******************************************************** DC.Title = ÉSOPE AU PARNASSE, COMÉDIE DC.Author = PESSELIER, Charles-Étienne DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:02:18. DC.Coverage = Pays mythologique DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/PESSELIER_ESOPEAUPARNASSE.xml DC.Source = http://contentdm.warwick.ac.uk/cdm/ref/collection/Ancien/id/14062 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ÉSOPE AU PARNASSE COMÉDIE Représentée pour la première fois, sur le Théâtre de la Comédie Française, le 14 Octobre 1739. Nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée DE DEUX RÉPONSES. La première, à l'Auteur du POUR et CONTRE. La seconde, à la Lettre écrite par Madame la Marquise Du..., à une de ses Amies. M. DCC. XL. Avec Approbation et Privilège du Roi. De Monsieur PESSELIER À PARIS, Chez PRAULT père, Quai de Gêvres au Paradis. Représentée pour la première fois, sur le Théâtre de la Comédie Française, le 14 Octobre 1739. RÉPONSE DE L'AUTEUR D'ÉSOPE AU PARNASSE, À la Lettre que Madame la Marquise Du*** a écrite a sujet de cette pièce, à une de ses amies. MADAME, Que je sais bon gré à votre amie, de la petite infidélité qu'elle vous a faite, en publiant votre Lettre, puisqu'elle m'a procuré le plaisir de la lire, et d'en profiter. Vous avez pu juger, Madame, par la troisième scène de cette pièce, combien je fais cas du suffrage et de la censure de votre Sexe. En effet, "Quelle est, de chaque Auteur, la principale affaire ? De vous faire approuver le fruits de leurs travaux. C'est vous qui nous aidez à vaincre nos Rivaux." Je vous avoue néanmoins, que votre Lettre m'a embarrassé : Vous m'avez paru d'abord décidée contre la pièce, mais ce n'était point sans quelque retour en ma faveur, puisque je vous ai vue ensuite prodiguer à l'Ouvrage et à l'Auteur, des éloges qu'ils ne méritent ni l'un ni l'autre. Vous ne trouvez point assez de Comique dans Ésope au Parnasse. Disons mieux : vous n'en trouvez point du tout. J'avoue qu'il n'offre point celui des situations, ni celui des plaisanteries qui font rire par éclats ; mais ce Comique, est-il le seul qui soit de mise ? Celui qui fait rire l'esprit, n'est-il pas, à beaucoup d'égards, préférable à l'autre ? Je ne croirai jamais, Madame, que vous ayez pu vous étonner un seul instant, du Personnage d'Esope débitant des Fables sur le Théâtre Français ? Pouvait-il y faire autre chose ? Et n'étais-je pas suffisamment autorisé par l'exemple d'Esope à la Ville et d'Esope à la Cour, de Monsieur Boursault, que j'aurais voulu pouvoir imiter en tout, comme je le témoigne moi-même par ces Vers de la première scène. Je recevais alors d'un plus heureux Génie Des secours, que le Ciel aujourd'hui me dénie. Un jeune homme (Eraste) sans monde, sans expérience, qui croit les Vers indispensables pour les amants, n'était-il pas du ressort d'Esope au Parnasse, et puis-je me repentir d'y avoir fait entrer une scène qui a principalement fait envisager en moi les bons sentiments que vous daignez, Madame, y remarquer ? J'ai cru m'apercevoir d'ailleurs, que cette scène intéressait également l'un et l'autre sexe: serez-vous la seule personne qui la désapprouve ? Eh ! Si quelqu'un avait à la critiquer, fallait-il que ce fut une Dame ? La Fable du Pigeon décide le contraire. Enfin, Madame, vous refusez impitoyablement à ma pièce, le titre de Comédie. Je ne chicanerai point sur les termes ; nommez-la comme il vous plaira, pourvu qu'elle ait le bonheur de vous plaire, et que le Public veuille bien lui accorder ses suffrages. On m'a fait la même objection lors de l'Ecole du Temps*. J'y ai répondu de mon mieux, d'après Monsieur de Boissy, que vous louez, Madame, avec tant de raison. Il a essuyé le même reproche sur ses pièces épisodiques, auxquelles il a cru pouvoir donner le titre de Comédies. Je n'ai donc rien innové en ce genre. Je reconnais avec vous que ce n'est pas le meilleur à beaucoup près. Je conviens aussi, du fond du coeur, que je ne possède point les talents aimables et brillants qui ont fait réussir Monsieur de Boissy. Mais remarquez, s'il vous plaît, Madame, que les anecdotes dont cet ingénieux auteur a si bien su faire usage dans ses pièces épisodi-allégoriques, (comme vous les nommez) en ont rendu la réussite encore plus éclatante ; j'ai suivi d'autres idées. Mon plan n'étant que de saisir le côté moral du Parnasse, je me suis abstenu des scènes que l'on nomme Vaudevilles, et qui jettent dans ces sortes de pièces, cette vivacité, cet enjouement, que vous désiriez dans la mienne. Vous observez judicieusement, Madame, que ce mauvais genre de Comédies (passez-moi le dernier mot) a été imaginé par la paresse et par l'indigence des auteurs. Voilà mon portrait en deux mots, et peut-être aussi mon apologie. Oui, Madame, je suis cet Auteur Paresseux, que les difficultés d'une intrigue ont souvent rebuté. Je suis cet auteur indigent, qui, manquant de ressource, se sauve comme il peut. Ajoutez à cela, un peu de prudence qui m'a retenu jusqu'à présent dans une sphère plus commode et plus convenable à la portée de mon imagination. Il faut savoir essayer son vol, et ne pas le mesurer toujours à son ambition. Au surplus, savez-vous bien, Madame, que sur votre parole on va me prendre pour un Novateur, qui veut anéantir le goût de la bonne Comédie ; et en vérité, c'est en tout sens, me rendre un fort mauvais office. D'un côté, le rôle que vous me prêtez n'est point dans mon sentiment ; et de l'autre, il faudrait un meilleur acteur que moi pour faire valoir un si mauvais Personnage. Trouvez bon que je me renferme dans ce qui me regarde, sans jamais oser lever sur la scène, l'étendard de la sédition. J'aurais mieux aimé, à vous dire le vrai, que votre attention pour moi se fut tournée du côté des fautes de détail, que vous avez, dites-vous, remarquées dans ma pièce. Permettez que je vous dise qu'il y a de votre part un peu de cruauté, de ne me point indiquer les Pensées fausses qui sont dans Ésope au Parnasse. Vous m'abandonnez précisément où votre secours me serait le plus essentiel. Mais je vous dois toujours beaucoup, puisque vous avez la bonté de me rendre justice sur le seul point dont je sois jaloux. Ce sont les sentiments. C'est la seule espèce de louanges que j'ai toujours ambitionnée. L'indulgence que vous avez pour la faiblesse de mon âge et de mes talents, vous en fait concevoir une idée que je voudrais pouvoir réaliser un jour. À tout hasard, j'accepte l'augure ; puisse-t-il s'accomplir ! Vous, Madame, soyez la Muse à qui j'aurai dû une si bonne inspiration ! J'ai l'honneur d'être très respectueusement, MADAME, Votre très humble, etc. À MES AMIS, Si je voulais marche dans la route ordinaire, L'arrogante Opulence, ou la fière Grandeur, Obtiendrait de ma Muse un encens mercenaire Que démentirait ma candeur ; Mais, grâce aux sentiments, qu'avec des traits de flamme, Vous avez, gravez, dans mon âme, Un autre chemin m'est prescrit : Votre esprit a guidé le mien dans cet écrit ; Mon coeur reconnaissant au votre le dédie En tête de ma Comédie, Tout autre nom serait proscrit. Eh ! De quelle folle espérance Peuvent se nourrir les Auteurs, Qui, sur d'autres appuis, fondent leur assurance ? Un seul, un seul ami vaut mille protecteurs. Mais, que dis-je? Eh! qui peut protéger un Ouvrage, Mieux que la sincère amitié, De la chute accablante, et du brillant suffrage, Elle partage la moitié. Elle fait plus, elle dirige, Elle assure nos pas dans le sentier glissant Qui conduit sur la scène un poète naissant : C'est elle aussi qui nous corrige, Qui, sur les faibles traits, cent fois passe et revient. C'est elle qui pour nous sollicite et prévient Ce maître qu'à la fois je crains et je révère ; Ce parterre équitable, éclairé, mais sévère, Qui, des Fils d'Apollon, dans ses mains tient le sort, Et les juge en dernier ressort. Je vous ai vu toujours, contre ma négligence, Antagoniste généreux, Pour mon propre intérêt, agir d'intelligence : Avec moi, censeurs rigoureux ; Vis-à-vis du public, amis pleins d'indulgence. Ainsi mon esprit et mon coeur, Doivent tout, l'un et l'autre, à ce zèle vainqueur Qui, pour moi, jamais ne vous quitte. Quant à l'esprit, en ce moment, Pour une Fable seulement, Permettez qu'il demeure quitte. Quant aux dettes du sentiment, J'entends les payer autrement : C'est le coeur seul qui les acquitte. LA VIGNE ET L'ORMEAU. FABLE. Je ne sais où j'ai lu, qu'un jour, certain Ormeau, Dont le secourable rameau Soutenait, sans orgueil, une Vigne naissante, Lui dit: Eh ! De grâce, apprends-moi, Ma chère voisine, pourquoi, Déjà fertile et florissante, Quoique si jeune encor, par un rare bonheur, Tu deviens, de ton Maître, et l'espoir, et l'honneur ? Ah ! Qu'il est beau, répond la vigne, De méconnaître ainsi le prix de ses bienfaits ! Mais des tiens, cher Ormeau, je me rendrais indigne, Si je ne publiais les biens que tu m'as faits. Eh ! Que serais-je devenue, Si, contre les fiers Aquilons Qui désolent ces beaux vallons, Tu ne m'avais pas soutenue ? C'est au solide appui d'un généreux voisin, Que je dois le bonheur dont il me félicite. Cette vigne devait, à l'ormeau, son raisin, Ma pièce, à mes Amis, a du sa réussite. RÉPONSE DE M. PESSELIER À la Lettre de l'Auteur du POUR et CONTRE Sur la Comédie d'Esope au Parnasse. MONSIEUR, Je ne mériterais point la peine que vous avez prise d'extraire ma pièce avec attention, et la bonté que vous avez eu de m'en faire remarquer les défauts, si je ne vous en faisais aujourd'hui mes sincères remerciements. J'étais déjà disposé à vous écouter comme homme de Lettres ; le titre d'ami que vous voulez-bien prendre avec moi, et que je voudrais pouvait mériter, augmente encore ma confiance et ma docilité. Permettez néanmoins que je vous fasse quelques observations ; je vous supplie de les envisager moins comme une justification dans les formes, des endroits que vous critiquez, que comme des éclaircissements qui pourront les faire trouver plus supportables. Je vous avouerai d'abord mon erreur au sujet du titre de la pièce ; j'ai crû l'avoir rempli. Je n'ignore pas qu'il y a beaucoup d'autres choses à dire, pour la Réforme du Parnasse, mais toutes n'auraient pas été théâtrales. Je doute, par exemple, que les Arts et les Sciences (j'entends, comme vous, ceux qui les professent et qui les cultivent) je doute, dis-je, que de pareils objets eussent pu figurer agréablement sur la scène ; les Personnages que vous indiquez auraient peut-être fourni d'excellents Dialogues, mais auraient-ils produit des scènes intéressantes pour tout le monde ? D'ailleurs, daignez faire attention, Monsieur, que je n'ai saisi que le côté Moral du Parnasse, et que je n'ai point eu en vue le côté Littéraire. Plusieurs personnes croyaient que ma pièce serait une censure des ouvrages du temps ; la matière eût fourni suffisamment, et j'y aurais gagné en un sens : mais toutes réflexions faites, j'ai cru que l'on me saurait bon gré de m'attacher à la critique des moeurs, préférablement à celle des ouvrages d'esprit, par la raison qu'Esope dit lui-même au petit-maître Auteur. Qu'il est moins glorieux de se voir le vainqueur Des défauts de l'esprit, que des vices du coeur. J'ai senti comme vous, Monsieur, les inconvénients de l'allégorie que j'ai employée pour lier, en quelque façon, les scènes de ma pièce ; mais je vous avoue que mon imagination ne m'ayant malheureusement rien fourni de mieux, j'ai cru devoir en faire usage, plutôt que d'offrir au Public des scènes absolument détachées, une pièce sans dénouement : car, a tout prendre, on peut donner ce nom à la réconciliation de la Rime et de la Raison. Je ne passerai pas si facilement condamnation sur la scène de la jeune veuve ; pardonnez-moi, Monsieur, cette petite résistance ; ne fût-ce qu'en faveur de ce sexe aimable, qu'à mon âge (comme vous le dites fort bien) on ménage avec une attention toute particulière. Eh ! Quel est le temps où l'on ne cherche point à le mettre dans son parti ? Cette scène est du ressort d'Ésope au Parnasse, dans un siècle. Où le Sexe, au Parnasse, a fourni des Saphos. Je me félicite d'avoir su intéresser pour quelque chose les Dames, à une pièce, dont le Titre seul pouvait les rebuter. À l'égard de la Scène de Trotenville, à l'exception de la tirade que vous adoptez vous-même, elle n'a jamais été de mon goût. Je l'aurais traitée plus noblement, s'il n'eût fallu jeter du Comique, dans une pièce, déjà trop sérieuse par elle-même. J'étais d'ailleurs obligé d'obéir aux circonstances. Ma Pièce a été jouée dans une saison qui exigeait certains ménagements pour les acteurs que j'avais à placer. J'en perdais un excellent dans son genre, sans la scène de Trotenville, le seul rôle qui peut lui convenir. Il faut économiser dans un temps d'adversité. Je dirais les même choses en faveur de la scène du Libraire, si je pouvais convenir qu'elle ait été capable de faire tort à la pièce, avec le tour ingénieux que vous voulez bien lui prêter. La scène du jeune homme qui demande de l'esprit, entrait naturellement dans le plan moral que je m'étais tracé, puisque, de votre aveu, Monsieur, elle amène l'occasion d'établir la prééminence que le Coeur a sur l'Esprit. Au surplus, Monsieur, sans adopter dans toute leur étendue, les éloges dont vous honorez ce petit ouvrage, je souscris avec plaisir à la critique que vous en faites, loin de la trouver trop sévère. Je n'ai à me plaindre que de n'être point en état de faire oublier par de meilleurs écrits, les fautes que vous me reprochez avec autant de justesse que d'indulgence. C'est en m'efforçant de mettre vos conseils à profit, que je veux prouver combien j'en suis reconnaissant. Mais comme vous m'avez obligé publiquement, permettez que votre feuille instruise le public de ma sincère reconnaissance. J'ai l'honneur d'être, très sincèrement, Monsieur, Votre, et c. ACTEURS APOLLON. LA RAISON. LA RIME. ÉSOPE. CIDALISE, jeune Veuve. TROTENVILLE, Courrier du Parnasse. ÉRASTE, jeune homme simple. MONSIEUR DESBROCHURES. VALÈRE, Petit-maître, Auteur. DANSEURS, amenés par la Raison. CHANTEURS, amenés par la Raison. La scène est à Paris. SCÈNE PREMIÈRE. Apollon, Ésope. APOLLON. Eh, quoi ! Sans me parler, sans paraître à mes yeux,Ésope allait partir ? ÉSOPE. Les favorables DieuxSouvent à nos regards s'offrent par indulgence ;Mais l'Homme, Être imparfait, et faible intelligence,D'un habitant des Cieux doit redouter l'aspect, Et d'un Être si grand s'éloigner par respect. APOLLON. C'est trop de modestie et trop de retenue ;La gloire de ton nom est ici parvenue.Oui, je sais les bienfaits que la SociétéReçoit de ton génie et de ta probité. Demeure dans ma Cour, et sois sûr d'une placeDigne de tes vertus. ÉSOPE. Moi, rester au Parnasse !Ah ! Seigneur, ma franchise aurait pour ennemisPresque tous les auteurs à vos ordres soumis.Exempt du vain désir d'une gloire incertaine, Celui d'entretenir l'ingénu La FontaineDans le savant Empire, a seul guidé mes pas :Je retourne content. APOLLON. Tu ne partiras pas.Écoute le dessein que mon coeur se propose,Et le tien chérira la loi que je t'impose, De la Fable tu fus le premier inventeur ;C'est à toi que l'on doit le système enchanteur ;Les aimables leçons d'une PhilosophieQui parle au coeur avant que l'esprit s'en défie :Sublime dans sa fin, simple dans ses discours, Pour orner la Raison, l'Apologue a recoursÀ tout ce que l'on voit, à tout ce qui respire,Et tient le monde entier soumis a son Empire ;Dans ses mains le plaisir produit l'instruction.Toujours supérieure à la distinction, Des rangs et des humeurs, des sexes et des âges,Dans la pompe des Cours, dans l'ombre des villages.La Fable se distingue, et le bien des ÉtatsL'élève quelquefois jusques aux potentats.Au Parnasse, dis-moi, seras-tu moins sincère ? Ton secours, cher Ésope, ici m'est nécessaire ;À mes ordres pressants voudrais-tu t'opposer ? ÉSOPE. De mon faible talent vous pouvez disposer :Mais puisque l'Apologue est vu d'un oeil affable,Permettez-moi, Seigneur, de vous dire une fable. LE MOUTON REFORMATEUR. Quelque part j'ai lu qu'un mouton, Sincère, simple, et bonne, bête, Choqué des moeurs du temps, se mit un jour en tête Caton [-234 - -149] : surnommé l'Ancien ou le Censeur, romain célèbre par ses vertus, né à Tusculum, l'an 234 av. J.-C. d'une famille obscure. Il mourut l'an 149 après J.-C. à 85 ans. Censeur, il exerça ses fonctions avec une sévérité qui passa en proverbe. D'exposer, moderne Caton, Aux autres animaux les dogmes de Platon. Un Mouton, Orateur, n'était chose ordinaire; Car on n'ignore pas que malheureusement L'esprit et le savoir habitent rarement Avec une humeur débonnaire, On affiche donc en tous lieux Ce phénomène curieux. Dans tel Pré, tel jour, à telle heure, Maître Robin Mouton en public parlera. Pas un des Animaux ne fut pris en demeure; Lions, Ours et Renards, Singes, et cetera. Notre Réformateur, à ce que dit l'Histoire, Eut un fort nombreux Auditoire. Il tança de chaque animal Ou le ridicule, ou le vice, Et même il ne parla pas mal Pour un Orateur si novice. Mais quel fut le succès ? Le malin auditeur, Sans songer aux discours, critiqua l'Orateur. L'un, c'est la voix, l'autre, le geste, D'autres, le style, ainsi du reste : En un mot, tant fut procédé, Que le pauvre Mouton de fatigue excédé, Regrettant, mais trop tard, l'inutile dépense De ses préceptes superflus, S'en fut, et n'emporta, pour toute récompense, Que des ridicules de plus. De cette Fable je conclus,Que vouloir réformer les autres,Est toujours, quoiqu'on fasse, un métier dangereux. On agit contre soi, sans rien faire pour eux. Oublions leurs travers, et ne songeons qu'aux nôtres. APOLLON. Mais le soin que de toi j'exige dans ce jour,TU l'as pris à la ville, aussi bien qu'a la Cour. ÉSOPE. Je recevais alors d'un plus heureux génieDes secours que le Ciel aujourd'hui me dénie : Et qu'il me soit permis de le dire, Seigneur :En risquant beaucoup moins, je m'acquis plus d'honneur. APOLLON. Travailles sans trembler, et sans t'en faire accroire ;Peut-être, à cet essai, devras-tu quelque gloire:Mais dût-il échouer ; le motif est d'un prix À te justifier de l'avoir entrepris. ÉSOPE. L'aveugle obéissance est ici mon partage,Et j'aurais à rougir d'insister davantage :Mais il est un bienfait que j'ose demander. APOLLON. Il n'est rien qu'à tes voeux je ne puisse accorder. ÉSOPE. Eh bien, Seigneur, eh bien, avant que je paraisse.Faites donc en ces lieux qu'au moins l'on me connaisse,Non par le faux dehors que présente l'esprit,Mais par le fonds d'un coeur qui s'est toujours prescritL'irrévocable loi d'exprimer sa pensée, Sans la croire jamais digne d'être encensée ;Qu'à vos heureux sujets on daigne m'annoncer,Non à titre de juge habile à prononcer,Non comme un ennemi qui s'empresse à leur nuire,Ni comme un maître altier qui voudrait les instruire, Mais comme un écolier, qui, sur des vérités,Cherche à se procurer de nouvelles clartés ;Mais à titre d'ami, qui de zèle et d'estime,Vient payer à leur art un tribut légitime :Si contre leurs défauts, l'amitié quelquefois M'enhardit à parler, je jure que ma voixSera celle d'un coeur qu'aucun fard ne déguise.Pour moi, je leur demande une égale franchise.En les avertissant, je serai peu pour eux ;Mais en me corrigeant ils seront généreux. À ces conditions... Pardonnez si ma boucheOse si librement dire ce qui me touche. APOLLON. Je te l'avais permis : J'accepte le parti.Puisse cet heureux plan n'être point démenti !J'aperçois la Raison ; son humeur trop sévère L'éloigne de mon coeur, quoique je le révère.Ésope, à l'adoucir tu pourras t'exercer :Je te laisse avec elle, et je vais t'annoncer. SCÈNE II. La Raison, Ésope. LA RAISON, d'un ton de prude piquée. Eh bien, le Dieu des Vers vous a-t-il, sans contrainte,Confié contre moi ses grands sujets de plainte ? Ou plutôt l'inconstant vous a-t-il déclaréD'où vient son changement déjà trop assuré ? ÉSOPE, tranquillement. Apollon vous estime, Apollon vous honore... LA RAISON, plus piquée encore. Il m'estime, il m'honore !... Eh, m'aime-t-il encore ?Des feux tels que les siens durent-ils plus, d'un jour ? Non tout est bien changé pour moi dans ce séjour.Eh ! Que venais-je aussi faire sur le Parnasse ?Et vous même, Seigneur ; est-ce ici votre place ?Vous êtes raisonnable, avez-vous pu penserQu'Esope, dans ces lieux, put nous intéresser, Et que la Poésie, en soi peu générale,Put fournir les sujets d'une utile morale ? ÉSOPE. Eh ! Déesse, aujourd'hui ; chacun, dans l'Univers, Connaît, aime, critique, ou compose des vers.J'ai de quoi m'exercer sur un si grand mobile. Il faudrait, je l'avoue, une main plus habile :Trop heureux dans l'emploi dont je me suis chargé,Si moi-même d'ici je sortais corrigé !Mais pardon... Revenons à ce qui vous regarde. LA RAISON. Contre un fatal hymen que n'est-on mieux en garde ? On me le disait bien : Vous serez en prison.Apollon est-il fait pour aimer la Raison ?Vous savez que la prose était ma bonne amie;Cette douce union, paraissait affermie,Lorsqu'Apollon, pour moi, pris d une vive ardeur, M'envoya demander par un ambassadeur.Je reçus, j'accueillis ce funeste message :Que j'étais folle, hélas ! De croire Apollon sage !Cependant il le fut dans les commencements :Il m'adorait, Seigneur ; ô trop heureux moments ! Pouvais-je alors prévoir ma triste destinée ?Après quelques beaux jours passés dans l'hyménée,Mon époux me pria de recevoir chez moiLa Rime, à qui, dit-il, je donnerais la loi.Je le crus. Mais la Rime, esclave prétendue, Chez moi s'est érigée en maîtresse assidue;Elle commande enfin dans le sacré Vallon.Ses travers, ses excès, sont connus d'Apollon,Il les voit, il les souffre, il n'en fait point mystère ;D'un infidèle époux voilà le caractère. Ai-je besoin encor d'un plus long examen ?Un amour étranger a troublé notre hymen.Je ne me plaindrais pas de tant d'indifférence,Mais la Rime emporter sur moi la préférence,Elle dont le talent n'a jamais enfanté Que la monotonie et l'uniformité !Car, quoiqu'elle s'annonce avec quelque étalage,Elle est capricieuse, inquiète, volage ;Va-t-on au-devant d'elle ? Elle évite vos pas ;Et se montre au moment qu'on ne la cherche pas. Sur tant d'autres défauts, son funeste partage,Il ne me convient point d'en dire davantage,Mais si je méritais des traits d'inimitié,Devais-je de la Rime en souffrir la moitié ? ÉSOPE. Non, Déesse, croyez que votre époux vous aime, Qu'intimement pour vous, il est toujours le même,Que de quelque froideur si l'on peut l'accuser,La Rime n'eut jamais l'honneur de les causer. LA RAISON. Cependant il m'évite et j'ignore à quel titre,Daignez me l'expliquer et servez-nous d'arbitre. ÉSOPE. Votre arbitre ! Non point, s'il vous plaît, en ce cas.Le Juge a des devoirs un peu trop délicats. LE MOINEAU EN CAGE.Je dirai seulement, qu'un jour sur la fougère,Près des filets d'un oiseleur,Un Moineau voltigeait, sans penser à malheur La Jeunesse est toujours imprudente et légère.Notre jeune moineau,Sautant, capriolant, donna dans le panneau.Voilà mon étourdi fort sot de l'aventure.Il se vit bientôt encagé. Mais par bonheur, il fut logéChez une aimable Dame, où bonne nourriture,Biscuits, bonbons et confiture,Rien ne fut épargné. Puis, quand il eut mangéArrive son aimable hôtesse, Qui l'appelle Fifi, petit coeur, mon mignon :Que ce soit une erreur ou non,Nous aimons la douceur et la délicatesse,Et l'on nous mène loin avec un joli nom.Aussi, très satisfait d'un si doux esclavage, Le moineau n'était plus timide ni sauvage,On le laissait voler en toute liberté. Mais une cousine traîtresse,Demanda l'oiseau tant vanté,À sa complaisante Maîtresse, Qui ne put refuser : l'oiseau fut emporté,Et le voilà dans la détresse.Il était, à la vérité,Tout comme ci-devant bien logé, bien traité :Mais pas une douce parole, Qui pût le consoler de sa captivité,Pas un seul joli nom. Que fit-il ? Rebuté,Il prend sa bisque ; zeste, un matin il s'envole :La Maîtresse vient, se désole,L'appelle ; mais en vain : le moineau dégoûté, Promit à se fière beautéDe ne plus revenir, et lui tint sa parole.L'hyménée est l'objet de ma comparaison:L'enjouement en ménage est toujours de saison.Pour être aimable et sociable, Une femme n'a pas assez de sa raison ;La volière et l'hymen étant une prison,Si l'on ne s'étudie à la rendre agréable ;L'oiseau quitte sa cage et l'époux sa maison. LA RAISON. Ésope, je me rends ; votre discours m'enchantes ; Il verse dans mon coeur une douceur touchante ;La raison doit céder à de bons arguments :Je vois que la sagesse a besoin d'agréments. ÉSOPE. Ne méprisez donc plus ceux que donne la Rime,Ce que vous concevez, c'est elle qui l'exprime. Toutes deux vous plaisez par des moyens divers ;Agissez de concert, vous charmez l'Univers.Votre rivale attend que la Raison l'éclaire,Et sans elle entre nous vous auriez peine à plaire. LA RAISON. Eh ! Me répondez-vous qu'elle suive mon goût ? ÉSOPE. Daignez vous réunir et je réponds de tout.Mais quelqu'un qui survient m'empêche de poursuivre. LA RAISON, en sortant. Adieu ! Que ses conseils sont aimables à suivre ! SCÈNE III. Cidalise, Ésope. CIDALISE, avec vivacité. Bonjour, Seigneur Ésope. Eh bien, de bonne-foi,Dans le monde, à présent, que dirait-on de moi, Si l'on savait qu'ici je suis en tête à tête ?Et que de plus, mon coeur s'en est fait une fête ?Mais, avec un savant, j'ai crû qu'un rendez-vousSerait sans conséquence. ÉSOPE. Oui, Madame, pour vous,Qu'une bonne raison contre moi fortifie : Non, pour moi, dont le coeur de vos yeux se défie. CIDALISE. Comment donc ! Vous savez en conter à ravir.Tant mieux. Vous en serez plus propre à me servir :Je vais dire pourquoi. Je suis veuve. À mon âge,On ne tient pas longtemps, si l'on veut, au veuvage ; Mais j'aime mon état et n'en veux point changer.De nouveau cependant on cherche à m'engager. ÉSOPE. [Note : Epithalame : Ce sont des vers faits à l'occasion d'un mariage de quelques personnes illustres, un chant de noces, pour féliciter les époux. [F]]Vous mettez le Parnasse en frais d'épitalames. CIDALISE. [Note : Epigramme : c'est une espèce de poésie courte, qui finit par quelque pointe ou pensée sublime. [F] Elle exprime souvent une pensée mordante envers une personne ou une oeuvre.]Non. Je ne veux de lui que quelques épigrammes.Parmi ceux qui pour moi vantent leurs sentiments, Se trouvent, par hasard, deux auteurs. Quels amants !L'un est un satyrique, aimable, je l'avoue, Mais dont l'esprit malin méchamment se dévoueÀ critiquer mon sexe, à railler sans pitié,De ce vaste Univers la plus belle moitié. ÉSOPE. C'est un soldat altier, qui se voyant esclave,Insulte follement au vainqueur qui le brave. CIDALISE. Non, ce procédé-là n'est pas indifférent;Son rival me déplaît, dans un goût différent ;Il est moins dangereux ; mais combien il ennuie ! Que de fâcheux moments il faut que l'on essuie,Auprès d'un froid auteur qui se croit amoureux,Lorsqu'il a récité sur un ton langoureux,Avec tout l'appareil d'une fade énergie,[Note : Eglogue : Ouvrage de poésie pastorale, où l'on introduit des bergers qui conversent ensemble. [L]][Note : Elégie : Espèce de Poésie qui s'employe dans les sujets tristes, et plaintifs.]Son insipide églogue ou sa triste élégie ! Ces traits quoique ébauchez, vous font assez jugerDes deux originaux dont je veux me venger.Jamais de l'art des vers je ne me suis piquée :Mais ces deux hommes-là m'ont tellement choquée,Que je donnerais tout pour apprendre à rimer. Ils viennent par leurs vers chaque jour m'assommer,M'irriter, m'excéder ; quelle serait ma joieDe pouvoir les payer de la même monnaie !Pour avancer l'effet de mon ressentiment,Ne fût-ce qu'en chansons, il faut dès ce moment, Que dans l'art de rimer vous me serviez de maître. ÉSOPE. Eh ! Pour mieux vous venger vous n'avez qu'à paraître.En voyant tant d'attraits, est-il quelque censeur,Qui d'un sujet soumis ne prenne la douceur ? CIDALISE. Vous éludez le fait avec délicatesse : Mais le joli détour de votre politesse,M'est de votre refus un sûr avant-coureur.Victime, je le vois, de la commune erreur,Vous vous imaginez que l'esprit, la science,Sont de trop chez mon sexe. Oh ! Je perds patience, Quand je vois que l'on veut enchaîner notre essor : Je soutiens que les vers sont de notre ressort. ÉSOPE. Eh ! quel audacieux prétend vous interdireLe pouvoir de penser et le talent d'écrire ?Votre sexe au Parnasse a fourni des Saphos, Et Phoebus n'est jamais plus content qu'à Paphos ;Pour un seul Apollon on compte ici neuf Muses. CIDALISE. Vous nous louez toujours et voilà de vos ruses !Dupes de cet encens que vous nous prodiguez,Au sein de l'ignorance où vous nous reléguez, Nous n'apercevons pas, ô sottes que nous sommes !Le larcin important que nous ont fait les hommes.Leur feinte servitude est une trahison,Qui tient réellement notre esprit en prison.Vos douceurs sont pour nous des injures mortelles. Semblable à ces enfants, qu'avec des bagatellesOn apaise, on amuse, on captive avec art,Tandis qu'un précepteur étudie à l'écart :Notre sexe, content des bijoux qu'on lui donne,De cent colifichets que le votre abandonne, Au milieu des rubans, des mouches, des pompons,Et d'autant d'autres riens dont nous nous occupons,Commande à sa toilette, y borne son empire,Tandis que de nos jeux l'homme ne fait que rire ;Et que les critiquant du fonds d'un cabinet, Il y met contre nous une satire au net.Vous m'en ferez raison ! Je prendrai ma revanche,Ou nous verrons beau jeu. ÉSOPE. Vous avez carte blanche.Les hommes sont toujours prêts à vos obéir,Et jamais leur dessein ne fut de vous trahir. Votre sexe a reçu mille attraits en partage ;Si de quelque savoir le nôtre a l'avantage,Il le doit au désir de briller à vos yeux.Et n'est-il pas cent fois, plus doux, plus glorieuxD'inspirer les bons vers que de savoir les faire ! Quelle est de chaque Auteur la principale affaire ?De vous faire approuver les fruits de leurs travaux ;C'est vous qui nous aidez à vaincre nos rivaux.Telles qu'un Roi qui nomme, assis sur la barrière,Ceux qu'il faut couronner au bout de la carrière. Les Belles, présidant aux jeux des beaux esprits,Doivent distribuer, non disputer les prix. CIDALISE. J'entrevois les ressorts de votre politique.Vous craignez que les Arts, par nous mis en pratique,N'obscurcissent un peu cet éclat imposant, Dont vous ne jouissez qu'en nous tyrannisant. ÉSOPE. LES SIRENES.Vous savez tout ce qu'on raconteDes Sirènes et de leur chants,À ce propos, je sais un conte.Non contentes, dit-on, de leurs accords touchants, Qui font d'elles autant d'Armides,Ces Musiciennes humidesPrésentèrent un jour une requête aux Dieux,Exposant que leurs voix n'avaient point de pareilles,Mais que leurs traits peu gracieux, Des voyageurs blessaient les yeuxAutant que leur Musique enchantait les oreilles.Elles conclurent, sans façon,Qu'on avait eu grand tort, et qu'il était bizarreD'avoir joint une voix si rare la figure d'un poisson.En un mot, elles demandèrentTous les traits de la femme, afin d'être, à la fois,Belles par la figure, autant que par la voix.Voici ce que les Dieux sur cela décidèrent. Entre Nous il est arrêtéQue, vu le sage but de nos lois immortelles,Les Sirènes resteront tellesQu'elles ont toujours été ;Leur voix seule a déjà causé tant de naufrages ! Eh ! Quels seraient donc leurs ravages,Si l'on y joignait la beauté ?Comparez maintenant les Dames aux Sirènes :À la Philosophie elles parlent en reines ;Déjà contre leurs traits nous ne saurions tenir : Si le savoir s'y joint, qu'allons nous devenir ?Les sexes sont égaux : vous parlez pour le vôtre,Moi, j'ose vous prier d'avoir pitié du nôtre. CIDALISE. Vous ne connaissez pas notre sexe vraiment,On ne l'apaise pas avec un compliment. Vous refusez des vers à ma juste colère ;Je vais tracer en prose un écrit circulaire...Oui, je vais, à mon tour, critiquer, affadirTous ceux qui de leurs vers sont venus m'étourdir.Je n'en excepte aucun... Monsieur le Fabuliste, Ne désespérez pas de vous voir sur ma liste. Elle sort. ÉSOPE. Quel aimable courroux! En toi, sexe vainqueur,Tout, jusqu'à ton dépit, enchante notre coeur.Mais que me veut cet homme? A sa mine j'augure,Qu'il a l'esprit comique, autant que la figure. SCÈNE IV. Ésope, Trotenville. TROTENVILLE. Au grand Ésope, enfin, je m'annonce, je crois ? ÉSOPE. Le mot de grand rayé, Monsieur, ce sera moi. TROTENVILLE. Je suis, pour vous servir, le Courtier du Parnasse;Et même avec honneur, je remplis cette place. ÉSOPE. J'ignorais jusqu'au nom de cette qualité, Et je n'en conçois pas encor l'utilité. TROTENVILLE. J'achalande un auteur qui ne fait que de naître ;De le faire faillir je suis aussi le maître :Car tout est, ici bas, un commerce, un trafic,Et c'est sur ce pied-là qu'on s'affiche en Public. ÉSOPE. Je deviens importun et vous fais mes excuses ;Mais qu'est-ce donc encor qu'achalander les Muses ? TROTENVILLE. Avez-vous jamais vu, lorsque d'un vin clairetUn Marchand peu connu remplit son cabaret,Députer au Public un quidam qui s'écrie : Messieurs, à tant le vin, et non du vin de Brie,Mais du fin, mais du bon, mais du franc, du bourgeoisPersonne n'en veut-il, une, deux et trois fois ?... ÉSOPE. Prenez-vous, pour les vers, même soin, je vous prie ? TROTENVILLE. Justement : en public je les prône et les crie. ÉSOPE. Cet emploi-là vraiment est meilleur dans le fondsQue je ne le croyais. TROTENVILLE. Oh, je vous en réponds !Aussi je ne m'y vois parvenu qu'avec peine ;Pour monter à ce grade, on se met hors d'haleine;Il m'a fallu passer par cent degrés divers. D'abord, je fus valet d'un bon faiseur de vers ;Cela décrasse un homme : et d'une aile hardie,Je volai sur la scène, où de la comédie ;[Note : Moucheur : Celui qui, dans un théâtre, était chargé de moucher les chandelles. [L]]Je devins le moucheur en titre ; et, le premier ;Je fis voir au Public le fin de ce métier. Oui, je sus lui prouver, que, quoiqu'il puisse dire,Un excellent moucheur mouche toujours sans rire.Dans la suite je fus commis dans un café,Puis, maître Colporteur ; c'est où j'ai triomphé !Mes talents ont, pour moi, débauché la fortune ; Une foule d'auteurs en tout lieu m'importune.Eh ! Monsieur, me dit l'un, prônez bien mes romans,Et surtout ayez soin d'avertir les mamans,Qu'au tourment de l'amour mon livre remédie.Si vous faites, mon cher, prendre ma tragédie, Dit un autre, en honneur, je vous donnerai tant ;Et tant, dit un troisième, à compter dès l'instant,Si vous me promettez, parole d'honnête homme,De faire siffler tel : et ce tel qu'il me nommeVeut me faire lui-même un excellent parti, Si, par moi, ses rivaux en ont le démenti.Aujourd'hui, par exemple, une pièce nouvelleD'un bon nombre d'auteurs intrigue la cervelle,Et je me suis chargé de la faire échouer.Oh ! Parbleu, c'est l'auteur que nous verrons jouer ! Voulez-vous assister à son heure dernière ?Je saurai vous placer de la bonne manière.Trente auteurs, qui se sont cotisés pour les frais,M'ont promis vingt écus si je les satisfais.Voulez-vous ajouter quelque chose à la masse Pour l'expédition ? ÉSOPE. Eh ! Quoi ? Sur le Parnasse;Parmi ceux dont l'esprit, le savoir et le goûtÉclaire l'Univers de l'un à l'autre bout,Régnerait cette noire et basse jalousie,Dont vous dites, Monsieur, que leur âme est saisie ? Au mérite naissant on fait donc le procès ?On se croirait déchu, s'il avait du succès.Eh ! Ne devrait-on pas, de toute sa puissance,Protéger le talent faible dans sa naissance,Encourager les Arts, même par vanité, Pour voler avec eux à l'immortalité ? Que les Auteurs ne soient jaloux de la victoire,Que pour contribuer à la commune gloire.Sujets du même État, membres du même corps,Qu'ils cherchent à former, par d'aimables accords, Ce concert merveilleux, cette heureuse harmonie,Qui seule peut au coeur égaler le génie.Sages Républicains, qu'ils sachent immolerDe vains ressentiments trop prompts à s'exhaler,Aux intérêts d'un corps que leurs débats ternissent : Contre leurs ennemis, eh ! Qu'ils se réunissent.Est-ce par des transports, qu'il faudrait étouffer,Que du courroux des sots ils pourront triompher ?Non : l'Esprit, dans ces feux que la colère attise,Apprête follement à rire à la sottise. Le vulgaire décide, injuste spectateur,Sur un seul écrivain, de tout le peuple auteur.Qu'arrive-t-il ? Les Arts traduits en ridicule,Font, qu'au seul nom d'auteur, l'auteur même reculL'abus que quelques-uns ont fait de leurs talents, Attache un déshonneur à ces dons excellents.De vos divisions votre honte est la fille :Ah ! Quand ne ferez-vous qu'une même famille,Dont le Public intègre, indulgent, éclairé,Soit, et le tendre père, et l'ami révéré. Élèves d'Apollon, quels travers sont les vôtresLoin de vous dégrader ainsi les uns, les autres,Loin de vous déclarer, par des traits malheureux,Inutiles amis, ennemis dangereux,En de honteux excès loin d'épuiser la verve, Que d'un génie heureux tout le feu se réserve,Pour donner au Public, son juge et son appui,Des écrits dignes fils et de vous et de lui. TROTENVILLE. Mais ne voulez-vous pas du moins que je vous prône ?Ma main, dans le Public, peut vous dresser un trône, Si je parle pour vous ayez point de souci. ÉSOPE. J'en aurais encor plus. TROTENVILLE. La raison ? ÉSOPE. La voici. LE ROSSIGNOL ET L'ÂNE.Le Rossignol, un jour, voulut lever boutiqueDe Menuets, de Rigaudons ;Habile comme il est pour les jolis fredons, Il aurait dû compter sur nombreuse pratique :Mais les gens à talents, fort souvent ont besoinQue de leur gloire on prenne soin.Pour exercer l'emploi d'achalandeur a gage,(Métier qu'il avait fait déjà plus d'une fois,) Un âne vint s'offrir à l'amphion des Bois,[Note : Le vers 492 est le vers 4 de La Fontaine de la Fable du Corbeau et du Renard.]Et tint à peu près ce langage.J'ai bonne jambe et forte voix ;Laissez-moi faire, avant deux moisJe vous mets en pratique, et même je m'engage. À vous faire accueillir dans les Palais des Rois.Le marché se conclut : l'âne se met à brairePour accréditer le Concert :Mais de Martin Crieur, le tapage ne sertQu'à rendre au Rossignol tout le monde contraire. Dans le monde il en est assez[Note : Hâbleur : Hâbleur, qui ne dit rien sans exagérer, qui se plaît à débiter des mensonges. [L]]De ces hâbleurs intéressés.Ils ne servent pas davantage.L'écrivain qui se livre à leur zèle imposteur,L'Ouvrage tombe-t-il : Adieu l'Adulateur ; Il s'en fuit; mais il a le bon lot en partage ;Et fort souvent le pauvre auteurEn est pour les droits de courtage. TROTENVILLE, en colère. Hom ! votre humeur caustique ici jette son feu ;Mais, faites quelque pièce, et nous verrons beau jeu. Il sort. ÉSOPE. Mais ! J'aperçois La Rime ; Eh ! Que me voudrait-elle ? SCÈNE V. Ésope, La Rime. LA RIME, follement. Je vous cherchais, Seigneur ; grande, grande nouvelle !J'ai volé tout exprès pour vous en faire part :Devinez ce que c'est ? ÉSOPE. Je ne sais... LA RIME. Mon départOui, mon départ : on veut me bannir du Parnasse : Et devinez encor d'où me vient la menace ?De la Raison : Eh bien, le trait est-il plaisant ?Je le trouve pour moi tout-à-fait amusant.La Raison veut entrer en lice avec la Rime !De mon trop d'agréments elle me fait un crime : Mais, quelle est sa manie ! Attaquer mes autels,Quand je la laisse en paix ennuyer les mortels.De mes charmes, dit-on, elle est un peu jalouse.Qu'on est sotte, grands Dieux ! Lorsque l'on est épouse !Est-ce ma faute, à moi, si j'ai quelques attraits ? Dois-je, pour la calmer, envelopper mes traits ?Eh ! Voilà ce que c'est qu'une prude ennuyeuse,Qui, bizarre et caustique autant que vertueuse,Détrempe tristement, et d'absinthe et de fiel,Des moments qu'elle eût pu n'arroser que de miel ; Qui fuit les Ris, les Jeux, et les grâces badines,Et ne sait des vertus cueillir que les épines.Ne peut-on être sage et charmante à la fois ;Commander aux désirs, sans étouffer leurs voix,Se prêter à ses goûts, sans se laisser séduire; Épure, les plaisirs, et non pas les détruire ?Mais non, en décriant les dons qu'elle n'a pas,La Raison s'imagine acquérir des appas.Je ris de tout mon coeur des efforts d'une prude,Qui, pour nous plaire, affecte un air dur, un ton rude ; Et qui, d'une rivale augmentant le crédit,En croyant se venger, s'attriste et s'enlaidit. ÉSOPE. Ce discours, par exemple, est des plus raisonnables,Et jamais vos leçons ne seraient condamnablesSi, sur le même ton, vous nous parliez toujours : Mais, pour un bon moment, combien de mauvais jours ! LA RIME. C'est que, pour me fixer, il est une science :On se perd, avec moi, par trop d'impatience ;Je m'échappe au moment que l'on croit me tenir. D'un ton ironique.De ces lieux cependant on voudrait me bannir ! Riez en donc un peu, car rien n'est si comiqueQue de voir la raison, d'un ton académique,Mendier gravement le suffrage importantDe sujets, que je puis lui ravir à l'instant.Je ne m'oppose point à ses progrès rapides. Il sied bien aux grands coeurs de paraître intrépides !Mais, que je dise un mot, et je veux, devant vous,Voir tous les conjurés tomber à mes genoux.Eh ! Que ferait, sans moi, l'Empire poétique ?Bientôt ce corps fameux serait un corps éthique. On veut, dans ces cantons de la vivacité,Du feu, de l'agrément, de la légèreté :On trouve tout cela chez moi, sans qu'on y pense.Sont-ce là les faveurs que la Raison dispense ?Dût elle, de sang froid, et d'ennui redoubler, Je doute qu'elle puisse en ces lieux me doubler.Pour les pauvres auteurs, hélas ! Que ferait-elle ? ÉSOPE. Voulez-vous écouter une fable nouvelle ? LE BURIN ET LA LYRE.Chez un amateur des beaux Arts,Un Burin se trouva tout auprès d'une lyre : [Note : Bellone : dieu qui personnifie la guerre et accompagne Mars.]De ceux qui de Belonne affronte les hasards,L'une chantait les noms, l'autre les faisait lire :Mais, trop fière des sons vainqueursDont elle flatte notre oreille,La Lyre se crut sans pareille, Et contre le Burin lança des traits moqueurs.Ah ! Mon pauvre voisin, que je plains, lui dit-elle,Ceux que tu veux transmettre à la postérité !Ta pesanteur, égale à ta solidité,Doit porter à leur gloire une atteinte mortelle : Et de plus, ta lenteur est telleQu'avec toi, n'en déplaise à ta capacité,L'on arrive bien tard à l'immortalité.Va, contente-toi de m'entendre,Puisqu'en vain tu voudrais prétendre À mon ton, à ma grâce, à ma légèreté.C'est moi, qui des Héros sers bien la vanité.Se plaint-elle jamais que je la fasse attendre ?Je les vois à l'envi briguer mon amitié...Eh ! Tes discours me font pitié, Répondit le Burin, bien plus qu'ils ne me fâchent.Je dirai, sur ta voix, tout ce que tu voudras :Mais, si tes cordes se relâchent,Dis-moi ce que tu deviendras ?Tu ne produis jamais qu'un son vain et frivole, Qui naît rapidement, et de même s'envole,Si le Burin ne fait revivre tes accords :C'est moi seul qui te donne un corps.Des Héros vainement tu chanterais la gloire,Si je ne prenais soin de leurs faits éclatants : C'est par moi, que gravez au Temple de Mémoire,Ils bravent l'injure des temps. La Raison, sur la Rime, a le même avantage,La Rime ne produit qu'un inutile son,À moins qu'elle n'emprunte un corps de la Raison. Celle-ci brille moins, et dure davantage. LA RIME. Vous donnez, je le vois, dans un faux préjugé ;Ainsi le vrai mérite est toujours outragé.En voulant me bannir, on m'accrédite encore.J'aime à voir les auteurs, que mon talent décore, Faire, pour me quitter, des efforts superflus,Et rimer, en jurant qu'ils ne rimeront plus. En sortant.Ouais ! cet homme est doué d'un pouvoir qui m'étonne !Je sens que mon caprice avec lui m'abandonne. SCÈNE VI. Ésope, Monsieur Desbrochures. MONSIEUR DESBROCHURES, d'un ton pesant. Si le zèle rendait un vieillard plus actif, Mon hommage eût été bien plus expéditif :Mais, Seigneur, à mon âge, on ne va pas fort vite;Et j'étais sûr, d'ailleurs, de vous trouver au gîte. ÉSOPE. Tous les temps sont égaux pour me faire un honneurQue je reçois de vous à titre de faveur. MONSIEUR DESBROCHURES. Écoutez : Vous voyez en nous un homme en place,[Note : Neuf soeurs : les muses.]Nourri chez les neuf Soeurs, vieilli sur le Parnasse,Doyen des habitants de ce fameux Vallon,Le Syndic de son corps, et l'adjoint d'Apollon. ÉSOPE. Sur ces tristes brillants, et sur votre origine, Vous êtes grand Auteur, à ce que j'imagine ? MONSIEUR DESBROCHURES. Dieu m'en garde ! Je suis quelque chose de mieux. ÉSOPE, etonné. Ah ! Ah ! Mais quel est donc votre emploi dans ces lieux ? MONSIEUR DESBROCHURES. Mon emploi ? Demandez-le aux Auteurs ? Leurs Ouvrages,Sans moi, n'auraient jamais que des maigres suffrages. Plus d'un célèbre écrit, dans un affreux oubli,Sans mes soins généreux, serait enseveli.J'aime les écrivains, je prends soin de leur gloire ;Ma maison est, pour eux, le Temple de Mémoire. ÉSOPE. Fort bien ; des gens lettrés libéral amateur, Vous leur faites chez vous destin enchanteur. MONSIEUR DESBROCHURES. Vous ne m'entendez pas, je crois ; je suis libraire,Et votre serviteur. ÉSOPE. Oh ! C'est une autre affaire.Et votre nom, enfin ? MONSIEUR DESBROCHURES. Desbrochures, Seigneur. ÉSOPE. C'est un nom à la mode et qui vous fait honneur. MONSIEUR DESBROCHURES. Pour deux siècles au moins j'ai su le rendre illustre,Et, chaque jour encor, j'en augmente le lustre. ÉSOPE. Ainsi, vous débitez bien des livres nouveaux ? MONSIEUR DESBROCHURES. Les affiches, Seigneur, couvrent tous nos panneaux :Mais toutes, entre nous, ne sont pas à l'épreuve. Il est cent nouveautés pour une chose neuve.J'achète en gros les vers, et les vends en détail :Mais, que la Gent-Auteur est un fâcheux bétail !Ils nous rançonnent tous ; et par leur tyrannie,À contribution mettent la Compagnie. Le plus mince d'entre eux veut nous donner des lois.N'a-t-on pas néanmoins plus de peine, cent fois,À vendre leurs écrits, qu'ils n'en ont à les faire ? ÉSOPE. Je ne m'engage point à juger cette affaire. MONSIEUR DESBROCHURES. J'en ai la preuve en main ; et c'est à ce sujet Que j'ose vous prier d'appuyer mon projet.Il s'agit, sur ce point, de me rendre justice.Je veux que de l'Arrêt le Pinde retentisse ;Je le ferai partout afficher, publier,Afin que nul auteur ne puisse l'oublier. Les pièces du procès sont déjà surannées ;Car j'ai compté, Seigneur un bon nombre d'années ;Depuis le jour fatal qu'un afficheur maudit,Que Mégère aposta, pour me faire dépit,Vint coller à ma porte, en tête sans cervelle. Le superbe placard d'une pièce nouvelle :L'ouvrage était tragique, il charma tout Paris.Pour le plus grand succès on faisait des paris :En effet, au parterre on se mettait en pièces.Vivat ! s'écriait-on, c'est la Reine des pièces ! Je la vis à mon tour, et même elle me plut.L'auteur vint ; à grands frais le marché se conclut :Mais cet ouvrage enfin, si beau, si pathétique,Après l'impression, fut mon garde-boutique. ÉSOPE. Certes, le trait est noir. MONSIEUR DESBROCHURES. Je veux m'évertuer : Pour contraindre l'auteur à me restituer.Je me restreins, par grâce, aux trois quarts de la somme ?Ne pourriez-vous m'aider à réduire cet homme ? ÉSOPE. Doublez-vous de l'auteur la rétribution,Quand l'ouvrage fournit plus d'une édition ? MONSIEUR DESBROCHURES. Non... ÉSOPE. Et vous prétendez que l'on vous restitue ?Sur cet article en vain votre esprit s'évertue.La loi doit être égale : et puisque l'écrivainN'en est pas mieux payé, quelque soit votre gain,Celui dont le Public ne veut point faire emplette, N'en doit pas moins avoir la somme bien complète.En pièces de théâtre, on est sûr d'échouer,Si l'on en juge mal, en les voyant jouer.La Fable que voici prouve que la bévueVient de n'avoir pas pris le juste point de vue. L'OPTIQUE.Dans un vaste salon que sa main décorait,Un peintre faisait voir un grand tableau d'optique :Du spectateur surpris l'oeil au loin s'égaraitDans les vastes débris d'un édifice antiqueQu'avec plaisir il parcourait. Bref, du savant pinceau tel était l'artificeQue plus d'un antiquaire, en cette occasion,Pleura sur les débris d'un si bel édifice :Rare effet de l'illusion !Entre autres Spectateurs, se trouva, d'aventure, Un bon bourgeois, très riche, et fort peu connaisseur,Qui, de ce chef-d'oeuvre en peinture,Voulut devenir possesseur.Pour avoir de plaisir une dose complète,Il acheta l'Optique, et se félicitant D'avoir fait le premier une si bonne emplette,Chez lui fit emporter le tableau dans l'instant.Mais, admirez l'effet du talent pittoresque !L'Optique déplacé, devint un vrai grotesque.Ouais ! Quel changement est-ce là, S'écria notre homme en furie !Je veux avoir raison de cette fourberie.Quelqu'un lui dit : restez-en là.Profitez seulement d'une telle aventure,Pour être, à l'avenir, plus sage de moitié ; Et retenez qu'il est des morceaux en peinture,Qui charment, vus de loin, et de près, font pitié. Vous pouvez au tableau comparer maintes pièces,Et la vôtre surtout. MONSIEUR DESBROCHURES. Quoique de mes espècesCet apologue-là ne me rembourse point, Je veux faire avec vous un marché sur ce point.Vous êtes le plus doux des écrivains affables,Permettez que je fasse un recueil de vos fables ;Je vous les garantis sur papier le plus fin :En caractères neufs, vignettes ; tout enfin Pourra vous contenter ; et dans mes mains j'espèreQue vos fils deviendront plus dignes de leur père. ÉSOPE. Non, Monsieur, je craindrais que cette impressionNe m'exposât moi-même à restitution. MONSIEUR DESBROCHURES. Pour vous faciliter un si bonne affaire, Nous serons de moitié, si vous voulez la faire. ÉSOPE. C'est montrer trop de zèle, en suivant votre goût,Votre moitié du gain pourrait valoir le tout.Adieu. Quel est cet homme ? Il paraît bien timide ;Cette crainte, après tout, n'est pas un mauvais guide. SCÈNE VII. Ésope, Éraste. ÉRASTE, faisant plusieurs révérences. Peut-être mon abord a lieu de vous fâcherB;Car tant de gens ici viennent vous empêcher... ÉSOPE, doucement. À les entretenir mon esprit se délasse. ÉRASTE. Je venais en ces lieux vous prier d'une grâce :Mais j'appréhende bien de me voir refuser. ÉSOPE. Au succès de vos voeux, qui pourrait s'opposer ? ÉRASTE. Nous sommes deux enfants, un garçon, une fille :Mon père est vraiment riche, et de bonne famille ;Mais je n'ai point d'esprit, et voilà mon malheur ;J'en ressens, chaque jour, une vive douleur. À vingt ans accomplis n'avoir point de génie !J'en suis honteux : je n'ose aller en compagnie. ÉSOPE. Consolez-vous ; on peut remédier à tout. ÉRASTE. Que vous me rendez aise ! ÉSOPE. Écoutez jusqu'au bout.Avez-vous un bon coeur ? C'est à quoi je m'attache ; Car le manque d'esprit n'est qu'une faible tache. ÉRASTE. Oh, vraiment, pour le coeur, je l'ai bon, Dieu merci. ÉSOPE. J'augure bien du tout sur cet article-ci. ÉRASTE. Quand on gronde ma soeur, je m'afflige autant qu'elle. ÉSOPE. Je vous suppose donc une âme noble et belle. Eh ! Que ferait de plus l'esprit pour votre honneur,Pour votre avancement, et pour votre bonheur ?Non, je croirais vous faire un présent trop funeste ;Vives bien : l'honnête homme a de l'esprit de reste.Vous en avez, Monsieur, quand vous en demandez. ÉRASTE. Je serai trop heureux, si vous me l'accordez. ÉSOPE. J'oblige volontiers, lorsque je puis le faire :Mais mon zèle, en ceci, ne peut vous satisfaire.Tel qu'il est, notre esprit est un présent des Cieux ;Mais est-il donc, enfin, un bien si précieux. Que quelques traits marqués vous les fassent connaître. Il nous fait des jaloux, et nous excite à l'être.Pour un bien qu'il opère, il cause mille maux,Pour un ami qu'il donne, il fait mille rivaux.De la droite raison dès qu'il perd les vestiges, Ridicule, insolent, et fertile en prestiges,De quiconque l'attaque il ne se rend vainqueur,Qu'aux dépens du bon sens, et même du bon coeur.Jamais pour la sagesse il n'est une ressource,Et des plus grands défauts souvent il est la source. Pouvez-vous rechercher un guide corrompu,Qui fait tout pour le vice, et rien pour la vertu ?L'esprit fait que l'on brille et le coeur fait qu'on aime,L'esprit ne vit qu'un temps, n'est bon que pour lui-même.Mais le coeur excellent, par un destin plus beau, Est bon pour tout le monde, et vit dans le tombeau. ÉRASTE. Je suis tout attendri des choses que vous dites,Ah ! Que n'ai-je chez nous vos maximes écrites !Je les réciterais demain tout couramment !Cependant... ÉSOPE. Cependant, avouez franchement Que vous croyez encor l'esprit fort nécessaire ? ÉRASTE. Eh ! mais.... ÉSOPE. Allons courage: il faut être sincère. ÉRASTE, à part. Je ne puis m'expliquer. Que je suis malheureux ! Haut.Seigneur, c'est que je suis .... ÉSOPE, doucement. Quoi ! Dites ? ÉRASTE. Amoureux. ÉSOPE. Amoureux ? Calmez-vous. L'Amour n'est point un crime, Quand il a pour objet quelqu'un digne d'estime. ÉRASTE. Oh ! Je n'ai sur cela rien à me reprocher ;Angélique est bien sage ; on n'ose l'approcher.Et puis elle est si belle ! ÉSOPE. Oh ! Cela se devine ;Ce qu'on aime est toujours d'une beauté divine. ÉRASTE. Mais elle a de l'esprit ; et moi je n'en ai pas.J'ai de plus un rival, un nommé Licidas,Qui sait la poésie, et cela m'inquiéte ;Ne pourriez-vous m'apprendre à devenir poète? ÉSOPE. Il faut que je vous fasse un Vonte sur ce point ; Mais écoutez-le bien, et ne l'oubliez point. LE PIGEON AMOUREUX.D'une gentille Tourterelle,Un Pigeon était amoureux;D'autre part, un Serin s'égosillait pour elle :Il parut au Pigeon un rival dangereux. L'oiseau de Canari avait la voix fort belle :La musique attendrit une beauté rebelle,Du moins notre pigeon l'aimaginait ainsi.Chaque jour le serin disait chanson nouvelle,Et chaque jour aussi, Le Pigeon maudissait, C sol ut, B. fa fi.Car hélas ! Le pauvret, n'avait même avantage.Dans son extérieur, point de belles façons ;Dans la tête point de chansons :Et qui pis est encor, peu d'esprit en partage, Près de celle qu'il adoraitSes regards seulement exprimaient son hommage ;Quelques tendres soupirs formaient tout son ramage ;Mais sur le même ton toujours il soupirait ;Aussi pour lui nulle espérance, Tandis que le Serin chantait en assurance.Le jour vint cependant qu'il fallut faire un choix.La Tourterelle, d'un air tendre,Dit au Pigeon : mon cher, je vous donne ma voix.Un coeur vraiment épris se fait assez entendre. Le véritable amour s'énonce simplement ;Quand on parle si bien, on aime faiblement.Je préfère le coeur du Pigeon qui roucoule,Aux accents du Serin qui chante joliment :En amour, le vrai bonheur roule, Beaucoup moins sur l'esprit, que sur le sentiment. ÉRASTE. Angélique saura bientôt cette nouvelle.Puisse-t-elle, à son tour faire la Tourterelle ! ÉSOPE. Mais quel Homme, en sifflant, vient nouer l'entretien ?D'un fieffé petit-maître il a tout le maintien. SCÈNE VIII. Ésope, Valère. VALÈRE, entre en sifflant. Ah ! Je vous trouve enfin ! Mais ce n'est pas sans peine ;Pour vous joindre, mon cher, on se met hors d'haleine. ÉSOPE. On me fait trop d'honneur. VALÈRE. Eh ! brisons sur cela,Je suis tout décidé sur cet article-lâ.Sur votre compte on sçait, mon cher, on sçait de reste, Comme l'on doit penser; mais vous êtes modeste;Et je vous en estime encor plus sur ma foi.J'aime la modestie, et c'est mon foible à moî. ÉSOPE, à part. Je m'en aperçois bien. VALÈRE. Oui, j'ai l'âme ravie,De vous entretenir ; car ma plus forte envie Fut toujours de vous voir avec moi de moitié,Dans une liaison d'estime et d'amitié. ÉSOPE. Vous m'honorez beaucoup... VALÈRE. Que dites-vous encore ?Parbleu, je compte bien, que c'est moi que j'honore :Comment ? chez Apollon, votre maître est le mien, Vous êtes, m'a-t-on dit, fort bien, du dernier bien.D'abord, il vous a mis dans la première classe,Et je l'approuve fort. ÉSOPE. Épargnez-moi, de grâce. VALÈRE. Si bien donc qu'en dépit de tous autres censeurs,Vous allez réformer les neufs savantes Soeurs ? Vous avez sur ce point liberté toute entière ?Voilà de quoi fronder, et belle est la matière.Le beau champ à courir ! Car, soit dit entre nous,Tout dans le docte Empire est sans dessus dessous.Le spectateur va-t-il à quelque tragédie ? Il y rit : passe-t-il à quelque comédie ?Il y pleure ; ajoutez cent mille autres travers,Qui mettent chaque jour la Raison à l'envers.Tirez, morbleu, tirez sur tous les ridicules ;Faites leur avaler ces amères pilules, Que l'on nomme brocards, épigrammes, bons mots,Et purgez l'Univers des sottes et des sots.[Note : Dauber : signifie figurément, Médire de quelqu'un, le railler en son absence. [F]]J'aime à les voir dauber. ÉSOPE. La sottise est risible,Ce n'est jamais qu'aux sots qu'elle devient nuisible :Mais d'un vice odieux un mortel infecté, Porte le mauvais air dans la société.Rions du ridicule et pleurons sur le vice. Je croirais donc, Monsieur, rendre un plus grand service,(Si, pour en rendre ici, j'étais assez heureux.)En frondant les abus communs et dangereux, Qu'en faisant remarquer de légères folies,Par qui les bonnes moeurs ne sont point avilies :Il est moins glorieux de se voir le vainqueurDes défauts de l'esprit, que des vices du coeur. VALÈRE. Fort bien. Oh ça! Je vois que vous êtes un homme De grands sens, de bon goût ; c'est pourquoi je vous somme,En qualité d'ami, de dire désormais,Votre avis sur mes vers, et ne flattez jamais.Vous paraissez surpris d'entendre ce langage ;Un homme tel que moi faiseurs de vers ! Je gage, Que de me voir auteur vous êtes étonné ;À ma taille, à mon air, l'auriez-vous deviné ?Non ; je m'en doute bien : je suis un phénomène ;Un poète vulgaire autrement se démène.Il est gauche, il est lourd, il se présente mal : Tant en gros qu'en détail, c'est un franc animal.Son air gai n'est jamais qu'un agrément postiche.[Note : Hémistiche : La moitié d'un vers alexandrin. [L]]Accroché par la rime ou bien par l'hémistiche,Il ne donne le jour à ses productions,Qu'au milieu des douleurs et des contorsions. Ce qu'il arrache enfin, au travail, aux grimaces,Je l'obtiens des plaisirs, des jeux, des ris, des grâces :Et par de jolis vers, fruits de ma belle humeur,J'enrichis le public et jamais l'imprimeur. ÉSOPE. Et dans quel genre encor s'exerce votre Muse ? VALÈRE. Elle choisit toujours un sujet qui l'amuse.Quand on voit le grand monde on est bientôt instruisDes plaisants incidents que le hasard produit.Dès qu'une nouveauté s'empare de la ville,Je mets en jeu le Conte, ou bien le Vaudeville. Je saisis l'Anecdote encor dans le berceau,Je la brode, la rime, et j'en fais un morceau Qui circule, qui prend, et que chacun s'arrache ;Malgré-moi, le génie, y pose mon attache.J'aime quand le sujet est tant soit peut gaillard : Et lorsque la pudeur joue... à Colin-Maillard.J'ai toujours au besoin la Phrase générale,Et je place à propos deux couches de morale :La peste ! Je sais trop qu'il faut... ÉSOPE. Contes en l'air !La morale est obscure et l'équivoque est clair. Croyez-moi, choisissez, si vous voulez écrire,Un genre plus louable et qui vous fasse lire. VALÈRE. Par une fine gaze, on remédie à tout. ÉSOPE. J'ai le faible, Monsieur, d'être d'un autre goût.À quoi bon votre gaze ? Il faudrait mieux, je pense, De toute draperie, épargner la dépense,En prenant des sujets qui pusse ne s'en passer,Et laissant à l'écart ceux qui peuvent blesser. VALÈRE. Vous êtes ennemi du galant badinage ;Cet article, en effet, ne sied bien qu'à mon âge. Mais au votre l'on est caustique et sérieux :Cherchons donc un morceau qui vous conviendra mieux. Il tire un Papier. ÉSOPE. Et c'est ? VALÈRE. Une épigramme ; eh bien ? Je vous attrape ;Vous allez, j'en suis sûr, mon cher, mordre à la grappe. ÉSOPE. Écoutez ; c'est selon : il est de ces morceaux Dont on doit faire cas quand ils sont généraux. VALÈRE. Généraux ? Eh ! Si donc de pareilles critiquesN'auraient nul sel : qui dit vers épigrammatiques,Dit assez clairement, qu'il faut que chaque trait, [Note : Faquin : Crocheteur, homme de la lie du peuple, vil et méprisable. [F]]Désigne le faquin dont on fait le portrait. ÉSOPE. La critique, sitôt qu'on la rend personnelle,Cesse d'être instructive et devient criminelle.Mais il est bon, Monsieur, que je sois éclairci... VALÈRE. Motus ! C'est contre un Grand que j'ai fait celle-ci. ÉSOPE. Contre un Grand !... Vous jouez, par cette folle audace, À vous perdre, Monsieur, sans orner le Parnasse.J'ai toujours entendu qu'un Auteur circonspect,Doit porter dans ses vers un sincère respectAux Dieux, aux Rois, aux Grands, aux Belles, à lui-même. VALÈRE. Maxime de Poltron ! ÉSOPE. Chacun a son système. VALÈRE. Mais le vôtre est mauvais, mon cher, et très mauvais,Oh ! Vous n'irez pas loin. ÉSOPE. Je ne sais où je vais.Car tout homme ici-bas, sur son sort ne voit goûte :Mais je crains moins que vous, de broncher sur la route :Sans la Raison, Monsieur, loin de nous éclairer, L'esprit le plus brillant sert à nous égarer,Ne vaudrait-il pas mieux avoir moins de génie ?... VALÈRE. J'allais faire du votre une estime infinie ;[Note : Bisque : Terme de jeu de paume. Avantage de quinze points qu'un joueur fait à un autre. Fig. Prendre sa bisque, prendre son avantage. [L]]Mais, parbleu, j'en rabats quinze et bisque. ÉSOPE. Fort bien,Vous pouvez tout m'ôter, sans que j'y perdre rien. Mais auriez-vous le temps d'écouter une fable ? VALÈRE. Oüi-da ; c'est Vers, pour Vers et le troc est faisable. ÉSOPE. Vous n'y trouverez point de ces termes gaillards, Dont vous enjolivez vos contes égrillards,Ni de ces traits mordants que dans votre critique, Un esprit médisant donne pour sel attique :Mais vous y trouverez, j'ose au moins m'en flatter,Un vrai, dont le piquant instruit sans insulter. L'ABEILLE ET L'ARAIGNÉE.Dès le matin sur une Rose,Brillante, fraîchement éclose, Ornement de la Terre et vrai présent du Ciel,Dame Abeille trouva Demoiselle Araignée.Notre ouvrière en fil ne fut point épargnéePar la fabriquante de miel.De quel droit oses-tu te loger sur mes terres, Dit l'Abeille en courroux ? Ton souffle empoisonné,Souille l'émail de nos parterres,Et de nos fleurs, par toi, le teint est profané....Je te trouve plaisante ! Est-ce là ton affaire ?Toi-même en ce jardin, dis-moi, que viens-tu faire ? Répondit fièrement l'Insecte venimeux ;Est-ce pour toi seule, que Flore,A pris soin de les faire éclore,Ces fleurs ? Et ton mérite est-il donc fi fameux,Qu'il doive m'éloigner... Je t'entends dit l'Abeille, Sur le Lys éclatant, sur la Rose vermeille,Tu prétends, à ce que je vois,Avoir le même droit que moi.Fais en donc un meilleur usage,Ou je te chasse avec raison. La Fleur produit le miel dans la bouche du sage ;Mais dans celle du fou, son suc est un poison.L'Art de la Poésie est un Art admirable,Et qui peut réunir l'utile et l'agréable.Mais vous le profanez ; et cette belle fleur, Dont on vante, en tous lieux, le parfum, la couleur,Devient, entre vos mains, une plante Et sa flatteuse odeur, un poison qu'on déteste. VALÈRE. Ce morceau-là, vraiment, est travaillé, poli ;Et j'y vois de quoi faire un conte fort joli ; Mais il est sérieux et froid jusqu'à la glace :Je le réchaufferais, mon cher, à votre place.On devient insipide avec trop de raison.Notre esprit est si sot, quand il est en prison ! ÉSOPE. Oüi : mais, lorsqu'il est libre, il n'a qu'un pas à faire Pour être libertin. VALÈRE. Oh ! C'est une autre affaire.Je n'approuve pas, moi, qu'il soit un libertin :Je le veux seulement badin, vif et mutin.Il est certains détours, pour cela, qu'il faut prendre :Vous ignorez cet Art, et je veux vous l'apprendre. Venez me voir. Adieu ; je m'enfuis promptement ;Car je sens que le froid me gagne en ce moment. Valère sort, en chantant : Revenez, revenez Liberté charmante. ÉSOPE. Je lui pardonnerais sa folle étourderie,S'il avait plus de moeurs, et moins d'effronterie. SCÈNE IX et DERNIÈRE. Apollon, Ésope, La Raison, La Rime. APOLLON, s'adressant à la Raison et à la Rime. Ne parlons plus de rien ; les éclaircissements Sont trop souvent l'écueil des raccommodements ;Ne songez désormais qu'à vivre bien ensemble. À Ésope.Que ne te dois-je pas ! C'est toi qui les rassemble,Cher Ésope. ÉSOPE. Ah ! Seigneur, l'honneur vous en est dû.Sans votre auguste appui, m'aurait-on entendu ? LA RIME, à la Raison. Ainsi vous songerez à devenir aimable ? LA RAISON, à la Rime. Et vous me promettez d'être plus raisonnable ? ÉSOPE. La Raison doit aimer tout ce qui peut l'orner,Et la Rime a besoin d'apprendre à raisonner. LA RIME, embrassant la Raison. Dans cet embrassement, dont la douceur nous lie, Étouffons votre flegme ainsi que ma folie. LA RAISON. J'y consens : et les jeux que j'avais exilés,Par mon ordre, en ces lieux, vont être rappelés. LA RIME. À ce cadeau je vois que vous êtes changée;Car la danse par vous était fort négligée. APOLLON. Les plaisirs et les jeux sont ici de saison,Quand on y voit la Rime unie à la Raison. DIVERTISSEMENT. AIR. [APOLLON]. Sans la RaisonSans cette agréable Maîtresse,La plus douce allégresse N'est qu'une fatale ivresse,Et le moindre chagrin, un funeste poison :Mais loin d'ici la Raison qui nous gêne,Dans nos plus innocents désirs;Elle doit être la reine, Et non le tyran des plaisirs. VAUDEVILLE. [APOLLON]. Il est une aimable folieQu'on peut écouter,Par qui la sagesse embellie,Se fait mieux goûter. Malheur à qui nous fait un crimeD'un madrigal, d'une chanson.Celui qui dédaigne la Rime,Ne connaît guères la Raison.Lucile aimait le jeune Alcandre, Plumet indigent :On la marie au vieux Nicandre,Pourquoi ? Pour de l'argent.Pour l'épouse, quel voisinage!Pour l'époux, quelle liaison! Ils vont s'accorder en ménage,Comme la Rime et la Raison.Par une triste destinée,Deux coeurs amoureux,À peine unis par l'hyménée, Cessent d'être heureux :C'est que, ne rimant plus ensemble,Deux époux sont comme en prison,Lorsque le noeud qui les rassemble,N'est formé que par la Raison. Ah ! Morbleu, la sotte manie,Que celle des vers !Elle met, en cérémonie,La tête à l'envers.De l'art d'écrire, à l'art de boire, Est-il quelque comparaison ?Quand je dis : Verse à moi Grégoire !J'unis la Rime et la Raison.Un jour, le rusé Thimarette,Sut pour un bouquet, Attirer l'innocente AnetteAu fond d'un bosquet.J'ignore tout ce qu'ils se dirent :Mais, malgré cette trahison,Je soupçonne qu'ils s'entendirent Mieux que la Rime et la Raison.Je ris quand je vois une mère,Dans un jeune coeur,Opposer la Sagesse amèreÀ mon air vainqueur ; Eh ! Songez, mères de famille,Songez qu'il est une saison,Où le coeur d'une pauvre filleN'entend ni Rime, ni Raison.Pour inspirer de bons ouvrages, Sages Spectateurs :Encouragez par vos suffrages,Nos jeunes auteurs.Celui qui par ma voix s'exprime,Du Public attend sa leçon : C'est nous qui vous donnons la Rime ;Mais vous nous donnez la Raison. ==================================================