******************************************************** DC.Title = THÉSÉE, OPÉRETTE DC.Author = P. G. DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Opérette DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 03/09/2023 à 06:27:19. DC.Coverage = Crète DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/PG_THESEE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5540414q DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** THÉSÉE OPÉRETTE Janvier 1889. P. G. À PARIS, DES PRESSES DE D. JOUAUST, Imprimeur breveté RUE SAINT-HONORÉ, 338 PERSONNAGES THÉSÉE. ARIANE, Princesse, fille de Minos et de Pasiphaé. MINOS, Roi de Crète. PASIPHAË, Reine, femme de Minos. MISS CLUSTENBRUT, Gouvernante anglaise d'Ariane. SUIVANTES DE LA PRINCESSE. DAMES ET SEIGNEURS de la cour de Minos. GARDES. La scène est en Crète, dans le palais de Minos. Extrait de "Entre les paravents, Petites récréations scéniques de salle et de famille", P.G., Janvier 1889, pp. 238-275. Cote BnF [8-YF-410] THÉSÉE SCÈNE PREMIÈRE. Ariane, Miss Clustenbrut, suivantes d'Ariane. Le Théâtre représente une salle du palais. ? Grand portique au fond fermé par une portière qui en s'ouvrant laisse voir le rivage et la mer. CHOEUR. Pour dissiper la tristesseDe notre jeune princesse,Ô Phébus emplis nos chantsDes accords les plus touchants !Dans l'âge de la folie, Quand par la mélancolieSon front pur s'assombrira,Qui donc la déridera ?Tralala, la déridera. ARIANE. Laissez-nous, jeunes filles ; votre zèle me touche, mais vos chansons m'agacent. Elles sortent. Ariane soupire.Ah ! MISS CLUSTENBRUT, prenant uns prise. Dix-neuf. ARIANE. Quoi ? MISS CLUSTENBRUT. Rien, princesse ; je dis seulement : dix-neuf. ARIANE. Ah ! C'est différent. Elle soupire.Ah ! MISS CLUSTENBRUT. Vingt. Elle prend une prise. ARIANE. Plaît-il ? MISS CLUSTENBRUT. Rien, princesse ; je dis : vingt. ARIANE. Après ? MISS CLUSTENBRUT. C'est tout. ARIANE. Vous m'agacez, Miss Clustenbrut. MISS CLUSTENBRUT. Je compte, ô princesse, les soupirs que vous avez poussés depuis que nous sommes dans cette salle, c'est-à-dire depuis un peu moins d'un quart-d'heure, et je remarque que vous avez déjà soupiré vingt fois. Je ne comprends vraiment pas votre mélancolie. Vous, une princesse du sang royal, la fille du grand Minos, le puissant roi de nie de Crète, si fameux dans le monde entier par sa sagesse. Non moins excellent père que monarque prudent, cet auguste prince vous a donné pour couronner votre brillante éducation une gouvernante anglaise d'un commerce agréable et de manières distinguées. Elle prend une prise. ARIANE. Vous, Miss Clustenbrut. MISS CLUSTENBRUT. Que manque-t-il donc à votre bonheur ? ARIANE, soupirant. Ah ! MISS CLUSTENBRUT. Vingt-et-un. ARIANE. Non, ne comptez plus, vous arriveriez avant la fin de la journée à un chiffre effroyable, car je ne suis pas heureuse, en effet. Vous me demandez ce qui manque à mon bonheur. Ah !... Avez-vous aimé, Miss Clustenbrut ? MISS CLUSTENBRUT, pudiquement Ah ! Princesse ! ARIANE. Répondez-moi, avez-vous aimé ? MISS CLUSTENBRUT. Et bien... Oui ! ARIANE. Il était beau, jeune, brave, n'est-ce pas ? C'était un vaillant guerrier de Thessalie ou un intrépide marin d'Argos. MISS CLUSTENBRUT. C'était un jeune officier polonais. ARIANE. Et comment l'as-tu rencontré, comment vos coeurs se sont-ils entendus ? Oh ! Conte moi cela, Miss Clustenbrut. MISS CLUSTENBRUT. C'est toute une histoire qui réveille en moi des souvenirs bien doux et bien amers. Nous nous vîmes un soir aux Champs-Élysées où je me promenais avec ma mère, une maîtresse femme, veuve d'un ancien officier de l'empereur... d'Assyrie, qui ne plaisantait pas avec la discipline. Il nous aborda, ma mère l'envoya à la balançoire, il se garda bien d'y aller ; il nous suivit, se présenta chez nous, ma mère le mit à la porte. Mais, moi, je me désespérais, car j'étais déjà toquée de lui ; si bien que j'eus la faiblesse de lui accorder un rendez-vous. Là, il me proposa de fuir avec lui dans une autre patrie cacher notre bonheur. ARIANE. Et il t'a enlevée. MISS CLUSTENBRUT. Hélas oui ! Il fallait que je fusse bien légère. Mais à ses brûlantes instances, je perdis la tête ; une étrange émotion maîtrisa ma volonté, les oreilles me tintaient, ma vue se troubla, il me semblait que mon coeur se fondit, et... je m'évanouis. ARIANE. Oh !... Poursuis, je t'en prie. MISS CLUSTENBRUT. Quand je revins à moi, je me sentis emportée au galop d'un vigoureux coursier avec mon amant. Nous traversâmes ainsi, dans une course furieuse, la barrière d'Italie, le petit Montrouge, la Thrace, la THessalie, et coetera ; enfin nous mîmes pied à terre à Athènes où nous passâmes un mois entier qui s'écoula pour moi comme un rêve do bonheur dans les délices d'une passion coupable. ARIANE. Ah ! Tu es bien heureuse, toi. MISS CLUSTENBRUT. Au bout de ce temps, il me planta là sans me laisser de monnaie. Après avoir donné quelques moments à mon désespoir, je m'adressai à un bureau de placement et je me fis institutrice pour guider les jeunes personnes de bonne famille dans le sentier de la vertu. ARIANE. Et bien, Clustenbrut, tu me demandes pourquoi je soupire ? Moi aussi je voudrais être aimée, être enlevée. MISS CLUSTENBRUT. Mais, princesse, c'est fort mal ; il ne faut pas avoir de ces idées-là. ARIANE. Ah ! N'importe. Quelle est mon existence dans ce palais, où je meurs d'ennui ? Le roi mon père est sans doute un fort bonhomme, mais ma mère Pasiphaë n'est qu'une marâtre pour moi et me rend la vie désagréable au possible. Aussi je rêve sans cesse un jeune et galant cavalier, aimable, vaillant, fidèle, qui me délivre de cet esclavage et apaise les tourments de mon coeur. MISS CLUSTENBRUT. Et bien, racontez donc des histoires morales aux jeunes filles, voilà comme elles en profitent. ARIANE. Quand tonte une soirée Je contemple des cieuxLa voûte diapréeD'un regard anxieux,Tu crois que j'étudiePeut-être pour cela La grave astronomiePendant tout ce temps-là ?Non, mais des cieuxJe rêve qu'en ce lieuDescend un dieu Tendrement amoureux. MISS CLUSTENBRUT. Mais, Princesse, cet espoir-là est tout à fait extravagant. ARIANE. Sur la mer infinieQuand je rois le matinLes vaisseaux de l'AsieApportant le butin, Par une erreur étrange,Crois-tu qu'en ce momentJe sois au libre-échangeÀ rêver longuement ?Non, mais bien mieux, Je rêve qu'en ces lieux,Sur les flots bleus,Vient un prince amoureux. MISS CLUSTENBRUT. Taisez-vous, taisez-vous, voici la reine votre mère. SCÈNE II. Ariane, Miss Clustenbrut, Pasiphae. PASIPHAË. Que faites-vous là, Mademoiselle ? Miss Clustenbrut, pourquoi cette petite n'est-elle pas dans sa chambré ? MISS CLUSTENBRUT. La princesse a désiré prendre l'air. PASIPHAË. Prendre l'air d'une évaporée, n'est-ce pas ? ARIANE. J'aime le ton de tendresse maternelle dont sont empreintes vos observations, Madame. PASIPHAË. Faites-donc la sainte Nitouche, ce n'est pas moi qui serai la dupe de ces airs-là ; c'est bon avec le papa Minos. ARIANE. Vous devez en savoir quoique chose. PASIPHAË. Je ne veux pas que vous soyez toujours à vous promener dans le palais pour faire de l'oeil aux officiers du roi. ARIANE. Je n'aurais garde de chasser sur vos terres. PASIPHAË. Sortez, Mademoiselle, rentrez dans vos appartements et que je ne vous rencontre plus dans tous les coins. ARIANE. Je ne le désire pas plus que vous. PASIPHAË. Venez, venez, Princesse, ne fâchons pas maman. SCÈNE III. ARIANE, MISS CLUSTENBRUT, PASIPIIAË, MINOS ARIANE. Ah ! Bonjour papa. MINOS. Bonjour, cher petit trognon. PASIPHAË. Bien, vous allez encore la soutenir contre moi. MINOS. Comment cela ? PASIPHAË. Vous ne voyez donc pas que c'est une petite désobéissante dont je ne puis venir à bout ; je lui ordonne de rentrer chez elle et de n'en pas sortir et je la trouve toujours en l'air. MINOS. Comment, Mademoiselle ?... Écoutez donc, ma bonne, la jeunesse a besoin de mouvement. PASIPHAË. Parfait, encouragez-la. MINOS. Mais non, pas du tout. - Mais savez-vous, ma chère Pasiphaë, la nouvelle que je viens de recevoir ? PASIPHAË. Non. Quelle nouvelle ? MINOS. Une nouvelle politique, vous savez bien que je suis constamment occupé du soin de mon royaume et du bonheur de mes sujets. ARIANE Le monde entier, mon cher père, admire votre justice et votre bonté. MINOS. Je puis me flatter d'avoir relevé la Crète. PASIPHAË. Comment, vous êtes encore là, petite curieuse. ARIANE Mais, madame... PASIPHAË. Sortez, Mademoiselle, les secrets d'État ne vous regardent pas. MINOS. Sortez, Mademoiselle, les secrets... ARIANE Mon bon petit papa. MINOS. Au fait, ce n'est pas un secret d'État, je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'elle l'entende aussi. Vous savez donc que tous les ans les Athéniens m'envoient quelques jeunes gens dont je puis disposer comme bon me semble, C'est un tribut que j'ai exigé d'eux à seule fin de leur montrer que je ne me mouche pas du pied et que les Crétois ne sont pas des crétins. - Or c'est aujourd'hui que doit se détacher le coupon de cette petite rente originale et j'apprends que, parmi les prisonniers remis cette année à ma discrétion, se trouve qui ?... ARIANE Oui, qui ? PASIPHAË. Qui, qui, qui ? MINOS. Thésée, le propre fils du roi d'Athènes. PASIPHAË. Le fils du roi ! ARIANE Un jeune prince, brave, aimable, beau, sans doute. MISS CLUSTENBRUT Ah ! Princesse, un jeune homme superbe, je l'ai vu à Athènes. PASIPHAË. Entendez-vous cette petite effrontée ? Pour la dernière fois, rentrez chez vous, Mademoiselle. MINOS. Un peu d'indulgence, chère amie. PASIPHAË. Vous êtes trop bonasse aussi de souffrir qu'elle brave ainsi mon autorité. MINOS. Mais du tout, rentrez chez vous, Princesse. ARIANE Mais je veux voir le prince. MINOS. Sois tranquille, mon chou, quand il arrivera je te ferai prévenir. ARIANE Merci, mon papa, vous êtes bien gentil. Elle sort avec Clustenbrut. SCÈNE IV. Minos, Pasipiiaë PASIPHAË. Vous êtes avec cette enfant d'une faiblesse qui n'a pas de nom. MINOS. Mais aussi, chère amie, vous la tarabustez toujours. PASIPHAË. Croyez-vous que je n'aie pas mes raisons ? Est-ce que vous entendez quelque chose à l'éducation d'une jeune fille ? Je vous dis que celle-ci a besoin d'être tenue avec la plus grande sévérité. MINOS. Cependant, ma chère Pasiphaé, il me semble que la douceur !... PASIPHAË. Vous n'y connaissez rien. Vous savez bien que si je vous laisse jouir devant le monde d'une réputation énormément surfaite de prudence et de capacité, c'est à la condition que, quand nous sommes en tête à tête, vous n'aurez pas la prétention de m'en imposer comme au public. Or je prévois que, si je n'y mets bon ordre, Ariane tournera mal. MINOS. Du moment que vous prévoyez cela, c'est différent. Cependant je ne vois pas ce qui vous autorisée penser... PASIPHAË. C'est que votre intelligence est horriblement myope, tout à l'heure je suis entrée dans son appartement, où je ne l'ai pas trouvée ; j'ai pénétré jusqu'à sa chambre à coucher, dont l'inventaire fait en quelques coups d'oeil m'a scandalisée. MINOS. Vraiment, bobonne, qu'avez-vous donc vu ? PASIPHAË. Dans ton cabinet de toilette, Réduit modeste et virginaL, De la plus profonde coquette J'ai déeouvert tout l'arsenal. J'ai trouvé de parfumerie Un assortiment sans égal, Du maquillage d'Assyrie, Du blanc, du rouge végétal. Ah ! Si nous n'y mettons bon ordre, Votre Ariane assurément Donnera du fil à retordre À papa tout comme à maman. J'ai pu de sa littérature Juger en voyant un bouquin, Certain roman qui, je vous jure, N'est pas signé par feu Berquin. Au lieu d'avoir, comme l'observe fillette aux pensers ingénus, La chaste image de Minerve, Elle a les amours de Vénus. Ah ! Si nous n'y mettons bon ordre, Votre Ariane assurément Donnera du fil à retordre À papa tout comme à maman. À l'aiguille elle est étrangère, Je n'ai rien vu de ses travaux ; Mais tous ses rayons d'étagère Sont encombrés de bibelots. Enfin une photographie A soudain frappé mon regard, En maillot collant, je vous prie, Le portrait du beau Léotard ! Ah ! Si nous n'y mettons bon ordre, Votre Ariane assurément Donnera du fil à retordre À papa tout comme à maman. MINOS. Eh ! En effet, tout cela est assez singulier. Savez-vous, ma chère bébelle, il faudra la marier. PASIPHAË. C'est cela, pour être grand'mère. MINOS. Vous avez raison, je n'y songeais pas. PASIPHAË. Vous n'êtes qu'un vieux cornichon. MINOS. Du monde, ne compromettez pas la dignité royale. UN GARDE. Sire, un vaisseau portant pavillon athénien vient d'aborder au port et d'y débarquer le fils du roi d'Athènes au nombre des prisonniers qu'on vous envoie. Qu'ordonne votre majesté ? MINOS. Qu'on l'introduise en ma présence. Ah ! D'abord qu'on fasse ranger mes gardes en haie, qu'on prévienne les seigneurs de ma Cour, qu'on commande un détachement de pompiers. Un peu de pompe ne peut pas faire mal. SCÈNE V. Minos, Pasiphaë, Ariane, Miss Clustenbrut, Seigneurs et Dames de la Cour, Gardes, puis Thésée. Minos et Patiphaë s'assoient sur leur trône, à côté duquel t'assied Ariane et près d'elle Miss Clustenbrut. CHOEUR. Ah ! Qu'on est fier d'être Crétois Sous let lois Du plus sage des rois. Chantons tous a la fois : Vire Minos, et crions sur les toits : Vire le roi des Crétois. Athènes, qui dévant les rois Quelquefois Ose élever la voix, A cédé cette fois Devant Minos et doit subir ses lois. Vire le roi des Crétois ! Thésée entre, escorté de quelques gardes. Le voila, le voilà, Le célèbre Thésée, Sa démarche est fière, est aisée. Quel air il a Ce gaillard-là ! THÉSÉE. Ô grand Minos, recevez mon hommage, Je suis bien votre serviteur. ARIANE, à part. Pauvre jeune homme, ah ! quel dommage,Son sort cruel me fend le coeur. MINOS à Pasiphaë. Qu'en penses-tu, ma toute belle ? PASIPHAË. Mais sa figure me revient. MISS CLUSTENBRUT, à Ariane. Qu'en dites-vous, Mademoiselle ? ARIANE. Ah ! Qu'il est bien ! Ah ! Qu'il est bien ! THÉSÉE, à part, apercevant Ariane. Ah ! nom de nom, la charmante princesse.Quel ravissant petit minois,Je n'ai pu ru son pareil dans la Grèce. ARIANE, à Clustenbrut. Ma chère, il me lorgne, je crois. MINOS, à THÉSÉE. À ta parole il est fidèle,Je le vois, le peuple athénien. PASIPHAË, à part. C'est un bel homme ! THÉSÉE, regardant Ariane. Ah ! Qu'elle est belle ! ARIANE, regardant Thésée. Ah ! Qu'il est bien ! Qu'il est donc bien ! LE CHOEUR. Le voila, le voilà, Le célèbre Thésée,Sa démarche est fière, est aisée.Quel air il aCe gaillard-là ! MINOS. Approchez sans crainte, jeune étranger, que la majesté royale ne vous effraie pas. THÉSÉE. Mon coeur ne connaît pas la crainte et mes yeux, ô roi, sont familiarisés avec l'éclat du trône. MINOS. À ce fier langage, à cette noble assurance, je reconnais en vous un jeune homme de bonne famille. THÉSÉE. Je suis Thésée, fils du roi d'Athènes. MINOS. Thésée, vous ! THÉSÉE. Je croyais que vous m'interrogiez. MINOS. Sans doute, je dis : Thésée ! - vous ? Mais comment se fait-il que vous, un prince du sang, on vous ait sacrifié ainsi ? THÉSÉE. Je me suis offert moi-même pour mes concitoyens. ARIANE, à part. Quel dévouement. MINOS. C'est très beau, jeune homme, c'est très beau. Mais vous savez sans doute le sort qui vous attend. THÉSÉE. Je sais que je dois être donné en proie aux fureurs du Minotaure. MINOS. Il est étonnant. Mais vous ne connaissez pas le Minotaure, c'est une grosse bête à cornes, qui fait : hou ! hou ! THÉSÉE. Je vous l'ai dit, mon coeur ne connaît pas la crainte. MINOS. Ce garçon est intrépide. ARIANE. Entends-tu, Clustenbrut, quel courage. MINOS. Je croyais que la renommée exagérait vos exploits, mais je commence a voir que ce ne sont pas des canards. Contez-nous un peu cela. À Pasiphaë. Voulez-vous, mon chat ? PASIPHAË. Je ne demande pas mieux. THÉSÉE. Vous l'exigez, ô roi. Silence, ma modestie.À peine au sortir de l'enfance,Ma mère Ethra me mit en mainUne épée avac confiance,Quoique je fusse encor gamin :Et maintenant va, Dit-elle, avec ça,Chercher ton papaQui t'a planté la. MINOS. Et vous vous mites en voyageMuni de ce léger bagage. Ah ! Vraiment, ah ! Vraiment,Ce jeune homme est étonnant. TOUS. Ah ! Vraiment, ah ! Vraiment,Ce jeune homme est étonnant. THÉSÉE. Or, pour aller vers Athènes, Les routes sont, comme on dit,D'honnêtes gens aussi pleinesQue la forêt de Bondy.Je fis bientôt rencontreD'un horrible géant Qui me demanda polimentMon argent et ma montre.D'un coup de bâtonJ'envoyai le pauvre hèreVoir l'heure au cadran solaire De maître Pluton. CHOEUR. Ah ! Vraiment, ah ! Vraiment,Ce jeune homme est étonnant. THÉSÉE. À Sinnis, autre canaille,À Sciron, à Cereyon, J'infligeai par représaillesLa peine du talion.Châtiment non moins justePour un coeur aussi noir,J'ai fait passer au laminoir [Note : Procuste : Célèbre voleur et assassin cruel de la mythologie grecque. Il fut tué par Thésée.]Le gueusard de Procuste.J'ai su vaincre enfinLes monstres les plus perfides,Les superbes Pallantides,Le terrible Arpin. CHOEUR. Ah ! vraiment, ah ! Vraiment,Ce jeune homme est étonnant. MINOS. Jeune héros ! Vos exploits me pénètrent d'admiration. Mon avis est que vous méritez d'être distingué par un traitement spécial. Qu'en penses-tu, poupoule ? PASIPIIAË. Je crois en effet que ce prince magnanime est digne de quelques égards. À part.C'est un fort joli garçon, ma foi. MINOS. Qu'allons-nous faire de vous, voilà la question? ARIANE. Oh ! Grâce, mon père, grâce pleine et entière pour le brave Thésée. PASIPHAË. Taisez-vous. THÉSÉE. Puisque je viens de vous le dire. PASIPHAÉ. Je ne vous parle pas, je parle et la princesse. THÉSÉE. Pardon, excuse en ce cas. À part. La reine n'a pas l'air commode, mais la princesse est charmante. PASIPHAÉ, à part. Elle l'aime la malheureuse. Haut.Pas de grâce, Ô roi, ce serait faire injure au vaillant Thésée ; il vous a déclaré qu'il n'avait pas peur du Minotaure. THÉSÉE. C'est-à-dire que je m'en fiche proprement. MINOS. Jeune téméraire ! Voyons, mes fidèles Crétois, devons-nous livrer... PASIPHAË. Oui, oui, au Minotaure. TOUS. Au Minotaure ! MISS CLUSTENBRUT. Princesse, du courage ; je dois vous faire observer qu'on vous observe, ainsi observez-vous. THÉSÉE, à part. Elle se trouve mal, la pauvre petite. Quel amour de princesse. Il lui envoie des baisers. PASIPHAË, l'apercevant. Eh bien qu'est-ce que vous faites donc ? MINOS. Puisque telle est l'opinion de la majorité, nous allons, jeune homme, vous conduire au labyrinthe. En attendant vous pouvez vous reposer quelques heures dans ce palais, où vous resterez prisonnier sur parole, sous la garde d'un piquet de gendarmerie.Puisqu'il y tient.Livrons au MinotaureCe jeune Athénien Qui ne doute de rien.Mais on voit bienQue le gaillard ignoreQuel brutalEst cet animal. ARIANE. Arrêt détestable,Qui condamne, 6 ciel ICe jeune prince aimableAu sort le plus cruel. THÉSÉE. Je le dis encore : Ça m'est bien égal,De Totre MinotaureJe me fiche pas mal. PASIPHAË. Vous l'entende, le téméraireSe rit de nous. MINOS. Tant pis pour lui. De gamme il va changer, ma chère,Cet imprudent qui dans sa barbe a ri. TOUS. Puisqu'il y tient,Livrons au MinotaureCe jeune Athénien Qui ne doute de rien.Mais on voit bienQue le gaillard ignoreQuel brutalEst cet animal. Tous sortent pendant le choeur excepté Thésée qui continue d'envoyer des baisers à Ariane pendant le défilé. - Quand tout le monde est parti, celle-ci revient tout à coup sur ses pas. SCÈNE VI. Thésée, Ariane. ARIANE. Malheureux prince ! THÉSÉE. Adorable princesse. ARIANE. Votre perte est certaine, ce monstre... THÉSÉE. Ah ! Si vous saviez comme je m'en moque. Ah ! Ah ! C'est moi qui m'en moque. ARIANE. Héroïque intrépidité. THÉSÉE. Regardez-moi ce biceps. ARIANE. Je ne doute ni de votre force, ni de votre courage, mais vous ne savez pas toute l'étendue des dangers qui vous menacent et qui me désespèrent ; car...En vain je chercheraisÀ vous faire un mystèreDes sentiments secretsQue je ne saurais taire.Dans ma naÎveté S'il est quelque imprudence,Hélas ! mon innocenceFait ma sincérité. THÉSÉE. Ah ! Si vous consentezÀ répondre à ma flamme, Les périls affrontésSeront doux et mon âme.Lorsque tant de beautéRépond de ma constance,Prenez donc confiance Dans ma sincérité.Ah ! Consentez qu'en partant pour AthénesDans mon vaisseau je vous emmène.Les feux qu'ont dans mon coeur allumés vos beaux yeux Peuvent aller à l'eau, n'en flamberont que mieux. ARIANE. Quitter ainsi ces sacrés toits Crétois,En vérité, je ne sais si je dois...Le monde est si méchant, il se pourrait bien faireQue l'on trouvât la démarche légère. THÉSÉE. Faut-il, par Cupidon ! Se gêner, ma princesse,Pour le qu'en dira-t-on ?Ah ! Croyez ma tendresse.Acceptez aujourd'hui,Montrez-vous moins timide, Ce bras là pour appui,Le dieu d'amour pour guide. ARIANE. J'hésite, voyez-vous,De la mer IcarienneA braver le courroux, Ainsi que de la mienne.Je devrais refuser,De peur d'être indiscrète,Les portières de CrèteSur moi vont bien jaser. ARIANE. Mais vous parlez de fuite, infortuné jeune homme, vous ne savez donc pas ce que c'est que le labyrinthe où l'on va vous conduire. THÉSÉE. Je n'en ai pas la moindre idée. ARIANE. C'est un immense bâtiment, composé d'un nombre infini de corridors entremêlés de telle manière qu'une fois qu'on y est engagé il est impossible d'en retrouver l'entrée et qu'il faut infailliblement y périr. THÉSÉE. Cette nécessité manque de charmes. ARIANE. Que vous serviront votre vigueur, votre courage, votre héroïsme, quand vous chercherez inutilement votre chemin à travers ces inextricables détours ? THÉSÉE. Absolument à rien. ARIANE. Vous voyez donc bien si j'ai raison d'être inquiète et de désespérer de votre salut. THÉSÉE. Je commence à l'entrevoir. ARIANE. Et pourtant, vous ne pouvez périr ainsi misérablement. THÉSÉE. J'aimerais assez à m'en dispenser. ARIANE. Amour, amour, inspire-nous. THÉSÉE. Oui, amour, souffle-nous quelque truc ingénieux. ARIANE. Fournis à tes fidèles quelqu'une de ces ruses dont tu possèdes le secret. THÉSÉE. Indique-nous quelque ficelle... ARIANE. Que dites-vous ?... Ah ! Fameux. THÉSÉE. Et bien, quoi ? ARIANE. C'est le fils de Cythère lui-même qui a parlé par votre bouche. THÉSÉE. Vous croyez, il aurait daigné se servir de mon organe ? ARIANE. Tenez, prenez ce peloton de fil de lin. THÉSÉE. C'est un souvenir ? ARIANE. MaiS non. Écoutez-moi bien : vous attacherez un bout de ce fil à l'entrée du labyrinthe et vous dépelotonnerez en y pénétrant, et puis, quand vous voudrez sortir, vous n'aurez qu'à repelotonner. THÉSÉE. Oh ! Mais c'est excessivement ingénieux. Chère princesse, je vous admire, je n'aurais jamais trouvé celui-là. Grâce à ce peloton de fil.... ARIANE. De fil de lin. THÉSÉE. De lin, de laine, n'importe. ARIANE. Non, le lin est bien plus sûr, car dans votre précipitation vous auriez pu perdre la laine. THÉSÉE. C'est juste, vous pensez à tout ; mon amour se multiplie par ma reconnaissance. Sans le secours de votre imagination, je serais resté à moisir dans cet affreux labyrinthe et je me serais cassé la tête contre les murs sans pouvoir en faire sortir une idée pour me tirer de là, je me connais. ARIANE. Il me souvient qu'on m'a conté que le malheureux Icare, enfermé comme vous dans ce lieu terrible, n'en pût jamais retrouver la porte et finit par se confectionner des ailes de cire au moyen desquelles il s'envola. THÉSÉE. Et bien mais ce n'était déjà pas si bête. ARIANE. Sans doute ; mais ses ailes fondirent au soleil et il tomba au beau milieu de la mer, où il se noya. THÉSÉE. C'est différent. Dans ce cas, je préfère votre fil aux ailes. ARIANE. Et maintenant, adieu. THÉSÉE. Au revoir plutôt ; vous savez que c'est convenu, je vous emmène. ARIANE. Et bien tant pis, j'accepte et je vais préparer mes malles. ENSEMBLE. À quoi tient l'espérance,Le bonheur à quoi tient-il ?À quoi tient l'existence ?Souvent a rien de plus qu'un fil. THÉSÉE. En cette circonstance, Pour me tirer de péril,Je prends de confianceCe peloton de simple fil. ARIANE. Vous braverez sans crainteL'enchevêtrement subtil De l'affreux labyrinthe.Mais n'allez pas perdre le fil. ENSEMBLE. À quoi tient l'espérance,Le bonheur à quoi tient-il ?À quoi tient l'existence ? Souvent a rien de plus qu'un fil. Ariane sort. SCÈNE VII. Thésée, Pasipiiaë. PASIPHAË, entrant. Prince, voulez-vous qu'on vous sauve ? THÉSÉE. Encore ! Est-ce qu'elle va m'offrir une seconde bobine ? PASIPHAË. Au lieu de vous laisser exposer aux fureurs du Minotaure et aux dangers du labyrinthe, je vous attacherai à ma personne, vous serez mon... THÉSÉE. Votre quoi, s'il vous plaît ? PASIPHAË. Mon écuyer, mon secrétaire, le titre n'y fait rien. Voulez-vous que je vous fasse nommer inspecteur général des musées de la Crète. THÉSÉE. Très bien, très bien, cela ne me va pas. PASIPHAË. On plutôt vous serez mon conseiller, mon confident, mon ami. THÉSÉE. Ah ! Oui-dà. PASIPHAË. Vous aurez des chevaux, des esclaves, une maison montée, de l'or à discrétion, et les devoirs de votre charge seront bien faciles à remplir, ils ne consisteront qu'à témoigner à votre reine un peu d'amitié. THÉSÉE. Ce n'est déjà pas si aisé. PASIPHAË. Tenez, Thésée, je dois m'expliquer sans détours. THÉSÉE. Parbleu, je comprends parfaitement, toutes les femmes sont folles de moi. PASIPHAË. Faut-il vous l'avouer enfin, Thésée, je vous aime. THÉSÉE. Cela ne m'étonne pas. PASIPHAË. Oh ! Le petit fat.Veux-tu, c'est bien facile,Vivre oisif et gandin,Avoir hôtel en villeEntre cour et jardin ? Réponds, réponds. Et bien ? THÉSÉE. Non, non, je ne veux rien. PASIPHAË. Je veux te satisfaireDans tes prétentions;Dans toute belle affaire Veux-tu des actions?Réponds, réponds. Et bien? THÉSÉE. Non, non, je ne veux rien. PASIPHAË. Veux-tu qu'on te procure,Pour vivre en grand seigneur, Brillante sinécure ?Veux-tu... la croix d'honneur ?Réponds, réponds. Et bien ? THÉSÉE. De vous je ne veux rien. PASIPHAË. En toute assurance Ici sur moi tu peux compter.Dans cette occurrenceT'est-il possible d'hésiter ?Quand mon tendre zèleVeut t'arracher à ce danger. À mon coeur fidèleTout ne doit-il pas t'engager? THÉSÉE. Quelle différencePrés d'Ariane, ô Jupiter !Pour la préférence Comment donc pourrais-je hésiter ?Cette jeune belleDes détours vient me débrouiller,Hélas ! Tandis qu'elleNe cherche qu'a m'entortiller. PASIPHAË. Dites un mot et, au lieu de la mort la plus misérable et la plus affreuse, je vous donne l'existence la plus voluptueuse et la plus fortunée. THÉSÉE. Et bien non. PASIPHAË. Comment non ? Quand je vous offre toutes tes délices de la vie avec mon coeur par-dessus le marché. THÉSÉE. J'aime mieux le Minotaure. PASIPHAË. Misérable, vous m'insultez, vous dédaignez ma faveur. Ah ! Je vois ce que c'est, une autre m'aura prévenue. N'est-il pas vrai, petit vaurien, vous en aimez une autre ? THÉSÉE. Vous êtes trop curieuse. PASIPHAË. C'est en vain que vous cherchez des détours. La petite Ariane vous a donné dans l'oeil, je m'en suis bien aperçue. Et bien je me vengerai d'elle et de vous. De vous d'abord en hâtant votre supplice. THÉSÉE. Hâtez, Madame, hâtez. PASIPHAË. Voyons, petit entêté, il est temps encore de vous repentir. Vous ne savez pas ce que vous refusez. Qu'auriez-vous pu espérer de l'amour d'une jeune fille ignorante et inexpérimentée ? Ah ! Vous ne connaissez pas les ressources infinies de la tendresse d'une femme mieux instruite par Vénus. THÉSÉE. Ne m'approchez pas. PASIPHAË. Ah ! Tu persistes à me repousser, indigne, et bien tant pis pour toi. SCÈNE VIII. THÉSÉE, PASIPIIAË, MINOS, GARDES PASIPHAË. À quoi pensez-vous donc, Minos, de laisser là ce misérable Athénien? Est-ce quH ne devrait pas être en labyrinthe depuis longtemps. MINOS. C'est très juste, mon coeur, vous avez raison. J'aurais voulu, brave Thésée, pouvoir vous faire grâce en considération de votre mérite hors ligne... PASIPHAË. Non, non, pas de grâce. THÉSÉE. Je n'en demande fichtre pas non plus. MINOS. Cette fierté vous sied bien. D'autant plus que si vous en demandiez ce serait absolument la même chose, attendu que mon conseil n'est pas d'avis... THÉSÉE. Je suis prêt, qu'on me conduise. MINOS. C'est ce à quoi nons allons procéder. Ne pouvant faire pour vous tout ce que je voudrais, j'ai pensé vous devoir donner néanmoins toutes les marques de ma bienveillance qui ne peuvent porter atteinte à la Constitution; c'est pourquoi je vais vous adresser quelques paroles bien senties. THÉSÉE. Ah ! Non par exemple. Je m'en priverai très volontiers. MINOS. Ingrat, vous refusez mes bienfaits. THÉSÉE. La seule grâce que je demande est qu'on en finisse avec moi le plus tôt possible. PASIPHAË. Vous l'entendez, Minos, à quoi bon lambiner davantage ? MINOS. Ne m'appelez pas lambin, mon chat, il y a du monde. PASIPHAË. Alors finissez-en, car si vous m'impatientez ainsi, je ne serai pas maîtresse de moi. MINOS. Gardes, qu'on l'emmène puisqu'il est si pressé. Vous en répondez sur votre tête. PASIPHAË. Va, jeune imprudent, va apprendre ce qu'il en coûte de braver nos fureurs et de dédaigner nos bontés.À ce téméraireMontrons à la finQu'il en cuit de fairePar trop le malin. THÉSÉE. Ah ! La bonne histoire, Que vous m'amusez,Quand à la victoireVous me conduisez. CHOEUR. À ce téméraireMontrons à la fin, Qu'il en cuit de fairePar trop le malin. THÉSÉE. Je suis téméraireEt jusqu'à la fin,Je pourrais bien faire, Je crois, le malin. Les gardes emmènent Thésée ? tous sortent ? Ariane et Clustenbrut, qui guettaient leur départ, entrent. SCÈNE IX. Ariane, Miss Clustenbrut. MISS CLUSTENBRUT. Ils sont partis, Princesse. ARIANE. Ainsi donc c'en est fait, il est maintenant exposé aux périls que son grand coeur méprise. Clustenbrut, soutiens mon courage, je ne vis pas, je suis sur le gril. Ah ! S'il allait succomber. MISS CLUSTENBRUT. Ce serait dommage, un si bel homme. ARIANE. Mais non, il m'a défendu de douter de sa victoire et je ne dois songer qu'au bonheur qui nous attend. MISS CLUSTENBRUT. Rappelez-vous, princesse, que j'ai fait tous mes efforts pour vous détourner... ARIANE. C'est bon, c'est bon, tu m'ennuies. Fais promptement porter nos malles au vaisseau de Thésée par un esclave sûr. MISS CLUSTENBRUT. Oui. Princesse. ARIANE. Ensuite, tu iras flâner dans les environs et tu viendras m'avertir dès que tu apercevras ce héros. MISS CLUSTENBRUT. C'est convenu. ARIANE. Et alors nous prenons nos cliques et nos claques et nous courons nous embarquer. MISS CLUSTENBRUT. Ô Vénus ! Protège notre voyage. Elle prend une prise. ARIANE. Cours, ne perds pas un instant, et surtout que tout soit fait avec mystère. SCÈNE X. Ariane, Pasiphaë. PASIPHAË. Encore ici, Mademoiselle, quand je vous ai dit une fois pour toutes de rester dans votre chambre. ARIANE. Soyez tranquille, c'est bien la dernière fois que vous m'y rencontrerez. PASIPHAË. Vous espériez sans doute y retrouver le beau Thésée. Mais, Dieu merci, le roi votre père s'est décidé à en finir avec lui. Cela ne fait peut-être pas votre compte ? ARIANE. Pourquoi cela, Madame ? PASIPHAË. Pourquoi, jeune fille dissimulée ? Parce que vous osez aimer cet ennemi de l'État. Aurez-vous le toupet de le nier ? ARIANE. Et bien oui, je l'aime ; mon coeur n'a pu être insensible aux brillantes vertus de ce héros ; je ne veux pas m'en cacher plus longtemps et je viens de ce pas de sacrifier une colombe à Vénus pour qu'elle s'intéresse à son salut. PASIPHAË. Quelle effronterie ! Et vous osez me le dire ? ARIANE. Je n'ai plus de ménagements à garder désormais. PASIPHAË. Ah ! Oui-dà, c'est un peu fort. ARIANE. Non seulement je l'aime, mais encore il m'aime aussi. Bien plus... Nous nous aimons réciproquement. PASIPHAË. C'est trop me braver. Pour vous apprendre, je vais demander à Minos de vous faire enfermer à perpétuité dans une bonne tour. ARIANE. De votre part, il n'est pas de tour qui puisse me surprendre. PASIPHAË. Et là, vous attendrez que votre cher amant, pour vous en délivrer, revienne de chez Pluton. ARIANE. Comment, que dites-vous ? PASIPHAË. Est-ce que vous comptiez encore sur lui ? Ah ! Ah ! Ah ! Il est parfaitement défunt à l'heure qu'il est. ARIANE. Qu'entends-je, ô ciel ! Elle pleure. SCÈNE XI. ARIANE, PASIPIIAË, MINOS. MINOS. Qu'as-tu donc à pleurer, mon chou ? ARIANE. Ah ! Papa, je suis bien malheureuse. PASIPHAË. Ne l'écoutez pas, elle vient de me manquer et mérite d'être punie. MINOS. Ah ! Mon petit chou, c'est bien vilain de manquer à sa maman. ARIANE. C'est maman qui me tourmente toujours à propos de tout. MINOS. Il faut aussi un peu de douceur avec cette enfant, bobonne. PASIPHAË. Je vous dis qu'elle est incorrigible et fait mon désespoir. MINOS. Il faut écouter sa maman aussi, mon cher trognon. ARIANE. Maman, n'est pas juste avec moi. MINOS. Le fait est, mon coeur, que vous êtes un peu sévère. PASIPHAË. Tenez, vous n'êtes qu'un vieux cornichon. MINOS. Du monde, ne compromettez pas ma dignité. UN GARDE. Sire, le vaillant Thésée revient du labyrinthe vainqueur du Minotaure, pour faire hommage de sa tête aux pieds de votre majesté. Cris au-dehors :Vive le brave Thésée ! ARIANE. Sauvé ! Merci, mon Dieu ! PASIPHAË. Se peut-il ! MINOS. Ce jeune homme est étonnant. ARIANE. À la faveur, du tumulte et de l'enthousiasme, donnons-nous de l'air en douceur. Elle sort. MINOS. Remontons sur notre trône pour le recevoir. SCÈNE XII. Minos, Pasiphaë, Thésée, Gardes, Courtisans THÉSÉE. Sire, le Minotaure n'est plus, ce bras lui a fait mordre la poussière. MINOS. C'est qu'il l'a fait comme il le disait. Mais comment êtes-vous sorti du labyrinthe ? THÉSÉE. Une divinité m'en a tiré. MINOS. Du moment que les dieux vous protègent, je me fais un plaisir de m'associer à leurs bonnes intentions à votre égard. Votre courage mérite une digne récompense et, en faveur de ce dernier exploit, je fais remise aux Athéniens, à l'avenir, du tribut en nature qu'ils me payaient. THÉSÉE. Ô grand roi, ma reconnaissance vous est acquise. Ce n'est pas à tort qu'on vous répute le plus sage des monarques. MINOS. Maintenant, vous êtes libre ; retournez donc auprès du roi, votre auteur, et dites-lui, grand prince, dites à cet heureux père... Oui, dites-lui... Bien des choses de ma part. THÉSÉE. Vous êtes bien bon ; je n'y manquerai pas. MINOS. Tout couvert de gloire,Allez près de lui.De votre victoireGoûter l'heureux fruit. CHOEUR Chantons la victoireDu vaillant héros,Célébrons la gloireDu sage Minos.Ce monarque sage Dans son équitéSait rendre an courageL'honneur mérité. La portière du fond t'est ouverte et laisse voir le bord de la mer et le vaisseau où Thésée va s'embarquer pendant le choeur. Quand le vaisseau commence à s'éloigner, on aperçoit dessus Thésée tenant Ariane par la taille et Miss Clustenbrut qui prise avec fureur. MINOS. Allez, jeune guerrier, et qu'à nos voeux propice,Neptune vous procure on voyage joyeux Et des écueils tous garantisse. PASIPHAË. Que vois-je ? Misérable, en croirai-je mes yeux ? MINOS. Qu'est-ce donc ? PASIPHAË. Regardez : Ariane. MINOS, qui a mis ses lunettes. Ma fille !Il enlève Ariane. Ah ! Filou ! Ah ! Brigand ! PASIPHAË Quel camouflet... pour la famille ! MINOS À moi, gardes, courez après cet intrigant.Vite, vite,A la poursuiteDe ce farceurDe ravisseur, Qu'on s'élanceEt qu'on lanceTous les canotsParmi les flots.Mais allez donc, Mais courez donc. TOUS, sans bouger de place. Courons viteA la poursuiteDe ce farceurDe ravisseur. Allons, allons,Courons, courons. MINOS. Quelle charge,Il prend le largeEn nous narguant, En naviguant.. PASIPHAË. Ô défaite !Je suis refaiteEt pour mes fraisJ'en resterais. Mais allez donc,Mais courez donc. TOUS, sans bouger davantage Courons viteÀ la poursuiteDe ce farceur De ravisseur.Courons, allons,Partons, volons,Marchons, allons,Courons, volons. Pendant la reprise du choeur, le vaisseau continue à s'éloigner et finit par disparaître ; tous les assistants crient : courons, votons, toujours sans bouger ; Minos et Pasiphaë s'agitent avec désespoir. ==================================================