de valeur, Et plein de beaux dictons à réciter par coeur.[Note : Le Guide des pécheurs, où est enseigné tout ce que le chrestien doit faire depuis le commencement de sa conversion jusques à la fin de la perfection... composée en espagnol, par R.P.F. Loys de Grenade,... traduite en français... par N. Colin, par Louis de Grenade, traduit par Nicolas Colin (1583)]La Guide des pêcheurs est encore un bon livre,C'est là qu'en peu de temps on apprend à bien vivre,Et si vous n'aviez lu que ces moralités,Vous sauriez un peu mieux suivre mes volontés. CÉLIE. Quoi vous prétendez donc mon père, que j'oublieLa constante amitié que je dois à Lélie ?J'aurais tort si sans vous je disposais de moi ;Mais vous-même à ses voeux engageâtes ma foi. GORGIBUS. Lui fût-elle engagée encore davantage, Un autre est survenu dont le bien l'en dégage.Lélie est fort bien fait ; mais apprends qu'il n'est rienQui ne doive céder au soin d'avoir du bien,Que l'or donne aux plus laids certain charme pour plaire,Et que sans lui le reste est une triste affaire. Valère, je crois bien n'est pas de toi chéri ;Mais s'il ne l'est amant, il le sera mari.Plus que l'on ne le croit ce nom d'époux engageEt l'amour est souvent un fruit du mariage.Mais suis-je pas bien fat de vouloir raisonner, Où de droit absolu j'ai pouvoir d'ordonner ?Trêve donc je vous prie à vos impertinences,Que je n'entende plus vos sottes doléances :Ce gendre doit venir vous visiter ce soir,Manquez un peu, manquez, à le bien recevoir, Si je ne vous lui vois faire fort bon visageJe vous... Je ne veux pas en dire davantage. SCÈNE II. La suivante, Célie. Qui comparera cette seconde scène à la première, confessera d'abord que l'auteur de cette pièce a un génie tout particulier pour les ouvrages de théâtre, et qu'il est du tout impossibles que ses pièces ne réussissent pas, tant il sait si bien de quelle manière il faut attacher l'esprit de l'auditeur. En effet nous voyons qu'après avoir fait voir dans la scène précédente, un père pédagogue, qui tâche de persuader à sa fille que la richesses est préférable à l'amour, il fait parler dans celle-ci (afin de divertir d'auditeur par la variété de la matière) une veuve suivante de Célie, et confidente toute ensemble, qui s'étonne de quoi sa maîtresse répond par des larmes à des offres d'hymen, et après avoir dit qu'elle ne ferait pas de même si l'on la voulait marier, elle trouve moyen de décrire toutes les douceurs du mariage ; ce qu'elle exécute si bien, qu'elle en fait naître l'envie à celles qui n'en ont pas tâté. Sa maîtresse, comme font d'ordinaire celles qui n'ont jamais été mariées, l'écoute avec attention et ne recule le temps de jouir de ses douceurs, que parce qu'elle les veut goûter avec Lélie, qu'elle aime parfaitement, et qu'elles se changent toutes en amertumes, lorsqu'on les goûte avec une personne que l'on aime pas ; c'est pourquoi elle montre à sa suivante le portrait de Lélie, pour la faire tomber d'accord de la bonne mine de ce galant, et du sujet qu'elle a de l'aimer. Vous m'objecterez peut être que cette fille le doit connaître, puisqu'ellle demeure avec Célie, et que son père l'ayant promise à Lélie, cet amant était souvent venu voir sa maîtresse ; mais je vous répondrai que Lélie était à la campagne devant qu'elle demeurât avec elle. Après cette digression, pour le justification de notre auteur, voyons quels effets ce portrait produit. Celle qui peu auparavant disait, qu'il ne fallait jamais rejeter des offres d'hymen, avoue que Célie a sujet d'aimer tendrement un homme si bien fait, et Célie songeant quelle sera peut-être contrainte d'en épouser un autre s'évanouit : sa confidente appelle du secours. Cependant qu'il en viendra, vous pouvez lire ces vers qui vous le ferons attendre sans impatience. LA SUIVANTE. Quoi refuser Madame, avec cette rigueur,Ce que tant d'autres gens voudraient de tout leur coeur,À des offres d'hymen répondre par des larmes Et tarder tant à dire un oui si plein de charmes.Hélas ! Que ne veut-on aussi me marier,Ce ne serait pas moi qui se ferait prier,Et loin qu'un pareil oui me donnât de la peineCroyez que j'en dirais bien vite une douzaine. Le précepteur qui fait répéter la leçonÀ votre jeune frère, a fort bonne raison,Lorsque nous discourant des choses de la terre,Il dit que la femelle est ainsi que le lierre,Qui croît beau tant qu'à l'arbre il se tient bien serré, Et ne profite point s'il en est séparé.Il n'est rien de plus vrai, ma très chère maîtresse,Et je l'éprouve en moi chétive pécheresse.Le bon Dieu fasse paix à mon pauvre Martin,Mais j'avais, lui vivant, le teint d'un chérubin, L'embonpoint merveilleux, l'oeil gai, l'âme contente,[Note : Dolente : Qui souffre et se plaint. [L]]Et je suis maintenant ma commère dolente.Pendant cet heureux temps, passé comme un éclair,Je me couchais sans feu dans le fort de l'hiver,Sécher même les draps me semblait ridicule, Et je tremble à présent dedans la canicule.Enfin il n'est rien tel, Madame, croyez-moi,[Note : Le vers 88, n'est pas dans l'édition originale, mais son absence nuit à la compréhension du texte. Nous reprenons le vers de l'édition 1682.][Que d'avoir un mari la nuit auprès de soi,]Ne fût-ce que pour l'heur d'avoir qui vous salueD'un Dieu vous soit en aide alors qu'on éternue. CÉLIE. Peux-tu me conseiller de commettre un forfait,D'abandonner Lélie, et prendre ce malfait ? LA SUIVANTE. Votre Lélie aussi, n'est ma foi qu'une bête,Puisque si hors de temps son voyage l'arrête,Et la grande longueur de son éloignement Me le fait soupçonner de quelque changement. CÉLIE, lui montrant le portrait de Lélie. Ah ! Ne m'accable point par ce triste présage,Vois attentivement les traits de ce visage,Ils jurent à mon coeur d'éternelles ardeurs,Je veux croire après tout qu'ils ne sont pas menteurs, Et comme c'est celui que l'art y représente,Il conserve à mes feux une amitié constante. LA SUIVANTE. Il est vrai que ces traits marquent un digne amant,Et que vous avez lieu de l'aimer tendrement. CÉLIE. Et cependant il faut... ah ! Soutiens-moi. Laissant tomber le portrait de Lélie. LA SUIVANTE. Madame, D'où vous pourrait venir... Ah ! Bons dieux elle pâme.Hé ! Vite, holà, quelqu'un. SCÈNE III. Sganarelle, La suivante. Cette scène courte est fort courte, et Sganarelle, comme un des plus proches voisins de Célie, accourt aux cris de cette suivante qui lui donne sa maîtresse à soutenir ; cependant qu'elle va chercher encore du secours d'un autre côté, comme vous pouvez voir par ce qui suit. SGANARELLE. Qu'est-ce donc ? Me voilà. LA SUIVANTE. Ma maîtresse se meurt. SGANARELLE. Quoi ce n'est que cela ?Je croyais tout perdu de crier de la sorte ;Mais approchons pourtant[.] Madame, êtes-vous morte. Hays, elle ne dit mot. LA SUIVANTE. Je vais faire venirQuelqu'un pour l'emporter, veuillez la soutenir. SCÈNE IV. Sganarelle, sa femme. Cette scène n'est pas plus longue que la précédente, et la femme de Sganarelle, regardant par la fenêtre, prend de la jalousie de son mari, à qui elle voit tenir une femme entre ses bras et descend pour le surprendre, cependant qu'il aide à porter Célie chez elle. Ce que vous pouvez voir en lisant ces vers. SGANARELLE, en lui passant la main sur le sein. Elle est froide partout, et je ne sais qu'en dire,Approchons-nous pour voir si sa bouche respire.Ma foi, je ne sais pas, mais j'y trouve encor moi Quelque signe de vie. LA FEMME DE SGANARELLE, regardant par la fenêtre. Ah ! Qu'est-ce que je vois ?Mon mari dans ses bras... Mais je m'en vais descendre,Il me trahit sans doute, et je veux le surprendre. SGANARELLE. Il faut se dépêcher de l'aller secourir,Certes elle aurait tort de se laisser mourir, Aller en l'autre monde est très grande sottise,Tant que dans celui-ci l'on peut être de mise. Il l'emporte avec un homme que la suivante amène. SCÈNE V. L'auteur, qui comme nous avons dit ci-dessus, sait tout à fait bien ménager l'esprit de son auditeur, après l'avoir diverti dans les deux précédentes scènes, dont la beauté consiste presque toute dans l'action, l'attache dans celle-ci par un raisonnement si juste, que l'on ne pourra qu'à peine se l'imaginer, si l'on en considère la matière ; mais il n'appartient qu'à des plumes, comme la sienne, à faire beaucoup de peu, et voici pour satisfaire votre curiosité, le sujet de cette scène. La femme de Sganarelle étant descendue, et n'ayant point trouvé son marin fait éclater sa jalousie, mais d'une manière si surprenante et si extraordinaire, que quoi que cette matière ait été fort souvent rebattue, jamais personne ne l'a traitée avec tant de succès, d'une manière si contraire à celle des autres femmes, qui n'ont recours qu'aux emportements en de semblables rencontres, et comme il m'a été impossible de vous l'exprimer aussi bien que lui ; ces vers vous en feront connaître la beauté. LE FEMME de SGANARELLE, seule. Il s'est subitement éloigné de ces lieux,Et sa fuite a trompé mon désir curieux.Mais de sa trahison je ne fais plus de doute, Et le peu que j'ai vu me la découvre toute.Je ne m'étonne plus de l'étrange froideurDont je le vois répondre à ma pudique ardeur,Il réserve, l'ingrat, ses caresses à d'autres,Et nourrit leurs plaisirs par le jeûne des nôtres. Voilà de nos maris, le procédé commun,Ce qui leur est permis, leur devient importun.Dans les commencements ce sont toutes merveilles ;Ils témoignent pour nous des ardeurs non pareilles ;Mais les traîtres bientôt se lassent de nos feux, Et portent autre part ce qu'ils doivent chez eux.Ah ! Que j'ai de dépit, que la loi n'autorise,À changer de mari comme on fait de chemise : En ramassant le portrait que Célie avait laissé tomber.Cela serait commode, et j'en sais telle iciQui comme moi ma foi le voudrait bien aussi. Mais quel est ce bijou que le sort me présente ?L'émail en est fort beau, la gravure charmante.Ouvrons. SCÈNE VI. Sganarelle et sa femme. Quelques beautés que l'auteur ait fait voir dans la scène précédente, ne croyez pas qu'il est de ceux qui souvent après un beau début donnent (pour parler vulgairement du nez en terre) puisque plus vous y avancerez dans la lecture de cette pièce, plus vous y découvrirez de beautés, et pour en être persuadé, il ne faut que jeter les yeux sur cette scène, qui en fait le fondement. Célie en s'évanouissant, ayant laissé tomber le portrait de son amant, le femme de Sganarelle le ramasse, et comme elle le considère attentivement, le mari ayant aidé à reporter Célie chez elle, rentre sur la scène et regarde par dessus l'épaule de sa femme, ce quelle considère : et voyant ce portrait, commence d'entrer en quelque sorte de jalousie, lorsque sa femme s'avise de la tenir, ce qui confirme ses soupçons, dans la pensée qu'il a qu'elle le baise ; mais il se doute bientôt plus qu'il est de la grande confrérie; quand il entend dire à sa femme, qu'elle souhaiterait d'avoir un époux d'une si bonne mine : c'est alors qu'en la surprenant, il lui arrache ce portrait. Mais devant que de parler des discours qu'ils tiennent ensemble sur le sujet de leur jalousie, il est à propos de vous dire, qu'il ne s'est rien vu de si agréable que les postures de Sganarelle, quand il est derrière sa femme, son visage et ses gestes expriment si bien sa jalousie, qu'il ne serait pas nécessaire qu'il parlât pour paraître le plus jaloux de tous les hommes : il reproche à sa femme son infidélité et tâche à la persuader qu'elle est d'autant plus coupable qu'elle a un mari qui (soit pour les qualités du corps, soit pour celles de l'esprit) est entièrement parfait. Sa femme qui d'un autre côté était avoir autant et plus de sujet que lui d'avoir martel en tête, s'emporte contre lui en lui redemandant son bijou ; tellement que chacun croyant avoir raison, cette dispute donne un agréable divertissement à l'auditeur, à quoi Sganarelle contribue beaucoup par des gestes qui sont inimitables et qui ne se peuvent exprimer sur le papier. Sa femme étant lasse d'ouïr des reproches, lui arrache le portrait qu'il lui avait pris et s'enfuit, et Sganarelle court après elle. Vous auriez sujet de me quereller, si je ne vous envoyais pas les vers d'une scène qui fait le fondement de cette pièce ; c'est pourquoi je satisfaits à votre curiosité. SGANARELLE. On la croyait morte et ce n'était rien,Il n'en faut plus qu'autant, elle se porte bien.Mais j'aperçois ma femme. SA FEMME. Ô ciel ! C'est miniature, Et voilà d'un bel homme une vive peinture. SGANARELLE, à part, et regardant sur l'épaule de sa femme. Que considère-t-elle avec attention ?Ce portrait mon honneur ne nous dit rien de bon,D'un fort vilain soupçon je me sens l'âme émue. SA FEMME, sans l'apercevoir, continue. Jamais rien de plus beau ne s'offrit à ma vue. Le travail plus que l'or s'en doit encore priser.Hon que cela sent bon. SGANARELLE, à part. Quoi peste le baiser !Ah ! J'en tiens. SA FEMME, poursuit. Avouons qu'on doit être ravieQuand d'un homme ainsi fait on se peut voir servie,Et que s'il en contait avec attention, Le penchant serait grand à la tentation.Ah ! Que n'ai-je un mari d'une aussi bonne mine,Au lieu de mon pelé, de mon rustre... SGANARELLE, lui arrachant le portrait. [Note : Mâtine : Terme d'injure populaire. Mâtin, mâtine, celui, celle qu'on assimile à un mâtin, à un chien. [L]]Ah ! Mâtine,Nous vous y surprenons en faute contre nous,Et diffamant l'honneur de votre cher époux : Donc à votre calcul, ô ma trop digne femme !Monsieur, tout bien compté, ne vaut pas bien Madame ?[Note : Belzébuth : Nom d'un démon. [L]]Et de par Belzébuth qui vous puisse emporterQuel plus rare parti pourriez-vous souhaiter ?Peut-on trouver en moi quelque chose à redire ? Cette taille, ce port, que tout le monde admire,Ce visage si propre à donner de l'amour,Pour qui mille beautés soupirent nuit et jour ;Bref en tout et par tout ma personne charmanteN'est donc pas un morceau dont vous soyez contente : Et pour rassasier votre appétit gourmand,Il faut à son mari le ragoût d'un galant. SA FEMME. J'entends à demi-mot où va la raillerie,Tu crois par ce moyen... SGANARELLE. À d'autres, je vous prie,La chose est avérée, et je tiens dans mes mains Un bon certificat du mal dont je me plains. SA FEMME. Mon courroux n'a déjà que trop de violence,Sans le charger encore d'une nouvelle offense ;Écoute, ne crois pas retenir mon bijou,Et songe un peu... SGANARELLE. Je songe à te rompre le cou. Que ne puis-je aussi bien que je tiens la copieTenir l'original ! SA FEMME. Pourquoi ? SGANARELLE. Pour rien mamie,Doux objet de mes voeux j'ai grand tort de crier,Et mon front de vos dons vous doit remercier. Regardant le portrait de Lélie.Le voilà le beau-fils, le mignon de couchette, Le malheureux tison de ta flamme secrète,Le drôle avec lequel... SA FEMME. Avec lequel, poursuis ? SGANARELLE. Avec lequel te dis-je... Et j'en crève d'ennuis. SA FEMME. Que me veut donc par là conter ce maître ivrogne ? SGANARELLE. [Note : Carogne : Femme hargneuse, méchante femme. [L]]Tu ne m'entends que trop, Madame la carogne, Sganarelle, est un nom qu'on ne me dira plus,Et l'on va m'appeler Seigneur Corneillius :J'en suis pour mon honneur ; mais à toi qui me l'ôtes,Je t'en ferai du moins pour un bras ou deux côtes. SA FEMME. Et tu m'oses tenir de semblables discours ? SGANARELLE. Et tu m'oses jouer de ces diables de tours. SA FEMME. Et quels diables de tours, parle donc sans rien feindre. SGANARELLE. Ah ! Cela ne vaut pas la peine de se plaindre.[Note : Panache : on dit proverbialement, qu'une femme a mis un beau panache sur la tête de son mari, quand elle lui a été infidèle. [F]]D'un panache de cerf sur le front me pourvoir.[Note : Venez-y-voir : Terme familier et ironique. bagatelle, chose qui mérite à peine d'être remarquée. [L]]Hélas ! Voilà vraiment un beau venez-y voir. SA FEMME. Donc, après m'avoir fait la plus sensible offenseQui puisse d'une femme exciter la vengeance,Tu prends d'un feint courroux le vain amusementPour prévenir l'effet de mon ressentiment :D'un pareil procédé l'insolence est nouvelle, Celui qui fait l'offense est celui qui querelle. SGANARELLE. Eh ! La bonne effrontée, à voir ce fier maintienNe la croirait-on pas une femme de bien. SA FEMME. Va, poursuis ton chemin, cajole tes maîtresses,Adresse-leur tes voeux, et fais-leur des caresses ; Mais rends-moi mon portrait sans te jouer de moi. Elle lui arrache le portrait et s'enfuit. SGANARELLE, courant après elle. Oui, tu crois m'échapper, je l'aurai malgré toi. SCÈNE VII. Gros René, Lélie. Lélie avait déjà trop causé de trouble dans l'esprit de tous nos acteurs, pour ne pas venir faire paraître les siens sur la scène : en effet il n'arrive pas plutôt, que l'on voit la tristesse peinte sur son visage. Il fait voir que la campagne où il était, il s'est rendu au plus tôt à Paris, sur le bruit de l'hymen de Célie. Comme il est tout nouvellement arrivé, son valet le presse d'aller apprendre des nouvelles de sa maîtresse, mais il n'y veut pas consentir, et voyant que son valet l'importune, il l'envoie manger, cependant qu'il va chercher à se délasser des fatigues de son voyage auprès de sa maîtresse. Remarquez s'il vous plaît, ce que cette scène contient, et je vous ferai voir en un autre endroit, que l'auteur a infiniment de l'esprit de l'avoir placée si à propos ; et pour vous en mieux faire ressouvenir, en voici les vers. GROS-RENÉ. Enfin, nous y voici ; mais, monsieur, si je l'ose,Je voudrais vous prier de me dire une chose. LÉLIE. Hé bien, parle. GROS-RENÉ. Avez-vous le diable dans le corps Pour ne pas succomber à de pareils efforts ?Depuis huit jours entiers avec vos longues traites[Note : Mazette : Méchant petit cheval. [L]]Nous sommes à piquer de chiennes de mazettes,De qui le train maudit nous a tant secoués,Que je m'en sens pour moi tous les membres roués, Sans préjudice encor d'un accident bien pire,Qui m'afflige un endroit que je ne veux pas dire ;Cependant arrivé vous sortez bien et beauSans prendre de repos, ni manger un morceau. LÉLIE. Ce grand empressement n'est point digne de blâme De l'hymen de Célie, on alarme mon âme ;Tu sais que je l'adore, et je veux être instruitAvant tout autre soin de ce funeste bruit. GROS-RENÉ. Oui, mais un bon repas vous serait nécessairePour s'aller éclaircir, Monsieur, de cette affaire, Et votre coeur sans doute en deviendrait plus fortPour pouvoir résister aux attaques du sort.J'en juge par moi-même, et la moindre disgrâceLorsque je suis à jeun, me saisit, me terrasse ;Mais quand j'ai bien mangé, mon âme est ferme à tout, Et les plus grands revers n'en viendraient pas à bout.Croyez-moi, bourrez-vous et sans réserve aucune,Contre les coups que peut vous porter la fortune,Et, pour fermer chez vous l'entrée à la douleur,De vingt verres de vin entourez votre coeur. LÉLIE. Je ne saurais manger. GROS-RENÉ, à part ce demi-vers. Si fait bien moi, je meure.Votre dîner pourtant serait prêt tout à l'heure. LÉLIE. Tais-toi, je te l'ordonne. GROS-RENÉ. Ah ! Quel ordre inhumain. LÉLIE. J'ai de l'inquiétude, et non pas de la faim. GROS-RENÉ. Et moi j'ai de la faim, et de l'inquiétude De voir qu'un sot amour fait toute votre étude. LÉLIE. Laisse-moi m'informer de l'objet de mes voeux,Et, sans m'importuner, va manger si tu veux. GROS-RENÉ. Je ne réplique point à ce qu'un maître ordonne. SCÈNE VIII. Je ne vous dirai rien de cette scène car elle ne contient que ces trois vers. LÉLIE, seul. Non non, à trop de peur mon âme s'abandonne, Le père m'a promis et la fille a fait voirDes preuves d'un amour qui soutient mon espoir. SCÈNE IX. Sganarelle, Lélie. C'est ici que l'auteur fait voir qu'il ne sait pas moins représenter une pièce, qu'il l'a sait composer ; puisque l'on ne vit jamais rien de si bien joué que cette scène. Sganarelle ayant arraché à sa femme le portrait qu'elle lui venait de reprendre, vient pour le considérer à loisir, lorsque Lélie, voyant que cette boîte ressemblait fort à celle où était le portrait qu'il avait donné à sa maîtresse, s'approche de lui pour le regarder par dessus son épaule, tellement que Sganarelle voyant qu'il n'a pas le loisir de considérer le portrait comme il le voudrait bien, et que de quelque côté qu'il se puisse tourner, il est obsédé par Lélie : Et Lélie enfin de son côté ne doutant plus que ce ne soit son portrait, et impatient de savoir de qui Sganarelle peut l'avoir eu, s'enquerre de lui comment il est tombé entre ses mains. Ce désir étonne Sganarelle ; mais sa surprise ; mais sa surprise cesse bientôt, losqu'après avoir bien examiné ce portrait, il reconnaît que c'est celui de Lélie. Il lui dit qu'il sait bien le souci qui le tient, qu'il connaît bien que c'est son portrait, et le prie de cesser un amour qu'un mari peut trouver fort mauvais. Lélie lui demande s'il est mari de celle qui conservait de gage. Sganarelle lui dit qu'oui, et qu'il en est mari très mari, qu'il en sait bien la cause, et qu'il va sur l'heure l'apprendre aux parents de sa femme. Et moi cependant je m'en vais vous apprendre les vers de cette scène. Il faut que vous preniez garde qu'un agréable mal entendu est ce qui fait la beauté de cette scène, et que subsistant pendant le reste de la pièce entre les quatre principaux acteurs, qui sont Sganarelle, sa femme, Lélie, et sa maîtresse, qui ne s'entendent pas, il divertit merveilleusement l'auditeur, sans fatiguer son esprit, tant il naît naturellement, et tant sa conduite est admirable dans cette pièce. SGANARELLE. Nous l'avons, et je puis voir à l'aise la trogne[Note : Vergogne : Vieux mot qui signifie honte, et qui ne s'emploie plus que dans le burlesque. [F]]Du malheureux pendard qui cause ma vergogne.Il ne m'est point connu. LÉLIE, à part. Dieu ! Qu'aperçois-je ici ? Et si c'est mon portrait, que dois-je croire aussi ? SGANARELLE, continue. Ah ! Pauvre Sganarelle, à quelle destinéeTa réputation est-elle condamnée, Apercevant Lélie qui le regarde, il se retourne d'un autre côté.Faut... LÉLIE, à part. Ce gage ne peut sans alarmer ma foi,Être sorti des mains qui le tenaient de moi. SGANARELLE. Faut-il que désormais à deux doigts l'on te montre,Qu'on te mette en chansons, et qu'en toute rencontre,On te rejette au nez le scandaleux affrontQu'une femme mal née imprime sur ton front. LÉLIE, à part. Me trompai-je ? SGANARELLE. Ah ! Truande, as-tu bien le courage De m'avoir fait cocu dans la fleur de mon âge ?Et femme d'un mari qui peut passer pour beau,[Note : Marmouset : Par mépris, jeune homme sans conséquence.[L]]Faut-il qu'un marmouset, un maudit étourneau. LÉLIE, à part, et regardant encore son portrait. Je ne m'abuse point, c'est mon portrait lui-même. SGANARELLE lui retourne le dos. Cet homme est curieux. LÉLIE, à part. Ma surprise est extrême. SGANARELLE. À qui donc en a-t-il. LÉLIE, à part. Je le veux accoster. Haut.Puis-je... ? Hé ! De grâce, un mot. SGANARELLE le fuit encore. Que me veut-il conter ? LÉLIE. Puis-je obtenir de vous, de savoir l'aventure,Qui fait dedans vos mains trouver cette peinture. SGANARELLE, à part, et examinant le portrait qu'il tient de Lélie. D'où lui vient ce désir ? Mais je m'avise ici... Ah ! Ma foi me voilà de son trouble éclairci,Sa surprise à présent n'étonne plus mon âme,C'est mon homme, ou plutôt c'est celui de ma femme. LÉLIE. Retirez-moi de peine et dites d'où vous vient... SGANARELLE. Nous savons Dieu merci le souci qui vous tient, Ce portrait qui vous fâche est votre ressemblance,Il était en des mains de votre connaissance,Et ce n'est pas un fait qui soit secret pour nousQue les douces ardeurs de la dame et de vous :Je ne sais pas si j'ai dans sa galanterie L'honneur d'être connu de votre seigneurie,Mais faites-moi celui de cesser désormaisUn amour qu'un mari peut trouver fort mauvais,Et songez que les noeuds du sacré mariage... LÉLIE. Quoi, celle dites-vous dont vous tenez ce gage. SGANARELLE. Est ma femme, et je suis son mari. LÉLIE. Son mari ? SGANARELLE. Oui, son mari vous dis-je, et mari très marri,Vous en savez la cause et je m'en vais l'apprendreSur l'heure à ses parents. SCÈNE X. Lélie se plaint dans cette scène de l'infidélité de sa maîtresse et l'outrage qu'il lui fait, ne l'abattant pas moins que les longs travaux de son voyage, le fait tomber en faiblesse. Plusieurs ont assez ridiculement repris cette scène, sans avoir pour justifier leur impertinence (autre chose à dire) sinon que l'infidélité d'une maîtresse n'était pas capable de faire évanouir un homme. D'autres ont dit encore, que cet évanouissement était mal placé, et que l'on voyait bien que l'auteur ne s'en était servi que pour faire naître l'incident qui paraît ensuite. Mais je répondra en deux mots aux uns et aux autres : et je dis d'abord aux premiers, qu'ils n'ont pas bien considéré, que l'auteur avait préparé cet incident longtemps devant, et que l'infidélité de la maîtresse de Lélie, n'est pas seule le cause de son évanouissement, qu'il en a encore deux puissantes raisons, dont l'une est les longs et pénibles travaux d'un voyage de huit jours qu'il avait fait en poste, et l'autre qu'il n'avait pas mangé depuis son arrivée, comme l'auteur l'a découvert par devant aux auditeurs, en faisant que Gros-René le presse d'aller manger un morceau afin de pouvoir résister aux attaques du sort (et c'est pour cela que je vous ai prié de remarquer la scène qu'ils font ensemble) tellement qu'il n'est pas impossible qu'un homme qui arrive d'un long voyage, qui n'a point mangé depuis son arrivée, et qui apprend l'infidélité d'une maîtresse, s'évanouisse. Voilà ce que j'ai à dire aux premiers censeurs de cet incident miraculeux. Pour ce qui regarde les seconds, quoi qu'ils paraissent le reprendre avec plus de justice, je les confondrai encore plutôt, et pour commencer à leur faire voir leur ignorance, je veux leur accorder que l'auteur n'a fait évanouir Lélie, que pour donner lieu à l'incident qui suit ; mais ne doivent-ils pas savoir que quand un auteur a un bel incident à insérer dans une pièce, s'il trouve des moyens vraisemblables pour le faire naître, il en doit être d'autant plus estimé, que le chose est beaucoup plus difficile, et qu'au contraire s'il ne le fait paraître que par des moyens erronés et tirés par la queue, il doit passer pour un ignorant, puisque c'est une des qualités le plus nécessaire à un auteur, que de savoir inventer avec vraisemblance ; c'est pourquoi puisqu'il y a tant de possibilités et de vraisemblance dans l'évanouissement de Lélie, que l'on pourrait dire qu'il était absolument nécessaire qu'il s'évanouît, puisqu'il aurait paru peu amoureux, si étant arrivé à Paris, il s'était amusé à manger, au lieu d'aller trouver sa maîtresse : ils condamnent des choses qu'ils devraient estimer, puisque la conduite de cet incident avec toutes les préparations nécessaires, fait voir que l'auteur pense mûrement ce qu'il fait, et que rien ne se peut égaler à la solidité de son esprit. Voilà quelle est ma pensée là-dessus, et pour vous montrer que les raisons que j'ai apportées sont vraies, vous n'avez qu'à lire ces vers. LÉLIE, seul. Ah ! Que viens-je d'entendre.L'on me l'avait bien dit, et que c'était de tous L'homme le plus mal fait qu'elle avait pour époux.Ah ! Quand mille serments de ta bouche infidèle,Ne m'auraient pas promis une flamme éternelle,Le seul mépris d'un choix si bas et si honteuxDevait bien soutenir l'intérêt de mes feux Ingrate, et quelque bien... Mais ce sensible outrageSe mêlant aux travaux d'un assez long voyage,Me donne tout à coup un choc si violent,Que mon coeur devient faible, et mon corps chancelant. SCÈNE XI. Lélie, La Femme de Sganarelle. Voyons si quelqu'un n'aura point de pitié de ce pauvre amant qui tombe en faiblesse. La femme de Sganarelle en colère contre son mari, de ce qu'il lui avait emporté le bijou qu'elle avait trouvé, sort de chez elle, et voyant Lélie qui commençait à s'évanouir, le fait entrer dans sa salle, en attendant que son mal se passe. Jugez après les transports de la jalousie de Sganarelle, de l'effet que cet incident doit produire, et s'il fut jamais rien de mieux imaginé. Vous pourrez lire les vers de cette scène ; cependant que j'irai voir si Sganarelle a trouvé quelques uns des parents de sa femme. LA FEMME de SGANARELLE, se tournant vers Lélie. Malgré moi mon perfide... Hélas ! Quel mal vous presse ? Je vous vois prêt Monsieur à tomber en faiblesse. LÉLIE. C'est un mal qui m'a pris assez subitement. LA FEMME de SGANARELLE. Je crains ici, pour vous l'évanouissement :Entrez dans cette salle en attendant qu'il passe. LÉLIE. Pour un moment ou deux, j'accepte cette grâce. SCÈNE XII. Sganarelle et le parent de sa femme. Il faudrait avoir le pinceau de Poussin, Le Brun, et Mignard, pour vous représenter avec quelle posture Sganarelle se fait admirer dans cette scène, où il paraît avec un parent de sa femme. L'on n'a jamais vu tenir de discours si naïfs, ni paraître avec un visage si niais, et l'on de doit pas moins admirer l'auteur, pour avoir fait cette pièce, que pour la manière dont il l'a représente. Jamais personne ne sut si bien démonter son visage, et l'on peut dire que dedans cette pièce, il en change plus de vingt fois ; mais comme c'est un divertissement que vous ne pouvez avoir à moins que de venir à Paris, voir représenter cet incomparable ouvrage, je ne vous en dirai pas davantage, pour passer aux choses dont je puis aisément vous faire part. Ce bon vieillard remontre à Sganarelle, que le trop de promptitude expose souvent à l'erreur, que tout ce qui regarde de l'honneur est délicat : ensuite il lui dit qu'il s'informe mieux comment ce portrait est tombé entre les mains de sa femme, et que s'il se trouve qu'elle soit criminelle, il sera le premier à punir son offense. Il se retire après cela. Comme je n'ai pu dans cette scène vous envoyer le portrait du visage de Sganarelle, en voici les vers. LE PARENT. D'un mari sur ce point j'approuve le souci ;Mais c'est prendre la chèvre un peu bien vite aussi,Et tout ce que de vous je viens d'ouïr contre elle,Ne conclut point, parent, qu'elle soit criminelle ;C'est un point délicat et de pareils forfaits, Sans les bien avérer ne s'imputent jamais. SGANARELLE. C'est-à-dire qu'il faut toucher au doigt la chose. LE PARENT. Le trop de promptitude à l'erreur nous expose.Qui sait comme en ses mains ce portrait est venu,Et si l'homme après tout lui peut être connu. Informez-vous en donc, et si c'est ce qu'on pense,Nous serons les premiers à punir son offense. SCÈNE XIII. Saganarelle, pour ne point démentir de son caractère, qui fait voir un homme facile à prendre toutes sortes d'impressions, croit facilement ce que le bon homme lui dit, et commence à se persuader qu'il s'est trop tôt mis dans la tête des visions connues, lorsque Lélie sortant de chez lui, avec sa femme qui le conduit, le fait de nouveau rentrer en jalousie. Les vers qu'il dit dans cette scène, vous ferons mieux voir son caractère que je ne vous l'ai dépeint. SGANARELLE, seul. On ne peut pas mieux dire, en effet, il est bonD'aller tout doucement. Peut-être sans raison,Me suis-je en tête mis ces visions cornues, Et les sueurs au front m'en sont trop tôt venues.Par ce portrait enfin dont je suis alarmé,Mon déshonneur n'est pas tout à fait confirmé,Tâchons donc par nos soins... SCÈNE XIV. Sganarelle, Sa femme, Lélie sur le porte de Sganarelle, en parlant à sa femme. Je ne vous dirai rien de cette scène, et je vous laisse juger par ces vers de la surprise de Sganarelle. SGANARELLE, poursuit. Ah ! Que vois-je ? Je meure,Il n'est plus question de portrait à cette heure, Voici ma foi la chose en propre original. LA FEMME de SGANARELLE, à Lélie. C'est par trop vous hâter Monsieur, et votre malSi vous sortez sitôt pourra bien vous reprendre. LÉLIE. Non non, je vous rends grâce, autant qu'on puisse rendre,De l'obligeant secours que vous m'avez prêté. SGANARELLE, à part. [Note : Masque : Terme familier d'injure dont on se sert quelquefois pour qualifier une jeune fille, une femme, et lui reprocher sa laideur ou sa malice. [L]]La masque encore après lui fait civilité. SCÈNE XV. Sganarelle, Lélie. Lélie donne sans y penser le change à Sagnarelle dans cette scène, et ne le surprend pas moins que l'autre à tantôt fait, en lui disant qu'il tenait son portrait des mains de sa femme. Pour mieux juger de la surprise de Sganarelle, vous pouvez lire ces vers, dont le dernier est placé si à propos, que jamais pièce entièrement n'a fait tant d'éclat que ce vers seul. Lélie donne sans y penser le change à Sagnarelle dans cette scène, et ne le surprend pas moins que l'autre à tantôt fait, en lui disant qu'il tenait son portrait des mains de sa femme. Pour mieux juger de la surprise de Sganarelle, vous pouvez lire ces vers, dont le dernier est placé si à propos, que jamais pièce entièrement n'a fait tant d'éclat que ce vers seul. SGANARELLE, à part. Il m'aperçoit, voyons ce qu'il me pourra dire. LÉLIE, à part. Ah ! Mon âme s'émeut, et cet objet m'inspire...Mais je dois condamner cet injuste transport,Et n'imputer mes maux qu'aux rigueurs de mon sort. Envions seulement le bonheur de sa flamme. Passant auprès de lui et le regardant.Ô ! Trop heureux d'avoir une si belle femme. SCÈNE XVI. Sganarelle, Célie, regardant aller Lélie. L'on peut dire que cette scène en contient deux, puisque Sganarelle fait une espèce de monologue, pendant que Célie, qui avait vu sortir son amant d'avec lui, le conduit des yeux, jusqu'à ce qu'elle l'ait perdue de vue, pour voir si elle ne s'est point trompée. Sganarelle de son côté regarde aussi [s']en aller Lélie, et fait voir le dépit qu'il a eu de ne lui avoir pas fait insulte, après l'assurance qu'il croit avoir d'être cocu de lui. Célie lui ayant laissé jeter la plus grande partie de son feu, s'en approche pour lui demander si celui qui lui vient de parler ne lui est pas connu ; mais il lui répond avec la naïveté ordinaire, que c'est sa femme qui le connaît et découvre peu à peu ; mais d'une manière tout à fait agréable, que Lélie le déshonore. C'est ici que l'équivoque divertit merveilleusement l'auditeur, puisque Célie détestant la perfidie de son amant, jetant feu et flamme contre lui, et sortant à dessein de punir que pour l'amour de lui. Comme les vers de cette scène donnent à l'auditeur un plaisir extraordinaire, il ne serait pas juste de vous priver de ce contentement, c'est pourquoi en jetant les yeux sur les lignes suivantes, vous pourrez connaître que l'auteur sait parfaitement bien conduire un équivoque. SGANARELLE, sans voir Célie. Ce n'est point s'expliquer en termes ambigus.Cet étrange propos me rend aussi confusQue s'il m'était venu des cornes à la tête. Allez, ce procédé n'est point du tout honnête. Il se tourne du côté que Lélie s'en vient d'en aller. CÉLIE, à part. Quoi, Lélie a paru tout à l'heure à mes yeux,Qui pourrait me cacher son retour en ces lieux ? SGANARELLE, poursuit. Ô ! Trop heureux, d'avoir une si belle femme,Malheureux bien plutôt de l'avoir cette infâme, Célie approche peu à peu de lui, attend que son transport soit fini pour lui parler.Dont le coupable feu trop bien vérifié,Sans respect ni demi nous a cocufié. Célie approche peu à peu de lui, et attend que son transport soit fini pour lui parler.Mais je le laisse aller après un tel indice[Note : Jocrisse : Terme injurieux. Benêt se laissant gouverner, ou s'occupant des soins du ménage qui conviennent le moins à un homme. [L]]Et demeure les bras croisés comme un jocrisse.Ah ! Je devais du moins lui jeter son chapeau, Lui ruer quelque pierre, ou crotter son manteau,Et sur lui hautement pour contenter ma rage[Note : Larron : voleur. Fig. Un larron d'honneur, celui qui ôte l'honneur à un mari. [L]]Faire au larron d'honneur crier le voisinage. CÉLIE. Celui qui maintenant devers vous est venu,Et qui vous a parlé, d'où vous est-il connu ? SGANARELLE. Hélas ! Ce n'est pas moi qui le connaît, Madame,C'est ma femme. CÉLIE. Quel trouble agite ainsi votre âme ? SGANARELLE. Ne me condamnez point d'un deuil hors de saison,[Note : Foison : extrême abondance. [L]]Et laissez-moi pousser des soupirs à foison. CÉLIE. D'où vous peuvent venir ces douleurs non communes ? SGANARELLE. Si je suis affligé, ce n'est pas pour des prunesEt je le donnerais à bien d'autres qu'à moiDe se voir sans chagrin au point où je me vois.Des maris malheureux, vous voyez le modèle,On dérobe l'honneur au pauvre Sganarelle ; Mais c'est peu que l'honneur dans mon affliction,L'on me dérobe encore la réputation. CÉLIE. Comment ? SGANARELLE. Ce damoiseau, parlant par révérence,Me fait cocu Madame, avec toute licence,Et j'ai su par mes yeux avérer aujourd'hui Le commerce secret de ma femme et de lui. CÉLIE. Celui qui maintenant... SGANARELLE. Oui, oui, me déshonore,Il adore ma femme, et ma femme l'adore. CÉLIE. Ah ! J'avais bien jugé que ce secret retourNe pouvait me couvrir que quelque lâche tour, Et j'ai tremblé d'abord en le voyant paraître,Par un pressentiment de ce qui devait être. SGANARELLE. Vous prenez ma défense avec trop de bonté,Tout le monde n'a pas la même charité,Et plusieurs qui tantôt ont appris mon martyre, Bien loin d'y prendre part, n'en ont rien fait que rire. CÉLIE. Est-il rien de plus noir que ta lâche action,Et peut-on lui trouver une punition ?Dois-tu ne te pas croire indigne de la vie,Après t'être souillé de cette perfidie ? Ô ciel ! Est-il possible ? SGANARELLE. Il est trop vrai pour moi. CÉLIE. Ah ! Traître, scélérat, âme double et sans foi. SGANARELLE. La bonne âme ! CÉLIE. Non, non, l'Enfer n'a point de gêneQui ne soit pour ton crime une trop douce peine. SGANARELLE. Que voilà bien parler ! CÉLIE. Avoir ainsi traité Et la même innocence et la même bonté. SGANARELLE. Il soupire hautHay. CÉLIE. Un coeur qui jamais n'a fait la moindre chose,A mérité l'affront où ton mépris l'expose. SGANARELLE. Il est vrai. CÉLIE. Qui bien loin... Mais c'est trop, et ce coeurNe saurait y songer sans mourir de douleur. SGANARELLE. Ne vous fâchez pas tant, ma très chère Madame,Mon mal vous touche trop et vous me percez l'âme. CÉLIE. Mais ne t'abuse pas jusqu'à te figurerQu'à des plaintes sans fruit j'en veuille demeurer,Mon coeur pour se venger sait ce qu'il te faut faire Et j'y cours de ce pas, rien ne m'en peut distraire. SCÈNE XVII. Si j'avais tantôt besoin de ces excellents peintres que je vous ai nommés pour vous dépeindre le visage de Sganarelle ; j'aurais maintenant besoin et de leur pinceau et de la plume des plus excellents orateurs, pour vous décrire cette scène. Jamais il ne se vit rien de plus beau, jamais rien de mieux joué, et jamais ils ne furent généralement estimés. Sagnarelle joue seul cette scène, repassant dans son esprit tout ce que l'on peut dire d'un cocu, et les raisons pour lesquelles il ne s'en doit pas mettre en peine, s'en démêle si bien, que son raisonnement pourrait en un besoin consoler ceux qui son de ce nombre. Je vous envoie les vers de cette scène, afin que si vous connaissez quelqu'un à votre pays qui soit de la confrérie dont Sganarelle se croit être, vous le puissiez par là retirer de la mélancolie où il pourrait s'être plongé. SGANARELLE, seul. Que le ciel la préserve à jamais de danger.Voyez quelle bonté de vouloir me venger :En effet ; son courroux qu'excite ma disgrâceM'enseigne hautement ce qu'il faut que je fasse, Et l'on ne doit jamais souffrir sans dire motDe semblables affronts à moins qu'être un vrai sot.Courons donc le chercher ce pendard qui m'affronteMontrons notre courage à venger notre honte.[Note : Maroufle : Terme injurieux qu'on donne aux gens gros de corps, et grossiers d'esprit. [F]]Vous apprendrez, maroufle ; à rire à nos dépens, Et sans aucun respect faire cocus les gens.Doucement, s'il vous plaît, cet homme a bien la mine Il se retourne ayant fait trois ou quatre pas.D'avoir le sang bouillant et l'âme un peu mutine,Il pourrait bien mettant affront dessus affrontCharger de bois mon dos, comme il a fait mon front. Je hais de tout mon coeur les esprits colériques,Et porte grand amour aux hommes pacifiques :Je ne suis point battant de peur d'être battuEt l'humeur débonnaire est ma grande vertu.Mais mon honneur me dit que d'une telle offense Il faut absolument que je prenne vengeance.Ma foi laissons-le dire autant qu'il lui plaira,Au diantre qui pourtant rien du tout en fera :Quand j'aurai fait le brave, et qu'un fer pour ma peineM'aura d'un vilain coup transpercé la bedaine, Que par la ville ira le bruit de mon trépas,Dites-moi mon honneur, en serez-vous plus gras ?[Note : Bière : Coffre où l'on enferme un mort. [L]]La bière est un séjour par trop mélancoliqueEt trop malsain pour ceux qui craignent la colique,Et quant à moi je trouve, ayant tout compassé, Qu'il vaut mieux être encore cocu que trépassé :Quel mal cela fait-il ? La jambe en devient-ellePlus tortue après tout, et la taille moins belle ?Peste soit qui premier trouva l'inventionDe s'affliger l'esprit de cette vision, Et d'attacher l'honneur de l'homme le plus sageAux choses que peut faire une femme volage ;Puisqu'on tient à bon droit tout crime personnel,Que fait là notre honneur, pour être criminel ?Des actions d'autrui l'on nous donne le blâme, Si nos femmes sans nous ont un commerce infâme,Il faut que tout le mal tombe sur notre dos,Elles font la sottise, et nous sommes les sots,C'est un vilain abus et les gens de Police,Nous devraient bien régler une telle injustice. N'avons-nous pas assez des autres accidents,Qui nous viennent happer en dépit de nos dents,Les querelles, procès, faim, soif et maladie,Troublent-ils pas assez le repos de la vieSans s'aller de surcroît aviser sottement De se faire un chagrin qui n'a nul fondement ?Moquons-nous de cela, méprisons les alarmes.Et mettons sous nos pieds les soupirs et les larmes,Si ma femme a failli, qu'elle pleure bien fort.Mais pourquoi moi pleurer puisque je n'ai point tort ? En tout cas ce qui peut m'ôter ma fâcherie,C'est que je ne suis pas seul de ma confrérie,Voir cajoler sa femme et n'en témoigner rienSe pratique aujourd'hui par force gens de bien :N'allons donc point chercher à faire une querelle Pour un affront qui n'est que pure bagatelle.L'on m'appellera sot de ne me venger pas ;Mais je le serais fort de courir au trépas. Mettant la main sur son estomac.Je me sens là pourtant remuer une bileQui veut me conseiller quelque action virile : Oui le courroux me prend, c'est trop être poltron :Je veux résolument me venger du larron :Déjà pour commencer, dans l'ardeur qui m'enflamme,Je vais dire partout qu'il couche avec ma femme. Avouez moi maintenant la vérité, est-il pas vrai, Monsieur, que vous avez trouvé ces vers tout à fait beaux, que vous ne vous êtes pu empêcher de les relire encore une fois, et que vous demeurez d'accord que Paris a eu raison de nommer cette scène, la belle scène. SCÈNE XVIII. Gorgibus, Célie, La Suivante. Celie n'ayant point trouvé de moyen plus propre pour punir son amant que d'épouser Valère, dit à son père qu'elle est prête à suivre en tout ses volontés, de quoi le bon vieillard témoigne être beaucoup satisfait, comme vous pouvez voir dans ses vers. CÉLIE. Oui, je veux bien subir une si juste loi, Mon père, disposez de mes voeux et de moi,Faites quand vous voudrez signer cet hyménée,À suivre mon devoir je suis déterminée,Je prétends gourmander mes propres sentimentsEt me soumettre en tout à vos commandements. GORGIBUS. Ah ! Voilà qui me plaît de parler de la sorte,Parbleu, si grande joie à l'heure me transporte,Que mes jambes sur l'heure en cabrioleraient,Si nous n'étions point vus de gens qui s'en riraient.Approche-toi de moi, viens çà que je t'embrasse : Une belle action n'a pas mauvaise grâce ;Un père, quand il veut, peut sa fille baiserSans que l'on ait sujet de s'en scandaliser.Va, le contentement de te voir si bien néeMe fera rajeunir de dix fois une année. SCÈNE XIX. Célie, La Suivante. Vous pourrez dans les cinq vers qui suivent, apprendre tout le sujet de cette scène. LA SUIVANTE. Ce changement m'étonne. CÉLIE. Et lorsque tu saurasPar quel motif j'agis tu m'en estimeras. LA SUIVANTE. Cela pourrait bien être. CÉLIE. Apprends donc que Lélie,A pu blesser mon coeur par une perfidie,Qu'il était en ces lieux sans... LA SUIVANTE. Mais il vient à nous. SCÈNE XX. Célie, Lélie, La Suivante. Dans cette scène, Lélie qui avait fait dessein de s'en retourner, vient trouver Célie, pour lui dire un éternel adieu, et se plaindre de son infidélité, dans la pensée qu'il a, qu'elle est mariée à Sganarelle ; lorsque Célie, qui croit avoir plus de lieu de se plaindre que lui, lui reproche de son côté sa perfidie, ce qui ne donne pas un médiocre contentement à l'auditeur, qui connaît l'innocence de l'un et de l'autre, et comme vous le connaissez aussi, je crois que ces vers vous pourront divertir. LÉLIE. Avant que pour jamais je m'éloigne de vous,Je veux vous reprocher au moins en cette place... CÉLIE. Quoi me parler encore, avez-vous cette audace ? LÉLIE. Il est vrai qu'elle est grande et votre choix est telQu'à vous rien reprocher je serais criminel, Vivez, vivez contente et bravez ma mémoireAvec le digne époux qui vous comble de gloire. CÉLIE. Oui traître j'y veux vivre, et mon plus grand désirCe serait que ton coeur en eût du déplaisir. LÉLIE. Qui rend donc contre moi ce courroux légitime ? CÉLIE. Quoi tu fais le surpris, et demandes ton crime ? SCÈNE XXI. Célie, Lélie, Sganarelle, La Suivante. Sganarelle, qui comme vous avez vu dans la fin de la belle scène, (puisqu'elle n'a point à présent d'autre nom dans Paris) a pris résolution de se venger de Lélie, vient pour cet effet dans cette scène, armé de toutes pièces : et comme il ne s'aperçoit pas d'abord, il ne lui promet pas moins que la mort dès qu'il le rencontrera. Mais comme il est de ceux qui n'exterminent leurs ennemis que quand ils sont absents, aussitôt qu'il aperçoit Lélie, bien loin de lui passer l'épée au travers du corps, il ne lui fait que des révérences, et puis se retirant à quartier, il s'excite à faire quelque effort généreux et à le tuer par derrière : et se mettant après en colère contre soi-même de ce que sa poltronnerie ne lui permet pas seulement de la regarder entre deux yeux, il se punit soi-même de sa lâcheté, par les coups et les soufflets qu'il se donne, et l'on peut dire, que quoi que bien souvent l'on ait vu des scènes semblables, Sganarelle sait si bien animer cette action, qu'elle paraît nouvelle au théâtre. Cependant que Sganarelle se tourmente ainsi lui-même, Célie et son amant n'ont pas moins d'inquiétude que lui, et ne se reprochent que par des regards enflammés de courroux, leur infidélité imaginaire, la colère quand elle est montée jusqu'à l'excès, ne nous laissant pour l'ordinaire que le pouvoir de dire peu de paroles. Célie est la première qui à la vue de Sganarelle, dit à son amant de jeter les yeux sur lui, qu'il verra de quoi le faire ressouvenir son crime ; mais comment y trouverait-il de quoi le confondre, puisque c'est par là qu'il prétend la confondre elle même. Il se passe encore quantité de choses dans cette scène, qui confirment les soupçons de l'un et de l'autre ; mais de peur de vous ennuyer trop longtemps par ma prose, j'ai recours aux vers que voici, pour vous les expliquer. SGANARELLE entre armé. Guerre, guerre mortelle à ce larron d'honneurQui sans miséricorde a souillé notre honneur ! CÉLIE, à Lélie. Tourne ? Tourne les yeux ? Sans me faire répondre. LÉLIE. Ah ! Je vois... CÉLIE. Cet objet suffit pour te confondre. LÉLIE. Mais pour vous obliger bien plutôt à rougir. SGANARELLE. Ma colère à présent est en état d'agir,Dessus ses grands chevaux est monté mon courageEt si je le rencontre on verra du carnage :Oui j'ai juré sa mort, rien ne peut m'empêcher Où je le trouverai, je le veux dépêcher,Au beau milieu du coeur il faut que je lui donne... LÉLIE. À qui donc en veut-on ? SGANARELLE. Je n'en veux à personne. LÉLIE. Pourquoi ces armes-là ? SGANARELLE. C'est un habillementQue j'ai pris pour la pluie. À part.Ah ! Quel contentement J'aurais à le tuer, prenons-en le courage. LÉLIE. Hay ? SGANARELLE, se donnant des coups de poings sur l'estomac, et des soufflets pour s'exciter. Je ne parle pas. À part.Ah ! Poltron dont j'enrage,Lâche, vrai coeur de poule. CÉLIE. Il t'en doit dire assezCet objet, dont tes yeux nous paraissent blessés. LÉLIE. Oui, je connais par là que vous êtes coupable De l'infidélité la plus inexcusable,Qui jamais d'un amant puisse outrager la foi. SGANARELLE, à part. Que n'ai-je un peu de coeur ! CÉLIE. Ah ! Cesse devant moiTraître, de ce discours l'insolence cruelle. SGANARELLE. Sganarelle, tu vois qu'elle prend ta querelle, Courage mon enfant, sois un peu vigoureux,Là, hardi, tâche à faire un effort généreux,En le tuant, tandis qu'il tourne le derrière. LÉLIE, faisant deux ou trois pas sans dessein, fait retourner Sganarelle qui s'approchait pour le tuer. Puisqu'un pareil discours émeut votre colère,Je dois de votre coeur me montrer satisfait. Et l'applaudir ici du beau choix qu'il a fait. CÉLIE. Oui, oui, mon choix est tel qu'on n'y peut rien reprendre. LÉLIE. Allez, vous faites bien de le vouloir défendre. SGANARELLE. Sans doute elle fait bien de défendre mes droits !Cette action Monsieur, n'est point selon les lois, J'ai raison de m'en plaindre, et si je n'étais sage,On verrait arriver un étrange carnage. LÉLIE. D'où vous naît cette plainte ? Et quel chagrin brutal... SGANARELLE. Suffit, vous savez bien où le bois me fait mal ;Mais votre conscience et le soin de votre âme Vous devraient mettre aux yeux que ma femme est ma femme,Et vouloir à ma barbe en faire votre bien,Que ce n'est pas du tout agir en bon chrétien. LÉLIE. Un semblable soupçon est bas et ridicule,Allez, dessus ce point n'ayez aucun scrupule, Je sais qu'elle est à vous, et bien loin de brûler... CÉLIE. Ah ! Qu'ici tu sais bien traître, dissimuler ! LÉLIE. Quoi me soupçonnez-vous d'avoir une penséeDe qui son âme ait lieu de se croire offensée ?De cette lâcheté voulez-vous me noircir ? CÉLIE. Parle, parle à lui-même, il pourra t'éclaircir. SGANARELLE. Vous me défendez mieux que je ne saurais faire,Et du biais qu'il faut vous prenez cette affaire. SCÈNE XXII. Sganarelle, Sa femme, Célie, Lélie, La suivante. Dans la quatrième scène de cette pièce, la femme de Sganarelle, qui avait pris de la jalousie en voyant Célie entre les bras de son mari, vient pour lui faire des reproches (ce qui fait voir la merveilleuse conduite de cet ouvrage) jugez de la beauté d'un agréable malentendu produit de cette scène. Sganarelle croit que sa femme vient pour défendre son galant, sa femme croit qu'il aime Célie, Célie croit qu'elle vient ingénument se plaindre d'elle, à cause qu'elle est avez Lélie, et lui en fait des reproches ; et Lélie enfin ne sait ce qu'on lui vient conter, et croit toujours que Célie a épousé Sganarelle. Quoi que cette scène donne une plaisir incroyable à l'auditeur, elle ne peut pas durer plus longtemps sans trop de confusion, et je gage que vous souhaitez déjà de voir comment toutes ces personnes sortiront de l'embarras où ils se rencontrent ; mais je vous le donnerais bien à deviner en quatre coups, sans que vous en pussiez venir à bout. Peut être vous persuadez vous qu'il va venir quelqu'un qui sans y penser lui-même, les tirera de leur erreur et peut-être croyez-vous aussi qu'à force de s'animer les uns contre les autres, quelqu'un venant à se justifier, leur fera voir à tous qu'ils abusent ; mais ce n'est point tout cela, et l'auteur s'est servi d'un moyen dont personne ne s'est jamais avisé, et que vous pourrez savoir si vous lisez les vers de cette scène. LA FEMME DE SGANARELLE, à Célie. Je ne suis point d'humeur à vouloir contre vousFaire éclater Madame, un esprit trop jaloux ; Mais je ne suis point dupe et vois ce qui se passe :Il est de certains feux de fort mauvaise grâce,Et votre âme devrait prendre un meilleur emploi,Que de séduire un coeur qui doit n'être qu'à moi. CÉLIE. La déclaration est assez ingénue. SGANARELLE, à sa femme. L'on ne demandait pas carogne ta venue,Tu la viens quereller lorsqu'elle me défend,Et tu trembles de peur qu'on t'ôte ton galant. CÉLIE. Allez, ne croyez pas que l'on en ait envie.Tu vois si c'est mensonge, et j'en suis fort ravie. LÉLIE. Que me veut-on conter ? LA SUIVANTE. Ma foi, je ne sais pas[Note : Galimatias : Discours embrouillé, confus, obscur.]Quand on verra finir ce galimatias,Déjà depuis longtemps je tâche à le comprendre,Et si plus je l'écoute et moins je puis l'entendre ;Je vois bien à la fin que je m'en dois mêler. Allant se mettre entre Lélie et sa maîtresse.Répondez-moi par ordre et me laissez parler. À Lélie.Vous, qu'est-ce qu'à son coeur peut reprocher le vôtre ? LÉLIE. Que l'infidèle a pu me quitter pour un autre ;Que lorsque, sur le bruit de son hymen fatal,J'accours tout transporté d'un amour sans égal, Dont l'ardeur résistait à se croire oubliée,Mon abord en ces lieux la trouve mariée. LA SUIVANTE. Mariée, à qui donc ? LÉLIE, montrant Sganarelle. À lui. LA SUIVANTE. Comment à lui ? LÉLIE. Oui-da. LA SUIVANTE. Qui vous l'a dit ? LÉLIE. C'est lui-même, aujourd'hui. LA SUIVANTE, à Sganarelle. Est-il vrai ? SGANARELLE. Moi, j'ai dit que c'était à ma femme Que j'étais marié. LÉLIE. Dans un grand trouble d'âme,Tantôt de mon portrait je vous ai vu saisi. SGANARELLE. Il est vrai : le voilà. LÉLIE. Vous m'avez dit aussiQue celle aux mains de qui vous aviez pris ce gageÉtait liée à vous des noeuds du mariage. SGANARELLE, montrant sa femme. Sans doute, et je l'avais de ses mains arraché,Et n'eusse pas sans lui découvert son péché. LA FEMME DE SGANARELLE. Que me viens-tu conter par ta plainte importune ?Je l'avais sous mes pieds rencontré par fortune,Et même quand après ton injuste courroux J'ai fait dans sa faiblesse entrer Monsieur chez nous. Montrant Lélie.Je n'ai pas reconnu les traits de sa peinture. CÉLIE. C'est moi qui du portrait ai causé l'aventureEt je l'ai laissé choir en cette pâmoison À Sganarelle.Qui m'a fait par vos soins remettre à la maison. LA SUIVANTE. Vous voyez que sans moi vous y seriez encore,[Note : Ellébore : Plante, dite dans l'Avranchin herbe enragée, très usitée dans la médecine des anciens comme cathartique et qui passait pour guérir la folie. [L]]Et vous aviez besoin de mon peu d'ellébore. SGANARELLE. Prendrons-nous tout ceci pour de l'argent comptant ;Mon front l'a sur mon âme eu bien chaude pourtant ? SA FEMME. Ma crainte toutefois n'est pas trop dissipée Et doux que soit le mal ; je crains d'être trompée. SGANARELLE. Hé ! Mutuellement croyons-nous gens de bien,Je risque plus du mien que tu ne fais du tien :Accepte sans façon le marché qu'on propose. SA FEMME. [Note : Gare le bois : attention aux coups de bâton.]Soit, mais gare le bois si j'apprends quelque chose. CÉLIE, à Lélie, après avoir parlé bas ensemble. Ah ! Dieux s'il est ainsi, qu'est-ce donc que j'ai fait ?Je dois de mon courroux appréhender l'effet :Oui, vous croyant sans foi, j'ai pris pour ma vengeance.Le malheureux secours de mon obéissance ;Et depuis un moment mon coeur vient d'accepter Un hymen que toujours j'eus lieu de rebuter,J'ai promis à mon père, et ce qui me désole...Mais je le vois venir. LÉLIE. Il me tiendra parole. SCÈNE XXIII. Célie, Lélie, Gorgibus, Sganarelle, Sa Femme, La Suivante. Lélie dans cette scène, demande l'effet de sa parole à Gorgibus. Gorgibus lui refuse sa fille, et Célie ne se résout qu'à peine d'obéir à son père, comme vous pouvez voir en lisant. LÉLIE. Monsieur, vous me voyez en ces lieux de retourBrûlant des mêmes feux, et mon ardente amour Verra comme je crois la promesse accomplieQui me donna l'espoir de l'hymen de Célie. GORGIBUS. Monsieur, que je revois en ces lieux de retourBrûlant des mêmes feux, et dont l'ardente amourVerra que vous croyez la promesse accomplie Qui vous donna l'espoir de l'hymen de Célie,[Note : Vers 627, aucun vers ne rime avec Seigneurie.]Très humble serviteur à votre seigneurie. LÉLIE. Quoi ? Monsieur, est-ce ainsi qu'on trahit mon espoir ? GORGIBUS. Oui Monsieur, c'est ainsi que je fais mon devoir,Ma fille en suit les lois. CÉLIE. Mon devoir m'intéresse, Mon père, à dégager vers lui votre promesse. GORGIBUS. Est-ce répondre en fille à mes commandements ?Tu te démens bientôt de tes bons sentiments,Pour Valère tantôt... Mais j'aperçois son père,Il vient assurément pour conclure l'affaire. SCÈNE DERNIÈRE. Célie, Lélie, Gorgibus, Sganarelle, sa femme, Villebrequin, La Suivante. La joie que Célie avait eu en apprenant que son amant ne lui était pas infidèle eut été de courte durée, si le père de Valère ne fut pas venu à temps pour les retirer tous deux de peine. Vous pourrez voir dans le reste des vers de cette pièce, que voici le sujet qui le fait venir. GORGIBUS. Qui vous amène ici, Seigneur Villebrequin ? VILLEBREQUIN. Un secret important, que j'ai su ce matin,Qui rompt absolument ma parole donnée.Mon fils, dont votre fille acceptait l'hyménée,Sous des liens cachés trompant les yeux de tous, Vit, depuis quatre mois, avec Lise en époux ;Et comme des parents le bien et la naissanceM'ôtent tout le pouvoir d'en casser l'alliance,Je vous viens... GORGIBUS. Brisons là, si sans votre congé,Valère votre fils ailleurs s'est engagé, Je ne vous puis celer que ma fille Célie,Dès longtemps par moi-même est promise à Lélie,Et que riche en vertus son retour aujourd'huiM'empêche d'agréer un autre époux que lui. VILLEBREQUIN. Un tel choix me plaît fort. LÉLIE. Et cette juste envie, D'un bonheur éternel va couronner ma vie. GORGIBUS. Allons choisir le jour pour se donner la foi. SGANARELLE. A-t-on mieux cru jamais être cocu que moi ?Vous voyez qu'en ce fait la plus forte apparencePeut jeter dans l'esprit une fausse créance ? De cet exemple-ci, ressouvenez-vous bien,Et quand vous verriez tout, ne croyez jamais rien. Sans mentir, Monsieur, vous me devez être bien obligé de tant de belles choses que je vous envoie, et tous les melons de votre jardin ne sont pas suffisants pour me payer de la peine d'avoir retenu pour l'amour de vous toute cette pièce par coeur ; mais j'oubliais de vous dire une chose à l'avantage de son auteur, qui est que comme je n'ai eu cette pièce que je vous envoie que par de effort de mémoire, il peut s'y être coulé quantité de mots les uns pour les autres, bien qu'ils signifient la même chose ; et comme ceux de l'auteur peuvent être plus significatifs, je vous prie de m'imputer toutes les fautes de cette nature que vous y trouverez ; et je vous conjure avec tous les curieux de France de venir voir représenter cette pièce comme un des plus beaux ouvrages, et un des mieux joués qui ait jamais paru sur la scène. ==================================================