******************************************************** DC.Title = SAÜL, TRAGÉDIE DC.Author = NADAL, Augustin DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 24/05/2023 à 06:06:52. DC.Coverage = Israël DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/NADAL_SAUL.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5460384b DC.Source.cote = BnF LLA YF-6692 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** SAÜL TRAGÉDIE tirée de l'Écriture Sainte. M. DCC. XXXI. Avec Approbation et privilège du Roi. Par M. L'ABBÉ NADAL. À PARIS, Chez la Veuve RIBOU, rue des Fossés Saint-Germain, vis-à-vis de la Comédie Française, à l'Image Saint-Louis. PRÉFACE. J'ai toujours regardé Saül comme un sujet, qui dans l'Écriture Sainte revenait en quelque sorte à celui d'OEdipe dans la Fable, c'est-à-dire, comme un sujet qui avait toutes les qualités qu'Aristote demande pour la perfection du Poète Dramatique. Saül, en effet, ne nous paraît d'abord ni juste, ni méchant dans un souverain degré, et à ne regarder que d'une première vue ce qui a donné lieu à sa réprobation, il serait difficile de le condamner jusqu'à lui refuser sa pitié. Il entre même dans sa désobéissance, je ne sais quelle religion et quelle vertu ; et s'il tombe ensuite dans une infinité de crimes, c'est comme involontairement, et comme emporté par l'effet d'une Justice terrible. Le Prophète Samuel lui ordonne de se rendre à Galgala, et de l'y attendre pendant sept jours pour offrir le Sacrifice au Seigneur. Saül pressé par les Philistins, et même abandonné par les siens, voyant que le septième jour était venu, et qu'il n'avait point encore de nouvelles de Samüel, crut qu'il ne devait point engager le combat sans avoir apaisé le Seigneur ; Il osa donc lui sacrifier, et Samuel arriva lorsqu'il achevait d'offrir l'Holocauste. Cette précipitation de Saül contre les ordres de Dieu et de son Prophète, a été la première cause de sa réprobation. Les Amalécites étaient venus fondre avec toutes leurs forces sur le Peuple de Dieu, au sortir de l'Égypte. Dieu fut irrité contre la perfidie d'un peuple, qui étant sorti d'Ésaü, et par conséquent d'Abraham, comme les Israélites, se devait considérer à leur égard comme leur étant uni par le lien du sang. Dieu dans sa colère dit à Moïse, J'exterminerai Amalec ; et il y aura une guerre de race en race entre lui et moi. Quatre cents ans après, Dieu choisit Saul pour exécuter sa volonté dans la ruine de ce Peuple. Il lui fit dire par Samuel de marcher contre Amalec, et de passer tout au fil de l'épée, depuis l'homme jusqu'à l'enfant qui serait à la mamelle, et jusques aux vils troupeaux. Saül tailla en pièces tout ce qui se trouva depuis Hevila jusqu'à Sur, qui est vis à vis de l'Égypte ; mais il épargna Agag leur Roi qu'il avait pris vif, et réserva ce qu'il y avait de meilleur dans les Troupeaux pour l'immoler au Seigneur. Telle a été la seconde désobéissance de Saül ; de là ce trouble dans son esprit, qui succéda à l'esprit de Dieu, de là le meurtre de plus de quatre-vingts Prêtres revêtus de leurs habits sacrés ; la désolation de toute la Ville Sacerdotale de Nobé ; cette haine si injuste et si cruelle dont Saül fut animé contre David ; cette consultation de la Pythonisse sur la défaite d'Israël ; et enfin la mort de ce malheureux Roi, qui est l'action de ma Tragédie. J'ai dérobé l'apparition de l'ombre de Samuel au Spectateur, non seulement par la difficulté de l'exécution sur le Théâtre, mais encore parce qu'il m'a semblé que l'ombre en paraissant, n'ajouterait rien à la terreur que j'ai cru qu'exciterait la reconnaissance du Roi, de la manière qu'elle est amenée. D'ailleurs la conduite que je gardais en cela, rejetait dans le quatrième acte le récit de cette même apparition, qui pouvait être assez vif pour se soutenir encore après la Scène de la Pythonisse et de Saül. Je ne dois chercher à justifier ma conduite en cela, que par le grand succès de cette même Scène, qui (si j'ose le dire) a également saisi la Cour et la Ville. Les Interprètes de l'Écriture demeurent d'accord, que cette apparition de l'ombre de Samuel se fit par un ordre particulier de la Justice de Dieu, qui prit le moment d'une évocation vaine et stérile, pour produire un événement aussi extraordinaire que celui-là, et qui épouvanta la Pythonisse elle-même. Quelques-uns disent que le Démon qui se transforme en Ange de lumière, se présenta alors à Saül sous la figure de Samuel ; et le sentiment de quelques autres est que l'âme même de Samuel s'apparut à Saül. Ce qui est dit dans l'Ecclésiastique favorise cette dernière opinion : Samuel, dit l'Écriture, s'endormit du sommeil des Justes, et il fit connaître au Roi la fin de sa vie. Sa voix s'éleva du fond de la terre pour prophétiser la ruine des Impies. L'Épisode d'Asser m'a parut nécessaire. J'ai cru qu'il fallait mettre David dans un plus grand péril, et par conséquent lui proposer quelqu'un qui fût intéressé à le perdre, et à qui je donnerais toute la confiance de Saül. C'est ce qui m'a obligé même de rendre Asser amoureux de Michol, pour lui donner par là des motifs plus pressants pour agir contre David. Je fais venir David du Camp des Philistins dans celui de Saül ; quoique ayant été quelque temps dans l'Armée ennemie, disposé même en apparence à combattre contre Israël, il eût cependant été obligé, sur l'émulation des Chefs des Troupes des Philistins, de se retirer dans Siceleg, qu'Achis Roi de Geth lui avait abandonné pour sa demeure, et qui passa depuis de cette manière sous la domination des Rois de Juda. Mais cette licence m'a paru d'autant plus permise, qu'elle m'a servi à déployer le caractère, et à mettre dans un plus grand jour les moeurs et les sentiments de David. Je n'ai point cru que Saül dût expirer sur sa haine. Et voulant sauver aux yeux du Spectateur cet air de réprobation qui aurait pu le lui rendre odieux, je me suis servi du retour de David pour ménager une réconciliation entre lui et Saül mourant d'un coup mortel qu'il vient de se donner, et qui semble lui rendre toute son innocence. J'ai pris quelques libertés à l'égard de quelques noms, pour ne me servir que de noms connus et consacrés. J'ai parlé de Sion, comme étant sous la domination de Saül, quoique je n'ignorasse pas que les Jébuséens en fussent alors les maîtres, et que ce fut sur eux que David longtemps après reprit cette Forteresse. Le Poète ne peut ni ne doit être aussi exact et aussi scrupuleux que l'Historien, et ceux qui ont traité de sacrilège la moindre altération des circonstances tant soit peu considérables de l'Écriture Sainte, nous ont appris par leur exemple à négliger quelquefois leurs préceptes. MONSEIGNEUR, Votre Altesse Royale, a bien voulu me permettre la liberté que je prends de lui offrir cette Tragédie, mais je la supplie de croire, que quelque puissante que soit sa protection, c'est un hommage rendu à des qualités plus précieuses que toute la gloire et tous les avantages de son Sang. Cet esprit de discernement, qui dans les Ouvrages les plus élevés, saisit d'abord ce qu'il y a de bon et de mauvais, qui se fait jour au travers de toutes les expressions, et de toutes les Images qui peuvent nous séduire et nous éblouir davantage, pour considérer les choses de plus près, et ne les regarder qu'en elles-mêmes ; cet esprit de discernement, Monseigneur, tel que nous l'admirons dans V. A. R. n'est d'ordinaire que le partage des âmes du premier Ordre, et ne marche guères, si j'ose le dire, qu'avec les plus grandes vertus. Quel bonheur pour toutes les personnes, dont la profession est de cultiver les belles Lettres, de trouver dans un grand Prince, comme vous, le Protecteur de ces mêmes Ouvrages, dont vous êtes devenu l'Arbitre par la netteté de vos jugements et de vos décisions ! Si lorsqu'on entreprend de faire des Tragédies, on se proposait l'honneur de vous plaire, et de travailler selon votre goût, ce serait sans doute un objet capable de remuer puissamment, et d'élever l'âme d'un Poète. Il faut le dire aussi, Monseigneur, rien n'est plus digne du loisir des plus grands Hommes, que ces sortes de spectacles, qui sont faits pour le coeur et pour l'esprit, et dont la raison elle-même s'est servie, pour nous ramener à nos devoirs par le plaisir le plus noble et le plus délicat. Pour moi, Monseigneur, excité par une approbation aussi glorieuse que la vôtre, j'oserai tenter de nouveaux efforts. Heureux, si ayant à peindre des Héros, non pas toujours tels qu'ils devaient être, cette occasion me procurait l'honneur d'approcher de plus près Votre Altesse Royale, et me mettre à la source de ces grands sentiments dont nous n'avons que de légères idées. Je suis avec un respect profond, MONSEIGNEUR, De Votre Altesse Royale, Le très humble et très obéissant Serviteur, l'Abbé Nadal. ACTEURS SAÜL, roi d'Israël. JONATHAS, fils de Saül. MICHOL, fille de Saül et Femme de David. DAVID, mari de Michol. ASSER, confident de Saül. ÉLISE, confidente de Michol. ACHAS, confident de Jonathas. La PHYTONISSE, ou magicienne. ISRAÉLITES, de la suite du Roi. La Scène est dans le Camp, aux environs de Gelboé, dans la Tente de Saül. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Jonathas, Achas. ACHAS. Quoi ? Saül, qui partout vainqueur des Philistins, D'Israël abattu releva les destins, Qui vit à le servir nos Tribus toujours prêtes, D'Hevila jusqu'à Sur étendre ses conquêtes, Brisa l'orgueil des Rois soulevés contre lui, Attend-il qu'en son camp, on le force aujourd'hui ? Et démentant ici sa conduite ordinaire... JONATHAS. Et ne connais-tu pas le trouble de mon Père ? Dans les divers transports dont il est combattu, De ses malheurs, du moins, sépare sa vertu. J'en rougis comme toi ; mais parmi tant d'alarmes, Il faut le plaindre, Achas, et lui donner des larmes. Tu sais pour l'élever au suprême degré, De quel état obscur le Ciel l'ayant tiré, Fit monter sur un Trône où tant de splendeur brille, De Benjamin en lui la dernière famille. De sa grandeur alors plus qu'un autre étonné, Longtemps à s'y soustraire on le vit obstiné. Mais si jamais le Ciel par d'éclatantes marques, Justifia le Sceptre et le choix des Monarques, Si sa voix aux mortels peut se faire écouter, Tout l'appelait au Trône où tu l'as vu monter. De ce nouvel empire enfin dépositaire, Des Décrets du Seigneur il perçait le mystère. Du feu de l'Esprit saint effets prodigieux ! Le plus sombre avenir se montrait à ses yeux. Par sa bouche le Ciel annonçait ses Oracles, Il confirmait son choix par de nouveaux miracles ; Et sa faveur depuis se déclarant toujours, Par d'immortels exploits signalait tous ses jours. Mais depuis qu'épargnant une odieuse race, L'ennemi du Seigneur devant lui trouva grâce, Reste impur d'Amalec à nos coups échappé, D'une secrète horreur il est toujours frappé. David, surtout David, est l'objet qui le blesse. Appliqué sans relâche à nourrir sa faiblesse, Dans d'éternels soupçons conçus sans fondement, Son esprit inquiet trouve son châtiment ; Et rappelant en vain sa vertu démentie, Il semble que du Ciel la main appesantie, Cherche à venger sur lui le mépris de ses Lois, Et veut par son exemple effrayer tous les Rois. ACHAS. J'ignore le succès que le Ciel lui destine ; Mais l'Empire, Seigneur, penche vers sa ruine : Pressé de tous côtés, Israël aujourd'hui Ne peut trouver qu'en vous sa gloire et son appui. JONATHAS. Ah ! Si pour détourner un si funeste orage, Il ne fallait, Achas, qu'écouter mon courage, Qu'au milieu des périls précipiter mes pas, Tu vois toujours en moi ce même Jonathas, Qui vingt fois à tes yeux emporté par la gloire, Des bras de tant de Rois arracha la Victoire. Mais nos Juifs qu'en tous lieux entraînaient mes exploits, N'ont plus pour moi l'ardeur qu'ils avaient autrefois. Le Ciel ajoute encor, pour comble de misère, La révolte d'un camp, au trouble de mon Père ; Et parmi le Soldat tu vois quelle chaleur De David jusqu'au Ciel élève la valeur. L'espoir de son retour est tout ce qui le flatte, Tout le camp à la fois, presse, murmure, éclate... ACHAS. D'un camp tout plein encore de vos faits glorieux, Le murmure, Seigneur, vous est injurieux ; Mais songez qu'il s'agit de sauver un Empire. Quelque ressentiment qu'un noble orgueil inspire, Ne nous écoutons plus quand l'État veut parler ; S'il demande David, faites-le rappeler ; Et par là Jonathas assurant la victoire, Même en la partageant augmentera sa gloire. JONATHAS. De sa gloire en ces lieux tu crois donc que jaloux, Je détourne un secours qui les rassure tous ? Non, non, mon amitié qu'un pareil soupçon blesse, Ne connaît point pour lui cette indigne faiblesse. Mais pense-t-on qu'après ces cruels traitements, À la Cour de Saül reçus à tous moments, Tous ces pièges dressés que sa valeur évite, Cette soif de son sang, son exil et sa fuite, Seul et funeste fruit des plus nobles hasards, David que Siceleg reçut dans ses remparts, Au mépris d'une vie utile à la Judée, Tentât encor du Roi la foi si mal gardée ? Que dis-je ? Il t'en souvient ; à ses coups dérobé, La fureur de Saül le cherchait dans Nobé. Du Pontife avec lui suspect d'intelligence, Le funeste trépas signala sa vengeance ; Israël en pâlit ; Nobé dans ses remparts Vit la flamme et le fer briller de toutes parts ; Parmi les cris, les pleurs, l'enfance confondue Dans les bras tout sanglants d'une mère éperdue ; Jusqu'aux pieds des Autels nos Prêtres assiégés, Et de Ministres saints quatre-vingts égorgés. Tu vis combien son âme encore peu satisfaite, Rejeta les conseils de ce fameux Prophète, Samuel, qui du Ciel en naissant inspiré, De Saül jeune alors, oignit le front sacré. Et qui sait en effet si Dieu dans sa colère, Ne poursuit point sur nous les crimes de mon Père ?Cependant le temps presse, et pour dernier secours, J'ai fait venir ma Soeur ici depuis deux jours. ACHAS. Depuis ce même temps, éloigné de l'armée, J'en ai trouvé partout la nouvelle semée. Mais quel dessein, Seigneur, l'appelle dans ces lieux Où rien ne peut s'offrir qui ne blesse les yeux ? Où le fier appareil... JONATHAS. Comme toi, par avance, Du retour de David j'ai senti l'importance. Et comme par ma Soeur je puis mieux l'espérer, Du secours de ses pleurs j'ai voulu m'assurer. Même intérêt confond son destin et le nôtre, Elle est femme de l'un, elle est fille de l'autre ; Même, aux brigues d'Asser je pourrai l'opposer, Tu vois que de mon Père il peut seul disposer, Quoiqu'il souffre à regret l'éclat qui l'environne, Reste d'un sang fatal qui prétendit au Trône, Et qui jadis armant les plus séditieux Opposa ses complots au choix même des Cieux. Sans doute il se souvient qu'en d'autres mains remise, Ma Soeur aux yeux d'Asser avait été promise ; Que mon Père depuis s'imposant une loi, Rompit l'hymen d'Asser, et dégagea sa foi. Mais soit qu'en lui l'effet de quelque ardeur secrète, Nourrisse de son coeur l'espérance indiscrète, Que jusques à ma Soeur il lève encor les yeux, Ou soit qu'il tourne ailleurs ses voeux ambitieux, Ennemi de David il cherche à le détruire. Dans les desseins secrets qu'il forme de lui nuire, Et dont tu le peux voir jour et nuit occupé, Je me suis vu souvent moi-même enveloppé. Mais ma Soeur vient, quel trouble élevé dans son âme Conduit vers nous ses pas ? SCÈNE II. Jonathas, Michol, Achas, Élise. JONATHAS. Que fait le Roi, Madame ? MICHOL. Ah ! Venez avec moi combattre ses transports. C'est maintenant qu'il faut redoubler nos efforts. Des vengeances du Ciel déplorable victime, De sa vertu première un reste encor l'anime, Et dans ce triste état son exemple fait voir Tout ce qu'en un grand coeur produit le désespoir. S'il suit ses mouvements, sa perte devient sûre ; De tout le camp mon Père ignore le murmure. Mais, mon Frère, à lui seul c'est trop l'abandonner. Prévenez un malheur qui peut tout entraîner. Hâtez-vous, craignez tout du trouble qui l'inspire, Et songez que sa chute est celle de l'Empire. JONATHAS. Vous-même de David assurer le retour. Venez faire parler la nature et l'amour. Je sais qu'Éliézer à vos ordres fidèle, De l'état de Saül lui porte la nouvelle ; Mais c'est peu qu'une lettre exposant vos douleurs, Trouve encor David sensible à nos malheurs, Du Soldat mutiné lui peigne l'insolence, Et nos fiers ennemis triomphant par avance ; En vain vous fléchiriez le coeur de votre Époux, Si nous n'avons du Roi désarmé le courroux. MICHOL. Hélas ! De ce courroux injuste ou légitime, Je suis, Prince, je suis la première victime. Ciel arbitre des Rois, où me réduisez-vous ? Je vois sans cesse un Père armé contre un Époux : Tour à tour dans mon coeur leur défense m'est chère, Si j'aime mon Époux, je respecte mon Père ; Et dans ce triste état une sanglante loi Semble en les séparant les unir contre moi. JONATHAS. Madame, il n'est pas temps de répandre des larmes, Songez à prévenir de plus tristes alarmes. Allons où le devoir vous appelle avec moi, Ne tardons plus, courons. Mais on vient, c'est le Roi. SCÈNE III. Saül, Jonathas, Michol, Achas, Asser et Élise. SAÜL. Que vois-je ici ? Quel soin rassemble ma famille, Et présente à mes yeux Jonathas et ma Fille ? À Asser.Rentre, ce que je veux confier à ta foi Ne permet point, Asser, d'autre témoin que toi. Asser sort.Mais moi-même je sens que mon transport me laisse. Ah ! Sortons, et fuyons une indigne faiblesse. Mon dessein a besoin de toute ma fureur. MICHOL. Mon Père, où courrez-vous ? JONATHAS. Où fuyez-vous, Seigneur ? SAÜL. Pourquoi ne puis-je, hélas ! Fuyant plus loin encore, Dérober à vos yeux l'ennui qui me dévore, Et du Ciel sur moi seul épuiser le courroux Qu'un noir pressentiment me fait craindre pour vous ? Je crains que sa fureur, par de nouveaux supplices, De mes crimes encor ne vous rende complices, Et de tant de grandeurs ne vous laisse pour fruit, Le malheur qui m'accable, et la mort qui me fuit. MICHOL. Le Ciel sur vous, Seigneur, jette un oeil moins sévère. Quel crime avez-vous fait ? Jadis dans sa colère, Lui-même il vous dicta ses ordres souverains, Et voulut châtier Amalec par vos mains. Sa voix parle. Une aveugle et prompte obéissance, De nos Pères trahis entreprend la vengeance. Le bruit de votre nom déjà sert son courroux, La victoire et l'effroi marchent loin devant vous ; Tout l'Orient se trouble, et malgré tous ses Princes Un déluge de sang inonde ses Provinces. Votre main triomphante en arrête le cours, Ou plutôt d'Agag seul elle épargne les jours ; Échappé d'une guerre en tant d'horreurs fertile, À vos genoux, Seigneur, un Roi trouve un asile, D'un ennemi vaincu vous devenez l'appui, Est-ce là le forfait qui vous trouble aujourd'hui ? SAÜL. Des jugements d'un Dieu qui peut percer l'abîme ? Cette même clémence à ses yeux est un crime. Soit qu'il faille lui plaire, ou servir son courroux, La pitié cruelle exige tout de nous. Sans cesse, ou l'instrument, ou l'objet de sa haine, Nous n'avons qu'à ce prix la grandeur souveraine. Et si son bras sur nous vient à lancer ses traits, Alors ses châtiments passent tous ses bienfaits. Plus heureux dans l'état d'une obscure naissance, J'aurais peut-être encor ma première innocence : Pourquoi venant lui-même au-devant de mes pas, M'offrirait-il des grandeurs que je ne cherchais pas ? JONATHAS. Mais, Seigneur, quels malheurs marquent votre disgrâce ; Et depuis quand l'Empire a-t-il changé de face ? Quel est votre ennemi ? Jadis le Philistin N'offrait à votre espoir qu'un triomphe certain : Pourquoi donc dans ce jour... SAÜL. Hélas ! Que vous dirai-je ? Je crains Agag, je crains cette main sacrilège, Qui jadis au mépris des ordres immortels, Se hâta d'allumer le feu sur les Autels. Je crains dans ma fureur Nobé réduit en cendre, Le sang d'un Peuple saint que l'on a vu répandre. Tant de voeux rebutés, tant d'impuissants regrets, Nos victimes, le Ciel, nos Prophètes muets ; Tout m'épouvante, et n'offre à mon âme abattue, Qu'une foule de maux, dont le moindre me tue. JONATHAS. Hé bien, de nos destins, sans hasarder vos jours, Souffrez, Seigneur, que seuls nous poursuivions le cours ; D'autant plus assurés au combat qui s'apprête, Que nous ne craindrons point pour votre auguste tête. Mais avant tout, Seigneur, daignez nous accorder, Un secours important que j'ose demander. Rappelez un Héros qui chérit votre gloire, Dont partout la présence entraîne la victoire, Que de ses envieux la fureur vous ravit ; Que par des noeuds sacrés... SAÜL. Moi, rappeler David ? Vous voulez qu'en mon sein je recèle un perfide, Un rebelle, un ingrat, que dis-je ! Un parricide ? D'une indigne amitié perdez le souvenir, Vous pressez son retour, craignez de l'obtenir. Qu'à bon droit aujourd'hui mon courroux implacable N'impute qu'à lui seul le malheur qui m'accable ; Mais enfin sans chercher à déciller vos yeux, Ne vous suffit-il pas qu'il me soit odieux ? Ah ! Le sang contre vous à peine me rassure : Et quand vous épousez l'intérêt d'un parjure, Puis-je après ses forfaits, et le noeud qui vous joint, Parmi mes ennemis ne vous confondre point ? MICHOL. Je ne vous parle plus, Seigneur, comme à mon Père. Hélas ! Ce nom sacré ne vous touche plus guère ; Mais pleine de douleur, aussi bien que d'effroi, Oubliant qui je suis, je m'adresse à mon Roi. Je viens pour un Époux vous demander justice ; Et s'il est criminel ordonnez son supplice. Mais de son innocence aujourd'hui défenseur De l'imposture aussi confondez la noirceur. En vain j'ai recherché les crimes d'une vie Et toujours enviée, et toujours poursuivie ; De tous côtés, Seigneur, je ne vois que vertus, Que des Rois subjugués, des Peuples abattus, D'un superbe Ennemi l'audace réprimée, D'Israël consterné la gloire ranimée, Et tant d'autres exploits dont votre coeur épris, Dans mon Hymen alors lui fit trouver le prix. Errant et fugitif avec quelques Cohortes, On dit que Siceleg l'a reçu dans ses portes ; Mais que sur Amalec détournant tous ses coups, Parmi vos ennemis, il n'agit que pour vous. Qu'Achis même, trompé par ses marches couvertes, Croit tous les jours par lui s'enrichir de nos pertes, Lorsque le même bras qui devient notre appui, N'a pu nous épargner sans retomber sur lui. Mais si dans ces remparts Siceleg le recèle, Que de vos mains, Seigneur, un ordre l'en rappelle : Ces monstres dont l'envie attira le courroux, S'enfuiront devant lui, s'il paraît devant vous. JONATHAS. Oui, Seigneur, écartez un soupçon qui l'outrage ; De ses persécuteurs votre haine est l'ouvrage, Leur envie alluma ce courroux éternel, David moins vertueux serait moins criminel. Quand l'oreille d'un Roi s'ouvre à la calomnie, D'injustices, de maux, quelle suite infinie ! Des plus nobles dehors le méchant revêtu, Attaque l'innocence, et poursuit la vertu ; Et jaloux d'un Sujet dont la gloire le gêne, Fait servir et l'Empire, et les Rois à sa haine. Dût enfin m'accabler, Seigneur, votre courroux, Je ne ménage rien quand je parle pour vous. De ma Soeur en ces lieux dissipez les alarmes, Accordez un époux à ses voeux, à ses larmes ; À vous-même, aux destins d'Israël hasardez... SAÜL. Hé bien, il faut vouloir ce que vous demandez. Immolons à David votre gloire et la mienne. Vous voulez son retour, je consens qu'il revienne ; Qu'à son ambition ici nos propres mains, D'un Trône qu'il dévore ouvrent tous les chemins : Malgré moi, contre vous, il vous faut satisfaire. Si par tous les complots que j'attends pour salaire Il justifie encore un si juste courroux, Sa perfidie au moins me vengera de vous. MICHOL. Ah ! Dans mon Roi, Seigneur, je retrouve mon Père. Ainsi le Ciel s'apprête à finir ma misère. Sur nos sacrés Autels que d'encens va brûler ! Courrons hâter l'instant qui doit le rappeler. Bientôt vous le verrez voler pour vous défendre. Mais, que vous veut Asser ? SCÈNE IV. Saül, Jonathas, Michol, Asser, Achas. SAÜL. Que viens-tu nous apprendre ? ASSER. Ah ! Prévenez les maux qui menacent l'État. D'un Enfant d'Israël apprenez l'attentat. De l'Empire déjà partageant la conquête, Le Philistin s'avance, et David à leur tête. L'élite de nos Juifs par lui-même séduits, A paru dans leur Camp sous les drapeaux d'Achis. Et que sert à Sion l'appui de ses murailles, Lorsque ses propres mains déchirent ses entrailles ? Du combat dans le Camp on a semé le bruit, Et l'on ne doute point que le jour qui nous luit, De vos fiers ennemis n'excite le courage, Et n'éclaire entre vous un horrible carnage. MICHOL. Ah ! Ciel ! JONATHAS. Qu'entends-je ? SAÜL. Hé bien, daignez ouvrir les yeux, Reconnaissez enfin ce Héros glorieux. C'est donc là pour son Roi cette ardeur qui le presse ? Où m'allait emporter une aveugle tendresse ? Mon courroux dans mon coeur était près d'expirer. Ah ! Barbare ! Avec toi tout semble conspirer. De tous ses attentats le Ciel même est complice. Allons, je vais moi seul poursuivre son supplice. Trahi de toutes parts, je mourrai sans effroi, Si j'entraîne en mourant le perfide avec moi. SCÈNE V. Jonathas, Michol, Achas, Élise. MICHOL. De tout ce que j'entends, grand Dieu, que dois-je croire ? Quoi ? Jusques là David aurait trahi sa gloire ? Quoi ! De Sion en pleurs le triste souvenir, Votre amitié, le sang n'ont pu le retenir ? Si malgré tant de noeuds, le soin de sa vengeance Entre un barbare et lui remet l'intelligence, S'il dément en ce jour tant d'exploits immortels, Et du Dieu d'Abraham foule aux pieds les Autels. Hélas ! Puis-je penser que fidèle à sa flamme, Quand il immole tout, il épargne sa femme ? JONATHAS. Vous écoutez peut-être un injuste transport : D'Éliézer au moins attendez le rapport. Adieu, de mon côté je vais moi-même apprendre D'où naît ce bruit fâcheux que l'on vient de répandre. L'imposture sans doute aura pu le semer. SCÈNE VI. Michol, Élise. MICHOL. Ah ! Courons sur leurs pas pour mieux m'en informer. Hélas ! De quels desseins faut-il qu'on le soupçonne ? Et toi, qui vois la crainte où mon coeur s'abandonne, Daigne m'apprendre, ô Ciel, dans un mal si pressant, Si David est coupable, ou s'il est innocent. ACTE II SCÈNE I. Michol, Élise. MICHOL. Élise, ce rapport n'était que trop fidèle ; Et confirmant d'Asser la sanglante nouvelle, Éliézer déjà de retour dans ces lieux, À des pleurs plus cruels ouvre encore mes yeux. On dit qu'avec Achis David d'intelligence, Par des liens plus forts s'unit à sa vengeance : Et le coup qu'à mon Père il adresse aujourd'hui, Doit me percer le coeur pour aller jusqu'à lui. ÉLISE. Quel est le fondement d'un discours qui m'étonne ? Ô Ciel ! Que dites-vous ? MICHOL. Que l'ingrat m'abandonne. Par quel éclat trompeur d'amour et de vertu Au dernier des affronts, Ciel, me préparais-tu ? Quelle honte pour moi, pour toute ma famille, Si de ce Roi barbare il épouse la fille ! Ce bruit dont à tes yeux mon coeur est éperdu, Dans toute la Judée est déjà répandu. Aux filles d'Israël mon malheur se raconte, Tout l'Univers bientôt sera plein de ma honte. Mais, chère Élise, enfin connais-en tout l'excès, Tu vois de tant de pleurs le funeste succès. Fille d'un Roi puissant, sous qui trembla l'Asie, Vil enfant de Jessé, David me sacrifie, D'un sacrilège amour je sais son coeur épris ; Et loin de l'en punir par un juste mépris, Ordinaire ressource en de telles disgrâces, Je sens que mon coeur vole encore sur ses traces ; Que loin de s'indigner contre un perfide Époux, J'ai plus d'amour encor que je n'ai de courroux. ÉLISE. Quoi ! Sans chercher, Madame, aucune autre lumière, Votre âme au moindre bruit se livre toute entière, Et déjà croit David rangé sous d'autres Lois ? Ah ! Songez bien plutôt à quels brillants exploits Saül de votre coeur attachant la conquête, De six cents Philistins lui demanda la tête. Après tous ces efforts pour aller jusqu'à vous, Quel soudain changement craignez-vous d'un Époux ? Je vois dans ses desseins un secret que j'ignore : Mais sans doute pour lui le Ciel agit encore. Vous le verrez, Madame ; et loin de vous trahir... MICHOL. En vain par tes discours tu prétends m'éblouir. Mais il faut détourner cet orage funeste. C'en est fait, commençons, le Ciel fera le reste. Je cours exécuter un illustre dessein, Que l'amour et la gloire ont formé dans mon sein. Il est digne du sang dont le Ciel m'a fait naître : Allons trouver le Roi. Mais je le vois paraître. Quel est le nouveau trouble, ô Ciel, où je le vois ? SCÈNE II. Saül, Michol, Achas, Élise. SAÜL. Quoi ! Mes propres Sujets m'imposeront la loi ? Il ne vous manque plus, trop pleins de vos alarmes, Qu'à tourner contre moi la pointe de vos armes, Lâches, vous refusez de marcher sur mes pas. Allez, Achas, allez qu'on cherche Jonathas ; Qu'il vienne, de son Père embrassant la défense, Et soutenir ma gloire, et punir leur offense. SCÈNE III. Saül, Michol, Élise. SAÜL. Ma Fille, vous voyez où me réduit le sort. Au sortir de ces lieux, plein d'un juste transport, J'allais, vous le savez, par l'effort de mes armes, Ou périr, ou venger ma puissance et vos larmes ; Mais tout un Camp est sourd à mon commandement, Je n'ai trouvé que trouble et que frémissement. À quelle foi, grand Dieu, quelle fureur succède ? MICHOL. Cédez, Seigneur, cédez au temps à qui tout cède. Sachez par un conseil prudent et généreux, De leur propre fureur sauver des malheureux. Sauvez l'État, vous-même. Un seul secours vous reste, Détachez un Héros d'une ligue funeste ; De ses engagements rompez tous les liens, Je puis vous en ouvrir d'infaillibles moyens. SAÜL. Qui moi ! J'irais, frappé d'une crainte servile, Contre ma gloire encor prendre un soin inutile ? MICHOL. Non, non, C'est à mes pleurs que ce soin est permis. Souffrez que j'aille... SAÜL. Où donc ? MICHOL. Au Camp des Ennemis. SAÜL. Qu'entends-je, juste Ciel ! Ma surprise est extrême. Ma Fille dans leur Camp ? Vous ? MICHOL. Oui, Seigneur, moi-même. Qui pourrait m'arrêter, et que redoutez-vous ? La présence, le nom, le rang de mon Époux, La splendeur de ce sang dont je suis descendue ; La majorité des Rois avec moi confondue ; L'éclat de ce projet, tout paraît écarter Ce qu'un autre peut-être aurait à redouter. Ah ! Quelque affreux péril que vous puissiez me peindre, Mes malheurs m'ont appris, Seigneur, à ne rien craindre. Toujours loin d'un Époux, tremblante pour ses jours, Le fer jusqu'en mon lit en poursuivit le cours. Un frère condamné dans les bras de la gloire, A presque de son sang racheté sa victoire. J'ose vous l'avouer avec quelque pudeur, Je n'ai pu m'affranchir d'une trop vive ardeur. Plaignez mon infortune, et voyez sans colère Mes soins pour un Époux quand ils sauvent un Père. SAÜL. Non, non, qu'un choix plus digne de vous et de moi, Ma Fille, en d'autres mains remette votre foi. Et qui sait si du Ciel la haine redoublée Ne redemande point cette foi violée Et d'Asser avec vous renouant le destin, Ne veut pas vous contraindre à lui donner la main ? MICHOL. Que dites-vous ? Ô Ciel ! Et que viens-je d'entendre ? À quelque nouveau choix, moi, je pourrais prétendre ? Je mettrais dans mon lit l'implacable ennemi Qu'en ses ressentiments j'ai moi-même affermi ? Au destin de David votre fille attachée, Par aucune autre loi n'en peut être arrachée, Et contre un noeud si saint quoi que l'on puisse oser, Ce n'est que par ma mort qu'on pourra le briser. SAÜL. Ah ! Craignez d'irriter un Père qui vous aime. Oubliez un Époux qui vous trahit lui-même ; Qui maintenant peut-être à l'aspect des faux Dieux, Lorsque pour lui de pleurs de remplissent vos yeux, Digne appui des Autels où sa main sacrifie, Forme les nouveaux noeuds de l'Hymen qui le lie. Ah ! Du moins renfermez ces regrets odieux. Ne vous souvient-il plus... SCÈNE IV. Saül, Michol, Achas, Élise. ACHAS. Je rentre dans ces lieux, Seigneur, et tout le Camp par mille cris de joie Vous annonce un secours que le Ciel vous envoie. SAÜL. Que dis-tu ? Quel secours ? Où donc est Jonathas ? ACHAS. Par votre ordre, Seigneur, je marchais sur ses pas, Lorsqu'un dessein secret l'éloignait de l'armée. Déjà sur son absence elle était alarmée, Trop pleine des périls où son coeur l'a conduit. Mais il rentre, et plus fier d'un secours qui le suit, Il semble dans l'éclat d'une nouvelle gloire, Sue ses pas en triomphe entraîner la victoire. Le Ciel est aussitôt frappé de mille cris. L'allégresse partout s'empare des esprits. On se mêle, on s'embrasse ; et parmi quelques larmes, L'espérance succède aux plus vives alarmes. Enfin de leur effroi tous vos soldats remis... SAÜL. Quoi ? Quelque espoir encor pourrait m'être permis ? Le bras de Dieu, servant le courroux qui me guide, Punirait des mutins, poursuivrait un perfide ? De l'honneur d'Israël le Ciel serait jaloux ? SCÈNE V. Saül, Jonathas, Achas, Asser, Michol, Élise. JONATHAS. N'en doutez point, Seigneur, l'Éternel est pour vous. Ainsi dans ses desseins sa sagesse éclatante Dérobe sa conduite, et surprend notre attente. Les larmes d'Israël ne coulent point en vain. Le Ciel arme pour vous une invincible main. SAÜL. Quand pourrai-je baiser cette main salutaire, Mon Fils ? Mais quoi ? Parlez c'est trop longtemps se taire. Quels sont-ils ces secours par le Ciel envoyés ? Quel est l'heureux appui ? JONATHAS. Seigneur, vous le voyez. SCÈNE VI. Saül, Jonathas, David, Michol, Asser, Achas, Élise. SAÜL. Que vois-je ? Où suis-je ? Ô Ciel ! En croirai-je ma vue ? MICHOL. Quel objet s'offre, Élise, à mon âme éperdue ? SAÜL. David devant mes yeux ! MICHOL. Daigne encor le sauver, Ciel ! SAÜL. Jusques dans mon Camp oses-tu me braver ? Perfide. DAVID. Non, Seigneur. À ma gloire fidèle, N'attendez rien de moi qui soit indigne d'elle. Moins prompt à s'exposer à cet ardent courroux, Peut-être que quelque autre aurait tout craint de vous. Mais de pareils soupçons sont d'une âme ordinaire. Je puis venir vers vous sans être téméraire : Sûr qu'en Saül par là retrouvant un appui, J'excite son grand coeur à s'armer contre lui. SAÜL. Par quel égard frivole enchaînant ma justice, Crois-tu te dérober aux rigueurs du supplice ? Et quelle foi doit-on aux perfides mortels ? Quoi donc ? Foulant aux pieds les Lois et les Autels, Étouffant dans ton coeur l'amour et la nature, Infidèle à la fois, parricide et parjure, Avec mes ennemis conjuré contre moi, Brûlant de te plonger dans le sang de ton Roi, Prêt d'envahir un trône, où mon aspect te blesse... DAVID. Ah, Seigneur ! Est-ce à moi que ce discours s'adresse ? Et de ma foi toujours peut-on se défier ? Mais plutôt est-ce à moi de me justifier ? Ma vertu jusques là ne doit point se contraindre. L'innocence en effet ne peut jamais rien craindre. Le Ciel sait la défendre, et même la venger. Entre Saül et moi c'est à lui de juger. D'ailleurs enfin le temps, le péril, tout nous presse, Un soin plus important tous deux nous intéresse. Longtemps dans Siceleg contraint de me cacher, Le salut d'Israël vient de m'en arracher. D'un long exil, Seigneur, la honte et la souffrance, M'a de vos ennemis acquis la confiance ; De leur prévention mon zèle s'est servi, J'ai passé dans leur Camp, de quelques Juifs suivi. Le Ciel de mes desseins aplanissaient la voie, Le Roi de Geth, Achis me reçoit avec joie. Bientôt me prodiguant ses secrets entretiens, Il cherche à m'attacher par les plus forts liens, Et veut d'un malheureux que votre haine chasse, Par l'Hymen de sa fille honorer la disgrâce. Mais frappé d'un discours que j'écoute à regret, Tous mes sens soulevés frémissent en secret, Et mon coeur rappelant des flammes légitimes De ses offres alors lui fait autant de crimes. Enfin dans son parti ces Rois intéressés, Ces mille légions, tous ces chars hérissés, Prêt de fondre sur vous l'impétueux orage Du plus pressant péril me laissant voir l'image ; Malgré le peu d'espoir dont mon coeur est flatté, Je propose une paix, et je suis écouté. L'ennemi dans mes mains a remis sa querelle : Dans votre Camp, Seigneur, voilà ce qui m'appelle. Du désir de la paix si vous étiez pressé, Parlez, je cours finir ce que j'ai commencé. Mais si toujours ardent contre un peuple idolâtre, Le grand coeur de Saül ne cherche qu'à combattre, DE l'honneur d'Israël et du vôtre jaloux, Souffrez que je soutienne un si noble courroux. Commandez, permettez que marchant sur mes traces, Six cents Juifs qu'à mon sort attachent leurs disgrâces, Dans leur proscription fidèles à leur roi, Viennent vaincre, Seigneur, ou mourir avec moi. SAÜL. Ô Ciel ! Dans quel état votre entretien me laisse ? Dans mon coeur tout à coup quelle étrange faiblesse ? Quoi, je sens ma fureur prête à s'évanouir ? Et de mon trouble encor je le laisse jouir ? MICHOL. Que craignez-vous, Seigneur, d'une vertu si pure ? Achevez le triomphe, étouffez l'imposture. À ce trouble, du Ciel reconnaissez la voix, Et cette main de Dieu qui tient le coeur des Rois. SAÜL. Que me demandez-vous ? Ciel ! Quelle est votre envie ? Vous voulez qu'on m'arrache et l'Empire et la vie, Et loin de prévenir de funestes desseins.... DAVID. De quel sang innocent ai-je souillé mes mains ? Par des liens sacrés attachés l'un à l'autre, Je pourrais commencer par répandre le vôtre ? Et sur mon Souverain, après tant de bienfaits, Tomberait ma fureur et mes premiers forfaits ; On me verrait passer toutes les perfidies, Et sur l'Oint du Seigneur porter mes mains hardies ; Que dis-je ? En votre camp contre moi sans secours, Le sommeil et la nuit m'abandonnaient vos jours. D'un ennemi sans cesse ardent à nous poursuivre, Respecte-t-on le sang, lorsque tout nous le livre ? Cependant trop content en détournant mes pas, De vous ravir le fer dont s'armait votre bras, Je laissai de ma foi cette preuve certaine. Ah ! Si quelques mortels excitent votre haine, Puisse le Tout-puissant, arbitre entre eux et moi, Détourner sue leurs jours le courroux de mon Roi, Dévoiler à ses yeux l'artifice et le crime, Et laver de leur sang la vertu qu'on opprime. Mais si dans ses décrets impénétrable à tous, Le Ciel excite seul un si cruel courroux ; J'en adore la main : heureux si sa justice De mes remerciements reçoit le sacrifice ! Mais déjà votre coeur commence à s'ébranler ; Vous soupirez, Seigneur, je vois vos pleurs couler. Par ces augustes mains, ces genoux que j'embrasse, Achevez ; qu'à vos yeux je puisse trouver grâce, Voir enfin sur ma foi vos doutes éclaircis, Mon sang versé, pour vous confirmer... SAÜL. Ah ! Mon fils ? Vous me demandez grâce, et je suis seul coupable. Ô piété sincère ! Ô vertu qui m'accable ! C'en est trop. Mais souffrez que je respire enfin. D'Israël aujourd'hui vous saurez le destin. Jonathas, cependant allez revoir l'armée. Ma Fille, désormais cesse d'être alarmée. David en l'embrassant.Allez vous reposer dans mon appartement. Que seul avec Asser on me laisse un moment. SCÈNE VII. Saül, Asser. SAÜL. De son retour, Asser, que faut-il que je pense ? Et dans quels temps le Ciel nous rend-il sa présence ? Lorsque de tout un camp prêt à se révolter, Le murmure déjà commence d'éclater ; Que du coeur de nos Juifs la foi va disparaître ; Quand il peut se venger, lorsqu'il le doit peut-être ; Et s'il ne faut enfin rien cacher à ta foi, Quand l'effroi s'emparant de l'âme de ton Roi...Mais tu ne me dis rien. Trop plein de ta surprise, Je vois... ASSER. Que voulez-vous, Seigneur, que je vous dise ? SAÜL. Ce que je veux, Asser ? Est-ce à toi d'en douter ? Ton zèle maintenant ne peut trop éclater. Laisse un déguisement que ton respect affecte. Ose parler, ta foi ne peut m'être suspecte. ASSER. Continuez, Seigneur, un si noble dessein, Et recevez David jusques dans votre sein. J'ai vu couler pour lui de véritables larmes. Mais quoique contre vous, vous lui donniez des armes, Que peut-être ébloui par des prétextes vains, Vous le rendiez vous-même à l'espoir des mutins, Quoi que puisse ordonner enfin la destinée, Tout vous lie à la foi que vous avez donnée. SAÜL. À son nom seul, Asser, je pâlis, je frémis ; Seul il m'occupe plus que tous mes ennemis. Au bruit de ses exploits mon âme est éperdue. Mais sitôt que le Ciel le ramène à ma vue, J'écarte les soupçons que j'avais pu former, Et contre moi pour lui je suis prêt à m'armer. De mon aveuglement telle est la violence... ASSER. Ah ! Seigneur, s'il faut rompre un dangereux silence, Si mon coeur à son tour doit s'ouvrir à vos yeux, Croirai-je que David, ardent, ambitieux, Et peut-être touché d'une juste colère, Pour votre gloire encor montre un zèle sincère ? Pourriez-vous le penser ? Quoi ! Ne voyez-vous pas Son espoir, ses desseins marqués dans tous ses pas ? Croit-on dans le péril qu'en aveugle il se jette ? Il laisse Siceleg ouvert à sa retraite, Il passe aux ennemis, où même à votre aspect Suivi de tant de Juifs David n'est point suspect ; Il quitte enfin leur camp sur sa foi, sans otage ; Pour vous désabuser en faut-il davantage ? Ah ! Périsse le jour qu'il trouva votre appui, Quelle foule de maux traînait-il après lui ! En vain dans votre Cour produit par la fortune, La faveur le tira d'une foule importune, Seul coupable du sang que vous avez versé, De ce jour vos malheurs, Seigneur, ont commencé ; Comme si Samuel par un ordre suprême Eût dès lors ceint son front de votre diadème. Et quel est dans ces lieux l'appareil qui le suit ? De ses fausses vertus Jonathas est séduit. De vos peuples chéri, tout votre camp l'adore ; Et pour le condamner qu'attendez-vous encore ? SAÜL. Oui, c'est trop, cher Asser, abuser de ta foi. Mais pardonne une erreur qui n'accablait que moi. Prêt à l'abandonner au zèle qui t'anime, Mais sans cesse agité sous la main qui m'opprime, Dans le trouble où je suis, je veux exécuter Ce que tantôt mon coeur venait de projeter. Mon malheur n'admet plus que des moyens extrêmes. Viens, et sondons encor les volontés suprêmes, Fallut-il les combattre ou fléchir les genoux, Rompons un voile affreux entre le Ciel et nous. ASSER. Quoi donc, ignorez-vous qu'aux cris de nos Prophètes Le Ciel est toujours sourd ? Que leurs bouches muettes... SAÜL. Ah ! Quoique jusqu'ici le Ciel ait pu celer, Par d'autres voix, Asser, il pourra nous parler ; Et pour savoir quel sort me garde sa justice, Il faut de l'enfer même employer l'artifice. ASSER. Ciel ! SAÜL. Sans vouloir moi-même encor te retenir, Cherche un de ces Mortels qui percent l'avenir ; Le veux de Samuel interroger la cendre. ASSER. Un tel dessein, Seigneur, a de quoi me surprendre ; Et quel que soit le sort de ces esprits heureux, Est-il un art enfin qui puisse agir sur eux ! D'un pouvoir qui du Ciel perce tous les mystères, Quoi ? D'aveugles mortels seraient dépositaires ? SAÜL. Ah ! Soit que de leur art le charme dangereux Contre le Ciel agisse, ou bien le Ciel par eux ; Au seul bruit de leurs voix on sent trembler la terre, L'onde arrête son cours au lit qui la resserre, Le Ciel s'ouvre, dit-on, et se laisse entrevoir, Par eux enfin, Asser admire leur pouvoir, Les jours les plus sereins deviennent des nuits sombres, Et du sein de la mort ils évoquent les Ombres. ASSER. Ordonnez, je suis prêt ; mais ne songez-vous pas Qu'un ordre de vos mains en purgea vos États, Et que par une loi sévèrement suivie, Nul ne peut s'y montrer qu'aux dépens de sa vie ? Ah ! Du moins retenu par votre propre loi, Daignez en d'autres soins disposer de ma foi. SAÜL. Et quel est, cher Asser, cet effroi qui t'inspire ? Un Prince, de ses lois reconnaît-il l'empire ? Ce pouvoir souverain d'où partent tant de droits, En vous les imposant en affranchit les Rois. Montre enfin que pour moi ton zèle s'intéresse, Et découvre quelqu'un par force ou par adresse. Mais surtout en ces lieux conduis-le sans témoins, Va, pars, j'attends bientôt le succès de tes soins. Par là de nos destins dévoilons le mystère, Et que l'Enfer s'explique, où le Ciel veut se taire. ACTE III SCÈNE I. David, Michol. DAVID. C'est donc ici, Madame, où le Roi dans mes mains Doit remettre aujourd'hui ses ordres souverains ? Mais quoi ? Lorsqu'à vos yeux son changement éclate, Lorsque après tant de maux la fortune nous flatte, Que la terre et le ciel pour nous sont déclarés, Quel effroi vous saisit ? Que dis-je ? Vous pleurez. Ô Ciel ! De quel accueil ma tendresse est suivie ! MICHOL. Triste effet des malheurs dont je suis poursuivie ! Mon coeur d'un nouveau trouble est sans cesse agité. DAVID. Que craignez-vous ? MICHOL. Je crains ce que j'ai souhaité. D'Israël en vos mains le Ciel met la défense, Je vous revois, Seigneur, enfin votre présence Dissipe les soupçons qui m'avaient pu troubler ; Mais en me rassurant, vous me faites trembler. DAVID. Qu'entends-je ? Quel langage ! Hé Quoi ? Lorsque j'espère... MICHOL. Je vous aime, Seigneur, et je connais mon Père. Je crains quelque retour d'un coeur toujours jaloux, Je crains ce Camp nombreux trop déclaré pour vous, Leur révolte, leurs cris, la publique allégresse, Surtout de Jonathas le zèle et la tendresse, L'ennemi remettant son sort entre vos mains, Votre gloire, mes pleurs, voilà ce que je crains. DAVID. Ah ! Madame ! Saül triomphant et tranquille, À se laisser surprendre, il est vrai, trop facile, M'a pu loin de vos yeux forcer à me bannir. Mais enfin ses malheurs vont tous nous réunir. Le péril m'occupant d'un plus noble exercice, Fera pâlir l'envie, et taire l'injustice ; Et j'ai, quelque courroux qu'il gardât contre moi, Son salut pour garant au défaut de sa foi, À vos pieds dans ce jour c'est lui qui me ramène, Madame, et je bénis la fortune inhumaine, Qui nous a rapprochés par cent périls divers. Voilà ce qu'annonçaient ces Oracles couverts, Dont la promesse encor présente à ma mémoire, Du sein de mes malheurs devait tirer ma gloire. MICHOL. Hélas ! Si quelque espoir nous est encor permis, Si loin de vous compter parmi ses ennemis, Mon Père vous remet ses droits ou sa vengeance, D'où vient à vous revoir si peu de diligence ? Pour de si hauts desseins, quoi ? Ne devrait-il pas, Ou vous suivre de près, ou devancer vos pas ? Où sommes-nous enfin ? D'où vient que cette tente Ne nous présente plus cette pompe éclatante, Cet appareil guerrier, ces brillants monuments, De la grandeur des Rois terribles ornements ? Que dis-je, en tous ces lieux rien ne s'offre à la vue. Des Gardes dispersés, une Cour disparue... Quel silence se joint à l'horreur de la nuit ? Mais on ouvre, Seigneur, et j'entends quelque bruit. SCÈNE II. David, Michol, Asser. MICHOL. Le Roi vous suit sans doute, et doit ici se rendre. ASSER. Par son ordre je viens le chercher ou l'attendre. Seigneur, il ne croit pas vous trouver dans ces lieux ; Je crains que votre aspect ne blesse encor ses yeux. Prenez pour lui parler un temps plus favorable, Et donnez ce relâche au tourment qui l'accable. DAVID. Et qu'a donc mon aspect qui puisse l'offenser ? Parlez, expliquez-vous. ASSER. Daignez m'en dispenser. Son dessein cependant n'a rien qui vous regarde. Par son ordre déjà j'ai dispersé la Garde, Écarté tout le monde ; et Saül par mes soins Croit pouvoir dans ces lieux me parler sans témoins. DAVID. J'ignore les secrets dont trop de confiance Va bientôt dans vos mains remettre l'importance ; Mais je serai surpris, vous ayant consulté, Si le soin de sa gloire est le seul écouté. ASSER. Contre un pareil soupçon ma foi me justifie. Du moins, Seigneur, du moins il faut que je le die, Jamais jusques ici contre mon Souverain Siceleg ne m'a vu les armes à la main. DAVID. Moins encore a-t-on vu l'ardeur qui vous excite, Chasser loin de ses murs le fier Amalécite ; Sur lui, non sur les Juifs, s'enrichir de butin, Et même en le servant tromper le Philistin. Près d'Achis pour Saül mon zèle égal au vôtre... ASSER. Les ménager tous deux, c'est trahir l'un et l'autre. DAVID. Je me trompe, et sans vous Israël confondu... ASSER. J'en ai sauvé l'honneur. DAVID. Dites plutôt vendu ; Et d'un crédule espoir trop souvent la victime... Mais je dois retenir un courroux légitime, Et ma juste fierté que blessent vos discours, D'un si long entretien devrait finir le cours. Mais je veux voir Saül. Sa volonté connue Par lui-même... MICHOL. Ah ! Daignez vous soustraire à sa vue, Seigneur ! Vous connaissez ses transports furieux. DAVID. Hé bien, vous le voulez, je vous laisse en ces lieux. Heureux lui-même enfin, que son sang l'attendrisse. Ma gloire dépend peu d'un indigne caprice. Je respecte un courroux à lui-même cruel, D'où peut-être dépend le destin d'Israël. SCÈNE III. Michol, Asser. MICHOL. Seigneur... ASSER. Dans ce moment je n'ai rien à vous dire, Madame, à vos souhaits puisse Saül souscrire. Suivez votre dessein ; mais souffrez que pour moi, Me dégageant des soins confiés à ma foi... MICHOL. Ah ! Laissez-vous toucher d'un soin plus légitime. Si jamais votre coeur jaloux de mon estime À quelque noble effort a voulu s'élever, C'est maintenant, Seigneur, qu'il me le faut prouver ; C'est en servant David que je pourrai vous croire ; Et ne suffit-il pas pour ménager sa gloire, Quel que puisse être en vous ce courroux affermi, Qu'il ait quelques vertus, et soit votre ennemi. ASSER. Madame, sans raison votre âme est alarmée. Pour lui votre Époux voit et le Peuple et l'Armée. Leur zèle dans le Camp vient de se signaler. Mais enfin le Roi vient, vous pouvez lui parler. SCÈNE IV. Saül, Michol, Asser. MICHOL. De vos desseins, Seigneur, que faut-il que j'augure ? Quand d'un Père attendri la bonté me rassure, Quel changement sensible à mon coeur étonné Suspend un entretien par vous-même ordonné ? SAÜL. Chargé de mille soins dans mon inquiétude, Ma fille, j'ai besoin d'un peu de solitude. Votre présence même irrite mon tourment. Laissez-moi, retournez dans votre appartement. Votre Époux informé de ce que je désire, Va bientôt... MICHOL. Il suffit, Seigneur, je me retire. Puisse le Ciel lui seul vous inspirer ici. SCÈNE V. Saül, Asser. SAÜL. Hé bien, tes soins, Asser, auraient-ils réussi ? Dis-moi, quel est le fruit que je dois en attendre ? Un si soudain retour a droit de me surprendre. Sans doute le succès a trahi ton ardeur. Tout enfin se refuse à mes désirs. ASSER. Seigneur, Dans ces antres profonds qu'ouvrent ces monts fertiles, De vos Juifs éperdus autrefois les asiles, Quand l'altier Philistin inondait vos États ; Dans l'ombre de la nuit conduit par deux Soldats, Presque au sortir du Camp, la fortune m'adresse, Une femme d'Endor, fameuse Enchanteresse. Nous gagnons sa demeure, après quelques efforts, Redoutable chemin de l'Empire des Morts, Séjour affreux où semble expirer la nature. J'entre, non sans horreur. Là d'une lampe obscure, La lueur à nos yeux n'offre de toutes parts, Que funèbres objets, que des membres épars Des reptiles impurs. Pleine d'un trouble extrême, Du pouvoir de son art frémissante elle-même, La Pythonisse semble, arbitre alors du sort, Tenir entre ses mains et la vie et la mort. Je ne vous dirai point combien à notre vue Elle a paru saisie, interdite, éperdue... SAÜL. Où donc est-elle, Asser ? ASSER. Seigneur, j'ai cru devoir Sans elle dans ces lieux quelques moments vous voir. Auprès de cette Tente elle attend ma réponse. Je crains que trop d'éclat encor ne vous annonce ; Que tant d'augustes traits, en trahissant ma foi, À ses regards troublés ne découvrent le Roi. Qu'elle n'apprenne point que c'est lui qui l'implore ; Pour quelque temps au moins il faut qu'elle l'ignore. SAÜL. Et lui pourrai-je, Asser, cacher la vérité ? ASSER. Elle n'en peut, Seigneur, percer l'obscurité, Que l'Enfer conjuré ne daigne l'en instruire. SAÜL. Dans ces lieux en secret prends soin de la conduire. Va, je brûle de voir mon destin éclairci. ASSER. J'obéis, et bientôt vous l'allez voir ici. SCÈNE VI. SAÜL, seul. De mon coeur tout à coup quel mouvement s'empare ? Quelle horreur me saisit ! Par quel destin bizarre, Par de nouveaux objets à toute heure emporté, Redoutai-je de voir ce que j'ai souhaité ? Ah ! Qu'Israël touché du courroux qui t'opprime, Pleure sur tes malheurs sans détester ton crime. Sauve ta gloire au moins de ce dernier écueil, Et retire tes pas sur les bords du cercueil. Mais quel ordre invincible, et quel arrêt funeste M'attache à des desseins que mon âme déteste ? Un pouvoir dont le mien ne peut me dégager, M'entraîne dans l'abîme où je cours me plonger. Ah ! Que dis-je ? Et que craindre après ce que j'endure ? Sans doute mes malheurs ont comblé la mesure. Dans l'état où du Ciel m'a réduit le pouvoir, Il ne me reste plus que mon seul désespoir, Assez et trop longtemps son silence m'accable. Un nouveau crime enfin soulage un coeur coupable : Ce coeur de tous côtés si longtemps combattu, Même de sa fureur se fait une vertu. C'en est trop, arrachons un secret qu'on me cèle. D'un désastre prévu l'atteinte est moins cruelle. Hâtons-en le succès, et sans perdre de temps, Allons. Où veux-je aller, et qu'est-ce que j'attends ? Rebelle aux lois du Ciel dont le courroux m'assiège, Je deviens téméraire, impie et sacrilège. Non, non, retirons-nous de ces funestes lieux, Où bientôt tout l'Enfer va paraître à mes yeux. Sortons, le moment presse ; et pour punir mon crime, Déjà gronde la foudre et j'entrevois l'abîme. Fuyons la Pythonisse, éloignons-la de moi. Qu'entends-je ? On entre ; Ô Ciel ! Elle vient. Je la vois. SCÈNE VII. Saül, La Pythonisse. LA PYTHONISSE. Malgré tous les serments et la foi de mon guide, Tremblante dans ces lieux je porte un pas timide. Mon courage sur moi ne fait qu'un vain effort. Je crois que chaque pas me conduit à la mort. Aux charmes de mon art la Nature asservie, De la rigueur des lois ne sauve point ma vie. Arbitre des mortels dans ce terrible effroi, Quand je puis tout pour eux, je ne puis rien pour moi. Téméraire, est-ce toi de qui la violence Vient malgré moi d'oser m'arracher au silence ? Quoi ? La Terre m'ouvrant un asile en son sein, N'a pu me garantir d'un si hardi dessein ! Mais sais-tu de Saül quelle est la loi sanglante ? Que dis-je ? La Judée encor toute fumante Des feux que sa fureur partout fit allumer, Du sort de mes pareils n'a donc pu t'informer ? Toi-même enveloppé dans la même disgrâce, Quel fruit espères-tu de ta coupable audace ? Dans le sang innocent trop prompt à se baigner, Crois-tu que le cruel puisse ici t'épargner ? Au milieu de son Camp quelle est ton assurance ? Considère des lieux témoins de sa puissance, Où sa vengeance éclate, où dans mon juste effroi Il me semble l'ouïr, et qu'il est devant moi ; Et que pour s'éclaircir d'un secret qui le touche, C'est lui-même qui va me parler par ta bouche. SAÜL. Je sais que contre vous un arrêt rigoureux, Du secours de votre art prive les malheureux. Si le soin d'un ami qu'a touché ma misère, Vous a conduite ici malgré cet ordre austère ; Et si l'horrible aspect de ces funestes lieux Rend Saül plus à craindre, et présent à vos yeux, N'en craignez rien. Songez qu'au malheur qui me presse, Autant que la pitié, la gloire s'intéresse. Si de tous les devoirs qui règnent parmi nous, Le soin des malheureux est le plus beau de tous, Si leur soulagement veut un effort insigne, Jamais de vos secours mortel ne fut plus digne. LA PYTHONISSE. Il est des maux plus grands que tu dois t'épargner. Quitte un fatal dessein, laisse-moi m'éloigner ; Et content des malheurs dont ton âme soupire, Laisse-moi fuir des lieux où le Tyran respire ; Où son coeur, dans l'effroi d'un cruel châtiment, Et prêt d'immoler tout à son ressentiment : D'autant plus que mes soins dans ce noir sacrifice, Laissent à sa fureur quelque ombre de justice. Quelle rigueur sur nous tomberait aujourd'hui, Pour détourner le bras appesanti sur lui ? Saül surtout jaloux de son pouvoir suprême, Ardent, prompt à punir... SAÜL. J'en jure par lui-même, J'en atteste vos Dieux, un éternel oubli Va tenir ce secret dans l'ombre enseveli. Quoique par une injuste et triste destinée La foi d'un malheureux soit toujours soupçonnée, Soyez sûre pourtant de trouver dans ma foi Un gage aussi sacré que le serment d'un Roi. LA PYTHONISSE. Parler. Que me veux-tu ? De cet ennui si sombre Quel est... SAÜL. D'un mort illustre il faut évoquer l'Ombre. Sa perte m'a jeté dans un trouble cruel. LA PYTHONISSE. Et cet illustre mort quel est-il ? SAÜL. Samuel. LA PYTHONISSE. Qu'entends-je, Samuel ! Quoi ce fameux Prophète, Du grand Dieu d'Israël le fidèle interprète, Qui des jours de Saül par sa main consacré, Pour ne pas voir la fin semble avoir expiré ? Qui sans crainte à ses yeux prodiguant les menaces, Osa lui retracer de sanglantes disgrâces, Le Ciel redemandant le sang d'Achimelec, Et tout prêt à venger le pardon d'Amalec, Se repentant du choix qui dans le rang suprême, De l'état le plus vil sut... SAÜL. Hélas ! C'est lui-même. Daignez le rappeler. LA PYTHONISSE. Hé bien, tu vas le voir. De qui sert ta fureur, respecte le pouvoir. Écarte-toi, profane, et pour cette entrevue Laisse à mes pas du moins une libre étendue. Ô vous, de qui je tiens mes secrets souverains, Esprit dont la puissance est remise en mes mains ; Vous, Fantômes muets qui régnez sur les Ombres, Pâles Divinités de ces Empires sombres Que ne perça jamais la clarté qui nous luit. Lieux où règnent la mort, le silence et la nuit ; Pour achever ici de terribles mystères, Prêtez-moi le secours de vos noirs ministères. Opposez au Ciel même un redoutable appui, Exercez un pouvoir que vous tenez de lui. Je ne viens point au jour dérobant la lumière, Replonger l'Univers dans sa masse première. Mais que de la Nature interrompant les lois, L'Ombre de Samuel apparaisse à ma voix. Soutenez votre gloire à la mienne enchaînée, Autorisez la foi que je vous ai donnée, Et rendez-moi le prix de cet affreux serment, Que l'Enfer même ouït avec frémissement. Mon impuissance ici vous ferait trop d'injure. Justifiez mes droits ; et je vous en conjure, Par le sang des enfants que pour vous j'ai versé, Par ce bras tant de fois aux meurtres exercé, Par ces cruels apprêts que ma fureur ordonne, Accomplissez... Mais quoi ? Déjà mon coeur frissonne ? Je sens tous mes cheveux sur mon front se dresser. Quels spectres devant moi viennent se retracer ? Le Ciel de tous côté fait gronder son tonnerre.Le jour perce la nuit. Je vois trembler la Terre. Dans son centre entrouvert se présente à mes yeux Un vieillard vénérable et semblable à nos Dieux ; Ou du moins dans ses traits leur majesté s'est peinte. Moi-même il me saisit et de trouble et de crainte. L'Ombre déjà s'ébranle, à mes sens décillés S'offrent d'un sang impur ses vêtements souillés ; Et du meurtre d'un Roi ses mains fument encore, Son aspect fait frémir jusqu'à ceux que j'implore. Mais que m'apprend sa voix en montant jusqu'à moi ? Ah ! Dieux ! Je suis perdue, et vous êtes le Roi. Ma mort seule est le prix que tant d'audace exige. Qu'ai-je fait ? Malheureuse ! SAÜL. Ah ! Ne crains rien, te dis-je, Mon malheur et ma foi garantiront tes jours. Achève. C'est à moi d'implorer tes secours. SCÈNE VIII. Saül, Jonathas, La Pythonisse. JONATHAS, qui trouve de la résistance en entrant. Tous vos efforts sont vains, et je veux voir mon Père. LA PYTHONISSE. Ah ! Quel audacieux vient troubler ce mystère ? SAÜL. Ciel ! C'est mon fils. LA PYTHONISSE, à Saül. Fuyons. Pour savoir vos destins, Venez, et suivez-moi dans ces antres voisins. Elle sort avec précipitation. JONATHAS. Où courez-vous, Seigneur ? SAÜL. Et vous, quelle insolence Vous a conduit ?... JONATHAS. Souffrez, malgré votre défense, Qu'un intérêt pressant m'amène dans ces lieux. SAÜL. Ah ! Sortez ; et surtout que ce qu'ont vu vos yeux Demeure enseveli dans un profond mystère. SCÈNE IX. JONATHAS, seul. Que vois-je ? Quelle femme éperdue, étrangère ? Sur les pas de Saül se dérobe à mes yeux ! Moi-même tout à coup que deviens-je en ces lieux ? Quel secret mouvement étonne mon audace ? D'un funeste pouvoir ont-ils laissé la trace ? Tout respire l'horreur dont leur coeur est épris. Mais allons, et du trouble où je les ai surpris, Prévenons et l'éclat et la suite funeste ; De mon pouvoir enfin ménageons ce qui reste. Surtout contre un transport dont mon coeur a frémi, Sauvons l'honneur d'un Père, et les jours d'un Ami. ACTE IV SCÈNE I. SAÜL, seul. Qu'ai-je vu ? Tout mon sang dans mes veines se glace. Juste Ciel ! Qu'ai-je ouï ? Quelle affreuse menace ! Quelle nouvelle horreur succède à tant d'effroi ? Et toi, spectre odieux, pourquoi t'enfuir sans moi ? Trop dangereux recours d'une âme criminelle, Que ne m'entraînais-tu dans la nuit éternelle ? Pourquoi... Mais quelqu'un vient. Ô mon Fils, est-ce vous ? SCÈNE II. Saül, Jonathas. JONATHAS. Quel est l'effroi, Seigneur, où vous nous jetez tous ! Quel dessein si longtemps vous cache à notre vue ? Tout un camp alarmé, votre Fille éperdue, De vos projets encor David même incertain ; Quand le Ciel à vos coups livre le Philistin, Saül, loin de courir où la gloire l'appelle, Veut-il... SAÜL. Je veux savoir si vous m'êtes fidèle ; Si pendant qu'à l'envi tout semble me trahir, Mon fils dans mes malheurs est prêt à m'obéir. JONATHAS. Moi ? Si je suis fidèle aux ordres de mon Père ? Commandez seulement ; Seigneur, que faut-il faire ? Faut-il moi seul ici, forçant vos ennemis, Montrer à l'Univers ce que peut votre Fils ? Faut-il... SAÜL. De Philistins la frontière est couverte ; Et l'Empire en un mot, mon Fils, court à sa perte ; D'autant plus que cachant leur funeste dessein, Nos plus grands ennemis sont encor dans son sein. Mes malheurs aujourd'hui réveillent leur audace. Enfin Jérusalem prête à changer de face, S'il faut qu'ici du sort j'éprouve la rigueur, Suivra, n'en doutez point, le parti du vainqueur. Par de nouveaux avis je sais qu'elle conspire. Partez, allez sauver les restes de l'Empire ; Et par vous-même instruit de complots trop certains Dans Sion ébranlée arrêtez les mutins. D'ailleurs, considérez quel juste soin vous presse, Enlevez de ces lieux une triste Princesse Que le Ciel vous unit par des liens si doux ; Du malheur qui l'attend sauvez-la, sauvez-vous. Tout confirme aujourd'hui ma juste défiance ; Voilà ce que je veux de votre obéissance. JONATHAS. Je vois tous les malheurs qui s'assemblent sur nous, Mais pour me renvoyer quel temps choisissez-vous ? Aux yeux de l'Univers une telle conduite Ne semblerait plutôt que déguiser ma fuite. Vous obéir, Seigneur, ce serait vous trahir, SAÜL. Est-ce ainsi que mon fils est prêt à m'obéir ? Puisque malgré les soins que j'ai pris pour le taire, Vous cherchez à percer un funeste mystère, Je ne vous presse plus d'accepter mes adieux ; Mais sachez à quel prix je vous laisse en ces lieux. Sachez à quels efforts vous devez vous attendre. JONATHAS. Parlez, me voilà prêt ; je puis tout entreprendre. À vos ordres, Seigneur, ici tout m'asservit. SAÜL. Hé bien, il faut... JONATHAS. Quoi donc ? SAÜL. Immoler... JONATHAS. Qui ? SAÜL. David. JONATHAS. Ciel ! Qu'est-ce que j'entends ? SAÜL. Apprenez tout le reste. Des volontés du Ciel l'entreprise funeste, Samuel, en un mot, m'en a prescrit la loi. JONATHAS. Samuel ! SAÜL. Oui, mon Fils, jugez de quel effroi Mon âme à son aspect a demeuré saisie. À des charmes puissants sa grande Ombre asservie, M'est apparue au fond d'un antre ténébreux, À peine on l'évoquait, ô prodiges affreux ! Le Ciel a vainement fait gronder son tonnerre. Tout l'Enfer obéit ; et du sein de la terre, Non point comme ces morts au sortir des tombeaux, Pâles, meurtris, plaintifs et couverts de lambeaux, Mais formidable, il sort. Présage de ma perte, D'un ornement sacré sa tête était couverte. Tel que vengeant l'oubli des arrêts immortels, Son bras du sang d'Agag arrosa nos Autels, Du meurtre de ce Prince il dégoûtait encore, Triste et fatal auteur des maux que je déplore, Quels éclairs, quelle flamme ont parti de ses yeux, Qui seuls perçaient l'horreur de ces funestes lieux ! Ce n'est point un fantôme ou des chimères vaines, C'était lui. Tout mon sang s'est glacé dans mes veines. Pourquoi m'appelles-tu ? Quel dessein criminel Te fais rompre des morts le silence éternel ? Dans la nuit du tombeau quelle fureur me trouble ? A-t-il dit. À ces mots ma frayeur se redouble. Une nouvelle horreur se répand parmi nous. Immobile, longtemps, je tombe à ses genoux. Je demande à savoir ce que je crains d'apprendre. J'implore sa pitié. Que m'a-t-il fait entendre ? Grand Dieu ! De quels malheurs sommes-nous menacés ? Que devins-je à ces mots que l'Ombre a prononcés ? N'attends de moi ni pitié ni reproche. Le Sceptre va bientôt sortir de Benjamin, Et de ton ennemi le Règne enfin s'approche. Tel est le décret souverain. Du Dieu vivant la colère t'assiège. Rien à ses châtiments ne peut se dérober ; Et ce sang qu'épargna ta pitié sacrilège, Sur le sang innocent doit même retomber : Par toi de tous les Juifs la race est criminelle. Il dit, et soudain rentre en la nuit éternelle, Et par un signe affreux qui me glace d'effroi, Semble en ouvrir la route, et m'appelle à soi. JONATHAS. Ciel ! De combien d'horreurs vous venez me confondre ? Que faut-il que je pense, et que puis-je répondre ? Ah ! Seigneur ! Si le Ciel déclaré contre nous, Veut aujourd'hui... SAÜL. Mon Fils, prévenons son courroux. JONATHAS. Quel est l'ennemi que votre âme redoute ? SAÜL. Quoi ? Votre coeur sur lui forme encor quelque doute ? Dans ses soupçons encor peut être balancé ? Et ne reconnaît pas la race de Jessé ? Voyez enfin à qui votre amitié vous lie. Du moins en m'accablant, le Ciel me justifie. Je vous l'avais prédit, il fallait le prévoir. Quoi qu'il en soit, David est en notre pouvoir ; Et de quelques malheurs dont le sort nous menace, Si le perfide meurt, tout peut changer de face. Du Trône son trépas vous rouvre les chemins. Puis-je le confier en de plus sûres mains ? Ah Dieu ! Combien de fois l'occasion offerte Aurait dû prévenir vos malheurs et ma perte ! Il en est temps encor. Détournez dans son sang Le coup qui me menace, et cherche votre flanc. Il va se rendre ici. Que rien ne vous arrête. Ne vous montrez à moi qu'en apportant sa tête ; Et tandis que du Camp je cours calmer l'effroi, Sauvez l'État, vous-même, un père et votre Roi. SCÈNE III. JONATHAS, seul. Il me laisse. Ah grand Dieu ! Qu'est-ce donc qu'il espère ? Qui moi, contre lui-même embrassant sa colère, Que d'un ami si cher j'aille percer le flanc, Et ne m'offre à ses yeux que couvert de son sang ? Que tout à coup fidèle à l'ordre qu'il m'adresse, J'étouffe ma raison, ainsi que ma tendresse ? Que sur la foi d'un spectre enfant de sa terreur, Complice de ses maux, j'en redouble l'horreur ? Ah ! Sauvons en effet la gloire et la Patrie, Sauvons David ; d'un Père arrêtons la furie. Mais c'est peu de manquer à son ordre inhumain. Il peut contre ses jours armer une autre main. Tout est à redouter de sa fureur extrême. Allons, ne tardons plus... Mais le voici lui-même. SCÈNE IV. David, Jonathas. DAVID. Hé quoi, seigneur ? En vain de moments en moments J'attends l'ordre du Roi. Par quels retardements ? Sur quels nouveaux projets, et par quelle maxime ? Déjà de Gelboé l'Aube a blanchi la cime, Déjà le jour plus grand est venu nous frapper. JONATHAS. D'un soin bien différent il faut vous occuper. J'ai vu le Roi, Seigneur : tout a changé de face. Du Ciel plus que jamais il ressent de disgrâce : Son désespoir s'aigrit ; et de nouveaux soupçons Renversent ses desseins, confondent nos raisons ; De ce Camp malheureux, Seigneur, tout vous écarte. Que vous dirai-je enfin, partez. DAVID. Moi ? Que je parte ? Quand tout implore ici le secours de mon bras, Qu'une indigne terreur précipite mes pas ? Puisque après tant d'efforts mon entremise est vaine, Je vois combien d'horreurs, Seigneur, ce jour entraîne, Jamais péril plus grand, ni combat plus cruel Ne parut menacer le destin d'Israël. Aujourd'hui de ce camp, Ciel ! Quel conseil m'exile ? Ah ! Songez dans quels lieux m'est offert un asile. Quoi d'un Barbare encore embrassant les genoux... JONATHAS. Vos jours en sûreté, bien plus que parmi nous, Au Camp de ce Barbare... DAVID. Ah ! Que voulez-vous dire ? JONATHAS. Du péril qui vous presse il faut donc vous instruire, Le Roi veut... DAVID. Que veut-il ? JONATHAS. Que servant sa fureur, Cette main vous immole à sa noire terreur. Un esprit éternel de trouble et de ténèbres, Sans cesse offre à ses yeux mille images funèbres. Mais qu'un oubli profond, qu'une éternelle nuit Enveloppe à jamais l'erreur qui le séduit, La source des transports dont son âme est saisie, Et d'où part l'attentat que sa main me confie. DAVID. D'un pareil attentat je ne suis point surpris ; De mes travaux, Seigneur, je reconnais le prix. Et moi-même... JONATHAS. Mon bras prêt à tout entre prendre, Loin d'attaquer vos jours, s'arme pour les défendre. C'est peu de condamner tous ses transports jaloux, Je vous sers comme un Père, et même contre vous. Cependant prévenons une funeste suite. Partez enfin, mes soins couvriront votre fuite. DAVID. Quoi donc, vous prétendez que je fuie un courroux Dont le funeste éclat retomberait sur vous ; Et qu'auteur d'un malheur qui comble tous les autres, Quand vous sauvez mes jours, j'aille exposer les vôtres ; Des fureurs de Saül je vois l'effet certain. Ne vous souvient-il plus du superbe festin, Où changeant en des pleurs la pompe et l'allégresse, Pour moi de votre coeur accusant la tendresse, Saül que tant de trouble alors n'aigrissait pas, Du meurtre de son Fils allait souiller son bras ? Ma mort à sa valeur ouvre enfin la victoire, Et du Trône des Juifs vous assure la gloire. Hé quoi, toujours errant dans des climats divers, Dans l'ombre des forêts, dans le fond des déserts, Dans les antres affreux où ma vertu s'éprouve, Je fuis partout Saül, et partout je le trouve ? Je le connais, Seigneur, et sais jusqu'à quel point Son courroux rallumé... JONATHAS. Non, vous ne mourrez point. J'en réponds. Je sais trop ce que l'honneur demande, Ce que mon amitié.... SCÈNE V. Jonathas, David, Un Israélite. L'ISRAÉLITE. Seigneur, le roi vous mande, Et son ordre surtout pressant votre entretien, Porte que sans le voir vous n'entrepreniez rien. JONATHAS. Le Roi, dis-tu, me mande, et son ordre me presse. Ah ! Je le reconnais ; et déjà sa tendresse A remis dans son coeur des sentiments plus doux ; Il vient de révoquer l'arrêt de son courroux, Son coeur ne garde point une haine implacable. Je cours pour appuyer un retour favorable ; Et dissipant enfin un complot odieux, Bientôt mon amitié vous rejoint dans ces lieux. Adieu, ne craignez rien. SCÈNE VI. DAVID, seul. À quoi dois-je m'attendre ? Et quel est cet espoir qu'un ami veut me rendre ? En est-il dont le cours puisse m'être permis, Dans le cruel état où mon malheur m'a mis ? Sans cesse renversant un espoir légitime, Une fatale main creuse un nouvel abîme. Saül de mon destin ne peut changer l'horreur, Et ce retour entraîne ou couvre sa fureur. Trop heureux, si du moins, au malheur qui s'apprête, Tous ses cruels desseins n'attaquaient que ma tête ! Quel aveugle transport, comblant ses attentats, Armait pour me percer la main de Jonathas ! Amitié, noeuds du sang, est-il rien qu'il respecte ? Sans doute, cette main lui paraît trop suspecte. Et loin de révoquer l'Arrêt qu'il a rendu... SCÈNE VII. David, Michol, Élise. MICHOL. Ah ! Fuyez de ces lieux, ou vous êtes perdu. Fuyez ; et profitez du moment que vous laisse Le soin d'assurer mieux leur fureur vengeresse. De qui peut vous sauver on écarte le bras. On vient, Seigneur, on vient d'arrêter Jonathas. DAVID. Courons de ces cruels détourner la colère, C'est sur moi seul... MICHOL. Ô Ciel : que prétendez-vous faire ? Venez, ce n'est pas là, Seigneur, votre chemin. Pourquoi vouloir tenter un courroux inhumain ; Et servir contre vous des trames criminelles ? Il est, pour vous sauver des Juifs encore fidèles. DAVID. Non, non, tous vos efforts sont ici superflus. Je dois le suivre. MICHOL. Et moi, je ne vous quitte plus. Cruel, prétendez-vous que leur fureur jalouse Vienne vous arracher des bras de votre Épouse ? Mais avant qu'accomplir leur funeste dessein, La Fille de leur Roi va leur ouvrir son sein, Qu'ils frappent ; il n'est rien que mon âme redoute. Le Ciel, le juste Ciel me soutiendra sans doute. Père injuste et cruel ! Mais plus barbare Époux, Poursuivez-vous sur moi ses fureurs contre vous ? DAVID. Hé bien, il faut partir, madame, et vous en croire Malgré tant de devoirs, en dépit de ma gloire. Souillons tous ces exploits que rien n'avait ternis. Fuyons, venez, marchez sur les pas des bannis. Partagez les hasards où mon destin me livre. Madame, suivez-moi. MICHOL. Qui moi, Seigneur, vous suivre ? DAVID. Pourriez-vous balancer à suivre votre Époux ? MICHOL. Ah ! De Saül, Seigneur, prévoyez le courroux. D'un Frère qui vous sert le seul péril m'arrête, Et c'est à moi, Seigneur, d'en garantir la tête. À nos malheurs enfin loin de l'associer, J'en prends sur moi le crime et je dois l'expier. Partez, puisqu'à vos pas s'ouvre encore la fuite. Mais on entre. Que vois-je, Asser ? Et quelle suite ? Ô Ciel ! SCÈNE VIII. Asser, Michol, David, Élise, Troupe de Gardes. ASSER. Je dois juger, Madame, à cet effroi, Que mon abord vous dit les volontés du Roi. DAVID. Je vous entends. Du Roi l'ordre cruel m'arrête. Mais moi-même à ses pieds j'allais porter ma tête, J'y cours enfin. Malgré les plus sacrés liens, Qu'il immole des jours qui sauvèrent les siens. MICHOL. Plutôt de mille morts je cesserais de vivre. DAVID. Ah ! Si je vous suis cher, gardez-vous de me suivre, Son courroux me fait grâce, et je respire enfin. Le Ciel même pour moi peut étendre sa main. Mais quel que soit mon sort, ou funeste, ou prospère, Madame du même oeil voyez toujours un Père, Vous devez séparer, jusques dans son courroux, De sa haine pour moi, sa tendresse pour vous. Sur moi seul aujourd'hui cette haine s'épuise. Adieu, Madame. Allons, Gardes, qu'on me conduise. SCÈNE IX. Michol, Élise. MICHOL. Ciel, que devient l'espoir et la foi d'Israël ; Si tu permets d'Asser le triomphe cruel, Si l'effet suit de près ses complots redoutables ? Voilà de son amour les marques détestables. Que ne vient-il plutôt, pour me marquer sa foi, Teint du sang de David se présenter à moi ? Et sa tête à la main, couronnant son audace, Bourreau de mon Époux, me demander sa place ? Chère Élise, tu vois le trouble de mes sens. Ah ! Sans nous consumer en efforts impuissants Viens ; que de ses périls la nouvelle semée, Arme pour lui ses Juifs et soulève l'armée. ÉLISE. Hélas ! De quel espoir vos esprits rassurés... MICHOL. Viens, dis-je. SCÈNE X. Saül, Michol. SAÜL. Où courrez-vous, ma fille ? Demeurez. Je sais pour un Époux toujours préoccupée, Quel peut être le coup dont vous serez frappée : Mais de ses attentats je ne pouvais douter. Quoi qu'il en soit, David n'est plus à redouter, J'ai su le prévenir. J'ai fait ce que m'inspire Le salut de mon Fils, de mes jours, d'un Empire. En un mot, j'ai donné mes ordres absolus, Et sans doute déjà le perfide n'est plus. MICHOL. Ah ! Craignez que sur vous tout son sang ne retombe, Qu'avec lui tout l'Empire aujourd'hui ne succombe. Cruels, qu'allez-vous faire ? Arrêtez, songez-vous Quel Guerrier, quel Héros est offert à vos coups ? Le vainqueur de Moab, celui de l'Ammonite... S'il en est temps, Seigneur, si sa tête proscrite Peut échapper aux mains que vous venez d'armer... SAÜL. On vient, et de son sort on va vous informer. SCÈNE XI. Saül, Michol, Asser. SAÜL. Hé bien ! ASSER. J'allais, Seigneur, à vos ordres fidèle, De vos gardes suivi fondre sur un rebelle, Lorsque le camp craignant que du Prince arrêté On attaquât les jours avec la liberté, Se soulève à grands cris : ses troupes les plus fières Des lieux qui l'enfermaient ont percé les barrières ; Et Jonathas à peine arraché de nos mains, Contre David alors prévenant vos desseins, Ne nous instruit que trop de leur intelligence. SAÜL. Ah ! Courons... ASSER. Suspendez, Seigneur, votre vengeance. De ses retranchements le Philistin sorti, Force de toutes parts votre Camp investi ; Tout s'ébranle, déjà commence le carnage. Hâtez-vous. SAÜL. Ah ! Voilà les maux qu'on me présage. Enfin, c'en est donc fait, l'Oracle s'accomplit ; L'heure fatale approche, et mon sort se remplit. Vain espoir ! Vains projets que ma fureur avoue, Des efforts des mortels ainsi le Ciel se joue, À ses propres desseins fait servir nos forfaits, Et qui veut les combattre en presse les effets. Mais il va sur moi seul épuiser sa colère. Je lui confie en vous une tête plus chère. Ma Fille, et le bénis de ne me point épargner. Mourir en Roi, vaut bien la gloire de régner. ACTE V SCÈNE I. Michol, Élise. MICHOL. Où vais-je ? Où suis-je, Élise ? Incertaine, éperdue, Dans quels moments affreux, dans quels lieux retenue, Ciel ? De quels mouvements mon coeur est-il combattu ? Et toi, fatal Hymen, à quoi me réduis-tu ? Quel fruit de tant d'amour ! Ô mon Frère ! Ô mon Père ! Ô mon Époux, c'est moi qui cause ta misère. Objet infortuné de tes fameux exploits, J'ai fait naître l'envie, et je vous perds tous trois. Des malheurs d'Israël, je suis seule coupable. Ciel ! Arrête sur moi le bras qui les accable. ÉLISE. Madame, est-ce donc là ce généreux effort Que vous vous promettiez contre les coups du sort ? Et pourquoi voulez-vous qu'enfin inexorable, Le Ciel ne prête plus une main secourable ? David a fui Saül ; mais malgré son courroux, Savez-vous si son bras ne combat pas pour nous ? Et si de Jonathas sa valeur secondée, Ne va point avec lui relever la Judée ? MICHOL. Cris frappent les airs ? Quel tumulte, quel bruit Menacent d'Israël d'une éternelle nuit ! Non, non, Saül succombe au destin des batailles ; N'en doutons point. Je sens déchirer mes entrailles. Vous allez triompher dans nos adversités, Vous Geth, vous Ascalon, orgueilleuses Cités. J'entends vos cris ; je vois dans vos cruelles fêtes, À chanter nos malheurs vos Filles toutes prêtes. Le Ciel le veut. Que dis-je, ô mon Roi souverain, Sauve un sang précieux qu'a consacré ta main. Daigne dans ces horreurs prendre soin de ta gloire. Un seul de tes regards peut fixer la victoire. De tant de Rois ligués confonds le fier courroux, Un souffle, si tu veux, les va dissiper tous. ÉLISE. N'en doutez point, pour lui l'Éternel s'intéresse, Sa bonté se mesure au péril qui le presse. Et pourquoi prévenir un succès incertain ? N'allez point par des pleurs que vous versez en vain, Ni du Ciel par vos cris irriter la Justice. Et du moins attendez que l'on vous avertisse. On vient, Madame, on vient. MICHOL. Ciel, qu'est-ce que je vois ! Dans ces lieux, chère Élise, Asser seul sans le Roi ! Quel affreux mouvement s'empare de mon âme ! Quelle horreur me saisit ! SCÈNE II. Michol, Élise, Asser, Troupe de Gardes. ASSER. Ne craignez rien, Madame, Ces Gardes que mes soins vous ont fait réserver, Vont périr à vos yeux, ou sauront vous sauver. MICHOL. Ah ! Conduisez au Roi le secours qu'on m'amène, Parmi tant de périls, dans l'effroi qui m'entraîne, C'est pour lui que mon coeur se trouve combattu, Il me suffit à moi de ma seule vertu ; Je saurai la sauver d'une indigne mémoire. Allez, ne craignez rien, j'aurai soin de ma gloire. ASSER. Ah ! Pour vous garantir d'un opprobre éternel, Trop de retardements me rendent criminel, Vous voyez les malheurs où le péril vous livre. Qu'attendez-vous encor ? Madame, il faut me suivre. Allons venez ; vos jours à ma foi confiés... MICHOL. Jusqu'à la violence ainsi donc vous iriez ? Vous pourriez n'écouter que votre seule rage, Et du sort jusques là j'éprouverais l'outrage ? Mais que dis-je, moi-même appuyant vos desseins, Je pourrais me remettre en vos perfides mains ? Ah ! De quelques raisons dont votre amour se pare, Sous le glaive sanglant du Philistin barbare Plutôt périr cent fois, que d'avoir consenti... SCÈNE III. Saül, Michol, Asser, Élise, Gardes. SAÜL. Ma Fille, il en est temps, prenez votre parti. Le Philistin triomphe. Ainsi le Ciel l'ordonne. Vaincus et renversés, tout fuit, tout m'abandonne. Le Ciel de mes desseins jusqu'au bout s'est joué, À mille coups mortels je me suis dévoué, Je cherche en vain la mort, tout trahit mon envie. On en veut à ma gloire, et non point à ma vie. Sanglant et désarmé, dans mes pas incertain, Errant partout, d'un Fils j'ignore le destin. À Asser. Sans doute il ne vit plus. C'est toi seul qui me restes, Heureux de te trouver dans ces moments funestes. J'espère au moins qu'Asser ne me trahira pas ; Viens, frappe ; c'est de toi que j'attends le trépas. ASSER. De moi, Seigneur ! MICHOL. Ô Ciel ! Qu'en osez-vous attendre ? SAÜL. Et vous de vos efforts que pouvez-vous prétendre ? Ah ! Laissez-moi du Ciel assouvir le courroux ; C'est le dernier respect que j'exige de vous. À Asser.De ton bras, cher Asser, j'implore l'assistance. Qu'attends-tu ! Montre-moi par cette obéissance, En m'accordant la mort que j'espère de toi, Que Saül règne encore, et que je meurs ton Roi. ASSER. De mon respect, ô Ciel ! Quelle épreuve sanglante ? Que le demandez-vous ! Et quelle est votre attente ? Sans vous trahir, Seigneur, puis-je vous contenter ? MICHOL. Et qui sur votre vie oserait attenter ? Venez, venez plutôt, et dans quelque contrée Sauvons, Seigneur, sauvons votre tête sacrée. Nous le pouvons. Tandis qu'à sa proie occupé, Votre Ennemi vous croit sans doute enveloppé, Par Asser en ces lieux cette garde conduite, Invincible rempart, assure votre fuite. SAÜL. Hé voudrait-on qu'à fuir je fusse condamné ? Que dis-je ? Il n'est plus temps. Partout environné, Le ciel ne m'offre plus qu'une mort salutaire. D'un Sceptre malheureux fatal dépositaire, Prétend-t-on que traîné par de honteuses mains, J'aille souiller en moi l'honneur des Souverains ? D'un reproche éternel, d'une indigne mémoire, Sauve mon sang, toi-même, Israël, et ma gloire ; Et ta pitié cédant à de nobles efforts, Laisse moi confondu dans la foule des morts. ASSER. Je dois songer plutôt à me frapper moi-même, Votre malheur est grand, mais le mien est extrême. Peut-être seul auteur du coup qui m'a perdu, Je vois de toutes parts mon espoir confondu. Quelques maux cependant que le Ciel nous envoie, Pour sortir de la vie il est une autre voie. C'est à moi de la suivre, et je cours sans effroi, À ma gloire du moins rendre ce que je dois. Il sort. SAÜL. Je t'entends, et je cours sur tes pas... MICHOL. Ah, mon Père ! Ah, Seigneur ! SAÜL, des Gardes s'avancent. On m'arrête, et qu'est-ce qu'on espère ? Quoi donc ? Tout me trahit ? SCÈNE IV. Saül, Michol, Élise, Un Israélite. L'ISRAÉLITE. Seigneur, que faites-vous ? D'où vous naît ce transport et cet ardent courroux, Tandis que Jonathas brûlant pour votre gloire, Aux Philistins encor dispute la victoire, Signale sa valeur par des coups éclatants... SAÜL. Quoi, mon Fils vit encor ? Ciel ? Qu'est-ce que j'entends ? L'ISRAÉLITE. Il vit, et son ardeur qui n'est que trop connue, Par un secours puissant d'ailleurs est soutenue. Un Dieu, de Jonathas semble être encor l'appui. SAÜL. Secourons-le, ou du moins ne mourons qu'avec lui. Le plus affreux péril n'a rien qui m'épouvante. Courons. Mais quel objet à mes yeux se présente ? Ne me trompai-je point ? Et qu'est-ce que je vois ! MICHOL. Dieu tout-puissant ! SCÈNE V. Saül, Michol, David, Élise. DAVID. Daignez vous confier à moi, Seigneur. De tant d'horreurs sauvé malgré vous-même, Éprouvez jusqu'au bout cette faveur suprême. Acceptez de mes Juifs le malheureux débris, Qui tout couvert de sang de vos fiers ennemis, Peut encor vous sauver, et vous, et la Princesse ; Mais les moments sont chers et le péril vous presse. SAÜL. Ô vertu que j'admire autant que je la crains ! Redoutable instrument des décrets souverains ! Quoi ! Lorsque sur mon Fils, à mon âme éperdue... Toute espérance encore allait être rendue... DAVID. Ne demandez qu'au Ciel le sort de Jonathas. SAÜL. Achevez. DAVID. Siceleg, Seigneur, vous tend les bras. Je puis vous y conduire, allons, daignez me suivre, Prévenez les malheurs où ce grand jour vous livre. SAÜL. Non, non de Jonathas je veux savoir le sort. Allons, il n'est plus temps. Ô Ciel ! Mon fils est mort. C'est Achas que je vois. SCÈNE DERNIÈRE. Saül, Michol, David, Élise, Achas. ACHAS. Sa désobéissance, D'un Héros malheureux embrassait la défense, Lorsque dans le combat que le Ciel a permis, Il tourne ses efforts contre vos ennemis. À ce nombre de Juifs dont la terre est couverte, Il ne se croit que trop instruit de votre perte. Asser même à ses yeux percé de mille coups, Ne lui laissait, Seigneur, aucun espoir sur vous. Mais lui-même indigné de ses propres alarmes : Il faut du sang, dit-il, c'est trop peu de mes larmes. De vos Juifs aussitôt rassemblant les débris, Il flatte leur courage, et vole aux ennemis. Bientôt par sa présence à vaincre accoutumée, Il attire sur lui les forces de l'armée. Son bras en soutenant l'effort de toutes parts. De mourants et de morts s'était fait des remparts. Mais que peut la valeur, quand le nombre l'accable ? Il subit de son sort l'arrêt irrévocable ; Et plus fier d'un péril qui les faisait pâlir, Dans son triomphe alors semble s'ensevelir. SAÜL. Il est mort ! ACHAS. Accablé lui-même de sa gloire, Seigneur, l'ennemi doute encor de sa victoire. Et moi, contre mon sein j'allais tourner mon bras, Quand Jonathas mourant adresse ici mes pas. Ah ! Si par un bonheur, m'a-t-il dit, que j'ignore, Si par un coup du Ciel, mon père vit encore, Tu peux lui dire, Achas, que je meurs satisfait, Si mon sang répandu peut laver son forfait, Contre lui du Seigneur apaiser la colère, Mais qu'aussi de ma mort j'exige pour salaire, Que David, dans les voeux lui sont tous asservis, Trop digne de régner, lui tienne lieu de Fils. À ces mots... Ah ! Seigneur. SAÜL, se jette sur l'épée d'Achas, et s'en frappe. Ô Justice sévère ! Avec le sang du Fils reçois celui du Père. MICHOL. Dieu puissant ! SAÜL. C'en est fait, l'Éternel est vengé, Ma faute est expiée et mon coeur soulagé. À David.C'est à vous maintenant, Seigneur, que je m'adresse. Vous voyez mes malheurs, vos savez ma tendresse. À la main qui me perd vous devez imputer Cet injuste courroux que j'ai fait éclater. Mais des desseins du Ciel déplorable victime, Dans mes plus grands transports vous eûtes mon estime. Jusques au bout, Seigneur, il faut la mériter. Jurez-moi donc qu'au Trône où vous allez monter, Vous ne confondrez point le crime et l'innocence, Que mon sang jouira de la Toute-Puissance ; Qu'avec le Sceptre enfin, Seigneur, ma Fille en vous, Va retrouver un Frère, un père, et son Époux. DAVID. Et quel est votre soin dans ce monde funeste ? Ah ! J'atteste à vos yeux la puissance céleste, Que pour elle à jamais mon amour éclatant, Que ma foi... SAÜL. C'est assez, Seigneur, je meurs content. Recevez mes adieux, ma Fille, je vous laisse. À David.Sous la main qui m'accable, enfin tremblez sans cesse, Seigneur ; et profitant de cet exemple affreux, Vivez aussi puissant, et mourez plus heureux. ==================================================