******************************************************** DC.Title = AUX AVANT-POSTES DC.Author = OHNET, Georges DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:20. DC.Coverage = Belgique DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ONHET_AUXAVANTSPOSTES.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** AUX AVANT-POSTES COMÉDIE EN UN ACTE. 1883 de Georges OHNET Représenté pour la première fois en 1732 dans un théâtre particulier. PERSONNAGES DIANE DUCHESSE DE BLIGNY, jeune veuve. GASTON DE BLIGNY, capitaine à Royal-Dragon. La scène se passe au chapitre noble des Dames de Sainte-Croix, à Anthoin, la veille de la bataille de Fontenoy, 10 mai 1745. AUX AVANTS-POSTES Le théâtre représente un salon. Au fond, une porte. A droite, un cabinet. À gauche, en pendant, la fenêtre. Sur un guéridon, un souper préparé. SCÈNE PREMIÈRE. DIANE, elle entre par ie fond en costume de voyage, et parle à la cantonade. Venez me prévenir sitôt que la voitureQue j'attends sera là. En scène.La fâcheuse aventure !Hier, je vais à Tournay pour activer le gainD'un procès que depuis des mois je suis en vain,Je vois mon procureur, je ranime son zèle, Il m'atteste le ciel que la partie est belle...Près des juges je fais sonner mon nom bien haut,Je les trouve galants... Bref, tout va comme il faut !Je reviens au couvent... Hélas ! Quelle arrivée !Depuis le grand matin, ma tante s'est sauvée Avec tout son chapitre noble, au premier bruitQue les Anglais avaient marché, pendant la nuit,Sur Fontenoy, pour y présenter la bataille.Je trouve le tourier que la terreur travaille,Et par lequel je peux péniblement savoir Qu'en voiture on me doit venir chercher ce soir...Et j'attends. Elle fait deux pas vers la porte et se trouve près du guéridon.Mais que vois-je ?... Une table servie...Bon ! De mon estomac, ma tante se soucieMalgré tout ! Je sens là sa bienveillante main !...Ce souper aura tort, vraiment, je n'ai pas faim ! Allant à une chiffonnière.Voyons, si dans l'ardeur de ce départ rapideOn a dans mes tiroirs avec soin fait le vide... Elle ouvre un tiroir.Tout est en place !... À temps, j'arrive, par bonheur[Note : Maraudeur : Qui va marauder ; Piller par maraude. Marauder un village. [L]]Pour sauver mes bijoux des mains d'un maraudeur ! Elle ouvre un autre tiroir.Mes lettres ! Vous aussi vous m'êtes précieuses, Reliques des amours faites silencieusesPar la mort ! Elle lit.C'est du Duc de Bligny, mon époux...Ô vieillard respecté comme un père, il m'est douxDe conserver en moi vivante et vénéréeLa mémoire des soins dont tu m'as entourée, Et je n'y puis penser, sans qu'un regret pieuxNe me fasse monter des larmes plein les yeux... Continuant à chercher, et à ouvrir ses lettres.De Jeanne de Mercoeur, ma compagne d'enfance,Que dit-elle ? Elle lit.« Ma chère Diane, le roi a relevé le duc de Bligny de ses fonctions de gouverneur de la Martinique... Et enfin te voici de retour en France. Mais que me racontes-tu ? À peine arrivée à Paris, déjà une aventure ?... Ce bal, ces insolents qui à l'adri de leur déguisement te poursuivent. Ce jeune homme qui intervient. Cette provocation, ces roses dérobées à ton corsage et reprises à la pointe de l'épée. Tout cela est surprenant, mais moins encore que ce galant cavalier conservant son masque avec obstination, tout en te faisant la cour. Je ne veux pas te le dépoétiser, mais il faut qu'il soit singulièrement laid !... Enfin il a fui à minuit sonnant comme Cendrillon. Tu ne le reverras jamais sans doute...Qu'importe donc que tu ne connaisses pas son visage... Puisqu'il n'a pas vu le tien.... »Six mois sont passés, et j'y pense! Prenant des fleurs dans le tiroir.Non ! Ce bouquet conquis bravement et rendu D'une tremblante main, je ne l'ai point perdu !Ses fleurs n'ont pas gardé leurs senteurs embaumées,Leurs corolles se sont languissamment fermées,Mais, pour moi, cent fois mieux qu'en leur fraîcheur d'un jourD'elles s'exhale encore un doux parfum d'amour ! D'ici, dans un instant, je vais partir sans doute,Chères fleurs, gardez-moi des périls de la route,Restez là sur mon coeur... La lettre qu'elle vient de lire glisse à terre.Allons ! Cherchons encor...D'où me vient ce billet à l'ambre, et timbré d'or ? Elle lit.« Mademoiselle, vous allez devenir ma tante. C'est trois cent mille livres de rente qu'il m'en coûte... mais n'allez pas croire que j'en garde rancune à vos seize ans. Je n'ose espérer que mon oncle puisse faire votre bonheur, mais je vous prie de ne rien négliger pour assurer le sien. C'est le seul voeu de celui qui met a vos pieds ses souhaits les plus dévoués. Gaston, Marquis de Bligny, cornette à Royal-Dragon. »Quelle franchise on sent sous cette étourderie ! Accepta-t-on jamais qu'un oncle se marie,Vous ruinant d'un trait en signant le contratD'un esprit plus joyeux et d'un coeur moins ingrat ?Il me plaît ce Gaston... Je voudrais le connaître... Elle va a la fenêtre.Mais le temps fuit... J'attends et ne vois rien paraître... Cette voiture est lente à venir... Ah ! Je croisQu'on m'appelle. j'entends marcher !... Et cette fois... UNE VOIX, derrière la porte, avec l'accent de la terreur. Madame la Duchesse !... Ah ! On entend un bruit confus qui se rapproche peu à peu. DIANE, inquiète. Pourquoi ce cri d'alarmes ?... Elle va à la porte.Quelle est cette rumeur subite ?... Et ce bruit d'armes ?...Que se passe-t-il donc ici ? Elle souffle vivement les lumières et se cache dans le cabinet à droite. GASTON, dans la coulisse. Tenez-le bon ! Muselez-le, s'il crie, avec un fort bâillon... SCÈNE II. GASTON, seul. il entre, un large manteau sur les épaules, tenant de la main droite un pistolet, et de la gauche une lanterne de voiture avec laquelle il s'éclaire. Son sabre traîne. Personne !... La maison est tout à fait déserte ! Il ouvre la fenêtre et parle et la cantonade.Dragons, vous malmenez ce drôle en pure perte,Il dit vrai, le logis est vide... Sur-le-champQu'on le relâche, il est plus bête que méchant ! Vous, Monsieur de Civrac, chargez-vous des vedettes...Recommandez-leur bien de demeurer muettesEt de ne point bouger, car nous ne sommes pasÉloignés des Anglais de plus de cinq cents pas !Qu'on ne tire qu'en cas d'attaque violente... C'est bien compris ?... Allez ! Et garde vigilante !... En scène.Comment diable ce point n'est-il pas occupé ?Monsieur de Cumberland n'a pu s'être trompéSur sa grande importance... Et si c'est par mépriseQu'il est libre, il nous faut craindre quelque surprise... Dormons les yeux ouverts... Il déboucle son ceinturon et pose son pistolet sur la cheminée, il voit la table préparée avec un en-cas.Hein ! Un souper servi ?Ce flambeau fume encore. quelqu'un se cache ici! Il reprend ton pistolet, conrt au cabinet, en tire Diane par le bras sans la regarder.Un geste et je tue !... DIANE, épouvantée. Ah !... Par grâce... GASTON, étonné. Une femme !Deux couverts à la table... Eh ! Je crois, sur mon âme,Que je viens de troubler un rendez-vous galant ! Pardieu ! C'est l'amoureux qu'il me faut maintenant DIANE, se remettant et avec dignité. Vous vous trompez, monsieur, je suis seule. et Française!Éloignez vos soupçons. Il n'est rien qui me plaisePlus que votre présence. Et contre le dangerVous allez, en restant ici, me protéger. GASTON, avec beaucoup de respect. Madame, j'obéis, ne soyez plus en peineExcusez-moi, je suis un simple capitaine,Qui prépare, en faisant ce soir un coup de main,La part qu'il devra prendre au combat de demain. DIANE, effrayée. Quoi ! La bataille est-elle à ce point imminente ?... GASTON. Oui, Madame. DIANE, a part. Mon Dieu ! Que la voiture est lente ! GASTON. Madame, quand je suis entré, n'alliez-vous pasSouper ?... Je ne veux point troubler votre repas...Je me retire... Il fait uue fausse sortie. DIANE, l'arrêtant. Non ! Monsieur, c'est inutile !...Dans un instant, je vais partir, gagner la ville. GASTON. Quoi ! Vraiment, cette nuit et sans avoir soupé ? DIANE, souriant. Je n'ai plus d'appétit, la peur me l'a coupé. GASTON, étourdiment. Vous êtes bien heureuse !... DIANE. Eh ! Mais, vraiment, j'y pense,Vous n'avez pas, Monsieur, mes motifs d'abstinence,Et peut-être. GASTON, souriant. Oh ! Peut-être est de trop ! DIANE. À mon tour... Excusez-moi... GASTON, gaiment. J'y suis tout prêt !... Mais en retour,Ma satisfaction s'en trouvera complète,Faites-moi la faveur... DIANE. De ? GASTON, avec hésitation. De me tenir tête !... Vivement.Ne fût-ce qu'un instant ! DIANE, interdite. Monsieur... GASTON, gracieusement. Vous fais-je peur ? DIANE. Non certes ! GASTON, joyeusement. Aux avant-postes !... Point de censeur ! Point d'indiscrets ! Laissez-moi mon rêve d'une heure,Ne me refusez pas ?... Puisqu'en cette demeure,Au lieu de ces périls dont j'étais anxieux,J'ai encontre votre sourire et vos beaux yeux,Puisqu'au lieu des senteurs de la poudre qui grise J'ai trouvé d'un souper tout prêt l'odeur exquise,Laissez-moi, jouissant de cet heureux hasard,Satisfaire à la fois ma bouche et mon regard ! DIANE, à part. Après tout, je le dois, puisqu'il est mon convive... Haut.Soit donc ! À part.En attendant que la voiture arrive ! GASTON, doucement. À la fin du souper, si je vous fais la cour,Ne vous offensez pas de mes propos d'amour,Peut-être que demain, une balle ennemieSaura mettre bon ordre à ma galanterie !... DIANE. Quel horrible présage ! Il n'y faut point penser ! GASTON. Un sourire de vous suffit à le chasser.Tenez ! Je vois tout rose, et d'honneur, je vous jure,,Ce qui m'est arrivé ce soir est de natureÀ faire regretter la vie amèrement... DIANE, le menaçant du doigt en souriant. Ah Nous ne sommes pas même au commencement. Du souper, et déjà... GASTON. C'est juste ! Alors à table ! Regardant la table servie.Cet ordre de bataille est vraiment admirable !Ce pâté prend des airs de bastion !... Il fautPour me faire la main que je lui donne assaut ! Il ouvre le pâté et en offre à Diane.Un peu, de grâce,... pour compléter la partie... Sans cela vous allez troubler ma modestie... DIANE, tendant son assiette. Allons ! GASTON. Bravo ! Il mange.Ce sont des petits ortolans... Manger fort délicat et des plus succulents...-Vous y reviendrez... Mais, vous êtes mal à l'aiseAvec ce lourd chapeau de voyage qui pèse Sur votre front.... Il se lève, s'approche et lui enlève son chapeau.Souffrant... C'est fait ! Il est ôté ! DIANE, souriant. La bonne camériste ! GASTON, debout. Oh ! Quelle obscruité !Ne vous semble-t-il pas ?... DIANE. Vraiment, cela vous gène ? GASTON, très sérieusement. Pour vous voir. Il allume les candélabres. DIANE. Pour si peu vous prenez tant de peine ? GASTON, très sérieusement. Mais j'irais détacher pour voir votre beauté Les étoiles d'argent de ce pur ciel d'été ! DIANE, le menaçant da doigt. Ah ! Nous ne sommes pas à la fin... GASTON. Oui ! J'avance,C'est vrai ! Mais d'être exact accordez-moi dispense,Ou bien j'abrégerai ce souper si discretAu risque d'en garder un éternel regret. Voyez quelle veillée adorable et bénieLe hasard est vraiment un Dieu qu'on calomnie,Il sera désormais, par moi, toujours fêté...Et je veux commencer par boire à sa santé !Que disent ces flacons ? Il se lève.C'est le moment critique ! Du noble châtelain de ce manoir antiqueNous allons par son vin, dans un instant, pouvoirJuger quel est le goût, et quel est le savoir. [Il] débouche. DIANE, étonnée. Un châtelain, Monsieur, quelle erreur est la vôtre ?Cette grave demeure où vous êtes, n'est autre Qu'une sainte abbaye, un tranquille couvent ! GASTON, avec calme. Ôtant un bouchon. En vérité ! Ma foi, l'on m'a conté souventQue dans tous les couvents la cave est sans pareille.Nous allons en juger, cela tombe à merveille ! DIANE, à part. Si ma tante l'abbesse à l'esprit pudibond [Note : Dragon : Dans l'ancienne armée, nom d'une cavalerie légère qui combattait tantôt cheval, et tantôt à pied. [L]]Me voyait attablée en face d'un dragon...Quels bras au ciel ! GASTON, versant le vin. Sur moi, ne soyez pas en reste ?...Vous direz votre avis... Il goûte.Du chambertin ! Ah ! Peste !Le vin aimé du roi !... Le cellier a du bon !... À Diane.Une dernière grâce, et faites-moi raison ? DIANE, levant son verre. Monsieur, je suis Française, et bois à la victoire ! DIANE et GASTON, se levant ensemble. À la victoire ! GASTON. À vos beau yeux. DIANE. À votre gloire ! GASTON. Ah ! Vous m'ordonnez là de vaincre ou de mourir...Mais, pardieu, nous vaincrons ! Et je veux revenirPorter au sommelier mon compliment sincère ! DIANE, riant. Et si vous rencontrez l'abbesse ? GASTON, avec inquiétude. Elle est sévère ?Bah ! Demain j'aurai vu des chocs plus sérieux !Et si l'abbesse veut me faire les gros yeux...Je lui fais les yeux doux, lui conte une folie,Et pour peu qu'elle soit jeune et surtout jolie Comme vous... Je l'enlève ! DIANE, éclatant de rire. Ah ! ah ! ah ! Juste ciel !Enlever noble dame Agathe de Mériel !... GASTON, étonné. Madame de Mériel ? DIANE. Oui ! GASTON. Presque une parente !Nous sommes alliés !... DIANE. Par qui donc ? GASTON. Par ma tante !...Vraiment, c'est curieux ! Je suis chez elle ici ? DIANE, soucieuse. Votre tante ? GASTON, gaiment. Sans doute ! Une Mériel aussi,De l'autre branche... et qui n'est pas octogénaire,Car elle a dix-neuf ans cette tante bien chère ! DIANE, troublée. Bien chère ?... Vous l'aimez, je le vois, de tout coeur ? GASTON, étourdiment. Je ne la connais pas ! Quand mon oncle eut l'honneur De greffer cette fleur sur notre souche antique,Je me battais, en Flandre... Elle, à la MartiniquePartait, quand je revins... Le sort mal disposéNous a fait faire ainsi, toujours chassé-croisé....Je dis qu'elle m'est chère... en ce qu'elle me coûte Cent mille écus de rente !... DIANE, avec effort. En vérité ? GASTON. Sans doute!Mon oncle de Bligny, dont j'étais l'héritier,Lui donna par contrat son héritage entier.Mais, baste ! Il ne faut pas se plaindre d'une femme !Et demain, voyez-vous, ou j'aurai rendu l'âme, Ou serai colonel ! DIANE, à part. Que mon coeur est troublé ! GASTON, doucement. Mais vous ne mangez plus ?... J'aurais bien appeléUn dragon pour servir, mais je me faisais fêteDe vous rendre ces soins, moi-même, en tête-à-tête. DIANE, après nn temps. Donc, vous êtes, Monsieur, le marquis de Btigny?. GASTON, riant. En personne ! Un illustre inconnu ! DIANE. Que nenni ! GASTON, surpris. Quoi ! Vous me connaissez ? DIANE, sérieuse. Beaucoup !... De renommée !... GASTON, inquiet. Par qui faite. DIANE. Une amie intime et très aimée.Armande de Beauval... GASTON, gaiement. Armande ? Pauvre enfant !Donnée en mariage à ce vieux Vilmorant, Un maître sot, doublé d'un intraitable avare...Vilain ! L'air d'un vieux bouc !... Et j'ai, mérite rare,Parfait la ressemblance !... DIANE, baissant la tête pour rire. Oh ! GASTON, vivement. Vous avez raison !Je m'égare, et vous traite un peu trop en garçon. DIANE, avec curiosité. Aux avant-postes ! Bah ! Vous êtes excusable ! Alors ?... GASTON, avec une confusion feinte. Eh bien !... Oui !... Mais le plus invraisemblable. DIANE, riant. Vous lui fûtes fidéle ? GASTON, étourdiment. Oh non !... quand je dis non !...J'ai tort... et cependant.... DIANE. Quelle confusion ! GASTON, plus sérieux. Vous allez me comprendre. Il faut d'abord vous dire,Que si je ne suis pas, devant votre sourire, Devenu fou de vous, c'est qu'il est en mon coeurUn souvenir duquel nul attrait n'est vainqueur... Diane fait un geste, Gaston poursuit avec un ton tout à fait grave.C'est celui d'une femme ardemment adoréeQui, comme un doux rayon, dans ma vie est entrée,Et qu'ainsi j'aimerai follement jusqu'au jour, Où je mourrai du mal que me fait mon amour ! Diane fait un geste de surprise.Je vous étonne, moi dont les gaités frivolesS'épanchaient à l'instant en joyeuses paroles !Je ne suis pas de ceux, n'est-ce pas, qu'on diraitMarqués du sceau fatal d'un éternel regret. Je ris, j'aime le bruit, les chants, et l'on m'admire !...Si l'on savait combien de pleurs sont sous ce rire,Si l'on pouvait savoir, sous ces bruyants éclatsCombien mon âme est triste et mon esprit est las...On verrait que ma joie est la lutte insensée Entreprise par moi pour dompter ma pensée ! DIANE. Vous n'êtes pas aimé ? GASTON, avec un sourire triste. J'ose à peine avouerLa vérité. J'ai l'air de vouloir me jouer... DIANE, avec intérêt. Dites... GASTON. Celle que j'aime... Elle m'est inconnue !Pendant une heure, hélas trop courte, je l'ai vue... Et quand je dis j'ai vu... Je me vante et j'ai tort,Car elle était masquée ! DIANE, avec un tressaillement. À part. Oh ! Ciel ! GASTON. Mais sa voix d'orQui m'est allée au coeur comme un chant de sirène,Sans cesse en moi résonne, adorable et sereine...Elle me suit, je crois la retrouver partout. Et tenez ! Vous allez me prendre pour un fou,Mais je vous écoutais me parler tout à l'heureEt vous aviez sa voix !... Ce n'était qu'un doux leurre,Et pourtant j'oubliais dans cette voluptéLes amères douleurs de la réalité. DIANE. Mais si vous n'avez pu distinguer son visage,Elle a pu voir le vôtre au moins ?... GASTON. Pas davantage !J'étais alors en Flandre avec mon régiment.J'apprends qu'on donne un bal à travestissementChez monsieur de Beauval. De voir Armande avide, Sans la permission je pars à toute bride.Je risquais follement ma vie et mon honneur ;J'étais, quittant l'armée, un simple déserteur...Mais à vingt ans ! Je mets un masque pour paraîtreÀ ce bal sans que nul puisse me reconnaître, Et dans les fleurs, au bruit des danses, je la voisPour la première, hélas, et la dernière fois ! DIANE, à part, avec une vive émotion. Plus de doute ! C'est lui ! Dieu ! S'il allait apprendre...Exalté comme il l'est !.. Écoutant et allant à la fenêtre.Enfin ! Je crois entendreUne voiture... GASTON, étonné. Vous me faites souvenir... Quand nous sommes entrés, nous avons vu venirUne berline vide... étroitement fermée...J'ai même pris en main sa lanterne allumée,Afin de m'éclairer dans ce logis obscur... DIANE, avec inquiétude. Ah mon Dieu !... Mais est-elle encore là ? GASTON. J'en suis sûr. DIANE. Mais pourquoi ne m'avoir pas dit ?... GASTON. En conscienceJ'ignorais le motif de votre impatience !La voiture depuis deux heures vous attend... DIANE. Quel contre-temps fàcheux ! Elle remet son chapeau. GASTON, avec surprise. Vous partez ? DIANE. À l'instant ! GASTON. C'est dangereux ! La route est pleine d'embuscades [Note : Mousqutade : Plusieurs coups de mousquets tirés à la fois ou continûment par des gens armés. [L]]D'où l'on peut vous tirer de bonnes mousquetades.Vous risquez de tomber aux mains des ennemis.Restez ! DIANE, avec fermeté. Je dois partir, monsieur, je l'ai promis ! GASTON, s'inclinant. Soit ! Mais au moins souffrez que je vous reconduise. DIANE, vivement. Non certes ! À part.De mes gens je crains quelque sottise. GASTON, ému lui tendant la main. Adieu ! Le souvenir de ces instants trop courts,Est, croyez-le, gravé dans mon coeur pour toujours. DIANE, à part, s'arrêtant très émue. Ah ! Le quitter ainsi, lorsque la mort, peut-être... GASTON, la voyant hésiter. Restez ! DIANE, avec force, à part. Mon lâche coeur ne sera pas le maître !... Haut.Adieu ! Elle sort vivement. SCÈNE III. GASTON, seul. Il reste un instant silencieux, puis avec tristesse. Me voilà seul ! C'est bizarre, vraiment, Mais je viens d'éprouver comme un déchirementEn la voyant partir si vite ! Ah ! Tête folle !Il semble qu'à plaisir vraiment, je me désole ! Il marche avec agitation.Mais ! J'ai beau raisonner !... Amant mystérieuxD'une femme qui s'est dérobée à mes yeux, Je n'en puis rencontrer une et la trouver belleSans me dire aussitôt : Ne serait-ce pas elle ?Allons ! N'y pensons plus ! Arrangeons-nous iciPour dormir. Il s'assied.Si l'Anglais le permet Il voit la lettre que Diane a laissé tomber à ta première scène, il la ramasse.Qu'est ceciUne lettre ?... Sans doute, à ma charmante hôtesse... Qui vient de l'oublier... Il lit l'adresse.Madame la DuchesseDe Bligny... Étonné.Ça ! Je rêve éveillé ! Il relit.Ma foi non !Et si fou que je sois je sais lire mon nom ! Avec éclat.Alors j'ai fait la cour à ma tante en personne Avec stupeur.Ah ! Maugrebleu, Marquis, cette aventure est bonne !... Avec gaité.Comment ! C'est la duchesse... à qui... Il éctate de rire.Bon ! Par ma foi,Quelle idée aura-t-elle été prendre de moi ? Tenant machinalement la lettre entre ses doigts.Si je lisais ?... Oh !... Avec un air dégagé.Bah ! Quel crime est-ce commettre,Que, de tante à neveu, parcourir cette lettre ?Lisons !... Avec une grande agitation.Que vois-je ? Et quel vertige me saisit ? Ce bal !... Ces fleurs !... Mon rêve est tout entier ici !... Agitant la lettre avec joie.Celle que j'aime existe et je suis sur sa trace !...Dans mon esprit troublé le doute obscur s'efface,Je ne suis pas le plus infortuné des fous,Et je vais donc pouvoir tomber à ses genoux ! Ah ! Que je suis heureux ! Il s'arrête subitement.Mais, c'est ma tante ! Ah ! Diable ?J'oubliais ce détail... Il reste pensif, puis avec rage.Destin impitoyable !Vas-tu donc me poursuivre avec acharnement ? Il s'assied découragé, puis relevant la tête.Au fait mon oncle est mort, et moi je suis vivant !Faut-il donc m'immoler sur sa tombe fermée ? Ah ! Non ! Avec extase.Elle était là, ma douce bien-aimée,Sereine, et rayonnant l'éclat de ses vingt ans...Ah ! Lorsque poursuivi par des rêves ardents,Devant mes yeux passait son image indécise,Jamais je ne la vis plus chaste et plus exquise ! J'oublie en un moment, par la joie enivréLes jours où j'attendais, les nuits où j'ai pleuré Fusillade dans la lointain.Allons ! Bon ! Je planais dans un ciel sans nuage...Revenons sur la terre... La fusillade redouble.Eh Mais le feu fait rage...C'est sérieux !... Ah ça ! Marquis, soyons prudent ; It n'est plus question de mourir à présent ! Il prend son sabre et sort en courant. SCÈNE IV. DIANE, entrant par la porte de gauche ; elle tombe éperdue sur un siège. On se bat ! Il me semble en sinistres rafalesEntendre à mon oreille encore siffler les balles...Que je viens d'avoir peur, mon Dieu !... Écoutant.Le feu s'éteint...Les détonations se perdent au lointain. L'attaque a, par nos gens, été très bien soutenue ! Elle se lève.Et voilà près de lui que je suis revenue,M'échappant d'un danger soudain et menaçant,Pour tomber dans un autre, au moins aussi pressant !...Ah ! Qu'importe !... Je sens que la raison est vaine, Un charme irrésistible à ses côtés m'enchaîne...Et je jouis déjà du plaisir de pouvoir,Inconnue à ses yeux, lui parler et le voir !Mais malgré tout, il faut, à tout prix, qu'il ignoreQui je suis !... On entend marcher. Le voici ! Portant le main à son coeur.Folle ! Je tremble encore ! SCÈNE V. Diane, Gaston, entrant vivement. GASTON. Fausse alerte. Il la voit, à part.Elle ! Haut.Vous madame ! DIANE, à part. Il s'est troublé.Il est devenu pâle, et sa voix a tremblé ! GASTON, la dévorant des yeux. - Doucement. Eh bien ! Vous le voyez, mon conseil était sage,Et vous n'avez pas pu découvrir un passage. DIANE, pour se donner une contenance assurée, parlant vite. Nous venions de partir, et nous allions grand train, Je l'avais ordonné, pour gagner du terrain...Quand un gros d'éctaireurs accourt et nous arrête...Leur chef nous dit : « Battez promptement en retraite,Car vous allez ainsi tout droit aux ennemis ! »À cet ordre aussitôt nous nous montrons soumis, Et nous nous décidons à prendre la traverse...Nous faisons deux cents pas... Soudain, comme une averse,Les balles en sifflant pleuvent de tous côtés.Nous tournons... Les chevaux par la peur emportésS'éiancent au galop, et plus morte que vive Ici, d'où je venais de m'éloigner, j'arrive. Un temps. - Gaston s'avance lentement et silencieusement. Diane interdite. GASTON. Que voulez-vous, Monsieur ? GASTON. Ah ! M'approcher de vous,Commè pour prier Dieu, me mettre à vos genoux,Et jouir longuement, ivresse sans seconde,Du bonheur de vous voir et d'oublier le monde. Diane fait un mouvement.Ne vous éloignez pas, madame, par pitié !... DIANE, gravement. Je vous ai témoigné de la franche amitié...Parce que, malgré moi, je me trouve recluse,En abuserez-vous ? Vous seriez sans excuse !Et dans le camp anglais j'irais me rejeter Pour voir si, mieux qu'ici, l'on m'y sait respecter ! GASTON. Non ! Restez ! Votre voix me charme et m'ensorcelle !...Croyez-moi, si l'amour dans mes yeux étincelle,Mon coeur, où vous régnez souveraine, est rempliD'un respect dévoué dont je n'ai point l'oubli. Hélas, si vous saviez quand vous êtes partie,Quelle douleur profonde en moi j'ai ressentie !Avec vous, ce séjour me semblait enchanté...Votre départ a fait soudain l'obscurité.Et voyant tout glacé comme un foyer sous flamme, J'ai compris qu'avec vous vous emportiez mon âme... DIANE, très émue. Taisez-vous! GASTON, se rapprochant. Attristé de mon rêve perduJe reviens... Je vous vois ! Mon bonheur m'est rendu !C'est bien vous ! Et fermant les yeux, je puis entendreRésonner votre voix, qui sait si bien me rendre Le riant souvenir du plaisir d'un moment,Dont mon coeur a gardé l'exquis enivrement.À cette illusion adorable je cède,Celle que j'aime est là, j'entends, je la possède...Et vers la vision alors je tends les bras, En m'écriant : C'est vous ! C'est bien vous, n'est-ce pas ?Le voile qui couvrait mon regard se déchire !Oui, c'est bien vous, enfin Il s'agenouille devant elle.Ah ! Laissez-moi vous dire,À vos pieds, tout l'amour en mon coeur enfermé...Laissez-moi me bercer de l'espoir d'être aimé ! DIANE, lui abandonnant ses mains. Mon Dieu ! Sa douce voix me pénètre et m'enchante,Et j'entends dans mon coeur ma jeunesse qui chante,Comme un oiseau des cieux qui fête le printemps,L'ineffable et charmant éveil de mes vingt ans !Eh ! Bien ! Oui ! C'était moi ! Je ne veux plus me taire, Car je souffrais autant que vous de ce mystère...Et, puisque cet aveu doit vous rendre au bonheur...Soyez heureux ! Je m'en remets à votre honneur ! Elle se détourne en rougissant. GASTON, transporté. Doucement. Ah ! Ne rougissez pas ! Vous n'avez rien à craindre,Il suffirait d'un mot de vous pour me contraindre Moi, dont l'unique joie est de vous adorerÀ m'éloigner d'ici sans même murmurer.Saintement je vous aime, et fantaisie étrange,Moi qui longtemps ai cru que vous étiez un ange,Il me semble, en voyant votre exquise beauté, Que vous vous rapprochez de la divinité ! DIANE. Ah [!] Que n'en ai-je, au moins, la suprême puissance.Je vous protégerais !... Mon coeur glacé, d'avanceEn pensant aux dangers que vous allez courir,Dans l'épouvante et dans l'effroi se sent mourir !... GASTON. Ah ! Gardez vos beaux yeux souriants et paisibles...Mon bon ange étendra ses ailes invisiblesSur mon front, si pour moi vous implorez les cieux. DIANE, lui tendant les fleurs fanées. Reprenez ce bouquet fané, si précieux !'De mon sincère amour pour vous qu'il soit le gage... GASTON. Je le mets sur mon coeur et demain je m'engageÀ vous le rapporter intact et glorieux ! On entend le canon au loin. DIANE, avec effroi. Mon Dieu ! GASTON, ouvrant la fenêtre, le jour paraît. C'est le canon qui tonne furieux...C'est l'appel du combat ! DIANE. C'est le signal des larmes !Dieu de bonté daignez favoriser nos armes... Et de mon bien-aimé détournez le trépas ! GASTON. Quand on a tant d'amour au coeur, on ne meurt pas ! Il a'étance an dehors, en lui faisant avec la main 'jn signe d'adieu. ==================================================