******************************************************** DC.Title = MOLIÈRE À PÉZÉNAS, PROLOGUE DC.Author = PAGÈS, Alphonse DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Prologue DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:47. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/PAGES_MOLIEREAPEZENAS.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** MOLIÈRE À PÉZÉNAS PROLOGUE NE UN ACTE, EN VERS [1866] PAR ALPHONSE PAGÈS PARIS, E. DENTU, ÉDITEUR LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES, Palais Royal, 17 et 19, Galerie d'Orléans. PERSONNAGES MOLIÈRE, M. POREL. POQUELIN, son père. M. RANDOUX. CRESSÉ, son grand-père. M. LAUTE. LA COUTURE, pédant. BÉJART, ainé. M. RICHARD LOUIS. M. MONTLOUIS. DUPARC, M. ROGER. UN ÉCHEVIN, M. PRÉVILLE. DROUILLAC, homme de peine de la troupe. M. CLERH MADELEINE. Melle DAMIAN. GENEVIÈVE. M. SAMUEL. Dans l'édition de référence, cette pièce précède "Le médecin volant" de Molière et l'annonce. MOLIÈRE A PÉZENAS Une salle d'auberge. Porte au fond. Portes sur les côtés. À droite, un fauteuil vu de dos. A gauche, deux chaises, et, sur une table, une collation servie. SCÈNE PREMIÈRE. Drouillac, endormi sur le fauteuil. Au lever du rideau, il ronfle. Entrent POQUELIN et LA COUTURE. POQUELIN, d'un ton lamentable. Donc, affiches, décors, tout est prêt ! LA COUTURE, de même. Heu ! POQUELIN. MalgréMa lettre ! LA COUTURE. Epistola ! POQUELIN. Je suis déshonoré !Jusque sur les Tréteaux suivre cette drôlesse !Mon fils, un Poquelin ! LA COUTURE. Poquelinus ! POQUELIN. Eh ! LaisseCe jargon, La Couture ; après avoir, avec Tes in-quarto véreux, ton latin et ton grec,Empoisonné le fils, respecte au moins le père ! LA COUTURE. Mais, monsieur, le latin... POQUELIN. Le latin m'exaspère ! LA COUTURE, à part. Ignorantus! POQUELIN. Maudit soit le jour où, pousséPar un stupide orgueil, ce vieux fou de Cressé Conduisit, malgré moi, Jean-Baptiste au collège ! LA COUTURE, de même. Blasphème ! POQUELIN. Maudits soient les livres ! LA COUTURE. Sacrilège ! POQUELIN, se jetant à son cou. Mon pauvre La Couture ! LA COUTURE. Ah ! Monsieur, par pitié,Je vous l'ai dit vingt fois, faites-moi l'amitiéDe mettre Métaphraste au lieu de La Couture, Vocable trivial qui rime avec roture ! POQUELIN. [Note : Métaphraste, Syméon : Historien du Xème siècle, né à Constantinople.]Mon pauvre Métaphraste !... - Eh ! le sot confident !Suis-je fou de gémir au cou de ce pédant ! Drouillac ronfle comme au lever du rideau.Nous ne sommes pas seuls. LA COUTURE. Quelle trompette ! POQUELIN, réveillant Drouillac. Hé ! l'homme ! DROUILLAC. Moun boun moussur ? POQUELIN. Comment est-ce que l'on vous nomme ? DROUILLAC. Drouillac, per bous serbi, nascut à Tarascon. POQUELIN. Que dit-il ? LA COUTURE. Nescio. C'est, je crois du gascon. POQUELIN. L'un répond en patois, l'autre en latin harangue ;C'est la tour de Babel : autre bouche, autre langue ! DROUILLAC, avec un accent gascon très fort. Je parle aussi français, moussur. POQUELIN, avec joie. Ah ! DROUILLAC. Sans assent ! POQUELIN. J'aurais besoin de voir, pour un cas fort pressant,Le chef de cette troupe. DROUILLAC. Un grand, fine moustache,Gros sourcils ? LA COUTURE. Juste. DROUILLAC. Il est là-haut qui se harnache. LA COUTURE. [Note : Histrion : Aujourd'hui, comédien, mais avec un sens de mépris. Un vil, un misérable histrion. [L]]Et que prétendent-ils donner, ces histrions ?[Note : Horion : Coup rudement déchargé. [L]]Quelque grosse parade, avec des horions, Des grimaces, des coups de pied au cul, sans doute ? DROUILLAC. Est-ce que je sais, moi ? Ces gens m'ont sur la routeRencontré. J'étais maigre et fait comme un bandit.L'un me bailla du pain. L'autre, le chef, me dit :« Si tu n'es pas trop fier, monte sur ma charrette. » Depuis ce jour, j'ai soin des chandelles, j'apprêteLes costumes, je mets en place les décors ;Je voyage, je bois, je mange... et prends du corps ! POQUELIN. Fort bien ; mais que font-ils devant leur auditoire,Ces bateleurs ? DROUILLAC. C'est comme une espèce d'histoire En conversations, où l'on pleure, où l'on rit,Selon que l'occupant prêche ou fait de l'esprit. LA COUTURE. Invention du diable, et que le ciel condamne ! DROUILLAC. Dieu n'y suffirait pas. Je ne suis point un âne,Et Molière m'a dit qu'on faisait autrefois Des théâtres en marbre où vingt mille bourgeois,Sans bourse délier, tenaient fort à leur aise ! LA COUTURE. Quel Molière ? POQUELIN. Eh ! pour Dieu, laisse-là cette thèse !L'enfant prodigue aimait tes maudites leçons.Harangue-le d'abord de toutes les façons : Moi, je cours retenir sa place à la voiture ;Puis, quand tu l'auras bien sermonné, La Couture,Je parais brusquement sous ses yeux ahurisEt, de force ou de gré, le remmène à Paris ! À Drouillac.Voulez-vous me conduire à travers cette auberge, Dont leurs remparts de corde et leurs cloisons de sergeFont un vrai labyrinthe ? DROUILLAC. Oy, moussur. Fausse sortie. LA COUTURE, lui montrant la table. Qu'est-ce là ? DROUILLAC. Le souper de Molière. LA COUTURE. Encor Molière ! DROUILLAC. Il aSi peu de temps, moussur, qu'il soupe quand et commeÇa se trouve ! LA COUTURE. Un poulet, du bordeaux : le pauvre homme ! SCÈNE II. LA COUTURE, seul. Dans cette mission il faut se montrer fin. S'asseyant à la table.Je lui dirai : « Mon fils, veux-tu mourir de faim ?... »Ce poulet sent fort bon!... « Tu ne pouvais mieux prendre« Que le métier d'acteur... » Mangeant.Et sa cuisse est fort tendre !...« As-tu soif de misère ?... » Buvant.Un bordeaux excellent ! « Eh bien, quand même un jour, à force, de talent,« Ta réputation, mon fils, serait conquise... » Avec colère.Ces baladins, morbleu ! font une chère exquise ! Il boit.Cherchons quelque argument plus significatif.Je lui dirai... Ce vin est un apéritif ! La bouche pleine.Madeleine Béjart et sa soeur GenevièveCourent le Languedoc avec mon ex-élève.On m'a fait de chacune un horrible portrait !En telle compagnie un saint se damnerait,Et Jean-Baptiste est saint... Souriant.Comme moi je suis sobre ! D'un ton tragique.Ah ! Je vous vois d'ici, créatures d'opprobre ! Lentement et avec sourires.Un petit pied mutin passant sous les jupons...Des mains rosés... des dents blanches... des yeux fripons...Un fichu complaisant, où le regard se coule...Brrr ! Rien que d'y songer, j'en ai la chair de poule ! Avec un rire bête, en montrant sa fourchette.La chair de-poule ! Eh, mais, c'est presque un jeu de mots ! SCÈNE III. La Couture, Molière, Cressé. MOLIÈRE. Les comédiens sont d'étranges animaux ;Leur peu d'empressement me met à la tortureEt... Quel est ce monsieur ? LA COUTURE. Poquelin ! MOLIÈRE. La Couture ! Il lui tend les bras. ? Le pédant fait un mouvement pour s'y jeter ; puis, tout à coup, d'un ton solennel. LA COUTURE. Arrière ! je vous dois montrer de la froideur, Et je ne viens ici que comme ambassadeur ! À part.Je suis assez content de ce petit exorde ! MOLIÈRE, à Cressé avec étonnement. Que comme ambassadeur ? CRESSÉ. Attends, que je l'aborde.Ne reconnais-tu pas le... LA COUTURE, de même. Vous êtes Cressé,Grand-père maternel de ce jeune insensé. Factotum et doyen des fous de son cortège ! MOLIÈRE. Monsieur l'ambassadeur, voulez-vous prendre un siège ?On développe mal, debout, ses arguments. LA COUTURE. N'êtes-vous pas honteux de vos débordements,Jean-Baptiste ? MOLIÈRE. Grand-père, ai-je de quelque tache Souillé notre écusson royal ? CRESSÉ. Pas que je sache. LA COUTURE. Pouvez-vous vivre, même en qualité de chef,Avec des gens de sac et de corde ? MOLIÈRE, à Cressé. Joseph,Nicolas et Duparc sortent-ils des galères ? CRESSÉ. Leurs noms sur ces bancs-là ne sont point populaires ! LA COUTURE. Mais les femmes? Je sais par plus d'un connaisseur... MOLIÈRE. Grand-père, qu'ont volé Geneviève et sa soeur ? CRESSÉ. La réputation que font à leurs pareillesLes fats et les porteurs d'excessives oreilles. LA COUTURE. Eh bien, soit le théâtre est un temple, un couvent, Et je le recommande à tout chrétien fervent ;Mais l'État n'admet point encor cette hypothèse ! MOLIÈRE. Récite-nous l'édit du feu roi Louis treize,Grand-père ! CRESSÉ. Seize avril, mil six cent quarante-un...Je passe tout de suite à l'article opportun... Article quatre. En cas que leurs mots et leurs gestesSoient, de tous points, décents, convenables, modestes,Prends les comédiens sous ma protection,Et fais savoir à tous que leur profession,N'ayant plus désormais rien d'abject ou d'infâme, Ne leur doit, dans le monde, attirer aucun blâme ! MOLIÈRE. Eh bien ? LA COUTURE, à part. Dois-je répondre ou lui tourner le dos ? MOLIÈRE, avec ironie et en versant à boire à La Couture. Monsieur l'ambassadeur, vous aimez le bordeaux ? LA COUTURE, avec humeur. Eh ! Sans doute ! MOLIÈRE. Mon cher, tu plaides mal ta cause ! LA COUTURE. Moi ? MOLIÈRE. Demande à grand-père. CRESSÉ. Une pareille glose Offrait mille arguments neufs ou rapetassésEt le pauvre garçon n'en a point dit assez.Ce serait charité de lui venir à l'aide ! MOLIÈRE. Écoute-moi. Je suis La Couture, et je plaide,Tour à tour familier, noble, dur ou câlin, Contre Poquelin fils, acteur, pour PoquelinPère, valet de chambre et tapissier du Louvre ! CRESSÉ. Du Louvre !... Tapissier ! Messieurs, qu'on se découvre ! MOLIÈRE. Je commence : ... Imitant la voit et les gestes du pédant.Ô mon fils ! Vers quel gouffre cours-tu ?Theatrum, le théâtre, ars digna contemptu, Id est art méprisable, est l'ultime ressourceDe tous les meurt-de-faim qui n'ont ni sou, ni bourse ;C'est le refugium, honni du monde entier,Où court tout paresseux qu'épouvante un métier !Les grands seigneurs, dis-tu, hantent fort vos coulisses ? Oui, par libertinage, et vous êtes complicesDes propos scandaleux qu'on y tient chaque soir ;Le parterre à vos nez donne de l'encensoir ;Mais devant ce public, toujours sur la réserve,Il vous faut, triste ou gai, montrer la même verve, Et votre adorateur n'est qu'un maître exigeantQui veut, selon son droit, rire pour son argent ! LA COUTURE, se levant. Bravo, mon fils! Voilà comme je les éduque ! CRESSÉ. Voilà comme on réchauffe une cause caduque ! LA COUTURE. Mais que répondras-tu, drôle, à ce plaidoyer ? MOLIÈRE. Que distraire étant plus habile qu'ennuyer,Un bon comédien mérite fort sa vogueEt vaut à tout le moins un mauvais pédagogue ;Que la meilleure chose a quelque méchant bout ;Et que l'on trouve enfin d'honnêtes gens partout ! SCÈNE IV. Les mêmes, Béjart aîné, Louis, Madeleine et Geneviève, qui sont entrés pendant les derniers mots de la scène précédente. MOLIÈRE. Témoin Joseph Béjart, auteur de deux volumesSur les titres, blasons, qualités et costumesDes prélats et marquis de l'ancien Languedoc ! LA COUTURE. Un acteur peut donc être idoneus ad hoc ! BÉJART. Monsieur fait les pédants ? LA COUTURE. Oui, Monsieur... dans le monde. CRESSÉ. Témoin Louis Béjart, dont le discours abondeEn mots spirituels, et qu'on a baptisé,Dans tout ce Languedoc, du nom de L'Éguisé ! LA COUTURE, leur tendant une main à chacun. Touchez là : j'aime fort l'esprit et la science. LOUIS. Vous en êtes le trait d'union ! MOLIÈRE. Patience ! Vous vous embrasserez, camarades, plus tard.Je termine. Témoin Madeleine Béjart,Auteur d'un Don Quichotte estimé du parterre,Femme de jugement, femme de caractère,Femme !... LA COUTURE, bas à Molière. L'embrasserai-je aussi ? CRESSÉ. Témoin sa soeur, Geneviève Béjart, un ange de douceur,Qui, du reste, au couvent a fait toutes ses classes ! LA COUTURE. Encore une Béjart, et ce seront les Grâces ! À Molière.Ton vin, Dieu me pardonne! au cerveau m'a monté! MOLIÈRE. Bois-en le dernier verre à la prospérité De ce groupe immortel qu'un public idolâtreNe nomme plus déjà que l'Illustre théâtre. LA COUTURE, avec solennité. Mesdames et messieurs, je bois ce reliquat... SCÈNE V. Les mêmes, Duparc, entrant précipitamment. DUPARC. Nicolas Bonenfant, qui jouait l'avocat,Vient de faire une chute et s'est démis l'épaule ! MOLIÈRE. Ah ! Le pauvre garçon ! BÉJART. Dieu, quel malheur! CRESSÉ. Un rôleNécessaire peut-être au Médecin volant ! LOUIS. Un si bon camarade ! MADELEINE. Un si rare talent ! GENEVIÈVE. Et loin de sa famille, inconnu, sans ressource ! MOLIÈRE. Cours vite, cher Duparc, lui porter cette bourse. DUPARC. Mais si je manque, alors qui fera Gros-René ? CRESSÉ. C'est juste ! Moment de silence.Mes enfants, je suis illuminé ! On se groupe autour de lui et de Molière auquel il parle bas. MOLIÈRE, l'écoutant. Superbe... Magnifique... Au cas... On n'entend pas le reste de la phrase. CRESSÉ. Je te renie. MOLIÈRE. Vous êtes simplement un homme de génie ! SCÈNE VI. Les mêmes, moins Cressé qui sort après avoir pris la bourse et échangé quelques mots avec Duparc. MOLIÈRE. Camarades !... Monsieur parle latin ! LA COUTURE. Et grec. MOLIÈRE. Dates, chiffres, noms, faits, rien ne peut en échecMettre cette mémoire étonnante ! Moi-même,Je l'ai vu réciter par coeur tout un poèmeSur la conversion du fameux Attila,Qu'il écrivit, n'étant pas plus haut que cela ! LA COUTURE. Moi, j'ai fait un poème ? MOLIÈRE. En vers latins ! LA COUTURE. J'atteste... MOLIÈRE. Eh ! Mon Dieu, nous savons que vous êtes modeste !Attila !... LA COUTURE. J'ignorais qu'il se fût converti. MOLIÈRE. Aussi bien n'étiez-vous alors qu'un apprenti ;Mais avouez du moins, ou je fais du tapage, Qu'un clin d'oeil vous suffit pour apprendre une page ! LA COUTURE, se récriant. [Un] clin d'oeil ! MOLIÈRE. Moins encore ! Et de plus, bien qu'il n'aitDéclamé jusqu'ici que dans son cabinet... LA COUTURE. Ah ! Pardon, permettez que je vous interrompe.Au collège de Blois j'ai joué Théopompe, Tragédie héroïque en distiques latins !Et l'on y parle encor du succès que j'obtins !Théopompe est rempli de superbes tirades. GENEVIÈVE. Dites-nous-en quelqu'une ? LA COUTURE. O terque... MOLIÈRE. Camarades,L'heure presse... LA COUTURE. O terque... MOLIÈRE. Serrons-lui tous la main Car de tous les mortels voici le plus humain ! BÉJART. Parle plus clairement ! MOLIÈRE. L'embarras où nous sommesTouche le brave coeur du plus docte des hommes ;Et, n'écoutant plus rien que ce coeur délicat,II veut bien condescendre à jouer... l'avocat ! MADELEINE et DU PARC. Ah ! Monsieur !... Molière parle bas a Duparc qui disparaît un moment, et revient avec le costume de l'avocat. LOUIS et GENEVIÈVE. Recevez !... LA COUTURE. Quel avocat ? BÉJART. Le rôleDu malheureux acteur qui s'est démis l'épaule. LOUIS. Il s'agit de parler latin comme un psautier ! BÉJART. D'apprendre en on quart d'iieure un rôle tout entier ! LA COUTURE. Qui ? Moi, sur les tréteaux ? MOLIÈRE. Cher maître ! LA COUTURE. Tu te joues ! MADELEINE. Nous vous embrasserons ! LA COUTURE. Hein ? quoi ? GENEVIÈVE. Sur les deux joues MOLIÈRE, à Geneviève. Allons, ferme ! Le gars commence à s'émouvoir. GENEVIÈVE, le caressant. Cher monsieur ! MADELEINE, de même. Par pitié ! LA COUTURE. Baisez d'abord... pour voir ! Elles l'embrassent en même temps chacune sur une joue. Grimace de jubilation du pédant. MADELEINE et GENEVIÈVE. Il consent ! LA COUTURE, se récriant. Je... TOUS. Merci ! GENEVIÈVE, lui passant la robe par-dessus ses habits. Mettez-moi ce costume ! LA COUTURE. Mais... MADELEINE. Vous êtes encor plus beau que de coutume ! GENEVIÈVE. Le rabat ! LA COUTURE. Permettez ! MADELEINE. Dieu ! Comme il vous va bien ! LA COUTURE. Je... GENEVIÈVE. Le chapeau ! LA COUTURE. De grâce ! MADELEINE. Il ne manque plus rien ! On entraîne le pédant. - Madeleine et Geneviève le tiennent chacune sous un bras. - Duparc précède ; les deux Béjart suivent. MOLIÈRE, pressant la sortie. Que l'avocat se taise ou qu'il s'opiniâtre,La cause est entendue : au théâtre ! au théâtre ! SCÈNE VII. Molière, L'Échevin. L'ÉCHEVIN, bégayant un peu. Vous êtes Mo-olière ? MOLIÈRE, qui s'est arrêté sur la porte, au bruit de la cannade l'échevin. Oui, monsieur. L'ÉCHEVIN. J'ai-ai droit, En ma qua-alité d'échevin de l'endroit,Au siège le plus haut de toute la-a salle. MOLIÈRE. On vous garde une chaise antique et colossale,Où s'est assis le roi Henri quatre ! L'ÉCHEVIN. Fort bien.[Note : Jodelle, Étienne (1532-1573) : auteur dramatique et poère qui écrivit L'Eugène (comédie), et deux tragédies Cléopâtre capitive et Didon se sacrifiant.][Note : Monchrétien, Antoine de (1575-1621) : auteur dramatique et poère qui a donné sept pièces de théâtre.]Est-ce du Jo-odelle ou du Monchré-étien Que je vais ou-ouïr ? MOLIÈRE. Mieux encor : la merveilleDe nos jours. L'ÉCHEVIN. Quo-oi donc ? MOLIÈRE. Le Menteur, par Corneille.Mais nous jouons d'abord une farce de moi,Où tout le monde rit, sans trop savoir pourquoi,Et que des gens de goût, monsieur, comme vous-même, Ont applaudie avec une indulgence extrême. L'ÉCHEVIN. Ah! vous compo-osez des farces ? Directeur,Co-omé-édien et, de plus, au-auteur !C'est plai-aisant ! MOLIÈRE. Plaisant, si cela peut vous plaire ! L'ÉCHEVIN. La fa-arce convient pour le po-opulaire ! MOLIÈRE. Monsieur le cardinal Mazarin l'aime fort. L'ÉCHEVIN. Monsieur le cardinal Maza-arin a tort ! MOLIÈRE. Pour cette pauvre farce on est vraiment injuste !Elle est grossière, soit : mais jeune, mais robuste !L'auteur n'y fait mouvoir que des types connus, Oui : mais les coeurs en eux se laissent voir tout nus!Elle amuse toujours ; bien souvent elle éclaire.Ah ! ne dédaignons pas ce genre populaire,Si sérieux au fond, dans la forme si gai !Qui sait si, quelque jour, le public, fatigué Des stériles efforts d'un art en décadence,Ne regrettera point sa naïve abondance?D'outrer le ridicule on lui fait un grief :C'est grâce à ce défaut qu'il le met en relief!Son langage est brutal : mais cette rude écorce Du tronc qu'elle recouvre accusa au moins la force! L'ÉCHEVIN. Comme vous plai-aidez ! MOLIÈRE. Monsieur, j'ai fait mon droit. L'ÉCHEVIN, à part. Je n'augure pas bien de ce mala-adroit,Qui donne au Men-enteur le nom de mé-erveille,Et veut qu'on le-e joue a-avant Co-orneille! SCÈNE VIII. Les Mêmes, Cressé. CRESSÉ. Ouf ! MOLIÈRE. Le malade ? CRESSÉ. Dieux. Le pédant ?... MOLIÈRE. Converti ! CRESSÉ. Bien !... Nous avons ce soir... le prince de Conti ! L'échevin, à cette nouvelle, fait un bond, essaye en vain de parler et sort précipitamment. MOLIÈRE, avec enthousiasme. Grand-père, si ce soir Armand de Bourbon, princeDe Conti, gouverneur royal de la province,Reconnaît son ami de collége... Tu ris ? CRESSÉ. Eh bien ? MOLIÈRE. J'ai, dans trois mois, un théâtre... à Paris ! SCÈNE IX. Les Mêmes, Poquelin. POQUELIN. À Paris, oui, mon fils, c'est là que je t'emmène ! MOLIÈRE. Ciel, mon père ! CRESSÉ. Mon gendre ! POQUELIN. Oublier Melpomène,Et, reprenant mon fonds, qui tombe en désarroi.Faire la couverture et les meubles du roi ! MOLIÈRE. Mon père ! À part.En a-t-il plein la bouche, avec ses titres ! POQUELIN. Eh bien ? MOLIÈRE. Je suis vraiment fâché... POQUELIN. Tu récalcitres ? MOLIÈRE, à part. Quel beau verbe ! Haut.J'avoue... POQUELIN. Est-ce un refus ? MOLIÈRE. Direct ! POQUELIN. Eh ! quoi, fils imprudent, tu manques de respectÀ ton père ! Apercevant Cressé.Ah ! C'est vous, honte de deux familles ! Vieux fou qui, par le monde, allez traînant des filles !Ne rougissez-vous pas... MOLIÈRE. Gendre peu circonspect,À ton beau-père, quoi ! tu manques de respect ! POQUELIN. C'est lui qui vous menait, à l'heure où l'on se couche,Monsieur! voir au Pont-Neuf le fameux Scaramouche ! C'est grâce à lui, monsieur! qu'encore galopin,Gros-Guillaume, Gaultier-Garguille et TurlupinVous étaient familiers plus que la causerie,Monsieur ! Des bonnes gens de notre confrérie!C'est lui qui, vous mettant au collège à Clermont, Monsieur ! vous rendit fier, moqueur et rodomont!C'est lui qui vous a fait ce qu'on vous voit en somme! CRESSÉ. C'est-à-dire un coeur d'or, et peut-être un grand homme ! POQUELIN, à Molière et sans écouter son beau-père. Les Poquelins, Monsieur ! J'en ai fait le calcul,Comptent huit échevins, trois juges, un consul, Fonctions qui parfois mènent à la noblesse!Ce nom... MOLIÈRE. Ce nom, pour Dieu, mon père, on vous lelais?e!Je m'en passe fort bien, malgré tous ses appas ! POQUELIN. Eh ! Pour notre malheur, ne le portez-vous pas! MOLIÈRE. Ce serait le traiter de façon cavalière : Vous êtes Poquelin ! Je m'appelle Molière. POQUELIN. Molière ?... MOLIÈRE. L'heure passe, et mon public attend.N'embrasserez-vous pas le pauvre débutant,Qui doit à ce public faire bonne figure ? CRESSÉ. Ce baiser-là, pour lui, serait d'heureux augure ! POQUELIN. Abandonne d'abord ta chimère, c-t reprendsLe métier où se sont enrichis tes parents ! CRESSÉ. Eh ! mon gendre...? POQUELIN. J'ai dit ! MOLIÈRE. Allons, je désespèreQue vous changiez jamais de langage, mon père !Eh bien, sachez-le donc, quand même je devrais Jouer la comédie au fond des cabarets ;N'avoir jamais le temps que d'improviser presque,Pour un public naïf, quelque farce grotesque ;Retrouver à Paris monsieur Loyal, huissier,Qui, s'entendant avec maître Antoine Fassier Auquel nous redevions quelques cents de chandelle,Me Ct loger gratis dans cette citadelleQu'on nomme élégamment le Petit-Chatelet :Je ne quitterais pas, mon père, s'il vous plaît,Ces braves qui, malgré fatigues et souffrance, Pour suivre ma fortune, ont fait le tour de France ;Car je les eusse mis moi-même en un guêpier...Car j'aime cent fois mieux être acteur... que fripier ! POQUELIN, avec fureur. Fripier!... Monsieur... ! MOLIÈRE. J'ai dit ! POQUELIN. Qu'a donc fait La Couture ? SCÈNE X. Les Mêmes, La Couture, titubant un peu, Duparc, apportant le pourpoint, le manteau et la toque de Sganarelle, dont il habille Molière, avec l'aide de Cressé. LA COUTURE. Dignus gubernator noster, je conjecture Que la foule, animal au courroux fort enclin,Va, si l'on ne commence... Ah ! c'est vous, Poquelin ?Je suis on ne peut plus char... POQUELIN, le prenant a la gorge. Vous êtes un drôle ! LA COUTURE. Je vous jure, monsieur... POQUELIN. Quoi ? LA COUTURE. Que je sais mon rôle. POQUELIN. Il est ivre, ils sont fous, et je suis hors de moi ! LA COUTURE. Vous ne savez donc rien ? POQUELIN. Quoi ? LA COUTURE. L'édit du feu roi ! CRESSÉ. Mil six cent quarante-un ! LA COUTURE. L'excellente familleDes Béjart, qui d'esprit et de grâces fourmille ;Que le métier d'acteur est un métier divin ! POQUELIN. Retirez-vous, lourdaud, vous empestez le vin ! À Molière.Pour la dernière fois !... On entend l'orchestre qui accompagne en sourdine la fin du prologue. CRESSÉ. La musique commence ! LA COUTURE. Venez rire, monsieur ! MOLIÈRE. Père, un mot de clémence !Si Molière, l'acteur, le poète, insultéDans sa profession et dans sa dignité,Redresse hautement son front sous l'anathème... Lui prenant la main.Votre fils Poquelin vous respecte et vous aime! Il se jette au cou de son père qui se laisse embrasser avec un peu de mauvaise grâce, mais lui rend son baiser. Molière se dirige ensuite vers Cressé et La Couture qui l'attendent au fond du théâtre. POQUELIN, se croyant seul. Il m'aime... Avec le temps nous réussirons bien... MOLIÈRE, avant de sortir. Jamais ! POQUELIN. Ce garçon-là ne fera jamais rien ! Il sort précipitamment. L'orchestre cesse de jouer en sourdine. Le décor fait place à celui du Médecin volant. ==================================================