******************************************************** DC.Title = LES LEGISLATRICES, COMÉDIE, EN UN ACTE ET EN VERS LIBRES; MÉLÉE D'ARIETTES. DC.Author = MOLINE, Pierre-Louis DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:10. DC.Coverage = Pays imaginaire DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MOLINE_LEGISLATRICES.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES LEGISLATRICES COMÉDIE, EN UN ACTE ET EN VERS LIBRES MÉLÉE D'ARIETTES. M. DCC. LXV. AVEC APPROBATION PAR M. MOLINE. À PARIS, Chez CLAUDE HERISSANT, Imprimeur-Libraire, rue Neuve Notre-Dame, à la Croix d'or. AVERTISSEMENT. Ce poème dramatique avait été confié à un musicien qui s'était engagé d'en composer la Musique, et de le faire représenter sur le Théâtre de la Comédie Italienne. L'Auteur qui fait de la Poésie un amusement qu'il consacre à ses loisirs, qui ne fut jamais conduit par aucune vue d'intérêt, et qui n'exigeait pour prix de son poème que le seul plaisir de le voir représenter : ayant appris qu'il va bientôt paraître une nouvelle Pièce qui porte le même titre que la sienne, et dont le sujet littéralement suivi est la copie du sien, à la différence près que le Dialogue est en Prose a jugé à propos de mettre au jour ce poème, qui, quoique original, est peut-être fort au-dessous de la copie. PERSONNAGES. THÉMIRE, jeune Veuve de qualité. MONSIEUR CLOPIN, Bourgeois. MADAME CLOPIN. UN MARQUIS, Amoureux de Thémire. JULIE, Fille de Madame Clopin. LINDOR, Amant de Julie. UNE FEMME, députée du peuple. UN DÉPUTÉ du peuple. TROUPE DE FEMMES. TROUPE D'HOMMES. La Scène est dans une île déserte. L'Auteur suppose que ces Citoyens sont fixés dans cette île, dont les productions sont suffisantes pour fournir avec abondance aux besoins de la vie. SCÈNE PREMIÈRE. Thémire, Madame CLOPIN. Le théâtre représente un endroit sauvage, où dans l'enfoncement d'un bois on découvre le rivage de la mer, et les voiles de plusieurs vaisseaux. Le théâtre représente un endroit sauvage, où dans l'enfoncement d'un bois on découvre le rivage de la mer, et les voiles de plusieurs vaisseaux. THÉMIRE. Oh Madame, pour cette foisDans cette île déserte il faut faire des Lois. MADAME CLOPIN. Oui, nous en avons la puissance,Nous sommes dans l'indépendance. MADAME CLOPIN et THÉMIRE ensemble. Si le peuple ose en murmurer, Des hommes pour jamais il faut nous séparer. MADAME CLOPIN. Nous avons trop longtemps vécu dans la contrainte. THÉMIRE. Je sens que mon âme est atteinte De l'espoir le plus glorieux :Le sort favorise nos voeux. Nous échappons de l'esclavageDe l'ennemi victorieuxDans notre ville saccagéeNos Gouverneurs sont arrêtés :Enfin dans cette île ignorée La tempête nous a jetés ;Nous y ferons des lois... MADAME CLOPIN. Nous pouvons y prétendre.Et puisque notre sexe a voulu nous choisirPour ses chefs, il faut le défendre :C'est à nous à le soutenir. THÉMIRE. Les hommes vont bientôt apprendreQue nous pouvons comme eux tout entreprendre.Quel agréable souvenir ! ARIETTE.Je vois déjà la RenomméeDe nos hauts faits charmée Voler dans les airs :J'entends retentir sa trompetteQui sans cesse répèteNos lois dans l'univers.Après cette victoire Que la postéritéNous place au Temple de Mémoire,C'est la seule gloireQui mène à l'immortalité. MADAME CLOPIN. Si le courage nous seconde, On parlera de nous jusqu'à la fin du monde.Mais gardez votre coeur, et craignez du MarquisLes airs complaisants et soumis. THÉMIRE. Je le fuirai, quoique je l'aime. MADAME CLOPIN. Madame, il faut s'armer d'une rigueur extrême, Et que jamais l'amour ne puisse vous tenter. THÉMIRE. Et, Madame Clopin, tenez ferme vous-même,Et ne songez qu'à m'imiter.De l'amour du Marquis je ne saurais douter ;Mais je puis m'en défaire Plus aisément que vousDe Monsieur votre époux. MADAME CLOPIN. ARIETTE.Qui, moi, voyez la belle affaire !Je peux bien m'en passer.Un mari n'intéresse guère : Hélas j'en connais tant dont on ne sait que faire ;Il en coûte si peu pour s'en débarrasser. SCÈNE II. Madame Clopin, Thémire, Le Marquis, Monsieur Clopin. Monsieur Clopin marche lentement comme un homme qui médite quelque grand projet, sans apercevoir Thémire, ni sa femme. LE MARQUIS. Je rencontre en ces lieux Thémire !Je ne vous croyais pas si près :Il semble que l'amour exprès Dans ces lieux ait su me conduire. Le peuple rassemblé d'une commune voixPour ses chefs vient de nous élire :Nous allons lui donner des lois ;Et Monsieur Clopin pense à ce qu'il faut prescrire. MADAME CLOPIN, riant. Pour lui donner des lois ! Ah, ah, Monsieur Clopin,Je ne vous croyais pas un esprit si sublime. MONSIEUR CLOPIN. L'intérêt du peuple m'anime,Et je vais par mes lois adoucit son destin. ARIETTE.J'ai lu jadis le Code et le Digeste. Sans qu'on me le conteste,Je m'exprime aussi-bienQue Cujas, que Tribonien :J'ai l'esprit, la mémoire,Le port et le maintien De l'Empereur Justinien.Je ne m'en fais point gloire :Mais comptez-vous cela pour rien ?Le peuple, par-tout où je passe,Vient en foule se présenter ; Et l'on ne se lasseDe me consulter. THÉMIRE. Non, vos prétentions sont nulles ;Le peuple nous choisit pour être son appui :Ainsi de vos lois ridicules Nous vous dispensons aujourd'hui. LE MARQUIS. Ah, voilà du nouveau. THÉMIRE. Mais la chose est certaine. MONSIEUR CLOPIN. Vous vous flattez, je crois, d'une espérance vaine. MADAME CLOPIN. Ainsi que vous, Messieurs, nous en avons les droits,Et nous voulons faire des lois. MONSIEUR CLOPIN, au Marquis. Elles parlent de lois comme de bagatelles.Vous croyez donc avoir assez de jugementPour conduire un Gouvernement ? MADAME CLOPIN. Oui, nous en formons de nouvelles,Et nous nous expliquons intelligiblement. LE MARQUIS, à Thémire. Madame, vous savez que ce n'est point l'usage. THÉMIRE. Nous jouissons ici d'un égal avantage :Quoi qu'il en soit, je le veux, c'est assez ;Si vous m'aimez, obéissez. LE MARQUIS. Mon coeur qui dans l'amour ne prévoyait que peines, Avait su jusqu'ici se soustraire à ses chaînes.Je vous vis : de mon trouble il sut bien profiter,A vos regards vainqueurs je ne pus résister.De Mars j'abandonnai les armes,Je fus forcé de vous aimer. Quand on ressent le pouvoir de vos charmes,Pourrait-on ne pas s'enflammer ?Cependant à vos voeux je ne saurais souscrire :Exercez sur nous votre empire ;Mais ne nous prescrivez que d'amoureuses lois ; Nous les suivrons : ce sont vos droits. THÉMIRE. Je vous entends. Vous croyez que les femmesN'ont pas autant d'esprit que vous ? LE MARQUIS. Puisque vous regnez sur nos ames,Votre triomphe est assez doux. MADAME CLOPIN. Non, ce triomphe est pour nous peu de chose :A nos desirs c'est en vain qu'on s'oppose.Madame, allons nous assembler :Il faut faire des lois qui les fassent trembler. QUATUOR DIALOGUÉ. MONSIEUR CLOPIN, après avoir longtemps réfléchi, d'un air empressé au Marquis. Oui, notre gloire est parfaite. Monsieur le Marquis, suivez-moi :Je viens d'inventer une Loi. LE MARQUIS. Que mon âme est satisfaite ! MONSIEUR CLOPIN, au Marquis. Eh vote, suivez-moi doncOù le devoir nous appelle. THÉMIRE et MADAME CLOPIN. Il a perdu la cervelle. MONSIEUR CLOPIN, au Marquis. Oui, Démosthène et Platon,Thalès, Licurgue et Solon,N'en ont pas fait d'aussi belle. LE MARQUIS. Je suis ravi de cela. THÉMIRE et MADAME CLOPIN. Bientôt on vous apprendraQui de nous l'emportera. Ils sortent. SCÈNE III. Thémire, Madame Clopin, Julie. THÉMIRE. C'En est trop, le Marquis m'outrage ;Je dois mépriser son amour. JULIE, à Madame Clopin. Je viens me joindre au légitime hommage Que tous les Citoyens vous rendent tour à tour.Ma mère enfin voici le jour,Où par un heureux mariageLindor va couronner ma tendresse et mes feux. THÉMIRE, à Julie. Non, non, n'y comptez plus : il faut briser vos noeuds. C'est à présent le parti le plus sage. JULIE. Pourquoi ? MADAME CLOPIN, brusquement. Je vous défends de penser à Lindor :Obéissez, Julie, ou craignez ma colère. JULIE. Hélas ! Par quel malheureux sortLindor aurait pu vous déplaire ? Je voudrais obéir à votre ordre sévere ;Mais mon coeur en secret n'y sera point d'accord. ARIETTE.Un feu me trouble et m'agiteAussi-tôt que je le vois :Je sens mon coeur qui palpite, Et je l'aime malgré moi.Quand près de lui je soupire,Je ne connais point l'ennui.Est-ce un crime d'oser direCe que je ressens pour lui. SCÈNE IV. Thémire, Madame Clopin, Julie, Lindore. LINDOR. En fuyant de notre patriePour éviter l'affreuse tyrannie,Nous avons débarqué dans cette île à bon port.Nos jours sont conservés ; je ne plains plus mon sort,Puisque j'épouse enfin mon aimable Julie. Le plaisir d'être aimé sans doute a des appas :Qui le cherche le plus souvent, n'en jouit pas.Mais le bonheur nous suit sans cesse,Lorsque dans les transports d'un légitime amourPour prix de sa vive tendresse, On l'obtient à son tour.Nos Citoyens sur ce rivageVont mêler aujourd'hui leur danse à nos plaisirs. MADAME CLOPIN. Je ne puis remplir vos désirs :De ce que j'ai promis, Lindor, je me dégage ; En un mot, de Julie il faut vous séparer. LINDOR. Dieux ! que m'apprenez-vous ? daignez me rassurer. ARIETTE.Quel obstacle nous sépare !A l'hymen qu'on nous prépare,Vous vous opposez en vain : J'aime mieux perdre la vieQue d'abandonner Julie.Si mon malheur est certainDans ce jour que l'Amour mêmeA fixé pour mon bonheur, Éloigné de ce que j'aimeJ'expirerai de douleur. JULIE. Vous nous avez donné, maman, votre parole :Pourriez-vous ne pas nous unir ! THÉMIRE. Bas à Madame Clopin.Ne vous laissez pas attendrir. MADAME CLOPIN. Bas à Thémire.Ne craignez rien. Haut. Lindor votre attente est frivole :Il n'est plus temps de compter sur sa foi.Lorsqu'à nos Citoyens qui vont ici se rendre,Nous aurons prescrit notre Loi, Alors vous pourrez y prétendre. LINDOR, vivement. Donnez-leur votre Loi, tout vous sera permis :Nos Citoyens vous sont soumis.N'avez-vous pas assez de l'éclat de vos charmes,De vos attraits vainqueurs ? Vous faut-il d'autres armesPour soumettre nos coeurs ? THÉMIRE. Non, ce n'est point assez pour notre gloire,Nous secouons le joug de nos Législateurs :Nous voulons remporter une double victoire. Nos sages lois adoucissant nos fersDoivent embellir l'univers ;Et détruisant l'ambition fataleDe notre liberté rivale,Dont les mortels ressentent mille maux, Dans l'une et dans l'autre hémisphèreDevenus nos égaux,Nous ferons régner sur la terreUn éternel repos.Notre fierté méprise un encens ordinaire : Pour soutenir nos légitimes droits,Il nous est nécessaireD'établir de nouvelles lois.Nos âmes toujours asserviesA la faiblesse de l'amour, Se trouvent souvent aviliesPar un honteux retour.Celle qu'un noble orgueil rend à ceDieu contraire,Préfère sa grandeur au vain désir de plaire,Et de son coeur prévient l'échec. L'indifférence enchaîne un amant téméraire,Et force son âme au respect. LINDOR. Votre Loi n'est pas juste, et l'amour véritableInspire ce respect durable.Un Amant conduit par l'honneur Qu'un tendre sentiment anime,Selon vous commet donc un crimeDe faire hommage de son coeur ? Hélas ! Peut-on être insensibleQuand on a vu Julie ? Une chaîne invisible Me force de céder : la douceur de ces fersMe les fait respecter, et me les rend plus chers. MADAME CLOPIN. À part. Il m'attendrit ; mais reprenons courage. Haut.Lindor, ç'en est assez : je romps ce mariage.De l'amour qui soumet nos coeurs, Nous faisons une Loi de mépriser l'empire.À tous les Citoyens nous allons la prescrire :Nous pourrons dans la suite adoucir ses rigueurs,Quand les hommes moins fiers méritant nos tendresses,De guider leur raison nous laisseront maîtresses. JULIE. Quelle Loi ferez-vous pour remplacer l'amour ? MADAME CLOPIN, brusquement. Point du tout. LINDOR, à Julie. Il faut donc te perdre sans retour. ARIETTE.Ah Julie ! ton absenceOffre à mon coeur d'affreux instants.Si de ta chère présence Ta mère me prive longtemps,A l'ombre d'un épais feuillageTon amant, loin de tes attraits,Pour compagne aura ton imageQui ne le quittera jamais. Il sort. SCÈNE V. Thémire, Madame Clopin, Julie. JULIE. Quand Lindor vous ouvre son âme,Et lorsqu'à vos yeux sans détourIl fait l'aveu de la plus rendre flamme,Vous le payez d'un tel retour ;Oui votre Loi me désespère. Avec peine mon coeur digèreL'affront d'un pareil traitement.En quoi le trouvez-vous coupable ?Son ardeur autrefois vous était agréable.Pourquoi m'empêchez vous d'épouser mon Amant ? L'art de feindre me semble un viceQue l'on ne saurait trop blâmer :Je parle ici sans artifice,Je ne puis vivre sans l'aimer ;Et mon coeur innocent, qui ne peut point connaître Les lois que vous voulez former,À celles de l'amour aime mieux se soumettre. MADAME CLOPIN. Quoi ! se soumettre ? JULIE. Avec Lindor ;Nous serons sans cesse d'accord. THÉMIRE. Nous nous affranchissons de ce dur esclavage. Julie, au printemps de votre âgeIl faut penser plus noblement.Jouissez mieux de l'avantageQue vous avez reçu de soumettre un Amant. SCÈNE VI. Thémire, Madame Clopin, Julie, Une Femme députée du peuple, Troupe de Femmes. LA DÉPUTÉE présentant des bouquets à Thémire et à Madame Clopin. Nos femmes, pour vous reconnaître, Et pour obéir à vos lois,Vous offrent ces bouquets d'une commune voix. THÉMIRE, mettant le bouquet. Il nous eut suffi de paraîtreAvec le simple éclat que donne la vertu. MADAME CLOPIN, mettant le bouquet. Ce faste n'est point superflu, C'est une nouvelle parure. LA DEPUTÉE, à Thémire. De ce que produit la nature,Rien ne flatte plus que les fleurs ;Mais vous en effacez les plus vives couleurs.Leur éclat n'a qu'un temps, il ternit, il se passe : Jamais le vôtre ne s'efface ;Il conserve toujours cet empire charmant,Ce feu qui brÛle un coeur de glace,Cet attrait qui fixe un Amant :Celui des fleurs ne dure qu'un moment. Les Dieux vous l'ont donné pour vaincre et pour soumettreDes mortels qui sont nés pour l'être.Votre gloire et l'honneur doivent vous exciterÀ remplir vos projets. THÉMIRE. Oui, je vais m'acquitterDe mes promesses : je vous jure Que du sexe opprimé nous soutiendrons les droits.A tous les Citoyens, malgré qu'on en murmure,Nous allons publier nos lois. LA DEPUTÉE. Pourquoi les hommes seuls en ont-ils la puissance ?N'avons-nous pas comme eux la même intelligence ARIETTE.On nous dit au sein du berceau :Ma fille, apprenez le ménage,Obéissez et soyez sage ;Après on nous donne un fuseau.Voyez donc le plaisant ouvrage Auquel nous employons le temps.La raison est notre partage,On nous refuse le bon sens. MADAME CLOPIN. Les hommes prennent soin d'élever notre enfanceDans la plus stupide ignorance ; Malgré cela, nos esprits pénétrantsSont redoutés de nos tyrans. JULIE. Quoique nous n'ayons pas autant d'expérience,Nous passons du moins auprès d'euxLes moments les plus doux, les jours les plus heureux. Que sert d'envier leur puissance ?Pour régner sur leurs coeurs, les équitables DieuxNous ont fait les objets de leurs plus tendres voeux. ROMANCE.Quand l'Amour nous prête des armes,L'esprit, les grâces, la beauté Versent sans cesse sur nos charmesLes attraits de la volupté.Au tendre Amant qui nous adore,Nous inspirons mille désirs :Dans son coeur nous faisons éclore Le germe de tous ses plaisirs.Celui que la tendresse enchaîne,Ne connaît point l'art de trahir :Il cède au penchant qui l'entraîne,Et sans les lois sait obéir. THÉMIRE. Si nous livrons nos coeurs à la tendresse,Ne blâmons que notre faiblesse.Les hommes savent nous tromperPar d'agréables soins : avoir l'art de leur plaire,Savoir leur inspirer une flamme légère Qu'un seul instant voit dissiper,Selon leurs goÛts les satisfaire,Voilà le seul objet qui peut nous occuper.Bien loin de mépriser leurs flammes indiscrètes,Nous nous laissons séduire au discours d'un amant, Et du frivole honneur d'être toujours coquettesNous nous entêtons follement :Il faut en convenir, car toutes nous le sommes.Mais revenons de notre égarement,Faisons des lois comme les hommes, Et ne retombons plus dans l'avilissement. SCENE VII. Thémire, Madame Clopin, Julie, Le Députée, Un Député du peuple, Femmes. LE DEPUTÉ. Je viens peut-être en cet asileTroubler votre tranquillité :Des Citoyens de cette îleJe suis l'illustre Député. Quoi que mon coeur soit épris de la gloire,Je rends toujours hommage à vos divins appas ;Et sans m'enorgueillir d'une injuste victoire,Mon devoir porte ici mes pas.Mais comment résister au pouvoir de vos charmes ? Qui pourrait contre vous oser prendre les armes ?De l'Amour méprisant la voix,Comment peut-on oser vous imposer des lois ? THÉMIRE. Les Citoyens sans doute ont daigné nous élirePour leur donner des lois ? À la fin je respire. MADAME CLOPIN. Eh bien poursuivez donc. LE DEPUTÉ. Quelle vivacité ! MADAME CLOPIN. Mon coeur s'était toujours flatté Que nous devions avoir sur eux la préférence. LE DEPUTÉ, tirant un grand papier. Voici le contenu de certaine Ordonnance... THÉMIRE. Comment, que veut dire cela ? Aurait-on fait pour nous cette Ordonnance-là ? LE DÉPUTÉ, après avoir mis ses lunettes, lit cette Ordonnance. ARIETTE.L'an mille ... et cetera.Passons cet article-là ...Très hauts et très puissants SeigneursDe cette île Gouverneurs, Faisons défenses à nos Dames,Veuves ou filles ou femmes,De prescrire aucunes lois ;Et pour soutenir nos droits,Et la Loi que sur la terre Le sexe avec soin révère,Leur enjoignons,Et ordonnonsL'obéissance ;Et que la présente Ordonnance Soit mise en exécution,Nonobstant oppositionEt quelconque appellation. MADAME CLOPIN. L'obéissance ? Quel outrage ! THÉMIRE. Madame, quel affront ! Au Député.Si j'en croyais ma rage, Je t'apprendrais.... LE DEPUTÉ. Pourquoi vous emporter ?De ce qu'on m'a prescrit, je viens pour m'acquitter. LA DEPUTÉE. Voyez l'insolent personnage ! MADAME CLOPIN, lui déchirant l'Ordonnance. Tiens à présent tu peux leur rapporterCette impertinente Ordonnance. THÉMIRE retenant le Député qui veut s'enfuir. Non, ce n'est point assez pour remplir ma vengeance,Tu n'échapperas pas. LA DEPUTÉE, le prenant par le col. Je vais le retenir. THÉMIRE. Oui, tu vas recevoir la juste récompenseQue mérite ton insolence. LE DEPUTÉ. Modérez ce courroux, et daignez vous fléchir : Je sais que l'Ordonnance est injuste et profane.Si nos Législateurs veulent vous asservir,Pourquoi voulez-vous m'en punir ?De cette Loi que je condamne,Dont je voudrais vous affranchir, Je ne suis ici que l'organe QUINTO DIALOGUÉ. THÉMIRE. Oui, tu mérites la mortPour avoir eu cette audace. LE DEPUTÉ. Vous devez me faire grâce,Madame, si je n'ai pas tort. JULIE à part. Hélas, quelle est ma disgrâce,Si je perds mon cher Lindor ! MADAME CLOPIN et LA DEPUTÉE ensemble. Il faut qu'il meure,Et tout à l'heureNous allons terminer son sort. LE DEPUTÉ. Ah, ç'en est fait de ma vie. JULIE. Que mon ame est attendrie ! LE DEPUTÉ. Faut-il ainsi finir mes jours ?Monsieur Clopin, à mon secours. Le Député se débarrasse de leurs mains : toutes les femmes le poursuivent dans le fond, du bois. SCÈNE VIII. JULIE, seule. Quel désordre affreux ! Ah Julie, Que ce funeste jour va te coûter de pleurs !Au milieu de ces bois, d'une agréable vieTu ne goÛteras plus le charme et les douceurs.Au tendre Amant dont mon âme est ravie, Ce jour allait m'unir .... Une cruelle Loi Nous sépare, et l'oblige à s'éloigner de moi.D'un légitime amour victime infortunée,Je m'abandonne à mon malheur.Je laisse aux Immortels régler ma destinée,Puisqu'à fuir ce que j'aime on veut forcer mon coeur. A quel destin dois-je m'attendre ?..Ma mère peut-elle prétendreQue je n'aime plus ? Elle a tort :Plus elle veut me le défendre,Plus je sens que j'aime Lindor. ARIETTE.Une mère a beau nous contraindre,Quand on est dans l'âge d'aimer ;Si quelque amant sait nous charmer,C'est en vain qu'elle croit éteindreL'amour qui vient nous enflammer. Lorsque je vois Lindor paraître,Que ce moment est séducteur !Je sens aussi-tôt dans mon coeurUn plaisir que lui seul fait naître,C'est le présage du bonheur. Que vais-je devenir dans cette île sauvage ?...J'entends des cris... Quel bruit ! Fuyons de ce rivage. Elle sort. SCÈNE IX. Le Marquis, Monsieur Clopin, Le Député, Lindor. LE DEPUTÉ. ARIETTE.Ah ! Je suis mutilé,J'ai le corps accablé.Toutes ces femmes en furie Ont pensé m'arracher la vie :Elles m'ont harcelé.Si je n'eusse bien vitePris la fuite,Elles m'auraient étranglé. LE MARQUIS. Peut-on nous faire une pareille offense ? LINDOR. Elles l'ont mis dans un piteux état. LE DEPUTÉ. Vingt femmes contre un homme user de violence ! MONSIEUR CLOPIN, après réflexion. Oui, c'est une affaire d'État. LINDOR, au Député. Vous deviez avoir peur. LE DEPUTÉ. Le coeur encor me bat. Je ne veux jamais plus vous servir d'émissaire ;Il en coûte trop cher d'essuyer leur colère. LE MARQUIS, au Député. Nous allons vous venger. Eh bien, Monsieur Clopin,Qu'avez-vous résolu ? MONSIEUR CLOPIN. Je crois qu'avec justiceIl conviendrait de mettre fin Aux progrès furieux d'un étrange caprice.Cela ne laisse point que de m'embarrasser :J'ai tant d'affaires à penser. LINDOR. Pourquoi les obstiner ? il vaut mieux se soumettre.N'avons-nous pas toujours nos mêmes droits ? MONSIEUR CLOPIN. Non, il ne faut jamais permettreQue les femmes fassent les lois :Ce serait renverser l'ordre de la nature. LE MARQUIS. Ce serait cependant la route la plus surePour obtenir plutôt la paix. MONSIEUR CLOPIN. Messieurs, n'y consentons jamais. ARIETTE.A mon âge on n'est point timide.Quand le flambeau de la raison nous guide,Dans le dangerOn ne craint point de se plonger. J'ai plus que vous d'expérience ;Et par ma scienceSi vous voulez me seconder,Vous les verrez bientôt céder. Je ris de leur vaine colère ; Je ne suis pas un sot ;Je veux les faire taire,En leur disant un mot. LE MARQUIS. Plus on brave le sexe, et plus il est à craindre :Celui qui tombe sous ses coups, Des mortels est le plus à plaindre.Vous ignorez encor jusqu'où va son courroux.Du trône de l'orgueil et de la jalousieLançant les traits d'une aveugle furie,Ce sexe impérieux, lorsqu'il peut se venger, Ne sait rien négliger.Son coeur suit aisément les lois de l'inconstance ;Et pour la plus légère offenseOn perd à jamais ses faveurs.Quand pour se venger d'un outrage, Sa colère inflexible a tout mis en usage,Les charmes séduisants de ses feintes douceursSont un serpent caché sous d'agréables fleurs. LE DEPUTÉ, d'un [air] effrayé. Ah ! Messieurs, les voici. Je tremble...Toutes les femmes sont ensemble. MONSIEUR CLOPIN, tremblant. Si nous allions apPeler du secours.Ces femmes-là sont obstinées. SCÈNE X. Le Marquis, Monsieur Clopin, Lindor, Le Député, Thémire, Madame Clopin, Julie, Le Députée, Troupe de Femmes, une Femme portant un tambour. MADAME CLOPIN. EH bien, Messieurs, vos lois sont-elles terminées ? THÉMIRE. A nous donner des lois persistez-vous toujours ? MADAME CLOPIN. Nous allons nous faire connaître. LINDOR, à Madame Clopin. Madame, imposez-nous les lois qu'il vous plaira. MADAME CLOPIN. Monsieur Clopin ne veut donc pas permettreQue nous fassions les lois ? MONSIEUR CLOPIN, avec embarras. Je n'en suis plus le maître. MADAME CLOPIN. Allons, battez tambour. LE MARQUIS. Que veut dire cela ? THÉMIRE, au Marquis fièrement. Lisez, Monsieur : ceci vous l'apprendra. LE MARQUIS, lit. « Arrêt qui nous sépareDes hommes pour jamais. » LINDOR, à part. Cet arrêt est bizarre,Et j'en crains les effets, LE MARQUIS, poursuivant. « Mais s'ils veulent faire la paix, Il faut qu'ils nous promettentDe n'avoir plus d'autorité,De nous donner la liberté,Et qu'à nos lois ils se soumettent ». THÉMIRE. Tels sont nos sentiments, c'est à vous à choisir : Avec nous à ce prix vous pouvez vous unir. LE MARQUIS. Cet arrêt n'est point légitime,Et partout il sera proscrit. THÉMIRE. On l'exécutera. Peut-on nous faire un crimeDe faire briller notre esprit ? L'Univers ne doit plus en être la victime ;Nos sages lois vont l'éclairer. MADAME COPIN, à Thémire. Madame, c'est trop endurerDe mépris et de résistance.On dédaigne nos lois, il faut nous séparer. LINDOR, bas au Marquis et à Monsieur Clopin. Que risquons-nous de nous soumettre ?C'est le moyen de les fléchir. LE MARQUIS, bas à Lindor et à Monsieur Clopin. Eh bien, feignons de le paroître. MONSIEUR CLOPIN, bas au Marquis. Allons, j'y veux bien consentir. LE MARQUIS. ARIETTE.Vous l'emportez, belle Thémire ; Régnez sur roue ce qui respire :Nous nous soumettons sans retour.Votre esprit et votre naissanceOnt vaincu notre résistance :De nos coeurs et de mon amour Vos lois triomphent tour à tour. MONSIEUR CLOPIN, à sa femme. Faites des lois, Madame, et soyez la maîtresse,Je dois vous obéir : usez de tous vos droits. LINDOR, à Julie. Oui, mon coeur à Julie obéira sans cesse,Je serai trop heureux de recevoir ses lois. LE MARQUIS, à Thémire. Au feu qui dans vos yeux semble peindre votre âme,L'Amour a tant de fois allumé son flambeau,Qu'il vous doit en ce jour un tribut de ma flamme,En donnant à vos lois un triomphe nouveau. THÉMIRE. Vous devenez donc plus traitables. MONSIEUR CLOPIN. Oui, nous sommes tous vos sujets. MADAME CLOPIN. Pour vous rendre plus raisonnables. LE DEPUTÉ. Vous pouvez commander, vous en êtes capables ;J'en suis que trop certain, je l'ai bien éprouvé. MADAME CLOPIN. A présent par nos lois l'amour est approuvé. Lindor peut s'unir à Julie :Mais avant que l'hymen avec elle le lie,Qu'on s'empresse de toutes partsDe rassembler ici nos Citoyens épars. LINDOR. Je vais parcourir ce rivage. Au Député. Vous, suivez-moi. Bas au Marquis et à Monsieur Clopin.J'imagine un projetQui va bientôt rabaisser leur courage. Il sort. SCÈNE XI. Le Marquis, Monsieur Clopin, Thémire, Madame Clopin, Julie, Troupe de Femmes. LE MARQUIS, à Thémire. VOus régnez dans cette île, je n'ai d'autre objetQue de m'unir à ce que j'aime.Ne suis-je pas trop indiscret D'oser prétendre à ce bonheur suprême ?Ne blâmez plus l'amour dont je brÛle en secret : À vos lois mon âme docileNe doit plus étouffer ses amoureux soupirs.Que les ris, les jeux, les plaisirs Habitent ce champêtre asile !Des Citoyens soumis adoucissant le sort,Faites renaître ici le temps de l'âge d'or. THÉMIRE. Ai-je jamais pu me défendreDe vous témoigner mon amour ?... On entend un grand bruit.Ô ciel ! Quel bruit se fait entendre ! SCÈNE XII. Thémire, Madame Clopin, Julie, Monsieur Clopin, Troupe de Femmes, Lindor, Le Député, Troupe d'hommes armés. LINDOR. Ah, mes amis, fuyons sans plus attendre ?Nous sommes perdus sans retour. Bas au Marquis et à Monsieur Clopin.Faisons-leur peur. LE MARQUIS. Qui cause vos alarmes ? LINDOR. Hâtez-vous de prendre les armes, Et suivez-moi sans balancer. THÉMIRE. Qui peut vous effrayer ? LINDOR. Des troupes de SauvagesOnt inondé cette île, et font mille ravages. THÉMIRE. Dieux ! Des Sauvages... MADAME CLOPIN. Ciel ! MONSIEUR CLOPIN, tirant son épée. Il faut les terrasser. LE MARQUIS, tirant son épée. Suivez-moi, Citoyens ; je brave leur menace... Il fait plusieurs pas, et s'arrête.Mais quelle est mon audace ! Il présente son épée à Thémire.Mes Dames, vous régnez, allez les repousser. THÉMIRE. Quel effroi me saisit ! JULIE. Je meurs. MADAME CLOPIN. Mon sang se glace. MONSIEUR CLOPIN, à sa femme lui présentant son épée. Madame, partez, je vous suis. LE DEPUTÉ. Venez vous mettre, à notre tête, Les Citoyens à vos lois sont soumis. LE MARQUIS. Eh, mes Dames, qui vous arrête ? LINDOR. Allons, montrez-nous votre coeur ? MADAME CLOPIN, à Thémire. Thémire, commandez. THÉMIRE. Ma foi non, j'ai trop peur.Commandez pour nous deux. MADAME CLOPIN. Non, j'ai trop de frayeur. LE MARQUIS. Eh bien, Madame, où font es grands courages ? MONSIEUR CLOPIN, présentant l'Arret à sa femme. Si vous vouliez porter cet arrêt aux Sauvages,Je suis assuré qu'ils fuiraientAu même instant qu'ils le verraient.Vous allez remporter les plus grands avantages. MADAME CLOPIN, d'un air caressant. Ne plaisantez plus, cher époux :Pour l'amitié que j'eus toujours pour vous,À ma place allez les combattre. MONSIEUR CLOPIN. Non, non, Madame, il faut vous battre,Puisque vous avez fait des lois. MADAME CLOPIN. Je n'en ferai jamais. THÉMIRE. Nous vous cédons nos droits. JULIE. Je vous avais bien dit, ma mère,Qu'il nous convenait mieux de soumettre nos coeurs,Que de vouloir faire la guerre. MADAME CLOPIN. Nous revenons de nos erreurs. SEXTO. THÉMIRE, au Marquis. Soyez sensible à ma tendresse,J'ose implorer votre secours. MADAME CLOPIN, à son mari. Je vous obéirai sans cesse,C'est à vous seul que j'ai recours. JULIE. Cher Lindor, sauvez-moi la vie. LINDOR. Rassurez-vous, chère Julie :Lindor conservera vos jours. LE MARQUIS et MONSIEUR CLOPIN, à part. Ensemble.Qu'elles sont séduisantes,Complaisantes !Je me sens attendrir ; Je n'y peux plus tenir. LE MARQUIS, à Thémire. Ne vous effrayez plus, rassurez-vous, Thémire :Ne suivons que l'ardeur que l'amour nous inspire.Vos pleurs sont ici superflus :Les Sauvages n'existent plus. C'était un simple stratagème ;Vous nous avez forcé malgré nous d'en user,Pour vous apprendre à mépriserL'orgueil d'un ridicule extrême.Sur les coeurs des faibles mortels, Qui brûlent tous les jours l'encens sur vos autels, Que vos yeux remplissent de fiâmes,Vos puissants attraits ont des droits.Régnez sans cesse sur nos âmes,Mais ne faites jamais de lois. ==================================================