******************************************************** DC.Title = ANTIOCHUS, ou LES MACCABÉES, TRAGÉDIE DC.Author = NADAL, Augustin DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 22/05/2023 à 11:05:53. DC.Coverage = Israël DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/NADAL_ANTIOCHUS.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58548610 DC.Source.cote = BnF LLA 8-YTH-1010 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ANTIOCHUS ou LES MACCABÉES. TRAGÉDIE tirée de l'Écriture Sainte. M. DCC. XXIII. Avec Approbation et privilège du Roi. de MONSIEUR L'ABBÉ NADAL, de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. À Paris, chez Veuve Ribou, imprimeur-libraire. Représenté pour la première fois le 16 décembre 1722 au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain. PRÉFACE. Cette fortune, qui, selon quelques-uns, préside à la destinée des pièces de théâtre, n'est autre chose que le concours des diverses circonstances qui en accompagnent les représentations. La disposition de celle-ci telle qu'elle a été faite d'abord, n'a point subsisté, et les principaux Rôles ont changé de main plusieurs fois. Mlle Desmares était encore au Théâtre, lorsque je travaillais à ma pièce. C'est elle que j'avais en vue pour le rôle de Zoraïde ; et je perdis par sa retraite l'avantage de le voir jouer dans toute sa force, et j'ose dire dans toute la beauté que lui donnait la nouveauté du caractère de Zoraïde. Il me restait une grande ressource dans Mlle du Clos, et le Rôle de Salmone, quoique moins intéressant, a pris dans ses mains une supériorité qui n'est due qu'à elle-même. Cette expression si vive des passions, qui s'est formée avec la gloire des Corneilles et des Racines, ces tons réglés sur les avis, ou plutôt sur les inspirations de ces deux grands Poètes, et consacrés, pour ainsi dire, sur la Scène, ont passé, par une heureuse tradition, jusqu'aux Actrices que je viens de nommer, et les grâces, la vérité et la précision qu'elles ont jetées dans leur jeu, chacune avec des dons du Ciel tout différents, ont achevé le modèle de la déclaration. Ce n'est point assez pour elles de plaire, elles ne se montrent que sous un aspect merveilleux, ou plutôt elles disparaissent en quelque sorte elles-mêmes, et l'illusion est complète. Le Spectateur ému se trouve transporté dans le lieu de la Scène, et ne voit plus en elles qu'Andromaque ou Hermione, Ariane ou Émilie. Tel est l'effet de ces talents supérieurs qui enlèvent l'admiration du Public, ou du moins de la plus saine partie, dont le jugement ne peut être combattu que par ceux qui mettent le goût de la déclamation au rang des modes, et les mines à la place des grâces. La date de la réception des Pièces, et les contestations survenues pour occuper le Théâtre, ont rejeté la représentation de la mienne dans une saison où l'on place rarement les Pièces saintes. D'ailleurs le Public était prévenu contre un sujet qu'il croyait doublé d'après M. de la Motte. C'est un Poète heureux, et d'une grande réputation ; mais je ne doute pas qu'il n'ait été le premier à détromper ses amis sur l'affectation qu'ils m'ont donnée, à traiter le même sujet que lui, et après lui. J'étais bien avancé dans ma Tragédie, lorsqu'il commençait la sienne dans le secret. Je m'en ouvris dans le temps à lui-même ; mais M. de la Motte fut plus modeste que moi ; il ne se vanta pas de son travail. Le voile qui couvrait le nom, et la personne de l'Auteur de la première Tragédie des Maccabées, fut bientôt déchiré, et le respect des Mânes de M. Racine, dont quelques-uns voulaient que cette Pièce fût un ouvrage posthume, cessa dès la première représentation de tenir les esprits en suspens. On reconnut M. de la Motte à sa manière. Comme il a osé s'affranchir de l'imitation, et lutter successivement contre les plus grands Maîtres, il doit régner nécessairement dans tous ses Ouvrages un caractère singulier qui le décèle. Je vis alors, avec quelque satisfaction, que je pouvais ne me point rencontrer avec lui, et que si je n'avais point les mêmes ressources, qu'il trouvait dans son peu d'assujettissement aux incidents que le sujet fournit, je pouvais au moins profiter des beautés qu'il m'avaient laissées, et qu'il aurait pu tenir de la première main, c'est-à-dire, de l'esprit de Dieu même. Le Chapitre de l'Écriture Sainte, où il est parlé particulièrement du plus jeune des Maccabées, sembla m'imposer la nécessité de mettre cet Enfant sur la Scène ; et afin que le Lecteur juge par lui-même, si j'ai été bien ou mal fondé, je le prie de trouver bon que je le renvoie au 7. Chap. du 2. Liv. des Maccabées. Quelques-uns m'ont reproché d'avoir traité de telle sorte l'intérêt de cet Enfant dans ma pièce, que j'ai prétendu en faire entre les mains d'Antiochus, un moyen de juger Zoraïde, beaucoup plus puissant sur son esprit, que le salut même de son Amant, et que par conséquent je voulais que la tendre amitié l'emportât sur l'amour. Il n'a pas été question de pousser jusques là la tendresse de Zoraïde pour Azaël, et mon intention n'a été autre que de faire donner à Zoraïde la préférence à la Religion sur tout autre sentiment. Que son Amant périsse, et qu'il expire dans les tourments pour la gloire de son Dieu, c'est un sujet d'allégresse pour elle ; qu'Azaël cède à l'attrait des caresses d'Antiochus, et sacrifie sa Religion à l'espérance de tous les traitements dont on cherche à le flatter ; c'est pour elle le comble du désespoir, et pour la Nation c'est un opprobre éternel. Le sujet de ma Pièce est le triomphe de la Foi dans Israël ; tout est ramené à ce point. L'unité de l'action est dans la constance, et dans la mort de la mère et des enfants. Avec un objet de cette nature, il eût été contre la décence de jeter dans les moeurs de quelques-uns de mes Personnages, toute la vivacité de la galanterie, et toute la chaleur des sentiments. Si ceux qui sont répandus dans ma pièce, édifient les sages, si la Majesté de la Religion y est soutenue, si je n'ai point altéré la magnificence des expressions de l'Écriture, si des morceaux détachés y font impression par les vérités et les images qu'ils renferment, je me consolerai d'avoir manqué d'y établir ce fond d'intérêts, qui met les passions dans son parti, et qui ne touche le coeur qu'en réveillant notre faiblesse. Je ne répondrai point à l'objection qui m'a été faite sur le discours d'Antiochus au Peuple Juif ; on n'a qu'à lire dans Josèphe, si jaloux lui-même de la gloire et de la loi d'Israël, de quelle manière ce même Antiochus traite la Nation, et le culte des Juifs, et on verra combien j'en ai adouci le mépris et les menaces. Il semble qu'il ne sera plus permis d'exposer sur la Scène les grandes vérités de la Religion ; et tout ce qui impose un certain respect doit nécessairement refroidir l'action de la Tragédie. On commence même à en violer dans les Pièces profanes les règles les plus essentielles. Tout est créé, jusqu'aux événements ; on n'observe plus ni moeurs, ni caractères ; les beautés qu'on y ramène sont toujours étrangères, et le langage des passions n'a nulle convenance personnelle : l'esprit s'y produit partout, et dans le sentiment même, les douleurs y sont brillantes, les vertus toujours lestes, les devoirs commodes et la Religion souple et ingénieuse ; et enfin, si j'ose le dire, c'est une espèce de mascarade, qui s'est introduite sur la Scène. Personne n'ignore le reproche qui nous est fait au sujet de notre Poème Dramatique, et combien l'honneur du Théâtre est blessé, d'y voir régner l'amour comme l'intérêt le plus puissant : cet amour même a commencé insensiblement à sortir de ses bienséances austères que la gloire et la vertu lui ont prescrites : et c'est de là que l'Illustre Académicien (M. de Valincours), qui a fait l'Éloge de M. Despréaux, a pris occasion de dire, en parlant des Poésies de Régnier, Qu'il semblait de son temps que l'obscénité fût un sel nécessaire à la Satyre, comme on s'est imaginé depuis, que l'amour devait être le fondement, et pour ainsi dire, l'âme de toutes les Pièces de Théâtre. MONSIEUR, Vous n'avez point ignoré les contestations qui se sont élevées sur quelques endroits de ma Tragédie. C'est à votre jugement que j'en appelle. J'ai cru devoir subordonner à la Religion l'amour et la nature même ; mais le langage que j'ai fait tenir à mes Héros ; a paru nouveau sur la Scène. Les Personnes du siècle n'ont pu regarder comme intéressantes ces situations, où il semble qu'il en coûte si peu pour sacrifier tout ce qu'il y a de plus cher dans la vie. Ce n'est que dans un coeur tel que le vôtre, que la vertu ouvre un asile à ces grands sentiments, que j'ai cherché à établir sur des événements connus, et sur d'illustres exemples. Ceux qui comme vous, MONSIEUR, sont entrés avec un si brillant succès dans la discussion des sentiments, et dans l'analyse des vertus, qui ont recherché, et trouvé les sources les plus pures de l'amitié et de la gloire, qui nous en ont tracé les préceptes et les règles dans ces excellents Traités, dont vous avez enrichi les Lettres ; et qui enfin n'ont donné aux actions héroïques d'autre dignité que celle des principes qui nous déterminent, savent mieux que les autres jusqu'à quel degré de courage, la Religion et la Foi sont capables de nous élever. Aussi lorsque j'ai l'honneur de vous dédier ma Tragédie, ce n'est point par le désir seul de donner ce témoignage public de ma reconnaissance, à l'amitié dont vous m'honorer depuis si longtemps, l'intérêt de ma réputation me fait encore une nécessité de votre approbation et de vos suffrages, et c'est par là que je suis à portée d'opposer à mes Contradicteurs des lumières sûres, et des décisions respectables. J'ai l'honneur d'être avec l'inviolable attachement que je vous dois, MONSIEUR, Votre très humble et très obéissant Serviteur, l'Abbé Nadal. PERSONNAGES. ANTIOCHUS, Roi de Syrie. SALMONE, mère des Maccabées. MACCABÉE, l'aîné des sept enfants de Salmone, amant de Zoraïde. ZORAÏDE, amante de Maccabée. AZAËL, dernier fils de Salmone. PHOSTIME, ambassadeur de Ptolémée, Roi d'Égypte. ÉLISE, confidente de Salmone. PHOEDIME, confidente de Zoraïde. MÉNÉLAÜS, attaché au parti d'Antiochus. ACHAS, juif, confident d'Antiochus. ALCIME, juif, confident de Ménélaüs. GARDES. TROUPE DE JUIFS. La Scène est à Solime, autrement Jérusalem, dans un Salon du Palais des anciens Rois d'Israël. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Ménélaüs, Alcime. MÉNÉLAÜS. Non, tout cet appareil ne doit point te surprendre, Alcime. Dans ces lieux, le vainqueur va se rendre ; Et sur ce Trône assis, couronnant ses exploits, À nos Juifs assemblés, il doit dicter ses lois. ALCIME. Voudrait-il abolir nos usages, nos fêtes ? Et, de ses Dieux, qu'il croit auteurs de ses Conquêtes, Vengeant avec éclat l'injurieux mépris, Prétend-il asservir jusques à nos esprits ? Mais lorsque Antiochus triomphe de Solime, Que libre seul, ici, du joug qui nous opprime, Ménélaüs jouit de la faveur du Roi, D'où naît ce trouble, en lui, qui me glace d'effroi ? MÉNÉLAÜS. Ah ! Si, du coeur des Rois, il est quelque science, Peut-on prendre, dis-moi, la moindre confiance. Dans ces mêmes Héros que nous avons servis, Contre les droits du Sang, et l'honneur du Pays ? Mais, Alcime, s'il faut te parler sans contrainte, Il est encor, pour moi, d'autres sujets de crainte. Tu sais que la tiare allait ceindre mon front ; Mais que bientôt couvert d'un éternel affront, De mes efforts, des tiens, perdant tout le salaire, Je me vis, pour jamais, banni du Sanctuaire. C'est alors que, déchu de mes prétentions, J'allumai seul le feu de nos dissensions ; Et qu'écoutant trop tôt la chaleur qui m'emporte, À nos plus grands revers, moi seul, j'ouvris la porte. Antiochus, par moi, de nos projets, instruits, Par mes avis secrets, jusqu'ici, s'est conduit, Alcime, et sa faveur, selon toute apparence, Allait, de mes Destins, relever l'espérance : Mais ces Honneurs, ces Dons, que je me suis promis, Peut-être vont passer à mes fiers ennemis. ALCIME. Quel est le fondement d'une crainte pareille ? Antiochus... MÉNÉLAÜS. Arrête, et prête-moi l'oreille. Après de vains efforts, cédant à son pouvoir, Solime, avec ses murs, vit tomber son espoir. Tu sais quelle vengeance, et quelle barbarie, Exerça du Soldat, la première furie. Dans ces jours, de douleurs et de meurtres comblés, Antiochus cherchait nos trésors recelés, Objets, que dès longtemps sa victoire contemple, Et, tout sanglant encor, il accourt dans le Temple. Là, s'étaient retirés les Femmes, les Vieillards : La prière, et les pleurs sont de faibles remparts. Antiochus ne suit que l'ardeur qui le guide, Lorsqu'à ses yeux le sort présente Zoraïde, Fille de Manassès, tu connais ses attraits : Du pouvoir de ses yeux j'ai prévu les progrès, Le Roi dont tout à coup l'âme parut troublée, Des principaux des Juifs ordonna l'Assemblée ; Et plein de son objet se livre au souvenir Des beautés que le Ciel se plut d'y réunir. Par son ordre bientôt une garde fidèle Est depuis ce moment répandue autour d'elle, Et ce nouvel éclat d'un honneur assidu Est un second hommage à sa beauté rendu. De ce Palais encor pour un temps écartée, Zoraïde à ses yeux n'y sera présentée, Que lorsque sans égard à nos droits les plus saints Antiochus aura déclaré ses desseins : Cher Alcime, elle est jeune, et lui couvert de gloire ; S'il peut mettre à ses pieds l'honneur de sa victoire, Dans son coeur jusques là si l'amour parvenu... ALCIME. Le sang de Manassès ne vous est pas connu. Pensez-vous que, souillé du meurtre de son père, Antiochus, Seigneur, puisse jamais lui plaire, Et que tous ces honneurs, à ses yeux présentés, Lui fassent oublier toutes ses cruautés ? Mais sait-il qu'à ses yeux jusqu'alors dérobée, Zoraïde est promise au jeune Maccabée ? MÉNÉLAÜS. C'est un secret encor dont je veux profiter, Et qu'au besoin contre eux je puis faire éclater. Toujours la jalousie est injuste et cruelle. Mais Salmone paraît et son fils avec elle. Abandonnons ces lieux, viens, marche sur mes pas. Dans un triste entretien, ne nous engageons pas. SCÈNE II. Salmone, Maccabée, Élise. SALMONE. N'en doutez point, mon fils, votre mère est contente ; D'un Peuple tout entier, vous remplissez l'attente. Assez dans les horreurs de ce triste séjour, Au gré de mes souhaits, votre bras s'est fait jour. La gloire, sur vos pas, engagea vos six frères ; Leurs efforts ont passé les efforts ordinaires : Dignes d'un tel exemple, ils n'ont point démenti Le sang de ces héros, dont vous êtes sorti. L'honneur vous en est dû : mais, quoi qu'il en puisse être, Le Ciel, dans ce grand jour, nous donne un nouveau Maître ; Et pour le recevoir, ce Trône est préparé. Antiochus encor ne s'est point déclaré. Sans vous parer d'ici d'aucune indépendance, Qu'à votre noble ardeur, succède la prudence : Observez-vous, mon fils. Le zèle est discret Des desseins du Très-Haut, adorons le secret : Il prépare de loin la peine, et le salaire ; Et ne nous frappe pas toujours dans sa colère. MACCABÉE. Je sais quel prix sa main attache à ses rigueurs : Et l'espoir ne doit point expirer dans nos coeurs. Toutefois, sans céder à d'indignes alarmes, Un mouvement secret me dérobe des larmes. Mon coeur, qu'en son devoir tout paraît affermir, Ne peut voir Zoraïde en ces lieux, sans frémir. Ciel ! Avec quelle joie, avec quelle assurance, Ce coeur, d'Antiochus braverait la puissance, Si dans le noir chagrin, dont il est déchiré, Ton bras ouvrait pour elle un asile sacré ! Mais, Madame, c'est vous, qu'un pareil soin regarde. Sauvez ce cher dépôt, commis à votre garde : Dérobez-lui l'horreur, qui règne en ces climats. Ne craignez rien. Memphis est ouverte à vos pas. De son Ambassadeur, l'entremise secrète Saura vous ménager une prompte retraite. Du Vainqueur, dans Solime, il craint peu le courroux. On sait ce que l'Égypte a déjà fait pour nous : Que ses Rois, de Solime, embrassant la défense Entre elle et ses Tyrans, ont tenu la Balance. Au péril, qui nous presse, il faut tout opposer. SALMONE. Ah ! Ce n'est que sur Dieu, qu'il s'en faut reposer. C'est en vain qu'aux périls, Zoraïde est livrée ; Il saura la cacher sous son aile sacrée : Dieu, qui forma son coeur aux devoirs les plus saints, La réserve sans doute, à d'augustes desseins ; Elle y saura répondre, et marchera sans crainte Dans l'immuable loi, que son coeur porte empreinte, Du sang d'Éléazar, ces lieux encor fumants, Théâtre de sa gloire, et de ses longs tourments Du Temple profané la Majesté sacrée ; Des Prêtres du Seigneur l'Élite massacrée ; Sous ses murs embrasés Israël abattu, Ce sont là les garants, mon fils, de sa vertu. MACCABÉE. Et c'est cette vertu, qui fait trembler pour elle. Si le Ciel, d'Israël prend encor la querelle, Méritons les faveurs, qu'il peut nous accorder : Lui-même il nous ordonne enfin de nous aider : De trop de confiance, il s'irrite peut-être. Si la vertu n'agit, elle cesse de l'être. Mais que dis-je ? Israël est-il donc sans recours ? Ignorons-nous enfin, nous-mêmes nos secours, Ces fières Légions, qu'à la faveur des ombres Asaph recèle encor dans des cavernes sombres, Lieux vastes et profonds, où leurs Chefs en courroux N'attendent qu'un signal, pour marcher jusqu'à nous ? SALMONE. Gardez de vous flatter ? D'Israël qui l'implore, Dans le secret de Dieu, le salut est encore. Ne cherchons point, mon fils, à percer ses Décrets. Mais déjà tout un Peuple inonde ce Palais. Il n'en faut point douter, Antiochus s'avance. C'est lui. Ciel ! En quel lieu tu souffres sa présence, Lieu terrible, où d'un Dieu le serment solennel, Avec tous nos Aïeux, fit un pacte éternel ! SCÈNE III. Antiochus, Salmone, Maccabée, Ménélaüs, Alcime, Achas, Élise, Suite d'Antiochus, Troupe de Juifs. ANTIOCHUS. Peuples, écoutez-moi. Suspendez vos alarmes. Le Ciel, vous le voyez, favorise mes armes, Et lui-même arrêtant vos projets inhumains, A remis contre vous sa vengeance en mes mains. L'Ambassadeur d'Égypte, attendu dans Solime, Flatte peut-être encor l'espoir qui vous anime : Mais ses yeux seulement y seront les témoins De l'éclat de ma gloire, et du fruit de mes soins. De vos premiers Hébreux, les Tribus vagabondes, Vil et pâle rebut du caprice des ondes, Que la Mer, sur ses bords, vomit avec horreur, Promenèrent longtemps leur faim, et leur fureur. Leur fier Législateur, dans sa vaste entreprise, Leur présentait au loin une terre promise. Dans les déserts brûlants les uns ensevelis, Dans de stériles voeux tous les autre vieillis, Rien n'en put détromper l'espérance indiscrète. Leur zèle dévorait cette heureuse retraite, Où dans les soins pompeux d'un culte solennel, Ils devaient rencontrer un repos éternel, Rare et solide fruit d'une gloire éclatante. Où se termine enfin cette superbe attente ? L'Univers les a vus de toutes parts errants, Fugitifs en tous lieux, et jamais Conquérants. De l'esprit des Hébreux, une longue pratique, De leur Chef attentif, guida la politique ; Et toujours, de son Dieu l'organe et l'instrument, Tantôt sous l'appareil d'un divin châtiment, Par le meurtre des siens exerçant sa vengeance, Il fondait en secret sa cruelle puissance ; S'assurait par l'effroi de leur fidélité, Et tantôt abusant de leur crédulité, Ou tournant à son gré les jeux de la nature, Des menaces du Ciel voilait son imposture ; À quelle folle erreur ne sont point amenés Des esprits à leur joug si longtemps façonnés ? Les maux, comme les biens, tout sert un vain oracle. Sous leurs yeux, sous leurs pas, tout leur semble un miracle ; Et ce que la nature offre aux plus malheureux, C'est la main de leur Dieu, qui s'ouvre alors pour eux. C'est même dans l'opprobre, où sa faveur éclate. Eh ! Qu'a donc prétendu, dans l'erreur qui le flatte, Du reste des mortels un peuple séparé, Et des Rois et des Dieux l'ennemi déclaré ; Qui, d'un ordre sacré, couvrant son injustice, Rend, de ses attentats, le Ciel même complice ; Toujours plus orgueilleux, plus il est abattu ; Par pitié perfide, et cruel par vertu ? Ah ! Sans pousser trop loin tous les droits de la guerre, D'une Secte odieuse, au moins purgeons la terre. Je veux qu'en ses abus le Temple reformé, Au culte d'Israël désormais soit fermé ; Qu'à nos Dieux de vos fruits présentant les prémices, Ils y soient seuls l'objet de tous vos sacrifices ; Qu'au glaive sur l'autel loin d'être présenté, De vos fils au berceau le sang soit respecté. Quels que soient les présents, que vous fait la nature, N'en envisagez point comme une offrande impure ;Et parmi vous, usez de ses secours certains, Sans craindre désormais d'en souiller vos festins. Mais qu'est-ce que je vois ? Chacun de vous frissonne ? Ah ! J'atteste le Ciel, que n'exceptant personne, Si quelqu'un à mes Lois ose contrevenir, Des plus cruels tourments je saurai le punir. L'impie éprouvera son châtiment sur l'heure. Sortez tous ; et que seul Ménélaüs demeure. SCÈNE IV. Antiochus, Ménélaüs. ANTIOCHUS. Et toi, dans mon parti, dès longtemps engagé, Rends-moi compte des soins, dont je t'avais chargé. MÉNÉLAÜS. Dans un moment, Seigneur, vous verrez Zoraïde. Je ne sais point encor quel mouvement la guide ; J'ai trouvé peu d'obstacle à vos justes désirs ; On n'a point opposé de pleurs, ni de soupirs. Ou c'est orgueil en elle, ou nos Juifs en alarmes, Pour calmer vos rigueurs, ont recours à ses charmes ; Et parmi les périls, offerts de toutes parts, Attendent leur salut de ses premiers regards. ANTIOCHUS. Je ne le cèle point, à sa première vue Mes sens se sont troublés, mon âme s'est émue, Et quoi que dans son coeur on eût jeté d'effroi Tant de charmes jamais ne s'offrirent à moi. Suivons sans balancer ce que l'amour m'inspire. Elle entre : laisse-moi. Aux Gardes qui conduisent Zoraïde. Et vous qu'on se retire. SCÈNE V. Antiochus, Zoraïde, Phoedime. ANTIOCHUS. Je sais que rehaussant la Majesté des Rois, La Victoire, Madame, étend au loin ses droits : Mais sans trop nous flatter de ses faveurs suprêmes, Jamais le vrai bonheur ne dépend de nous-mêmes ; C'est en vain que les Juifs soient soumis sans retour, Si vous n'achevez pas l'honneur d'un si beau jour. Quelque prix qu'on attache à la gloire des armes, Ce qui manque à la mienne en dérobe les charmes. ZORAÏDE. Sans discuter les droits d'un Vainqueur en courroux, C'est déjà trop pour moi de m'offrir devant vous. Et que prétend ici votre injuste contrainte D'un coeur, qui ne connaît ni l'espoir, ni la crainte ; Qui parmi les horreurs, que ce jour réunit, Adore, en gémissant, un Dieu qui nous punit ? Sans doute, vous vouliez, poussant votre colère, Me montrer ce Palais, teint du sang de mon père ; En souiller mes regards ; et c'était à vos pieds Le spectacle cruel, que vous me prépariez ? Par mes malheurs enfin je puis compter vos crimes. ANTIOCHUS. Madame, je le sais, parmi tant de Victimes, Qu'en ces lieux désolés s'immola mon courroux, Le vaillant Manassès est tombé sous mes coups. Mais enfin de la guerre on sait les Lois austères : Que de crimes commis souvent involontaires ! Avec la cruauté, la vertu se confond ; Et, de nos attentats, c'est le Ciel qui répond. Vous-même enfin goûtez une pleine vengeance. De vos regards, sur moi, connaissez la puissance. J'en atteste le Ciel, que j'ai trahi pour eux ; Je suivais sans égard un devoir rigoureux : Mais je vous vis alors, Madame, et mon audace À des transports plus doux céda bientôt la place ; Et Solime elle-même, au nombre des Vaincus, Put dès lors à bon droit compter Antiochus. Je vois quels traitements votre fierté m'apprête. Ah ! Que vos yeux du moins connaissent leur conquête, Madame ; et me plaignant vous-même à votre tour, Écoutez sans courroux l'aveu de mon amour. ZORAÏDE. Quelle honte en mon âme, ô Ciel ! s'est élevée, Et m'apprend, à quels maux, tu m'avais réservée ! Antiochus ici me déclare ses feux ! Moins cruel mille fois pour ce sang malheureux... ANTIOCHUS. Je le vois bien, né Juif, dans une race obscure Le Ciel de vos mépris m'eût épargné l'injure. Que dis-je ? De ce dieu, qu'adore votre coeur, Ai-je pu jusques là concevoir la rigueur ? Soit respect, soit qu'en vous mon amour le confonde, Madame, je le crois l'arbitre seul au monde : Déjà sa Loi sacrée, emprunte de vos yeux Un pouvoir, que n'a point tout le reste des Dieux. Au-delà de vos yeux son intérêt me touche... ZORAÏDE. Pensez-vous louer Dieu, le blasphème à la bouche ; Et qu'ici mon orgueil puisse prendre pour moi De frivoles respects, dont s'indigne ma foi ? C'est à Dieu seul, qu'est dû le souverain hommage. S'il est de sa splendeur quelque vivante image, C'est un coeur pur, un coeur soumis à ses arrêts, Qui pour lui des tourments brave tous les apprêts. ANTIOCHUS. Quels que soient les objets, que votre âme envisage, Réservez vos vertus pour un plus noble usage. Par vous, à ma clémence, ouvrant tous les chemins, Israël voit encor son salut dans vos mains. ZORAÏDE. Je ne m'alarme point de son état funeste. Je suivrai mon devoir ; et laisse à Dieu le reste. Je sais, dans ces revers, ce qu'exigent de moi La gloire de mon sang, ma Patrie, et ma foi. Quelle que soit enfin l'ardeur qui vous anime, N'allez point de vos feux séparer votre estime. J'ignore quel espoir vous vous êtes permis. Lorsqu'il faut me compter parmi vos ennemis ; Mettez votre clémence au rang de mes disgrâces, Au lieu de la pitié, prodiguez les menaces. Et prisant vos faveurs moins que vos châtiments, Connaissez Israël à de tels sentiments. Adieu. SCÈNE VI. ANTIOCHUS, seul. J'arrête ici la grandeur souveraine, Israël recevra le prix de tant de haine. Ta folle erreur t'abuse, et je vais dans ces lieux, Servir tout à la fois mon amour, et les Dieux. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Antiochus, Ménélaüs. ANTIOCHUS. Quoi ? Le Ciel à mes voeux mettrait un tel obstacle ? Au milieu des horreurs, dont tu vois le spectacle, Zoraïde ?... MÉNÉLAÜS. Oui, Seigneur, vous avez un rival, Voilà de son orgueil le principe fatal. Par là, d'un fier mépris contre vous prévenue, De l'aveu de vos feux, troublée à votre vue, Elle s'en indignait ; et son superbe coeur Vous traitait en esclave, et non point en Vainqueur. ANTIOCHUS. Mais quoi ? Pour me servir, ton ardeur empressée, Sur nul objet encor n'arrête ta pensée ? MÉNÉLAÜS. Ce secret ne saurait échapper à mes soins. J'assiège Zoraïde en tous lieux de témoins ; Il suffit à leurs yeux de la moindre étincelle. L'amour le plus prudent tôt ou tard se décèle. Ainsi dans les soupçons, qui viennent me frapper, Songez que vos arrêts doivent envelopper Cet objet, quel qu'il soit, d'une folle tendresse. Et s'il faut une fois que le péril le presse, Vous verrez à vos pieds, prompte à le secourir, À sa défense alors Zoraïde accourir. Poursuivez seulement votre grande entreprise. C'est servir le transport, dont votre âme est éprise, C'est hâter le bonheur... ANTIOCHUS. J'approuve tes discours ; Et ma gloire aussi bien, en reprendra son cours. MÉNÉLAÜS. Le peuple, quels que soient les moyens, qu'on invente, Des exemples obscurs, rarement s'épouvante : Mais s'il perd une fois quelque superbe appui, La chute l'en ébranle, et le ramène à lui, Toutes prétentions semblent alors tombées. Vous avez dans vos mains les jeunes Maccabées, De nos plus grands héros, rejetons belliqueux, Et leur mère Salmone autant à craindre qu'eux ; De leur Religion, avec le lait sucée, L'image, par ses soins, sans cesse est retracée. C'est par eux, qu'il vous faut, Seigneur exécuter Le projet, que vous-même avez fait éclater. Tout un peuple, pour eux brûlant du même zèle, À leurs ordres encor est demeuré fidèle. Mais c'est peu qu'à nos Chefs, liés par mille noeuds, Des Pontifes sacrés le sang revive en eux ; L'Égypte les protège, et du Roi Ptolémée La faveur au dehors enflait leur renommée, Et de leur rang ici soutenait la splendeur. L'on dit même, l'on dit, que son Ambassadeur, Que chacun dans ce jour attend en cette place, À déjà contre vous, rallumé leur audace. ANTIOCHUS. J'ignore quels projets sont remis dans ses mains ; Mais son Maître jouit de l'appui des Romains.Je te croirai pourtant. Que de mon ordre instruite, Par tes soins, en ces lieux, Salmone soit conduite. SCÈNE II. ANTIOCHUS, seul. Ô toi ! Fille du Ciel, auguste Vérité, Combien, à tes dépends, nos faits ont éclaté ! Aux yeux de l'Univers notre orgueil les déguise. Ainsi sous l'appareil d'une illustre entreprise, Me voilà le Vengeur de l'honneur des Autels. J'embrasse, je poursuis les droits des Immortels. Mais de ce grand dessein, dont la Terre est saisie, Quel est donc le motif secret ? La jalousie. Toujours d'un faux objet, nos projets revêtus, À nos propres regards dégradant nos vertus, Sans cesse aux yeux d'autrui consacrent nos faiblesses. Ciel ! C'est dans tes décrets, tout ce que tu nous laisses. Mais on vient. C'est Salmone. Ah, Dieux ! À son aspect, Que mon coeur est ému de trouble, et ce respect ? SCÈNE III. Antiochus, Salmone. SALMONE. Seigneur, car de mon rang je puis sans trop descendre, Appeler de ce nom l'héritier d'Alexandre, Souffrez que rappelant son ombre du tombeau, J'expose à vos regards un modèle si beau. Ce héros, d'Israël avait juré la perte : Ses desseins éclataient partout à force ouverte, De Tyr, et de Gaza les murs encor fumants, Étaient de son courroux d'éternels monuments. Il marcha sur Solime. Israël en alarmes N'avait pour tout secours, que ses voeux, et ses larmes. Qu'espérer en effet dans cette extrémité ? Mais du courroux du Ciel le temps est limité. Que peuvent contre lui d'innombrables Cohortes ! À ce grand Conquérant, Solime ouvrit ses portes. Instruit du fier courroux, dont son coeur était plein, Le Pontife Jadus, dans son habit de lin, Des Prêtres et du Peuple, entraînant l'affluence, Au-devant de ses pas marchait en assurance. Sur l'ornement sacré, dont son front était ceint, Brillait, de l'Éternel, le nom auguste, et saint. Et Dieu sans doute alors le couvrait de sa gloire : Et ce que ce Pontife à peine aurait pu croire, Alexandre, Seigneur, saisi d'un saint respect, S'avance seul vers lui, se courbe à son aspect : Croit voir en lui le Dieu, qui sembla lui prédire Que des Persans un jour il détruirait l'Empire. Ainsi ce Roi, fameux par tant d'exploits divers, Devant qui longtemps s'était tu l'Univers, Dans son étonnement garde un profond silence, Et du Dieu d'Israël adora la puissance. ANTIOCHUS. Que sert de rappeler un pareil souvenir ? Cet exemple en ce jour doit peu me retenir. Et les temps, et les lieux, tout est changé, Madame. Ce Dieu même, sur qui se repose votre âme, A retiré de vous son aide, et son pouvoir. SALMONE. Ce qu'il a fait pour nous rallume notre espoir. Dans le cours éclatant de nos vastes misères, De mille affreux périls, il garantit nos Pères, De leur captivité brisa les fers honteux, Et par lui la Mer s'ouvre, et s'enfuit devant eux. Dans ses gouffres profonds le juif trouve un passage ; Et dissipe Amalec, qui l'attend au rivage. Que dis-je ? Des méchants, les complots criminels Conduisent à leur but ses décrets éternels. La fin de leurs projets est présente à sa vue. De moyens tout-puissants, sa sagesse est pourvue. Il sourit en secret d'un triomphe trop vain ; Et la chute des Rois est un jeu de sa main. ANTIOCHUS. Du Jourdain teint de sang, par d'éternels ravages, Une juste fureur désola les rivages. De vos malheurs, du moins, rappelez-vous le cours. SALMONE. Ah ! Du sein de nos maux naissent tous nos secours. À nos calamités, succède un sort prospère. De son Peuple toujours l'Éternel est le père. Son bras l'éprouve, alors qu'il paraît l'accabler ; Et quand il nous punit, c'est à vous de trembler. ANTIOCHUS. Israël, enivré de l'espoir qui le flatte, Des rives du Jourdain jusqu'aux bords de l'Euphrate, Par de nouveaux exploits, cherchant à s'agrandir, De ses derniers malheurs, peut, s'il veut, s'applaudir. Pour moi, je l'avouerai, dans les bras de la gloire, J'ignore ces retours, qu'entraîne la victoire. Je vois Solime aux fers, et ne vois rien de plus. Mais, Madame, tranchons des discours superflus. C'est assez vous nourrir d'une vaine chimère : Et comme Israélite enfin, et comme mère, Libre d'un fol espoir tant de fois démenti, Prenez, il en est temps, un plus sage parti. À tout un peuple entier, donnez un grand exemple ; Et venez avec moi purifier le Temple De superstitions, d'usages odieux. SALMONE. Moi! Que brûlant l'encens sur l'Autel de vos Dieux, Que par des sentiments à tous les miens contraires, J'abandonne nos Lois, et le Dieu de nos Pères ! Qu'oubliant un moment sa gloire, et ses bienfaits, Moi-même je me livre au plus grand des forfaits ! Dût s'armer contre moi votre haine implacable, Du plus léger oubli, ma foi n'est point capable. Contre un culte si saint, où tout crime est égal... ANTIOCHUS. Ô d'un Peuple incrédule aveuglement fatal ! Je vois mes volontés sans cesse démenties. Respectez-les ; ou bien les premières hosties, Qu'immolera ma main à nos Dieux en courroux, Songez-y, ce sera vos sept Enfants, et vous. Sans doute, en vos projets le zèle, qui vous guide, A séduit avec eux le coeur de Zoraïde. Votre exemple la perd, et je sais à quel point... SALMONE. Qui? Moi, Seigneur ? ANTIOCHUS. Oui, vous. SALMONE. Je ne m'en défends point, Je l'aime ; sa vertu, dans Solime adorée, Passe encor la beauté, dont le Ciel l'a parée. L'illustre Manassès, à notre espoir ravi, Descendait, comme moi, d'un Enfant de Lévi : De sa fille, Seigneur, les bontés infinies Exercent avec soin dans nos cérémonies, Le dernier de mes fils, et cultivant sa foi, Du vrai Dieu dans son coeur ses mains gravent la Loi ; Elle joint à son zèle une pieuse adresse. Une soeur pour son frère aurait moins de tendresse. ANTIOCHUS. Madame, sans entrer dans des propos si vains, Profitez des instants, que je laisse en vos mains. Du sang Asmonéen je sais la noble audace ; Je connais Maccabée, ornement de sa race. Instruisez-le à loisir de tout cet entretien. Je vais vous l'envoyer. Adieu. Songez-y bien. Du plus pur sang des Juifs, vous devenez comptable. De leur Dieu, quel qu'il soit, le Conseil redoutable Réprouve tant de zèle en ce commun effroi, Et le salut des siens est sa première Loi. SCÈNE IV. SALMONE, seul. Hé quoi ! Dans le besoin mon âme s'intimide ! Si dans sa foi jadis Abraham intrépide, Sur le bûcher fatal, par lui-même dressé, Offrit son sacrifice, à ta gloire adressé, Grand Dieu ! Ta main en lui soutenait ton ouvrage. Quand je fais plus pour toi, donne-moi son courage. Il n'immolait qu'un fils, lorsque ton bras puissant. Détourna dans ses mains le glaive menaçant. Que dis-tu, malheureuse, en ce désordre extrême ? Arrête. Si tu crains, ne crains que pour toi-même. À l'aspect du péril dont tes sens sont troublés, Crois-tu que tes Enfants puissent être ébranlés, Qu'on puisse sur tes pas les entraîner au Temple ? Ne pouvant le donner, reçois au moins l'exemple ; Et d'un si noble effort rassurant tes esprits, Du sang, qu'ils ont de toi, va recueillir le prix. SCÈNE V. Salmone, Maccabée. MACCABÉE. Quoi ! Lui-même, vers vous, Antiochus m'envoie, Le Ciel, en nous ouvrant une secrète voie, Des fureurs du tyran, veut-il nous délivrer ? Ou plutôt est-il jour à pouvoir l'espérer ? Et quels objets, grand Dieu, frappent ici la vue ! Au sortir de ces lieux Zoraïde éperdue, Craignant pour Israël quelque nouveau malheur, Aux pieds de nos Autels a porté sa douleur. Aux yeux de tout le monde, elle s'est dérobée. Devant elle est Dieu seul. Le triste Maccabée, Du tyran avec elle ignore l'entretien. Ah ! Si sans respecter le plus sacré lien, Si pour mettre le comble au transport qui le guide, Au mépris de la foi, des pleurs de Zoraïde... SALMONE. Ne concevez pour elle aucun sujet d'effroi, Mon fils : le Ciel lui-même est garant de sa foi. Mais songez que ce jour, ce jour vraiment funeste, De la foi d'Abraham, doit rallumer le reste. Israël jusqu'ici de toutes parts pressé, Jamais de tant de maux ne s'est vu menacé. Dans ce cours malheureux de projets sanguinaires, C'est à vous à donner l'exemple à tous vos frères. Montrez dans les moments, qui vous sont réservés, Que le Sang vous a fait naître, et quel Dieu vous servez. MACCABÉE. Quels que soient nos périls, n'en doutez point, Madame, Ce jour éclairera le zèle qui m'enflamme, Et ne présumez rien dans mon coeur combattu D'indigne de mon Sang, et de votre vertu. SALMONE. Ce zèle ardent, mon fils, et ce noble courage Ne viennent point de nous. Ils sont l'unique ouvrage Du Dieu, qui vit le monde éclore sous sa main. Comment même, ô mon fils ! Vous formai-je en mon sein, Aux lois de la nature, en esclave asservie ? Dieu seul vous donna l'âme, et l'esprit, et la vie : Et chargeant votre foi de desseins éclatants, En a porté le prix même au-delà des temps. MACCABÉE. Ah ! J'entends. C'est par nous, que le tyran commence, Madame, et qu'abusant de ce pouvoir immense, Que le Dieu d'Israël lui prête en sa fureur, Il veut remplir ces lieux d'une nouvelle horreur. Je le vois bien ; le coup suit de près la menace. Mais sait-il à quel point sa rigueur vous fait grâce ? Combien sur notre sang attachant son courroux, Notre foi s'affermit au choix, qu'il fait de nous ? Vos fils, de ses fureurs ne seront point complices. Qu'il déploie en ces lieux l'appareil des supplices, Et qu'à les inventer son coeur ingénieux De bizarres tourments repaisse encor ses yeux ; Que les corps mutilés subissent la torture ; Qu'il rallume ces feux, dont frémit la nature ; Nous saurons sur lui seul en rejeter l'effroi, Et n'écouter que Dieu, vos vertus, et sa loi. SALMONE. Ah ! Combien dans le cours de sa douleur amère De pareils sentiments consolent votre mère ! Oui, mon fils, du tyran les arrêts sont certains, Et désormais c'est peu de souiller nos festins De sacrilèges mets, et d'une chaire immonde, Il veut que dans le Temple, aux yeux de tout le monde, Au milieu de mes fils, à des Dieux impuissants, Je présente avec vous, et la coupe, et l'encens. Et pour exécuter tout ce qu'il se propose, C'est sur mes seuls conseils encor qu'il se repose. Je dois compte du sang, qu'il nous aura coûté, Ou deviens le garant de tant d'impiété. De ma foi, jusques là se peut-il bien qu'il doute ? MACCABÉE. Mais n'est-il rien enfin que lui-même il redoute, Lorsque pour un revers aussi prompt qu'éclatant, Entre les mains de Dieu suffit un seul instant ? Ah ! Jadis de Juda vengeant la foi trahie, Dieu, de Sennachérib punit la perfidie, Répandit dans son camp la terreur, et la mort. Solime, de ses murs l'écarta sans effort, Et dérobant aux fers nos Tribus alarmées ; Vit, d'un souffle empesté dissiper ses armées ; Et Ninive, bientôt témoin de son effroi, Reçut en pâlissant la fuite de son Roi. Ainsi, d'Antiochus l'orgueil, que Dieu contemple... SALMONE. Ah ! Mon fils, c'est à nous, à notre seul exemple, Que du salut des Juifs l'honneur est réservé, Périssons dignement, Israël est sauvé. Il va donner des fers à qui le tyrannise. Des Élus du Seigneur, la race s'éternise. Par tant de pleurs, de voeux jusqu'ici demandé, Le plus cher de ses dons va nous être accordé ; Mais quel est ce discours, où mon esprit s'égare ? De ses secours pour nous, quand Dieu serait avare, Et que Sion contre elle armerait tous les Rois ; La foi ne verrait point anéantir ses droits. L'Éternel est lui seul sa gloire, et sa défense. Son aide nous élève, et notre orgueil l'offense. SCÈNE VI. Salmone, Maccabée, Élise. ÉLISE. Ah ! Songez l'un et l'autre à votre sûreté. Madame, de vos fils, tout le reste arrêté Dans un sort, où déjà leur garde se redouble, Du peuple, qui s'amasse, augmente encor le trouble. Mais jugez ce qu'il faut vous-même en augurer, De ses frères, Madame, on vient de séparer Le plus jeune, et le Roi lui-même... SALMONE. Eh bien, Élise ? ÉLISE. Veut que dans son Palais sa Garde le conduise, Et commande que loin d'effrayer ses regards, Tout ce qui l'environne ait pour lui des égards. On admire son air : et l'on plaint son enfance. SALMONE. Ainsi c'est à Dieu seul de prendre sa défense. ÉLISE. On tremble aussi pour vous, et l'on n'a point douté, Seigneur, qu'on attentât à votre liberté. SALMONE. Nous devons obéir à des ordres suprêmes. Mais allons, au tyran nous présenter nous-mêmes. De la faveur d'un Dieu reconnaissants les traits, Et mettons cette épreuve au rang de ses bienfaits. MACCABÉE. Madame, à ses desseins, c'est à nous de répondre, L'excès de ses bontés a droit de nous confondre. Il nous distingue seuls entre tous les humains, Et la foi d'Israël est toute dans nos mains. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Zoraïde, Phoedime. PHOEDIME. Eh ! Quel est ce transport, où la douleur vous livre ? Où m'ordonnez-vous donc, Madame, de vous suivre ? Songez-vous qu'en ces lieux, tout pleins de sa splendeur, Le Roi va, de l'Égypte ouïr l'Ambassadeur ? La victoire cruelle en a changé la face. À peine de nos pas j'y retrouve la trace. À leur auguste aspect, lieux si chers autrefois, L'asile des vertus, le Palais de nos Rois, Et d'un tyran cruel, maintenant la demeure, Qu'y venez-vous chercher ? ZORAÏDE. Tu sauras tout à l'heure Quel motif a conduit Zoraïde en ces lieux. Ton zèle en tous les temps s'est offert à mes yeux. Ose servir ici le transport qui m'anime. Sans doute, mon dessein va t'étonner, Phoedime. C'est le Roi, que mes pas cherchent dans ce moment. Cette porte conduit à son appartement. Va le trouver. Dis-lui qu'avec impatience J'attends de sa faveur un moment d'audience. PHOEDIME. Vous serez obéie au gré de vos désirs. Mais est-il quelque espoir dans nos longs déplaisirs ? Et peut-on se flatter qu'en un jour si funeste... ZORAÏDE. Va, dis-je, le trouver ; je me charge du reste. SCÈNE II. ZORAÏDE, seule. Par un ordre cruel, toi, qu'on vient d'arrêter, Regarde, pour te voir, ce que j'ose tenter. Le tyran m'a parlé. Le Ciel a vu ma honte. De tout mon entretien, je dois te rendre compte, Cher Maccabée. Au moins, fidèle à son devoir, Tout entier à tes yeux, mon coeur se fera voir. Au point de t'éclaircir au gré de mon envie, La liberté soudain vient de t'être ravie. Mais par cet entretien, que se promet ma foi, Je te soulagerai peut-être autant que moi. Enfin, c'est trop subir une dure contrainte. Mais quel moment je prends pour m'expliquer sans crainte ! Ah ! Sans les embraser de feux tumultueux, Que l'amour est hardi dans les coeurs vertueux ? SCÈNE III. Antiochus, Zoraïde, Gardes. ANTIOCHUS. Madame, se peut-il qu'un retour favorable Ait pu calmer pour moi votre âme inexorable. ? Dois-je croire un bonheur, que je ne connais pas ? Vous me voyez voler au-devant de vos pas. Par quels soins éclatants, par quel effort extrême, Puis-je enfin, mériter, Madame, que vous-même... ZORAÏDE. Dans ce haut rang de gloire, et de prospérité, Où vous a mis le Ciel, contre nous irrité, De tels abaissements deviennent légitimes, Et la peine, Seigneur, en est due à nos crimes. ANTIOCHUS. De cet ordre commun, daignez vous excepter : Et quels crimes jamais peut-on vous imputer, Vous, la vertu, Madame, et l'innocence même ? Quoi ? Jusques là jaloux de son pouvoir suprême, Votre Dieu, d'Israël dites-vous le soutien... ZORAÏDE. J'ai souhaité de vous ce moment d'entretien. D'une seconde grâce, honorez ma demande. Que Maccabée ici par votre ordre se rende. ANTIOCHUS. Eh ! De quel intérêt occupée aujourd'hui... ZORAÏDE. Je ne puis m'expliquer, Seigneur, que devant lui. ANTIOCHUS. Quelque trouble secret, qui s'élève en mon âme, Ce que vous désirez, va s'accomplir, Madame. Aux Gardes. Gardes, que Maccabée en ces lieux soit conduit. SCÈNE IV. Antiochus, Zoraïde. ZORAÏDE. De tous mes sentiments vous allez être instruit, Seigneur, et dans ces lieux rarement déclarée, La vérité pour moi n'en est que plus sacrée. Bientôt dans son espoir votre amour éclairci, Va prendre... Mais déjà Maccabée entre ici. SCÈNE V. Antiochus, Zoraïde, Maccabée. MACCABÉE, à part. Ciel ! Zoraïde ici se présente à ma vue, Quel effroi se saisit de mon âme éperdue ? À Antiochus. Par quel motif, Seigneur, daignez-vous m'appeler ? ANTIOCHUS. On va vous en instruire. ZORAÏDE. Il est temps de parler. Du Ciel lent à punir la main appesantie, Par nos prospérités, bien souvent nous châtie. Vos armes ont vaincu. Mon Père massacré, De votre gloire ici fut le premier degré. D'Israël sa mort seule abattit l'espérance. Jugez quel trouble en moi cause votre présence, Ses Mânes en courroux accompagnent vos pas. J'entends leurs cris. Avant ce funeste trépas, Qui de tant de douleurs a comblé sa famille, Lui-même disposa de la main de sa fille ; Son choix avait réglé mon inclination, Et depuis son sang même en scella l'union. Aussi loin qu'avec lui sa volonté tombée... ANTIOCHUS. Et quel est cet Époux, Madame ? ZORAÏDE. Maccabée. ANTIOCHUS. Qu'entends-je ? Et sur qui donc votre espoir rallumé... ZORAÏDE. Je t'ai dit tous ses droits, quand je te l'ai nommé. Oui, sans cette terrible, et fatale journée, À l'autel avec lui sans effort entraînée, Nous allions nous jurer sous les yeux du Seigneur Cette foi, que doit suivre un éternel bonheur, Quand sous un même joug il attache nos âmes, Et qu'en nous l'imposant il couronne nos flammes. Le Ciel, dont les décrets ne se laissent point voir, A pu, d'un bien si cher, ne souffrir que l'espoir, Et je reconnais là sa main victorieuse. Si l'épreuve en est triste, elle est trop glorieuse. Peut-être qu'en ce jour terminant notre sort, Si ce n'est par l'hymen, il veut que par la mort Je m'unisse à l'Amant, qui cause mes alarmes. Quel hymen plus heureux, et plus rempli de charmes Vaudrait dans les tourments cet accord immortel, Où Dieu tient lieu de Prêtre, et l'échafaud, d'Autel ? MACCABÉE. À quel espoir, ô Ciel ! Votre coeur s'abandonne ? Dieu peut-être, Madame, autrement en ordonne ? Et son juste courroux ne cherche ici que moi. ZORAÏDE. Ah ! Soutiens mieux mon zèle et laisse agir ma foi. Reconnais ton rival. Mais l'aveu de sa flamme, Je l'en atteste ici, n'a rien pu sur mon âme. Ton coeur, de ma vertu, n'a pu se défier ; Et pourtant je brûlais de me justifier. De mes feux innocents, si ma pudeur austère, Par des soins éternels t'a caché le mystère, Aux yeux du tyran même, et devant Dieu, reçois Cet aveu d'un amour aussi pur que sa loi. MACCABÉE. À ces transports si chers qui n'ont rien de profane, Où de l'esprit de Dieu l'amour devient l'organe, La nature s'étonne ; et ces traits enflammés Ne tombent qu'en des coeurs, qu'Israël a formés. ANTIOCHUS. Quoi, ne me suis-je armé de fureurs vengeresses, Que pour être en ces lieux témoin de leurs tendresses ? Tous deux en m'insultant avec tranquillité, Vous vous jouez ainsi de ma facilité ? ZORAÏDE. Qui t'arrête, barbare ? Agis, sans te contraindre. Mes désirs sont remplis, je n'ai plus rien à craindre. J'ai revu Maccabée ; et j'ai fait en ces lieux L'aveu de mon amour, et l'ai fait à tes yeux. Cherchant à l'opprimer, tu l'as servi toi-même, Et ton dépit s'accroît où sa joie est extrême : Et du moins ton rival jusques dans son malheur Jouit de ton désordre, et rit de ta douleur. Je le vois. Mon dessein a de quoi te surprendre. J'exerce une vertu, que tu ne peux comprendre, Dont la gloire pour nous porte un attrait vainqueur, Et que l'Impie enfin ignore dans son coeur. Tels sont les Juifs, tel est le feu qui les engage. De la foi d'Israël, son ardeur est le gage : Elle naît, elle part d'un mouvement divin : La source en est au Ciel, aussi bien que la fin. En nous, du Tout-puissant, la main qui l'a formée, Porte plus haut les voeux de la personne aimée, Et d'autant plus l'attache au culte du vrai Dieu. J'ai vengé ton amour, cher Maccabée, adieu. Va mourir. À Antiochus.Toi, poursuis ce que tu te proposes. Tu m'aimes, je le sais. Punis-moi si tu l'oses. SCÈNE VI. Antiochus, Maccabée, Gardes. ANTIOCHUS. Ah ! Suivons des transports, trop longtemps retenus. MACCABÉE. Du moins, ses sentiments par là te sont connus. ANTIOCHUS. Et toi, qu'espères-tu d'un amour déplorable ? Ne vaudrait-il pas mieux qu'un zèle favorable Dérobât Zoraïde à d'éternels soucis, Et la mit sur le Trône où les Dieux m'ont assis ? Un si grand intérêt doit agir auprès d'elle. Contraire à ton amour, à ta gloire fidèle, Fais-lui valoir les voeux qu'elle ose dédaigner, Et triomphe de toi pour la faire régner. MACCABÉE. Ô Ciel ! ANTIOCHUS. Si pour ton Dieu, l'auteur de toutes choses, Les sentiments d'un Juif sont tels que tu l'exposes ; Si l'on brave pour lui les tourments, et la mort, Est-ce te demander un trop puissant effort ? Songe quel en sera le prix et le salaire. Tu vas, contre les Juifs apaiser ma colère, Relever, et leur Temple, et leurs murs abattus, De l'objet de tes voeux couronner les vertus. Tu sers tout à la fois Maîtresse, Honneur, Patrie. MACCABÉE. Ciel ! Quel trouble s'élève en mon âme attendrie ! ANTIOCHUS. Tu dois à Zoraïde un tel effort sur toi. MACCABÉE. Oui, par un changement, qu'à peine je conçois, J'ouvre les yeux enfin, et te promets mon zèle ; Je te réponds de moi ; mais qui répondra d'elle ? Qui pourra, contre toi, désarmer son courroux ? Tu le sais bien, son Père expire sous tes coups ; Et tu romps un hymen, qu'exige encor sa cendre. Cependant la foi monte au Trône d'Alexandre. À ce motif pressant, tout enfin doit céder. Je vais donc m'employer à la persuader. Dans ce nouveau parti, je lui peindrai sa gloire ; Et toi-même par là rachetant ta victoire, Mais en te ménageant de si chers intérêts, Prends-moi pour l'objet seul de tes derniers arrêts. Couronne par ma mort le zèle qui me guide, À ce prix, je te sers auprès de Zoraïde. Heureux ! Que tout mon sang dans cet accord cruel, Scelle votre alliance, et la paix d'Israël ! SCÈNE VII. Antiochus, Maccabée, Achas. ACHAS. L'Ambassadeur d'Égypte attend son audience, Seigneur, daignez répondre à son impatience, Daignez le voir. ANTIOCHUS. Dis-lui que je vais l'écouter. À Maccabée.Je ne puis davantage en ces lieux t'arrêter, Je dois ouïr Phostime, après notre entrevue Mes ordres offriront Zoraïde à ta vue, Mais crains de lui parler pour la dernière fois. Adieu. L'Ambassadeur s'avance, je le vois. SCÈNE VIII. Antiochus, Phostime, Achas, Suite d'Antiochus, Suite de Phostime. PHOSTIME. Quelques horreurs, Seigneur, que ce grand jour entraîne, Et qu'étalent ici la discorde et la haine, Je ne soupçonne rien d'un injuste courroux, Et crois que ma présence arrêtera vos coups, Des Juifs nos alliés vous entendez les plaintes, La foi de nos traités en reçoit trop d'atteintes, L'Égypte s'en offense, et n'a pu sans douleur Apprendre jusqu'où va l'excès de leur malheur, Ne portez pas plus loin une longue vengeance ; C'est à vous de savoir, Seigneur, que la clémence Dont au vainqueur, surtout, il sied bien d'être épris, Donne aux plus grands exploits leur véritable prix. Par aucune entreprise ouverte ou dérobée, N'attentez pas du moins au sang de Maccabée. Ce sang vous le savez porte d'augustes droits, Et tire sa splendeur de celui de ses Rois. ANTIOCHUS. J'ai cru qu'une audience en ces lieux demandée Sur de justes motifs du moins serait fondée, Ou que de ma clémence enfin cherchant l'appui, Vous parleriez pour vous, sans agir pour autrui ; Pour moi jusques au bout poursuivant mon ouvrage, Des Dieux longtemps bravés, je veux venger l'outrage ; Et chargé dans ces lieux de leurs droits immortels, Sur les débris du Temple, élever leurs Autels. PHOSTIME. Laissez aux Dieux le soin de venger leur querelle ; Trop jaloux de leur gloire, ils agiront pour elle : Et s'il faut que mon coeur se dévoile à vos yeux, Tout ce que vous tentez leur est injurieux. Sous quelques noms, Seigneur, et sous quelques images, Que les Dieux immortels reçoivent nos hommages, D'un culte différent, ils ne sont point surpris : Et c'est notre vertu qui lui donne le prix. Par là le Ciel se prête à l'humaine faiblesse. Ses bizarres effets, dont le nombre vous blesse, À notre liberté sont autant de liens. La Syrie a ses Dieux, et l'Égypte a les siens. À nous les figurer, pourquoi cette contrainte ? Dans mille objets divers, leur Majesté s'est peinte, Pour eux, ses traits épars excitent notre ardeur ; Et partout la nature annonce leur grandeur. ANTIOCHUS. Quoi ! Dans nos saints respects, il n'est point de réserve ? Et l'auguste Junon, et la sage Minerve, Jupiter, foudroyant les mortels éperdus, Dans la foule des Dieux, seraient-ils confondus ? Et loin d'en mesurer la gloire, et la puissance... PHOSTIME. Je ne m'égare point par trop de confiance Mais quand il serait vrai que du reste des Dieux La loi serait profane, et le culte odieux, Et qu'alors il fut beau d'en détacher les âmes, Serait-ce en vous servant, et du glaive, et des flammes, Et lorsque la fureur à la haine se joint ? Persuadez, Seigneur, mais ne tourmentez point. Servir ainsi les Dieux, c'est en souiller la gloire. Modérez vos transports ; et sans vouloir vous croire, Employez sur des coeurs, rarement abattus, Les conseils, la raison, l'exemple des vertus. C'est de ces mêmes Dieux imiter la clémence. Est-ce par la rigueur que le zèle commence ? Laissez la vérité seule se soutenir, Et confondez l'erreur au lieu de la punir. ANTIOCHUS. Eh ! Qui ne connaît pas, même en leur esclavage, Des Juifs l'humeur hautaine, et le zèle sauvage ? La douceur, les conseils, tout est hors de saison. Un fatal préjugé fait toute leur raison. Il semble, à les ouïr, que rien ne les effraie. Mais c'est dans les tourments que la nature est vraie. Plus le sang d'Asmonée enfin a de splendeur, Plus de leur foi sa perte affaiblira l'ardeur. J'en dois le sacrifice, et l'exemple à ma gloire, À l'intérêt du Ciel. PHOSTIME. Ah ! Gardez-vous de croire Que d'un supplice affreux les terribles apprêts, Seigneur, fassent aux Juifs respecter vos arrêts. J'ignore quel pouvoir soutient leurs grands courages : Mais je ne puis penser que parmi tant d'outrages, Qu'au milieu des tourments pouvant se secourir, Pour une indigne cause, ils brûlent de mourir. Quel fruit espérez-vous d'une injuste poursuite ? Des contradictions l'humanité s'irrite ; Et jusqu'en sa ruine est étrange à tel point, Que son orgueil gémit, et ne se dompte point. Paré d'un droit auguste, autant que légitime, Quoi que vous me disiez, je compte que Phostime, Chargé d'exécuter un ordre généreux, N'a point en vain prêté sa voix aux malheureux ; C'est justice en effet, Seigneur, ce n'est point grâce. ANTIOCHUS. Ce grand zèle pour eux doit passer pour audace. Et quant à ces traités qui pourraient nous lier, Il n'est pas temps encor de m'en justifier, Aux portes de Memphis, suivi de mon armée, J'irai de mes raisons informer Ptolémée. Attendant que mes pas s'en ouvrent les chemins, Il pourra mendier le secours des Romains. PHOSTIME. Hé bien, si son appui que l'Orient révère, Ne peut ravir aux fers, et les fils, et la mère ; Si négligeant des cris portés jusques aux Cieux, Vous osez vous souiller d'un sang si précieux ; Si toujours dépendant des conseils tyranniques, De tant de cruautés, de misères publiques, Le cours trop dangereux n'est bientôt arrêté, C'est à vous de songer à votre sûreté. ANTIOCHUS. Ah ! Je pourrais, après une telle menace... Mais, non, c'est à ton Maître à punir ton audace. Va, sort de mes États où je donne la loi, Et rends grâce à des droits que je respecte en moi. PHOSTIME. Je pars. Non, cependant que d'indignes alarmes Souillent ici ma gloire et l'honneur de mes armes, Connaissez mieux Phostime, et tel qui dans ce jour Ordonne mon départ, doit craindre mon retour. SCÈNE IX. Antiochus, Achas. ACHAS. Tout est à redouter de leur intelligence, Seigneur, assurez-vous une juste vengeance. ANTIOCHUS. Oui, c'en est trop. Tu sais que cinq de ces hébreux Sont dans le Fort. Suis-moi. Je vais ouvrir par eux Cette sanglante épreuve, où leur fureur les livre. Qu'on leur montre mes lois, qu'ils jurent de les suivre ; Ou que leur mort apprenne aux Juifs humiliés, Que je crains peu l'Égypte, et ses fiers Alliés. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Antiochus, Achas. ANTIOCHUS. Salmone a vu cinq fils à tant de maux en proie, Et n'a versé, dis-tu, que des larmes de joie, Et de chacun d'entre eux les supplices nouveaux Ranimaient leur courage, et lassaient les Bourreaux ? Ô fureur, qu'à l'envi chacun a fait paraître, Que du nom de vertu l'on honore peut-être ! ACHAS. Ils semblaient soutenus par un pouvoir divin, Et bénissaient le Dieu qu'ils imploraient en vain. Salmone, à qui sa foi présentait ses Oracles, Qui, sans être ébranlée à ces tristes spectacles, Suit, d'un zèle imposteur, les attraits décevants, Sans regretter les morts pleure ses fils vivants. Le plus jeune surtout excite sa tendresse. C'est au seul Azaël que sa douleur s'adresse : Et ce fils, par votre ordre amené dans ces lieux, Est présent à son coeur, s'il ne l'est à ses yeux. Mais, Seigneur, on s'étonne avec quelque justice D'un ordre qui le semble arracher au supplice, Et de votre faveur paraît seul le flatter. De vos premiers desseins, qui peut vous écarter ? ANTIOCHUS. Toi-même ignores-tu ce qui fait sa défense, Que cher à Zoraïde, elle aime son enfance, Qu'au berceau même, en elle un soin trop complaisant L'amusait des erreurs d'un culte séduisant ? Par lui, je puis mouvoir sa tendresse inquiète, Et m'ouvrir vers son coeur une route secrète. Et quant à cet Enfant, poursuivant mes projets, Je vais tourner ses yeux sur de plus doux objets. ACHAS. N'en doutez point ; pour lui dans ses vives alarmes, Zoraïde à vos pieds ira mettre ses charmes : À l'honneur de son Dieu, toujours prête à céder, Vous l'y verrez en pleurs vous le redemander. ANTIOCHUS. Ah ! C'est où je l'attends. Au zèle, qui l'enflamme, L'état de cet Enfant doit ébranler son âme. Par mon ordre, en ces lieux, à l'envi caressé, Il ignore, dit-on, tout ce qui s'est passé. Mais je crains que mon rang ne l'étonnât peut-être. Il doit être introduit ici sans me connaître. Plus libre en ses discours, il s'expliquera mieux. Enfin, pour l'amener au culte de nos Dieux, Des moyens les plus doux, j'ai voulu faire usage. Mais on entre. C'est lui. Grands Dieux ! Sur son visage, À sa noble pudeur, quels charmes sont unis ! SCÈNE II. Antiochus, Azaël, Achas, Gardes. AZAËL. Où suis-je, Dieu puissant ? ANTIOCHUS. Approchez-vous, mon fils, Je crois devoir ce nom à la juste tendresse, Dont pour vous en ce lieu le mouvement me presse. Osez parler. Mes soins préviendront vos désirs. Mais vous ne répondez que par de longs soupirs. AZAËL. De vos soins généreux, grâce vous soit rendue. Mais d'où vient qu'à vos yeux mon âme est éperdue ? Je ne respire ici qu'une secrète horreur. Mes sens frémissent tous. Ah ! D'un cruel malheur, Seigneur, n'est-ce point là l'effet, ou le présage ? Vous le dirai-je ? Enfin, plus je vous envisage, Plus mon sang se soulève, et mon coeur est frappé. Ah ! Dans ce sang, vos mains n'ont-elles point trempé ? ANTIOCHUS. Justes Dieux ! AZAËL. Pardonnez ces craintes indiscrètes ; Et ne me laissez plus ignorer qui vous êtes. ANTIOCHUS. Ne craignez rien, mon fils, j'en atteste les Cieux, Vos intérêts, vos jours, pour moi sont précieux. Zoraïde pour vous sans doute eut moins de zèle. AZAËL. Quel nom, quel souvenir votre bonté rappelle ! En quittant le tyran, hélas ! Que ses esprits, Et d'horreur, et d'effroi nous ont paru surpris ! Je lui doit tout, Seigneur : le zèle qui l'entraîne, À son gré m'enflammait, ou d'amour, ou de haine. ANTIOCHUS. Dieux ! Qu'entends-je ? AZAËL. Je cherche en vain de toutes parts. Ici, rien de connu ne s'offre à mes regards. Je n'y découvre rien, dont mon coeur ne frissonne. Juste Ciel ! Rendez-moi Zoraïde et Salmone. Et vous, pour redonner le calme à mes esprits ; Seigneur, que par vos soins... ANTIOCHUS. Vous les verrez, mon fils. AZAËL. Sans doute, d'Israël déplorant les misères, Leur piété gémit au milieu de mes frères. Mais ne puis-je savoir quel étrange dessein, Par un coup imprévu, m'arrache de leur sein ? Me verrai-je longtemps privé de leur exemple ? Quand pourrai-je avec eux assister dans le Temple, Rendre au Maître des Rois un honneur immortel, Offrir, avec mes voeux, l'encens sur son Autel ? Que dis-je ? De soldats une troupe insolente Soutient, d'un Roi cruel, la victoire sanglante, Et profane un lieu saint, des Anges redouté. ANTIOCHUS. Mais ce Roi, quel qu'il soit doit être respecté. Songez-vous bien qu'il est maître de cet Empire ? Je vois à cette ardeur que votre âme respire, Dans quel aveuglement vous êtes élevé. À de nobles destins, par les Dieux réservé, C'est moi seul désormais, qui prétends vous conduire. Du vrai culte, mon fils, je saurai vous instruire. De mon zèle, en ces lieux, vos frères sont témoins. Ce jour vous l'apprendra ; leur exemple, du moins... AZAËL. Ah ! Que me dites-vous ? Ô Ciel ! Le dois-je croire, Que de Dieu jusques là bannissant la mémoire, Mes frères... Mais ici tout doit m'être suspect. De ce Palais souillé, dérobons-nous l'aspect. Souffrez que loin d'ici, loin de votre présence, Je puisse respirer la paix et l'innocence. ANTIOCHUS, aux Gardes. Quel trouble ! De mes yeux, éloignez cet enfant. SCÈNE III. Antiochus, Achas. ANTIOCHUS. De sa douleur, mon coeur à peine se défend, Peu s'en faut, que touché d'une surprise extrême, Je ne me porte, Achas, à m'accuser moi-même. Peut-être, je le dois. Et dans quel sang plongé, De combien de vertus, je me vois assiégé ! Je persécute un coeur, où j'ose encor prétendre : J'y veux troubler l'amour, l'amitié la plus tendre, J'y poursuis Azaël. Dans le mien combattu, Dangereuse pitié, que me demandes-tu ? Ah ! Loin de succéder au courroux qui me guide, Passe plutôt toi-même au coeur de Zoraïde De tous tes mouvements, le mien doit s'affranchir : C'est elle, et non pas moi, qu'il te faudrait fléchir, Objet infortuné de sa rigueur extrême. Mais on entre. Que vois-je ? Ô Ciel ! C'est elle-même. SCÈNE IV. Antiochus, Zoraïde, Achas, Phoedime. ZORAÏDE. Seigneur, ne craignez rien. L'auteur de mes malheurs Ne sera pas longtemps fatigué de mes pleurs. Tout doit rendre vers vous ma démarche timide : Et je sais trop combien la triste Zoraïde, Au comble des douleurs, et des adversités, A su mettre d'obstacle entre elle et vos bontés. J'ose pourtant garder un reste d'espérance : Votre gloire, Seigneur, m'en donne l'assurance. Dans les plus grands revers, le Ciel, aux malheureux, Laisse des droits sacrés sur les coeurs généreux. ANTIOCHUS. Dans ce discours, madame, où tend votre prière ? ZORAÏDE. Au nom des pleurs, du sang d'une famille entière, Ne poussez pas plus loin un courroux trop cruel. À nos voeux, à son Dieu, daignez rendre Azaël. On dit (et d'Israël la gloire s'en offense) Que votre ordre ; en ces lieux, ne retient son enfance, Que pour former son coeur au culte de vos Dieux, Et pour nous charger tous d'un opprobre odieux. Ah ! De tout Israël l'espérance est tombée. Vous le savez, Seigneur, ce même Maccabée, Que le Ciel, à mon sort, unissait pour toujours, Je n'ai point craint tantôt d'en exposer les jours. Mais s'il faut, d'Azaël, que la gloire ternie, De son crime sur nous jette l'ignominie, N'épargnez plus sur moi ni courroux, ni rigueur ; Et du moins, par pitié, percez ce triste coeur ; Ou rendez un enfant aux larmes de sa mère : Elle attend de mes pleurs la fin de sa misère. De quel prix son salut n'est-il point parmi nous, Lorsque pour l'obtenir j'embrasse vos genoux ? ANTIOCHUS. Ah ! Madame, arrêtez, et cessez vos alarmes. Connaissez mieux enfin, tout le prix de vos larmes. Et quels coeurs, devant vous, tellement indomptés ? C'est à moi bien plutôt d'implorer vos bontés. Vous-même de mon sort, arbitre souveraine, Ordonnez en Maîtresse, et commandez en Reine. Le destin d'Israël n'a rien à redouter. Dites un mot, madame, et daignez accepter, Au milieu des transports, dont mon âme est saisie, La main qui vous élève au Trône de l'Asie. ZORAÏDE. Est-ce là le projet, et les voeux que tu fais, Roi cruel ? Mets-tu donc ce prix à tes bienfaits ? De ton premier courroux tu rappelles les traces ! L'offre de ta Couronne ajoute à mes disgrâces. Plutôt que voir remplir tes desseins odieux, Périsse, avec ton nom, et ton Trône, et tes Dieux. ANTIOCHUS. Ah ! Cruelle, c'est trop insulter à ma flamme. Et puisque rien enfin ne peut toucher votre âme, Ni Grandeurs, ni le Sceptre entre vos mains remis, À ma vengeance au moins tout doit être permis. Tremblez pour votre Dieu, pour ses honneurs suprêmes : Tremblez pour Maccabée, et pour Azaël mêmes. Dans votre amour, ainsi facile à vous tromper, Vous ignorez les coups, dont je vais les frapper. Avec eux, votre zèle expirera peut-être. À Achas. Écoute un mot. Grands Dieux ! Prends pitié de ton Maître ; Va chercher Maccabée ? En s'en allant. Ô sort vraiment fatal, D'attendre mon bonheur du secours d'un Rival ! SCÈNE V. Zoraïde, Phoedime. ZORAÏDE. Ô Ciel ! Dans le transport où son coeur s'abandonne, Quel est l'ordre cruel que ce tyran lui donne ? Je tremble que Solime, en proie à ses douleurs, Ne rejette sur moi le sujet de ses pleurs, Ne charge mon orgueil de tout le sang qui crie ; Qu'Azaël, du tyran éprouvant la furie, Ma main, jusqu'à son coeur ne conduise ses coups : Mais je crains plus encor pour les jours d'un époux. Peut-être n'est-il plus. Ô Ciel ! Dans mes alarmes, Laisse-moi sans courroux te confier mes larmes. Pleine d'un saint orgueil avec tes ennemis, Ce n'est que devant toi, grand Dieu ! que je gémis. Dans quels ennuis, sans toi, mon âme descend-t-elle ? Viens toi-même au secours d'une faible mortelle. Si tu ne me soutiens, je cède à mon effroi. On vient. SCÈNE VI. Zoraïde, Maccabée, Phoedime. ZORAÏDE. Cher Maccabée, est-ce vous que je vois ? Venez sécher les pleurs d'une amante éperdue. MACCABÉE. À mes regards enfin le Ciel vous a rendue. Mais prêt à signaler son auguste pouvoir, Qu'il va me vendre cher le plaisir de vous voir : Jamais votre beauté ne m'offrit tant de charmes. Que ne puis-je tarir la source de vos larmes ? ZORAÏDE. Plus que jamais, hélas ! C'est à nous d'en verser. Nos malheurs sont plus grands que tu ne peux penser, Et déjà du tyran les arrêts sanguinaires Ont fait dans les tourments périr cinq de tes frères. MACCABÉE. Ciel ! Que m'apprenez-vous ? ZORAÏDE. Que pour comble d'effroi, D'Azaël en ces lieux, on attaque la foi. Antiochus usant d'une cruelle adresse, Au sein de ce Palais, le flatte, le caresse, Fait briller à ses yeux ses dons empoisonnés, Et de profanes jeux les apprêts ordonnés. Dans son coeur jeune encor, que la fureur assiège, Il croit du Dieu des Juifs... MACCABÉE. Ô projet sacrilège ! Détestable complot ! Hé bien, Madame, hé bien, Il faut, de tant de maux, rompre ici le lien. De la plus sainte ardeur dès votre enfance éprise, C'est de vous que dépend cette illustre entreprise. ZORAÏDE. Il n'est rien qu'avec toi n'ose ici ma vertu. Mais ne diffère point. Parle. Qu'exiges-tu ? MACCABÉE. Ce qu'avec tous les juifs Azaël te demande. Quel prix plus éclatant, quelle gloire plus grande Réservait le Ciel à nos projets remplis ? ZORAÏDE. Mais, pour me l'annoncer, d'où vient que tu pâlis ? MACCABÉE. D'un si noble dessein, l'éclat seul me rassure. Je sens se mutiner l'amour et la nature : Et mon coeur déchiré des plus vives douleurs... ZORAÏDE. Quoi donc ? Par quel motif... MACCABÉE. Juges-en par mes pleurs. ZORAÏDE. Tu pleures ! Ah ! Cruel, que ta douleur me blesse ? Parle, à m'ouvrir ton coeur, montre moins de faiblesse. Crois-tu dans le péril mon courage abattu ? Crains-tu ma lâcheté ? MACCABÉE. Non, je crains ta vertu. Souffre que je l'appelle au secours de la mienne. De quoi qu'en ta faveur la gloire m'entretienne, Je ne puis, sans frémir, le dire. ZORAÏDE. Achève, enfin, Ou je meurs. MACCABÉE. D'Israël assure le destin. Des voeux d'Antiochus, arbitre souveraine, Que la Syrie, en toi reconnaisse sa Reine ; Et sans plus écouter un coeur trop généreux, Remets au Ciel mon sort. ZORAÏDE. Que dis-tu malheureux ? MACCABÉE. Ainsi jadis Esther, par Mardochée instruite, Sauva la Nation toute entière proscrite : Au coeur d'Assuérus mit cette vive ardeur, À qui dût Israël sa gloire, et sa splendeur. Pour remplir nos destins, pour finir nos misères, Il suffit de ma mort, de celle de mes frères. Par nous, aux grands revers, un beau champ va s'ouvrir, Et j'en ai l'assurance en l'ardeur ce mourir. ZORAÏDE. Quoi ! Du sang de mon père encor toute baignée, Et parmi les clameurs de son ombre indignée, Lorsque de ton trépas l'appareil élevé Vient troubler un hymen tout prêt d'être achevé, Que je vois Maccabée, aux conseils qu'il m'adresse, Peut-être, en ce moment, douter de ma tendresse, Et m'indiquer lui-même un indigne recours, On m'invite à songer au salut de mes jours ? En cherchant le trépas, tu prétends m'y soustraire. À nos premiers projets, qui te rend si contraire ? Dans la noble carrière, où je te vois courir, Ingrat, suis-je à tes yeux indigne de mourir ? Du tyran, dont l'ardeur malgré moi s'est montrée, Les regards jusques là m'ont-ils déshonorée ? MACCABÉE. Non, vis pour Israël, sauve pour lui tes jours. Que sa gloire à tes yeux, se présente toujours. Songe que du Seigneur l'honneur ainsi l'ordonne ; Et que si sur tes pas la vertu monte au Trône, Qu'elle y règne avec toi, jointe à tant de beauté, Tu calmes tout à coup un Vainqueur irrité. Je sais que dans mes mains cette offrande te blesse, Que ton coeur en gémit, et qu'enfin ta tendresseMe reproche en secret le douloureux emploi D'oser te déclarer les sentiments du Roi. Moi-même j'en rougis. Sans cet effort insigne, De tes bontés pourtant je ne serais pas digne ; Je dois les mériter. Ô tourments rigoureux ! Je deviens, de mes maux l'instrument malheureux. Je vois, de mes conseils la victime moi-même, Dans les bras d'un rival passer tout ce que j'aime ZORAÏDE. Hélas ! MACCABÉE. Tourne tes voeux vers des objets plus saints, Et fais, d'Antiochus, tomber tous les desseins. Arrache de ses mains le fruit de sa victoire ; Ménage son courroux, sans offenser ta gloire, Et laissant à Dieu seul à conduire tes pas, En toi conserve un sang qu'il ne demande pas. ZORAÏDE. Non, non, ne prétends pas qu'au zèle qui m'enflamme, Que malgré ton exemple... SCÈNE VII. Salmone, Zoraïde, Maccabée, Phoedime. ZORAÏDE, à Salmone. Ah ! Permettez, Madame, Qu'à vos soins Zoraïde ose ici recourir, Quand Maccabée... SALMONE. Hé bien ? ZORAÏDE. Me défend de mourir. SALMONE. Dans ce grand jour, dirai-je ! Heureux, ou bien funeste, Laissons, laissons agir la puissance céleste. Cinq de mes fils sont morts, on les vient d'immoler. Le sort seul d'Azaël doit nous faire trembler, Que toujours la Loi sainte occupe sa mémoire, Du sang qu'il a reçu, qu'il rappelle la gloire : Vois l'état d'Israël, grand Dieu ! Pardonne-moi, Si son salut me semble être digne de toi. Rappelle en sa faveur tes antiques promesses, Arrête d'un tyran les fureurs vengeresses. Pharaon de colère, et de trouble saisi, Parut moins formidable à ton Peuple choisi. Confonds dans ses projets l'orgueil qui l'environne. Renverser nos Autels, c'est attaquer ton Trône. SCÈNE VIII. Antiochus, Salmone, Zoraïde, Maccabée, Phoedime, Gardes. ANTIOCHUS. Eh bien ! Quel est le fruit de ton généreux soin ? MACCABÉE. J'ai fait ce que j'ai dû. Dieu qui m'en est témoin, Et de qui la Sagesse à nos conseils préside, À conduit à son gré le coeur de Zoraïde. Ce Dieu n'en doute point, de sa gloire jaloux, Laisse sa flamme libre ainsi que mon courroux. ZORAÏDE. Il ne veut rien devoir à ta fausse clémence. Il peut, quand il lui plaît, arrêter ta vengeance, Et punir ton orgueil de ses droits oubliés. ANTIOCHUS. Et ne suffit-il pas de me voir à vos pieds ? ZORAÏDE, à Maccabée. Perfide, c'est donc là ce qu'on m'osait promettre ? SCÈNE IX. Antiochus, Salmone, Zoraïde, Maccabée, Achas, Phoedime, Gardes. ACHAS. Oui, moi-même, Seigneur, j'ai surpris cette lettre, De toute la Syrie elle importe au repos. Antiochus lit. Asaph à Phostime. Puisse jusques à vous ma marche dérobée, Avant la fin du jour rejoindre nos drapeaux ; Et sauvant de ses fers l'auteur de nos complots, Au Peuple qui l'attend présenter Maccabée. À Maccabée. Ah ! C'est à toi de craindre, et le fer, et la flamme, Traître. À Zoraïde. Vous ne pourrez me reprocher, Madame, Qu'esclave d'un amour, à ma gloire fatal, Mon injuste courroux ne cherchait qu'un rival. Allons, qu'on le ramène, et poursuivons Phostime, Vengeons de tous les Rois la cause légitime : Et pour plus digne offrande à nos Dieux satisfaits, Dans les mêmes tourments confondons tes forfaits. MACCABÉE. La cause de ma mort consacre ma mémoire, Elle couvre mon sang d'une immortelle gloire. SALMONE. Va braver le trépas. ZORAÏDE. Soutiens ce noble effort. MACCABÉE. C'est courir au triomphe, et non pas à la mort. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Antiochus, Achas. ANTIOCHUS. Ainsi donc avec moi les Dieux d'intelligence, Achèvent mon triomphe, et comblent ma vengeance ! Et si j'en crois des bruits, en ces lieux répandus, Dans leur déroute, Asaph, et Phostime éperdus, Ont cherché leur retraite en des cavernes sombres ; Et c'est là, dans l'horreur, et des cris et des ombres, Que de pâles mutins, dans un désordre affreuxSe trouvent investis les restes malheureux. À ces derniers périls, ma vie est dérobée. Je ne puis trop hâter la mort de Maccabée. Trop heureux, de pouvoir, après son attentat, Immoler un rival à des raisons d'État ! Il en est temps, il faut que son sort s'accomplisse. Faisons exécuter l'arrêt de son supplice. Va, pars, que tout Solime en frémisse aujourd'hui. ACHAS. Quoi ! Cet ordre, Seigneur, ne regarde que lui ? Et pourquoi d'Azaël suspendre la disgrâce ? Ah ! Plutôt, d'Asmonée exterminer la race. Pour Zoraïde, après tant de fiers traitements, Conservez-vous encor quelque ménagement ? Et toujours dépendant d'un orgueil qui nous blesse, N'avez-vous pas assez montré votre faiblesse ? Se peut-il qu'un héros jusqu'ici triomphant... ANTIOCHUS. Je n'ai que trop de pente à perdre cet enfant. Je le puis, je le dois. Mais tu connais l'ingrate. Dans ses erreurs, Achas, tu sais ce qui la flatte. Et pour mieux la punir de son orgueil cruel, Arrachons cet enfant au culte d'Israël. Ce sera la combler d'une douleur amère. Et c'est dans ce dessein que j'ai mandé la mère. Elle verra son fils ; et pour mieux l'asservir, C'est d'elle, et de ses pleurs, que je veux me servir. Quoique pour ses Autels Salmone enfin redoute, Ce fils lui reste seul ; la nature, sans doute, Reprenant tous ses soins en faveur d'Azaël, Fera taire le zèle, et la foi d'Israël. ACHAS. Ah ! Je crains bien plutôt, Seigneur, à vous entendre, Que votre amour ici ne cherche à vous surprendre ; Et que ce mouvement, que vous nous laissez voir, De Zoraïde encor ne marque le pouvoir. ANTIOCHUS. Va, cours exécuter l'ordre, que je te donne. Que le traître expirant... Mais j'aperçois Salmone. Retenons un courroux trop prompt à s'exhaler, Et que pour mieux servir je dois dissimuler. SCÈNE II. Antiochus, Salmone. ANTIOCHUS. Je ne le cèle point. Votre malheur me touche, Madame, ah ! Que je plains ce courage farouche, Qui du sang de vos fils, même ne s'émeut pas, Et plus cruel que moi, les conduit au trépas ! Hé quoi : Ce Dieu, qu'en vain tout Israël implore, Devrait-il jusques là vous imposer encore ? Dans les feux Maccabée achève son destin. SALMONE. Ô Ciel ! ANTIOCHUS. Un fils vous reste. Ouvres les yeux, enfin. Est-ce moi, qui prenant des entrailles de père, Doit défendre Azaël contre sa propre mère ? Faut-il en sa faveur exciter votre amour ? Sous vos yeux, sous les miens, élevé dans ma Cour, De ses nobles aïeux rappelant la mémoire, Il y trouvera des traces de leur gloire. SALMONE. Je puis donc espérer, Seigneur, de voir mon ils. Je puis... ANTIOCHUS. Vous l'allez voir, mais sachez à quel prix. Donnez-lui devant moi des conseils salutaires. Vous-même détestant ces charmes, ces mystères, Dont l'impie Israël a souillé ses Autels, Montrez-lui le respect qu'il doit aux Immortels. Mais ne prétendez point vous parer d'un vain zèle. Pour lui, pour vous, craignez un regard infidèle, Un mot seul ; et songez qu'arbitre de son sort, Vous tenez dans vos mains, ou sa vie, ou sa mort. SALMONE. Ah ! Que demandez-vous? Dans mes justes alarmes, Du moins en liberté, laissez couler mes larmes. ANTIOCHUS. Puissiez-vous, pour ses jours, assez vous attendrir. Sans ce dernier effort, songez qu'il va périr. SALMONE. C'en est fait. Dans mon coeur le sang ne peut se taire. Oui, je vais lui donner un conseil salutaire. ANTIOCHUS. Le voici. SALMONE. Je tiendrai tout ce que j'ai promis. SCÈNE III. Antiochus, Salmone, Azaël, Gardes. AZAËL. Ô ma Mère, est-ce vous ? SALMONE. Est-ce donc toi, mon fils ? Est-ce toi, qu'en mon sein le ciel vient de remettre ? Il me rend le seul bien que j'osais me promettre. Puissent jusques au bout mes voeux être exaucés ! AZAËL. Ciel ! À quels vains honneurs, dont mes yeux sont lassés, Succèdent dans vos bras ces caresses si chères ? Mais d'où vient qu'avec vous je ne vois point mes frères ? Oui, leur présence manque à de si doux transports. SALMONE. Ô mon fils ! AZAËL. Achevez. SALMONE. Tous tes frères sont morts. AZAËL. Grand Dieu ! SALMONE. Dans les tourments, ils ont perdus la vie. AZAËL. Par quel ordre cruel, leur est-elle ravie ? SALMONE. À l'envi chacun d'eux a soutenu sa foi ; Et n'a pu, d'Israël abandonner la Loi. AZAËL. Ainsi donc leur trépas consacre leur mémoire. Juste Ciel ! Que ne puis-je en partager la gloire ? SALMONE. Quoi ! Mon fils, sur leurs pas, sans craindre de souffrir, À la main des bourreaux tu te pourrais offrir ? Et leur exemple, en toi, ne trouvant point d'obstacle, Donnerait à ta mère un si touchant spectacle ? Trop plein d'un si beau sang, et d'un nom si fameux, Le dernier de mes fils voudrait mourir comme eux ? Et de tant de héros offrant tout ce qui reste... AZAËL. Ah que me dites-vous ? Quelle pitié funeste, Des pleurs si dangereux veulent-ils m'arracher ? Dans tes sentiers, grand Dieu, toujours prêt à marcher, Le zèle de ta Loi me conduit, et me presse. SALMONE. Ô mon fils ! Tes transports me comblent d'allégresse. Voilà ce que mes voeux ont demandé pour toi. ANTIOCHUS. Dieux ! SALMONE. Le bûcher est prêt, viens mourir avec moi. Et bravant du tyran la cruelle puissance... ANTIOCHUS. Perfide, arrête. AZAËL. Allons affronter sa vengeance. ANTIOCHUS, à Azaël. Demeure, et reconnais toi-même Antiochus. AZAËL. Antiochus ? SALMONE. C'est lui. AZAËL. Dans mes sens éperdus, La nature a parlé. Ses oracles sincères Me présentaient en toi l'assassin de mes frères. ANTIOCHUS. Apprends, du moins, apprends à respecter ton Roi. AZAËL. Mon Roi ! Qu'entends-je ? Ô Ciel ! Crois-tu régner sur moi, Barbare ? Prétends-tu régler ma destinée ? J'obéis à la Loi par l'Éternel donnée. Prêt à rendre à son nom tout ce que je lui dois, À souffrir, à mourir, en défendant ses droits, Heureux d'unir ma peine aux tourments de mes frères, D'arroser de mon sang des dépouilles si chères ! Mais où suis-je ? Ton sort se découvre à mes yeux. Roi cruel ! Je te vois à toi-même odieux, Confesser dans le cours d'un trouble épouvantable, Que le Dieu d'Israël est le Dieu véritable. Il t'a mis dans le rang de ceux qu'il a proscrits, Et sa miséricorde est sourde à tous tes cris. Je vois dans les douleurs ton corps couvert de plaies. Mais tu pâlis, barbare, et déjà tu t'effraies. Ta lâcheté se montre à ton indigne effroi, Qui vécut en tyran, ne peut mourir en Roi. ANTIOCHUS. De tous côtés en butte à tant de violence, Est-ce que je ne puis rompre un honteux silence ? Lâche et cruel amour, c'est trop me retenir. SALMONE. Ah ! C'est trop en effet tarder à nous punir. Qu'attends-tu donc ? Poursuis tes desseins sanguinaires. Notre mort d'Israël va finir les misères, Elle éteindra les feux qu'allume ton courroux, Barbare, et ce sera le dernier de tes coups. Le juste dans ses maux toujours se glorifie : Dieu devient son soutien. Il tue et vivifie. Il reproduit des jours dans ses Décrets cachés. Et ranime la cendre et les os desséchés. D'Abraham dans sa gloire il suscite la race. Vous, qui de vos vertus laissez ici la trace, Que sous les yeux de Dieu dans mes flancs j'ai portés, Et dans mes bras pressants par moi-même allaités, Ô mes fils ! Rendez-moi le pris de mes tendresses. Si la chair et l'esprit souffrent quelques faiblesses, Au milieu des tourments soutenez notre foi, Et que nos Bourreaux seuls en pâlissent d'effroi. ANTIOCHUS. Ah ! Sans plus différer, ôtez-les de ma vue. Qu'ils subissent la peine enfin qui leur est due ; Et qu'aux flammes en proie, au glaive abandonnés, Leur mort serve d'exemple aux siècles étonnés. SALMONE. Dans le sein de Dieu même assurés de revivre, Allons, mon fils, allons. AZAËL. Je brûle de vous suivre. SALMONE. C'est toi qui me soutiens par un si beau transport. AZAËL. C'est à vous que je dois et ma vie et ma mort. SCÈNE IV. ANTIOCHUS, seul. Ah ! Peu s'en faut qu'en moi-même je n'envie Cette gloire attachée au mépris de la vie, Où la vertu sans doute épuise son pouvoir, Et que soutient peut-être un légitime espoir. SCÈNE V. Antiochus, Alcime. ALCIME. Tout est perdu, Seigneur, et dans ses murs Solime Rejoint avec Asaph les mutins et Phostime. ANTIOCHUS. Phostime ? ALCIME. L'ennemi grossit à chaque pas ; Et de son sein la terre enfante des soldats. Jusqu'en ces lieux, répond une secrète issue, D'où l'on tient que jadis contre la foi reçue, Nos bataillons entrés par cent détours obscurs, Chassèrent les Vainqueurs loin de ces mêmes murs. C'est en vain qu'opposant vos troupes les plus fières, Ménélaüs s'avance, et défend les barrières, Au-dedans des remparts lui-même enveloppé, De mille coups mortels vient de tomber frappé. Et le peuple déjà menaçant vos Cohortes, De ce Palais, en foule, environne les portes, Le trépas de Salmone et de son dernier fils Élève jusqu'au Ciel sa douleur et ses cris. Partout dans tous les yeux sa fureur est empreinte. Comme il est sans espoir, il se montre sans crainte. ANTIOCHUS. Viens, suis-moi, cher Alcime. À ces peuples vaincus, Pour les dissiper tous, montrons Antiochus. De Phostime en ces lieux faisons tomber la tête : Par lui le châtiment doit commencer... SCÈNE VI. Antiochus, Zoraïde, Alcime. ZORAÏDE. Arrête. Tremble toi-même, il est aux portes du Palais, Et s'avance vers toi pour punir tes forfaits. Voilà ton espérance et ta gloire tombées. Tu vas voir le Vengeur du sang des Maccabées. Des grands Asmonéens, dans la nuit du tombeau, Par toi descend la race, et leur destin si beau. Père, époux, tout périt par tes feux, par tes armes. Leur mort en liberté laisse du moins mes larmes. Mon coeur peut à son gré déplorer nos malheurs, Et te faire un tourment de mes propres douleurs. Et toi qui par tes lois renouvelant la terre, Sue le Mont Sinaï fit gronder son tonnerre, Fais- le tomber sur qui les osa mépriser. De tes feux à son tour tu le dois embraser. Aux pieds de tes Autels sa main qui nous opprime A voulu faire aux Juifs un tombeau de Solime. Puisse plutôt en lui rappelant tous ses droits Ta justice à jamais épouvanter les Rois. Par son exemple affreux, que l'impie... ANTIOCHUS. Ah ! Madame, D'un courroux si cruel n'accablez plus mon âme. Je cède, et de vos maux mon coeur est pénétré. Dans ce coeur attendri le remords est entré. Mais Ciel ! À chaque instant ma terreur se redouble. Quelle affreuse douleur s'est mêlée à mon trouble ? À quels tourments secrets cèdent tous mes efforts ? Quelle vapeur brûlante occupe tout mon corps ! Mais quoi ! Sur le bûcher je vois Salmone encore Dieux ! Le feu la respecte, et c'est moi qu'il dévore. De ses jeunes enfants déjà l'essaim nombreux S'élève dans le Ciel qui s'entrouvre pour eux. ZORAÏDE. Dieu puissant ! ANTIOCHUS. Ah ! Parlez. Que faut-il que je fasse ? D'Israël même encor je puis changer la face. Ma main va relever vos Autels abattus. Que ne pourrais-je point aidé de vos vertus ? Trop heureux de tenter un effort qui vous plaise. Mais par vos soins surtout que votre Dieu s'apaise.Qu'à bon droit devant lui les Rois humiliés Adorent sa puissance et tremblent à ses pieds. Son courroux quand il veut peut les réduire en poudre. Mais quoi ! De tous côtés, j'entends gronder la foudre. SCÈNE VII. Antiochus, Zoraïde, Phoedime, Alcime, Gardes. ACHAS. Venez, Seigneur, venez, et quittons ces climats. Le Juif triomphe ici. Cependant vos soldats, Pour conserver un Roi que la Syrie adore, Au travers des périls se feront jour encore : Je vous réponds pour eux d'un invincible effort. Marchons. ANTIOCHUS. Il n'est pour moi d'espoir que dans la mort. Où me réduit l'éclat de ton pouvoir immense ? Grand Dieu ! Sans l'espérer j'implore ta clémence. SCÈNE VIII. ZORAÏDE, seule. Seigneur, dans ses desseins, que peuvent devant toi Ceux dont l'orgueil impie ose attaquer ta loi ? C'est pour leur châtiment que leur courroux s'enflamme. Mais que vois-je ? Grand Dieu ! SCÈNE IX ET DERNIÈRE. Zoraïde, Phostime. PHOSTIME. Venez, venez, Madame, Des armes d'Israël le succès glorieux, Contraint Antiochus d'abandonner ces lieux. Le trouble, la terreur le suit dans sa retraite. Vous savez ses progrès ; plus prompte est sa défaite. De leurs saints ornements vos Autels dépouillés, De l'aspect du tyran ne seront plus souillés. Vos Lévites sacrés ont calmé leurs alarmes ; Et le Temple est ouvert à vos yeux, à vos larmes. Venez ; et sans tarder, y conduisant vos pas, J'y veux rendre avec vous grâce au Dieu des combats. ZORAÏDE. Seigneur, dans les vrais biens que sa main nous dispense, Puisse votre vertu, trouver sa récompense ! ==================================================