******************************************************** DC.Title = LES TROIS GENDARMES, PARODIE DC.Author = MONSELET, RICHARD DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Parodie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 20/06/2023 à 06:52:17. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MONSELET-RICHARD_TROIS_GENDARMES.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5565054z DC.Source.cote = BnF LLA YF-12553 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES TROIS GENDARMES PARODIE EN UN ACTE ET UN VERS des MOUSQUERAIRES DE MM. DUMAS ET MAQUET. 1846. PAR MM. GABRIEL RICHARD ET CHARLES MONSELET Imprimerie de F. CAUSSEROUGE, rue Tusial, 23. PERSONNAGES FEIGNANT. CARAMEL. FORTOS. PATHOS. MORDONC, rapin, en costume de turc. CROMWELL, brasseur-restaurateur. PATUROT, garçon. MILADY BACCHANAL, en débardeur. MASQUES et GARÇONS. La scène se passe la banlieue de Paris en Carnaval. LES TROIS GENDARMES. Les indications de droite et de gauche se prennent par rapport aux spectateurs. SCÈNE I. Feignant, Pathos, Fortos, Caramel, Mordonc, Milady Bacchanal. Le théâtre représente une salle de restaurant avec un cabinet à gauche qui est en saillie et qui a une fenêtre garnie de barreau en face du spectateur plus une porte donnant sur ta scène et élevée de quelques marches. À droite, premier plan, une fenêtre avec balcon plus loin deux portes la plus proche avec une lucarne. Portes au fond et à gauche. Le théâtre représente une salle de restaurant avec un cabinet à gauche qui est en saillie et qui a une fenêtre garnie de barreau en face du spectateur plus une porte donnant sur ta scène et élevée de quelques marches. À droite, premier plan, une fenêtre avec balcon plus loin deux portes la plus proche avec une lucarne. Portes au fond et à gauche. FEIGNANT. Amis, c'est trop souffrir ces écarts impudentsEmpoignez cette femme et flanquez-la dedans ! MILADY. À moi mon cher Mordonc ! MORDONC. Arrêtez c'est ma femme. CARAMEL. Qu'est-ce que ça nous fait ? MILADY. Mordonc ! MORDONC. Tu me fends l'âme ! MILADY. Ah ! Je cultiverai la vertu désormais Ne me prenez pas ! FEIGNANT. C'est comme si tu chantais. MORDONC. Gendarmes ! Que par vous elle soit relâchée. FEIGNANT. Sa danse l'était trop. MORDONC, exaspéré. Qu'elle soit arrachéeDe vos mains, en ce cas ! FEIGNANT. Tu n'y toucheras point.Fortos, assommez-moi ce turc d'un coup de poing. Fortos retrousse sa manche. Caramel lui fait passer Mordonc auquel il donne un coup de poing sur la tête qui lui enfonce sur turban jusqu'au cou. Mordonc tombe assis. FORTOS, rabattant ses manches, N'en reviendra pas. FEIGNANT. Renfermons la sauteuse. Il enferme Milady dans un cabinet, à droite. En se retournant il aperçoit Mordonc debout devant lui.Que te faut-il encor ? MORDONC. Rendez-moi ma danseuse ! FORTOS. Remordonc ? Je l'avais tout à l heure assommé... MORDONC. Par un renfoncement m'as-tu cru désarmé, FORTOS. Attendez donc ; je connais sa figure... FEIGNANT. [Note : Rapin : Terme familier. Se dit, dans les ateliers de peinture, d'un jeune élève que l'on charge des travaux les plus grossiers et des commissions. [L]]C'est ce méchant rapin dont la moindre postureInsulte à la pudeur. CARAMEL, le lorgnant. Je crois me souvenirD'avoir vu quelque part ce turban de vizir... MORDONC. Oh ! Moi, je vous ai bien reconnu tout de suite ! FEIGNANT. Alors, file ton noeud sur le champ - et plus vite Que ça ! MORDONC. Non pas avant que vous m'ayez renduMa femme entendez-vous ! FEIGNANT. Nous t'avons entendu ;Mais te la rendre... Zut ! Éloigne-toi, circule ;C'est le voeu de la loi que ma bouche articule. MORDONC. La loi te prescrit-elle. Ô gendarme illégal De renfermer sous clé l'ornement de ce balMilady Bacchanal la reine de mon âme ? FEIGNANT. Mais tu ne sais donc pas ce que c'est que ta femme ?Effroi de la police, horreur de ses suppôts.Son nom seul fait rougir tous nos municipaux. La Chaumière la vit trôner sous ses ombragesSa danse est une mer toujours grosse d'orages,[Note : Polker : Danser la polka. [L]]Et dès qu'en l'aperçoit polker d'un pied glissant,Le bon goût outragé s'envole en gémissant !Qu'en dis-tu? MORDONC. C'est ma femme ! FEIGNANT. Elle a, trois nuits entières Au feu des lampions sans fermer les paupières,[Note : Théâtre du Ranelagh : Situé 5 rue des Vignes dans le XVIèmme arrondissement de Paris.]Rempli le Ranelagh du bruit de ses exploitsChacun de nous au moins l'a coffrée une fois ;Pathos au Grand-Vainqueur, Fortos à la Chartreuse.Ta femme enfin, vois-tu, c'est... c'est une farceuse ! MORDONC. C'est ma femme ! CARAMEL. Souvent s'offrant à tous les yeux,[Note : restaurant Deffieux : Restaurant situé au 20 boulevard Saint-Martin, il fut incendié pendant la Commune de Paris/]Elle sortit au jour du restaurant Deffieux ! MORDONC. C'est ma femme ! FORTOS. Et moi-même, - ô conduite effroyable ! - Je la vis maintes fois ronfler sous une table. MORDONC. C'est ma femme ! - À la fin la rendrez-vous ? FEIGNANT. Jamais ! MORDONC, suppliant. Voyons comportez-vous en chevaliers français.Rendez-vous mes voeux rendez-vous à mes larmes,Ô gendarmes des rois et rois de nos gendarmes !... CARAMEL. Tu perds ta peine. MORDONC. C'est là votre dernier mot ? FEIGNANT. Oui. MORDONC. Suffit. On s'en va. Vous me la paierez... Trop ! Dès ce jour, pour vous quatre objets de mes embûches.Le sentier de la vie est parsemée de bûches ;Je suis rageur, messieurs, et, malgré le danger,L'uniforme m'offusque - et je veux en manger !Il ne s'agira plus de vaines balançoires : Je saurai de vos jours faire des purgatoires ;Fuyant tes casse-cous entrouverts sous vos pas,Vous ne dormirez plus, vous ne mangerez pas !Ô chantre du gendarme et du jus de réglisse,[Note : Jacques Charles Odry (1781-1853), : acteur et dramaturge. Il a publié un poème en deux chants nommé "Les Gendarmes".]Odry ! Viens m'inspirer quelque nouveau supplice. Et que les épiciers, les voyant sur le flanc,Leur servent de la craie au lieu de sucre blanc !...Ma fureur sur vos fronts aujourd'hui va s'abattre,Et vous y passerez, - mes amours, - tous les quatreAdieu. CARAMEL. Tu n'en verras, Mordonc passer aucun ; C'est moi qui te le dis ! Ils fondent tous les quatre sur Mordonc, celui-ci donne un croc en jambe à Pathos qui se trouve le plus près et qui tombe par terre. MORDONC. À toi, Pathos ! - Et d'un ! SCÈNE II. Feignant, Pathos, Portos, Caramel. FEIGNANT. Ah ! Cette trahison anime ma colèrePathos sur son séant demeure assis par terre. CARAMEL. Cher Pathos ! Serais-tu fourbu comme un cheval ? FORTOS. Je vais le relever. Il manque tomber. Comment ça va-t-il ? PATHOS. Mal. CARAMEL. Il l'a pris par derrière ? PATHOS. Oui. FEIGNANT. Le trait est pendable.Qui de nous ne se plaint, Messieurs, du misérable ?L'infâme, l'autre jour, à mon chapeau flétriMit, au lieu de cocarde, un pied de céleri. CARAMEL. Raillant de notre corps la dignité suprême, Il enduisit le mien de fromage à la crème. FORTOS. Faisant un tour discret dans un coin du jardin,Hier, je vis mes habits disparaître soudain.Mordonc les emportait : il les jeta, le traître,Dans la Seine qui coule au pied de la fenêtre ; Pour me couvrir un peu ne laissant près de moiQu'un sabre qui fut loin de remplir cet emploi. FEIGNANT. À toi, n'a-t-il pas fait, Pathos, un autre outrage ? PATHOS. Si. Il exprime par geste que Mordonc lui a donné un coup de pied quelque part. FEIGNANT. Cette pantomime a redoublé ma rage.Si Pathos ne dit rien, il n'en pense pas moins. À nous venger tous quatre employons tous nos soins ;Mordonc n'a qu'à se bien tenir. FORTOS. C'est un fier drôleÀ qui j'aurais démis volontiers une épauleFracassé quelque membre ou brisé quelques os,Saperlotte ! FEIGNANT. Contiens cette fougue. Fortos. Chacun de nous connaît ta vigueur musculaire.Tu mangerais un boeuf - si l'on te laissait faireMais ton esprit est lourd presque autant que ton bras ;Tu ne songeas à rien qu'à faire six repasPar jour. FORTOS. Je l'avouerai je suis veuf, à mon aise, Gourmand comme quatorze et buveur comme seize ;Je fends tout seul mon bois et je porte cinq cents ;Et lorsque je m'amuse à flâner dans les champsJe déracine un arbre ou j'assomme une bête ;Enfin, je suis très fort - et pourtant, je m'embête! FEIGNANT. D'où vient cela, Fortos ? FORTOS. J'ai de l'ambition. CARAMEL. Rêves tu, par hasard, la députation ? FORTOS. J'ai toujours désiré d'être sergent de ville. FEIGNANT. Tu le seras. Pour moi, je demeure tranquille ;Pourvu que je sois gai, que je me porte bien Que ma bourse soit pleine - il ne me faut plus rien ;J'ai de beaux souvenirs d'amour, et, sans envie,Je descends en riant le fleuve de la vie.- Mais toi, beau Caramel, des gendarmes la fleur,Lovelace en tricorne autrefois voltigeur, Faublas en baudrier jaune, objet de cent flammes,Pourquoi cet air rêveur ? CARAMEL. Moi, je pense-z-aux femmes !Je ne rêve qu'à ça, je n'adore que ça ;Et trop souvent, hélas ! L'amour me fracassa. Ici Mordonc paraît à une porte opposée au moment où il le portait à son nez. MORDONC. Et de deux ! PATHOS. Oh ! FEIGNANT. Quoi donc ? Pourquoi ce cri funeste ? Pathos frôle l'endroit blessé.Ne réponds pas, Pathos ; je devine ton geste.Contre cet ennemi, tous nous nous liguerons ;Car ce n'est pas pour rien que dans nos escadrons.Nous voyant tous les quatre unis en frères d'armes.On nous a surnommés jadis les trois gendarmes ! Donnez-moi votre main. - Fraternel serrement !De tes amis, Pathos, écoute le serment Il lui arrache son mouchoir au moment où il le portait à son nez.Jurons sur ce mouchoir troué qui nous rassemble,De ne pas nous quitter. CARAMEL. Et de rester ensemble ! FEIGNANT. Et si l'un de nous doit, être faible et mou, choir. Qu'il se souvienne alors du serment du mouchoir !Chers amis si j'en crois un rayon qui qui m'éclaire,Cette noble union deviendra populaire ;File sera chantée un jour sur tous les tons,Et l'on en écrira des romans-feuilletons ! CARAMEL. Et puis on en fera pour le théâtre une oeuvre... FORTOS. Avec douze décors ! FEIGNANT. Et rideau de manoeuvre ! Silence d'enthousiasme, on entend frapper à droite. CARAMEL. On frappe à côté. FEIGNANT. C'est Milady Bacchanal. MILADY, en dehors. Je m'ennuie ; il fait froid... FORTOS. Ça nous est bien égal ! FEIGNANT. Montrons quelques égards pour ce sexe fragile ; Et, pendant, qu'emboîtant le pas tous à la file,Vous presserez l'apprêt de notre déjeuner,Je vais voir cette femme et la morigéner. FORTOS. Voilà ce que j'appelle une parole sage.Car j'ai faim, sacrebleu ! Comme un anthropophage. Pathos, Fortos et Caramel sortent. SCÈNE III. Feignant, Milady. FEIGNANT, allant ouvrir le cabinet de droite. Approchez, Milady. MILADY. Me voila sans façon.Vous allez me lâcher, n'est-ce pas, mon garçon ? FEIGNANT. Ah ça ! Croyez-vous donc, femme inconséquente ![Note : Quante : Combien grand. De cet adjectif si usité jusque dans le XVIe siècle et si utile, il ne reste plus que quantes, qui lui-même a vieilli. [L]]Circuler librement toutes les fois et quanteVue le cerveau rempli d'un bol de punch an rhum, Vous viendrez sous nos yeux braver le décorum,Et dans vos balancés dépassant toutes bornes,Hérisser nos cheveux sous nos chapeaux à cornes ? MILADY. Gendarme, au nom du ciel, montrez-moi le loquet ! FEIGNANT. Pourquoi faire ? MILADY. Parbleu ! Pour sortir. FEIGNANT. S'il vous plaît ? MILADY, frappant du pied. Je m'en veux aller, moi ! FEIGNANT. La chose est impossible. MILADY. Monsieur, soyez, galant. FEIGNANT. Non, je suis insensible. MILADY. Veux-tu me voir moisir au fond de ce localComme un fruit au vinaigre inclus dans un bocal ?Je ne crois pas qu'ici tu veuilles que j'expire... FEIGNANT. C'est pourtant comme j'ai l'honneur de vous le dire. MILADY. Ah ! Je me vengerai ! FEIGNANT. Faites, ma chère enfantLa peur n'a point d'accès sur l'âme de Feignant. MILADY. De Feignant, as-tu dit ? Est-ce ainsi qu'on le nomme ? FEIGNANT. Sans doute ; qu'avez-vous ? MILADY, à part. Je le tiens donc, cet homme ! Haut. Feignant, regardez-moi. FEIGNANT, tournant autour d'elle. Soit j'y mets tous mes soins :Vous êtes une femme ; - il me semble du moins. MILADY. Ne reconnais-tu pas, ô gendarme vulgaire,L'Ariane par toi délaissée à Cythère ?Ne te souvient il plus des premières amours ?... FEIGNANT. [Note : Sabretache : Espèce de sac plat qui pend à côté du sabre de certains cavaliers. [L] Emploi de terme, comme apostrophe.]M'entends-je ? Est-ce donc vous, Sabretache ? MILADY. Toujours ! FEIGNANT, à part. [D]ieu ! Que ma dignité me semble compromise ! MILADY. La rigueur à présent est elle encor de mise ;Et quand tu m'empoignais, n'avais-tu donc pas làQuelque chose, ô Feignant, qui disait : - la voilà ! FEIGNANT. Non, je vous l'avouerai. MILADY. Refaisons connaissance.Te souvient-il, ami, des jours de notre enfance,Où nous étions tous deux pleins de timidité ? FEIGNANT. Fichtre ! Que vous avez depuis bien profité !De vos traits néanmoins, je ne me souviens guère ; Aussi pour m'assurer si c'est bien vous, ma chère.Dites, n'avez-vous pas un signe quelque part ?... MILADY. [Note : Fleur de lys : marque corporelle au fer rouge infamant.]Certes... une fleur de lys. FEIGNANT. Béni soit le hasard !Je te reconnais là, ma chère Sabretache :Le sergent te pardonne et l'amant te relâche. Va faire dans le bal flotter ton pantalon ;Un peu moins de cancan ! MILADY. Et plus de violon !J'y compte. FEIGNANT. Tu l'as dit : livrons-nous à la joie :L'amour au corps de garde arrache enfin sa proie !De notre déjeuner tu feras les honneurs ; Arrivez, mes amis. Il remonte la scène. MILADY, à part. Je vous tiens, oppresseurs !Ta vieille passion n'est point ce que l'on penseL'amour cède chez moi le pas à la vengeance. MORDONC, arrivant par la gauche, bas et vite à Milady. J'ai tout vu, tout compris ! J'apporte sous mon brasDe quoi nous venger tous. MILADY. C'est... MORDONC. De la mort-aux-rats Il lui remet une énorme sucrière de pâtissier et disparaît. SCÈNE IV. Feignant, Pathos, Portos, Caramel, Milady. Plusieurs garçons apportent une table servie et se retirent. FEIGNANT. Fortos et Caramel, Pathos, je vous présenteUne ancienne conquête, une femme charmante.L'amour sur ses erreurs jette un voile prudent,Et... FORTOS, l'interrompant. Si nous nous mettions à table ? FEIGNANT. Sur le champ. MILADY. Ah ! Que votre union paraît pleine de charmes ! Où peut-on être mieux qu'au milieu des gendarmes ? FORTOS, impatient. Mes amis, entamons ce festin au plus tôt ! FEIGNANT, à Milady qui parait inquiète. Qu'avez-vous, Milady ? MILADY. J'ai perdu mon couteau. CARAMEL. Nous allons le trouver. Ils le fourrent tous quatre sous la table. Milady tire la sucrière. MILADY, à part. Saupoudrant.Voici l'instant suprême !Allez-donc ! Allez donc ! C'est leur mort que je sème. Haut. Ah ! Le voilà, Messieurs, je l'ai trouvé ; merci. Les gendarmes se relèvent. FORTOS. Mangerons-nous enfin ! FEIGNANT. Que veut dire ceci ?Je trouve à ce bifteck de bizarres nuances. MILADY. De l'art du cuisinier ce sont des exigences ;N'importe. Elle lui tend son assiette. FORTOS. Mangeons donc ! FEIGNANT. Du tout. Je le défends. Je répugne à manger de tels ingrédients.Cromwell ! SCÈNE V. Les mêmes, Cromwell. Le corps de Paturot est enlevé par des garçons. CROMWELL, paraissant. Messieurs. FEIGNANT. Approche, avant-dernier des hommes !Regarde. CROMWELL. Quoi ? FEIGNANT. Ceci. CROMWELL. C'est un bifteck aux pommesDe terre. FEIGNANT. En le voyant ton coeur n'a pas tremblé ? CROMWELL. Est-ce qu'il sentirait par hasard le brûlé, Ou conserverait-il - catastrophe funeste ! - De poivre ou de girofle un goût trop indigeste ? FEIGNANT. La pâleur de ton oeuvre a trahi ton forfait.Connais-tu ces couleurs ? CROMWELL. Je reste stupéfait.Certes, un tel supplément me paraît ou peu fade, Et je n'ai point trempé dans cette cassonade. CARAMEL. D'où vient pourtant l'aspect blanchâtre de ce rôt ? CROMWELL. Me soupçonneriez-vous d'arsenic ? - Paturot !C'est le nom du garçon qui régit ma cuisine. Un garçon s'avance.Regardez ; la candeur est peinte sur sa mine. FEIGNANT. Silence ! Nous allons le mettre au pied du mur.C'est toi qui fis ce mets ? LE GARÇON. Moi ? Non. FEIGNANT. J'en étais sûr.C'est égal manges-en. CROMWELL. Mange ou crains ma colère LE GARÇON. Pourtant... CROMWELL. Mangeras-tu ? Je t'ai pris pour tout faire.Allons. CARAMEL. Eh bien ? LE GARÇON, mangeant. C'est bon. FORTOS, brandissant sa fourchette. Dans ce cas... FEIGNANT. Attendons. LE GARÇON, se tordant. Oh que ça me fait mal ! Il tombe. FORTOS. Quelles convulsions ! CROMWELL. Il n'est plus !... Ce trépas est rempli d'amertume.Emportez au plutôt ce cuisinier posthume ! FEIGNANT. [Note : Patent : Évident, manifeste. [L]]L'homicide est patent. FORTOS. Mais qui donc l'a dicté ? CARAMEL. Je m'en doute, Messieurs. À cet air agité. À ce trouble, pour moi ce n'est plus un mystère...Cette femme a tout fait. MILADY, se levant. Je ne saurais le taire.Mais le coup est manqué. N'en parlons plus, FEIGNANT. Horreur ! CROMWELL. Mon bonnet de coton se dresse de terreur. FEIGNANT, se levant avec les gendarmes. À de semblables jeux vous n'êtes pas novice Madame, mais sur vous veillera la police. MILADY. La police ! L'objet de mon ressentimentLa police qui fit arrêter mon amant[Note : Flambard : Fam. Gai luron, fanfaron, vaniteux. [L]]Puissent tous les flambards des bals de la barrièreSous leurs coups de talon l'exterminer entière ! Puissent, tous embrasés, les murs de ses prisonsSons leurs débris fumants broyer ses bataillons !Puissé-je de mes yeux voir les sergents de villeDes débardeurs coffrés recevoir une pile ;Voir le dernier gendarme enrhumé du cerveau, Moi seule en être cause - et trouver ça très beau ! CARAMEL. Oui, mais nous te tenons, Milady Bacchanal. MILADY. Crains que d'un nom eau plat ma main ne te régale ! FEIGNANT, lui montrant le cabinet à droite. Veuillez vous transvaser dans ces appartenons. TOUS. Sans adieu, Milady. MILADY. [Note : Chenapan : Vaurien, bandit. ]Sans adieu, chenapans. SCÈNE VI. Feignant, Caramel, Fortos, Pathos, Cromwell. CARAMEL, revenant avec la clé. Voilà sa liberté que je mets dans ma poche. FEIGNANT. Cromwell. que fais-tu la triste et pensif ? Approche.Nous allons détailler dans un procès-verbal[Note : Arsenical : Qui contient de l'arsenic. Savon arsenical. Les sels arsenicaux. [L]]Ce crime peu décent ? et même arsenical :Regarde à nom fournir du papier et de l'encre. CROMWELL. Tout est dans cette chambre. Il leur indique le cabinet à gauche. FEIGNANT. Allons y jeter l'ancre. Ils entrent. CROMWELL, seul sur la scène. J'ai l'air triste, m'a dit ce sergent sans façon.Ah ! J'en ai par malheur et l'air et la chanson !C'est que je pense à toi, marmiton bénévole,Roi futur de la broche et de la casserole, Ô jeune Paturot, victime d'un échec,Digne d'un meilleur sort et d'un autre bifteck ! Il sort par la droite.Or ça, verbalisons. Pathos le calligraphe,Écrivez, et tâchez de mettre l'orthographe,Caramel dictera ; moi, je veille sur vous. FORTOS. Moi de mou bras de fer, je vous protège tous. Silence. SCÈNE VII. Les Quatre Gendarmes, dont h cabinet à gauche Mordonc amenant Cromwell à grands pas. Les gendarmes se lèvent et se mettent aux aguets. Pendant que Mordonc parle, ils expriment leur terreur par une mimique silencieuse MORDONC, bas. Ils sont là ! CROMWELL. Qui? MORDONC, de même. Chut ! Eux. CROMWELL. Quoi ? MORDONC. Les gendarmes. CROMWELL. Qu'est-ce ? MORDONC. Ce cabinet n'a pas d'autre porte ? CROMWELL. Non. MORDONC. LaisseMoi seul alors. Va-t-en. CROMWELL. Je m'en garderai bien.Vous leur joueriez des tours. Vous êtes un vaurien ; Je vous connais. MORDONC. Cromwell retourne à ta boutique. CROMWELL. Non, non MORDONC. C'est mal agir envers une pratique.N'es-tu donc plus mon hôte et suis-je plus vraimentL'agréable pochard que tu révères tant ? CROMWELL. Mais vos désirs, Mordonc, ne sont pas raisonnables. MORDONC. Me couché-je jamais ailleurs que sous tes tables,Et dans mes meilleurs jours, ai-je jamais couruÀ des vins différents de celui de ton cru ?Pour toi, mon estomac, prodigue de louangesEngloutit sans broncher les mets les plus étranges ; [Note : Matou : Fig. et par plaisanterie. Un homme en général, le mari. [L]]Et quand pour un civet tu guignais un matou,N'ai-je point su l'aider à lui tordre le cou ?Ne-t-ai-je pas garde ces secrets culinaires ?N'es tu plus mon ami ? Ne sommes-nous plus frères ?Ciel ! J'aperçois enfin des larmes dans tes yeux L'amitié d'un traiteur est un bienfait des dieux !... CROMWELL. Ah par les sentiments comme tu sais me prendre !En effet, ils sont là. Que veux-tu ? MORDONC. Les surprendre.Ton coeur, ô cuisinier, peut être sans effroiJe me charge de tout et je prends tout sur moi. CROMWELL. Mais que demandes-tu ? MORDONC, montrant le cabinet. Ça, donne moi ces quatreHommes. CROMWELL, après un silence. Prenez-les. MORDONC. Ah rien ne saurait m'abattreDésormais. Ils vont donc avoir un pied de nez ! CROMWELL. Que fais-tu ? MORDONC, fermant la porte du cabinet. Tu vois. FEIGNANT, aux gendarmes. Nous sommes emprisonnés.Alerte, amis ! De nous on veut faire une proie. MORDONC, délirant. Et maintenant du feu pour faire un feu de joie !Je veux les entourer de flamme et de tisons :Ce sont des ennemis j'en ferai des charbons !D'un gendarme rôti que l'odeur est suave !... CROMWELL. Et si le commissaire arrivait ? MORDONC. Je le brave. CROMWELL. Et les sapeurs pompiers ? MORDONC. Trop tard seront ici. CROMWELL. Mais, sacrebleu, Mordonc, mon bien sera roussi ! MORDONC. Ce motif met un frein à mes projets funestes.Laisse-moi cher ami. Cromwel hésite ; avec fureur.Va-t-en, ou crains mes gestes ! Cromwel1, il sort par la droite. SCÈNE VIII. Feignant, Caraml, Fortos, Pathos dans le cabinet de gauche, Mordonc, Milady dans le cabinet de droite. MORDONC, promenant d'un air agité. Les ferai-je bouillir ? Les ferai-je empailler ? Encor si Milady pouvait me conseiller ?Chère belle ! MILADY, hors de la scène. Mordonc ! MORDONC. C'est la voix de ma femme.Est-ce vous Milady, débardeur, de mon âme ? MILADY. Hélas ! Dans cette chambre un tyran me retient. MORDONC. La porte cédera bientôt ; ne craignez rien. Une, deux! Il pousse violemment la porte qui s'ouvre.Enfoncé ! Le succès m'environneAllons de la beauté recevoir ma couronne ! SCÈNE IX. Feignant, Caramel, Portos, Pathos, dans le cabinet de gauche. FEIGNANT. Amis, à badiner ne nous amusons point,Fortos, vous assommez un boeuf d'un coup de poing ? FORTOS. Quatre même à la fois si le besoin s'en montre. FEIGNANT. De votre force, il faut aujourd'hui faire montre. Lui montrant la fenêtre qui fait face au public.Pouvez vous desceller un barreau ? FORTOS. Même troisS'il le faut. Prenez garde ! Han ! Il [saisit] un barreau qui cède et se renverse avec lui. CARAMEL. C'était du vieux bois.Relevez-vous, Fortos. FEIGNANT. Et maintenant, qu'on passePar la fenêtre. Allons ! Ils descendent sur la scène dans le plus grand silence.À présent, volte face ! Amis, plaçons ici le quartier général[Note : Référence à la Conquête de l'Italie par Annibal, qui s'arrêta à Capoue.]Cette chambre est Capoue et Mordonc Annibal. CARAMEL. Que la pitié du coeur surtout soit éloignée ;Je veux le régaler d'une danse soignée. FEIGNANT. Je l'entends. Feignant se place derrière la porte du cabinet de droite ; Pathos devant celle du cabinet de gauche ; Caramel, à droite, au fond ; Forthos au fond, à gauche, Mordonc, arrive sans les voir. SCÈNE X. Feignant, Caramel, Portos, Pathos, Mordonc. On l'enlève et on le jette par la fenêtre. MORDONC. Tout conspire à ma félicité La vengeance là-bas, l'amour de ce côté. Il aperçoit Pathos immobile qui le salue ironiquement. Hein ? Il recule en le regardant et se trouve face à face avec Faignant. FEIGNANT, saluant. Cher Monsieur Mordonc, comment va la petiteSanté ? Même jeu, Mordonc arrive devant Caramel. CARAMEL, saluant. Monsieur Mordonc, quelle aimable visite ! Même jeu, Mordonc est arrêté par Fortos. FORTOS, saluant. Votre humble serviteur, cher Monsieur. MORDONC. Je suis pris ! FEIGNANT. Mordonc, vous êtes fait au même. MORDONC. J'ai compris. Les quatre gendarmes se rapprochent. CARAMEL. Vous nous avez voulu servir une tartineTout à l'heure ? MORDONC. Et pour moi, vous chauffez la cuisineN'est-ce pas ? FEIGNANT. Nous voulons rabattre ton caquet.Et voir si tu sauras te servir du briquet. MORDONC, avec mépris. Vous allez sur le dos me tomber tous les quatre. CARAMEL. L'un après l'autre ici lu pourras nous combattre. MORDONC. Donnez-moi donc un fer, car je veux sans retard[Note : Chicard : Personnage de carnaval se livrant à des danses grotesques dans les bals masqués, en vogue dans la deuxième partie du XIXe siècle ]Laver dans votre sang la honte d'un chicard. FORTOS. En costume de turc ? MORDONC. Que vous importe en somme ?Monsieur, pour être turc je n'en suis pas moins homme. Il prend le sabre de Fortos qui fait un geste de menace.Je suis prêt. FEIGNANT, dégainant. Je commence. CARAMEL, dégainant. Après moi. FEIGNANT. Pourquoi donc ? FORTOS, se posant en boxeur. Laissez faire ! PATHOS, dégainant et s'interposant. Hé ! FEIGNANT. Morbleu ! Ce sera moi ! CARAMEL et FORTOS. Non ! Non ! Les quatre gendarmes sont prêts à en venir aux mains. MORDONC, toujours en garde. Gendarmes, prenez-vous mon bras pour une enseigne ? FEIGNANT, écartant tout le monde. Lâchez-moi, mes amis, il faut que je le saigne.Sus, cher Monsieur Mordonc, en garde, s'il vous plaît. Et Mordoc rompt en tournant.Vous faites la grimace ; ah ! Que vous êtes laid.Et pourquoi reculer et tourner de la sorte ?Messieurs, avez vous vu, cloué contre une porte,Un [s]corpion vexé ? Regardez... Han ! À ce moment Mordonc s'élance dans le cabinet où est Milady.Fripon !Enfermé ! FORTOS. Le brigand ! CARAMEL. Le traître ! FEIGNANT. Le poltron ! PATHOS. Han! Avec les témoignages de la plus vivre indignation, il passe vivement son sabre par la [...] de la porte ; il ne peut le retirer. Ses amis unissent leurs efforts aux siens. FEIGNANT. Courage ! Cela vient ! [Il délivre] son sabre avec le turban de Mordonc. CARAMEL. Son turban ! FORTOS. Non sans peine ! FEIGNANT. Sa coiffure ne peut assouvir notre haine.Fortos, enfoncez-moi ceci ! FORTOS. C'est du sapin ! Il se jette contre la porte avec effort et comme elle n'est pas, fermée, il trébuche et tombe.N'importe... Elle a cédé ! Les trois autres gendarmes se précipitent dans le cabinet et amènent Mordonc par le collet. FEIGNANT. Nous le tenons enfin !Pour arrêter l'essor de tous ses artifices Qu'on le livre de suite aux plus affreux supplices. CARAMEL. La loi du talion servira nos courroux :Qu'il mange le bifteck qu'il a salé pour nous. MORDONC. Je n'ai pas faim ! CARAMEL. Alors la chose est retardéeMessieurs ! Pathos a l'air de trouver une idée. FEIGNANT. En effet, ce supplice est commode et perçant,Et c'est sans y penser qu'on meurt en s'asseyant. CARAMEL. Un sabre à l'estomac est pourtant indigeste. FEIGNANT. Ta douceur, Caramel, pourrait t'être funeste. MORDONC. Je ne veux pas m'asseoir sur un siège pointu ! FEIGNANT. Mais de tous ces trépas lequel préfères-tu ? MORDONC. Sur ma parole... aucun. FEIGNANT. J'aime cette franchise. FORTOS, indiquant la fenêtre. Sous ce balcon. Messieurs, l'onde écume et se brise,Dans la Seine jetons ce turc affreux. TOUS. C'est dit ! MORDONC. J'en appelle ! FEIGNANT. Meurs donc, Mordonc ! MORDONC, précipité. Ah ! Milady ! SCÈNE XI ET DERNIÈRE. Feignant, Caramel, Portos, Pathos, Milady, Cromwell, puis Mordonc. Mordonc paraît au bout de la {scène], saute dans l'appartement et va se jeter au cou de Milady. MILADY, sortant précipitamment du cabinet. Dieu quel trouble ces cris ont jeté dans mon âme !Ces gendarmes encor ! Messieurs, je vous réclameMordonc. Répondez-moi. Quel peut être son sort ? FEIGNANT, désignant la fenêtre. Que vouliez-vous qu'il fit contre quatre ? Milady tombant anéantie.Il est mort ! FEIGNANT. Qu'on laisse à sa douleur cette femme imprudente. Cromwell ! Cromwell paraît.Que l'on nous serve à souper pour quarante ! À ces mots, Fortos serre la main de Feignant et ils sortent tous pendant que Cromwell s'approche de Milady. CROMWELL. Qu'avez-vous, Milady ? MILADY. Ils ont jeté MordoncDans ta Seine. CROMWELL, courant à la fenêtre. C'est vrai ! Je l'aperçois au fond.Il se débat... Ô ciel ! Si tu restes sévèrePour cet ivrogne, au moins que l'eau lui soit légère ! Rentrent les gendarmes, les bras croisés et très pâles. MILADY. Je ne me trompe pas revoilà ces recors.Que cherchez-vous ici ? FEIGNANT. Nous avons des remords. CROMWELL. La pâleur en effet est d'un étrange augure,Et leur crime est écrit en blanc sur leur figure. MILADY, se jetant genoux. Si vous sauvez Mordonc, je promets pour longtemps De vivre dans sa crainte et l'amour des sergents. CARAMEL. Alexandre Dumas, Madame, avec sa plumeLui-même n'y saurait parvenir. Un volumeN'en viendrait pas à bout. FEIGNANT, illuminé. Une ligne pourtantSuffira, mes amis, à cet événement. Il s'empare d'une ligne appendue au mur. FORTOS. Que dis-tu ? FEIGNANT, brandissant la ligne. Que voici qui sauvera sa vie.Il est bercé par la vague en furie.Mais il lève la tète et son oeil aperçoitLa ficelle. Ça prend ! Joignez-vous tous à moi.Ah ! cela me rappelle un MAL bien estimable Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.Une secousse encor ; le voici du niveau.Ah ! MORDONC. Milady ! MILADY. Mordonc ! CROMWELL, t'essuyant les yeux. Je pleure comme un veau ! MORDONC. Gendarmes, c'est donc vous qui me sauvez la vie ? FEIGNANT, lui tendant la main. Soyons amis, Mordonc, c'est moi qui t'en convie. MORDONC. Ah ! Je veux désormais vous révérer toujours !C'est vous qui me rendez à mes chères amours. FEIGNANT. Grave cette maxime au fin fond de ton âme :Le gendarme est l'ami de l'homme. Se retournant galamment vers Milady.et de la femme. VARIANTE. Les vers suivants qui s'adaptent à la fin te la dernière scène des Trois Gendarmes permettent de terminer la pièce, par une danse quelconque. MILADY. Et nous tous, célébrons ces jours trois fuis bénis Qui nous montrent les turcs aux gendarmes unis.Par une Mazurka réservée et décenteLa mère en permettra le spectacle... à sa tante. ==================================================