******************************************************** DC.Title = ZELMIS, OU LA JEUNE SAUVAGE DC.Author = ORMOY, Charlotte d' DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Opéra comique DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 31/08/2023 à 13:52:36. DC.Coverage = (Pays indéterminé) DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ORMOY_ZELMIS.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ZELMIS, OU LA JEUNE SAUVAGE OPERA-COMIQUE EN UN ACTE, MÊLÉ D'ARIETTES SUR DES AIRS CONNUS. Prix 1 liv. 4 sols M. DCC. LXXX. Par Madame la Président d'Ormoy de l'Académie des Arcade de Rome. À LONDRES, Et se trouve à PARIS, Chez Thomas BRUNET, Libraire, au Parnasse Italien, rue Mauconseil, à côté de la Comédie. ÉPÎTRE DÉDICATOIRE. AVERTISSEMENT Tous les Auteurs font de belles Lettres Dédicatoires, pour louer les Princes à qui ils veulent offrir leurs Ouvrages ; la mienne est d'un nouveau genre, et je crois qu'elle n'en est que plus délicate : le titre seul suffit, et avec lui j'ai tout dit. PERSONNAGES ZELMIS, jeune sauvage. ALMANZAÏDE, Mère de Zelmis. MIRVILLE, Amant de Zelmis. La scène est dans une île déserte. ZELMIS, OU LA JEUNE SAUVAGE SCÈNE PREMIÈRE. Le Théâtre représente un bois épais. ALMANZAÏDE, seule. Quoi ! Depuis quinze ans j'habite cette île inconnue au reste du monde, et je n'ai pas plus d'espérance d'en sortir que le jour ou j'y fus jetée par la tempête ! Je soupire en vain après une patrie, hélas ! Que je ne reverrai jamais ! ô ma chère Zelmis ! Je venais de voir périr ton malheureux père au milieu des flots ; tu naquis, dans ce désert, ou sans toi, sans les soins que je devais à ton enfance, le désespoir eût cent fois terminé ma vie et mes malheurs. Je n'aurais pu longtemps survivre à un époux adoré. J'aurais rendu à la mer en fureur la proie qu'elle devait engloutir, si la vue d'un objet si cher à mon coeur n'eût ranimé sans cesse mon courage. Cette enfant me rappelle son père, elle en a tous les traits, c'est le seul gage qui me reste de son amour, il m'attache à la vie. Mais, Dieux ! Que cette vie est agitée ! ARIETTE. AIR : Lise, entends-tu l'orage ?Ces vagues, dont la rageExpire sur ces bords,Pour s'ouvrir un passageFont d'impuissants efforts.De même impatiente De changer son destin,Mon âme se tourmente,Et se tourmente en vain.Le soir, l'astre du monde,Témoin de mes douleurs, En se plongeant dans l'ondeMe laisse dans les pleurs :Le matin, quand l'auroreLance ses premiers traits,Elle me trouve encore En proie à mes regrets.Cachons à ma fille le trouble qui m'agite. Elle dort encore.... son coeur paisible est fermé à l'amour ; il ne connAît de sentiment, que celui qui l'attache à sa mère... Puisse-t-il n'en connaître jamais d'autre ! Son âme naïve est tranquille ; ce calme est le partage de l'innocence : tâchons de lui conserver sa félicité ; on est heureux quand on s'imagine l'être... Mais, croira-t-elle toujours que nous soyons seules dans la nature ? J'ai tâché de lui persuader que la terre était habitée par des monstres qu'on appelle hommes, et qui dévoraient notre espèce ? Par cette ruse innocente, je l'ai effrayée et prémunie contre le danger. S'il se présente jamais de ces animaux la devant ses yeux, elle viendra bien vite m'en avertir, et je saurai la défendre contre leurs attaques... Mais, la voici qui vient me joindre : que ses grâces sont touchantes ! Hélas ! C'est une rose condamnée à mourir sur sa tige ! SCÈNE II. Almanzaide, Zelmis. ZELMIS, en habit de sauvage. Ma mère, que cette matinée est belle ! Comme le Ciel est pur ! Son riant aspect rend les oiseaux plus joyeux, ils chantent et s'égayent en se poursuivant sous l'épais feuillage. ALMANZAÏDE. Tu viens de t'amuser à les entendre. ZELMIS. Oui, ma mère, un doux battement agitait leurs ailes, leurs becs s'entrelaçaient, chacun de leurs mouvements semblait annoncer le plaisir ; j'ai eu l'idée de vous appeler. ARIETTE. AIR : Je suis Lindor.Chers habitants de ce riant bocage,Tout en ces lieux répond à vos désirs ;Zelmis, hélas ! Forme mille soupirs,Et ne voit rien ici qui les partage. Vous vous livrez une guerre charmante,Dans vos ébats je vous vois toujours deux.Vous m'apprenez par vos aimables jeux,Qu'en partageant son bonheur on l'augmente.Vous vous aimez d'une tendresse extrême, Et le plaisir couronne tous vos voeux.Pourquoi mon sort est-il donc moins heureux ?Ma mère et moi nous nous aimons de même. ALMANZAÏDE. Que signifie ce propos, ma chère enfant ? Manque-t-il quelque chose à ta félicité ? Pour moi, je ne me plains point de la mienne. Tu me tiens lieu de tout, tant que tu m'aimeras, je serai heureuse. Comme ces oiseaux que tu vois se rechercher, ne sommes-nous pas toujours ensemble ? N'es-tu pas l'objet de mes caresses ? Ne le suis-je pas des tiennes ? Si tu t'éloignes, je suis inquiète, et ma joie à ton retour est inexprimable. ZELMIS. Vos tendres soins me sont chers ; mon coeur ne respire que pour vous aimer : vous n'êtes occupée qu'à me procurer sans cesse de nouveaux amusements, et cependant je soupire, je deviens rêveuse. Je ne sais à quoi attribuer la mélancolie qui me consume depuis quelque temps. Jusques dans le sommeil j'éprouve des inquiétudes. ARIETTE. AIR : De mes moutons le nombre augmente.Du triste ennui qui me tourmenteJ'ignore la cause naissante ; Des feux que j'éprouve en secret,Non, non, vous n'êtes pas l'objet.Peut-être suis-je trop sincère ;Mais de ces feux si tendres et si doux,Ah ! Le dirai-je enfin, ma mère ? L'objet secret est un autre que vous.Au sein de ces belles retraites,Je n'ai de plaisir qu'où vous êtes.Mille caresses chaque jourMe prouvent votre tendre amour. Mon sort devrait me satisfaire.Mais de ces feux si tendres et si doux,Ah ! Le dirai je enfin, ma mère ?L'objet secret, pardon, ce n'est pas vous. ALMANZAÏDE. Est-ce ainsi, ma Zelmis, que tu récompenses les soins que j'ai pris de ton enfance ? Tu cesses de m'aimer, je le vois ; si je possédais ton coeur, tu n'éprouverais pas ces inquiétudes qui m'affligent, elles me font craindre ton indifférence. ZELMIS. Vous m'aimez donc bien tendrement ? ALMANZAÏDE. Si tu en doutais, tu serais bien injuste. ZELMIS. Donnez m'en, je vous prie, une preuve. ALMANZAÏDE. Parle, je n'ai rien à te refuser. ZELMIS. Vous allez peut-être blâmer ma curiosité ; mais je voudrais pourtant être instruite sur un point qui m'occupe et m'embarrasse. Tous les étés, je vois ces oiseaux charmants, dont le ramage nous réjouit, se rechercher, s'unir deux à deux et construire ensemble de petits nids, avec une adresse admirable : ces nids se remplissent d'oeufs, et puis après de petits oiseaux tout semblables à ceux qui ont bâti les nids avec tant de peine et de plaisir ; leur nombre augmente tous les ans, Ma mère, pourquoi cela ? C'est sans doute parce qu'ils s'aiment; nous nous aimons aussi, et cependant nous restons toujours seules. ALMANZAÏDE. ARIETTE. AIR : Faut attendre avec patience.Si ces êtres se multiplient, C'est qu'ils sont moins parfaits que nous ;Pour le besoin seul ils s'allient,C'est lui qui les reproduit tous.De raison ils sont incapables :Notre sort est bien plus heureux. À la divinité semblables :Nous nous suffisons à nous deux. ZELMIS. Il sont donc plus heureux de n'être pas si parfaits ? ALMANZAÏDE. Zelmis, je dois te dire encore,Pourquoi le destin en courroux,À nos yeux ne fait pas éclore Des petits semblables à nous.Tu sais que ma bouche sans cesseParle de monstres furieux,Hé bien, de toute notre espèce,Ils n'ont épargné que nous deux. ZELMIS. Ces monstres sont donc bien méchants ? N'y en a-t-il pas au moins dans notre île ? ALMANZAÏDE. Ma fille, je n'y en ai pas vu encore, et il faut espérer qu'il n'y en viendra jamais. ZELMIS. Ô ma mère ! S'ils venaient vous dévorer, que deviendrais-je ? Mais sans doute ils m'auraient bientôt dévorée aussi; Elle aperçoit des papillons voltiger et se met à courir après. Ah ! Les jolis papillons, Maman ! Je vais courir après. Elle sort. SCÈNE III. ALMANZAÏDE, seule. Ses questions commençaient à m'embarrasser, je ne savais plus que lui répondre. Ces papillons sont venus heureusement la distraire... L'amour dans son coeur est prêt à éclore. J'ai beau lui cacher sa puissance ; ce Dieu l'a déjà blessée. Quelque chose manque à son bonheur : elle s'en aperçoit et ne peut expliquer son tourment. ARIETTE. AIR : Dans mon coeur agité.Dans son coeur agitéL'amour s'est fait entendre.Hélas ! Ce coeur si tendreEst déjà tourmenté,Quel malheur en ce jour Vient combler ma tristesse !Zelmis, pour ma tendresseN'aura plus de retour.Sa naïve innocenceN'est point une défense, Amour, contre tes traits.Au sein de ces forêts,Faut-il, tyran perfide,Que ta fureur te guide,Pour en troubler la paix ? Cruel Amour, ainsi de ton empireLe joug s'étend sur tout ce qui respire.Est-ce un triomphe ? Est-ce un bonheur pour toiDe ranger Zelmis sous ta loi ?Je verrai chaque instant Ma fille languissante,Se flétrir dans l'attenteD'un vain soulagement :Ah : je sens trop combien sa peine extrêmeVa m'attendrir, et m'affliger moi-même. De toutes deux, Amour, cruel vainqueur,Tu viens de faire le malheur. SCÈNE IV. Almanzaïde, Zelmis. ZELMIS, tenant un papillon. Maman, j'en ai attrapé un, le voilà ; que ses ailes sont brillantes ! ALMANZAÏDE. Oui, ma fille, il est charmant. Ne le fais pas souffrir. ZELMIS. Maman, ne craignez point : il est si joli ! ALMANZAÏDE. Je vais cueillir de nouveaux fruits que j'ai découvert dans notre île : je les porterai dans notre cabane, leur goût délicat réveillera ton appétit. Elle sort en regardant Zelmis, avec intérêt, et en poussant un soupir.) SCÈNE V. ZELMIS, seule. Comme il s'agite et se débat entre mes doigts ! Sans doute il souffre d'être captif, il regrette sa liberté. Mais s'il voulait s'apprivoiser , ah ! Que je l'aimerais ! Que je le caresserais ! ARIETTE. AIR : Par pitié daignez vous rendre.Papillon, petit volage ,Avec moi sois moins sauvage ;Zelmis veut te caresser , Et près d'elle te fixer.Ah ! Si tu pouvais comprendreCombien elle est douce et tendre !De ses mains, ton coeur légerVoudrait-il se dégager ! si ton âme plus fidèleRépondait à mon amour,Chaque jour, faveur nouvelleSerait le prix de ton retour.Mais en vain je le caresse ; Tout m'annonce sa tristesse ;Ah ! Je le fais trop souffrir.Je le vois prêt à mourir,L'esclavage le dépite ;De douleur son coeur palpite. Reprends ta vive gaîté,Je te rends la liberté, Elle le laisse envoler.Ainsi de tous les êtres qui m'environnent, aucun ne veut s'attacher à moi. Il me semble pourtant que je serais si heureuse, si quelqu'autre que ma mère répondait à mes caresses ! Un oiseau que j'avais attrapé, m'a joué le même tour que le papillon ; tant que je l'ai tenu en esclavage, il avait l'air triste, inquiet, il faisait des efforts, se débattait pour s'échapper ; je l'ai rendu libre, il s'est envolé sur une branche, et je ne l'ai plus revu ; que ne suis-je oiseau ou papillon, je ne m'ennuierais pas comme je fais. Elle s'enfonce d'un air chagrin dans le bois. SCÈNE VI. Zelmis, Mirville. MIRVILLE, sortant du bois sans voir Zelmis, qui s'est éloignée de façon qu'on la perd presque de vue. Que je paye cher la curiosité qui m'a fait des cendre dans cette île !Voilà trois jours que j'y suis égaré. Je la parcours sans rencontrer aucune figure humaine. J'ai bien retrouvé l'endroit où s'était arrêté le vaisseau qui me portait, mais ce vaisseau a disparu ; le capitaine, ne me voyant pas revenir, aura continué sa route. ZELMIS, à part, dans l'éloignement, et qui s'est rapprochée un peu. Que ces fleurs sont belles ! Je veux en orner mes cheveux. Elle semble se mirer dans un ruisseau en arrangeant les fleurs dans ses cheveux. MIRVILLE, à part, d'un air de douleur. Ô ma patrie !... En vous fuyant, devais-je m'attendre à vous regretter ? J'ai perdu en peu de mois mon père et ma mère ; peu avantagé de la fortune, le désespoir dans l'âme, je quittai, pour me distraire de ma douleur, des lieux ou je ne pouvais plus vivre. ZELMIS, à part. J'en paraîtrai plus jolie aux yeux de ma mère, elle m'en aimera davantage. MIRVILLE, à part. Les représentations de ma famille n'ont pu arrêter mes pas ; je me crus, après ces coups affreux du sort, isolé dans la nature. Jeune, inconsolable, je m'embarque, je franchis avec intrépidité la vaste étendue des mers : je revenais chargé d'or, lorsqu'une tempête m'a fait aborder dans cette île. ZELMIS, à part. Je ne sais : les fleurs m'intéressent moins que les oiseaux. MIRVILLE, à part. Que vais-je devenir, seul, dans cette solitude immense ? ARIETTE. AIR : Ah ! Quel tourment d'être sensible.Cruel destin ! funeste envieQui m'a conduit dans ce séjour !Ah ! C'en est fait, vers ma patrie Il n'est plus pour moi de retour.Avec cette faible défense,Ici tout cause mon effroi.Mon vaisseau, par mon imprudence,S'éloigne et fend l'onde sans moi. ZELMIS, à part. Qu'ai-je entendu ?... Quels accents ont frappé mon oreille ? C'est une voix pareille à la mienne... Et ce n'est point celle de ma mère. Elle fait quelques pas en écoutant. MIRVILLE, à part. Plus j'avance dans ce désert, plus je m'égare. Si j'allais y rencontrer quelque bête féroce ; bannissons toute crainte, et mettons-nous en état de nous défendre. Comme il amorce son fusil, il aperçoit Zelmis, paraît dans l'admiration, et fait un mouvement de frayeur en entendant du bruit. ZELMIS ayant aperçu Mirville la première, fait un mouvement de surprise. Mais, que vois-je ? MIRVILLE, à part. Ciel ! ZELMIS, à part. La surprise me rend immobile ! MIRVILLE. À part. Ma vue l'intimide... Haut.Belle enfant, rassurez-vous. Je ne veux point vous faire de mal. À part.Que d'attraits ! Quel air de noblesse ! ZELMIS, à part. Comme sa voix est touchante ! Elle pénètre mon âme : elle a un charme qui m'attire ; cependant je tremble. MIRVILLE, à part. Sa présence m'enivre de plaisir, j'oublie mon vaisseau et tout ce que j'ai perdu. ZELMIS, à part. Mais, si c'était un de ces monstres dont ma mère m'a parlé, je serais perdue... Je voudrais fuir, et je ne le puis. Elle s'éloigne un peu. MIRVILLE, à part. C'est une jeune sauvage, tâchons de l'apprivoiser. ZELMIS, voyant que Mirville la suit. N'approchez pas, n'approchez pas, je vous prie. Qui êtes-vous ? MIRVILLE. Je suis... le plus heureux des êtres en ce moment. Un homme enchanté de vous voir. ZELMIS, donnant des signes de la plus grande frayeur, et prenant des postures attendrissantes. Un homme !... Qu'entends-je ? Je frissonne... Homme, je t'en conjure, ne me dévore pas, épargne la timide Zelmis. À part.Comme ses yeux s'enflamment ! Mes sens se glacent. MIRVILLE, en s'arrêtant. Pourquoi me défendre d'aller à vous ? D'où vous vient cette frayeur ? Rassurez-vous, belle Zelmis, je n'ai rien qui doive vous inspirer de la crainte. ZELMIS. ARIETTE. AIR : Lisette éclipse à son aurore.En te fixant, mon trouble augmente,Et je ressens je ne sais quoi.Quand ta voix me charme et m'enchante,Ton regard me remplit d'effroi.Aurais-tu le coeur inflexible ? Ne puis-je apaiser ta fureur !Je voudrais, te rendant sensible,Dans toi rencontrer ma douceur.Ah ! Ma mère ! Ma pauvre mère !Qu'allez-vous bientôt devenir ? Votre destin me désespère,Hélas ! Il vous faudra mourir.Chez elle au moins, daigne me suivre,Elle va faire tout pour toi ;Si ton courroux me laisse vivre, Tu seras chéri comme moi. MIRVILLE. Vous la reverrez ; de grâce, ne craignez point. Votre mère elle-même, croyez-moi, je vous le jure, ne prend pas plus d'intérêt à vos jours. ZELMIS. Parlez-vous vrai ? MIRVILLE, pose son fusil au pied d'un arbre, et se précipite à ses genoux. Oui, ma chère Zelmis, recevez l'hommage de l'amoureux Mirville, vous voyez à vos pieds l'amant le plus tendre, le plus soumis : bannissez donc entièrement la peur que je vous cause ; ouvrez votre âme timide à des sentiments plus doux ; je suis ébloui de vos charmes, et mon coeur vous adore. ZELMIS, à part. Ce monstre s'attendrit. Profitons de ce moment pour lui échapper. Elle prend sa course ; Mirville se relève avec précipitation, et court après elle jusques sur le devant du Théâtre , où il la saisit. Zelmis tombe évanouie ; il la retient dans ses bras. ARIETTE. AIR : Ah ! Combien l'Amour a de charmes ?Que d'attraits ! Ô ciel! que de charmesLe destin met en mon pouvoir !J'en jouis seul et sans alarmes,Et je m'enivre de les voir. Que cette taille qui m'enchanteRecèle de secrets trésors !Quels traits ! Quelle frayeur touchante ,Et que j'éprouve de transports !Belle enfant, reviens à la vie, Que ma voix rassure ton coeur !À tes lois, mon âme asservieNe voit plus en toi qu'un vainqueur.Mais, quel bonheur ton coeur respire !Je le sens battre sous ma main ; Tu renais, ta bouche soupire,Et je vois palpiter ton sein. ZELMIS entr'ouvre la paupière, regarde Mirville d'un air mêlé de crainte et de douceur ; elle se rassure par degré, et le caresse. Où suis-je ? Le monstre ne m'a donc pas mangée ! Comme mon coeur est ému ! En portant la main sur le coeur de Mirville.Comme le sien bat aussi ! Il est encore plus tremblant que moi. Je n'en ai donc rien à craindre. MIRVILLE. C'est à tort que vous me redouteriez. Je suis de votre espèce, mon sexe est fait pour adorer le vôtre. Quelle fausse idée avez-vous prise des hommes ? Vous n'en avez donc jamais vus ! ZELMIS. Vous êtes le premier. MIRVILLE, à part. Que je suis heureux ! ZELMIS. Ma mère m'a bien dit qu'il en existait ; mais de si méchants, qu'il fallait éviter leur rencontre, parce qu'ils ne pouvaient souffrir notre espèce, et qu'ils la détruisaient. MIRVILLE, à part. J'entrevois ici une ruse. Haut.Combien de femmes êtes-vous dans cette île ? ZELMIS. Ma mère et moi, voilà tout. Il n'y en a pas d'autres sur la terre ; votre sexe ayant anciennement mangé tout le nôtre : j'en ai bien du chagrin, je vous assure. MIRVILLE. Y a-t-il longtemps que vous habitez cette île ? ZELMIS. Nous y avons toujours été. MIRVILLE. Vous n'avez donc jamais connu votre père ? ZELMIS. Mon père ! Je ne sais ce que cela veut dire. MIRVILLE. Cela veut dire, l'homme qui vous a donné le jour. ZELMIS. Ma mère m'assure que je l'ai reçu d'elle. Les hommes seraient bien éloignés de nous donner le jour, puisqu'au contraire ils se plaisent à nous le ravir. Il me vient une idée, c'est peut-être que vous dévorez vos petits quand ils sont nés. MIRVILLE, avec vivacité. Nous ne sommes pas si barbares ; votre mère a abusé de votre crédulité. Les hommes ne sont pas tels qu'on vous les a dépeints. Ils sont faits pour vous aimer, pour partager vos peines et vos plaisirs ; enfin, pour reproduire avec vous d'autres hommes et d'autres femmes semblables à vous et à moi. C'est-là le voeu de la nature ; mais pour le remplir, il faut que l'homme et la femme (vous et moi, par exemple) s'aiment bien tendrement. Ma chère enfant, éprouveriez-vous ce sentiment pour moi ? ZELMIS. Je ne sais si ce que vous me dites est vrai ; mais mon âme en est transportée, et je sens que je vous aime à présent plus que je ne vous crains. MIRVILLE, lui baisant la main. Vous m'aimez ! Je me plais à le croire, quel bonheur ! Pour y mettre le comble, jurez-moi de m'aimer toujours. ZELMIS. Jurer ! Que signifie ce mot : c'est la seconde fois que vous le prononcez. Il est inintelligible pour moi ; est-ce un mot usité quand on s'aime ? MIRVILLE, lui donnant un baiser. Il faut que l'Acteur s'approche avec passion de Zelmis ; prêt à la baiser sur la bouche, il se retient ; et après avoir résisté, il ajoute :Je vais vous l'apprendre, comprenez bien. Je jure sur la main de Zelmis, de l'adorer toute ma vie. Voilà, entre amants, ce qu'on appelle jurer et faire un serment. ZELMIS. Je commence à vous entendre ; mais vraiment cela est tout-à-fait agréable. MIRVILLE. DUO du silvain.Si ce serment flatte votre âme,Daignez jurer à votre tour. Elle baise la main de Mirville avec une joie mêlée de crainte. Elle vient d'entendre que baiser la main, c'est faire un serment. ZELMIS. Oui, ce serment flatte mon âme, Et j'ose jurer à mon tour. MIRVILLE. Dieux ! Quel bonheur ! ZELMIS. Ah ! Quelle flamme ! ENSEMBLE. MIRVILLE, enchanté. Si ce serment flatte votre âme,Jurez, jurez à votre tour.Qu'un tendre retour Couronne mon amour. ZELMIS. Oui, ce serment flatte mon âme,Et j'ose jurer à mon tour :J'offre à ton amourLe plus tendre retour. Zelmis lui baise la main une seconde fois. MIRVILLE. Dans ces lieux, aimable sauvage,Je veux, je veux me fixer pour toujours. ZELMIS. Que nous allons, sous ce riant feuillage,Couler ensemble d'heureux jours ! ENSEMBLE. Je t'aimerai toute ma vie, J'en ai fait ici le serment.Ô ciel ! Plutôt me soit-elle ravieQue de cesser de t'aimer tendrement ! ZELMIS, à Mirville, après le Duo. Les hommes ne sont pas si dangereux que ma mère le prétend ; apparemment qu'elle n'en a vu que de sauvages, qu'elle n'aura pu apprivoiser : je suis enchantée de pouvoir lui prouver qu'il en existe de bien doux. MIRVILLE, conduisant Zelmis dans le bois, de manière qu'ils soient toujours vus par les spectateurs. Viens, ma Zelmis, viens dans ce bois respirer la fraîcheur. ZELMIS. Je te suivrai partout, je n'ai plus peur ; mais de crainte que tu ne m'échappes, je veux t'enchaîner. Elle détache une guirlande de fleurs dont elle l'entoure. MIRVILLE. Je n'ai pas besoin de ce lien, l'Amour m'attache à toi pour jamais. Eh bien ! Qu'il nous unisse tous les deux. Il l'entoure avec le reste de la guirlande. SCÈNE VII et dernière. Mirville, Zelmis, Almanzaïde. ALMANZAÏDE. Voici le déclin du jour, et je n'ai point vu reparaître Zelmis ; elle a passé toute la journée sans revenir, je lui avais apprêté des fruits pour son repas. Ou peut-elle être ? J'ai parcouru toute la plaine sans la rencontrer. Depuis quelque temps elle est rêveuse ; son coeur se consume sans objet ; tout ce qui se passe dans la nature fixe son attention. Sans cesse elle me questionne avec un air d'inquiétude, qui met souvent ma prudence en défaut, il me sera difficile de lui en imposer encore longtemps... Mais j'entends du bruit dans ce bosquet ; n'est-ce pas elle qui s'y serait retirée. Voyons. Elle écarte quelques branches, et voit sa fille avec Mirville, assise sur un gazon. Avec surprise. Ô Ciel ! Ma fille avec un homme ! ZELMIS , se levant et allant à elle. Rassurez-vous, ma mère, celui-ci n'est pas méchant. ALMANZAÏDE, à Mirville. Est-ce ainsi, Monsieur, que vous respectez l'innocence ? N'avez-vous traversé les mers que pour venir séduire une enfant, ravir peut-être une fille à sa mère ? Cette île abandonnée semblait devoir nous mettre à l'abri de vos fureurs ! La beauté naïve et sans défense... MIRVILLE. N'achevez pas, Madame, daignez m'entendre avant de me condamner, et j'ose espérer que je vous paraîtrai moins criminel ; le fils d'un gentilhomme n'est point un ravisseur, ni un aventurier. ZELMIS. Ma mère, ne le grondez pas, puisqu'il est si doux ; il ne veut pas me faire de mal, il m'en a bien assurée. COUPLETS. MIRVILLE. AIR : Un Berger de notre Village.Égaré dans ce lieu sauvage ,Où l'imprudence m'a conduit, Je rencontre sous ce feuillageUne enfant, qui d'abord me fuit.C'est Zelmis, ô Dieu! qu'elle est belle !À l'instant je brûle pour elle. ZELMIS. En voyant les traits, la figure D'un être si nouveau pour moi,D'abord je tremble , il me rassure ;L'intérêt succède à l'effroi.Il me dit tant de fois qu'il m'aime,Que mon coeur lui répond de même. MIRVILLE. Serais-je à vos yeux si coupable,D'avoir adoré tant d'attraits ?À nos coeurs soyez favorable,En les unissant pour jamais.Ce désert qu'environne l'onde, Nous vaudra l'Empire du monde. ZELMIS. Quel plaisir ! Quel bonheur, ma mère !Mirville se fixe chez nous ;Tous ses soins seront de nous plaire,Et nos jours en seront plus doux. Votre coeur pour nous est si tendre !À nos voeux, daignez donc vous rendre. ALMANZAÏDE, à part. Ils m'attendrissent, je ne peux résister à leurs larmes. Puisque je n'ai pu éviter le malheur que je redoutais, tâchons au moins de le réparer. Haut à Mirville.Je vous donne ma fille ; mais, c'est à condition que vous chercherez tous les moyens de nous reconduire dans notre patrie, et que là vous y renouvellerez les serments d'aimer toujours ma Zelmis. MIRVILLE. Madame, je reçois de vous le plus grand des bienfaits. Mon coeur en sent tout le prix : il vous promet d'adorer toujours votre aimable fille. Le Ciel a déjà reçu mes serments, et je les renouvelle entre vos mains. Mais, ma mère, ma digne mère, pourquoi exiger que je vous reconduise en Europe ? Restons dans cette île ; nos mains la fertiliseront ; j'y ai trouvé le bonheur ; j'y possède Zelmis. Voudriez-vous que j'exposasse à la fureur des flots un trésor si cher à mon coeur et au vôtre : fixons-nous plutôt à jamais dans ce désert ; nous y sommes seuls, nous en sommes les Rois, peut-être y donnerons-nous le jour à un peuple d'heureux. Je bénis à présent le mouvement de curiosité qui m'a attiré dans cette île : mon vaisseau est reparti, les gens de l'équipage se seront imaginés que j'ai été la proie de quelques animaux sauvages. Ils déplorent mon sort, tandis que j'en goûte un qui me serait envié, s'ils pouvaient le connaître; je leur laisse sans regret tout mon or : qu'ils se le partagent, le coeur de Zelmis me suffit : un seul de ses regards est préférable à tous les biens que je voulais posséder. Avec elle et vous, je puis oublier l'univers. ZELMIS. Maman, Mirville a raison ; je sens que je n'ai plus rien à désirer. J'ai trouvé ce que mon coeur cherchait ; demeurons dans notre île : jamais elle ne me parut si belle. ALMANZAÏDE. Mes enfants, je consens à vos désirs ; et d'ailleurs, j'en formerais d'inutiles pour sortir de ce lieu. À Mirville.Vous saurez, Mirville, comment j'y ai été jetée. Elle met la main de Zelmis dans celle de Mirville.Que le Ciel bénisse votre union ! Soyez époux, aimez-vous, aimez-moi. Je trouverai ma félicité dans la vôtre. VAUDEVILLE. Sur celui de Rose et Colas. ALMANZAÏDE. Aux enfants, l'on a beau cacherCe que leur apprend la nature,Le coeur, à force de chercher, Trouve un remède à sa blessure.Pour une faiblesse, une erreur,Au lieu de se mettre en colère,Le devoir d'une tendre mère,Est d'en réparer le malheur. MIRVILLE. De Plutus, toutes les faveursN'empêchent pas qu'on ne soupire ;Les palais les plus enchanteursNe sont rien, si l'on y désire ;Aux lieux qui m'ont donné le jour, Mon coeur ne porte point envie,Un désert devient ma patrie,Quand je l'habite avec l'Amour. ZELMIS, au Parterre. Peut-être on blâme la vertuD'une jeune et simple sauvage, Du premier homme qu'elle a vu,Elle a reçu le tendre hommage.Sa grâce, son air et sa voixOnt rendu mon coeur trop facile :Qu'aurais-je fait, si dans mon île, J'avais vu tous ceux que je vois ? ==================================================