******************************************************** DC.Title = LA GOUVERNANTE, COMÉDIE. DC.Author = NIVELLE DE LA CHAUSSEE, Pierre Claude DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 28/02/2023 à 06:02:53. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/NIVELLE_GOUVERNANTE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA GOUVERNANTE COMÉDIE EN VERS ET EN CINQ ACTES. NOUVELLE ÉDITION. M. DCC. LXXIII. de M. NIVELLE DE LA CHAUSSÉE, de l'Académie Française. À AVIGNON, Chez Louis Chambeau, Imprimeur-libraire près le Collège. Réprésenté pour la première fois le 27 avril 1747 au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain à Paris. ACTEURS LE PRÉSIDENT DE SAINVILLE. SAINVILLE, fils du Président. UNE BARONNE, parente du Président. ANGÉLIQUE. UNE GOUVERNANTE. JULIETTE, suivante. Un LAQUAIS. La scène est dans une maison commune au président et à La Baronne. ACTE I SCÈNE I. Angélique, Juliette. JULIETTE, suit Angélique qui rêve. Angélique, est-ce tout ? Faites-vous violence :Je voudrais bien savoir à quoi sert le silenceIl ne guérit de rien ; au contraire, il aigritLes maux et les tourments du coeur et de l'esprit.Se taire est n'être plus qu'une ombre qui s'ennuie ; [Note : Babil : bondance de paroles sur es choses de néant ou superflus ; un parler continuel et importun. [F]]Le babil est le charme et l'âme de la vie...Vous ne répondez rien ! Quel est donc votre but,Et votre idée ? ANGÉLIQUE. Hélas ! JULIETTE. Un soupir ! Beau début !Après, continuez. ANGÉLIQUE. Je n'ai plus rien à dire. JULIETTE. On n'a que trop de quoi parler quand on soupire. Où sont donc ces transports, cette vivacité ?Nos entretiens faisaient votre félicité ;Vous ne pouviez finir. Lorsque je me rappelle... ANGÉLIQUE. Je ne te parlais pas alors d'un infidèle. JULIETTE. [Note : Inconstant : particulièrement. Qui cesse d'aimer d'amour une personne. [L]]Doit-on, lorsque l'on perd le coeur d'un inconstant, Perdre aussi la parole ? Allons, il faut d'autantSoulager son dépit ; rien n'est plus salutaire. ANGÉLIQUE. Où parle la raison, le dépit doit se taire ? JULIETTE. Et la raison vous parle, à vous, Angélique ? ANGÉLIQUE. Oui. JULIETTE. Ah ! Le bel entretien ! Ma foi, gare l'ennui ; Mais il est tout venu. ANGÉLIQUE. Non, ce guide propiceA porté la lumière au fond du précipiceOù j'aurais essuyé le plus grand des malheurs. JULIETTE. Bon ! Bon ! L'amour bientôt le comblera de fleurs. ANGÉLIQUE. Non, je n'ai plus en lui la moindre confiance. Où m'allait entraîner mon peu d'expérience !Eh ! Comment pouvons-nous ne nous pas égarer ?Comment fuir les dangers qu'on nous laisse ignorer ?À qui notre jeunesse est-elle confiée ?Hélas ! Pour l'ordinaire elle est sacrifiée. Quel est le sort du sexe ! Ah ! Juliette, il s'ensuitQu'on croit qu'il ne vaut pas la peine d'être instruit. JULIETTE. Ah ! Diantre, vous voilà tout-à-fait surprenante !Ce beau chef-d'oeuvre vient de notre gouvernante.Depuis six ou sept mois qu'elle a trouvé moyen De s'impatroniser ; je n'y connais plus rien ;La Baronne elle-même en a fait son amie,Et ne fait que vanter sa rare prud'hommie :Nous étions, vous et moi, bien mieux auparavant. ANGÉLIQUE. Je voudrais l'avoir eue en sortant du couvent : oui, Juliette, ce sont quatre ans que je regrette. JULIETTE. Oui, votre tante a fait une fort belle emplette...Cette femme n'entend qu'à donner des vapeurs.Mais parlons de Sainville. Espérez que vos coeursSeront bientôt remis en bonne intelligence. Je sais que de sa part un peu de négligence... ANGÉLIQUE. Tu nommes négligence un total abandon !L'excuse n'a plus lieu non plus que le pardon. JULIETTE. Si Sainville a quitté sa retraite profondePour aller se fourrer dans le tracas du monde, C'est malgré lui ; pour moi, j'ai tout lieu de douterQu'il puisse encor longtemps s'y plaire et le goûter ;Il n'a fait qu'obéir, et par force, à son père ;Son esprit, son humeur, son goût, son caractère,Feront qu'il y sera tout-à-fait étranger : Il est trop philosophe. ANGÉLIQUE. Ils l'auront fait changer. JULIETTE. Non, il est trop bien né ; c'est sur quoi je me fonde.Quel triomphe pour vous ! Quand dégoûté du monde... ANGÉLIQUE. Qu'il y reste, et s'y fasse un nom bien éclatant.Juliette, je médite un projet important. JULIETTE. Vous voulez tout-à-fait renoncer à Sainville ? ANGÉLIQUE. Je voudrais être encor dans mon premier asile. JULIETTE. Eh ! Pourquoi faire ? Au lieu de bénir chaque jourLa main qui vous a fait sortir de ce séjour,Où les infortunés de qui vous êtes née, Dès vos plus jeunes ans vous ont abandonnée,Vous songez à rentrer dans le sein de l'ennui ? ANGÉLIQUE. Le monde n'a plus rien qui me plaise. Aujourd'hui ;Mais demain il pourra vous plaire davantage.Le dépit prend toujours le parti le moins sage. Demeurez... les absents sont bientôt oubliés.La Baronne vous fait mille et mille amitiés ;elle a pour vous les yeux de la plus tendre mère ;C'est une tante enfin comme il ne s'en voit guère ;Mais si vous ne restez sous ses yeux, j'ai bien peur Qu'un autre ne parvienne à vous ôter son coeur,Et qu'avec un époux elle ne s'en console.La veuve la plus sage est toujours assez follePour se remarier ; cela se voit souvent.Il ne sera plus temps de sortir du couvent ; Il y faudra gémir, enrager comme une autre,Et pleurer à la fois sa folie et la vôtre :Je vous en avertis, craignez cet incident.Mais la voici qui vient avec le Président.Sortons. Elle entraîne Angélique. SCÈNE II. Le Président, La Baronne. LE PRÉSIDENT. Vous n'avez fait aucune découverte ? Ah ! Ciel, n'aurais-je plus qu'à gémir de leur perte ?Faudra-t-il que j'emporte avec moi la douleurDe n'avoir jamais pu réparer un malheur,Dont en quelque façon je suis presque coupable ? LA BARONNE. Mais vous ne l'êtes point : est-ce qu'on est comptable Des jugements qu'on croit rendre avec équité ?Quoi ! Ne peut-on jamais cacher la vérité ?Tant de gens sont payés pour conspirer contre elle,Pour lui tendre toujours une embûche cruelle !Quel juge est à l'abri d'un semblable malheur ? LE PRÉSIDENT. Et voilà justement ce qui fit mon erreur,Et l'arrêt dont je fus l'organe trop funeste :Mais se peut-il qu'enfin nul espoir ne vous reste,Et qu'en dix ou douze ans à peine révolus,Des gens d'un si grand nom ne se retrouvent plus ? LA BARONNE. Eh ! Croyez-moi, monsieur, quand on est misérable,C'est un fardeau de plus qu'un nom considérable ;Ils en ont pu changer. Peut-être que la mortAu sein de l'indigence aura fini leur sort. LE PRÉSIDENT. Mais le défunt avait une femme, une fille ; Il doit être resté quelqu'un de leur famille. LA BARONNE. J'ai bien quelques soupçons ; mais ils sont si légers,Ils sont si dépourvus... LE PRÉSIDENT. Qu'importe ? Ils me sont chers ;Ne les négligez pas, redoublez votre zèle ;Vous n'aurez jamais eu d'occasion plus belle D'obliger un parent que vous-même avez misDepuis longtemps au rang de vos plus vrais amis. LA BARONNE. Croyez que c'est à quoi mon zèle s'intéresse. LE PRÉSIDENT. Je vois d'un pas rapide arriver la vieillesse ;J'aurai bientôt fini le cours qui m'est prescrit : Que je serais content et de coeur et d'esprit,Si je pouvais, avant le terme qui s'approche,N'être plus accablé d'un si cruel reproche !Ce serait mon plus cher et mon plus grand bonheur.En tout cas, j'ai mon fils ; il est homme d'honneur, Et capable, entre nous, j'ai tout lieu de le croire,De faire une action qui le couvrant de gloire,Éternise après moi le sang dont il est né,Et me donne en mourant un repos fortuné.Oui, j'en jouis d'avance, et mon âme est tranquille. Il pourrait cependant arriver que Sainville,Répandu, dissipé comme il l'est à présent,Eût altéré ses moeurs. LA BARONNE. L'exemple est séduisant ;Mais... LE PRÉSIDENT. D'un autre côté, c'est sur quoi je me fonde,Sainville a grand besoin de l'école du monde. Philosophe un peu jeune, et même trop ardent,Il s'abandonne trop à son zèle imprudent :Ami de la franchise, il croit que la souplesseEst indigne d'un homme, et taxe de bassesseCes égards mutuels dont la nécessité A forgé les liens de la société.Que sert une sagesse âpre et contrariante ?Heureuse la vertu douce, aimable et liante,Dont les ris et les jeux accompagnent les pas ;La raison même a tort, quand elle ne plaît pas. LA BARONNE. La sienne se ressent des défauts de son âge,Le temps adoucira ce qu'elle a de sauvage.Espérez. LE PRÉSIDENT. Que je crains qu'il n'ait été trop loin !Tel est des jeunes gens le malheureux besoin,Qu'il faut, pour les polir, risquer de les corrompre ; Avec lui-même enfin je l'ai forcé de rompre,D'aller, de se répandre, et de se faire voir ;Mais son obéissance a passé mon espoir :Vous ne le voyez plus, moi-même il me néglige. LA BARONNE. Croyez que l'amour seul aura fait ce prodige. LE PRÉSIDENT. Ah ! Pourvu qu'il ne soit devenu qu'amoureux,L'amour ne gâte point un caractère heureux ;Je lui laisse le choix entre d'aimables fillesQu'il pourra rencontrer dans de riches famillesOù je l'ai présenté ; mais je l'attends ici, Et par lui-même enfin je vais être éclairci.Vous, madame, de grâce, achevez votre ouvrage ;Et surtout, point d'éclat, le moindre est un outrage :Vous avez des soupçons, ne les méprisez pas. LA BARONNE. J'approfondirai tout, et j'y vais de ce pas. SCÈNE III. Le Président, Sainville. LE PRÉSIDENT, à part, en voyant arriver son fils. Il me semble qu'il a plus de grâce et d'aisance. Haut.Je n'abuserai pas de votre complaisance,Le temps vous est trop cher pour en perdre avec moi. SAINVILLE. Puis-je en faire un plus doux et plus heureux emploi ? LE PRÉSIDENT. Vous devenez flatteur. SAINVILLE. Je dis ce que je pense. LE PRÉSIDENT. Ce sont des compliments, et je vous en dispense.Eh ! Bien, vous voilà donc au milieu du torrent.Votre genre de vie est un peu différent :Que dites vous du monde ? Allons, daignez m'instruire. SAINVILLE. Moi, mon père, j'en dis tout ce qu'on en peut dire ; Il n'est qu'une façon de le bien définir. LE PRÉSIDENT. Je ne crois pas qu'il soit aisé d'en convenir. SAINVILLE. Avec sincérité, s'il faut que je réponde,J'ai vu que l'impudence est la reine du monde,Et qu'il faut, quand on veut y faire son chemin, Aller à la fortune avec un front d'airain ;Que l'art d'en imposer est le seul art utile ;Qu'une louange aride, une estime stérile,Est tout ce qu'on accorde à peine aux gens de bien. LE PRÉSIDENT. En exagérant tout, on ne définit rien : Brisons là. Mais d'ailleurs, dites-moi, je vous prie,Vous avez fréquenté la bonne compagnie ? SAINVILLE. La bonne compagnie ! Eh ! Croyez-vous aussiÀ cette rareté que l'on appelle ainsi ?J'ai tout vu, j'ai partout cherché cette merveille, Dont le nom résonnait sans cesse à mon oreille ;Mais ce n'est qu'un grand mot nouvellement admis,Qui n'a rien de réel, que l'usage a transmisPar l'organe des sots dans la langue ordinaire,Qui sert à désigner un être imaginaire, Ouvrage de l'orgueil et de la vanité ;Tout cercle, quel qu'il soit, toute sociétéCroit en être, de droit, la véritable sphère :Du bien, de la naissance, et telle autre chimère,De la fatuité, des airs et du jargon, Voilà tout ce qu'il faut pour usurper ce nom.Quant à moi, j'en appelle ; elle est mal définie :Ce sont les moeurs qui font la bonne compagnie. LE PRÉSIDENT. Il en est cependant à qui ce titre est dû ;Mais avec ces défauts le monde vous a plu, Et j'en vois la raison : parlons avec franchise,L'amour... eh ! Comment donc, ce mot vous scandalise !À votre âge, parbleu, c'est une nouveauté ! SAINVILLE. Qui m'en aurait donné ? LE PRÉSIDENT. L'esprit, ou la beauté. SAINVILLE. La beauté, j'en conviens, peut, quand elle est réelle, Inspirer un amour aussi passager qu'elle.Quant à l'esprit du sexe... LE PRÉSIDENT. Il est sans contredit,Que l'on ne vit jamais tant de femmes d'esprit. SAINVILLE. Qu'une femme aisément passe pour un prodige !Mais c'est nous qui faisons nous-même le prestige. LE PRÉSIDENT. Comment ? SAINVILLE. Pour peu qu'elle ait de jeunesse et d'appas,L'amour et les désirs attirent sur ses pasUne foule empressée à porter jusqu'aux nuesMille perfections qu'elle aurait peut-être eues,Si l'on ne l'accablait d'un encens trop flatteur : Elle peut tout risquer ; plus d'un adulateurLui prête avidement et le coeur et l'oreille,Et d'avance applaudit. Qu'alors cette merveille,Aux dépens du bon-sens, anime ses propos,Et surtout avec art distribue à propos Une oeillade traîtresse, un souris infidèle,Et voilà tous nos sots enchantés autour d'elle. LE PRÉSIDENT. Vous n'avez pas été du nombre ? SAINVILLE. Ah ! Vraiment non. LE PRÉSIDENT. Quand tout le monde a tort, tout le monde a raison.Pourquoi se distinguer ? SAINVILLE. Je n'en suis pas le maître. LE PRÉSIDENT. Lorsqu'on est comme un autre, on est comme on doit être ;Qui donne de l'encens ne donne rien du sien. SAINVILLE. Eh ! Mais, pardonnez-moi, mon estime est mon bien. LE PRÉSIDENT. À part.Le bel amendement ! Haut.Souffrez que je réponde. SAINVILLE. À des faits ? LE PRÉSIDENT. Permettez. Quand j'entrai dans le monde, Je le vis à peu près des mêmes yeux que vous ;Chacun m'y déplaisait, et je déplus à tous ;Ne faisant point de grâce, on ne m'en fit aucune. SAINVILLE. On s'en passe. LE PRÉSIDENT. L'on prit ma franchise importunePour un fiel répandu par la malignité ; D'autres ne la taxaient que de rusticité ;Et chacun s'élevait sur mes propres ruines.Où l'on cueillait des fleurs, je cueillais des épines.Ainsi par un scrupule un peu trop rigoureux,J'ôtais à la vertu le droit de rendre heureux. Alors, par une erreur qui n'est que trop commune,J'imputais mes malheurs à l'aveugle fortune,J'en faisais son forfait, loin de m'en accuser.L'expérience enfin sut me désabuser :Je rompis mon humeur, rompez aussi la vôtre. Nos besoins nous ont faits esclaves l'un de l'autre.Il faut suivre ce joug ; qui se révolte à tort,Et devient l'artisan de son malheureux sort.Sachez donc vous soumettre à cette dépendance :L'usage des vertus a besoin de prudence. Dans un juste milieu la raison l'a borné :D'ailleurs il faut toujours que leur front soit ornéDes grâces et des fleurs qui sont à leur usage.Quand la vertu déplaît, c'est la faute du sage.Sachez la faire aimer, vous serez adoré. SAINVILLE. Son éclat naturel doit être décoré !Quoi ! D'un fard étranger, secours de l'imposture,L'art oserait souiller la beauté la plus pure !Mon père, croyez-moi, son attrait lui suffit. LE PRÉSIDENT. Je n'ajoute qu'un mot à tout ce que j'ai dit. Ma fortune, mon fils, est moins considérableQu'on ne le croit ; je suis dans un poste honorable,Où l'on n'amasse point ; ainsi je vous préviens,Que, bien loin de trouver après moi de grands biens,Vous serez étonné d'un si faible partage : Il faut vous faire ailleurs un plus grand héritage ;Et vous ne le pourrez qu'en cherchant un partiQui soit digne, en un mot, de vous être assortiPar son nom, par son rang, et par son opulence ;Mais, pour le mériter, faites-vous violence : Allez, voyez le monde ; et mettez à profitCe que mon amitié vous dicte et vous prescrit. SCÈNE IV. SAINVILLE, seul. Qui ? Moi ! Pour mendier les biens les plus frivoles,J'irais de porte en porte encenser des idoles,Et feindre d'adorer l'objet de mes mépris ! La plus haute fortune est trop chère à ce prix.Ah ! Mon père, en effet, quelle erreur est la vôtre !Mon bonheur dépend-il d'être au-dessus d'un autre,De briller dans le monde un peu plus, un peu moins ?Eh ! Bien, mon existence aura moins de témoins. Est-ce un si grand malheur de n'éblouir personne,De n'avoir que l'éclat que la probité donne ?Quoi qu'il en soit enfin, je serai dans le cas ;Et c'est un être heureux qu'on ne connaîtra pas.Oui, cet objet charmant aura la préférence : Adorable Angélique, ah ! Quelle différence !Le ciel a pris plaisir à la former pour moi.C'en est fait pour jamais, je rentre sous sa loi...Depuis que j'ai cessé de cultiver sa flamme,Puis-je encore espérer de régner dans son âme ? Elle m'a tant aimé, que je dois me flatterD'obtenir un pardon que je vais mériter. Il va pour sortir. SCÈNE V. Sainville, Juliette. JULIETTE. Monsieur, un mot, de grâce ; Angélique m'envoie. SAINVILLE. Angélique ? JULIETTE. Elle-même. SAINVILLE. Ah ! Ciel ! Quelle est ma joie !Dieux ! Elle me prévient. JULIETTE. Sans vous le reprocher, C'est la dixième fois que je viens vous chercher. SAINVILLE. Ah ! Je suis trop heureux. JULIETTE. Apprenez à quels titres,Et prenez ce paquet ; c'est un recueil d'épîtres. SAINVILLE. Ô gages fortunés du plus fidèle amour !Ô bonheur qui m'assure un éternel retour ! Quand je semblais avoir abjuré son empire,Elle pensait à moi, s'occupait à m'écrire ;Ce sont tous ses billets. JULIETTE, voulant sortir. Vous verrez à loisir. SAINVILLE, en l'arrêtant. Je ne me souviens pas de t'avoir fait plaisir. JULIETTE, à part. Ni moi non plus. SAINVILLE, en tirant sa bourse. Tu m'as trop bien servi près d'elle, Pour ne pas aujourd'hui récompenser ton zèle. Il lui donne de l'argent. Il lui donne sa bourse. Tiens, Juliette... Ah ! Prends tout. JULIETTE. Que de biens à la fois ! SAINVILLE. Eh ! Puis-je trop payer tous ceux que je reçois ? JULIETTE, voulant s'en aller. Je suis votre servante. SAINVILLE. Attends. JULIETTE. Monsieur, je n'ose. SAINVILLE. Sois témoin des transports que mon bonheur me cause. Tu lui diras... Grands dieux ! Quel retour inhumain !Je vois, je lis ma perte écrite de ma main ;Mes lettres, mon portrait ! Il faudra que j'en meure ! JULIETTE, à part. Je ne crois pas qu'il soit besoin que je demeure. SAINVILLE. L'espoir n'a donc servi qu'à mieux m'assassiner. À Juliette. Eh ! Quoi ! Tu fuis ! JULIETTE. Je crains de vous importuner. SAINVILLE. Parle donc, ton silence augmente mon supplice.Tu ne te tairais pas, si tu n'étais complice. JULIETTE. Mais en serez-vous mieux, quand je vous aurai dit,Que jusqu'à la rupture on pousse le dépit, Qu'à l'amour d'Angélique il ne faut plus prétendre,Et qu'elle ne veut plus vous voir ni vous entendre ? SAINVILLE. On ne peut donc jamais former qu'un noeud fatal.Il n'est donc que trop vrai que tout choix est égal.À tout âge, en tout lieu, l'amour n'est qu'en idée. Enfin, c'en est donc fait, ma perte est décidée :Je n'ai donc plus ce coeur que j'avais enflammé. JULIETTE. Jugez-vous. Quand on a le bonheur d'être aimé,Il faudrait résider auprès d'une maîtresse,Cultiver par soi-même, et nourrir sa tendresse. L'amour qu'on nous inspire exige bien du soin ;Des yeux qui l'ont fait naître, il a toujours besoin ;La moindre négligence y porte un coup funeste.Est-ce que notre coeur a des forces de reste ? SAINVILLE. Et parce que j'ai tort, m'abandonneras-tu ? JULIETTE. La bonne volonté fait toute ma vertu :Mais je suis sans crédit ; je rougis de le dire.Certaine gouvernante a sur elle un empire,Que, pendant votre absence, elle a jusqu'à ce jourAcquis, malgré moi-même, aux dépens de l'amour. SAINVILLE. Mais, malgré cette femme, au moins je puis écrire. JULIETTE. Et l'on refusera constamment de vous lire ;Car ce maudit Argus pense à tout, n'omet rien...Écrivez cependant. SAINVILLE. Je m'en garderai bien.Ah ! C'en est trop enfin... je ne veux rien entendre ; Puisqu'on me rend mon coeur, il faut bien le reprendre ;Puisqu'on brise ma chaîne, il faut bien en sortir.Non, je ne prétends pas perdre mon repentir.Laisse-moi, c'est en vain que la perfide y compte :J'aime encor mieux mourir de rage que de honte : J'aurais vécu pour elle, et je vivrai pour moi.Que je suis soulagé d'avoir repris ma foi !Que je vais désormais vivre heureux et tranquille !Tu le veux, j'écrirai ; mais ce sera d'un style...Elle apprendra qu'on peut cesser de l'adorer. JULIETTE. Perdez-vous la raison ? Au lieu de réparer... SAINVILLE. Un seul regret me tue, il faut que j'en convienne,C'est que son inconstance ait prévenu la mienne.Toi, tu lui remettras ma lettre en temps et lieu ;Tu la lui feras lire... allons, j'y compte. Adieu. Il sort. SCÈNE VI. JULIETTE, seule. Voilà comme ils sont tous, quand on leur rend le change ;Furieux, hors de sens : c'est une espèce étrange ;Mais enfin, quels qu'ils soient, tout bien apprécié,Il ne faut pas laisser que d'en avoir pitié. ACTE II SCÈNE I. LA GOUVERNANTE, seule. Ô tendresse du sang ! Doux charme de ma vie, Qui devrait dès longtemps m'avoir été ravie !Quel état m'as-tu fait préférer à la mort ?Grands dieux ! Lorsque j'y pense, était-ce là mon sort ?Mais je n'en rougis point, la cause en est trop chère.Continuons les soins de la plus tendre mère ; Avant que de rentrer dans ce cloître écarté,Où la main d'un parent a daigné par bontéAssurer mon destin, consommons mon ouvrage.Ah ! Ciel, permets enfin qu'à travers un nuage,J'achève de verser sur l'objet de mes pleurs, Les seuls biens qui me soient restés de mes malheurs ;Et du moins, qu'au défaut de tout autre avantage,L'usage des vertus lui serve d'héritage.Voyons ce que sur elle ont produit mes avis ;Et si, pour son bonheur, elle les a suivis. SCÈNE II. Angélique, la gouvernante. ANGÉLIQUE. Ma bonne, embrassez-moi. Que je suis satisfaite ! LA GOUVERNANTE. Quoi donc, ma chère enfant ? ANGÉLIQUE. Ma victoire est complète. LA GOUVERNANTE. À part. Que je crains ces transports ! Haut. Qu'est-il donc arrivé ? ANGÉLIQUE. Que j'ai tout renvoyé, je n'en ai rien sauvé.J'ignorais qu'on aimât si fort ces bagatelles ; Je n'ai pu m'en priver sans des peines mortelles :Je les regrette encor ; mais j'ai fait mon devoir.Ah ! Je suis bien vengée ; il est au désespoir. LA GOUVERNANTE. Il en fait semblant. ANGÉLIQUE. Non ; il n'est pas homme à feindre,Et Juliette m'a dit qu'il était fort à plaindre. LA GOUVERNANTE. Elle a pensé vous perdre, et sa fausse amitiéVoudrait contre vous-même armer votre pitié.De ces personnes-là craignez le caractère ;On ne se perd jamais que par leur ministère ;Et, si vous m'en croyez, détachez-la de vous ; En un mot, fuyez-la, rompez. ANGÉLIQUE. Mais, entre nous,Me voilà donc réduite à ne voir plus personne ?Car vous m'ordonnerez, du moins je le soupçonne,De ne plus voir Sainville. LA GOUVERNANTE. Oui, ne balancez pas. ANGÉLIQUE. Mais s'il m'écrit ? LA GOUVERNANTE. Peut-être. ANGÉLIQUE. Ah ! Sans doute. LA GOUVERNANTE. En ce cas, Sans la décacheter renvoyez-lui sa lettre...Voilà précisément ce qu'il faut me promettre.Eh ! Quoi ! Vous hésitez ! Vous vous taisez ?Parlez. ANGÉLIQUE. Ah ! Vous faites de moi tout ce que vous voulez. LA GOUVERNANTE. Mais c'est pour votre bien. ANGÉLIQUE. Hélas ! LA GOUVERNANTE. Daignez m'en croire, C'est pour vous conserver votre honneur, votre gloire. ANGÉLIQUE. L'honneur est donc toujours l'ennemi de l'amour ? LA GOUVERNANTE. Non vraiment ; au contraire, il l'approuve à son tour. ANGÉLIQUE. Et pourquoi donc le mien vous semble-t-il un crime ? LA GOUVERNANTE. C'est qu'il faut que l'amour ait un but légitime. Puisque vous m'y forcez : devez-vous ignorerQue pour pouvoir aimer sans se déshonorer,Il faut qu'un doux espoir mieux fondé que le vôtre,Assortisse deux coeurs qui soient faits l'un pour l'autre ? ANGÉLIQUE. Eh ! Pour qui donc Sainville et moi sommes-nous faits ? LA GOUVERNANTE. Que de faiblesse encor ! Que j'en crains les effets ! À part.Sans nous trop avancer, ôtons-lui l'espéranceQu'elle ose concevoir contre toute apparence. Haut. Ma fille, (vous m'avez permis un si doux nom,)Il faut, à vous guérir, forcer votre raison. Non, ce n'est point à vous que le ciel le destine :Peut-il s'associer avec une orphelineInconnue, et d'ailleurs réduite à ses attraits,Qui n'a ni bien, ni rang, qui n'en aura jamais ?Sur La Baronne en vain vous fondez votre attente. ANGÉLIQUE. Et par quelle raison ? N'est-elle pas ma tante ? LA GOUVERNANTE. Hélas ! ANGÉLIQUE. Que dites-vous ? LA GOUVERNANTE. Ôtez-vous cet espoir. ANGÉLIQUE. Mais encor, pourquoi donc ? LA GOUVERNANTE. Voulez-vous le savoir ?Elle ne vous est rien, le rapport est fidèle. ANGÉLIQUE. Depuis plus de quatre ans que je suis avec elle, Elle fait tout pour moi. LA GOUVERNANTE. Vous l'avez mérité ;Mais ce n'en est pas moins l'effet de sa bonté.Vous étiez, dans un cloître une charge importune,Où l'on était enfin las de votre infortune. ANGÉLIQUE. Mais d'où provenait donc cet abandon total ? LA GOUVERNANTE. Vos parents ruinés par un procès fatal,Furent forcés de faire un si grand sacrifice.Plaignez-les ; ce fut là leur plus cruel supplice. ANGÉLIQUE. Vous vous attendrissez. Vous les avez connus ?S'il est vrai, dites-moi ce qu'ils sont devenus, Ne me cachez plus rien. LA GOUVERNANTE. Votre malheureux pèreSaisit l'occasion d'une guerre étrangère :Son courage lui fit espérer tout du sort ;Mais il s'exposa trop, il y trouva la mort. ANGÉLIQUE. Ah ! Grands dieux ! Et ma mère alors que devint-elle ? LA GOUVERNANTE. Votre mère ! Jugez de sa douleur mortelle ;Peignez-vous son état et son adversité.Enfin, après avoir longtemps sollicité,D'une pension faible, à peine suffisantePour soutenir sa vie infirme et languissante, On crut payer assez les jours de son époux.Elle comptait alors se réunir à vous,Et vous faire venir pour essuyer ses larmes ;Toute prête à jouir d'un bien si plein de charmes,Sa santé succomba sous des maux si constants. Dans les bras de la mort elle resta longtemps ;À peine elle en sortait que ce bienfait modique,Qui faisait sa fortune et sa ressource unique,Fut discontinué sans espoir de retour. ANGÉLIQUE. Sans doute que depuis un si malheureux jour, Elle n'a pu survivre à ce coup si funeste ;Vos larmes, vos soupirs m'apprennent tout le reste. LA GOUVERNANTE. Ne comptez plus sur elle, et revenons à vous.Vous étiez au couvent, où je sens, entre nous,Jusqu'où pouvait aller votre disgrâce affreuse, Quand le ciel qui voulait que vous fussiez heureuse,De La Baronne un jour y conduisit les pas :On lui parla de vous. Votre âge, vos appas,Des larmes, qui pour lors vous prêtèrent leurs charmes.Tout força La Baronne à vous rendre les armes ; Elle vous prodigua ses généreux secours :Enfin, son amitié s'augmentant tous les jours,Elle vous prit chez elle, et sa vive tendresseDaigna vous honorer du titre de sa nièce. ANGÉLIQUE. Ah ! Quelle différence ! LA GOUVERNANTE. Ainsi, ne l'étant pas, Voyez quel précipice est ouvert sous vos pas.Pouvez-vous vous livrer à l'espoir inutileDe devenir un jour l'épouse de Sainville ?Non ; cessez de compter sur cet heureux lien.La Baronne pourra vous faire quelque bien ; Mais ce n'est pas assez pour que l'on vous préfèreAu plus riche parti que lui cherche son père :Sainville en a besoin pour vivre avec l'éclatQu'exigeront bientôt son rang et son état. ANGÉLIQUE. Et le plus tendre amour n'est donc rien dans la vie ? Au gré de la fortune il faut qu'on se marie.Pourvu qu'on soit bien riche, on est donc bien content ?Je ne l'aurais pas cru. LA GOUVERNANTE. Le plus sûr est pourtantDe ne plus espérer que l'hymen vous unisse :N'attendez pas, vous dis-je, un si grand sacrifice, Je n'imagine pas qu'il y puisse songer. ANGÉLIQUE. Vous découvrez l'abîme où j'allais me plonger.Que de combats vont être arrosés de mes larmes !Ce n'est que loin de lui que je trouve des armes.Je dois vous avouer que mon coeur révolté Sur mes réflexions l'a toujours emporté ;Et si je reste ici... LA GOUVERNANTE. Venez. ANGÉLIQUE. Où donc, ma bonne ? LA GOUVERNANTE. Où l'honneur vous attend, aux pieds de La Baronne :Venez lui confier votre état dangereux ;Elle aime la vertu, son coeur est généreux : Priez-la de finir une peine si rude,En vous faisant rentrer dans cette solitudeOù vous étiez. Pressez, redoublez votre effort ;Elle est riche, elle y peut assurer votre sort.Doutez-vous du succès ? La Baronne vous aime. ANGÉLIQUE. Je ne puis avouer ma honte qu'à moi-même. LA GOUVERNANTE. Mais vous vous êtes bien confiée à ma foi ? ANGÉLIQUE. Vous n'êtes pas un tiers entre mon coeur et moi.N'est-il que ce moyen ? Si je vous intéresse,Ma bonne, sauvez-moi l'aveu de ma faiblesse. LA GOUVERNANTE. Hâtez-vous d'employer des motifs si pressants :Les remèdes tardifs sont toujours impuissants. ANGÉLIQUE. Disposez d'un aveu que je vous abandonne,Chargez-vous-en vous-même auprès de La Baronne. LA GOUVERNANTE. Vous me le permettez ? ANGÉLIQUE. Oui, je vous le permets. LA GOUVERNANTE. Vous me désavouerez. ANGÉLIQUE. Non, je vous le promets. LA GOUVERNANTE. J'y vais donc. ANGÉLIQUE. Attendez... partez, volez, ma bonne :Je pourrais révoquer l'ordre que je vous donne. LA GOUVERNANTE. J'obéis. ANGÉLIQUE. Écoutez ; c'est à condition,Si l'on daigne accepter ma proposition, Que vous viendrez aussi, que nous vivrons ensemble ;Je me soumets à tout, pourvu qu'on nous rassemble.N'y consentez-vous pas ? LA GOUVERNANTE. Oui, c'est bien mon dessein. Elle sort. ANGÉLIQUE. Ah ! Je pourrai du moins soupirer dans son sein ;Car je ne compte pas guérir de ma faiblesse. SCÈNE III. Juliette, un laquais, Angélique. JULIETTE, au laquais. Viens quand je tousserai. LE LAQUAIS. Comptez sur mon adresse. SCÈNE IV. Juliette, Angélique. JULIETTE. Pourrait-on vous parler ? ANGÉLIQUE. Tu lui diras que non. JULIETTE. C'est moi qui vous demande audience en mon nom. ANGÉLIQUE. Qui ? Toi ! JULIETTE. Moi-même. ANGÉLIQUE. Eh ! Bien, je ne veux plus t'entendre. JULIETTE. Et par quelle raison ? ANGÉLIQUE. Je n'en ai plus à rendre. JULIETTE. On vous l'a défendu ? ANGÉLIQUE. Je n'obéis qu'à moi. JULIETTE. Depuis assez longtemps, parlons de bonne foi,Votre bonne, jalouse, envieuse, inquiète,Cherche à me supplanter ; sa victoire est complète.Votre humeur trop facile a comblé son désir. N'agissez, ne pensez que sous son bon plaisir,Ayez pour tout instinct celui qu'elle vous prête,Soyez comme un enfant qu'on mène à la baguette. ANGÉLIQUE. De grâce, finissons ; je ne vois que trop bienQuel est le but secret de ce bel entretien. JULIETTE. Vous pourriez vous tromper. ANGÉLIQUE. Va, je sais qui t'envoie. JULIETTE. Ne vous en faites pas une si grande joie. ANGÉLIQUE. Quoi ! Tu me soutiendras ? JULIETTE. Moi, je ne soutiens rien. ANGÉLIQUE. Tu ne viens pas exprès pour trouver le moyenD'apaiser, s'il se peut, une amante outragée ? JULIETTE. Ce serait volontiers, s'il m'en avait chargée ;Et d'ailleurs, (ce n'est pas que je parle pour lui : )Mais enfin, croyez-vous les hommes d'aujourd'huiD'humeur à nous passer tous nos petits caprices,À faire tous les jours les plus grands sacrifices, À braver, à souffrir les mépris, les rebuts,À demeurer constants lorsque l'on n'en veut plus,À revenir à nous, si-tôt qu'on les rappelle ?Non ; l'art d'aimer a pris une forme nouvelle :C'est à nous à présent à remplir, en aimant, Tout ce qu'une maîtresse exigeait d'un amant ;Encore arrive-t-il qu'on croit nous faire grâce.Nos esclaves ont mis leurs vainqueurs à leur place ;Ils se sont emparés de nos droits les plus doux ;Tout le poids de l'amour est retombé sur nous. ANGÉLIQUE. Que m'importe ? JULIETTE. Avouez que si, par aventure,Sainville revenait après cette rupture,Plus tendre que jamais, vous rapporter son coeur,Le vôtre aurait pour lui la dernière rigueur. ANGÉLIQUE. Sans doute. JULIETTE. Il fait donc bien de ne se pas commettre : je dis plus, s'il osait hasarder une lettre,Pleine de désespoir, (je suppose le cas,)Vous la refuseriez ? ANGÉLIQUE. Je n'y toucherais pas. JULIETTE, à part. Il se le tient pour dit. Il est temps que je tousse. Elle tousse.À la dernière épreuve il faut que je la pousse. ANGÉLIQUE. Qu'as-tu donc ? JULIETTE, à part. Est-il sourd ? Recommençons encor. Elle tousse. SCÈNE V. Angélique, Juliette, un laquais. LE LAQUAIS. N'avez-vous pas toussé ! JULIETTE, à part. Peste soit du butor. LE LAQUAIS. J'ai donc mal entendu. JULIETTE. Donne. ANGÉLIQUE. Qu'est-ce ? JULIETTE. Une lettreQue ce drôle a sans doute ordre de me remettre. SCÈNE VI. Angélique, Juliette. ANGÉLIQUE. Ah ! La belle finesse ! JULIETTE. En quoi donc, s'il vous plaît ? De grâce, expliquez-vous. ANGÉLIQUE. Va, je sais ce que c'est.Il faut, pour m'attraper, être un peu plus habile.Ce billet qu'on t'apporte est... JULIETTE. De qui ? ANGÉLIQUE. De Sainville. JULIETTE. De lui ? ANGÉLIQUE. Je gagerais. JULIETTE, en défaisant l'enveloppe, qu'elle jette. Il faut voir. ANGÉLIQUE. Que fais-tu ? JULIETTE. Je l'ouvre. ANGÉLIQUE. Je dirai que je ne l'ai pas lu. JULIETTE, à part. Pour la pousser à bout, changeons un peu le texte, Elle lit haut.Et lisons autrement. Pourquoi prendre un prétexte ? ANGÉLIQUE. Arrête, ou je m'en vais. JULIETTE. Eh ! Bien, lisons tout bas. ANGÉLIQUE. Lis, puisque tu le veux ; mais je n'entendrai pas. JULIETTE lit, et Angélique semble s'amuser à autre chose. "Lorsque nous avons cru nous aimer l'un et l'autre, Nous nous sommes trompés." ANGÉLIQUE, à part. Dieux ! Qu'est-ce que j'entends ? JULIETTE, continuant à lire. "Il n'est pas malheureux de rompre en même temps ;Car mon erreur n'a pas duré plus que la vôtre.J'accepte la rupture, ainsi n'en parlons plus. " ANGÉLIQUE, à part, en ramassant l'enveloppe. Est-ce à moi qu'on écrit ?... Regardons le dessus. JULIETTE. À qui, diantre, en veut-on ? Quelle est cette aventure ?Pourriez-vous, par hasard, connaître l'écriture ? ANGÉLIQUE, animée. Elle est de mon perfide. JULIETTE, ingénument. Ah ! Vous l'avez bien dit. ANGÉLIQUE. Oui, Juliette, elle en est ; c'est à moi qu'il écrit,Et c'est lui qui m'outrage après m'avoir trahie, Et qui joint le mépris avec la perfidie... Poursuis. JULIETTE. Restons-en là. ANGÉLIQUE. Quelle était mon erreur !Achève, j'ai besoin de l'avoir en horreur. JULIETTE. Vous l'aimiez donc encore ? ANGÉLIQUE. Aimer sans espéranceEst un état cruel. Mais quelle différence ! Haïr est le tourment le plus affreux de tous.Donne-moi ce billet. JULIETTE. À part. Tenez, contentez-vous.Avertissons Sainville, il est temps qu'il arrive. Elle sort. SCÈNE VII. Angélique, Sainville. SAINVILLE. Cédons, l'impatience où je suis est trop vive. ANGÉLIQUE. Fuyons, sans doute il vient jouir de son forfait. SAINVILLE. Vous me fuyez ? ANGÉLIQUE, en lui jetant le billet. Tenez, voilà votre billet. SAINVILLE. A-t-il pu vous déplaire ? ANGÉLIQUE. Autre insulte mortelle. SAINVILLE. C'est de mes sentiments l'expression fidèle. ANGÉLIQUE, à part. De peur que je n'en doute encore, il en convient. SAINVILLE. Je viens vous assurer de tout ce qu'il contient. ANGÉLIQUE. C'en est trop. SAINVILLE. Quel courroux ! ANGÉLIQUE. Auriez-vous bien l'audace,Auriez-vous la fureur de m'insulter en face ? SAINVILLE. Quel est donc mon forfait ? ANGÉLIQUE. Feignez de l'ignorer. SAINVILLE. D'un éclaircissement pourriez-vous m'honorer ? ANGÉLIQUE. Perfide, on n'en doit point à ceux qui nous outragent. SAINVILLE. Ah ! Je ne vois que trop quels motifs vous engagentÀ m'accabler encor d'un si cruel refus.Hélas ! Tout ce qui vient de ce qu'on n'aime plusDégénère en offense, et se tourne en injure. ANGÉLIQUE. Cessez de m'arrêter. SAINVILLE. Je ne puis. Non, parjure ; La révolte devient permise au désespoir :Vous me rendrez raison d'un procédé si noir. SCÈNE VIII. Juliette, Angélique, Sainville. JULIETTE, en riant. Eh ! Je vous cherche. SAINVILLE. Parle, est-ce là cette lettreQu'à l'instant de ma part tu viens de lui remettre ?Tu dois la reconnaître, est-ce elle ? JULIETTE. En doutez-vous ? SAINVILLE. Eh ! Bien, mademoiselle en est dans un courrouxQui ne se conçoit pas ; sa fureur est extrême. JULIETTE. Vous pourrez la calmer en la lisant vous-même. ANGÉLIQUE. Mais à quoi servira... JULIETTE. Je puis avoir mal lu. ANGÉLIQUE. Puisqu'il convient de tout, c'est un soin superflu. JULIETTE, à Angélique et à Sainville. Écoutez ; vous, lisez. Sainville lit."Le secours de l'absenceM'a bien mieux fait sentir le prix de votre coeur ;Et lorsque je reviens à mon premier vainqueur,C'est avec plus d'amour et plus de connaissance. " ANGÉLIQUE. Vous lisez faux. Sainville, en lui présentant le billet .Voyez. JULIETTE. N'interrompez donc pas. Suivez des yeux. Angélique regarde, et lit en même temps. SAINVILLE. "Partout où j'ai porté mes pas,Je n'ai trouvé que vous, dont mon âme asserviePût faire son bonheur le reste de ma vie. " ANGÉLIQUE, d'un air moins courroucé. Il a raison... Juliette. JULIETTE. Eh ! Bien, vous vous aimez. ANGÉLIQUE. Mais, quoi ! JULIETTE. Plus que jamais vos coeurs sont enflammés. Quelle explication faut-il que je vous donne ? En leur prenant la main.Eh ! Trop heureuse encor l'amante qui pardonne. ANGÉLIQUE. Voilà ce que j'ai craint... Sainville, il n'est plus temps,Je retourne au couvent. SAINVILLE. Dieux ! Qu'est-ce que j'entends ?Vous voulez donc ma mort ? ANGÉLIQUE, à part. Et sans doute la mienne. Haut.J'ai donné ma parole, il faut que je la tienne. SAINVILLE. L'amour n'avait-il pas la vôtre auparavant ?Eh ! Que voulez-vous donc faire dans ce couvent ? ANGÉLIQUE. On est allé, pour moi, le demander en grâce. SAINVILLE. En grâce, dites-vous ? ANGÉLIQUE. Voilà ce qui se passe, J'en attends la réponse : et je vous dirai plus,Je tremble... SAINVILLE. Et de quoi donc ? ANGÉLIQUE. De n'avoir qu'un refus. SAINVILLE, d'un ton ironique. Cette grâce, en effet, vous doit être fort chère. ANGÉLIQUE, ingénument. Entendez mes raisons, sans vous mettre en colère. SAINVILLE. En pouvez-vous avoir pour me désespérer, Lorsqu'à tout l'univers je viens vous préférer ;Quand je mets mon bonheur, ma fortune, ma vie,À vous faire régner sur mon âme ravie,À m'assurer la vôtre, à vous lier à moiPar le don éternel de ma main, de ma foi ? ANGÉLIQUE. Auriez-vous ce dessein ? SAINVILLE. Puis-je en avoir un autre ? ANGÉLIQUE. On l'a craint. SAINVILLE. Justes dieux ! Quel soupçon est le vôtre !Il ne vient point de vous ; et je vois en ce jourL'horreur qu'on a voulu verser sur mon amour,Et l'effroi qu'on a mis dans le fond de votre âme. Oui, pendant mon absence on vous a peint ma flammeComme un amusement frivole et criminel,Qui pourrait vous couvrir d'un opprobre éternel.Avez-vous pu souffrir qu'on me fît cette injure ?A-t-on vu dans mon coeur le germe du parjure Et de la perfidie ? Et vous, qui me blessez,Angélique, est-ce ainsi que vous me connaissez ? ANGÉLIQUE, à Juliette. On a jugé bien mal de l'amour de Sainville. JULIETTE. Et vous avez été trop prompte et trop facileÀ vous déterminer. SAINVILLE. Vos beaux yeux sont baissés ! Eh ! Regardez du moins ceux que vous offensez. ANGÉLIQUE. Ah ! Sainville. SAINVILLE. Quoi donc ! Qui fait couler vos larmes ? ANGÉLIQUE. Vous ne savez pas tout. SAINVILLE. Quelles sont ces alarmes ?Quels secrets devez-vous cacher à mon amour ? ANGÉLIQUE, en s'approchant de lui. J'ignore qui sont ceux à qui je dois le jour. Juliette se retire au fond du théâtre pour faire le guet.Vous croyez que je suis nièce de La Baronne ? SAINVILLE. Comment ? ANGÉLIQUE. Il n'en est rien, je ne tiens à personne. SAINVILLE. Ah ! Grands dieux ! Quel sera mon bonheur de pouvoirvous tenir lieu de tout ! Couronnez mon espoir. ANGÉLIQUE. Quoi ! Malgré cet aveu ? SAINVILLE. Je n'en aurai point d'autre ; Assurez à la fois mon bonheur et le vôtre. ANGÉLIQUE. Je pourrais être à vous ? SAINVILLE. Oui, le plus tendre amantS'engage, et pour jamais vous en fait le serment.Tendez-moi cette main... mais quel trouble vous presse ? ANGÉLIQUE. Mais, Sainville, comment retirer ma promesse ? SAINVILLE, en se jetant à ses pieds. Nous verrons. Cependant, cachons bien notre amour ;Dissimulons tous deux jusques à l'heureux jour. Il lui baise la main. SCÈNE IX. La Baronne, La Gouvernante, Sainville, Angélique, Juliette. JULIETTE, arrivant en courant. Levez-vous, et fuyez. ANGÉLIQUE. Que vois-je ! C'est ma bonne ! SAINVILLE. Évitons cette femme, et fuyons La Baronne. Tous s'enfuient. SCÈNE X. La Baronne, La Gouvernante. LA BARONNE, ironiquement. Sont-ce là les adieux de ces pauvres enfants ? LA GOUVERNANTE. Je suis au désespoir. LA BARONNE. Vos soins sont triomphants. LA GOUVERNANTE. Ah ! Madame. LA BARONNE. En voilà l'heureuse réussite :Ils ont bien opéré ; je vous en félicite. LA GOUVERNANTE, confuse. Ah ! Daignez me traiter avec moins de rigueur.Ce que je viens de voir a déchiré mon coeur. LA BARONNE. Et croyez-vous encor qu'Angélique ait envieD'aller dans un couvent passer toute sa vie ? LA GOUVERNANTE, d'un ton ferme. Ne la consultez point en cette extrémité,Madame ; il faut user de votre autorité.Eh ! Comment voulez-vous qu'une fille à son âge Puisse de sa raison faire un heureux usage,Quand la séduction, avec tous ses appas,L'environne, l'obsède, et la suit pas à pas ?Arrachez au péril une aveugle victime,que son propre penchant entraîne dans l'abîme. LA BARONNE. À part. Feignons. Haut.Il peut avoir dessein de l'épouser. LA GOUVERNANTE. Angélique à ce point ne saurait s'abuser ;Sa facilité seule emporte la balance.Sait-elle seulement qu'elle est sans espérance ?Dans l'ivresse où son coeur est plongé sans retour, Ses yeux ne portent pas plus loin que son amour ;Et son bonheur présent, qui n'est qu'une chimère,Fait que son avenir ne l'embarrasse guère :Elle ne sait qu'aimer, et ne sait rien prévoir.Mais enfin, supposé qu'un si fatal espoir, Sur la foi des serments, autorise sa flamme,Et, malgré la raison, règne au fond de son âme,Que de sujets pour vous de crainte et de terreur !Jusqu'où peut la conduire une semblable erreur !Je frémis ; ôtez-vous cette frayeur mortelle. Eh ! L'amour et l'hymen ne sont pas faits pour elle. LA BARONNE. Je le sais comme vous, Sainville est dépendant ;Jamais il n'obtiendrait l'aveu du président.Mais sur une terreur qui peut être indiscrète,L'enterrer toute vive au fond d'une retraite, C'est une cruauté. LA GOUVERNANTE. Qui lui sauve l'honneur.Leur amour passera. Vous-même, en sa faveur,Empruntez un moment des entrailles de mère.Quoi ! Vous priveriez-vous d'une fille si chère ?Vous soupirez ? Parlez. LA GOUVERNANTE. J'y résoudrais mon coeur. LA BARONNE. À part. Fort bien. Haut.Je ne saurais avoir cette rigueur.Mais je veux lui parler ; et, si ma remontranceEst sans succès, j'irai jusques à la défense. LA GOUVERNANTE. Elle ne servira que d'un attrait de plus. LA BARONNE. Veillez-la de plus près encor. LA GOUVERNANTE. Soins superflus ! Contre deux coeurs unis que sert la vigilance ? Elle se jette à ses pieds. J'embrasse vos genoux. LA BARONNE, à part. Faisons-nous violence. LA GOUVERNANTE. Éloignez Angélique, ôtez-la de ces lieux.Ah ! Voulez-vous la voir se perdre sous vos yeux ? LA BARONNE. C'en est trop ; laissez-moi, je vous demande grâce. Tant de vivacité m'importune et me lasse. LA GOUVERNANTE. En se relevant. Eh ! Puis-je en mettre moins ? En s'en allant.Allons cacher mes pleurs.Ah ! Ciel, daigne empêcher le plus grand des malheurs ! SCÈNE XI. LA BARONNE, seule. Le piège a réussi ; ma froideur affectéeA produit les effets dont je m'étais flattée. Achevons ; on a dû lui surprendre en secretDes papiers qui pourront m'instruire tout-à-fait. ACTE III SCÈNE I. Juliette, Angélique. JULIETTE. Allons, il faut un peu faire tête à l'orage. ANGÉLIQUE. Trop de confusion a glacé mon courage. JULIETTE. L'amour est cependant fait pour en inspirer. ANGÉLIQUE. Je ne puis que rougir, me taire, et soupirer. JULIETTE. Reprenez vos esprits. ANGÉLIQUE. Non, quoi que je me dise,Je ne puis revenir d'avoir été surprise. JULIETTE. Pour un petit malheur faut-il se dérouter ?La Baronne, entre nous, n'est pas à redouter ; Elle est femme du monde, et n'en fera que rire :Pour l'autre, au pis aller, il faut la laisser dire. ANGÉLIQUE. C'est elle qui me cause aussi le plus d'effroi. JULIETTE. Quelle enfance ! Eh ! Qui peut, malgré vous, malgré moi,Vous contraindre à rester ainsi sous sa tutelle ? ANGÉLIQUE. Sa raison, sa vertu. JULIETTE. Je n'en ai pas moins qu'elle. ANGÉLIQUE. Je ne sais, mais je sens qu'elle ne me dit rien,Qui véritablement ne soit que pour mon bien :C'est un fait ; mais j'ai beau m'en convaincre moi-même,Quelle conviction tient contre ce qu'on aime ? Quand Sainville paraît, tout est évanoui. JULIETTE. Cela se doit ; il va venir. ANGÉLIQUE, en regardant de côté et d'autre. Eh ! Vraiment, oui. JULIETTE. Arrangez-vous tous deux, tandis que La BaronneDans le fond du jardin est avec votre bonne,En un grand pour-parler. ANGÉLIQUE. C'est à notre sujet. JULIETTE. Bon ! Bon ! Qu'importe ? Adieu, je vais faire le guet. SCÈNE II. Sainville, Angélique. SAINVILLE. Nous nous étions promis qu'une ombre salutaireDe nos voeux mutuels couvrirait le mystère :Cependant vous voyez que tout est découvert.Vous puis-je, à ce sujet, parler à coeur ouvert ? ANGÉLIQUE. Hélas ! Vous le pouvez ; je répondrai de même.Que vois-je dans vos yeux ? SAINVILLE. Mon désespoir extrême. ANGÉLIQUE. D'où vient ? SAINVILLE. Je suis perdu. ANGÉLIQUE. Vous ! Quel trouble est le mien ! SAINVILLE. On pourrait me sauver ; mais vous n'en ferez rien.Vous savez que l'amour nous a faits l'un pour l'autre. ANGÉLIQUE. Eh ! Bien ? SAINVILLE. Vous trahirez et son choix, et le vôtre.Les persécutions vous feront succomberOn travaille au malheur où nous allons tomber. ANGÉLIQUE. De quoi me grondez-vous ? Puis-je aimer davantage ? SAINVILLE. Je veux autant d'amour avec plus de courage. ANGÉLIQUE. Laissez-moi vous aimer comme je puis aimer. SAINVILLE. Non, ce n'est pas assez. ANGÉLIQUE. Qui peut vous alarmer ? SAINVILLE. L'instant où je vous parle est le seul qui nous reste ;On va vous accorder cette grâce funesteQue votre complaisance a fait solliciter ; On saura vous résoudre enfin à l'accepter.Que dis-je ! On obtiendra de votre obéissanceD'agréer les horreurs d'une éternelle absence. ANGÉLIQUE. À subir cet arrêt je dois me préparer ;Mais sans nous désunir on peut nous séparer. SAINVILLE. Oui, je dois prendre en vous de grandes assurances !Jamais l'éloignement, le temps, les remontrancesNe produiront sur vous leur infaillible effet,Et vous braverez tout, comme vous avez fait. ANGÉLIQUE. Que me reprochez-vous ? SAINVILLE. Une épreuve cruelle. ANGÉLIQUE. Eh ! N'avais-je pas lieu de vous croire infidèle ? SAINVILLE. Cruelle ! On vous aidait à vous l'imaginer ;mais au fond du désert où l'on va vous mener,On ne tardera guère à vous le faire croire,À noircir un absent par quelque fausse histoire Que l'on aura grand soin de circonstancier ;Et je n'y serai point pour me justifier.Vos feux ne pourront pas se nourrir de leurs cendres. ANGÉLIQUE. Ne m'écrirez-vous pas ? SAINVILLE. Les lettres les plus tendresNe peuvent soutenir longtemps un faible coeur : Notre ennemie alors usera de noirceur ;Les unes en secret seront interceptées ;Les autres à son gré seront interprétées.La perfide saura, d'un air doux et trompeur,Vous fasciner les yeux de l'esprit et du coeur. ANGÉLIQUE. Mais je les lirai seule. SAINVILLE. Elle les aura vues :Vous n'en recevrez point qu'elle ne les ait lues ;Elle s'en servira, vous dis-je, à mes dépens,Et les supprimera quand il en sera temps. ANGÉLIQUE. Je vois, en frémissant, quel péril nous menace. Puis-je le détourner ? Que faut-il que je fasse ? SAINVILLE, en tirant un papier. Me croire, m'imiter, et m'en signer autant ;Voilà ce que l'amour exige en cet instant : En lui donnant l'écrit. De notre sûreté c'est-là l'unique gage. ANGÉLIQUE, en prenant le papier. Quel est donc ce papier ? SAINVILLE. Le serment qui m'engage À rendre à vos appas un hommage éternel,Le garant et le sceau de ce don solennel,Que vous font à jamais l'amour et l'hyménée,De ma main, de mon coeur, et de ma destinée...Quoi donc ! Vous hésitez à recevoir ma foi, Et votre main balance à se donner à moi ! ANGÉLIQUE. Eh ! Le puis-je ? SAINVILLE, animé. Comment ! ANGÉLIQUE, tremblante. Quel courroux vous enflamme ? SAINVILLE. L'impossibilité n'est qu'au fond de votre âme.Eh ! Quel obstacle empêche un noeud si plein d'appas ?Hélas ! Vous le cherchez et ne le trouvez pas. Si vous m'avez dit vrai, vous êtes à vous-même,Vous dépendez de vous ; votre infortune extrême,Dont je rends grâce au sort, vous met en libertéDe choisir qui vous plaît. ANGÉLIQUE. Oui, c'est la vérité ;Je n'ai point de parents, du moins que je connaisse. Mais, quoi ! Puis-je, à mon âge, être assez ma maîtresse,Pour que mon seul aveu dispose de ma main ? SAINVILLE. Non : j'attendais de vous ce refus inhumain. ANGÉLIQUE. Une raison n'est pas un refus. SAINVILLE, à part. L'inconstante ! ANGÉLIQUE. Mais si je consultais... SAINVILLE. Qui ? Votre gouvernante ? Et vous consulterez ensuite votre coeur ? ANGÉLIQUE, éplorée. Tenez, vous me traitez avec trop de rigueur ;Vous me troublez si fort, qu'à peine je respire :Je ne sais déjà plus ce que j'avais à dire. SAINVILLE. Si vous daigniez sur vous faire un juste retour... ANGÉLIQUE. Eh ! Je crains ma raison autant que mon amour. SAINVILLE. Croyez donc l'un et l'autre. Eh ! Comment, je vous prie,M'assurer autrement de vous, et de ma vie ?Je ne veux seulement, pour calmer mes frayeurs,Que le titre d'époux : consentez, ou je meurs... ANGÉLIQUE. Ah ! Ciel ! SAINVILLE. Je règne, ou non, dans le fond de votre âme.Le temps nous presse ; optez d'accorder à ma flammeLe titre que le ciel semble me désigner,Ou de m'ôter la vie. ANGÉLIQUE. Eh ! Bien, je vais signer :Mais vous en répondrez. SAINVILLE. On a bien de la peine À vous faire agréer d'éterniser ma chaîne,À vous faire accepter le plus heureux lien.Est-ce ainsi qu'on se rend ? ANGÉLIQUE. Vous ne pardonnez rien. SAINVILLE. Non, sans doute, à l'amour. ANGÉLIQUE, en lui tendant la main tendrement. Ah ! Quelle tyrannie ! SCÈNE III. Juliette, en courant, Sainville, Angélique. JULIETTE, en poussant Angélique. Décampez au plus vite ; il nous vient compagnie. SAINVILLE. Qui donc ? JULIETTE. Le président. ANGÉLIQUE. Ah ! J'ai le coeur transi. JULIETTE, à Angélique, en la tirant de l'autre côté. Par où diantre allez-vous ? Sauvez-vous par ici. SCÈNE IV. Sainville, Juliette. SAINVILLE, à Juliette. Toi, ne la quitte pas ; ton soin m'est nécessaire. JULIETTE. Je suis piquée au jeu ; laissez, laissez-moi faire. Elle sort. SCÈNE V. Le Président, Sainville. LE PRÉSIDENT. Bon ; nous serons ici plus en particulier : On voudrait votre avis sur un cas singulier. SAINVILLE. Mon père, vous savez que jamais je ne flatte. LE PRÉSIDENT. C'est par cette raison. L'affaire est délicate ;Les conseils les plus vrais sont ici les meilleurs.Un juge assez habile, honnête homme d'ailleurs... Vous riez ? SAINVILLE. C'est de voir ce titre imaginaireÊtre si constamment l'épithète ordinaireQue s'accordent, entre eux, les hommes indulgents. LE PRÉSIDENT. Ainsi, vous ne croyez guère aux honnêtes gens. SAINVILLE. Ma foi, ceux que j'ai vus me font douter des autres. LE PRÉSIDENT. Mon fils, quels préjugés étranges que les vôtres !Il est des gens de bien... je pense, sur ma foi,Que vous ne jugez pas plus sainement que moi. SAINVILLE. Mon père, en vérité, ce reproche me pique. LE PRÉSIDENT. Vous me croyez, du moins, un peu trop politique. Eh ! Prenez, ou laissez les hommes tels qu'ils sont,Tout aussi-bien que vous, je les connais à fond :Mais je suis envers eux, avec moins de rudesse,Indulgent par lumière, et non pas par faiblesse.Mais revenons enfin. Ce juge en question Fut chargé d'un procès, dont la décisionDevait, à son rapport, régler la destinéeDe gens de qualité qu'un heureux hyménée venait d'unir. SAINVILLE. Laissons la noblesse du sang :Aux yeux de l'équité tous ont le même rang. Pesons les droits réels : la plus haute naissanceNe doit pas faire un grain de plus dans la balance. LE PRÉSIDENT. Oui, mais tout l'embarras est de bien rencontrer ;Souvent le meilleur droit ne sait pas se montrer :Car vous n'ignorez pas qu'il n'est rien que n'emploie Ce monstre ingénieux à poursuivre sa proie,Dont le métier cruel, et cependant permis,Est souvent de corrompre ou d'égarer Thémis.À ce fléau funeste, à ce mal sans remède,Ajoutez pour surcroît que la main qui nous aide Peut se laisser surprendre, ou gagner. En effet,Ne saurait-on nous faire un infidèle extrait ? SAINVILLE. Tout juge qui s'en sert a tort : c'est mon système ;Jamais il n'est trop bon pour voir tout par lui-même :Et s'il ne donne pas tous ses soins, tout son temps, Cette épargne est un vol qu'il fait à ses clients.Pourquoi se charge-t-il des fortunes publiques ? LE PRÉSIDENT. Vous êtes bien rigide ! SAINVILLE. Et des plus véridiques.Je vois d'ici ce juge, indigne de pardon,Comme il le méritait, dupé par un fripon. LE PRÉSIDENT. Vous l'avez dit. Un traître, un serpent domestique,Priva la vérité de sa preuve authentique.Le titre disparut ; le bon droit succomba ;L'erreur dicta l'arrêt, et le malheur tombaSur des infortunés trop pleins de confiance, Et qui n'avaient, d'ailleurs, aucune expérience. SAINVILLE. Mais leur juge était fait pour en savoir plus qu'eux.Peut-il se consoler de leur désastre affreux,Et d'en avoir été la cause ? LE PRÉSIDENT. Involontaire. SAINVILLE. Qu'importe ? Il a laissé trahir son ministère ; Il avait un dépôt ; à qui l'a-t-il remis ?Si l'excuse avait lieu, tout deviendrait permis. LE PRÉSIDENT. Le temps et le hasard firent enfin connaître,Mais trop tard, les excès qu'avait commis ce traître.On sut la vérité : le titre n'était plus ; Et le juge, accablé de regrets superflus,Fut réduit à verser des pleurs trop légitimes ;Ensuite l'on apprit que l'une des victimes,Cherchant à réparer les rigueurs de leur sort,Sous un ciel étranger avait trouvé la mort ; Que sa veuve, sans biens, pour élever leur fille,Unique rejeton d'une illustre famille,L'avait abandonnée aussi-bien que son nom. SAINVILLE. Eh ! Bien, s'il est ainsi, que me demande-t-on ? LE PRÉSIDENT. Ce que doit faire un juge en ce malheur extrême. SAINVILLE. Tout homme qui consulte est peu sûr de lui-même ;Et que dire à celui qui ne se juge pas ? LE PRÉSIDENT. Mais, vous, qu'auriez-vous fait en un semblable cas ?Ce juge le demande. SAINVILLE. Il veut que je prononce :Qu'il tremble ? Mais à quoi servira ma réponse ? Quoi qu'il en soit, enfin, j'aurais déjà renduÀ ces infortunés tout ce qu'ils ont perdu.C'est à quoi je condamne un juge qui s'abuse.Qu'il répare ses torts, s'il veut qu'on les excuse ;L'ignorance et l'erreur sont des crimes pour lui. LE PRÉSIDENT. On prononce aisément dans la cause d'autrui :Celui dont je vous parle est peu riche. SAINVILLE. Qu'importe ? LE PRÉSIDENT. La restitution pourrait être si forte... SAINVILLE. La somme n'y fait rien. L'exacte probitéNe peut jamais avoir de terme limité. LE PRÉSIDENT. Ainsi vous vous seriez exécuté vous-même ? SAINVILLE. Assurément. LE PRÉSIDENT, en souriant. Fort bien. SAINVILLE. Je vous parais extrême ;Ma façon de penser, contraire aux moeurs du temps,N'attirera sur moi que des ris insultants. LE PRÉSIDENT. Pardonnez-moi, mon fils. SAINVILLE. Que dites-vous, mon père ? LE PRÉSIDENT. J'ai pensé comme vous ; j'ai fait plus, et j'espèreQue vous y donnerez l'aveu le plus flatteur.Vous voyez le coupable, et le réparateur. SAINVILLE. Vous ? LE PRÉSIDENT. Moi-même. SAINVILLE. Ah ! Grands dieux ! Que ma source m'est chère !Que je suis enchanté de vous avoir pour père ! Il l'embrasse.Pardonnez ces transports à mon coeur éperdu. LE PRÉSIDENT. Sitôt que je l'ai pu, j'ai fait ce que j'ai dû,Et je viens d'expier ma méprise funeste ;Il vous en coûtera. SAINVILLE. Votre vertu me reste. LE PRÉSIDENT. Ah ! Qu'il m'est doux de voir que je revis en vous ! Ah ! Père fortuné ! SAINVILLE. Vous méritez de tousLa vénération, l'estime la plus haute.Que vous êtes heureux d'avoir fait une fauteQui vous a procuré l'heureuse occasionDe faire une si grande et si bonne action. Juliette paraît, et fait des signes. LE PRÉSIDENT. Le ciel me l'inspira, le ciel la récompense ;Sachez ce qui m'arrive en cette circonstance.Un ancien ami, de même rang que nous,Et qui m'attend chez moi, vient de m'offrir, pour vous,Un des meilleurs partis qui soient peut-être en France ; C'est une fille unique, une fortune immense :Je réponds de ses moeurs, et j'en suis enchanté :Car c'est-là, selon moi, la première beauté.D'ailleurs, elle est charmante. Enfin, l'on vous préfère.Je vous en parle ici de la part de son père. Et c'est un mariage à conclure au plutôt.Vous savez notre état, je vous l'ai dit tantôt ;Ce qui vient d'arriver, comme vous pouvez croire,Nous dérange beaucoup, en nous couvrant de gloire.J'ai vendu cette terre où vous vous plaisiez tant. SAINVILLE. Donnez, engagez tout, j'en serai plus content. LE PRÉSIDENT. Vous paraissiez bien froid, quand la fortune même... SAINVILLE. Mon père, pardonnez ma répugnance extrême. LE PRÉSIDENT. L'hymen vous fait-il peur ? SAINVILLE. Non, j'y vois mille appas :Cette fille est trop riche, et ne me convient pas. LE PRÉSIDENT. Comment donc ? Juliette reparaît encore. SAINVILLE. Il faudrait lui devoir ma fortune ;C'est une dépendance un peu trop importune.Les grands biens d'une femme augmentent trop ses droits,Et par reconnaissance il faut subir ses lois ;Ce bienfait-là devient une dette éternelle, Dont on ne peut jamais s'acquitter avec elle.Quoi qu'il en soit, malgré ma situation,Je ne veux pas avoir cette obligation. LE PRÉSIDENT. Bon ! Est-ce qu'un mari n'est pas toujours le maître ? SAINVILLE. Je ne veux point d'esclave, et je ne veux pas l'être. LE PRÉSIDENT. Votre prudence ici me paraît en défaut. SAINVILLE. Une compagne aimable est tout ce qu'il me faut ;J'épouse pour aimer, pour être aimé de même :Je ne pourrais prétendre à ce bonheur extrême.Vingt exemples pour un semblent m'en avertir ; C'est se vendre, en un mot, et non pas s'assortir. LE PRÉSIDENT. Ah ! Vos réflexions détruiront ce scrupule ;Car, entre nous, mon fils, il est trop ridicule.Je vous laisse y penser, et je vais de ce pasEngager cet hymen. Il sort. SAINVILLE. Qui ne se fera pas. SCÈNE VI. Juliette, Sainville. JULIETTE. Que diantre un fils a-t-il tant à dire à son père ?Votre Angélique est folle, elle me désespère ;La crainte, l'épouvante, et la timiditéTriomphent pour le coup de sa facilité.Vous ne la tenez plus. SAINVILLE. Ah ! Ciel, quel coup de foudre ! JULIETTE. Voyez si vous pouvez vous-même la résoudre ;Mais ne l'espérez plus. SAINVILLE. Je m'en vais la trouver. JULIETTE. Elle est dans le jardin qui s'occupe à rêver. Sainville sort. SCÈNE VII. JULIETTE, seule. Être fille, et vouloir l'être toute sa vie,Me paraît, par ma foi, la dernière folie. Le beau titre à garder ! N'est-il pas bien charmant,Surtout lorsque l'on peut épouser son amant ! SCÈNE VIII. La Baronne, La Gouvernante, Juliette. LA GOUVERNANTE. Où peut être Angélique ? JULIETTE. Ah ! Je vous le demande !L'ai-je à ma garde ? Elle est, ce me semble, assez grandePour être sa maîtresse ? LA GOUVERNANTE. Il faut me l'amener. JULIETTE, en montrant La Baronne. J'obéis à madame, elle peut ordonner ;Mais, vous... LA BARONNE. Obéissez, quand madame l'ordonne. JULIETTE, regardant la gouvernante. Madame ! Ah ! Par ma foi, l'épithète m'étonne ! Elle sort. SCÈNE IX. la Baronne, la Gouvernante. LA BARONNE. Eh ! Bien, ma chère amie ! LA GOUVERNANTE. Ah ! C'est trop m'honorer. LA BARONNE. Ce titre vous est dû, je ne puis l'ignorer ; Avouez que c'est vous qu'un procès déplorableA contrainte à subir un sort si misérable. LA GOUVERNANTE. Vous me désespérez. LA BARONNE. Eh ! Madame, achevezCet aveu que j'implore, et que vous me devez. LA GOUVERNANTE. Que voulez-vous de plus de ma reconnaissance ? LA BARONNE. La faveur d'être admise en votre confidence :Mais je lis dans votre âme une noble fierté,Un courage au-dessus de toute adversité,Vous fait désavouer votre infortune extrême ;Et vous vous imposez ce déni de vous-même, Par égard pour le rang où vous avez été,Par mépris pour le sort qui vous a tout ôté :Mais ce que vous cachez, n'en est pas moins visible ;Vous brillez, malgré vous, d'un éclat trop sensible ;Vous voulez vous couvrir d'une ombre qui vous fuit ; Madame, écartez donc le charme qui vous suit. LA GOUVERNANTE. Vous êtes dans l'erreur, le Président s'abuse. LA BARONNE. Eh ! Bien, pour vous convaincre, il faut que je m'accuse. LA GOUVERNANTE. De quoi ? LA BARONNE. Votre secret n'en est plus un pour moi,J'ai surpris des papiers qui sont dignes de foi. LA GOUVERNANTE. Ciel ! LA BARONNE. J'ai vu de mes yeux la preuve la plus claireD'un fait dont vous voulez soutenir le contraire ;Vous êtes sûrement la Comtesse d'Arsfleurs. LA GOUVERNANTE. Qu'entends-je ? LA BARONNE. Pardonnez : pour finir vos malheurs,Cette conviction m'était trop nécessaire. LA GOUVERNANTE. Madame, quel usage en avez-vous pu faire ?Fallait-il me trahir ? Jugez de mon regret,Et de quelle importance est pour moi mon secret,Puisque je le cachais à tout ce que j'adore,À ma fille, en un mot ! LA BARONNE. Angélique l'ignore ! LA GOUVERNANTE. Et jamais de ma part elle n'en saura rien. LA BARONNE. Eh ! Quoi, la pouvez-vous priver d'un si grand bien ? LA GOUVERNANTE. Je la sers beaucoup mieux que vous ne pouvez croire.Eh ! Que lui produirait ma douloureuse histoire ? LA BARONNE. Qu'en peut-il arriver, de lui faire savoir Sa naissance ? LA GOUVERNANTE. L'orgueil et l'affreux désespoir.Non, madame, laissons à cette infortunéeL'esprit de son état, et de sa destinée.On n'est point malheureux, quand on peut ignorerTout ce que l'on pourrait avoir à déplorer. J'ai dit ce qu'il fallait. LA BARONNE. Ah ! Ma chère comtesse,Mes soins n'ont point blessé votre délicatesse ;Croyez que je n'ai fait nul éclat indiscret.Aucun autre que moi ne sait votre secret ;J'ai su le ménager avec un soin extrême. Le président, qui veut être inconnu lui-même,Et qui m'en imposait la plus expresse loi,A daigné s'en fier aveuglément à moi ;Content de relever votre illustre famille,Madame, il ne connaît ni vous, ni votre fille ; Son bonheur lui suffit : en effet, il est telQu'il se croit à présent le plus heureux mortel. SCÈNE X. Le président, la Baronne, la Gouvernante. LE PRÉSIDENT. Madame, prenez part à ma douleur extrême ;Je croyais être heureux, vous l'avez cru vous-même ;Pour moi, tout votre zèle en vain s'est déployé. Je suis au désespoir, on m'a tout renvoyé ;Oui, tout m'est revenu. LA BARONNE. Ciel ! Quelle est ma surprise ! LE PRÉSIDENT. Il faut qu'absolument vous vous soyez méprise ;Et votre erreur me rend d'autant plus malheureux,Que j'avais pu me croire au comble de mes voeux. LA BARONNE. Comment voulez-vous donc que je me justifie ? LA GOUVERNANTE. Ah ! Je vois bien qu'il faut que je me sacrifie,Et que j'avoue enfin un secret échappé. Au président. C'est vous-même, monsieur, qui vous êtes trompé. LE PRÉSIDENT, à la Baronne. Est-elle du secret ? LA BARONNE. Elle sait tout. LE PRÉSIDENT. Qu'entends-je ? Votre indiscrétion me paraît bien étrange ! LA GOUVERNANTE. Vous me pardonnerez ce que j'ose avancer.Ce renvoi vous étonne ! Avez-vous dû penserQu'il pût être permis à cette infortunée,De relever ainsi sa triste destinée, Et de vous dépouiller en cette occasion ?La générosité vous fait illusion. LE PRÉSIDENT. De quel droit, s'il vous plaît, prenez-vous sa querelle ? LA GOUVERNANTE. Ah ! Je n'en ai que trop, je puis parler pour elle ;Mettez-vous à sa place : auriez-vous accepté ? Elle a tout refusé ; ce n'est point par fierté,Par dédain, par mépris ; elle en est incapable. LE PRÉSIDENT. Mais n'avouez-vous pas que son juge est coupableD'avoir été surpris ? LA GOUVERNANTE. Qui peut ne l'être pas ? LE PRÉSIDENT. Il compte que l'erreur est un crime en ce cas, Et qu'il doit l'expier. LA GOUVERNANTE. La victime en appelle ;Il a cru bien juger, il est quitte envers elle. LE PRÉSIDENT. Mais de son ministère il s'est mal acquitté. LA GOUVERNANTE. Dès qu'il n'est point coupable aux yeux de l'équité,Il ne peut l'être aux yeux de cette infortunée ; Vous ne la vaincrez point, elle est déterminée :N'en parlons plus ; elle a subi son jugement,Le ciel même a pris soin du dédommagement.Comment ? LA GOUVERNANTE. En lui donnant la force et le courageD'accepter, de braver constamment son naufrage, De voir, d'envisager désormais le passé,Et tout ce qu'elle fut, comme un songe effacéQue l'on ne devrait plus offrir à sa mémoire.Dans son abaissement laissez-lui cette gloire ;C'est tout ce qu'elle veut. LE PRÉSIDENT. Je serais criminel... LA GOUVERNANTE. Vous ne lui devez plus qu'un secret éternel. Elle sort. SCÈNE XI. le Président, la Baronne. LE PRÉSIDENT. Pardonnez ma surprise, elle est trop légitime ;Je n'en saurais douter, voilà donc ma victime !C'est moi qui suis la sienne... ô refus douloureux !Dieux ! Qu'elle m'a rendu confus et malheureux ! Que son abaissement l'élève et m'humilie !Ainsi j'aurai causé le malheur de sa vie ;Et pour le réparer mes soins sont sans effet,Elle veut à jamais me laisser mon forfait.Eh ! C'est trop se venger : unissons-nous contre elle. Je prétends m'acquitter ; la dette est trop cruelle. LA BARONNE. J'admire, entre elle et vous, ces généreux combats. LE PRÉSIDENT. Eh ! L'admiration ne la sauvera pas. LA BARONNE. Aussi ne veux-je point y borner tout mon zèle.J'en ressens, comme vous, une peine mortelle : S'il est quelque moyen ; venez, j'ose espérerQue le ciel aura soin de nous le suggérer. ACTE V SCÈNE I. Angélique, la Gouvernante. LA GOUVERNANTE, à part. Elle rêve... feignons de ne l'avoir pas vue,Lorsque tous deux ont eu leur dernière entrevue. ANGÉLIQUE, apercevant la gouvernante. Vous m'avez fait chercher ? LA GOUVERNANTE. Oui : mon empressement Vous donne, je le vois, du refroidissement ;Il m'a, dans votre coeur, en secret desservie. ANGÉLIQUE. Quand j'ai de l'amitié, c'est pour toute ma vie. LA GOUVERNANTE. Puis-je vous demander, sans indiscrétion,S'il vous souvient encor d'une commission, Dont vous m'aviez chargée auprès de La Baronne ? ANGÉLIQUE. Vous me la rappelez... mais à propos... ma bonne... LA GOUVERNANTE. Quoi ? ANGÉLIQUE. Si vous m'en croyez, sans trop précipiter,Vous attendrez encore à vous en acquitter. LA GOUVERNANTE. Pourquoi ? À part. Dissimulons. ANGÉLIQUE. C'est qu'il faut que j'y pense. Mettez-vous à ma place en cette circonstance ;Il s'agit de quitter, et d'abandonner tout. LA GOUVERNANTE. Le monde vous doit-il inspirer tant de goût ?Se peut-il qu'à vos yeux il offre tant de charmesPour préférer d'y vivre au milieu des alarmes, Et de l'incertitude où je vois votre sort ?Lorsqu'à l'abri de tout, tranquille dans le port,On peut, ainsi que vous, se rendre fortunée,Faut-il mettre au hasard toute sa destinée ?On ne doute de rien dans le cours des beaux jours, On croit que l'avenir y répondra toujours. ANGÉLIQUE. Je m'en flatte. Calmez vos frayeurs indiscrètes. LA GOUVERNANTE. Vous vous éblouissez de l'état où vous êtes ;Et s'il vient à changer, que ferez-vous alors ?Le néant est caché sous de si beaux dehors ; La Baronne vous aime, et j'en suis convaincue ;Mais d'un moment à l'autre, une mort imprévuePeut, en vous l'enlevant, vous laisser sans espoir. ANGÉLIQUE. Vous mettez tout au pis. LA GOUVERNANTE. Je ne fais que prévoir.Je ne soutiendrai point cette disgrâce affreuse. ANGÉLIQUE. Ne craignez rien pour moi, je serai plus heureuse. LA GOUVERNANTE. Vous ne le voulez pas, j'en mourrai de douleurs,Et ce sera pour vous le moindre des malheurs.Je sais que la retraite, à des gens de votre âge,N'offre pas d'elle-même une riante image ; La jeunesse s'en fait un portrait peu charmant,Bientôt l'expérience en décide autrement.Que ne m'est-il permis de vous citer la mienne ?Mais vous n'y croirez pas, on ne croit que la sienne ;À tout ce qu'il vous plaît, il faut se conformer ; On ne veut pas vous perdre. Eh ! Qui pourrait formerUn projet, un complot si cruel ? Non, vous dis-je,Un sacrifice entier n'est point ce qu'on exige :Bien loin de vous réduire à cette extrémité,Consentez seulement, pour un temps limité, D'essayer avec moi d'un séjour plus tranquille,Jusques au mariage... ANGÉLIQUE. Eh ! De qui ? LA GOUVERNANTE. De Sainville.Convient-il à vos yeux d'en être les témoins ? ANGÉLIQUE. En parle-t-on ? LA GOUVERNANTE. Son père y donne tous ses soins. ANGÉLIQUE. Et quelle est la future ? LA GOUVERNANTE. Une riche héritière ; C'est de quoi l'on m'a fait la confidence entière. ANGÉLIQUE. On vous trompe. LA GOUVERNANTE. Eh ! Pourquoi voulez-vous vous flatter,Quand cet événement va bientôt éclater ?Je vous ai toujours dit que jamais l'hyménéeN'attacherait Sainville à votre destinée ; Et s'il vous l'a juré, c'est le serment trompeurD'un traître, d'un perfide, et d'un lâche imposteur. ANGÉLIQUE. À votre zèle ardent je me livre moi-même ;Mais n'allez pas plus loin, respectez ce que j'aime. LA GOUVERNANTE. Vous l'aimez ? ANGÉLIQUE. Et jamais je n'aurai d'autre amour ; Oui, mon coeur le lui jure à chaque instant du jour :Je le dois, je remplis un devoir plein de charmes. LA GOUVERNANTE. Un devoir ! ... excusez de trop vives alarmes ;Si j'ai tort, il en faut accuser l'amitié :Mais enfin, par tendresse autant que par pitié, Ne me direz-vous rien de plus de ce mystère ?Faut-il que je l'ignore ? ANGÉLIQUE. Oui, j'aurais dû me taire. LA GOUVERNANTE. Eh ! Pourquoi me celer vos secrets les plus doux,À moi, qui ne puis être heureuse que par vous,Que par votre bonheur ? Je n'en puis avoir d'autre, Et vous me le cachez ? Quel refus est le vôtre ?Que vous ai-je donc fait pour l'avoir mérité ? ANGÉLIQUE. L'état où je vous vois, et la nécessitéDe me justifier dans tout ce que j'adore,Vont vous ouvrir mon coeur. LA GOUVERNANTE, à part. Quels secrets vont éclore ? ANGÉLIQUE. Sainville n'est pas tel que vous l'avez pensé :Quels regrets vous aurez de l'avoir offensé !Cet hymen que l'on croit si prêt à se conclure,Ne se fera jamais, comptez que j'en suis sûre...Sainville est engagé. LA GOUVERNANTE, à part. Ciel ! Quel est mon effroi ! Haut.Sainville est engagé, dites-vous ? ANGÉLIQUE. Avec moi. LA GOUVERNANTE. Qui ? Vous, Angélique ? ANGÉLIQUE. Oui, moi-même. LA GOUVERNANTE. Est-il possible ? ANGÉLIQUE. Un noeud qu'à tous les yeux nous rendrons invisible,Nous enchaîne à jamais au gré de nos soupirs.Quoi ! N'était-ce pas-là l'objet de vos désirs ? Vous doutiez seulement que l'amour de SainvilleEût un but légitime ? Eh ! Bien, soyez tranquille.J'ai sa main et sa foi, mes destins sont les siens. LA GOUVERNANTE. Eh ! De quel droit ? ANGÉLIQUE. Faut-il d'autres droits que les miens ?Mon aveu doit suffire, à ce que j'imagine : Ne m'avez-vous pas dit que j'étais orpheline,Et sans nulle fortune, à la merci du sort ?S'il est vrai, j'ai donc pu, sans avoir aucun tort,Ne prendre auparavant les ordres de personne. LA GOUVERNANTE. Du moins vous auriez dû consulter La Baronne : Peut-être auriez-vous pu me faire cet honneur...Mais, non, je ne crois point ce prétendu bonheur. ANGÉLIQUE. Vous ne le croyez pas ? Il faut donc vous confondre. En tirant la promesse de Sainville. Tenez, voyez, lisez. Qu'aurez-vous à répondre ?Est-ce là, de sa foi, le garant immortel ? Dès que nous le pourrons, nous irons à l'autel,confirmer, en secret, cette union parfaite...vous en serez témoin... êtes-vous satisfaite ?Surtout, ne dites rien de ma félicité ;Gardez bien le secret. LA GOUVERNANTE. Cette nécessité de vous envelopper des ombres du mystère,Aurait dû vous donner un remords salutaire.Voyez quel est l'abîme où vous vous enchaînez !Ces noeuds défectueux, toujours infortunés,Sont un piège couvert d'une fausse espérance, Un écueil invisible aux yeux de l'innocence,Et qu'elle n'aperçoit que lorsqu'il n'est plus temps.Ah ! Pourquoi voulez-vous l'apprendre à vos dépensEh ! N'est-on pas assez à plaindre quand on aime ?Un amant n'est déjà que trop fort par lui-même, Sans lui fournir encor des titres et des droits,Dont on a vu l'amour abuser tant de fois. ANGÉLIQUE. Je ne serai jamais dans ce cas déplorable. LA GOUVERNANTE. La sagesse n'est pas toujours inaltérable ;C'est en vain qu'on se flatte, et qu'on croit être sûr De ne brûler jamais que du feu le plus pur ;Malgré soi-même, enfin, l'on manque à sa promesse,Et l'on cède, par force, à sa propre faiblesse :Tout se découvre alors, un noeud si criminelNe laisse, en se brisant, qu'un opprobre éternel. ANGÉLIQUE, à part. Cette femme n'a rien à voir que de funeste. Haut. Eh ! Tranquillisez-vous, je prendrai soin du reste. LA GOUVERNANTE. Un si grand intérêt ne saurait vous toucher ;Je n'ajoute qu'un mot. ANGÉLIQUE, avec dépit. Je ne puis l'empêcher. LA GOUVERNANTE. Sainville vous est cher ? ANGÉLIQUE. Cent fois plus que moi-même. LA GOUVERNANTE. Eh ! Bien, vous le perdrez. ANGÉLIQUE. Ma surprise est extrême !Eh ! Comment ? LA GOUVERNANTE. Sa fortune est au-dessous de lui :Le plus riche parti se présente aujourd'hui ;S'il rejette, pour vous, l'hymen qu'on lui propose,Le président, surpris, en cherchera la cause : Craignez tout d'un courroux justement mérité ;N'en doutez pas, son fils sera déshérité,Et vous aurez causé son malheur et le vôtre ;Alors vous deviendrez à charge l'un à l'autre.Vous croyez que l'amour, qui vous unit tous deux, Vous tiendra lieu de tout ! Il fuit les malheureux :Il aime la fortune, et n'est pas plus fidèle ;On ne l'a que trop vu s'envoler avec elle,Et ne laisser à ceux qu'il avait enflammés,Que l'affreux désespoir de s'être trop aimés... Vous ne m'écoutez pas ? ANGÉLIQUE. Il est vrai, je ne songeQu'à ma félicité. LA GOUVERNANTE. Mais ce n'est qu'un mensonge...Enfin, vous persistez ? ANGÉLIQUE. Oui, sans doute, à jamais. LA GOUVERNANTE. Je n'ai donc plus qu'à voir si ces noeuds sont bien faits ;Je n'en sais pas assez touchant cette matière ; Pour prendre en ce papier une assurance entière,Il faut que je consulte. ANGÉLIQUE. Il n'en est pas besoin ;Je ne souffrirai pas que vous preniez ce soin.La moindre défiance est un manque d'estime ;Sainville, avec raison, pourrait m'en faire un crime. Je ne veux, contre lui, ni garants, ni témoins ;Je ne l'aimerais pas, si je l'estimais moins. LA GOUVERNANTE. Pour plus de sûreté, souffrez que je m'informe ;Je crains que cet écrit ne pêche par la forme. ANGÉLIQUE. Eh ! Que m'importe, à moi ? Mes voeux sont satisfaits. Je crois mieux les serments que Sainville m'a faits,Que tout ce qu'on pourrait vous dire : ainsi, ma bonne,Rendez-moi... LA GOUVERNANTE. Je ne puis. ANGÉLIQUE. Votre refus m'étonne ! LA GOUVERNANTE. Laissez-moi le garder, j'ose vous en prier. ANGÉLIQUE. Non, vraiment... mais on vient... SCÈNE II. Sainville, Angélique, la Gouvernante. SAINVILLE, à Angélique. Quel est donc ce papier Qu'elle cache avec soin ? ANGÉLIQUE. C'est notre mariage.Vous allez me gronder. SAINVILLE. Quel est donc ce langage ?Qu'avez-vous fait ? ANGÉLIQUE. J'ai cru pouvoir m'y confier. SAINVILLE. Qu'entends-je ? ANGÉLIQUE. J'ai tout dit, pour vous justifier. SAINVILLE. De quoi donc ? ANGÉLIQUE. Elle a tort ; il lui plaisait de croire Que vos feux offensaient votre honneur et ma gloire,Que l'hymen ne pouvant jamais les couronner,Au plus fatal espoir j'osais m'abandonner.À présent, je ne sais quel scrupule l'arrête ;Tenez, demandez-lui ce qu'elle a dans la tête. LA GOUVERNANTE. Tout ce qu'on peut penser d'un hymen clandestin. SAINVILLE. Pouvions-nous autrement fixer notre destinQue par un noeud secret ? Il était nécessaire ;Mais enfin, je le sais, vous m'êtes trop contrairePour ne pas abuser du malheureux secret Dont elle vous a fait l'aveu trop indiscret.Vous fûtes, vous serez toujours mon ennemie ;Et cependant jamais je ne vous ai haïe.Je vous détesterais, si j'étais criminel :Connaissez un amour qui doit être éternel ; Sachez qu'il n'en est pas moins pur pour être extrême.J'adore sa vertu, j'en fais mon bien suprême ;Je n'ai rien qui me soit plus cher que son honneur :Pourrais-je l'en priver, sans perdre mon bonheur,Sans me déshonorer, sans m'avilir moi-même ? Ce n'est qu'à ses dépens qu'on corrompt ce qu'on aime.Connaissez mes désirs ; je borne tous mes droitsAu seul titre secret... LA GOUVERNANTE. Ignorez-vous les loisEt les droits paternels ? SAINVILLE. Hélas ! Qui les ignore ?Je les sais comme vous ; mais je connais encore Un pouvoir au-dessus de leur autorité,C'est celui de l'honneur et de la probité.Ne peut-il arriver des temps plus favorables ?Et les pères sont-ils toujours inexorables ?Un fils au désespoir en peut tout espérer ; Mais j'ai fait un serment, rien ne peut l'altérer,Et c'est entre vos mains que je le renouvelle. LA GOUVERNANTE. Je ne le reçois point. ANGÉLIQUE. Eh ! Soyez moins cruelle,Et consentez. D'abord que je réponds de lui... SAINVILLE. Eh ! Bien, séparez-nous, même dès aujourd'hui, C'était votre dessein ; loin que je le combatte,Je vous offre un moyen : La Baronne vous flatte. LA GOUVERNANTE. Comment ? Expliquez-vous. SAINVILLE. Je sais, à ce sujet,Qu'elle ne compte point remplir votre projet ;Elle adore Angélique ; et, malgré votre zèle, Elle n'a pas dessein de se séparer d'elle.Puisque vous me craignez, partez dès-à-présent ;J'ai le bien de ma mère, il sera suffisantPour vous faire à jamais le sort le plus paisible,En cas que mon bonheur soit toujours impossible. Avec elle, en un mot, abandonnez ces lieux,Je remets à vos soins ce dépôt précieux ;Recevez-le de moi, pour le garder vous-même,Et pour le rendre un jour à ma tendresse extrême. À Angélique. N'y consentez-vous pas jusqu'à des temps plus doux ? ANGÉLIQUE. Moi, Sainville ? Ah ! Pourvu que je vive pour vous,au milieu des transports d'une si douce attente,Fût-ce dans un désert, je serai trop contente ;L'espérance tient lieu des biens qu'elle promet.Oui, ma bonne y consent... votre coeur s'y soumet. LA GOUVERNANTE. Vous êtes-vous flattés, aveugles que vous êtes,que je me prêterais au complot que vous faites ?Voilà donc la vertu que vous me supposez ?C'est un enlèvement que vous me proposez.Pouvez-vous concevoir cette affreuse chimère ? Moi, je vous aiderais à trahir votre père,À son sang révolté je servirais d'appui ?La nature y répugne, et me parle pour lui.Eh ! Croyez que sa voix ne m'est pas étrangère. SAINVILLE. Mais songez qu'Angélique... LA GOUVERNANTE. Elle a beau m'être chère, Je ne porterai point un coup si douloureuxAu mortel le plus digne et le plus généreux. SAINVILLE. Je ne veux que du temps, pour amener mon pèreÀ m'accorder enfin cet aveu que j'espère ;Il m'aime, je ne crains qu'un premier mouvement : Du moins, en attendant l'heureux événement,Gardez-nous le secret, ayez la complaisance... LA GOUVERNANTE. Qui ? Moi ! Je garderais un coupable silence !Je me suis contenue autant que je l'ai pu ;Mais vous ne cessez point d'offenser la vertu. Vous doutez qu'on en puisse avoir dans la misère ;Il faudra prendre un juge. SCÈNE III. Le Président, la Gouvernante, Sainville, Angélique. SAINVILLE, à part. Ah ! Grands dieux, c'est mon pèreJe frémis ! Elle est femme à lui révéler tout. À la gouvernante. Madame, gardez-vous de me pousser à bout. LA GOUVERNANTE. Je ferai mon devoir. SAINVILLE. Qu'est-ce qu'elle m'annonce ? LE PRÉSIDENT. Eh ! Bien, mon fils, je viens chercher votre réponseAu sujet d'un hymen qui flatte mes souhaits.Elle est entre mes mains, et je vous la remets. LE PRÉSIDENT. Quoi donc ? LA GOUVERNANTE. Ceci n'a pas besoin que je l'explique.Mais en tout cas, monsieur, je vous laisse Angélique. SAINVILLE, à part. Tout est perdu. LA GOUVERNANTE, à Angélique. Restez, attendez votre sort. Elle s'en va. SAINVILLE, à Angélique. Ce sera votre arrêt, et celui de ma mort. SCÈNE IV. Le Président, Sainville, Angélique. LE PRÉSIDENT. Dites-moi donc, Sainville, est-ce moi qui m'abuse ?Qu'ai-je lu ? SAINVILLE. Vous voyez ma faute et mon excuse. LE PRÉSIDENT. Quel est donc cet écrit ? SAINVILLE. Le serment solennel Qui m'engage à lui rendre un hommage éternel. LE PRÉSIDENT. Quoi donc ? êtes-vous libre ? Avez-vous pu promettre ?Et tant qu'il me plaira de ne le pas permettre,Pouvez-vous acquitter un semblable serment ? SAINVILLE. Eh ! Regardez, mon père, un objet si charmant. Voyez. Pouvais-je prendre une chaîne plus belle ? À Angélique. Rassurez-vous. LE PRÉSIDENT. C'est donc avec mademoiselle ? SAINVILLE. Oui, voilà mon vainqueur. LE PRÉSIDENT. Quelque soit votre choix,Ainsi donc vous croyez être au-dessus des lois ?Voilà de votre part un oubli qui me passe. SAINVILLE. Mon père, je sais tout ; mais je demande grâce :La forme est contre moi ; mais, sans aller plus loin,Voulez-vous mon bonheur ? Laissez-m'en donc le soin.Eh ! Qui peut mieux choisir sa chaîne que soi-même ?Si vous avez sur moi l'autorité suprême, Est-ce un droit tyrannique, une loi de rigueur ?Ah ! Voulez-vous m'ôter l'usage de mon coeur,Et des liens du sang me faire des entraves ?Les enfants sont-ils donc de malheureux esclaves ? LE PRÉSIDENT. Non, mon fils ; mais enfin nous en savons plus qu'eux ; Ce n'est donc que par nous qu'ils peuvent être heureux,Et c'était-là le droit d'un père qui vous aime. SAINVILLE. Eh ! Que n'ai-je pas fait pour me vaincre moi-même ?Depuis plus de trois mois errant jusqu'à ce jour,J'ai cherché dans le monde à perdre mon amour ; Je me suis répandu pour éteindre ma flamme ;J'ai moi-même frayé le chemin de mon âme ;Aux plus rares beautés j'ai mendié des fers,Qu'en vain plus d'une fois les plaisirs m'ont offerts :À ce premier objet d'une flamme si belle, Le ciel même a voulu que je fusse fidèle. LE PRÉSIDENT. Oui, le ciel a tout fait. Eh ! Quelle illusion !Je ne vous parle point de la séductionQu'on peut vous accuser d'avoir mis en usage ;Mon fils, j'aurais sur vous un trop grand avantage. ANGÉLIQUE. Ah ! Monsieur, arrêtez ; il a dû me charmer.Est-ce séduction que de se faire aimer ?Reprochez-moi plutôt l'ardeur dont je l'enflamme.Oui, monsieur, c'est sur moi que doit tomber le blâme ;On séduit, quand on plaît sans l'avoir mérité. LE PRÉSIDENT. Qu'il use, contre lui, de sa sévérité.Devait-il vous laisser ignorer qu'à votre âge,Se donner sur la foi d'un pareil mariage,Est un vol que l'on fait à ceux dont on dépend ?L'amour rend, comme un autre, un sage inconséquent. ANGÉLIQUE. Il ne m'a point ravie à ceux dont je suis née,Dès ma plus tendre enfance ils m'ont abandonnée ;Il savait que je puis disposer de mon sort ;À cet égard encor vous l'accusez à tort. LE PRÉSIDENT. Sans doute ; et je me dois rendre à cette chimère. ANGÉLIQUE. Pourquoi non ? LE PRÉSIDENT. Une tante a les droits d'une mère. ANGÉLIQUE. Eh ! Ne savez-vous pas ?... LE PRÉSIDENT. Quoi ? ANGÉLIQUE. Qu'elle ne m'est rien. LE PRÉSIDENT. La Baronne ? ANGÉLIQUE. Oui, monsieur, elle me veut du bien ;Mais... LE PRÉSIDENT. Comment ? ANGÉLIQUE. Je n'en suis point du tout héritière. SAINVILLE, à part. C'en est fait. LE PRÉSIDENT, à part. Quel soupçon ! SAINVILLE, à part. Ma disgrâce est entière. LE PRÉSIDENT, à Angélique. Ce que vous m'apprenez... ANGÉLIQUE. Doit le justifier,Et vous autoriser à me sacrifier. LE PRÉSIDENT. À part.Quelle énigme ! Haut.En effet, vous n'êtes point sa nièce ? ANGÉLIQUE. Non, monsieur, je ne dois ce nom qu'à sa tendresse. LE PRÉSIDENT, rêvant. À merveille. SAINVILLE, à part. Il en est encor plus irrité. ANGÉLIQUE, à Sainville. Ne faut-il pas toujours dire la vérité ? LE PRÉSIDENT, à part. Plus j'y songe... ah ! Grands dieux ! SAINVILLE. Quel courroux vous enflamme !Un rapport enchanteur règne au fond de notre âme.Quels titres sont plus doux, quels biens ont plus d'appas ! LE PRÉSIDENT. Laissez-moi... serait-elle ?... Allons voir de ce pas La Baronne. SAINVILLE, se jetant aux pieds de son père. Ah ! Mon père, arrêtez, je vous prie ;Si vous nous séparez, il y va de ma vie.J'ai tort d'avoir formé ces noeuds sans votre aveu ;Mais, si dans votre coeur l'excuse n'a plus lieu,J'irai dans un désert déplorer ce que j'aime, Et subir les horreurs d'un désespoir extrême.Puisse le ciel, qui lit dans mon coeur éperdu,Ajouter à vos jours ceux que j'aurais vécu,Si vous l'eussiez voulu ! Que faut-il que j'espère ? LE PRÉSIDENT. Eh ! Rapportez-vous-en, de grâce, à votre père : Croyez que je prendrai le plus sage parti ;Bientôt de votre sort vous serez averti. À son fils. Rentrez... À Angélique.Et vous, allez retrouver votre bonne. À son fils. Sortez, vous dis-je. Seul. Et nous, allons chez La BaronneLa forcer de céder à mon empressement ; Il faut que j'en obtienne un éclaircissement. ACTE V SCÈNE I. Juliette, Sainville. JULIETTE. Je vous dis qu'en un mot cela n'est pas possible ;Ni pour moi, ni pour vous, elle n'est pas visible :L'accès près d'Angélique est si bien interdit,Qu'avec tout votre amour, avec tout mon esprit... SAINVILLE. Mais comment ? JULIETTE. C'est un fait : elle est comme enchaînée ;La porte du jardin vient d'être condamnée ;Car on a bien pensé que vraisemblablementVous pourriez en venir à quelque enlèvement. SAINVILLE. J'aurais eu cette idée ? JULIETTE. Enfin, on l'a prévue. SAINVILLE. Et que dit Angélique ? JULIETTE. Il faudrait l'avoir vue :Mais il vous est aisé de vous l'imaginer ;Sans se voir, quand on s'aime, on peut se deviner. SAINVILLE. Ah ! Mon père, sans doute, achève la vengeance !Et La Baronne est-elle aussi d'intelligence ? JULIETTE. Je ne sais, mais souvent, au déclin des beaux jours,Notre sexe prend moins le parti des amours. SAINVILLE. Ils me l'enlèveront... ma perte est résolue ;Je veux la voir, dussé-je expirer à sa vue. Il sort. SCÈNE II. JULIETTE, seule. Je commence à douter qu'il soit si doux d'aimer ; D'abord, la seule idée avait su me charmer :Je le croyais le bien le plus grand de la vie ;Ce que j'en vois m'en fait presque passer l'envie.Quand l'amour tourne à mal, c'est un cruel vainqueur ;Il est vrai : cependant, que faire de son coeur ? SCÈNE III. Angélique, Juliette. JULIETTE, à Angélique, qui rêve. Comment ! Vous voilà seule ? ANGÉLIQUE. Ah ! Laisse-moi tranquille. Elle se promène. JULIETTE, à part. Allons, tout au plus vite, en avertir Sainville. Elle sort. SCÈNE IV. Angélique, la Gouvernante, achevant de lire une lettre . LA GOUVERNANTE, à Angélique. Ah ! Ciel, je te rends grâce... Eh ! Daignez me parler. ANGÉLIQUE. Non, cruelle. LA GOUVERNANTE. Arrêtez. Où voulez-vous aller ? ANGÉLIQUE. Que m'importe à présent, pourvu que je vous fuie ? Ne vous attendez plus, après m'avoir trahie,Que je veuille avec vous passer mes tristes jours.Non, entre vous et moi, c'en est fait pour toujours.Je supporterai tout, pourvu qu'on nous sépare.Vous prononcez bien vite un arrêt si barbare. ANGÉLIQUE. C'est qu'il est dans mon coeur. LA GOUVERNANTE. Juste ciel, quel aveu ! ANGÉLIQUE. Non, ce faux désespoir vous avancera peu.Je ne croirai jamais que vous m'ayez aimée. LA GOUVERNANTE. Eh ! De quels sentiments suis-je donc animée ? ANGÉLIQUE. D'un zèle amer, toujours trop inconsidéré, Porté jusqu'à l'excès le plus immodéré,Et qui vient de m'ôter le bonheur de ma vie. LA GOUVERNANTE. Il n'était qu'apparent. ANGÉLIQUE. Laissez-moi, je vous prie ;Dans toutes vos raisons je ne veux plus entrer.Quelle fatalité nous a fait rencontrer ! Je rendais grâce au ciel d'un présent si funeste !Aveugle que j'étais ! LA GOUVERNANTE. Ce ciel que j'en atteste,Connaît si je vous aime. Hélas ! Jusqu'à ce jour,Qu'ai-je fait qui ne serve à prouver mon amour,À mériter le vôtre ? ANGÉLIQUE. Ah ! Grands dieux ! à quel titre ! LA GOUVERNANTE. Je pourrais à présent vous en rendre l'arbitre. ANGÉLIQUE. Quel intérêt cruel vous attache si fort ?Pourquoi vous êtes-vous subordonné mon sort ?D'où vous arrogez-vous ce pouvoir tyrannique ? LA GOUVERNANTE. Eh ! Non, il ne l'est pas... Ah ! Ma chère Angélique ! ANGÉLIQUE. Moi ? LA GOUVERNANTE. Vous ; pour un moment, laissez couler mes pleurs. ANGÉLIQUE. Ne me voilà-t-il pas sensible à ses douleurs,Et presque hors d'état de soutenir ses larmes ?Quel est cet ascendant ? Où prenez-vous vos armes ? LA GOUVERNANTE. Au fond de votre coeur, qui ne peut se trahir, Et qui ne parviendra jamais à me haïr. ANGÉLIQUE. Je ne vous conçois pas. LA GOUVERNANTE. Vous êtes étonnéeDe me voir si sensible à votre destinée ?Vous demandez pourquoi : craignez de le savoir.Par un ménagement que j'ai cru vous devoir, Je m'étais à jamais condamnée à me taire :Vous le voulez, il faut dévoiler ce mystère,Et vous causer peut-être un éternel regret. À part. Que vais-je découvrir ? ANGÉLIQUE. Quel est donc ce secret ? LA GOUVERNANTE. Vous dépendez... ANGÉLIQUE. Comment ! De qui puis-je dépendre ? Autant qu'il m'en souvient, vous m'avez fait entendreQue vous connaissiez ceux à qui je dois le jour.Ne m'avez-vous pas dit qu'en un autre séjour,Un généreux trépas m'avait ravi mon père,Que je ne devais plus compter sur une mère, Qu'en ma plus tendre enfance à peine ai-je pu voir ?Vous a-t-elle en mourant laissé tout son pouvoir ? ...Vous la pleurez ? LA GOUVERNANTE. Le ciel n'a point fini sa vie. ANGÉLIQUE. Que dites-vous ? La mort ne me l'a point ravie ?Achevez donc. LA GOUVERNANTE. Je n'ose. ANGÉLIQUE. Elle vit ? LA GOUVERNANTE. Hélas ! Oui ; Et c'est pour vous aimer. ANGÉLIQUE. Ô bonheur inouï !Je vous pardonne tout. Ah ! Ciel ! Quelle est ma joie !Ma bonne, absolument il faut que je la voie ? LA GOUVERNANTE. Cessez... ANGÉLIQUE. Par ces refus cruels, injurieux,Vous me désespérez... que vois-je dans vos yeux ? LA GOUVERNANTE. Lui pardonnerez-vous son état et le vôtre ? ANGÉLIQUE. Ah ! Vous êtes ma mère ; oui, je n'en veux point d'autre.Tout me le dit ; cédez, et qu'un aveu si douxCouronne tous les biens que j'ai reçus de vous. LA GOUVERNANTE. Eh ! Bien, vous la voyez. Puisque je vous suis chère, La nature triomphe, et vous rend votre mère. ANGÉLIQUE. Ah ! Ciel ! Mais quel remords vient déchirer mon coeur ! Elle se jette à ses genoux. C'est vous que j'ai traitée avec tant de rigueur ! LA GOUVERNANTE, en la relevant. Ma fille, oublions tout. Je crains qu'on ne m'entende ;Cachons notre secret, je vous le recommande. M'en croirez-vous ? Laissons régner ici la paix.Vous voyez notre état ; renoncez pour jamaisÀ l'espoir d'un hymen hors de toute apparence.Que sacrifiez-vous ? Une folle espérance.Dans le sein de l'oubli, cherchons un sort plus doux ; Abandonnons le monde, il n'est pas fait pour nous. ANGÉLIQUE. Je me rends, et je sens que ce n'est que la fuiteQui pourra garantir mon âme trop séduite.Mais, hélas ! Comment fuir ? LA GOUVERNANTE. Le ciel en a pris soin ;De La Baronne, enfin, vous n'avez plus besoin. Un parent éloigné, dont j'étais héritière,A depuis quelques jours terminé sa carrière ;Je viens de le savoir, et que dès-à-présentNous jouissons d'un bien qui sera suffisantPour vivre, loin du monde, en une aisance honnête. Partons secrètement, que rien ne nous arrête ;Et, pour nous dérober, allons tout préparer. ANGÉLIQUE. Quoi ! Si-tôt pour jamais il faut s'en séparer ! LA GOUVERNANTE. Nous ne saurions trop tôt quitter cette demeure. ANGÉLIQUE. Que va-t-il devenir ? Quoi ! Partir tout-à-l'heure, Sans se revoir du moins pour la dernière fois ! LA GOUVERNANTE. Obtenez ce triomphe. ANGÉLIQUE, en se jetant dans les bras de sa mère. Il le faut, je le dois...Arrachez-moi d'ici ; je me perds, si je reste. SCÈNE V. Sainville, Angélique, la gouvernante. SAINVILLE, en les arrêtant. Ah ! Vous me trahissez. LA GOUVERNANTE. Quel contre-temps funeste ! SAINVILLE. Cruelle ! Il est donc vrai que vous lui pardonnez ! À ses séductions vous vous abandonnez !Elle triomphe encore ! ANGÉLIQUE. Arrêtez ! C'est ma mère... En lui baisant la main. Si vous saviez combien elle doit m'être chère ! SAINVILLE, à part. Quel obstacle cruel ! ... ô sort plein de rigueur ! Haut. Madame... dites-vous... elle aurait ce bonheur ? ANGÉLIQUE. J'en fais gloire. SAINVILLE. Elle doit en faire aussi la sienne. Après avoir rêvé. À Angélique. En se jetant aux pieds de la gouvernante. C'est votre mère ? ... Eh ! Bien, soyez aussi la mienne.Eh ! Madame, d'où vient cette opposition ?Je ne reconnais point de disproportion ;La nature et l'amour ne l'ont jamais admise. LA GOUVERNANTE. Tant de félicité ne nous est pas permise.Un inutile espoir vous enivrait tous deux ;La fortune s'oppose au succès de vos voeux. SAINVILLE. Ah ! Vous m'allez quitter ! Votre fuite s'apprête !Vous méditez ma mort ! LA GOUVERNANTE, à sa fille. Que rien ne nous arrête. ANGÉLIQUE, en s'en allant. Nous ne nous verrons plus, recevez mes adieux. SAINVILLE. Que dites-vous ? ANGÉLIQUE. Lisez le reste dans mes yeux. SAINVILLE. Barbares, arrêtez... SCÈNE VI. Sainville, la gouvernante, le Président, Angélique, La Baronne. SAINVILLE. Ah ! Madame ! Ah ! Mon père !Vous n'avez plus de fils. LA GOUVERNANTE, à Angélique. Vous voyez ce qu'opèreVotre indiscrétion. SAINVILLE. Je n'y survivrai pas. À La Baronne. Ah ! Madame, c'est vous qui voulez mon trépas. LA BARONNE. Qui ? Moi ! SAINVILLE. Vous permettez qu'Angélique me fuie ;Sa mère me l'arrache, elle emporte ma vie. LA BARONNE. Voilà ce que j'ignore. SAINVILLE. Arrêtez donc leurs pas ;Mais un père cruel n'y consentira pas. LE PRÉSIDENT. Qui vous dit que j'exige un si grand sacrifice ?Nos enfants n'ont jamais su nous rendre justice. À la gouvernante. Madame, épargnons-nous des discours superflus.Nous nous connaissons tous, ne dissimulons plus ;Ce désaveu cruel n'a rien qui m'en impose. J'ai voulu réparer les maux dont je suis cause ;Vos refus m'ont porté le poignard dans le sein : En montrant La Baronne. Madame en est témoin. Est-ce votre desseinQue le père et le fils périssent l'un par l'autre ?C'en est fait si mon sang ne s'associe au vôtre. Ah ! Daignez nous admettre aux titres les plus doux. ANGÉLIQUE. Ma mère, il y consent. LE PRÉSIDENT. Pourquoi nous fuyez-vous ? LA GOUVERNANTE. Si nous fuyons, ce n'est que par reconnaissance. LA BARONNE. Ah ! Comtesse, agréez cette heureuse alliance. SAINVILLE. Ciel ! Qu'entends-je ? LE PRÉSIDENT. Souffrez qu'un accord si charmant Puisse au moins vous servir de dédommagement. LA GOUVERNANTE. Mais dois-je consentir qu'il perde sa fortune ? LA BARONNE. Eh ! Madame, calmez cette crainte importune.En faveur d'un hymen qui comblera mes voeux,Ils auront tout mon bien, je l'assure à tous deux ; Ils seront mes enfants, ils sont dignes de l'être. LA GOUVERNANTE, au président. Monsieur, qu'ils soient heureux ; vous en êtes le maître. SAINVILLE, en prenant la main d'Angélique, et en regardant le Président et la gouvernante. Ah ! Quel bonheur ! La vie, au prix de ce bienfait,Est le moindre présent que vous nous ayez fait. ==================================================