******************************************************** DC.Title = L'ABSENT CHEZ SOI DC.Author = OUVILLE, François le Métel DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 12:57:09. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/OUVILLE_ABSENTCHEZSOI.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k727522 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'ABSENT CHEZ SOI COMÉDIE M. DC. XLIII. AVEC PRIVILEGE DU ROY. PAR MONSIEUR D'OUVILLE. Achevé d'imprimer le 28. Avril 1643. Les Exemplaires ont esté fournis. Représenté pour la première fois en 1642. LES NOMS DES ACTEURS. DIANE, damoiselle parisienne, maîtresse de Clitandre. ÉLISE, damoiselle parisienne, maîtresse de Clorimant. PAULINE, suivante d'Élise, maîtresse de Géraste. JULIE, suivante de Diane, maîtresse d'Ormin. CLORIMANT, gentilhomme parisien, amoureux d'Élise. CLITANDRE, gentilhomme parisien, amoureux de Diane. GÉRASTE, serviteur de Clorimant, amoureux de Pauline. ORMIN, serviteur de Clitandre, amoureux de Julie. POLEMAS, vieillard, Père d'Élise, et d'Octave. OCTAVE, frère d'Élise, et amoureux de Diane. La Scène est à Paris. ACTE I SCÈNE I. Diane et Élise masquées sortant du bal au matin, où elles ont passé la nuit ; et Pauline et Julie les accompagnant. DIANE. Je bénis cette nuit qui me donne le bienDe goûter les plaisirs d'un si doux entretien.Puisque je vous connais je me tiens trop heureuse. ÉLISE. Je me tiens de cet heur moi-même glorieuse,Chéri cette rencontre, et vous dis sans mentir, Que ce lieu me plaît tant que je n'en puis sortir.Le voisinage joint à vos rares méritesMe fera vous prier d'agréer mes visites. DIANE. Je jouirai du bien que vous me promettez,Si vous daignez souffrir mes importunités. ÉLISE. Je sais trop le respect où mon devoir m'engage,Non, non, vous n'aurez point sur moi cet avantage,Je vous préviendrai bien ; cependant s'il vous plaît,Je vous rendrai chez vous, mon carrosse est tout près. DIANE. Le mien qu'un cavalier aura soin qu'on m'emmène, Sera bientôt ici, n'en prenez pas la peine,Voyez un peu Julie, il doit être venu. JULIE. Je ne sais qui l'aura si longtemps retenu,Le laquais que j'attends ne m'a point avertie. DIANE. Je me repens bien donc d'être si tôt sortie. Rentrons. ÉLISE. Je le veux bien. DIANE. Et toi demeure ici.Attends-y mon carrosse. ÉLISE. Et toi Pauline aussi. SCÈNE II. Pauline, Julie. PAULINE. Je me réjouis fort de voir que nos maîtressesS'entr'aiment, et se font ainsi tant de caresses,Il nous faut contracter ensemble une amitié Qui surpasse la leur encor de la moitié,J'ai bien intention que nous rions ensemble. JULIE. Nous en aurons souvent le loisir ce me semble.Est-ce depuis longtemps que tu sers là dedans ? PAULINE. J'ai servi la défunte en mes plus jeunes ans, Et j'ai depuis sa mort toujours servi la fille.Les biens n'y sont pas grands, mais c'est une familleDes plus nobles qui soient, et personnes d'honneur. JULIE. Élise est-elle douce et d'agréable humeur ? PAULINE. Julie assure-toi que jamais la Nature, N'a dans le monde encor formé de créature,Qui la passe en mérite et l'égale en bonté,Et je n'aurais jamais si grande libertéChez mes propres parents comme je l'ai chez elle. JULIE. Elle me semble douce ; et parfaitement belle ; Mais ses yeux si charmants auraient-ils le pouvoirDe donner de l'amour à tous sans en avoir ? PAULINE. On ne la saurait voir en effet qu'on ne l'aime,Mais elle aime un amant cent fois plus qu'elle même,Un brave cavalier qui l'adore et je crois, Qu'ils se sont engagez l'un et l'autre de foi.Et je souhaite fort cette heureuse journée,[Note : Hyménée : divinité fabuleuse des païens, qu'ils croient présider aux mariage. (...) signifie aussi poétiquement le mariage. [F]]Qu'ensemble ils seront joints sous les lois d'hyménée.Mais j'appréhende bien que selon leurs désirsIls ne puissent sitôt accomplir leurs plaisirs. JULIE. Pourquoi ? PAULINE. Parce qu'encor on n'en dit rien au père. JULIE. Elle a son père encor ? PAULINE. Oui, son père et son frère,Un jeune Cavalier. JULIE. Mais dis moi, son amant,Comment le nomme-t-on ? PAULINE. Son nom est Clorimant. JULIE. Aurais tu point conçu quelque amoureuse flamme, Pour quelqu'un de ses gens ? PAULINE. Tu lis dedans mon âme,[Note : Mignarder : Flatter, traiter avec délicatesse : dorloter. [F]]Les voyants tous les jours si fort se mignarder,Serions nous entre nous oisifs à regarder ?Ce que j'aime est plaisant, et de si bonne grâce,Qu'il agrée à mes yeux quelque chose qu'il fasse ; Il reste peu de chose à nous mettre d'accord.Mais de nos actions si tu t'enquiers si fort,À présent de tout point que tu connais les miennes,Fais que je sache aussi quelque chose des tiennes,Ta maîtresse sans doute aura plusieurs galants. JULIE. Quoi ? Belle comme elle est, en l'âge de vingt ans,Avec beaucoup de biens, et sans père, et sans mère,N'en aurait elle point étant seule héritière ?Mais elle est dans huit jours prête à se marier,[Note : Cavalier : signifie aussi, un gentilhomme qui porte l'épée, et qui est habillé en homme de guerre. Se dit aussi d'une galant qui courtise, qui mène une dame.[F]]Avec un galant homme, un brave cavalier, Qu'elle aime, et dont elle est sans mentir adorée. PAULINE. Ton galant est à lui ? JULIE. Si tu t'es déclarée,N'aurais-je pas grand tort si je te celais rien ?Il est vrai que je l'aime, et qu'il me veut du bien,Le carrosse est venu, j'avertis ma maîtresse PAULINE. Elles viennent ensemble. SCÈNE III. Diane, Julie, Élise, Pauline. DIANE. Et bien quelle paresse ! JULIE. Il est venu Madame. DIANE, à Élise. Adieu je vous prometsDe l'envoyer chez vous. ÉLISE. Croisez moi qu'à jamais,Ce point m'obligera ; car je brûle d'envieDe voir ce qui vous a la liberté ravie, Ce brave Cavalier que vous vantez si fort. DIANE. Lorsque vous l'aurez vu vous bénirez mon sort,Je vous le loue encor bien moins qu'il ne mérite. ÉLISE. Votre départ m'afflige et me laisse interdite,Faites-moi s'il vous plaît la faveur de m'aimer, Vous me l'avez promis. DIANE. Je dois trop estimerL'honneur que je reçois de votre connaissance,Pour ne vous pas servir de toute ma puissance. ÉLISE. Pauline, allons. PAULINE. Julie au moins souvienne toiDe ce que tu m'as dit. JULIE. Repose-toi sur moi. SCÈNE IV. Diane, Julie, Clitandre, Ormin. DIANE. Vous vous êtes, Monsieur, fait bien longtemps attendre. CLITANDRE. Quand vous êtes au bal vous ne vous sauriez rendre,Je pensais sans mentir être encor arrivéPlutôt qu'il ne fallait, mais vous avez trouvéPour vous entretenir une du voisinage, Quel est ce digne objet ? Quel est ce beau visageAvec qui vous avez si longtemps discouru ? DIANE. C'est un sujet divin, je n'eusse jamais cruQu'on eut pu rencontrer une beauté pareille,Un esprit adorable, une telle merveille, Un oeil si gracieux, un entretien si doux. CLITANDRE. Quels étaient vos discours ? DIANE. Nous discourions de vous.J'ai dit que vous étiez un Cavalier qui m'aime,Et que j'estime autant aussi comme moi-même.J'ai peint votre mérite, et je vous ai vanté Si plein de courtoisie et de civilité,Et l'esprit si bien fait qu'elle vous veut connaître. CLITANDRE. Après tous ces discours je n'oserais paraître,Car si je la voyais à cette heure, je croisQu'elle se moquerait et de vous et de moi. DIANE. Vous la verrez pourtant, elle s'appelle Élise.Elle est extrêmement courtoise et bien apprise.Vous irez de ma part, et verrez ce que c'est. CLITANDRE. Entrons, je le veux bien, j'irai puis qu'il vous plaît. SCÈNE V. Clorimant, Géraste. CLORIMANT. Bien que t'a-t-elle dit ? GÉRASTE. Le Ciel vous est prospère, N'appréhendez plus rien, car son père et son frèreS'en vont tous deux aux champs, et sont prêts à partir.Elle m'a commandé de vous en avertir. CLORIMANT. Bannissons désormais de chez nous la tristesse,Quoi ! Te verrai-je donc, ô ma chère maîtresse ? Quoi ! De tant de tourments me verrai-je allégé ?Sortez d'ici soupirs, je vous donne congé,Je bannis de chez moi la douleur et la plainte,Puisque je te puis voir sans obstacle et sans crainte,Adorable beauté qui causes mon tourment. Est-il dessous le Ciel un plus heureux amant ?Tu dis qu'elle m'attend ? GÉRASTE. Oui, seule, et qui désireVous parler à loisir. CLORIMANT. C'est le but où j'aspire.Et qui rend à ce coup tous mes désirs contents :Mais allons de ce pas, ne perdons point de temps. GÉRASTE. Ils sortent, je les vois sur le pas de la porte,Ils vous verront, Monsieur, cachez vous. CLORIMANT. Il n'importe.N'étant point connu d'eux, puis-je pas sans soupçonsÊtre en la rue ? GÉRASTE. Octave est un mauvais garçon,Que savons nous Monsieur, peut-être qu'il nous guette. SCÈNE VI. Polemas, Octave, Clorimant, Géraste. POLEMAS. Élise ne vient point ! OCTAVE. Elle est toute défaite,Avec certain chagrin. POLEMAS. Qui cause ce souci ? OCTAVE. C'est d'avoir trop veillé. CLORIMANT, à Géraste. Retirons-nous d'ici.Nous pourrions en ce lieu causer des jalousies. Clorimant et Géraste s'en vont. OCTAVE. Mais qui vous mène aux champs ? POLEMAS. Certaines fantaisies Qui troublent mon repos. OCTAVE. D'où vient cela Monsieur ? POLEMAS. J'ai l'esprit agité pour l'amour de ta soeur. OCTAVE. Comment ! Ma soeur étant et vertueuse et sage,Quel sujet avez vous d'en prendre de l'ombrage ? POLEMAS. Pourtant elle me cause un étrange souci. Je veux sur ce sujet t'entretenir ici. OCTAVE. Je ne m'étonne point qu'une fille comme elle,Honnête, vertueuse, et parfaitement belle,D'un esprit agréable en la fleur de ses ans,Réveille les esprits à plusieurs prétendants, Qu'elle soit poursuivie, et qu'elle soit priée. POLEMAS. Je souhaiterais fort qu'elle fut mariée. OCTAVE. Aurait-elle bien fait quelque légèreté[Note : Pudicité : Chasteté ; pureté ; vertu qui fait abstenir des plaisirs illicites. [F]]Qui peut faire une tâche à sa pudicité ? POLEMAS. Non, non tu me verrais parler d'une autre sorte, Le fait ne va pas là, car ce fer que je porte,Ayant fait quelque chose indigne de son rang,Aurait été déjà trempé dedans son sang. OCTAVE. Qui vous oblige donc à tenir ce langage ?Il fait bien en effet. POLEMAS. Non, non, Élise est sage. Mais je souhaiterais qu'il fut en mon pouvoirPour beaucoup de raisons de bientôt la pourvoir.Je ne crains pas pourtant, quoi qu'elle soit sans mère,Qu'elle fasse jamais chose qui dégénèreDe la sage vertu de ses prédécesseurs. OCTAVE. Vous me mettez pourtant en l'esprit des frayeurs,Qui me font soupçonner qu'il en est quelque chose. POLEMAS. Non, non, que ton esprit de tout point se repose.Tu sauras ce que c'est. On m'a dit seulement Que son coeur répondait aux désirs d'un amant, Un peu plus librement qu'elle ne devrait faire. OCTAVE. C'est véritablement bien déguiser l'affaire,Qu'appelez-vous répondre en matière d'amour ? POLEMAS. Répondre à quelque amant qui pourrait quelque jourSi je le trouvais bon l'avoir en mariage. Laisserait-elle donc pour cela d'être sage ? OCTAVE. Vous venez à propos m'entretenir du sien,Quand j'avais résolu de vous parler du mien. POLEMAS. Te veux-tu marier ? OCTAVE. Avec votre licence.Pourquoi ? N'est-il pas temps. POLEMAS. Et quelle est l'alliance Que tu nous veux donner ? Je n'y contredis pas.Si plutôt que l'amour, l'honneur guide tes pas. OCTAVE. L'un et l'autre Monsieur, et de plus la richesse. POLEMAS. C'est ce qui m'en plaît fort : mais quelle est ta maîtresse ?La connais-je ? OCTAVE. Fort bien. POLEMAS. Dis donc. OCTAVE. Il est besoin De prendre auparavant la chose de plus loin,Vous vous souvenez bien, au moins il me le semble,Que nous fûmes tous deux un jour souper ensembleAu logis de Climante, où l'on me fit asseoirVis à vis d'un objet qu'alors vous pûtes voir. POLEMAS. Serait-ce bien Diane ? OCTAVE. Oui Monsieur, c'est la même,C'est ce divin objet, cette beauté que j'aime,Mais plutôt que j'adore, et je jure, et prometsSi vous le trouvez bon de l'aimer à jamais. POLEMAS. J'aime ton choix, et loue une telle entreprise, Plut au Ciel que celui qu'a fait ta soeur Élise[Note : Heur : rencontre avantageuse. [F]]Fût aussi raisonnable, et que j'eusse cet heur,Tant ce parti me plaît, de t'en voir possesseur.Pour mon consentement, oui, va je te le donne,Quand son père vivait, je sais bien que personne Ne pouvait sur son coeur autant que je pouvais,Mais ce n'est pas assez que j'approuve ton choix,Tu sais bien à présent que cette DamoiselleN'a ni père ni mère, et que tout dépend d'elle.As-tu par ton service acquis sa volonté ? Fait-elle quelque état de ta fidélité ?Sans cela tu rendras tes prétentions vaines,Tu n'y feras que perdre et ton temps et tes peines,Elle est riche et puissante, et voudra, que je crois,Non un homme mieux fait, mais plus riche que toi. OCTAVE. Elle aime un Cavalier qu'on appelle Clitandre,Mais je ne laisse pas pour cela d'y prétendre,Car il est si léger, et si lâche en amourQu'il fait à tous objets incessamment la cour.[Note : Volage : Inconstant, léger, changeant. [F]]Il est, à ce qu'on dit, jusqu'à tel point volage, Qu'on n'a qu'à lui montrer seulement un visagePour peu qu'il ait d'attraits qu'à l'instant il est pris.Croisez que ce rival trouble peu mes esprits,Et bien qu'en ce dessein je trouve cet obstacle,L'amour peut, s'il le veut, faire un plus grand miracle. POLEMAS. C'est l'entendre très mal ; car tout homme aujourd'huiA tort d'aller ainsi sur les traces d'autrui,Je n'en espère rien puis que la place est prise.Mais je veux revenir à te parler d'Élise,Et laisser ce discours pour une autre saison. Sitôt que nous sortons hors de notre maison,J'ai su de bonne part, qu'un certain gentilhomme,Mais je n'ai peu savoir encor comme il se nomme,La visite chez elle, et que sa passionFait remarquer à tous son inclination. Mon dessein à présent n'est autre que d'attendreQu'il vienne en notre absence afin de le surprendre,Et ce qui me le fait encor plus soupçonner, Élise est demeurée, afin de lui donnerLe moyen de venir discourir avec elle. Il n'y manquera pas, l'occasion est belle.Nous en le surprenant nous saurons quel il est,Son nom, sa qualité, si ma fille lui plaît,Et quel est son dessein. Car je ne veux pas croire,Quand même il voudrait faire une action si noire, D'attenter lâchement sur sa pudicité,Qu'il se prît à des gens de notre qualité.Si tout de bon il veut engager sa franchiseJ'accepterai ses voeux, louerai son entreprise ;L'homme le méritant, et qu'avecque l'honneur Par mon consentement il lui donne son coeur.Et veux si ce ne sont que simples AmourettesBannir hors de chez moi ces pratiques secrètes. OCTAVE. Vous ferez sagement, allons, si son amourPerd ici le respect, il en perdra le jour : Quand ce galant serait un Prince, je vous jureQue ce fer vengerait notre commune injure. POLEMAS. Il n'en faut pas encor venir jusqu'à ce point.Octave taisez-vous, ne vous emportez point.Je veux voir aujourd'hui par cette expérience Si l'amour est plus fort que n'est l'obéissance,Ou si l'obéissance est maîtresse d'amour ;Ne tardons point, allons ici près faire un tour. SCÈNE VII. Clorimant, Élise, Géraste, Pauline. CLORIMANT. Je brûlais de désir dedans l'impatienceQue j'avais de jouir de ta chère présence. ÉLISE. T'imaginais-tu pas cher Clorimant aussi,Que j'étais de ma part en semblable souci ? CLORIMANT. Oui, tu me fais si bien connaître à nu ton âme,Que je serais ingrat de douter de ta flamme,Et tu serais ingrate aussi de ton côté Si tu pouvais douter de ma fidélité. ÉLISE. Je crains qu'avec le temps, mon coeur tu ne méprises,Ainsi que plusieurs font, ces trop grandes franchises,Tu pourras m'accuser de peu de jugement De te laisser entrer céans si librement. Mais ce serait user d'une lâche vengeance,Si tu voulais par là tromper mon innocence. CLORIMANT. Ne serais-je pas bien de mon bonheur jaloux ?N'y puis-je pas entrer en qualité d'époux ? ÉLISE. Je crains ton changement. Cela me met en peine, Le temps change souvent un grand amour en haine,Et c'est ce qui me trouble, et me met hors de moi. CLORIMANT. Quoi ma belle, aurais-tu ces doutes de ma foi ?Quel sujet en as-tu ? Je prie, et je conjureLe temps, le ciel, la mort, et toute la Nature Qu'à l'instant que j'aurai seulement le desseinDe vouloir arracher cet Amour de mon seinPour me faire oublier ta beauté que j'adore,Qu'ils conjurent ma perte, et qu'ils rendent encoreMa funeste mémoire afin de me punir, Exécrable à jamais aux races advenir.Ah tu m'offenses trop par cette défiance. ÉLISE. Je te veux demander pardon de cette offense,J'ai tort si je crois rien capable désormaisDe faire démentir les serments que tu fais. Pour toi tu sais assez l'amour que je te porte,Je ne saurais t'aimer d'une amitié plus forte.Ce coeur est à toi seul, en toute libertéTu peux en disposer de plaine autorité,Je t'y cède tout droit, car ma pudique flamme Te donne tout pouvoir sur tous ceux de mon âme.Je ne réserve rien, tu peux tout maîtriser,Mais quant à ceux du corps, je n'en puis disposer,Ils ne sont point à moi, mon père en est le maître,Je les tiens tous de lui puis qu'il m'a donné l'être. CLORIMANT. Ton père te peut il défendre de m'aimer ? ÉLISE. Non, mais à son vouloir il me faut conformer :Je te puis bien aimer cher Clorimant sans feindre.Mon père n'eut jamais pouvoir de me contraindre,Car je tiens des Dieux seuls ma libre volonté. Mais quelque Amour que j'aie, et quelque fermetéJe sais ce que je dois aux droits de ma naissance,Je n'oserais manquer à cette obéissance Que je dois à celui de qui je tiens le jour,Quoi qu'il ne puisse pas détruire mon Amour ; Mais cette amour, ô Dieux, ne sert rien qu'à nous nuire,Pour notre commun bien elle ne peut produireQue des fleurs seulement, car mon heur qui me fuitNous peut bien empêcher d'en recueillir le fruit.Que ne déclares-tu ton dessein à mon père ? Que diffères-tu plus ? Qui t'oblige à te taire ?Si quelque rival vient traverser tes desseins,Que pourrai-je pour toi ? Mes efforts seront vainsSi mon père me dit : ma fille, je désireTe pourvoir en tel lieu, je n'aurai rien à dire, Sans rien délibérer je suivrai son dessein,Quand je devrais me mettre un poignard dans le sein.Oui, ne m'en blâme point, Clorimant, je te prie.Avec cette pudeur on m'a toujours nourrie. CLORIMANT. Le Ciel ne voudra pas me rendre malheureux Jusques à ruiner mes desseins amoureux.S'il ne tient qu'à cela je te promets mon âme,Que ton père saura mon amoureuse flamme,Je me veux déclarer à lui si tu le veux,Et bientôt le prier d'éteindre tous mes feux. Ayant passé la nuit je te vois le teint fade,C'est pour avoir veillé, de peur d'être maladeVa reposer une heure, et moi durant ce tempsJ'irai faire une affaire. ÉLISE. Il est vrai, je me sensL'esprit tout assoupi. Va, mais ne tarde guère. GÉRASTE, à Pauline. Sommes-nous pas d'accord ? PAULINE. Parle donc à mon père.Je n'oserais jamais sans son consentement,Quand je devrais mourir, recevoir un amant. GÉRASTE. Ne tient-il qu'à cela ? Je le ferai Pauline,Mais quand je reviendrai, ne me fais pas la mine, Si tu ne veux soudain me mettre au désespoir. PAULINE. Va ne crains rien, et viens promptement me revoir. ACTE II SCÈNE I. Clorimant, Pauline, Élise, Géraste. CLORIMANT. Je me trompe, ou je vois Pauline dans la rue ?Dis moi, que fais-tu là ? PAULINE. Je suis ici venueExprès pour vous attendre, elle est en grand souci Pourquoi vous tardez tant. Madame le voici. ÉLISE. Approche, Clorimant, tu te fais bien attendre. CLORIMANT. J'étais en compagnie, et n'ai pu me défendreDe quelques miens amis qui m'ont entretenu. Je serais toutefois encor plutôt venu, Si je n'eusse pensé te trouver endormie. ÉLISE. J'ai sans mentir été plus d'une heure et demieSans pouvoir fermer l'oeil, à ne rêver qu'à toi,Je n'ai plaisir aucun que lors que je te vois. CLORIMANT. Ravi d'un tel bonheur qui d'aise me transporte. PAULINE, entre. Madame, un cavalier vous demande à la porteDe la part de Diane. ÉLISE. Ah je sais bien que c'est.Elle veut que je voie un amant qui lui plaît,Qu'elle m'a fort loué, cache toi la derrière,De peur qu'il ne te voie, il ne tardera guère, Il n'est pas à propos qu'il te rencontre ici. CLORIMANT. Je fais ce que tu veux. ÉLISE. Et toi Géraste aussi. SCÈNE II. Clitandre, Élise, Clorimant, Ormin, Géraste, Pauline. CLITANDRE. Pardonnez-moi, je viens de la part d'une DameQui vous baise les mains. Dieux je suis tout de flamme,Vit-on jamais au monde une telle beauté ? Madame excusez moi, je suis si transportéEn contemplant les traits d'un si parfait visage,Que je ne saurais pas achever mon messageJe tremble devant vous, et me sens tout transi. ÉLISE. Si Diane, Monsieur, vous fait venir ici Pour me faire savoir combien elle est heureuseDe vous avoir acquis, et se dire amoureuseD'un homme de mérite, et bien fait comme vous,Qu'elle peut regarder en qualité d'époux,Elle m'oblige fort, et je la tiens louable. D'avoir su faire en vous un choix si raisonnable,Et pour cette faveur je lui baise les mains. CLITANDRE. Je meurs, je n'en puis plus, ah destins inhumainsQue voulez vous de moi, que prétendez vous faire ?Appelez-moi Madame, innocent, téméraire, Si j'ose devant vous, d'un coeur audacieux,Avouer franchement que j'adore vos yeux,Devant que de vous voir Diane était aimable,Mais étant comparée au sujet adorableQue j'ai devant mes yeux, je jure qu'elle n'est Rien à mon jugement de ce qu'elle paraît.Heureux qui peut en vous engager sa franchise,Qui vit dessous les lois de la divine Élise.Élise qui n'est point des communes beautésDont les faibles attraits gagnent les volontés, Ce n'est point un rayon qui d'un faux jour éclate,Nature n'a point fait ce miracle à la hâte,Elle a dans ce chef-d'oeuvre employé son pinceau,Pour mettre en ce sujet tout ce qu'elle a de beau.Oui, Madame, j'avoue en ce péril extrême, Qu'on ne vous peut trouver sans se perdre soi-même,D'abord on est à vous, et l'on n'est plus à soi. ÉLISE. Tout ce discours ne tend qu'à vous moquer de moi,Je souffre les effets de cette raillerie,Puis qu'elle vient de vous. Mais, Monsieur, je vous prie Laissons les compliments, et me faites l'honneurD'assurer la beauté qui me fait la faveurDe vous faire venir afin que je vous voie,Que je la veux payer en la même monnaie,En lui montrant le choix que j'ai fait d'un époux Qui sans vous faire tort vaut bien autant que vous. CLITANDRE. Ah Madame, il vaut mieux mille fois que moi-même,Puis qu'il a cet aveu de votre ardeur extrême,Mais hormis votre amour, qui l'élève à ce pointCroisez-moi qu'en mérite il ne m'égale point, Et beaucoup moins encor en l'amour qu'il vous porte. CLORIMANT, dedans voulant sortir. Géraste arrête toi, laisse il faut que je sorte,Que je venge l'affront que ce traître me fait. GÉRASTE, dedans. Tout beau ! quoi voulez vous vous perdre tout à fait,Ne songez point à vous, considérés Élise. ÉLISE. Pardonnez si je parle avec cette franchise,Vous me désobligés de discourir ainsi,D'un homme que j'estime, et qui m'estime aussi. Vous devez pour le moins avoir la complaisanceDe ne témoigner pas ce que votre coeur pense, Puis que pour ce sujet je vous ai déjà ditL'estime que j'en fais. CLITANDRE. Je suis tout interdit.J'ai les sens tout confus, permettez moi, Madame,Puisque vous possédez, et mon coeur, et mon âme,Que je baise la main qui me donne la mort. ÉLISE. Vous vous moquez de moi, Monsieur vous avez tort,Ce n'est point mon dessein de vouloir être aimée,Si quelqu'un survenait serais-je pas blâmée :Car que penserait-on de vous voir en ce lieu ?Allez vous en de grâce, et me dites Adieu. CLITANDRE. Mon âme est dans vos fers tellement enchaînée,Que s'il plaisait au Ciel qu'un heureux HyménéeNous peut joindre tous deux, quel serait mon destin.Madame excusez moi tout tend à bonne fin,Si vous me rebutez mon espérance est morte. ORMIN, à Pauline. Méprisez vous aussi l'amour que je vous porte ?N'aurez vous point pitié d'un misérable amantQue vos beaux yeux ont pu charmer en un moment ? PAULINE. J'ai bien d'autres pensers dedans la fantaisie. ÉLISE. Ces furieux transports dont votre âme est saisie Ces offres de service, et ces feux vrais, ou feints,Ne peuvent qu'à la fin rendre vos espoirs vains,Laissez moi seule ici, retirez vous de grâce. PAULINE. On appelle Madame. ÉLISE. Ah grands Dieux qui sera-ce ? SCÈNE III. Élise, Pauline, Polemas, Clitandre, Octave, Ormin. ÉLISE. Qu'on ouvre promptement. POLEMAS Il entre.Vous moquez-vous de moi ? De me faire tarder. Mais qu'est-ce que je vois ?L'avais-je pas bien dit ? OCTAVE. Souffrez-vous cette injure ? CLITANDRE, bas. Je suis perdu, grands Dieux ! OCTAVE. Un homme ici ! je jure. POLEMAS. Octave arrêtez-vous, laissez-moi ce souci,Sachons ce qu'il demande, et ce qu'il fait ici. Parlez à moi, Monsieur, dites-moi quelle affaire Vous emmène en ce lieu ? ÉLISE, bas. Grands Dieux je désespère. CLITANDRE, se trouble. J'étais venu Monsieur, de la part, arrivant ;Mais moi, quand elle fut, je suis auparavant. OCTAVE. Qu'attendez-vous Monsieur ? ÉLISE, bas. Ô fille malheureuse. POLEMAS. En pareils accidents la force est dangereuse,Que faites vous ici ? Non n'ayez point de peur,Parlez sans vous troubler. CLITANDRE. Je vous jure Monsieur,Croisez-moi s'il vous plaît, que jamais en ma vie,Je ne vous offensai, ni n'en ai point d'envie. POLEMAS. Laissons-là ce discours, c'est assez je vous crois,Que faites-vous ici ? CLITANDRE. C'est la première fois,Ou je puisse périr. POLEMAS. Je sais bien le contraire.Ce n'est pas le moyen d'accommoder l'affaire,Si vous me déguisez ainsi la vérité. CLITANDRE. Je vous la dis Monsieur. OCTAVE. Ah quelle fausseté ! POLEMAS. Croisez qu'on ne peut pas aisément me surprendre :Mais quel est votre nom ? CLITANDRE. On m'appelle Clitandre. POLEMAS. Le nom de votre père ? CLITANDRE. Il est mort. POLEMAS. Mais commentLe nommait-on ? CLITANDRE. Son nom était Théodomant. POLEMAS. Je l'ai connu, c'était un homme de mériteEt de condition ; mais vous qui vous inciteÀ venir voir ma fille ? êtes-vous engagéSous les lois de l'hymen ? CLITANDRE. Non. POLEMAS. Je l'ai bien jugé. OCTAVE. Pourquoi ces questions où la preuve est si claire ? À quoi bon ce discours ? POLEMAS. Tout beau, laisse moi faire.Venez çà, savez-vous que ce logis est mien ?Et que je suis son père ? CLITANDRE. Oui je le sais fort bien. POLEMAS. Passez un peu deçà. CLITANDRE, bas. Dieux soyez à mon aide,Il faut périr ici, la chose est sans remède, Ou souffrir un affront. ÉLISE, bas. J'ai le coeur tout transi. POLEMAS, à Élise. Élise réponds moi, quel est cet homme ici ? ÉLISE. Celui qu'il vous a dit. POLEMAS. Mais dis moi qui l'engageA te venir chercher ? ÉLISE. Il m'apporte un messageDe Diane qu'il sert. OCTAVE, à Polemas. Ah Monsieur en effet C'est mon rival qui sert cet adorable objetDont je vous ai parlé faites que tout à l'heureIl épouse ma soeur ou souffrez que je meure ;Je n'en puis autrement jamais venir à bout. POLEMAS, à Élise. Laisse-moi ce souci, j'accommoderai tout, Élise ne dis mot, il n'est point nécessaireD'alléguer tes raisons, mais apprends à te taire.Tu sais combien je suis jaloux de mon honneur :Que ce jeune homme ici soit quelque suborneur,Qui tâche effrontément d'acquérir la victoire Sur tes chastes désirs, je ne le veux pas croireNi lui faire ce tort ; oui je tiens pour certainQue s'il entre céans c'est avec bon dessein,Il tenterait en vain cette infâme poursuite,J'ai trop d'opinion de ta sage conduite, À tout ce que je vais résoudre sur ce point,Consens-y sans réplique, et ne contredis point. ÉLISE. Il faut bien se résoudre à prendre patience.Monsieur vous connaîtrez un jour mon innocence,Et que vous m'accusez en ceci sans raison. POLEMAS. Cavalier je vous trouve ici dans ma maison,Avec ma propre fille, et ne suis point en peineDe m'informer de vous quel sujet vous y mène,Je le connais assez, j'en suis trop éclairci.Qu'il soit honnête et saint, je le veux croire ainsi, Mais vous ne devez rien ce me semble entreprendre,Sans mon consentement de qui tout doit dépendre.Si ma fille vous plaît, parlez-moi franchement,Aimez-là, servez-là, mais légitimement,Je connais vos moyens, je sais votre lignage, Si vous la désirez avoir en mariageJe vous l'offre, et vous donne un temps pour y penser : Songez-y, je n'ai point dessein de vous forcer,Car il ne serait pas juste ni raisonnable. CLITANDRE. Monsieur si mon Amour est saint et véritable Connaissez-le par là, je me tiens trop heureuxSi je puis acquérir le titre glorieux,Non seulement d'époux, mais d'esclave d'Élise.Et si cette faveur aujourd'hui m'est acquise,Je n'ai plus rien au monde après à souhaiter. POLEMAS. Ce n'est pas mon dessein ici de profiterDe cette occasion par trop précipitée,Avant que cette affaire entre nous soit traitée,Allez-vous en chez vous, pensez-y mûrement ;On ne doit pas ainsi traiter en un moment Une affaire de poids, et de tant d'importance :Je ne possède pas des biens en abondance,Mais je m'efforcerai pourtant de la pourvoir,Non selon mon désir, mais selon mon pouvoir,Encor que la vertu d'Élise, et sa sagesse Peuvent bien suppléer au défaut de richesseQui passe de beaucoup ce que je puis donner. CLITANDRE. Je l'adore Monsieur, et pour vous témoignerQue j'estime l'honneur d'une telle allianceAutant que son mérite, allons en diligence En dresser les accords, et le contrat passer. OCTAVE. C'est parler comme il faut, je vous veux embrasser. POLEMAS. Allons puis qu'il vous plaît, j'en ai l'âme ravie. ORMIN, à Clitandre. Vous vous mariez donc ? D'où vous naît cette envie ?Pourrez-vous à Diane ainsi manquer de foi ? CLITANDRE. Elle aura patience aussi bien comme moi. SCÈNE IV. Clorimant, Géraste, Élise, Pauline. CLORIMANT. Ingrate et fière Élise a mon âme agitéeCent fois plus que la palme à ceux qui l'ont plantée,Crois que si ce rival eut tardé seulementÀ sortir de céans l'espace d'un moment La mine aurait crevé, car mon ardente flammeAurait par cent endroits fait passage à mon âmeQuand j'ai vu que Clitandre ici te caressait,Que jusques à ce point ce traître m'offençaitJ'étais hors de moi-même, et je brûlais d'envie De venger cet affront aux dépens de sa vie.Mais ton honneur ingrate, en mon esprit jaloux,A modéré l'ardeur de mon juste courroux.Ne fais point tes efforts pour forger une excuse,La faute est à toi seule, et toi seule j'accuse, Que sert de me tromper par mille faux sermentsEn feignant de m'aimer, je sais bien que tu mens.Dis moi, ne crains-tu point que le ciel te punisse,De rendre à mon Amour une telle injustice.Tout était concerté, tu l'as fait à dessein, Tu me plonges ingrate un poignard dans le sein,Contre moi vous étiez tous deux d'intelligence,Mais pourquoi me tromper d'une fausse espérance ?Pourquoi me faire voir en idée un bonheur,Dont tu veux rendre ingrate un autre possesseur ? J'aurai recours au ciel punisseur des parjures,Pour châtier ton crime, et venger mes injures.Tu l'as pris à témoin, tu m'as donné la foi,Devant lui de n'aimer jamais d'autre que moi.Pourquoi veux-tu détruire une si belle flamme ? Pourquoi veux-tu souffrir que l'on force ton âmeQui dépend des Dieux seuls, et non point de celuiQui veut injustement te contraindre aujourd'huiA recevoir les lois d'un fâcheux HyménéeEt faire révoquer ta parole donnée ? Peut-on te rendre ainsi le courage abattu ?Pourquoi ne dis-tu mot, que ne me réponds-tu ? ÉLISE. Ah mon cher Clorimant ! Grands Dieux je suis troubléePar le nombre des maux dont je suis accablée,Je ne suis plus à moi, toutefois je puis bien Alors que je te perds encor t'appeler mien ;J'ai promis il est vrai, mais te faisant promesse,De t'aimer Clorimant, et d'être ta maîtresse,Je n'eusse jamais cru qu'un obstacle si fort Me dut faire aujourd'hui périr dedans le port. L'obstacle qui pouvait ébranler ma confiance,Était comme tu sais, la seule obéissance,Ce seul point réservé, dispose à ton plaisir,De tout ce que je puis permettre à ton désir,Pour l'âme elle est à moi, mon coeur je te la donne, Mon père ne peut pas la livrer à personne,Mais il m'a donné l'être, et du corps il en peutMalgré moi, Clorimant, disposer comme il veut.Ne m'en veux point de mal, cher Amant je te prie,C'est où je ne puis rien, si par ton industrie, Tu peux trouver moyen de rompre cet accordEn te satisfaisant tu détournes ma mort.Si tu peux empêcher ce fâcheux hyménée,Je ne révoque point ma parole donnée,Dispose à ton plaisir de tout ce que je puis, Je te serai toujours telle que je te suis.Élise te le jure. CLORIMANT. Ah non ce n'est point elle,Élise ne saurait jamais être infidèle,Ou celle maintenant qui se présente à moiEst ingrate, parjure, inconstante, et sans foi. Je sais que la beauté que j'ai tant adoréeMe garderait la foi qu'elle m'avait jurée, Puis qu'elle me renonce, et me traite à tel point,Si c'est elle en effet je ne la connais point. ÉLISE. Tu me fais tort mon coeur, non, non je suis la même Je suis comme je fus, cette Élise qui t'aime,Crois ce que je te dis, et que je te promets,Quoi qu'il puisse arriver de t'aimer à jamais.As-tu droit Clorimant de me donner du blâme,Si tu vois malgré moi que l'on force mon âme ? Non, on ne peut m'ôter ce qui n'est plus à moi,Je t'ai fait dés longtemps un présent de ma foi,Et tu t'abuserais si tu croisais qu'ÉlisePeut à d'autre qu'à toi soumettre sa franchise,Elle aurait peu d'esprit, et moins de jugement De vouloir préférer un autre à Clorimant,Je te l'ai dit cent fois, et te le dis encore. CLORIMANT. C'est ce qui te convainc, et qui te déshonore.Ta voix me favorise, ingrate, mais ton coeurSe livre absolument à ce nouveau vainqueur. Va ne t'en dédis point, poursuis ton entreprise,J'abandonne tes fers ingrate et fière Élise,L'honneur me doit soustraire à tes trompeurs appas,À présent que mon Prince a besoin de mon bras, Ce Monarque indompté s'avance à la campagne Pour abattre la force, et l'orgueil de l'Espagne,Allons l'accompagner, joignons nous à son sort ;Cherchons, s'il faut mourir, une honorable mort.Je conjure le ciel ingrate, et déloyale,En arrivant au camp, que la première balle Laissant mon pâle corps sans force, et sans vigueur,Efface pour jamais ton portrait de mon coeur. ÉLISE. Va si la guerre plaît à ton humeur mutine,N'as-tu pas en toi-même une guerre intestine ?L'amour ne fait-il pas chez toi de tous côtés, Même dedans ton coeur, des sujets révoltés ?Combats des passions celle qui te commande,Le péril est bien moindre, et la gloire plus grande.Quel exploit te rendrait des ennemis vainqueur,Si tu m'as dit cent fois que tu n'as plus de coeur ? Comment peux-tu jamais rien de bon entreprendre ?Si bien loin d'attaquer tu ne te peux défendre ?Ne t'en va point mon coeur, ne m'abandonne pas. CLORIMANT. Veux-tu m'accompagner, veux-tu suivre mes pas ? ÉLISE. Dieux ! es-tu raisonnable ? CLORIMANT. Et pourquoi donc ingrate Veux-tu qu'en te croisant encore je me flatte ? ÉLISE. Quel scandale grands Dieux ! Que dirait-on de moi ?Pense à ce que tu dis. CLORIMANT. Âme lâche et sans foi.Tu me dis que je pense et que je considère !En matière d'amour, celle qui délibère N'en a point, ou du moins s'il faut qu'elle en ait euEn parlant de la sorte elle l'a tout perdu. ÉLISE. Avant que de partir écoute deux paroles. CLORIMANT. Ce ne serait pour moi que des contes frivoles,Je me moque à présent des discours que tu fais, Si le vent les emporte, il me faut des effets.Non je n'écoute plus. Il s'en va. PAULINE. Géraste que t'en semble ? GÉRASTE. Que je m'enfuis de toi, que nous partons ensemble,Déloyale parjure, âme ingrate, et sans foi.Va qu'une balle passe à mille pas de moi, Et qu'entre deux tréteaux je briffe en la cuisineSi tu me vois jamais infidèle Pauline. Il s'en va. ÉLISE. Va promptement Pauline, appelle Clorimant. PAULINE. Il n'ira pas bien loin, car sachez qu'un amantQui fait le furieux en quittant ce qu'il aime, Fait en cette action violence à soi-même. ÉLISE. Je suis morte rentrons, peut-être un mot d'écritAura quelque pouvoir sur ce bouillant esprit. SCÈNE V. Diane, Julie. DIANE. Clitandre s'entretient longtemps avec Élise,Crois-tu pas en effet qu'elle sera surprise, Et peut-être jalouse en voyant que j'ai l'heurDe posséder ce brave et galant serviteur. JULIE. Il est vrai que Clitandre a beaucoup de mérite,Mais n'appréhendez rien d'une telle visite ;Car je sais de certain qu'Élise aime, et je crois Qu'elle a, si l'on dit vrai, même engagé sa foi. DIANE. J'oi du bruit, vois qui c'est. JULIE. C'est Clitandre, Madame. SCÈNE VI. Diane, Clitandre, Julie, Ormin. DIANE. Qu'il est triste ? avez vous quelque trouble dans l'âme ?Vous êtes ce me semble interdit de tout point,Que veut dire cela ? quoi vous ne parlez point. CLITANDRE, bas. De divers sentiments, je sens mon âme atteinte. DIANE. Qui vous rend interdit et muet ? CLITANDRE. Une crainte. DIANE. Une crainte avec moi ? Dieux ! Pour quel sujet ?Dites avez-vous vu cet agréable objet ? CLITANDRE, bas en soupirant. Oui, c'est pour cet objet que je suis tout de flamme. DIANE. Comment vous soupirez. CLITANDRE. Je soupire, Madame. DIANE. Oui mon coeur, est-ce moi qui vous fait soupirer ? CLITANDRE, bas. Oui c'est pour un sujet que je veux adorer. JULIE, à Ormin. Ormin es-tu muet aussi bien que ton maître ? ORMIN. En cette occasion, hélas pussai-je l'être ! DIANE. Encor d'où venez-vous, qu'avez-vous ? CLITANDRE. Je ne sais,Madame, je ne puis vous dire ce que j'ai,Je viens de voir Élise. DIANE. Hé bien quelle nouvelle ?Parlez-moi franchement, comment se porte-t-elle ? CLITANDRE. Elle se porte bien. DIANE. Dites-moi donc mon coeur, D'où vous naît ce chagrin, cette mauvaise humeur ?Vous a-t-elle pas dit combien je vous estime ? CLITANDRE. Madame excusez moi, je commettrais un crimeIndigne de l'honneur de votre affection,Si je vous celais rien en cette occasion. Je ne sais toutefois comme je vous puis direCet étrange accident qui cause mon martyre ;Mais il le faut pourtant, oui je l'ai résolu,Je n'ai fait qu'obéir, car vous l'avez voulu.Je viens de voir Élise, et je jure Madame, Que ce que n'aurait pu, ni le fer, ni la flamme,Un sort injurieux contre ma volonté,M'a fait en mon Amour faire une lâcheté.Considérez un peu l'excès de ma misère,A peine étais-je entré que son père et son frère, M'ont surpris avec elle, et sur certain soupçonIls m'ont forcé tous deux, mais de telle façon,Que quoi que j'aie dit, quoi que j'aie pu faire,Il m'a fallu, grands Dieux, ce mot me désespère. DIANE. Quoi donc ? CLITANDRE. Il m'a fallu sur l'heure l'épouser. DIANE. Que dites-vous grands Dieux ? CLITANDRE. Pouvais-je m'opposerAvec si peu de force à tant de violence ?On n'a jamais parlé d'une telle insolence,Si j'eusse d'un seul mot résisté seulement,Tous deux ne m'auraient pas laissé vivre un moment. DIANE. Vit-on jamais au monde une telle surprise ?Mais à tout ce discours encor qu'a dit Élise ? CLITANDRE. Qu'aurait-elle pu dire ? Enfin il a fallu,Puisqu'elle a vu son père à ce point résolu,Se résoudre elle même et prendre patience. DIANE. M'osez-vous bien parler avec cette impudence ?[Note : Malsain : Qui n'a point de santé, ou qui nuit à sa santé. [F]]M'estimez vous si simple, et l'esprit si malsainQue je ne puisse pas pénétrer ? CLITANDRE. C'est en vain.Vous me blâmez à tort, oui je jure MadameQue vous n'avez point droit de soupçonner ma flamme. Ce que j'ai fait n'est point par infidélité,Je suis tel à présent que j'ai toujours été.Mais ce qui plus que tout encor me désespéréEt me met hors de moi, c'est qu'Octave son frère,Vous le connaissez bien, brûle d'amour pour vous, M'ayant dit qu'il était de mon bonheur jalouxEt m'a contraint de faire auprès de vous en sorteQue vous ayez égard à l'amour qu'il vous porte,Et qu'un saint hyménée après ces maux souffertsÉteigne tous ses feux et relâche ses fers. Madame accomplissons ce double mariage. DIANE. Perfide, osez-vous bien me tenir ce langage ?Je vous entends très bien, vous êtes je le vois,Tous trois d'intelligence, et liguez contre moi.Je vois bien ce que c'est Élise m'a trahie, Adieu, perfide ingrat. CLITANDRE. Écoutez je vous prie. DIANE. Que veux-tu que j'écoute, âme lâche et sans foi ?Ta présence aujourd'hui me cause de l'effroi. Elle s'en va.Sors, et n'espère pas de me voir de ta vie. ORMIN. Elle part en colère. CLITANDRE. Arrête-la Julie. JULIE. Je ne le puis. Ormin tu t'en repentiras. Elle s'en va.Pauline aura pour toi de plus charmants appas,Imite cet ingrat, comme lui cours au change. ORMIN. Que ferons-nous Monsieur ? CLITANDRE. Mon Élise est un ange :Sortons, n'arrêtons pas d'avantage en ce lieu. Allons revoir Élise. Adieu Diane, Adieu. ACTE III SCÈNE I. Clorimant vêtu en Soldat, botté et éperonné, avec un grand collet de buffle, et force plumes : et Géraste vêtu en soldat ridiculement. CLORIMANT. Tout mon fait est-il prêt ? GÉRASTE. Monsieur votre valise,Est en fort bon état. CLORIMANT. Adieu perfide Élise,Je m'en vais de ce pas, je veux t'abandonner,Mes chevaux ? GÉRASTE. Tout à l'heure on les doit emmener, Mais pourrez-vous quitter cet objet plein de charmesPour qui je vous ai vu répandre tant de larmes ? CLORIMANT. En doutes-tu Géraste ? GÉRASTE. Oui j'ai lieu d'en douter,Vous feignez de parler, et de vous absenter,Afin de lui donner un peu de jalousie, Vous n'irez pas bien loin. CLORIMANT. Dieux quelle frénésie,Écoute, et si je mens, me punissent les Dieux.Un trait poussé de l'arc, un oiseau dans les cieux,Ni l'éclair qui d'abord nous éblouit la vueNe descendit jamais plus vite de la nue Que je fuis de ces lieux, je suis trop irritéPour souffrir les mépris d'une ingrate beauté. GÉRASTE. Quoi, Monsieur, seriez vous jusqu'à ce point farouche,Qu'un écrit de sa main, un soupir de sa bouche, Une larme d'un oeil qui tellement vous plaît, Ne puisse rétracter ce rigoureux arrêt. CLORIMANT. D'un oeil qui pour un autre a maintenant des charmesPourrais-je voir pour moi jamais couler des larmes ?La main dont mon rival doit être possesseur,Peut-elle rien tracer qui soit en ma faveur ? Un soupir de sa bouche ? Ah que plutôt ma vieSoit d'affronts signalez et d'opprobres suivie,Si pour tous ces efforts je voulais seulementRetarder mon départ l'espace d'un moment,Va tu m'offenseras si tu veux d'avantage T'opposer au dessein d'un si juste voyage.Ne m'en parle donc plus. GÉRASTE. J'atteste tous les DieuxQue le moindre soupir, deux larmes de ses yeux,Quatre mots de sa main écrits avec tendresse,Car je connais assez quelle est votre faiblesse, Au milieu de la nue arrêteraient l'éclair,Le trait poussé de l'arc, et l'oiseau dedans l'air. CLORIMANT. J'entends quelqu'un frapper, ouvre tôt, c'est Pauline. GÉRASTE. Ils seront occupez, comme je m'imagine,Tous aux noces d'Élise, à recevoir l'époux, Et vous pensez encor qu'elles songent à vous ?Dieux quelle extravagance ! CLORIMANT. Ouvre, c'est elle-même. GÉRASTE. Me doutais-je pas bien qu'en cette ardeur extrême,Le moindre compliment pourrait vous ébranler,Qu'est devenu ce trait, cet oiseau, cet éclair ? Est-ce pour ce sujet que vous faisiez le brave ? CLORIMANT. Ouvre, te dis-je. GÉRASTE. Hé quoi ! Vous faisiez tant du grave,Des larmes de ses yeux, des lettres de ses mains,Des soupirs de sa bouche ! à quoi bon ces dédains ? CLORIMANT. Veux-tu que tout de bon je me mette en colère ! GÉRASTE. En colère ? Pourquoi ! Vous n'auriez guère à faire.Elle entre ici, Monsieur. SCÈNE II. Pauline, Clorimant, Géraste. PAULINE. Ô le brave soldat ! GÉRASTE. Quoi ? N'en vois-tu pas deux prêts d'aller au combat ?Lisant des Espagnols la sanglante défaite,Tu verras plusieurs fois mon nom dans la Gazette, Bas.Nous ne partirons point sans doute de chez nous,Et serons dans Paris bien éloignés des coups. PAULINE. Ô Dieux qu'il est gentil, et qu'il a bonne mine,Où de grâce allez-vous ? CLORIMANT. A la guerre, Pauline. PAULINE. Que je ris de vous voir, que j'y prends de plaisir, De grâce laissez-vous contempler à loisir. CLORIMANT. Satisfaits si tu veux à présent ton envie,Car tu ne me verras je jure de ta vie.Mais Pauline que fais cette femme dis moi ? PAULINE. La nommez-vous ainsi ? CLORIMANT. Je fais ce que je dois. Dis moi comment veux-tu qu'à présent je la nomme,Si l'on donne ce nom à qui possède un hommeEn qualité d'époux, elle est en ayant deuxDoublement femme, et moi doublement malheureux,Car par la loi du monde, elle appartient Pauline, À Clitandre, il est vrai, mais par la loi divineElle ne saurait être à nul autre qu'à moi.Je ne veux en ceci d'autre témoin que toi ;M'a-t-elle pas cent fois la parole donnéeD'être à moi sous les lois d'un heureux hyménée ? Qui la peut obliger à cette lâcheté ?Mais que tardé-je plus ? le sort en est jeté. Fais ce que tu voudras, obéis à ton père,Romps ta foi déloyale afin de lui complaire,J'y consens de bon coeur, oui je te le promets ; Mais je sors de ces lieux pour ne t'y voir jamais,Tu t'en dois assurer. Mais dis moi qui t'emmène ? PAULINE. Un papier que voici. CLORIMANT. Quoi de cette inhumaine ?Elle me contera sa noce en cet écrit. PAULINE. Si vous saviez le trouble où se voit son esprit, Pour conserver pour vous le titre de fidèle,Je crois qu'assurément vous auriez pitié d'elle. CLORIMANT. Une lettre d'Élise est un venin pour moi.Reporte-là de grâce. PAULINE. Ah justes Dieux pourquoi ?Voyez ce qu'elle écrit. CLORIMANT. Que me peut-elle dire ? Bien pour l'amour de toi, Pauline, il la faut lire. LETTREPour avoir désiré garder l'obéissanceQue je dois à celui de qui je tiens le jour,Pouvez-vous m'accuser d'avoir eu peu d'Amour ?D'avoir trahi vos feux, et manqué de constance ? Ah ! si vous pénétriez jusqu'au fond de mon âme,Croisez-moi, Clorimant, que je vous ferais voir,Que malgré le respect mon coeur est tout de flamme,Et que je puis aimer sans trahir mon devoir.Que la raison en vous demeure la plus forte, Mais si c'est un spectacle agréable à vos yeux,Avant votre départ, de voir Élise morte,Vous n'avez qu'à parler d'abandonner ces lieux.Partez, et me laissez de tout point affligée,Mais avant donnez-moi le bonheur de vous voir, Votre Élise n'est pas tout à fait engagée,Et peut tomber encor dessous votre pouvoir. CLORIMANT. Oui j'ai grand tort Élise, et vous avez raison,Justes Dieux quelle noire et lâche trahison,Quel procédé perfide est aujourd'hui le vôtre ? Cette main que bientôt doit posséder un autreVeut-elle derechef exciter mon courrouxPar ce style outrageux ? PAULINE. De quoi vous plaignez-vous ? CLORIMANT. Allègue-t-elle ici raison en sa défenseQui puisse d'un moment retarder mon absence ? Que je parle dit-elle ? PAULINE. Ah vous avez grand tort.D'où vous naît dites-moi ce furieux transport ?Voyez-vous pas assez qu'Élise vous adore ? CLORIMANT. Que sous d'autre pouvoir elle n'est pas encoreMe dit-elle l'ingrate. PAULINE. Où songez vous grands Dieux ? Relisez cet écrit, considérez-le mieux,Voyez qu'il est rempli d'Amour et de tendresse. CLORIMANT. Il me trahit Pauline il dément sa promesse,Cette lettre ne tend qu'à dégager sa foi,Elle témoigne avoir quelque pitié de moi, La perfide voyant l'excès de ma misère :Mais ce n'est point l'amour qui l'oblige à ce faire.Écrit, tu ris de moi, mais tu le payeras. Il le rompt. PAULINE. Que faites-vous Monsieur ? ah ne le rompez pas. CLORIMANT. C'en est fait, c'est trop peu pour une âme offensée, Que ne tiens-je aussi bien la main qui l'a tracée. PAULINE. Ne répondrez-vous point ? CLORIMANT. Tais-toi, sors de ce lieu,Ne me parle jamais de cette ingrate, Adieu. PAULINE. Je reviendrai tantôt, vous êtes en colère. SCÈNE III. Géraste, Clorimant. GÉRASTE. Vous avez tort, Monsieur, mais que pensez-vous faire ? Songez qui vous attaque, et ne vous laissez pointEn cette occasion emporter à tel point.Pourquoi vous prenez vous à la même innocence ?Si Pauline obéit, Élise vous offense.C'est elle seulement que vous devez blâmer. CLORIMANT. Quoi traître en ma présence, oses-tu bien nommerEncor cette perfide ? GÉRASTE. En cette ardeur extrême,Si vous n'êtes, Monsieur, du tout hors de vous-mêmeVous paraissez avoir perdu le jugement.Modérez-vous un peu, soyez moins véhément, Valait-il pas bien mieux sans vous mettre en colère,Sans rebuter Pauline, et faire le sévère,Répondre à cette lettre, et lui faire savoirQu'avant que de partir vous iriez pour la voirPuis qu'elle le désire, et qu'elle vous en presse, Ce billet semble écrit avec tant de tendresseQue vous ne devez pas la condamner ainsi. CLORIMANT. Appelle-la, Géraste. GÉRASTE. Elle est bien loin d'ici. CLORIMANT. Va promptement après. GÉRASTE. J'y cours Monsieur. CLORIMANT. Arrête,N'y va pas. GÉRASTE. Bien Monsieur. CLORIMANT. L'action que j'ai faite Monstre que j'ai du coeur en ayant résistéAu désir d'aller voir cette ingrate beauté.Mais pourrai-je souffrir d'être un moment sans elle.Pauline n'est pas loin, cours après et l'appelle. GÉRASTE. J'y vais Monsieur. CLORIMANT. Que dis-je, écoute n'en fais rien. Vit-on jamais malheur qui fut égal au mien ?La chose est résolue, oui sans plus de remise,Il faut absolument que j'aille voir Élise.La colère ne peut l'emporter sur l'amour. GÉRASTE. Allons-y cette nuit. CLORIMANT. Non, non, j'irai de jour. GÉRASTE. De jour, comment cela ? CLORIMANT. Ne t'en mets pas en peine.Grands Dieux changez Élise, ou mon Amour en haine. SCÈNE IV. Ormin, Clitandre. ORMIN. Vous êtes tout pensif, qu'avez vous ? CLITANDRE. Je ne sais.L'alliance d'Élise où je me vois forcéMe met, lors que j'y pense, en grande inquiétude. ORMIN. Vous la trouviez si belle. CLITANDRE. Oui, mais n'est-il pas rudeQu'en fait de mariage et d'inclinationOn force un Cavalier de ma condition ?Vit-on jamais au monde une telle surprise ?La fille me plaît fort, car en effet Élise A beaucoup de mérite, et des yeux si charmants,Qu'ils peuvent d'un regard captiver mille amants.Mais à ne point mentir le procédé m'en fâche ;Que dira-t-on de moi ? Je passerai pour lâche,Quand on saura par tout, que pour m'avoir trouvé Seul avecque sa fille un père m'ait bravé,Mais jusques à tel point, ah ce seul mot m'outrage,De m'avoir malgré moi fait faire un mariage. ORMIN. Vous n'avez pas raison, car vous l'avez voulu. CLITANDRE. J'ai feint de le vouloir, car il l'a bien fallu. ORMIN. Mais, Monsieur, entre nous, souffrez que je le die,Votre amoureuse ardeur s'est bientôt refroidie,Je vous voyais tantôt bouillant, et tout de feu,Et je vois qu'à présent vous en avez fort peu.Mais je ne trouve point en vous ce fait étrange, C'est votre humeur, Monsieur, d'aller courir au change. CLITANDRE. On me donne trop peu, dis ce que tu voudras.Comment me contenter de six mille ducats Que le père promet, moi qui les ai de rente. ORMIN. Vous deviez y songer, mais à l'heure présente, Vous n'avez pas raison, car vous ne deviez point,Pour vous en repentir leur accorder ce point. CLITANDRE. Pour attraper mon bien, crois moi qu'elle et son pèreOnt fort adroitement ménagé cette affaire,Oui de me la livrer ils avaient fait complot, Même à ma première offre et de me prendre au mot.Pourrai-je me sauver, et m'exempter de blâme ?Que dira-t-on de moi ? ORMIN. Que vous avez pris femmeParfaite, belle, et sage, et qui pourrait je crois,Je dis sans la flatter l'être même d'un roi. Si l'on vous a surpris, cette surprise est belle,Mais que tardez-vous plus, on vous attend chez elle. CLITANDRE. Il le faut bien Ormin, allons n'y pensons plus,C'en est fait ces discours ne sont que superflus,Vois s'ils sont au logis, nous sommes à la porte. K ORMIN. Monsieur songez à vous, gouvernez vous de sorteQu'on n'ait pas de sujet de vous rien reprocher,La chose est sans remède, il n'en faut plus chercher.Je m'en vais appeler, mais faites que l'on voieDes marques sur ce front d'allégresse, et de joie. Tout est ouvert entrons. Il fait lever la toile. SCÈNE V. Polemas, Clitandre, Ormin, Élise, Pauline, Octave. POLEMAS. Toute la Cour, Monsieur,Ayant su que de vous je reçois tant d'honneur,De désirer entrer dedans notre famille,M'a fait des compliments : mais j'ai peur que ma filleN'ait trop peu de mérite, et trop peu de beauté, Pour posséder ce bien qu'elle a peu mérité. CLITANDRE. C'est moi qui suis heureux d'asservir ma franchiseSous les divines lois de la parfaite Élise,Qui vois dans ce bonheur tous mes désirs contents. OCTAVE. Je m'étonne Monsieur, comme en si peu de temps On ait pu dans Paris savoir ce mariage. POLEMAS. Pourquoi s'en étonner, Clitandre a l'avantageD'être connu de tous, et chéri d'un chacun. OCTAVE. Croisez que dans Paris ce bruit est tout commun,Et qu'il s'est fait par tout bien promptement répandre. POLEMAS. Je tiens quoi qu'il en soit, Clitandre pour mon gendre. CLITANDRE. J'y gagne seul, Monsieur. ÉLISE, bas. Et moi seule j'y perds. CLITANDRE. Vous me mettrez aux Cieux. ÉLISE, bas. Et moi dans les Enfers. POLEMAS. Des sièges promptement. OCTAVE, bas. Que j'ai l'âme ravie. ÉLISE, bas. Grands Dieux, c'est à ce coup qu'on attente à ma vie. SCÈNE VI. Pauline, Polemas, Octave, Clorimant, Élise, Clitandre, Ormin, Géraste. PAULINE. Un Cavalier là bas vous demande, Monsieur. POLEMAS. Qu'il entre. C'est quelqu'un qui me fait la faveurDe vouloir prendre part à l'excès de joie,Que toute la Cour sait que le ciel nous envoie. OCTAVE. Il n'en faut point douter. CLORIMANT, entre. Me trouvant fort pressé De faire un grand voyage où je me vois forcé.Ayant appris aussi qu'une importante affaireVous tient tous assemblez, il n'est point nécessaireDe vous entretenir de discours superflus. ÉLISE, bas. Que vois-je justes Dieux ? Que j'ai l'esprit confus. POLEMAS. Seyez-vous donc Monsieur, mettez vous à votre aise ;Holà, que promptement on lui donne une chaise. CLORIMANT. Avant qu'agir du fait qui m'emmène céans,Je dois féliciter ces bienheureux Amants,Puis qu'aujourd'hui l'hymen joint vos deux destinées, Que ce soit s'il lui plaît pour un siècle d'années. ÉLISE, bas à Pauline. Dieux quelle effronterie ! PAULINE, bas à Élise. Elle est au dernier point ;Madame est-il troublé ? ÉLISE, bas à Pauline. Non non il ne l'est point. POLEMAS. Mes enfants répondez. CLITANDRE. Pour cet honneur extrêmeJe vous baise les mains. ÉLISE. Et moi j'en fais de même. CLORIMANT, à Polemas. Pour ne vous tenir pas davantage en souci,Je vous dirai, Monsieur, ce qui m'emmène ici.Je vais tout de ce pas en poste à Barcelone ;Pourriez vous me donner pour Béziers ou NarbonneQuelque argent à toucher, et me faire ce bien Avant que de partir de recevoir le mienQui me pèse par trop. ÉLISE, bas à Pauline. Ah ! cet homme PaulineEst venu pour me perdre ; hé Dieux il m'assassine. PAULINE, bas à Élise. Dissimulez un peu. ÉLISE, bas à Pauline. Pauline je ne puis. CLORIMANT. C'est de quoi j'ai besoin en l'état où je suis. J'ai su que vous aviez de la correspondanceSur tous les lieux qui sont aux frontières de France,Et vous ne voudrez pas, tant vous êtes courtois,Me refuser ce bien. POLEMAS. Il est vrai qu'autre foisAisément j'eusse pu vous rendre ce service, Mais j'ai depuis dix ans quitté cet exercice,Et je suis fort marri de n'avoir point cet heur. CLORIMANT. Je suis trop malheureux. ÉLISE. Si vous voulez, Monsieur,Pour quelque peu de temps différer ce voyageVous en pourrez trouver même avec avantage. CLORIMANT. Je le souhaiterais, Madame, extrêmement ;Mais je ne saurais plus retarder un moment.Ce départ m'est sans doute un rigoureux martyre,Mais mon mal en restant serait encor bien pire. ÉLISE. Saurais-je point pourquoi vous fuyez de ces lieux ? Notre sexe, Monsieur, est prompt et curieux ;Excusez si je suis en ce point mal apprise. CLITANDRE, bas à Ormin. Est-ce ce cavalier qui recherchait Élise ? ORMIN, bas à Clitandre. Oui qui part de colère. CLITANDRE, bas à Ormin. Ah ! qu'il l'ait j'y consensLui cédant de bon coeur le droit que j'y prétends. ÉLISE, à Clorimant. Dites-m'en le sujet, Monsieur, je vous supplie. CLORIMANT. Cette cause provient d'une mélancolie,Je crois qu'en la sachant je vous ferai pitié ;J'avais fait en ces lieux une étroite amitiéAvec un cavalier par trop digne de blâme : Car nous deux en deux corps ne possédions qu'une âme.Pour l'autre nul de nous n'avait rien de caché,De ce qui touchait l'un, l'autre en était touché.Mais, Madame, écoutez ; justes Dieux quand j'y pense,Jamais ne fut au monde une telle inconstance ; Je vous en fait le juge, eut-il quelque raisonD'user d'une si lâche et noire trahisonEnvers un qui l'adore ; ah ! je jure, Madame,Si, comme je l'ai dit, nous deux n'avions qu'une âme,Nous n'eussions possédé tous deux qu'un même corps, Je l'aurais exposé sur l'heure à mille morts.Oui j'atteste les Dieux qu'il m'eut pris cette enviePour venger cet affront aux dépens de ma vie.Madame il m'a quitté pour suivre un étranger,Qui, comme je l'ai fait, ne saurait l'obliger. Et qu'il ne connaît point, et cette énorme offense,Il la veut palier du nom d'obéissance.Nom que je trouve injuste en un coeur obligé,Voyant que je ne puis être à présent vengé,De crainte tous les jours de les trouver ensemble, Bravant ma passion, le meilleur ce me semble,Est de les quitter là. Que je puisse volerPour sortir de ces lieux vite comme un éclair. ÉLISE. Si de vos différents vous me jugez croisable,Je ne vous trouve pas en ce point raisonnable ; Vous vous trompez peut-être. Oui je ferais sermentQue vous le condamnez un peu légèrement.Cet ami n'a vers vous commis aucune offense,Si tout ce qu'il a fait est par obéissance,Comme vous confessez vous-même, et sans mentir Vous ne me pouvez pas sur ce point repartir.C'est avoir peu de soin ; car dites-moi de grâce,Ce que vous avez fait pour recouvrer la placeQue vous aviez acquise au coeur de cet ami ?Pourquoi vous êtes-vous sur ce point endormi ? Employez en remèdes, et non en larmes feintes,Les heures que sans fruit vous consommez en plaintes ;Et vous saurez voyant vos soupçons dissipez,Si votre ami vous trompe, ou si vous vous trompez. CLORIMANT. Le sort en est jeté je ne m'en puis dédire. CLITANDRE. Oui, de tous les affronts, le mépris est le pire,Je n'en ferais pas moins ; et vous avez raisonDe vous venger ainsi de cette trahison.Croisez-moi, Clorimant, usez-en de la sorte. ORMIN, bas à Clitandre. La passion, Monsieur, en ce point vous emporte, Vous vous delorez trop. CLITANDRE, bas à Ormin. Nous nous entendons bien. CLORIMANT. Je ne veux pas, Messieurs, troubler votre entretien,Je prends congé de vous. ÉLISE, bas à Pauline. Ah Pauline je pâme ! PAULINE, bas à Élise. Vous vous delorez trop, modérez-vous Madame. ÉLISE, bas à Pauline. Pauline je ne puis. POLEMAS, à Clorimant. Je suis au désespoir ! En cette occasion que je n'ai le pouvoirDe vous servir, Monsieur, comme je le souhaite. CLORIMANT. Pardonnez s'il vous plaît la faute que j'ai faite,C'est abuser du temps qui vous doit être cher. POLEMAS. C'est ce qu'on ne saurait, Monsieur, vous reprocher. CLORIMANT. Adieu, je ne veux pas arrêter davantage. OCTAVE. Puissiez-vous revenir en santé du voyage. Clorimant sort. SCÈNE VII. Polemas, Clitandre, Ormin, Élise, Pauline, Octave. POLEMAS. Ce cavalier ici sans doute me prenaitPour homme de trafic. CLITANDRE. C'est ce qui l'emmenait. POLEMAS. Clorimant, dites-vous ? Est-ce ainsi qu'on le nomme ? CLITANDRE. Oui, Monsieur. POLEMAS. Il paraît fort brave gentilhomme.Pour quelque peu de temps pourrais-je vous quitter ? OCTAVE. C'est ce qu'il doit, Monsieur, que je crois souhaiterPour pouvoir discourir avecque sa maîtresse. Donnons-lui le loisir. POLEMAS. Bien Monsieur je vous laisse, Il est juste, et mon fils a fort bonne raison.Disposez comme étant enfant de la maison. CLITANDRE. Vous me rendez confus par cet honneur extrême. Polemas et Octave s'en vont. SCÈNE VIII. Ormin, Pauline, Clitandre, Élise. ORMIN. Je ne saurais celer, Pauline, que je t'aime.Ta maîtresse et mon maître étant tous deux rangez Dessous le joug d'hymen nous sommes obligezDe faire entre nous deux un second mariage. PAULINE. Ne t'imagine pas que je sois si volage,J'aime, et je ne puis pas me dégager ainsi. ORMIN. Quoi ! ce nouveau soldat te met-il en souci ? Ce procédé me semble extrêmement étrange, Car tu connais assez que tu gagnes au change.Ce maraud ose-t-il seulement t'aborder ?Et sans trembler de peur peut-il me regarder ?S'il l'osait je ferais. PAULINE. Quoi ? ORMIN. Dieux je désespère, N'excite point de grâce à ce point ma colère,S'il s'oppose jamais au bien que je prétends ! PAULINE. Ormin en ta colère épargne les absents,S'il était devant toi tu serais ce me sembleUn peu plus retenu, tel menace qui tremble, Ce courage étant seul, est grandement suspect. ORMIN. Durant ce temps Clitandre et Élise sont assis sans parler.Après un tel discours puis-je avoir du respect ?Mais à ce que je vois mon maître et ta maîtresseSont muets, si j'osais prendre la hardiesseJe les réveillerais. PAULINE. Pourquoi ? Tu le peux bien. ORMIN. Oserais-je Monsieur troubler votre entretien ?Auprès d'un tel objet pouvez vous bien vous taire ? CLITANDRE. Ormin en lui parlant je crains de lui déplaire.Madame ne dit mot, et je me tais aussi. ORMIN, bas à Clitandre. Vous paraissez, Monsieur, un amoureux transi. CLITANDRE, en se levant. Madame si j'osais je prendrais la licenceDe demander congé pour chose d'importance,Mais quoi j'offenserais en ce point mon devoir. ÉLISE. Vous êtes maître ici, vous avez tout pouvoir. CLITANDRE. Je sors donc, et ce soir je vous verrai, Madame. ÉLISE. Faites ce qu'il vous plaît. SCÈNE IX. Élise, Pauline. ÉLISE. Ah, Pauline, je pâme !En cette occasion, qui me peut consoler ? PAULINE. Mais, Madame, il fallait ici dissimuler,Et lui faire à l'abord un peu meilleure mine,Vous contraindre un moment. ÉLISE. Je ne saurais Pauline. Que ferais-je grands Dieux ? puis-je agir autrement ?Il faut bien que je meure en perdant Clorimant,Il s'absente ; à ce mot Dieux je perds la parole,Il s'en va de ces lieux, mais plutôt il s'envole. PAULINE. Il faut trouver moyen de le faire arrêter. ÉLISE. L'honneur me le défend, mais je le veux dompter.Oui pour toi j'ai tout fait, Honneur, je le proteste, M Mais il faut que l'amour joue ici de son reste. PAULINE. Madame voulez-vous vous résoudre à ce point,Laissez-m'en le souci, ne vous tourmentez point. Faites choix d'une amie, à qui vous puissiez direQuelle est la passion qui cause ce martyre,Qui puisse vous servir en ce pressant besoin. ÉLISE. Crois que pour la trouver je n'irais pas bien loin.Sans doute que Diane ayant perdu Clitandre M'en donnera du blâme, il lui faut faire entendreQue je n'ai point failli, qu'elle m'accuse à tort,Et qu'elle s'en doit prendre à la rigueur du Sort. PAULINE. C'est bien pensé, pourvu qu'elle vous soit fidèle,Il la faut supplier de le mander chez elle, Feignant adroitement qu'elle lui veut parler. ÉLISE. Mais en fera-t-il compte, y voudra-t-il aller ? PAULINE. Il n'y manquera pas, vous avez tort de craindre,Et là vous lui direz que l'on vous veut contraindre ;Mais que nul envers vous n'en aura le pouvoir, Et que l'amour l'emporte au dessus du devoir. ÉLISE. Mon père, c'en est fait, pardonnez cette offense,Mon Amour est plus fort que mon obéissance. ACTE IV SCÈNE I. Clorimant, Diane, Géraste, Julie. CLORIMANT. Est-il dessous le ciel un plus heureux amant ? DIANE. Ce que je vous ai dit est très vrai, Clorimant, Je quitte cet ingrat voyant qu'il me méprise. CLORIMANT. Ah Dieux ! par quel moyen je me venge d'Élise.Va chéris ce Rival je n'en suis point jaloux,En possédant Diane en qualité d'époux. DIANE. C'est moi qui doit chérir une telle alliance, Mais quoi que je m'y porte à présent par vengeance, Pour punir cet ingrat, croisez que quelque jourMa vengeance pourra se changer en Amour.Mais consultons un peu ce que nous devons faire. Ils parlent à l'oreille. GÉRASTE, à Julie. Que t'en semble Julie, es-tu point en colère Aussi bien comme moi de perdre ton époux ? JULIE. S'ils veulent se venger, Géraste vengeons-nous ;Si pour l'amour de moi tu veux quitter Pauline,Je quitte cet ingrat. GÉRASTE. Mais ne faits pas la fine,Pour me quitter après et te moquer de moi ? JULIE. Va sache que je t'aime, et que je suis à toi. CLORIMANT, à Diane. C'est très bien avisé d'en user de la sorte. DIANE. J'entends quelqu'un là bas qui frappe à notre porte.Va voir qui c'est, Julie, et reviens promptement. JULIE, sort et rentre. Madame, c'est Élise. CLORIMANT. Élise ? DIANE. Ah ! Clorimant Cachez-vous là dedans, il n'est pas raisonnableQu'elle vous trouve ici. CLORIMANT. Se connaissant coupable,Elle vient pour vous voir afin de s'excuser. DIANE. Cachez-vous donc de grâce. CLORIMANT. Il se faut exposerEncor à cet affront ; car l'honneur m'y convie, Quoi que pour me cacher j'ai hasardé ma vie.Madame j'obéis, et je me cache ici. GÉRASTE. Que deviendrai-je moi ? JULIE. Va te cacher aussi. Ils se cachent. SCÈNE II. Élise, Diane, Pauline, Julie, Clorimant et Géraste, cachés dans une chambre voisine. ÉLISE. Parce que vous avez juste sujet de plainte,Je n'ai point, chère amie, en cette rude atteinte De mon cruel destin, dont je ressens les coups,Voulu chercher d'asile autre part que chez vous,Ni qu'autres que vous sut les secrets de mon âme.Vous direz que je suis lâche et digne de blâme,De vous avoir traitée avec tant de rigueur, Qu'après m'avoir ouvert votre âme et votre coeur,Je vous ai lâchement ravi votre Clitandre,C'est un crime, ô Dieux, dont je me veux défendre.J'ai fait cette action contre ma volonté,Mon père m'a réduite à cette extrémité. Tout mon crime envers vous n'est qu'une obéissance, Il a sur mon esprit fait une violence,À quoi je n'ai pas eu pouvoir de résister,Mais mon amour m'oblige à présent d'éclater.Chère amie, apprenez jusqu'où va ma faiblesse, J'adore Clorimant, et voyant qu'il me laisse,Qu'il s'enfuit de ces lieux de crainte de me voir(M'aimant comme il me fait) sous un autre pouvoir,Permettez qu'à ses yeux, et qu'en votre présence,Je foule aux pieds l'honneur avec l'obéissance, Je veux présentement, et dans votre maison,Faire voir qu'on m'accuse à tort de trahison.Trouvez-le bon, Madame, et que je vous supplieD'envoyer promptement de votre part Julie,Lui dire qu'à cette heure il vous vienne trouver, C'est l'unique moyen qui me pourra sauver.Vous verrez devant vous la chose terminée,Vous nous verrez rangez sous le joug d'hyménée,Malgré l'obéissance, et malgré le respectQui peut rendre l'honneur d'une fille suspect. DIANE. Vous vous êtes, Madame, un peu tard avisée,Vous pouvez tout sur moi, la chose était aisée,Clorimant est parti, croisez que c'est en vain,De penser à présent retarder son dessein.Oui je l'ai vu partir les yeux baignez de larmes De regret qu'il avait d'abandonner vos charmes,En passant il m'a dit, Diane obligez moiDe rendre témoignage à chacun de ma foi :Dites je vous supplie à cette âme infidèle,Que je pars de ces lieux, que je m'éloigne d'elle, Que ce fâcheux séjour m'est à présent fatal,Que pour ne pas souffrir cet indigne rival,Caresser tous les jours cette ingrate à ma vue,J'aime mieux que l'ennui de l'absence me tue.Et sans m'avoir donné le loisir de parler, Il est parti d'ici plus vite qu'un éclair. ÉLISE. À ce triste discours Dieux que je suis surprise,Clorimant est absent et tu peux vivre Élise ?Ô rage ! Ô désespoir ! Ô rigueur de mon sort.Où Clorimant n'est plus tout pour Élise est mort. Rigoureux point d'honneur, fantôme ridicule,Exécrable bourreau d'une âme trop crédule,Pour observer tes lois je me prive du jour,Et pour t'avoir suivi j'ai trahi mon amour.J'ai la vie en horreur, il faut que je m'en prive, Car Clorimant absent, crois-t-on qu'Élise vive ?Que n'ai-je, en bannissant les pleurs et les soupirs,Lâché sans consulter la bride à mes désirs ?Tyrannique devoir, respect, obéissance,Vous n'ébranlerez pas à ce point ma constance ; Il faut par une belle et hardie action,Faire paraître ici quelle est ma passion.Il faut de tant de maux que la mort me délivre,Car Clorimant absent Élise ne peut vivre :On ne me peut forcer, mon père ne peut point Séparer nos deux coeurs que l'amour a conjoint.Qu'un ennemi commun attente sur ma vie,Que par mes propres mains elle me soit ravieSi je consens jamais à cette lâcheté,Si je tiens des Dieux seuls ma franche volonté Peut on ici tenir ma liberté captive ?Et Clorimant absent, crois-t-on qu'Élise vive ? PAULINE. Que faites vous Madame ? Ah Dieux songez à vous ! ÉLISE. As-tu dessein ici d'exciter mon courroux ? PAULINE. Considérez un peu. ÉLISE. Moi que je considère ? Quoi ? PAULINE. Madame écoutez sans vous mettre en colère,Votre honneur. ÉLISE. Tes discours sont ici superflus. PAULINE. Le respect. ÉLISE. Je le perds, et je n'écoute plus.Non, non, je veux mourir, si je ne le puis suivre,Car Clorimant absent Élise ne peut vivre. CLORIMANT, caché à Géraste bas. Géraste laisse moi que je suive ses pas. GÉRASTE, à Clorimant bas. Retenez vous, Monsieur, grands Dieux ne sortez pas. CLORIMANT, bas à Géraste. Vois-tu mon heur présent, et qu'Élise m'adore,Va laisse moi sortir. GÉRASTE. Il n'est pas temps encore. ÉLISE. Je rentre maintenant en un gouffre d'ennuis, Qui me peut consoler en l'état où je suis ?Non, non, il faut mourir, puis que le Ciel l'ordonne ;A quoi me sert le corps si l'âme m'abandonne ?Ah mon cher Clorimant ! Tu peux me reprocher,Que j'ai paru trop lente à te venir chercher. Puis que ma mort te plaît assouvi ton envie :Car Élise sans toi ne peut aimer la vie. DIANE. Madame je voudrais vous pouvoir consoler,Mais dans mon sentiment je ne saurais parler. JULIE, entre. Octave monte ici, Madame, avec Clitandre. ÉLISE, surprise. Elle entre au même lieu où Clorimant et Géraste sont cachés.Dieux il me faut cacher je ne m'en puis défendre.Grands Dieux que faites vous ? SCÈNE III. Octave, Clitandre, Julie, Diane, et Clorimant, Géraste, Élise, et Pauline, cachez dans la même chambre. OCTAVE, bas à Clitandre en entrant. En cette occasionIl vous faut puissamment marquer ma passion,Dire que je l'adore, et que comme beau frère,Vous venez terminer cette importante affaire. CLITANDRE, bas à Octave. Laissez moi ce souci, je n'y manquerais point. DIANE. Je vous trouve insolent jusques au dernier point,D'oser avec ce front, avec cette impudence,Vous offrir à mes yeux m'ayant fait une offense,Qui par aucun moyen ne se peut réparer. CLITANDRE. Ce violent courroux ne peut longtemps durer,Madame si je prends beaucoup de hardiesse,Si j'ose entrer céans, c'est qu'Octave me presse,Et c'est pour votre bien que je vous viens trouver, Il m'accuse d'un fait dont je me veux laver. Madame excusez moi cette affaire m'importe,Vous ai-je pas parlé de l'amour qu'il vous porte ?Vous ai-je pas priée avecque passionDe vous rendre sensible à son affection ?Il veut de votre voix recevoir la sentence, Et mourir de douleur, ou vivre d'espérance. OCTAVE. Dieux je serais, Madame, au comble de mes voeux,Si vous pouviez souffrir cet homme ambitieux,Qui brûle de désir de vous dire lui même,Combien il vous honore, et combien il vous aime. Votre arrêt quel qu'il soit terminera mon sort,Et me donnant la vie, ou me causant la mort. DIANE. De tant de soins, Monsieur, je me sens obligée ;Mais j'ai tantôt ailleurs ma parole engagée. OCTAVE. Avec qui ? justes Dieux, je demeure transi ! DIANE. Avec un Cavalier qui n'est pas loin d'ici. CLITANDRE. Qu'on nomme ? DIANE. Clorimant. CLITANDRE. Quel Clorimant ? OCTAVE, bas. J'expire. DIANE. Vous connaissez fort bien celui que je veux dire. CLITANDRE. Celui que je connais est absent de ces lieux. OCTAVE. Madame, il a raison. Qu'entends-je justes Dieux ? CLITANDRE. Par ces inventions prétendez-vous, Madame,Exciter maintenant quelque trouble en mon âme ?Si vous avez dessein de me rendre jalouxVous travaillez en vain. DIANE. Qu'ai je affaire de vous ?N'espérez pas perfide, âme ingrate et volage, Que je vous puisse voir et souffrir davantage.J'abhorre tout de vous, jusques à votre nom,Et demain vous verrez si je vous mens ou non. OCTAVE. Clorimant est parti, Madame, je le jure. CLITANDRE. Il n'est rien de plus vrai. DIANE. Dieux l'étrange imposture ! Sachez que Clorimant n'est pas bien loin d'ici. OCTAVE. Il m'est assez aisé de m'en voir éclairci.Je sais bien son logis, allons y je vous prie. CLITANDRE. Allons je le veux bien, c'est une raillerie,Cela ne saurait être en aucune façon. OCTAVE. De grâce éclaircissons promptement ce soupçon.Grands Dieux si ce discours était bien véritableSerait-il un Amant qui fût plus misérable ? CLITANDRE, bas. Si le Ciel me réserve à ce sensible ennui,Je suis plus misérable et plus confus que lui. S'il est vrai qu'elle soit à cet autre engagée,Peut-elle être de moi plus puissamment vengée ? Ils s'en vont. DIANE, à Julie. Saurait on jamais voir deux amants plus honteux ? JULIE. Vous les avez tuez d'un même coup tous deux. SCÈNE IV. Élise, Clorimant, Géraste, Pauline, Diane, Julie. CLORIMANT, après Élise et Pauline fuyant. Justes Dieux quels dédains vous me faites paraître, Qui vous oblige à fuir ? ÉLISE. Veux-tu me laisser traître. CLORIMANT. Considérez, mon coeur, que de tous les amantsJe suis le plus fidèle. ÉLISE. Ah perfide ! tu mens.Oses-tu bien, ingrat, me tenir ce langage ? CLORIMANT. Qui vous peut obliger à ce cruel outrage ? Vous me venez chercher, et quand vous me trouvez,Vous fuyez ma rencontre, ou bien vous me bravez. ÉLISE. N'excite pas encor à ce point ma colère,Devrais-tu pas rougir, infidèle, et te taire,Après t'avoir fait voir que je n'aime que toi, Après t'avoir rendu ces preuves de ma foi.Après avoir connu que je brûlais d'envieD'abandonner pour toi l'honneur même et la vieLe respect, le devoir, étant ce que je suis,En te venant chercher perfide tu t'enfuis. Et pour mieux faire voir ton âme déloyale Je te trouve caché chez ma propre rivale,Qui par la lâcheté d'un traître suborneurPense élever sa gloire, et bâtir son bonheurPar les débris d'autrui sur ma propre ruine. Quoi ! dois-je encor aimer celui qui m'assassine ?M'inquiéter pour lui, ne l'imagine pas,Va j'ai trop fait pour toi tu t'en repentiras.Pour t'ôter tout espoir je te veux faire entendreQue je n'aurai jamais d'autre époux que Clitandre. Avant qu'il soit une heure, il recevra ma foi.Adieu perfide ingrat. CLORIMANT. Madame écoutez moi. ÉLISE. Que veux tu que j'écoute esprit lâche et volage ?Oses-tu repartir ? est-ce là ce voyageQue l'on ne pouvait pas retarder d'un moment ? CLORIMANT. Madame ayez pitié d'un misérable Amant,Qui veut mourir s'il perd votre beauté divine. GÉRASTE. Vous perdez votre temps. Toi que dis tu Pauline ? Elle s'en va.Feras-tu comme lui ? Veux-tu m'abandonner ? PAULINE. Ne viens pas davantage ici m'importuner, Julie aura pour toi la grâce plus charmante.Ai-je si peu de coeur que je ne me ressenteD'une si détestable et noire trahison ?Puis que je t'ai trouvé caché dans sa maison.Je ne te veux ni voir ni parler de ma vie. SCÈNE V. Clorimant, Diane, Julie, Géraste. CLORIMANT. Achève-moi cruelle, assouvi ton envie. À DianeMadame permettez que je suive ses pas. DIANE. Écoutez Clorimant. CLORIMANT. Non je ne le puis pas.Madame il faut mourir, ou fléchir ma cruelle. JULIE, à Géraste. Géraste que dis-tu ? veux-tu m'être infidèle ? Veux-tu comme ton maître être ingrat. GÉRASTE. Laisse moi.Je veux suivre Pauline et lui garder la foi. Ils s'en vont. SCÈNE VI. Diane, Julie. DIANE. Que dis-tu de cela ? vois-tu comme on nous traite ? JULIE. Vous n'êtes pas je crois plus que moi satisfaite.Mais dites moi Madame, aimez vous Clorimant ? DIANE. Clitandre est à mes yeux encore plus charmant.J'aurai pour son sujet toujours même tendresse,Quoi qu'inconstant pourvu qu'Élise me le laisse. SCÈNE VII. Ormin, Clitandre de nuit. ORMIN. Pensez y mieux Monsieur, pourquoi désirez vousDe deux hommes d'honneur exciter le courroux ? Ne leur avez vous pas la parole donnéeD'accomplir aujourd'hui cet heureux Hyménée,Le sort en est jeté vous reculez en vain. CLITANDRE. Je leur ai demandé terme jusqu'à demain.Pour te dire le vrai j'ai peine à m'y résoudre, Et je veux si je puis tâcher à le dissoudre. ORMIN. Comment le pourrez vous ? CLITANDRE. Je leur veux demanderPlus qu'ils ne m'ont promis. ORMIN. C'est mal y procéder.Cette action Monsieur n'est point d'un honnête homme, Vous ne leur avez point demandé d'autre somme Avant que de conclure, et maintenant pourquoiSans raison voulez-vous dégager votre foi ?Que dira-t-on de vous ? CLITANDRE. Tout ce qu'on voudra dire,J'ai fait présentement dessein de leur écrireQue je suis résolu de ne l'épouser pas, Si l'on n'ajoute encor quatre mille ducatsA la somme promise avant le mariage.Ils diront que je suis inconstant et volage,Perfide, déloyal, et lâche au dernier point,Qu'ils disent encor pis il ne m'importe point. Oui je souffrirai tout bien plutôt que le blâmeQue j'aurais d'avoir pris par contrainte une femme. ORMIN. Vous avez tort Monsieur, car vous l'avez voulu. CLITANDRE. Tais-toi, je suis, te dis-je, à ce point résolu. ORMIN. C'est d'Octave par trop irriter la colère. CLITANDRE. Octave, me dis-tu, que me saurait il faire ?Ma Diane a pour moi de plus charmants appas,Elle brûle pour moi, l'autre ne m'aime pas.Allons la voir, allons repaître notre vue,Des célestes appas dont le Ciel l'a pourvue. ORMIN. Clorimant et Géraste sortent.Il est bien tard Monsieur, regardez qu'il est nuit. CLITANDRE. Allons souper devant retirons-nous sans bruit. ORMIN. C'est fort bien dit Monsieur, je vais à la cuisine. SCÈNE VIII. Clorimant, Géraste de nuit. CLORIMANT. Géraste écoute un mot, dis-tu pas que PaulineTe veut entretenir cette nuit ? GÉRASTE. Oui Monsieur, Mais j'y dois aller seul. CLORIMANT. Que t'importe, as-tu peur ? GÉRASTE. Oui, car facilement on vous pourrait connaître,Elle me doit tantôt parler à la fenêtre.Retirez-vous, Monsieur, on ouvre que je crois. CLORIMANT. Non, je lui veux parler Géraste au lieu de toi. GÉRASTE. Mais ce que vous voulez ne saurais-je lui dire. CLORIMANT. Comme moi tu ne peux exprimer mon martyre. SCÈNE IX. Élise et Paulien à la fenêtre de Clorimant, et Géraste à la rue. ÉLISE. Géraste doit-il pas te venir voir ici ? PAULINE. Madame je l'attends et crois que le voici. ÉLISE. Retire toi ; je veux lui parler en ta place. PAULINE. Lui dirai-je pas bien ? ÉLISE. Tu n'auras pas la grâceD'exprimer ce que j'ai dans l'âme, cache toi.Est-ce pas toi Géraste ? CLORIMANT. Oui Pauline, c'est moi : Bas.C'est Élise à la voix je l'ai bien reconnue. ÉLISE. Bas.C'est Clorimant sans doute, ou je suis bien déçue. C'est lui même, voyez quel pouvoir a l'amour ? CLORIMANT, bas. Je reconnais Élise aussi bien qu'en plein jour. ÉLISE. Dis que fait Clorimant, Géraste, mais peut-être,Que tu ne voudras pas parler contre ton maître.Je sais que tu prends part dedans son intérêt, Étant aussi volage et perfide qu'il est.Quoi demander que fait cette âme déloyale,Il trahit ma maîtresse, il est chez sa rivale.Savons nous pas que rien ne peut les désunir,Et tu viens cependant ici m'entretenir. Mais peux-tu bien, Géraste, abandonner Julie ? CLORIMANT. Mon maître aimer Diane ? Ah Dieux quelle folie.Tu te trompes Pauline, et crois qu'il n'en est rien. ÉLISE. Pourquoi veux-tu nier ce que je sais fort bien ?L'avons nous pas trouvé naguère avec elle ? CLORIMANT. Tu l'imites Pauline, en m'étant infidèle,Je sais que tu chéris cet Ormin mon rival,A qui ce fer ici bientôt sera fatal :Mais tais-toi, je sais bien à qui je m'en dois prendre. ÉLISE. Tu veux dire en effet qu'Élise aime Clitandre, Mais peux tu bien, Géraste, excuser ClorimantS'il dit qu'il n'aime pas Diane, assurément :Tu sais bien en ce point qu'il celle ce qu'il pense. CLORIMANT. Il mourrait de regret en cette longue absence,Et l'on verrait ses sens de tous points interdits S'il la quittait l'aimant ainsi comme tu dis. ÉLISE. Il ne s'en ira point : CLORIMANT. Quoi Pauline es-tu folleIl ne s'en ira point ? non, car crois moi qu'il vole.Il est bien loin d'ici. ÉLISE. Te moques-tu de moi ? CLORIMANT. Mais te suis-je suspect, doutes-tu de ma foi ? ÉLISE. Si tu dis vrai, pourquoi t'a-t-il laissé derrière ? CLORIMANT. Il me laisse en ce lieu pour un certain affaireQu'il m'a recommandé. ÉLISE, bas. Ah Dieux ! Comme aisémentEn cette occasion j'abuse Clorimant.Et lui tout au rebours croit de m'avoir trompée. CLORIMANT, bas. Elle me croit absent, elle est bien attrapée. ÉLISE, bas. S'il pense me surprendre il l'entreprend en vain. CLORIMANT. Je m'en vais le trouver, je partirai demain,Si ta maîtresse veut lui mander quelque choseAu moins sache-le d'elle ? ÉLISE. Ah Géraste je n'ose, Elle s'en veut défaire et le laisser aller,Elle ne veut jamais le voir n'y lui parler.Quoi demain sans faillir elle épouse Clitandre.La chose est résolue. CLORIMANT. Ah que viens-je d'entendre ?Elle épouse Clitandre ? est-il dessous les Cieux Homme plus misérable ; ose-t-elle à mes yeux,Commettre cette lâche et noire perfidie ?Dis lui. ÉLISE. Que veux-tu donc encor que je lui dise ? CLORIMANT. Qu'elle trahit, Pauline, un très fidèle AmantQu'elle est ... ÉLISE. Tout beau Géraste. CLORIMANT. Ah je suis Clorimant, Que la perfide Élise à sa fureur immole. ÉLISE. Qui Clorimant absent, qui Clorimant qui vole.Qui s'enfuit de ces lieux plus vite que le vent. CLORIMANT. J'étais absent d'Élise, encore que présent,Car l'oubli se peut bien comparer à l'absence. Élise m'oubliant, c'est une conséquence Que j'étais absent d'elle, et que je perds le sensSongeant à cette injure, et pour toi qui m'entendsQui voit mon désespoir dis à cette infidèleQu'il n'est rien plus volage et plus inconstant qu'elle, Qu'elle est une perfide une ... ÉLISE. Tout beau c'est moi. CLORIMANT. Je te connaissais bien, âme ingrate et sans foi,J'ai feint de m'en aller, perfide, je le jureQue ce que j'en disais n'était qu'une imposture,Je te quitte à présent me sentant outragé, Mais crois qu'auparavant je veux être vengé,Et pour ne garder rien d'un esprit si volageTien voilà tes écrits que j'immole à ma rageTes cheveux, ton portrait. GÉRASTE. Monsieur que faites vous ? CLORIMANT. Pourquoi me retiens tu ? GÉRASTE. Modérez ce courroux, Et ne les rompez pas, après cette colèreVous mourriez de regret. CLORIMANT. Quand je le considèreTu dis vrai, mais as-tu quelques papiers sur toi. GÉRASTE. J'ai des cartes, Monsieur. CLORIMANT. Bon, bon, donne les moi. Il lui donne des cartes. Il les rompt.Tiens je romps le portrait de cette ingrate Dame, Que je veux encor mieux effacer de mon âme.Et ces écrits témoins de ses légèretés,Pleins de discours trompeurs, pleins d'infidélités,Qui me reprocheraient à toute heure ton crime,A ma juste fureur serviront de victime. Tout ce que j'ai de toi, je le laisse, et je veuxJeter encor au vent tes indignes cheveux.Et pour plus grand mépris je veux avoir la gloireDe bannir de mon coeur jusques à ta mémoire.Adieu perfide, adieu, je sors de ton pouvoir, Et n'imagine pas de jamais me revoir. ÉLISE. Ne t'en va pas mon coeur, écoute une parole. CLORIMANT. Non je ne l'entends point d'une qui la viole. PAULINE, à Géraste. Et toi Géraste aussi, veux-tu quitter ce lieu ? GÉRASTE. Il s'en vaOui perfide, et te dire un éternel adieu. Tien voilà ton portrait, pour avec ton imagePerdre le souvenir d'un objet si volage,Tes écrits, tes rubans, tes indignes cheveux,Et je vais dans le vin éteindre tous mes feux.Tu t'en repentiras, je jure aussi bien qu'elle. SCÈNE X. Pauline, Élise. ÉLISE. Il est le seul coupable et me fait criminelle. PAULINE. Ils sont partis Madame. ÉLISE. Ah si je ne savaisQue ce n'est pas, Pauline, ici la seule foisQu'il fait le furieux, qu'il part et qu'il demeure,Je crois qu'assurément je mourrais tout à l'heure. PAULINE. Il n'ira pas bien loin, ce n'est rien qu'un détour,Pour faire rapprocher de plus près son amour.C'est comme un papillon qui fuit et bat de l'aile,Et qui se vient en fin brûler à la chandelle.Il a devant les yeux un trop obscur bandeau, C'est comme un ciel couvert qui nous menace d'eauDont pourtant on ne voit jamais tomber la pluie. ÉLISE. Ah ! Pauline, je crains. PAULINE. Ne craignez pas qu'il fuie. ÉLISE. Mais il vient à mes yeux de rompre mes écrits,C'est ce qui me surprend, et trouble les esprits, Je ne le celle point, cela me met en peine. PAULINE. Il ne s'en ira point la chose est très certaine,Il est trop enchaîné de vos divins appas. ÉLISE. De peur d'un accident, va promptement là bas,Ramasse ces écrits ; grands Dieux je désespère ! Ils pourraient aisément être vus de mon père. PAULINE. Bien Madame, j'y vais. Elle sort. ÉLISE. En l'état où je suis,Grands Dieux retirez moi de ce gouffre d'ennuis. Pauline à la rue avec une chandelle, et Élise à la fenêtre. ÉLISE. Est-il possible, ô Dieux ! Qu'il m'ait fait cette injure,Ramasse ces papiers. PAULINE. Des papiers je vous jure Que je n'en vois pas un. ÉLISE. Qu'est-ce que je vois là ? PAULINE. Une carte rompue. ÉLISE. Apporte. PAULINE. Là voilà. ÉLISE. Que porte-t-elle ? PAULINE. Rien. ÉLISE. Ah Pauline regarde. PAULINE. Je vois bien ce que c'est. ÉLISE. Quoi ? PAULINE. C'est la hallebardeDu Valet de carreau. ÉLISE. Que dis-tu ? PAULINE. Que voici Le bas du Roi de trèfle. ÉLISE. Et l'autre ? PAULINE. C'est iciL'as de coeur. ÉLISE. Vois-tu point quelque portrait, Pauline ? PAULINE. Oui, je tiens une teste elle s'appelle Argine.Madame c'est le haut de la Dame de coeur. ÉLISE. Sans doute Clorimant est de jolie humeur, Il se moque de nous la chose est évidente. PAULINE. L'invention, Madame, est certes excellente. ÉLISE. Monte, viens te coucher. PAULINE. Me coucher ! il est jour. ÉLISE. Clorimant tu ne peux démentir ton amour.Va je ne te crains plus, et crois, quoi que tu faces, Qu'à présent je me ris de toutes tes menaces. ACTE V SCÈNE I. Polemas, Octave. OCTAVE. D'où vient que je vous vois, Monsieur si tôt levé ? POLEMAS. Comme je m'éveillais ce matin, j'ai trouvéCe billet que voici, de la part de Clitandre,Je crois que tu seras aussi surpris d'entendre Ce qu'il m'écrit que moi, lorsque tu l'auras lu. OCTAVE. Encore que mande-t-il ? POLEMAS. Je n'eusse jamais cruQu'un Cavalier d'honneur fut parjure ni lâche,Et procédât si mal, mais ce qui plus m'en fâche,Est que tout Paris sait maintenant notre accord. OCTAVE. Saurai-je point que c'est ? POLEMAS. Ah Clitandre a grand tort.Allons trouver ta soeur, tu sauras devant elleLe sujet qui me trouble, et me met en cervelle,Elle sera surprise aussi bien comme moi. OCTAVE. Il est un peu matin, et ma soeur que je crois Ne peut pas à cette heure être encor éveillée.Mais la voici qui sort, même toute habillée. SCÈNE II. Polemas, Élise, Pauline, Octave. POLEMAS. Ma fille quel sujet vous fait veiller ainsi ? ÉLISE. Je ne saurais dormir. POLEMAS. Si c'est pour le souciQue vous cause l'amour de votre époux Clitandre, Ma fille je vous veux en trois mots faire entendreQue vous n'y pensiez plus. Voyez ce qu'il m'écrit. ÉLISE. N'importe cet amour trouble peu mon esprit.Mais encor que dit-il ? POLEMAS. Sachez que cet infâmePlus amoureux cent fois des biens que d'une femme Vous veut bien épouser, mais à condition(Voyez jusqu'à quel point monte sa passion,Et de quelle façon il vous chérit Élise)Qu'il veut avoir de plus, que la somme promise,Quatre mille ducats. ÉLISE. Grands Dieux que dites-vous ? POLEMAS. C'est ce que par ce mot me mande votre époux. OCTAVE. Ah l'infâme qu'il est de cet esprit volage,Pouvez-vous espérer, Monsieur, un moindre outrage.Il ne me surprend point, il use tous les jours R De même perfidie et d'aussi lâches tours. On me l'avait bien dit. POLEMAS. Voilà comme il vous aime. ÉLISE. Je ne le celle point, la surprise est extrême,Mais que résolvez vous en cette extrémité ? POLEMAS. Que saurais-je répondre à cette lâcheté ?Il faut bien quitter-là ce traître, ce parjure. ÉLISE. Mais qui réparera notre commune injure ?L'affaire est d'un tel poids, qu'elle mérite bienD'y songer mûrement, et de n'épargner rien.Sachez que cet affront passe la raillerie,Il y va trop du mien, ah Monsieur je vous prie, De considérer mieux ce qu'on dira de moi.Chacun sait dans Paris qu'il m'a donné la foi.Qu'aujourd'hui l'on devait terminer l'hyménée,Dont nous avons tous deux la parole donnée,Qui pourrait empêcher un chacun aujourd'hui De faire un jugement avantageux pour lui. Qui me pourrait combler de honte et d'infamie ?Je serais bien, Monsieur, de moi-même ennemie,Si je pouvais souffrir qu'un traître, un affronteur,Par discours médisants offensa mon honneur. Monsieur, à deux genoux j'implore votre grâce. POLEMAS. Mais, ma fille, dis moi que veux-tu que je face ? ÉLISE. Accordez-lui, Monsieur, tout ce qu'il veut avoir. POLEMAS. Élise, sais-tu bien si j'en ai le pouvoir ? ÉLISE. Vous ne pouvez, Monsieur, de ce point vous défendre : Votre honneur vous y force. POLEMAS. Il me faudrait donc vendreJusques à ma maison pour y pouvoir fournir.Où me tiendrais-je après ? ÉLISE. Vous vous pouvez tenir.Aisément avec moi. POLEMAS. Mais que dira ton frère ? OCTAVE. Ne laissez pas, Monsieur, de terminer l'affaire, Si Diane est à moi je me tiens trop heureux. POLEMAS. Bien doncques j'y consens, vous le voulez tous deux,Mais où si promptement puis-je avoir cette somme ? OCTAVE. Laissez-m'en le souci, je connais bien un homme,Si vous vous obligez, qui nous rendra contents ; Cet homme a de l'argent. POLEMAS. Va, ne perds point de temps.Puis va-t'en aussitôt au logis de Clitandre,Dis lui que pour avoir l'heur de le voir mon gendre,J'ai fait tous mes efforts pour le rendre content,Que je lui veux donner la somme qu'il prétend, Mais à condition que sans plus de remise,Il sera ce matin joint à ta soeur Élise.Je m'en vais convier mes amis de ce pas, Fais qu'il vienne avec toi. OCTAVE. Je n'y manquerai pas. ÉLISE, bas en s'en allant. Puisque ta lâcheté se fait ainsi paraître, Amour fais qu'aujourd'hui je me venge du traître. SCÈNE III. Clitandre, Ormin. CLITANDRE. C'en est fait me voilà maintenant dégagé,J'ai d'Élise et du père aujourd'hui pris congé,Ma lettre que je crois leur aura fait entendreQu'ils ne doivent plus rien espérer de Clitandre, Non, non, ce n'est plus vous, Élise, que je sers,Je me vais renchaîner dedans mes premiers fers. ORMIN. Tout bien considéré, ce procédé m'étonne,Songez à vous, Monsieur, je sais bien que personneN'approuvera jamais une telle action. CLITANDRE. Il n'importe, il suffit, je suis ma passion.Que sert plus d'y penser puis que la chose est faite ? ORMIN. La conduisent les Dieux ainsi que je souhaite. CLITANDRE. Entrons donc chez Diane. ORMIN. Elle sort je la vois. SCÈNE IV. Clitandre, Diane, Ormin, Julie. DIANE. Que veut dire cela ? Clitandre entrer chez moi ? Avez-vous bien encor assez de hardiesse ?Après avoir acquis Élise pour maîtresse,Après m'avoir traitée avec tant de mépris,D'oser entrer céans ? vous vous êtes mépris.Vous prenez ce logis pour la maison d'Élise ? CLITANDRE. Considérez, madame, avec quelle franchiseJe vous dis mes pensers, et vous ouvre mon coeur.Je rentre sous les fers de mon premier vainqueur,Élise n'eut jamais pour me vaincre des armes,Qui pussent égaler le moindre de vos charmes : Aussi n'ai-je jamais eu rien de mon côtéQui put porter mon coeur à l'infidélité.J'adore vos appas, tant qu'il m'est impossibleQue pour un autre objet je devienne sensible.Je confesse avoir feint d'aimer en autre lieu, Mais j'ai brisé mes fers, je viens de dire adieu.Me voilà délivré de ce fâcheux servageQui m'avait près de vous fait passer pour volage.Ne traitez pas Clitandre avec tant de rigueur,Et lui rendez la place acquise en votre coeur. Acceptez derechef sa nouvelle franchise,Et ne lui reprochez jamais l'amour d'Élise,Puis qu'il proteste ici, madame, à deux genoux,Qu'il meurt pour vos appas, et n'adore que vous. DIANE. Comment pourrais-je croire, âme ingrate et volage, Qu'on peut en un moment dissoudre un mariage ?Un contrat bien passé ? sans doute tu prétendsDe nouveau m'abuser, et surprendre mes sens. CLITANDRE. J'atteste les beautés qui vous rendent aimable,Que je ne vous dis rien qui ne soit véritable. Et vous puis assurer qu'il ne tiendra qu'à vousQue je ne vous possède en qualité d'époux. DIANE. Je ne me repais point de ces discours frivoles,Comment ? Je me fierais encor à tes paroles ?Ne t'imagine pas que je puisse en effet Te pardonner ainsi l'affront que tu m'as fait. CLITANDRE. Madame, au nom des Dieux calmez votre colère,Accordez-moi ce point. DIANE. Non, je ne le puis faire.Je suis trop irritée. CLITANDRE. Et bien posons le casQue j'ai justement mérité le trépas, Demandant à genoux pardon de mon offenseNe l'obtiendrai-je point ? DIANE. Clitandre quand j'y penseJe ne saurais pour tout endurer ces mépris.Mais si tu veux un peu remettre mes esprits,Dis moi du mal d'Élise. CLITANDRE. Ah justes Dieux ! Madame, Pourquoi désirez vous que j'endure le blâmeQue l'on me donnera de la traiter ainsi. DIANE. Clitandre je le veux, et te l'ordonne aussiPour refaire ta paix, c'est l'unique remède. CLITANDRE. J'obéis donc, Madame, Élise est sotte et laide, Élise n'eut jamais de grâce ni d'attraits.Elle déplaît de loin, mais encor plus de près.Je suis son ennemi, je fais gloire de l'être,Nul homme ne saurait l'aimer, et la connaître,Et pour dire en un mot, Élise est à la Cour Un objet de pitié, bien plutôt que d'Amour. DIANE. Je te pardonne tout. Ils devisent bas ensemble. ORMIN, à Julie. Pour rentrer en ta grâce,Dis moi ? Qu'est-il besoin à présent que je face ? JULIE. Dis du mal de Pauline, et puis je suis à toi. ORMIN. Pauline je le jure est un objet d'effroi, Son visage bâti d'une façon étrange,Me semble long et large, ainsi qu'une losange,Et crois que je pourrais tant je le trouve laidEn quatre coups de serpe en former un mieux fait.Ses gestes tout contraints sont de mauvaise grâce, Elle ne peut ouvrir la bouche sans grimace,Elle est, et plate, et sèche, et grande comme un four,Et crois qu'on oublia lors qu'elle vint au jour,À lui faire une bouche, et qu'après la nature,Sous le nez d'un rasoir lui fit cette ouverture, Quand elle rit son nez en grandeur non pareil,Peut marquer sur ses dents un quadrant au soleil,Son corps sec et ridé ressemble un vrai squelette,Elle a la taille faite ainsi qu'une levrette,On peut innocemment avec elle coucher, On n'y trouverait pas un seul morceau de chair.Et crois qu'en lui coupant le derrière et la panse, On pourrait l'enterrer dans l'étui d'une lance. JULIE. Pourvu que tes discours, Ormin, ne soient pas feints,Qu'elle soit à tes yeux comme tu la dépeins, Je n'y puis résister, ta grâce t'est acquise. DIANE, à Clitandre. Je ne vous trouve pas trop bien défait d'Élise,Si l'on lui donne encor quatre mille ducats. CLITANDRE. Quand même il le voudrait, son père ne peut pas. JULIE. J'entends monter quelqu'un, Madame, c'est Octave. CLITANDRE. Il vient pour m'attaquer, il vient faire du brave. SCÈNE V. Octave, Diane, Clitandre, Ormin, Julie. OCTAVE, à Clitandre. Comme je vous cherchais, quelqu'un m'a dit Monsieur,Que vous étiez céans, pourrais-je avoir l'honneurDe lui dire deux mots, avec votre licence. DIANE. Oui pourvu que ce soit, Octave, en ma présence. OCTAVE. Madame je le veux, il ne m'importe pas.Vous demandez encor quatre mille ducats,Quoi que ce procédé me semble fort étrangeVoyant que tous les jours vous vous portez au change,Je n'examine point si fort vos actions, Ni quel est le motif de vos intentions.Il suffit seulement de dire que mon père,Quoi qu'il puisse arriver veut terminer l'affaire,Et si vous estimez tellement l'intérêt,Venez avecque moi votre argent est tout prêt ; Mon père veut avoir absolument pour gendreUn tel homme que vous ; et sachez, cher Clitandre,Qu'à ce dessein ma soeur l'a puissamment porté, Il est avantageux pour vous. De mon côté,J'ai tant que je l'ai peu secondé cette envie, Il ne m'importe pas de moins que de la vie.Vous m'entendez assez, et vous savez pourquoi,Mais il vous faut venir promptement avec moi,Car ma soeur vous souhaite avec impatience. CLITANDRE, à Diane. Qu'en dites vous Madame ? DIANE. Ah Dieux quelle impudence ! Osez vous sans rougir me tenir ce discours ? CLITANDRE. Si vous n'êtes encor l'objet de mes amours,Que je puisse périr. Mais voulez vous, Madame,Qu'en cette occasion je passe pour infâme ?J'ai donné ma parole, et croisez s'il vous plaît, Que ce n'est point l'amour, moins encor l'intérêt,Quoi que vous en pensiez, qui m'oblige à ce faire. DIANE. Impudent imposteur. CLITANDRE. Vous êtes en colère ;Je souffre tout de vous, mais Madame écoutez, Car je ne dirai mot si vous vous emportez. Dites moi, voulez vous qu'à présent je violeLes serments que j'ai faits, j'ai donné ma parole :Et cette lâcheté serait à reprocher,Aux personnes d'honneur qui n'ont rien de plus cher. DIANE. Vous brassiez dés longtemps une telle alliance, Vous étiez contre moi tous trois d'intelligence :Je vous entends fort bien : OCTAVE. Madame au nom des DieuxModérez ces transports, et tournez ces beaux yeuxVers moi qui vous adore, et qui brûle d'envieDe hasarder pour vous, et l'honneur et la vie. Voyez sans envier le bonheur de ma soeur,Si Clitandre à présent en devient possesseur.Faites qu'à tant de bien aujourd'hui je succède,En me cédant ses droits qu'Octave vous possède. DIANE. Si Clitandre Monsieur, n'en avait point parlé, Je vous écouterais, mais il s'en est mêlé, Et le sujet qui fait que je n'y puis entendre,Est que je ne veux pas m'allier de Clitandre. OCTAVE. Je ne perds pas l'espoir, Madame, quelque jour,Vous récompenserez un si fidèle amour, Ne l'importunons plus, sortons d'ici mon frère. CLITANDRE. J'en suis au désespoir, mais je n'y puis que faire. ORMIN. Julie en te quittant je fais ce que je doisTu n'aurais pas raison de te plaindre de moi,Pourrais-je justement abandonner mon maître ? JULIE. Je n'attendais pas moins d'un perfide et d'un traître. SCÈNE VI. Diane, Julie. JULIE. Encor que dites-vous de cette lâcheté ? DIANE. Pense-t-il me braver avec impunité !Ah Dieux, vit-on jamais femme plus outragée ?Le perfide se venge, après m'être vengée, Ah que n'ai-je traité cet infidèle AmantAussi bien à la fin comme au commencement ?Qu'en cette occasion j'ai paru mal habile,Hé Dieux que notre sexe est léger et fragile,Et que celle de nous qui prend le plus de soins D'agir avec esprit, monstre en avoir le moins.Qui dois-je maintenant implorer à mon aide ?Clorimant est parti, la chose est sans remède,C'est lui seul en ce cas qui pourrait me venger,Mais puis qu'il est absent, il n'y faut plus songer. JULIE. Madame le voilà. DIANE. Te moques-tu Julie ?Ma joie est à présent de tout point accomplie. SCÈNE VII. Clorimant, Diane, Géraste, Julie. JULIE. Quoi vous êtes ici Clorimant ? justes Dieux ! CLORIMANT. Madame je feignais de partir de ces lieux,Afin de me venger d'une Dame infidèle. Mais je suis apaisé, je ne me plaints plus d'elle.J'ai su que l'on avait forcé la volontéDe cette incomparable et parfaite beauté :Mais que je n'en dois plus avoir aucun ombrage,Madame on a rompu ce fâcheux mariage, Qui nous causait ici tant de peine à tous deux :Je vois en ce moment renaître tous mes feux,Puis que je vois renaître un rayon d'espérance,De recueillir les fruits de ma persévérance.Vous y participez, madame, que je crois. DIANE. Justes Dieux ! Clorimant, vous moquez vous de moi ?Vous ignorez encor comme va cette affaire,Vous êtes bien trompé, car Clitandre et son frèreVous savez bien qui c'est, je nomme Octave ainsiNe font présentement que de sortir d'ici, Qui de telle façon sont concertez ensemble,Qu'ils ne se peuvent pas séparer ce me semble.Le père voulait rompre, étant fort irritéDu refus de Clitandre et de sa lâcheté.Mais Élise a tant fait, que sur l'heure son père, En dépit qu'il en eut a terminé l'affaire,Et dans une heure au plus Clitandre... CLORIMANT. Ah taisez vous. DIANE. Sera n'en doutez point son légitime époux. CLORIMANT. A ce mot justes Dieux, je manque de parole,Mais si facilement Élise s'en console. Quoi que d'un feu cuisant je me sente brûler,Je l'imite Madame, et me veux consoler. DIANE. Si vous l'êtes d'Élise, ah je vous fais entendre.Que je le suis encor beaucoup mieux de Clitandre. CLORIMANT. Si je vous veux aimer, dites, m'aimerez vous ? Et vous puis-je prétendre en qualité d'époux ? DIANE. Je vous l'ai dit tantôt, et vous le dis encore. CLORIMANT. Je suis trop glorieux, ô beauté que j'adore,De nouveau je me veux avec vous engager. DIANE. C'est l'unique moyen de nous pouvoir venger. CLORIMANT. Oui Madame en un mot j'ai l'âme traverséeDe voir une amitié si mal récompensée.Cette légèreté m'offense et je suis las,De me voir tous les jours dans un tel embarras,Je vous donne la main, et demande la vôtre. DIANE. Monsieur je suis à vous ; et renonce à tout autre. CLORIMANT. Madame allons au temple ; et faisons devant euxAccomplir notre hymen. DIANE. Clorimant je le veux.C'est ainsi que je veux me venger de ce traître. GÉRASTE. Julie où songes tu ? ferons nous pas paraître Qu'aussi bien comme ils font nous nous pouvons venger ? JULIE. Oui va je suis à toi, si tu veux m'obligerDe m'aimer à jamais, et de m'être fidèle. GÉRASTE. Oui je te le promets. CLORIMANT, bas à Géraste. Dis à cette cruelleQue je suis à Paris et ne l'ai point quitté. Qu'ici j'ai reconnu son infidélité.Qu'elle épouse Clitandre, et dis qu'à son exemple,Avecque mes parents à présent dans le temple,Dessous les mêmes lois je m'en vais me ranger,Et me joindre à Diane afin de me venger. SCÈNE VIII. Polemas, Clitandre, Élise, Pauline, Ormin, Octave, et accompagnement. POLEMAS. Des sièges promptement, sachez mon cher Clitandre,Que le désir que j'ai de vous avoir pour gendre,Et le ressentiment de tant d'affectionQue ma fille témoigne à votre occasionM'ont fait faire un effort par dessus ma puissance, Et puis que tout le monde en avait connaissanceJe lui serais peut-être un sujet de méprisSi je n'achevais pas cet hymen entrepris. CLITANDRE. Jamais pour désirer des biens de la fortuneJe n'eusse fait Monsieur de demande importune, Mais l'avis des parents qui sont intéressésOnt contre mon amour mes sentiments forcés POLEMAS. Laissons ces différents et terminons l'affaire. PAULINE, bas à Géraste. Géraste entre qui tire Pauline.Quoi Géraste à Paris, hé que pense tu faire,Qui t'emmène en ces lieux ? GÉRASTE. Pauline écoute ici Je te veux dire un mot. Il lui parle à l'oreille. POLEMAS. La compagnie entre.Courage les voici.Messieurs nous n'attendions pas votre compagnie,Afin d'autoriser cette cérémonie. PAULINE. Je vais trouver Élise, attend. POLEMAS. Pauline parle à l'oreille d'Élise, et vient dire à Géraste.Asseyons nous,Il ne manque plus rien nous sommes ici tous. PAULINE, bas à Géraste. Ma maîtresse m'a dit que je te fasse attendre. POLEMAS. Allons donc promptement, vous plaît-il pas Clitandre. CLITANDRE. J'en suis content. ÉLISE, à Polemas. Monsieur avant que de jouirDe ce bien, faites moi la faveur de m'ouir. POLEMAS. Parlez je vous entends. ÉLISE. Monsieur j'ai lieu de craindre Que Clitandre à la fin n'ait sujet de se plaindre :Car pour dire le vrai vous n'aviez pas raison,Pour l'avoir rencontré dedans une maison,Pour la première fois de le vouloir surprendrePour par force aujourd'hui l'avoir pour votre gendre. Ou je jure que lui ni moi ne songions point.Il est très important de résoudre ce point.Puis qu'il faut tout conclure, et que l'heure est si proche,Mettez moi s'il vous plaît à l'abri d'un reprocheQue Clitandre pourrait me faire justement, Il se plaindrait de moi d'avoir légèrementFait contre son vouloir ce fâcheux hyménée,Dont par force il m'aurait la parole donnée.Dites lui donc qu'il est en pleine liberté,Que vous ne voulez point forcer sa volonté, Que tout dépend de lui, qu'il est en sa puissanceDe rompre entièrement ou nouer l'alliance. POLEMAS, à Clitandre. Votre demande est juste, et bien qu'en dites vous ? CLITANDRE. Oui Monsieur je confesse en présence de tousQue volontairement je soumets ma franchise Dessous les douces lois de la parfaite Élise.Que je suis satisfait de ce qui s'est passé,Et qu'à ce mariage on ne m'a point forcé. POLEMAS. Vous ne pouvez, ma fille, espérer davantage. ÉLISE. Monsieur je désirais avoir cet avantage, Par la confession qu'il me fait aujourd'hui,De montrer que c'est moi qui ne veut point de lui,Puis que je le connais jusqu'à ce point infâme,De faire plus de cas des biens que d'une femme. CLITANDRE. Ah, Madame, est-ce ainsi ? ÉLISE. Lâche retirez-vous. POLEMAS. Ma fille modérez ce violent courroux,Vous faites trop de perte en rebutant Clitandre. ÉLISE. Si je perds cet ingrat, je vous redonne un gendreQui sait priser Élise, et trouve plus d'appasEn la vertu que j'ai qu'en dix mille ducats. Enfin c'est Clorimant. POLEMAS. Il est absent. ÉLISE. Mon père,Il n'est pas loin d'ici. Cours et ne tarde guère.Géraste appelle-le. GÉRASTE. Bien Madame j'y cours. CLITANDRE. Consentez-vous, Monsieur à de si lâches tours ?Après tant de devoirs et tant de complaisance. POLEMAS. Ce n'est pas mon dessein d'user de violence,Je lui souffre en ce cas d'agir comme il lui plaît. ÉLISE. Je cherche mon repos, et vous votre intérêt. SCÈNE IX. Clorimant, Élise, Polemas, Diane, Clitandre, Géraste, Ormin, Julie, Pauline, Octave, et accompagnement. CLORIMANT. Par votre mandement je suis venu, Madame,Pour vous dire combien je sens d'aise en mon âme D'avoir su qu'il vous plaît me faire la faveurDe me rendre aujourd'hui bienheureux possesseurDe vos rares beautés sous la loi d'hyménée. DIANE. Quoi donc pour ce sujet m'avez vous emmenée ? CLORIMANT. Madame pardonnez si maintenant mon coeur Se range sous les lois de son premier vainqueur. ÉLISE, à Polemas. Monsieur je mets en vous toute mon espérance. POLEMAS. Si Monsieur veut entrer dedans votre alliance,Il nous honore trop, non non, je ne saurais Jamais avec raison désapprouver ton choix. Si Monsieur m'eut parlé plutôt, j'eusse sur l'heureTerminé cette affaire. CLITANDRE. Ah Clorimant ! je meureSi je suis de votre heur aucunement jaloux.Diane je veux être aujourd'hui votre époux,Je rentre dans vos fers, et j'abandonne Élise. DIANE. Je ne veux point de vous, Monsieur, je suis promise. CLITANDRE. À qui ? DIANE. Ce Cavalier n'est pas bien loin d'ici. CLITANDRE. Madame rêvez-vous ? me raillez vous ainsi ? DIANE. Je ne vous raille point, Monsieur. Parlez OctaveM'estimez vous encor ? OCTAVE. Dieux je suis votre esclave. DIANE. Monsieur je suis à vous, et vous donne la main. CLITANDRE. Vous moquez vous Madame, à quoi bon ce dédain ? DIANE. Clitandre j'aime Octave, et je hais l'inconstance. ORMIN. Elle a raison d'user d'une telle vengeance,Les voulant toutes deux Monsieur, vous voyez bien Qu'en voulant tout avoir vous ne possédez rien.J'y perds beaucoup pourtant puisque je perds Julie :Car ne croisez jamais qu'à d'autre je m'allie. JULIE. Ormin tu m'as quittée et je te quitte aussi. OCTAVE. Va je te veux pourvoir laisse m'en le souci. Un homme qui me sert est ton fait ce me semble. GÉRASTE, à Clorimant. Monsieur voulez vous pas nous marier ensemble,Pauline et moi j'entends. CLORIMANT. Oui Géraste je veuxAussi bien que les miens éteindre tous tes feux. ÉLISE. Amour vous m'octroyez tout ce que je souhaite. CLITANDRE. Que vois-je ? Justes Dieux ! est-ce ainsi qu'on me traite ? ORMIN. Certes nous méritons à ce que je connais,Qu'on se moque, Monsieur, et de vous et de moi. ==================================================