******************************************************** DC.Title = LA MÉTROMANIE, COMÉDIE DC.Author = PIRON, Alexis DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 21/08/2023 à 06:44:17. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/PIRON_METROMANIE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65214012 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA MÉTROMANIE OU LE POÈTE COMÉDIE EN CINQ ACTES ET EN VERS représentée pour la première fois, sur le Théâtre Français le 10 janvier 1738. M. DCC. XXXVIII. AVEC APPROBATION ET PRIVILÈGE DU ROI par Mr PIRON À PARIS, Chez LE BRETON, Quai des Augustins, au coin de la rue Git le Coeur, à la Fortune. Représenté pour la première fois le 10 février 1738 au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain par la troupe de la Comédie Française. PERSONNAGES FRANCALEU, père de Lucile. BALIVEAU, capitoni, oncle de Damis. DAMIS, poète. DORANTE, amant de Lucile. LUCILE, fille de Francaleu. LISETTE, suivante de Lucile. MONDOR, valet de Damis. La scène est chez Monsieur Francaleu, dans les jardins d'une maison de plaisance aux portes de Paris. ACTE I SCÈNE I. Mondor, Lisette. MONDOR. Cette maison des champs me paraît un bon gîte.Je voudrais bien ne pas en décamper si vite :Surtout m'y retrouvant avec tes yeux fripons,Auprès de qui, pour moi, tous les gîtes sont bons.Mais de mon maître ici n'ayant point de nouvelles, Il faut que je revole à Paris. LISETTE. Tu l'appelles ? MONDOR. Damis. Le connais-tu ? LISETTE. Non. MONDOR. Adieu donc. LISETTE. Adieu. MONDOR, revenant. On m'a pourtant bien dit : chez Monsieur Francaleu. LISETTE. C'est ici. MONDOR. Vous jouez chez vous la comédie ? LISETTE. Témoin ce rôle encor qu'il faut que j'étudie. MONDOR. Le patron n'a-t-il pas une fille unique ? LISETTE. Oui. MONDOR. Et qui sort du couvent depuis peu ? LISETTE. D'aujourd'hui. MONDOR. Vivement recherchée ? LISETTE. Et très digne de l'être. MONDOR. Et vous avez grand monde ? LISETTE. À ne pas nous connaître. MONDOR. Illuminations, bal, concert ? LISETTE. Tout cela. MONDOR. Un beau feu d'artifice ? LISETTE. Il est vrai. MONDOR. M'y voilà.Damis doit être ici ; chaque mot me le prouve.Quand le diable en serait, il faut que je l'y trouve. LISETTE. Sa mine ? Ses habits ? Son état ? Sa façon ? MONDOR. Oh ! C'est ce qui n'est pas facile à peindre, non. Car, selon la pensée où son esprit se plonge,Sa face, à chaque instant, s'élargit ou s'allonge.Il se néglige trop, ou se pare à l'excès.D'état, il n'en a point, ni n'en aura jamais.C'est un homme isolé qui vit en volontaire ; Qui n'est bourgeois, abbé, robin, ni militaire ;Qui va, vient, veille, sue, et, se tourmentant bien,Travaille nuit et jour, et jamais ne fait rien ;Au surplus, rassemblant dans sa seule personne,Plusieurs originaux qu'au théâtre on nous donne : Misanthrope, étourdi, complaisant, glorieux,Distrait... ce dernier-ci le désigne le mieux ;Et tiens, s'il est ici, je gage mes oreillesQu'il est dans quelque allée à bayer aux corneilles,S'approchant, pas à pas, d'un haha qui l'attend, Et qu'il n'apercevra qu'en s'y précipitant. LISETTE. Je m'oriente. On a l'homme que tu souhaites.N'est-ce pas de ces gens que l'on nomme poètes ? MONDOR. Oui. LISETTE. Nous en avons un. MONDOR. C'est lui. LISETTE. Peut-être bien.Quoi donc ? LISETTE. Le personnage en tout ressemble au tien : Sinon que ce n'est pas Damis que l'on le nomme. MONDOR. Contente-moi, n'importe, et montre-moi cet homme. LISETTE. Cherche ! Il est à rêver là-bas dans ces bosquets.Mais vas-y seul : on vient, et je crains les caquets. SCÈNE II. Dorante, Lisette. LISETTE. Dorante ici ! Dorante ! DORANTE. Ah ! Lisette ! Ah ! Ma belle ! Que je t'embrasse ! Eh bien, dis-moi donc la nouvelle !Félicite-moi donc ! Quel plaisir ! L'heureux jour !Que ce jour a tardé longtemps à mon amour !De la chose, avant moi, tu dois être avertie.Que ne me dis-tu donc que Lucile est sortie ? Que je vais... que je puis... conçois-tu ?... Baise-moi. LISETTE. Mais vous n'êtes pas sage, en vérité. DORANTE. Pourquoi ? LISETTE. Si monsieur vous trouvait ! Songez donc où vous êtes.Y pensez-vous, d'oser venir, comme vous faites,Chez un homme avec qui votre père en procès... DORANTE. Bon ! M'a-t-il jamais vu ni de loin ni de près !Je vois le parc ouvert : j'entre. LISETTE. Vous le dirai-je ?Eussiez-vous cent fois plus d'audace et de manège,Lucile même à nous daignât-elle s'unir ;Je ne sais trop comment vous pourrez l'obtenir. DORANTE. Oh ! Je le sais bien, moi. Mon père m'idolâtre :Il n'a que moi d'enfant : je suis opiniâtre :Je le veux ; qu'il le veuille : autrement (j'ai des moeurs),Je ne lui manque point : mais je fais pis, je meurs. LISETTE. Mais si le grand procès qu'il a... DORANTE. Qu'il y renonce. Le père de Lucile a gagné. Je prononce. LISETTE. Mais si votre père ose en appeler ? DORANTE. Jamais. LISETTE. Mais si... DORANTE. Finis, de grâce, et laisse là tes mais. LISETTE. Croyez-vous donc, Monsieur, vous seul avoir un père ?Le nôtre y voudra-t-il consentir ? DORANTE. Je l'espère. LISETTE. Moi, je l'espère peu. DORANTE. Sois en paix là-dessus. LISETTE. Le vieillard est entier. DORANTE. Le jeune homme encor plus. LISETTE. Lucile est un parti... DORANTE. Je suis bon pour Lucile. LISETTE. Elle a cent mille écus. DORANTE. J'en aurai deux cent mille. LISETTE. Mais vous aimera-t-elle ? DORANTE. Ah ! Laisse-là ta peur ! Quand je t'en vois douter, tu me perces le coeur. LISETTE. Je vous l'ai dit cent fois ; c'est une nonchalanteQui s'abandonne au cours d'une vie indolente ;De l'amour d'elle-même éprise uniquement,Incapable en cela d'aucun attachement. Une idole du nord, une froide femelle,Qui voudrait qu'on parlât, que l'on pensât pour elle ;Et, sans agir, sentir, craindre, ni désirer,N'avoir que l'embarras d'être et de respirer.Et vous voulez qu'elle aime ? Elle, avoir une intrigue ! Y songez-vous, monsieur ? Fi donc ! Cela fatigue.Voyez, depuis un mois que le coeur vous en dit,Si votre amour vous laisse un moment de répit.Et c'est, ma foi, bien pis chez nous que chez les hommes. DORANTE. Enfin, depuis un mois, sachons où nous en sommes. LISETTE. Elle aime éperdument ces vers passionnés,Que votre ami compose, et que vous nous donnez ;Et je guette l'instant d'oser dire à la belle,Que ces vers sont de vous, et qu'ils sont faits pour elle. DORANTE. Qu'ils sont de moi ! Mais c'est mentir effrontément. LISETTE. Eh bien ! Je mentirai : mais j'aurai l'agrémentD'intéresser pour vous l'indifférence même. DORANTE. Lucile en est encore à savoir que je l'aime !Que ne profitions-nous de la commoditéDe ces vers amoureux dont son goût est flatté ? Un trait pouvait m'y faire aisément reconnaître,Et, mieux que tu ne crois, m'eût réussi peut-être. LISETTE. Eh non ! Vous dis-je, non ! Vous auriez tout gâté.L'indifférence incline à la sévérité.Il fallait bien d'abord préparer toutes choses, De l'empire amoureux lui déplier les roses,L'induire à se vouloir baisser pour en cueillir.D'aise, en lisant vos vers, je la vois tressaillir ;Surtout quand un amour qui n'est plus guère en vogueY brille sous le titre ou d'idylle ou d'églogue. Elle n'a plus l'esprit maintenant occupéQue es bords du Lignon, des vallons de Tempé,De bergers figurant quelques danses légères,Ou, tout le jour assis aux pieds de leurs bergères,Et, couronnés de fleurs, au son du chalumeau, Le soir, à pas comptés, regagnant le hameau.La voyant s'émouvoir à ces fades esquisses,Et de ces visions savourer les délices,J'ai cru devoir mener tout doucement son coeur,De l'amour de l'ouvrage, à l'amour de l'auteur. DORANTE. C'est une églogue aussi qu'on lui prépare encore.Damis se lève exprès, chez vous, avant l'aurore. LISETTE. Damis ? DORANTE. L'auteur des riens dont on fait tant de cas.Et sa rencontre ici, tout franc, ne me plaît pas. LISETTE. Celui que nous nommons Monsieur De L'Empyrée ? DORANTE. Oui. Son talent, chez nous, lui donne aussi l'entrée.Mon père en est épris jusqu'à l'aimer, je crois,Un peu plus que ma mère, et presque autant que moi. LISETTE. Laissons-là son églogue. DORANTE. Ah ! Soit : je l'en dispense.Sur un pareil emprunt tu sais comme je pense. LISETTE. Monsieur De Francaleu ne vous connaît pas ? DORANTE. Non. LISETTE. Faites-vous présenter à lui sous un faux nom.Ici, l'amour des vers est un tic de famille.Le père, qui les aime encor plus que la fille,Regarde votre ami comme un homme divin ; Et vous plairez d'abord, présenté de sa main. DORANTE. Il peut me demander la raison qui m'attire ?Le goût pour le théâtre en est une à lui dire.Désirez de jouer avec nous. Justement,Quelques acteurs nous font faux-bond en ce moment. DORANTE. Oui-da, je les remplace, et je m'offre à tout faire. LISETTE. À la pièce du jour rendez-vous nécessaire.Il s'agit de cela maintenant. Après quoi... DORANTE. Voici notre poète. Adieu. Retire-toi. SCÈNE III. Dorante, Damis. DORANTE. Tout à l'heure, mon cher, il faut prendre la peine... DAMIS, sans l'écouter. Non ! Jamais si beau feu ne m'échauffa la veine.Ma foi, j'ai fait pour vous bien des vers jusqu'ici,Mais je donne ma voix et la palme à ceux-ci. DORANTE. Il s'agit... DAMIS, interrompant continuellement Dorante. De vous faire une églogue ; elle est faite. DORANTE. Eh ! N'allons pas si vite ! ... DAMIS. Oh ! Mais faite et parfaite. Je le crois... DAMIS. Au bon coin ceci sera frappé. DORANTE. D'accord... DAMIS. Et je le donne en quatre au plus huppé.Laissons ; je vous demande... DAMIS. Oui, du noble et du tendre. DORANTE, perdant patience. Non ! Du tranquille. DAMIS, tirant ses tablettes. Aussi, vous en allez entendre.Eh ! J'en jugerais mal ! DAMIS. Mieux qu'un autre. écoutez. DORANTE. Je suis sourd. DAMIS. Je crierai. DORANTE. Vainement ! DAMIS. Permettez. DORANTE. Quelle rage ! DAMIS, lit. Daphnis et l'écho, dialogue. Daphnis... DORANTE, à part. Au diable soient l'écho, l'homme et l'églogue ! DAMIS, avec emphase. "Écho, que je retrouve en ce bocage épais... " DORANTE, d'une voix éclatante. Paix ! Dit l'écho. Paix ! Dis-je ; une bonne fois : Paix ! Sinon... DAMIS. Comment, Monsieur ! Quand pour vous je compose... DORANTE. Mais quand de vous, Monsieur, on demande autre chose. DAMIS, reprenant sa volubilité. Ode ? épître ? Cantate ? DORANTE. Ahie ! DAMIS. Élégie ? DORANTE. Eh bien ! DAMIS. Portrait ? Sonnet ? Bouquet ? Triolet ? Ballet ? DORANTE. Rien.Mon amour se retranche au langage ordinaire ; Et désormais du vôtre il n'aura plus affaire. DAMIS, resserrant ses tablettes. C'est autre chose : alors ces vers seront pour moi. DORANTE. Non que je ne ressente, ainsi que je le dois,La bonté que ce jour encor vous avez eue.J'ai regret à la peine. DAMIS. Elle n'est pas perdue. Mes vers, sans aller loin, sauront où se placer,Et l'on a, pour son compte, à qui les adresser. DORANTE, avec émotion. Ah ! Vous aimez ? DAMIS. Qui donc aimerait, je vous prie ?La sensibilité fait tout notre génie.Le coeur d'un vrai poète est prompt à s'enflammer ; Et l'on ne l'est qu'autant que l'on sait bien aimer. DORANTE, à part. Je le crois mon rival. Haut.Quelle est votre bergère ? DAMIS. De la vôtre, pour moi, le nom fut un mystère ;Que le nom de la mienne en puisse être un pour vous. DORANTE. Et votre sort, Monsieur, sans doute... DAMIS. Est des plus doux. DORANTE. Une plume si tendre a de quoi plaire aux belles. DAMIS. Ce jour vous en dira peut-être des nouvelles. DORANTE. Ce jour ? DAMIS. Est un grand jour. DORANTE, à part. Ah ! C'est Lucile ! Haut.Oh çà !Si vous ne la nommez, du moins dépeignez-la. DAMIS. Je le voudrais. DORANTE. À qui tient-il ? À part.Son froid me tue ! DAMIS. Je ne le puis. DORANTE. Pourquoi ? DAMIS. Je ne l'ai jamais vue. DORANTE, à part. C'est elle. Haut.Expliquez-vous. DAMIS. Mes termes sont fort clairs. DORANTE. D'où naîtraient donc vos feux ? DAMIS. De son goût pour les vers. DORANTE. De son goût pour les vers ! Bas.Mon infortune est sûre :Mais n'importe ; feignons, et poussons l'aventure. DAMIS. Qu'est-ce donc ? Qu'avez-vous ? D'où vient tant d'aparté ? DORANTE. De mon premier objet c'est trop m'être écarté.Revenons au plaisir que de vous j'ose attendre. DAMIS. Parlez ; me voilà prêt. Que faut-il entreprendre ? DORANTE. Donnez-moi pour acteur à Monsieur Francaleu. Je me sens du talent ; et je voudrais un peu,En m'essayant chez lui, voir ce que je sais faire. DAMIS. Venez. DORANTE. Mon nom pourrait me nuire. DAMIS. Il faut le taire.Vous êtes mon ami ; ce titre suffira.Écoutez seulement les vers qu'il vous lira. C'est un fort galant homme, excellent caractère,Bon ami, bon mari, bon citoyen, bon père ;Mais à l'humanité, si parfait que l'on fût,Toujours, par quelque faible, on paya le tribut.Le sien est de vouloir rimer malgré Minerve ; De s'être, en cheveux gris, avisé de sa verve ;Si l'on peut nommer verve une démangeaisonQui fait honte à la rime, ainsi qu'à la raison.Et, malheureusement, ce qui vicie abonde.Du torrent de ses vers sans cesse il nous inonde. Tout le premier lui-même, il en raille, il en rit.Grimace ! L'auteur perce ; il les lit, les relit,Prétend qu'ils fassent rire ; et, pour peu qu'on en rie,Le poignard sur la gorge, en fait prendre copie,Rentre en fougue, s'acharne impitoyablement, Et, charmé du flatteur, le paye en l'assommant. DORANTE. Oh ! Je suis patient, je veux lasser votre homme ;Et que de l'encensoir ce soit moi qui l'assomme. DAMIS. Pour moi je meurs, je tombe, écrasé sous le faix. DORANTE. Qui vous retient chez lui ? DAMIS. Des raisons que je tais ; Et je m'y plairais fort, sans sa muse funesteDont le poison maudit nous glace et nous empeste.Heureux, quand mon esprit vole à sa région,S'il n'y porte pas l'air de la contagion !Le voici. Tout le corps me frissonne à l'approche Du griffonnage affreux qu'il a toujours en poche. SCÈNE IV. Francaleu, Dorante, Damis. FRANCALEU. Peste soit de ces coups où l'on ne s'attend pas !Voilà ma pièce au diable, et mon théâtre à bas. DAMIS. Comment donc ? FRANCALEU. Trois acteurs : l'amant, l'oncle, le père,Manquant à point nommé, font cette belle affaire. L'un est inoculé ; l'autre, aux eaux ; l'autre, mort.C'est bien prendre son temps ! DAMIS. Le dernier a grand tort. FRANCALEU. Je croyais célébrer le retour de ma fille.À grands frais, je convoque amis, parents, famille ;J'assemble un auditoire et nombreux et galant ; Et nous fermons. Cela n'est-il pas régalant ? DAMIS, froidement. Certes, les trois sujets étaient bons ; c'est dommage. FRANCALEU. Quelle sérénité ! Savez-vous, quand j'enrage,Que j'enrage encor plus, si l'on n'enrage aussi ? DAMIS. C'est que je vois, Monsieur, bon remède à ceci. Le rôle des vieillards n'est pas de longue haleine ;Les deux premiers venus le rempliront sans peine. FRANCALEU. Et l'amant ? DAMIS, présentant Dorante. Mon ami s'en acquitte à ravir. DORANTE, à Francaleu. Vous me voyez, Monsieur, tout prêt à vous servir. FRANCALEU, à Damis. Il a d'un amoureux tout à fait l'encolure. DAMIS. Le jeu bien au-dessus encor de la figure. FRANCALEU. Mais il s'agit ici d'un amant maltraité ;Et peut-être monsieur ne l'a jamais été.Or il faut, quelque loin qu'un talent puisse atteindre,Éprouver pour sentir, et sentir pour bien feindre. DAMIS, avec un rire malin. Aussi n'ira-t-il pas se chercher en autrui.Le rôle qu'il accepte est modelé sur lui.Le pauvre infortuné meurt pour une inhumaine,Sans oser déclarer son amoureuse peine ;De façon qu'il en est encore à s'aviser, Quand peut-être quelqu'autre est tout près d'épouser. DORANTE, outré. Ma situation sans doute est peu commune ;Et je sens en effet toute mon infortune. FRANCALEU. Bon ! Tant mieux ! Vous voilà selon notre désir.Venez ; et, croyez-moi, vous aurez du plaisir. Il sort avec Dorante. DAMIS, seul. J'ai beau le voir parti : je ne m'en crois pas quitte.Mais, grâce à l'embarras qui l'occupe et l'agite,Sain et sauf, une fois, j'échappe à mon bourreau. FRANCALEU, revenant. Attendez-vous à voir quelque chose de beau.J'achève de brocher une pièce en six actes. La rime et la raison n'y sont pas trop exactes ;Mais j'en apprête mieux à rire à mes dépens. Il s'en retourne. SCÈNE V. DAMIS, seul. Et je n'armerais pas contre ce guet-apens ?Ce devrait être fait. Qu'il reste à sa campagne,Ou me vienne chercher au fond de la Bretagne. L'amour m'y tend les bras. Mon coeur m'a devancé.C'est un noeud que de loin l'esprit a commencé.Il est temps que la vue et l'achève et le serre.Partons. SCÈNE VI. Damis, Mondor. MONDOR, rendant une lettre à Damis. Ah ! Grâce au ciel, enfin je vous déterre !Je vous cherche, Monsieur, depuis huit jours entiers ; Et de Paris cent fois j'ai fait tous les quartiers.J'ai craint, au bord de l'eau, vos visions cornues ;Que, cherchant quelque rime, et lisant dans les nues,Pégase imprudemment, la bride sur le cou,N'eût voituré la muse aux filets de Saint-Cloud. DAMIS, resserrant la lettre qu'il a lue. Oh ! Oh ! Bon gré mal gré, voici qui me retarde ! MONDOR. Écoutez donc, Monsieur : ma foi, prenez-y garde !Un beau jour... DAMIS. Un beau jour, ne te tairas-tu point ? MONDOR. À votre aise ! Après tout, liberté sur ce point.Enfin quelqu'un m'a dit qu'ici vous pouviez être. Mais personne, Monsieur, ne veut vous y connaître ;Et, dans ce vaste enclos que j'ai tout parcouru,Je vous manquais encor, si vous n'eussiez paru. DAMIS. De mes admirateurs tout cet enclos fourmille :Mais tu m'as demandé par mon nom de famille ? MONDOR. Sans doute. Comment donc aurais-je interrogé ? DAMIS. Je n'ai plus ce nom-là. MONDOR. Vous en avez changé ? DAMIS. Oui ; j'ai, depuis huit jours, imité mes confrères.Sous leur nom véritable, ils ne s'illustrent guères ;Et, parmi ces messieurs, c'est l'usage commun De prendre un nom de terre, ou de s'en forger un. MONDOR. Votre nom maintenant, c'est donc ? ... DAMIS. De L'Empyrée ;Et j'en oserais bien garantir la durée. MONDOR. De L'Empyrée ? Oui-da ! N'ayant sur l'horizonNi feu ni lieu qui puisse allonger votre nom, Et ne possédant rien sous la voûte céleste,Le nom de l'enveloppe est tout ce qui vous reste.Voilà donc votre esprit devenu grand terrien.L'espace est vaste : aussi s'y promène-t-il bien.Mais quand il va là-haut lui seul à sa campagne, Que le corps, ici-bas, souffre qu'on l'accompagne. DAMIS. Et crois-tu donc qu'un homme à talents, tel que moi,Puisse régler sa marche, et disposer de soi ?Les gens de mon espèce ont le destin des belles.Tout le monde voudrait nous enlever comme elles. Je me laisse entraîner chez Monsieur FrancaleuPar un impertinent que je connaissais peu.C'est lui qui me présente ; et, dupe du manège,Je sers de passeport au fat qui me protège.On tenait table encore. On se serre pour nous. La joie, en circulant, me gagne ainsi qu'eux tous.Je la sens : j'entre en verve ; et le feu prend aux poudres.Il part de moi des traits, des éclairs et des foudres ;J'ai le vol si rapide et si prodigieux,Qu'à me suivre, on se perd, après moi, dans les cieux ; Et c'est là, qu'à grands cris, je reçois des convivesCe nom qui va du Pinde enrichir les archives... MONDOR. Qui va nous appauvrir, à coup sûr, tous les deux. DAMIS. Ensuite un équipage et commode et pompeuxMe roule, en un quart d'heure, à ce lieu de plaisance, Où je ris, chante, et bois : le tout, par complaisance. MONDOR. Par complaisance, soit. Mais vous ne savez pas ? DAMIS. Et quoi ? MONDOR. Pendant qu'aux champs vous prenez vos ébats,La fortune, à la ville, en est un peu jalouse.Monsieur Baliveau... DAMIS. Hein ? MONDOR. Votre oncle de Toulouse... DAMIS. Après ? MONDOR. Est à Paris. DAMIS. Qu'il y reste. MONDOR. Fort bien.Sans croire, sans vouloir que vous en sachiez rien. DAMIS. Pourquoi donc me le dire ? MONDOR. Ah ! Quelle indifférence !Et rien est-il pour vous de plus de conséquence ?Un oncle riche et vieux dont votre sort dépend ; Qui du bien qu'il vous veut, sans cesse se repent ;Prétendant, sur son goût, régler votre génie ;De vos diables de vers détestant la manie ;Et qui, depuis cinq ans bien comptés, Dieu merci,Pour faire votre droit, nous pensionne ici ! Attendez-vous, monsieur, à d'horribles tempêtes.Il vient incognito , pour voir où vous en êtes.Peut-être il sait déjà que vous donnant l'essor,Vous n'avez pris ici d'autre licence encorQue celles qu'il craignait, et que, dans vos rubriques, Vous nommez, entre vous, licences poétiques.Ah ! Monsieur, redoutez son indignation.Vous aurez encouru l'exhérédation.Ce mot doit vous toucher, ou votre âme est bien dure. DAMIS, lui donnant un papier. Mondor, porte ces vers à l'auteur du Mercure. MONDOR, refusant de le prendre. Beau fruit de mon sermon ! DAMIS. Digne du sermonneur. MONDOR. Et que doit nous valoir ce papier ? DAMIS. De l'honneur. MONDOR, secouant la tête. Bon ! De l'honneur ! DAMIS. Tu crois que je dis des sornettes ? MONDOR. C'est qu'on n'a point d'honneur à mal payer ses dettes,Et qu'avec celui-ci, vous les paierez très mal. DAMIS. Qu'un valet raisonneur est un sot animal !Eh ! Fais ce qu'on te dit. MONDOR. Aussi, ne vous déplaise,Vous en parlez, Monsieur, un peu trop à votre aise.Vous avez les plaisirs ; et moi, tout l'embarras.Vous et vos créanciers, je vous ai sur les bras. C'est moi qui les écoute, et qui les congédie.Je suis las de jouer, pour vous, la comédie,De vous celer, d'oser remettre au lendemain,Pour emprunter encore, avec un front d'airain.Ma probité répugne à ces façons de vivre. De ce monde aboyant, cherchez qui vous délivre.Pour moi, plein désormais d'un juste repentir,J'abandonne le rôle, et ne veux plus mentir.Viennent baigneur, marchand, tailleur, hôte, aubergiste,Que leur cour vous talonne, et vous suive à la piste ; Tirez-vous-en vous seul ; et voyons une fois... DAMIS, lui tendant le même papier. Tu me rapporteras Le Mercure du mois ;Entends-tu ? MONDOR, le prenant. Trouvez bon aussi que je revienneEnvironné des gens que je vous nomme. DAMIS. Amène. MONDOR. Vous pensez rire ? DAMIS. Non. MONDOR. Vous verrez. DAMIS. Je t'attends. MONDOR, sortant. Oh bien ! Vous en allez avoir le passe-temps. DAMIS. Et toi, celui de voir des gens comblés de joie. MONDOR, revenant. Les paierez-vous ? DAMIS. Sans doute. MONDOR. Et de quelle monnaie ? DAMIS. Ne t'embarrasse pas. MONDOR, à part. Ouais ! Serait-il en fonds ? DAMIS. Arrangeons-nous déjà sur ce que nous devons. MONDOR, à part. Morbleu ! C'est pour m'apprendre à peser mes paroles. DAMIS. Au répétiteur ? MONDOR, d'un ton radouci. Trente ou quarante pistoles. DAMIS. À la lingère ? À l'hôte ? Au perruquier ? MONDOR. Autant. DAMIS. Au tailleur ? MONDOR. Quatre-vingts. DAMIS. À l'aubergiste ? MONDOR. Cent. DAMIS. À toi ? MONDOR, faisant d'humbles révérences. Monsieur... DAMIS. Combien ? MONDOR. Monsieur... DAMIS. Parle. MONDOR. J'abuse... DAMIS. De ma patience ! MONDOR. Oui, je vous demande excuse.Il est vrai que... le zèle... a manqué de... respect ;Mais le passé rendait l'avenir très suspect. DAMIS. Cent écus, supposons. Plus ou moins, il n'importe.çà, partageons les prix que dans peu je remporte. MONDOR. Les prix ? DAMIS. Oui ; de l'argent, de l'or, qu'en lieux diversLa France distribue à qui fait mieux les vers.À Paris, à Rouen, à Toulouse, à Marseille,J'ai concouru partout ; partout j'ai fait merveille... MONDOR. Ah ! Si bien que Paris paiera donc le loyer ; Rouen, le maître en droit ; Toulouse, le barbier ;Marseille, la lingère ; et le diable, mes gages. DAMIS. Tu doutes qu'en tous lieux j'emporte les suffrages ? MONDOR. Non, ne doutons de rien ; et, sur un fonds meilleurN'hypothéquez-vous pas l'auberge et le tailleur ? DAMIS. Sans doute, et sur un fonds de la plus noble espèceLe théâtre-français donne aujourd'hui ma pièce.Le secret m'est gardé. Hors un acteur et toi,Personne au monde encor ne sait qu'elle est de moi.Ce soir même on la joue : en voici la nouvelle. Mon talent à l'Europe aujourd'hui se révèle.Vers l'immortalité je fais les premiers pas ;Cher ami, que pour moi ce grand jour a d'appas !Autre espoir... MONDOR. Chimérique. DAMIS. Une fille adorable,Rare, célèbre, unique, habile, incomparable... MONDOR. De cette incomparable, après, qu'espérez-vous ? DAMIS. Aujourd'hui triomphant, demain j'en suis l'époux ;Demain... où vas-tu donc, Mondor ? MONDOR. Chercher un maître. DAMIS. Et pourquoi tout à coup suis-je indigne de l'être ? MONDOR. C'est que l'air est, monsieur, un fort sot aliment. DAMIS. Qui te veut nourrir d'air ? Es-tu fou ?Nullement. DAMIS. Ma foi, tu n'es pas sage. Eh quoi ! Tu te révoltesÀ la veille, que dis-je ? Au moment des récoltes !Car enfin rassemblons (puisqu'il faut avec toiDescendre à des détails si peu dignes de moi), Rassemblons en un point de précision sûreL'état de ma fortune et présente et future.De tes gages déjà le paiement est certain.Ce soir une partie, et l'autre après-demain.Je réussis. J'épouse une femme savante. Vois le bel avenir qui de là se présente !Vois naître tour à tour, de nos feux triomphants,Des pièces de théâtre et de rares enfants !Les aiglons généreux et dignes de leurs races,À peine encore éclos, voleront sur nos traces. Ayons-en trois. Léguons le comique au premier,Le tragique au second, le lyrique au dernier.Par eux seuls, en tous lieux, la scène est occupée.Qu'à l'envi cependant, donnant dans l'épopée,Et mon épouse et moi, nous ne lâchions par an, Moi, qu'un demi-poème ; elle, que son roman :Vers nous, de tous côtés, nous attirons la foule.Voilà dans la maison l'or et l'argent qui roule ;Et notre esprit qui met, grâce à notre union,Le théâtre et la presse à contribution. MONDOR. En bonne opinion, vous êtes un rare homme ;Et, sur cet oreiller, vous dormez d'un bon somme ;Mais un coup de sifflet peut vous réveiller. DAMIS, lui faisant prendre enfin le papier. Pars.L'embarras où je suis mérite un peu d'égards.Une pièce affichée, une autre dans la tête ; Une où je joue ; une autre à lire toute prête :Voilà de quoi, sans doute, avoir l'esprit tendu. MONDOR. Dites un héritage et bien du temps perdu. ACTE II SCÈNE I. Baliveau, Francaleu. BALIVEAU. L'heureux tempérament ! Ma joie en est extrême.Gai, vif, aimant à rire ; enfin, toujours le même. FRANCALEU. C'est que je vous revois. Oui, mon cher Baliveau,Embrassons-nous encore, et que, tout de nouveau,De l'ancienne amitié ce témoignage éclate.La séparation n'est pas de fraîche date ;Convenez-en : pendant l'intervalle écoulé, La parque, à la sourdine, a diablement filé.En auriez-vous l'humeur moins gaillarde et moins vive ?Pour moi, je suis de tout ; joueur, amant, convive ;Fréquentant, festoyant les bons faiseurs de vers.J'en fais même comme eux. BALIVEAU. Comme eux ? FRANCALEU. Oui. BALIVEAU. Quel travers ! FRANCALEU. Pas tout à fait comme eux, car je les fais sans peine.Aussi me traitent-ils de poète à la douzaine ;Mais, en dépit d'eux tous, ma muse, en tapinois,Se fait, dans Le Mercure , applaudir tous les mois. BALIVEAU. Comment ? FRANCALEU. J'y prends le nom d'une basse-bretonne. Sous ce voile étranger, je ris, je plais, j'étonne ;Et le masque femelle agaçant le lecteur,De tel qui m'a raillé fait mon adorateur. BALIVEAU, à part. Il est devenu fou ! FRANCALEU. Lisez-vous Le Mercure ? BALIVEAU. Jamais. FRANCALEU. Tant pis, morbleu ! Tant pis ! Bonne lecture ! Lisez celui du mois ; vous y verrez encor,Comme aux dépens d'un fou, je m'y donne l'essor.Je ne sais pas qui c'est ; mais le benêt s'abuse,Jusque-là qu'il me nomme une dixième muse,Et qu'il me veut, pour femme, avoir absolument. Moi j'ai, par un sonnet, riposté galamment.Je goûte à ce commerce un plaisir incroyable !Et vous ne trouvez pas l'aventure impayable ? BALIVEAU. Ma foi, je n'aime point que vous ayez donnéDans un goût pour lequel vous étiez si peu né. Vous, poète ! Eh ! Bon Dieu, depuis quand ? Vous ! FRANCALEU. Moi-même.Je ne saurais vous dire au juste le quantième.Dans ma tête, un beau jour, ce talent se trouva ;Et j'avais cinquante ans quand cela m'arriva.Enfin je veux, chez moi, que tout chante et tout rie. L'âge avance et le goût avec l'âge varie.Je ne saurais fixer le temps ni les désirs ;Mais je fixe du moins chez moi tous les plaisirs.Aujourd'hui nous jouons une pièce excellente ;J'en suis l'auteur. Elle a pour titre : L'indolente . Ridicule jamais ne fut si bien daubé ;Et vous êtes, pour rire, on ne peut mieux tombé. BALIVEAU. Ne comptez pas sur moi. J'ai quelque affaire en tête,Qui ne ferait chez vous de moi qu'un trouble-fête. FRANCALEU. Et quelle affaire encore ? BALIVEAU. Un diable de neveu Me fait, par ses écarts, mourir à petit feu.C'est un garçon d'esprit, d'assez belle apparence,De qui j'avais conçu la plus haute espérance ;J'en fis l'unique objet d'un soin tout paternel ;Mais rien ne rectifie un mauvais naturel. Pour achever son droit (n'est-ce pas une honte ? ),Il est depuis cinq ans, à Paris, de bon compte.J'arrive, je le trouve encore au premier pas,Endetté, vagabond, sans ce qu'on ne sait pas.Ne pourrais-je obtenir, pour peu qu'on me seconde, Un ordre qui le mette en lieu qui m'en réponde ?Ne connaissant personne et vous sachant ici,Je venais... FRANCALEU. Vous aurez cet ordre. BALIVEAU. Grand merci. FRANCALEU. Mais plaisir pour plaisir. BALIVEAU. Pour vous que puis-je faire ?Dans la pièce du jour prendre un rôle de père. BALIVEAU. Un rôle ! à moi ? FRANCALEU. Sans doute, à vous. BALIVEAU. C'est tout de bon ?Oui. N'êtes-vous pas bien de l'âge d'un barbon ? BALIVEAU. Soit. Mais... FRANCALEU. Vous en avez les dehors. BALIVEAU. Je l'avoue. FRANCALEU. Assez l'humeur. BALIVEAU. Que trop. FRANCALEU. Et tant soit peu la moue. BALIVEAU. Avec raison. FRANCALEU. Et puis le rôle n'est pas fort. BALIVEAU. Quel qu'il soit, j'y répugne. FRANCALEU. Il faut faire un effort. BALIVEAU. Eh fi ! Que dirait-on ? FRANCALEU. Que voulez-vous qu'on dise ? BALIVEAU. Un capitoul ! FRANCALEU. Eh bien ? BALIVEAU. La gravité ! FRANCALEU. Sottise ! BALIVEAU. Ma noblesse, d'ailleurs ! FRANCALEU. Vous n'êtes pas connu. BALIVEAU. D'accord. FRANCALEU, lui faisant prendre le rôle. Tenez, tenez. BALIVEAU. Quoi ! Je serais venu ? ... FRANCALEU. Pour recevoir ensemble et rendre un bon office. BALIVEAU. Je vois bien qu'il faudra qu'à la fin j'obéisse.Mon coquin paiera donc... FRANCALEU. Oui, oui, j'en suis garant ;Demain on vous le coffre au faubourg saint-Laurent. BALIVEAU. Il faudra commencer par savoir où le prendre. FRANCALEU. Dans son lit. BALIVEAU. C'est bien dit, s'il lui plaît de s'y rendre ;Mais son hôte ne sait ce qu'il est devenu. FRANCALEU. On saura bien l'avoir, après l'ordre obtenu.Adieu, car il est temps de vous mettre à l'étude. BALIVEAU. Je vais donc m'enfoncer dans cette solitude ; Et là, gesticulant et braillant tout le saoul,Faire un apprentissage, en vérité, bien fou. SCÈNE II. Francaleu, Lisette. FRANCALEU. Moi, je fais l'oncle ; et toi, Lisette, es-tu contente ?Tu voulais un beau rôle, et tu fais l'indolente.Reste à s'en bien tirer. Ma fille est sous tes yeux. Tâche à la copier. Tu ne peux faire mieux ;Le modèle est parfait. LISETTE. N'en soyez pas en peine.Je veux lui ressembler au point qu'on s'y méprenne.J'ai d'abord un habit en tout pareil au sien ;J'ai sa taille ; j'aurai son geste et son maintien. Enfin je veux si bien représenter l'idole,Qu'elle se reconnaisse à la fadeur du rôle :Et, comme en un miroir, s'y voyant traits pour traits,Que l'insipidité l'en dégoûte à jamais.Car, Monsieur, excusez ; mais vous et votre femme, Vous avez fait un corps où je veux mettre une âme. FRANCALEU. L'indolence, en effet, laisse tout ignorer ;Et combien l'ignorance en fait-elle égarer ?Le danger vole autour de la simple colombe ;Et, sans lumière, enfin, le moyen qu'on ne tombe ! Tu feras donc fort bien de la morigéner.Qu'elle sache connaître, applaudir, condamner.Qu'à son gré d'elle-même elle dispose ensuite.Le penchant satisfait répond de la conduite.C'est contre le torrent du siècle intéressé ; Mais, me regardât-on comme un père insensé,Je veux qu'à tous égards ma fille soit contente ;Que l'époux qu'elle aura soit selon son attente ;Qu'elle n'écoute qu'elle et que son propre coeur,Sur un choix qui fera sa perte ou son bonheur ; Qu'elle s'explique enfin là-dessus sans finesse.Ce lieu rassemble exprès une belle jeunesse,Vingt honnêtes partis, dont le meilleur, je crois,Ne refusera pas de s'allier à moi.Ma fille est riche et belle. En un mot, je la donne Au premier qui lui plaît ; je n'excepte personne. LISETTE. Pas même le poète ? FRANCALEU. Au contraire, c'est luiQue je préférerais à tout autre aujourd'hui. LISETTE. Je ne le crois pas riche. FRANCALEU. Eh bien ! J'en ai de reste.J'aurai fait un heureux : c'est passe-temps céleste. Favorisant ainsi l'honnête homme indigent,Le mérite une fois aura valu l'argent. LISETTE. Je vois, dans ce choix libre, un contre-temps à craindre,Qui rendrait votre fille extrêmement à plaindre. FRANCALEU. Et quel ? LISETTE. C'est que son choix pourrait tomber très bien Sur tel qui, sur une autre, aurait fixé le sien ;Et pour lors il serait moins aisé qu'on ne penseDe ramener son coeur à de l'indifférence. SCÈNE III. Francaleu, Dorante, écoutant sans être vu que de Lisette ; Lisette. FRANCALEU. Tu parles juste. Aussi j'ai pris soin de savoirL'histoire de tous ceux qu'ici j'ai voulu voir. LISETTE. Et celle du jeune homme à qui l'on donne un rôle,La savez-vous ? Dorante redouble ici d'attention. FRANCALEU. On dit, à propos, que le drôle... LISETTE. Je vous en avertis, il est fort amoureux.Pour ne pas nous jeter dans un cas dangereux,Très positivement songez donc à l'exclure. FRANCALEU. J'y cours tout de ce pas ; tu peux en être sûre ;Et vais, à la douceur joignant l'autorité,Laisser un libre choix, ce jeune homme excepté. SCÈNE IV. Dorante, Lisette. DORANTE, se présentant devant Lisette. Je ne t'interromps point. LISETTE. Bien malgré vous, je gage. DORANTE. Non ; j'écoute, j'admire et je me tais. Courage ! LISETTE. Vous vous trouverez bien de n'avoir point parlé. DORANTE. En effet, me voilà joliment installé. LISETTE. Installé ? Tout des mieux ! J'en réponds. DORANTE. Quelle audace !Quoi ! Tu peux, sans rougir, me regarder en face ? LISETTE. Pourquoi donc, s'il vous plaît, baisserais-je les yeux ? DORANTE. Après l'exclusion qu'on me donne en ces lieux ? LISETTE. Eh ! C'est le coup de maître. DORANTE. Il est bon là ! LISETTE. Sans doute.Ne décidons jamais où nous ne voyons goutte. DORANTE. De grâce, fais-moi voir... LISETTE. Oh ! Qui va rondementNe daigne pas entrer en éclaircissement. DORANTE. Je n'en demande plus. Ma perte était jurée.Je trouve en mon chemin Monsieur De L'Empyrée.Il aime, il a su plaire ; oui, je le tiens de lui.J'ignorais seulement quel était son appui ;Mais, sans voir ta maîtresse, il osait tout écrire, Tandis qu'en la voyant, moi, je n'osais rien dire ;Et ta bouche infidèle, ouverte en sa faveur,Des vers que j'empruntais le déclarait l'auteur. LISETTE. Vous croyez que je sers le poète ? DORANTE. Oui, perfide. LISETTE. Vous ne croyez donc pas que l'intérêt me guide ? Pauvre cervelle ! Ainsi je l'ai donc bien servi,Quand j'ai formé le plan que vous avez suivi ?Quand je vous établis dans les lieux où vous êtes ?Quand je songe à tenir les routes toutes prêtes,Pour vous conduire au but où pas un ne parvient ? Et quand enfin... allez ! Je ne sais qui me tient... DORANTE. Mais cette exclusion, que veux-tu que j'en pense ? LISETTE. Tout ce qu'il vous plaira. Je hais la défiance. DORANTE. Encore ? à quoi d'heureux peut-elle préparer ? LISETTE. À vous tirer du pair, à vous faire adorer. Tel est le coeur humain, surtout celui des femmes :Un ascendant mutin fait naître dans nos âmes,Pour ce qu'on nous permet, un dégoût triomphant,Et le goût le plus vif pour ce qu'on nous défend. DORANTE. Mais si cet ascendant se taisait dans Lucile ? LISETTE. Oh ! Que non ! L'indolence est toujours indocile.Et telle qu'est la sienne, à ce que j'en puis voir,La contrariété seule peut l'émouvoir.Ce n'est pas même assez des défenses du père,Si je ne les seconde en duègne sévère. DORANTE. Eh bien ! Les yeux fermés, je m'abandonne à toi. LISETTE. Défense encor d'oser lui parler avant moi. DORANTE. Oh ! C'est aussi trop loin pousser la patience. LISETTE. Dans un quart d'heure au plus, je vous livre audience. DORANTE. Dans un quart d'heure ? LISETTE. Au plus. Promenez-vous là-bas, Tenez ; dans un moment j'y conduirai ses pas.La voici. Partez donc. Laissez-nous. DORANTE, hésitant. Quel supplice ! LISETTE. Désirez-vous ou non qu'on vous rende service ? DORANTE. L'éviter ! LISETTE. Ou tout perdre. DORANTE. Ah ! Que c'est à regret ! Il fait des révérences à Lucile, qui les lui rend. Il les réitère jusqu'à ce que, par un geste impérieux, Lisette lui fait signe de se retirer, au moment qu'il paraissait tenté d'aborder. SCÈNE V. Lisette, Lucile. LISETTE. Voilà, mademoiselle, un cavalier bien fait. LUCILE. J'y prends peu garde. LISETTE. Aimable autant qu'on le peut être. LUCILE. Tu le dis, je le crois. LISETTE. Vous semblez le connaître. LUCILE. Je l'ai vu quelquefois au parloir. LISETTE. Sans plaisir ?Ni chagrin. LISETTE. Si j'avais, comme vous, à choisir,Celui-là, je l'avoue, aurait la préférence. LUCILE. La multitude augmente en moi l'indifférence.Je hais de ces galants le concours importun ;Et tu ne verras pas que j'en regarde aucun. LISETTE. Quoi ! Sans yeux pour eux tous ? On vous fera dédire. LUCILE. Si j'en ai, ce sera pour un seul. LISETTE. C'est-à-dire Qu'en faveur de ce seul, votre coeur se résout,Et que le choix en est déjà fait ? LUCILE. Point du tout.Je ne le veux choisir ni ne le connais même.Mon père le désigne ; il défend que je l'aime ;J'obéirai. Je sais le devoir d'un enfant. Nous n'oserions aimer, lorsqu'on nous le défend. LISETTE. Oh ! Non. LUCILE. Mais devait-on, sachant mon caractère,M'embarrasser l'esprit d'une défense austère ? LISETTE. En effet. LUCILE. Exiger par delà ma froideur,Et de l'obéissance où m'eût suffi l'humeur ? LISETTE. Cela pique. LUCILE. Voyons ce conquérant terrible,Pour qui l'on craint si fort que je ne sois sensible.La curiosité me fera succomber,Et sur lui seul, enfin, mes regards vont tomber. LISETTE. On vous l'aura donc bien désigné ? Lequel est-ce ? LUCILE. C'est celui qui jouera l'amoureux dans la pièce. LISETTE. C'est celui qui jouera... LUCILE. Quel air d'austérité !Mademoiselle, point de curiosité.C'est bien innocemment que j'ai pris la licenceDe vous insinuer la désobéissance. LUCILE. Qu'est-ce à dire ? LISETTE. Oubliez ce que je vous ai dit. LUCILE. Quoi ? LISETTE. Vous venez de voir celui dont il s'agit.Ma préférence était un fort mauvais précepte. LUCILE. Que me dis-tu ? C'est là celui que l'on excepte ? LISETTE. Lui-même. Rendez grâce à l'inattention Qui ferma votre coeur à la séduction.Vous gagnez tout au monde à ne le pas connaître.Le devoir eût eu peine à se rendre le maître ;Et, sûre de l'aveu d'un père complaisant,Vous n'eussiez pas remis le choix jusqu'à présent. LUCILE. Mille choses de lui maintenant me reviennent,Qui véritablement engagent et préviennent. LISETTE. Ce que, depuis un mois, de lui vous avez lu,Témoigne assez combien son esprit vous eût plu. LUCILE. Quoi ! Ces vers que je lis, que je relis sans cesse... LISETTE. Sont les siens. LUCILE. Quel esprit ! Quelle délicatesse !De plaisirs et de jeux quel mélange amusant !Que, sous des traits si doux, l'amour est séduisant !L'auteur veut plaire et plaît sans doute à quelque belleÀ qui l'on doit le feu dont sa plume étincelle. LISETTE. C'est ce qu'apparemment votre père en conclutEt la raison qui fait que son ordre l'exclut.Il craint que vous n'aimiez la conquête d'une autre...D'une autre ! Mais j'y songe : et s'il était la vôtre ?Vous riez ! Et moi, non. C'est au plus sérieux. Les vers étaient pour vous. J'ouvre à présent les yeux.Oui, je vous reconnais traits pour traits dans l'imageDe celle à qui s'adresse un si galant hommage. LUCILE. Je remarque en effet... prenons par ce chemin.Monsieur De L'Empyrée approche, un livre en main. On m'a, pour le choisir, presque tyrannisée ;Et mon âme jamais n'y fut moins disposée. LISETTE, seule. Bon ! Ce préliminaire est, je crois, suffisantEt Dorante, s'il veut, peut traiter à présent. SCÈNE VI. Lisette, Mondor. MONDOR. Lisette, ai-je un rival ici ? Qu'il disparaisse. LISETTE. S'il me plaît. MONDOR. Plaise ou non ; tu n'es plus ta maîtresse. LISETTE. Comment ? MONDOR. Tu m'appartiens. LISETTE. Et de quel droit encor ? MONDOR. Lucile est à Damis ; donc, Lisette à Mondor.Lucile est à ton maître ? Ah ! Tout beau ! J'en appelle. MONDOR. Il ne lui manque plus que l'aveu de la belle. Celui du père est sûr, à tout ce que j'entends. LISETTE, s'en allant. La belle avance ! MONDOR, courant après. Écoute ! LISETTE. Oh ! Je n'ai pas le temps. SCÈNE VII. DAMIS, seul, Le Mercure à la main. Oui, divine inconnue ! Oui, céleste bretonne !Possédez seule un coeur que je vous abandonne.Sans la fatalité de ce jour où mon front Ceint le premier laurier, ou rougit d'un affront,Je désertais ces lieux, et volais où vous êtes. SCÈNE VIII. Damis, Mondor. MONDOR. Je ne m'étonne plus si nous payons nos dettes.Entre vingt prétendants on vous le donne beau ;Et vous avez pour vous, monsieur, l'air du bureau. DAMIS, se croyant toujours seul. Si, comme je le crois, ma pièce est applaudie,Vous êtes la puissance à qui je la dédie.Vous eûtes un esprit que la France admira ;J'en eus un qui vous plut. L'univers le saura. Il donne à Mondor du livre par le nez. MONDOR. Ouf ! DAMIS. Qui te savait là ? Dis. MONDOR. Maugrebleu du geste ! DAMIS. Tu m'écoutais ? Eh bien ! Raille, blâme, conteste.Dis encor que mon art ne sert qu'à m'éblouir.Tu vois ! Je suis heureux ! MONDOR. Plus que sage. DAMIS. À t'ouïr,Je ne me repaissais que de vaines chimères. MONDOR. Votre bonheur, tout franc, ne se devinait guères. DAMIS. Par un sot comme toi. MONDOR. Mon Dieu, pas tant d'orgueil !Vous ne pouviez manquer d'être vu de bon oeil.Vous trouvez un esprit de la trempe du vôtre ;Mais vous n'eussiez jamais réussi près d'une autre. DAMIS. De pas une autre aussi je ne me soucierais. Celle-ci seule a tout ce que je désirais.De ma muse elle seule épuisant les caresses,Me fait prendre congé de toutes mes maîtresses. MONDOR. Il faudrait en avoir, pour en prendre congé. DAMIS. Je ne te parle aussi que de celles que j'ai. MONDOR. Vous n'en eûtes jamais. J'ai de bons yeux, peut-être !Un valet veut tout voir, voit tout, et sait son maître,Comme à l'observatoire un savant sait les cieux ;Et vous-même, monsieur, ne vous savez pas mieux. DAMIS. Pas tant d'orgueil, toi-même, ami ! Va, tu t'abuses. En fait d'amour, le coeur d'un favori des musesEst un astre, vers qui l'entendement humainDresserait d'ici-bas son télescope en vain.Sa sphère est au-dessus de toute intelligence.L'illusion nous frappe autant que l'existence ; Et, par le sentiment, suffisamment heureux,De l'amour seulement nous sommes amoureux.Ainsi le fantastique a droit sur notre hommage :Et nos feux, pour objet, ne veulent qu'une image. MONDOR. Monsieur, à ma portée ajustez-vous un peu ; Et, de grâce, en français mettez-moi cet hébreu. DAMIS. Volontiers. Imagine une jeune merveille ;Élégance, fraîcheur, et beauté sans pareille ;Taille de nymphe... MONDOR, regardant aux loges. Après. Je vois cela d'ici. DAMIS. C'est de mes premiers feux l'objet en raccourci. T'accommoderais-tu d'une femme ainsi faite ? MONDOR. La peste ! DAMIS. Aussi ma flamme a-t-elle été parfaite. MONDOR. Mais je n'ai jamais vu cet objet plein d'appas. DAMIS. Parbleu ! Je le crois bien, puisqu'il n'existait pas. MONDOR. Et vous l'aimiez ! DAMIS. Très fort. MONDOR. D'honneur ? DAMIS. À la folie ! MONDOR. Une maîtresse en l'air, et qui n'eut jamais vie ! DAMIS. Oui, je l'aimais, avec autant de voluptéQue le vulgaire en trouve à la réalité.La réalité même est moins satisfaisante.Sous une même forme elle se représente : Mais une iris en l'air en prend mille en un jour.La mienne était bergère et nymphe tour à tour.Brune ou blonde, coquette ou prude, fille ou veuve ;Et, comme tu crois bien, fidèle à toute épreuve. MONDOR. Monsieur, parlez tout bas. DAMIS. Et par quelles raisons ? MONDOR. C'est qu'on pourrait vous mettre aux petites-maisons. DAMIS. Cet amour, il est vrai, me parut un peu vide ;Et je ne pus tenir à l'appât du solide.Je répudiai donc la chimérique Iris.D'une beauté palpable enfin je fus épris. J'ai chanté celle-ci sous le nom d'Uranie.Ah ! Que j'ai bien pour elle exercé mon génie,Et que de tendres vers consacrent ce beau nom ! MONDOR. Et je n'ai pas plus vu l'une que l'autre ? DAMIS. Non.La fierté, la naissance et le rang de la dame Renfermaient dans mon coeur le secret de ma flamme.Comment aurais-tu fait pour t'en être aperçu ?Elle-même elle était aimée à son insu. MONDOR. Mais vraiment un amour de si légère espècePourrait prendre son vol bien par delà l'altesse. DAMIS. N'en doute pas, et même y goûter des douceurs.L'amour impunément badine au fond des coeurs.À ce que nous sentons, que fait ce que nous sommes ?L'astre du jour se lève ; il luit pour tous les hommes,Et le plaisir commun que répand sa clarté, Représente l'effet que produit la beauté. MONDOR. J'entends. Tout vous est bon ; rien ne vous importune,Pourvu que votre esprit soit en bonne fortune.À ce compte, un jaloux ne vous craindra jamais ;Et vos rivaux, monsieur, peuvent dormir en paix. Et deux ! à l'autre. DAMIS. Hélas ! En ce moment encore,Je revois son image ; et mon esprit l'adore.Pour la dernière fois, tu me fais soupirer,Divinité chérie ! Il faut nous séparer.Plus de commerce ! Adieu. Nous rompons. MONDOR. Quel dommage ! L'union était belle. Et que répond l'image ? DAMIS. De mon coeur attendri pour jamais elle sort,Et fait place à l'objet dont nous parlions d'abord. MONDOR. D'un poste mal acquis l'équité la dépose,Et rien, avec raison, fait place à quelque chose. DAMIS. Que celle-ci, Mondor, a de grâce et d'esprit ! MONDOR. C'est qu'elle aime les vers ; et cela vous suffit. DAMIS. C'est que... c'est qu'elle en fait des mieux tournés du monde. MONDOR. Pour moi, ce qui m'en plaît, c'est la source fécondeOù nous allons puiser désormais les ducats. DAMIS. Les ducats ? MONDOR. C'est de quoi vous faites peu de cas.L'un de nous deux a tort ; mais qu'à cela ne tienne.Aura tort qui voudra, pourvu que l'argent vienne. DAMIS. Enfin tu conçois donc qu'on en saura gagner ? MONDOR. Le bonhomme du moins ne veut pas l'épargner. DAMIS. Le bonhomme ? MONDOR. Oui, monsieur ; si vous êtes son gendre,Monsieur De Francaleu dit à qui veut l'entendre,Qu'il rendra là-dessus votre bonheur complet. DAMIS. Extravagues-tu ? MONDOR. Non ; foi d'honnête valet. DAMIS. Et qui diable te parle, en cette circonstance, De Monsieur Francaleu, ni de son alliance ? MONDOR. Bon ! Ne voilà-t-il pas encore un quiproquo !De qui parlez-vous donc, monsieur ? DAMIS. D'une sapho,D'un prodige, qui doit, aidé de mes lumières,[Note : Madame Deshoulières, Antoinette du Ligier de la Garde (1633-1694), on la surnomma la dizième muse, elle s'essaya dans tous les genres mais réussit particulièrement dans l'Idylle et l'Eglogue.]Effacer, quelque jour, l'illustre Deshoulières ; D'une fille à laquelle est uni mon destin. MONDOR. Où diantre est cette fille ? DAMIS. À Quimper-Corentin. MONDOR. À Quimp... DAMIS. Oh ! Ce n'est pas un bonheur en idée,Celui-ci ! L'espérance est saine et bien fondée.La bretonne adorable a pris goût à mes vers. Douze fois l'an, sa plume en instruit l'univers.Elle a, douze fois l'an, réponse de la nôtre ;Et nous nous encensons tous les mois l'un et l'autre. MONDOR. Où vous êtes-vous vus ? DAMIS. Nulle part. À quoi bon ? MONDOR. Et vous l'épouseriez ! DAMIS. Sans doute. Pourquoi non ? MONDOR. Et si c'était un monstre ? DAMIS. Oh ! Tais-toi ! Tu m'excèdes.Les personnes d'esprit sont-elles jamais laides ? MONDOR. Oui ; mais répondra-t-elle à votre folle ardeur ? DAMIS. Je suis assez instruit par notre ambassadeur. MONDOR. Et quel est l'intrigant d'une telle aventure ? DAMIS. Le messager des dieux. Lui-même. le mercure . MONDOR. Oh ! Oh ! Bel entrepôt, vraiment, pour coqueter !Tiens, lis dans celui-ci que tu viens d'apporter. Mondor lit.Sonnet de Mademoiselle Mériadec De Kersic, de Quimper en Bretagne, à Monsieur Cinq Étoiles... DAMIS. Ton esprit aisément perce à travers ces voiles ;Et voit bien que c'est moi qui suis les cinq étoiles. Oui ! Qu'à jamais pour moi, belle Mériadec,Pégase soit rétif, et l'Hippocrène à sec,Si ma lyre, de myrte et de palmes ornée,Ne consacre les noeuds d'un si rare hyménée ! MONDOR. Je respecte, monsieur, un si noble transport. Qui vous chicanerait franchement aurait tort.Mais prenez un conseil. Votre esprit s'exténueÀ se forger les traits d'une femme inconnue.Peignez-vous celle-ci sous quelque objet présent.Lucile a, par exemple, un visage amusant... DAMIS. J'entends. MONDOR. Suivez, lorgnez, obsédez sa personne.Croyez voir et voyez en elle la bretonne... DAMIS. C'est bien dit. Cette idée, échauffant mes esprits,N'en portera que plus de feu dans mes écrits.Le bon sens du maraud quelquefois m'épouvante. MONDOR. Molière, avec raison, consultait sa servante. DAMIS. On se peint, dans l'objet présent et plein d'appas,L'objet qu'on idolâtre et que l'on ne voit pas.Aussi bien, transporté du bonheur de ma flamme,Déjà, dans mon cerveau, roule un épithalame, Que, devant qu'il soit peu, je prétends mettre au net,Et donner au mercure , en paiement du sonnet.Muse, évertuons-nous ! Ayons les yeux, sans cesse,Sur l'astre qui fait naître en ces lieux la tendresse !Cherche, en le contemplant, matière à tes crayons ; Et que ton feu divin s'allume à ses rayons !Que cette solitude est paisible et touchante !J'y veux relire encor le sonnet qui m'enchante. Il va s'asseoir à l'écart. MONDOR, seul. Quelle tête ! Il faut bien le prendre comme il est.Voyons ce qui naîtra de ce jeu qui lui plaît. L'assiduité peut, Lucile étant jolie,Lui faire de Quimper abjurer la folie. SCÈNE IX. Dorante, Lucile, Damis à l'écart et sans être vu. DORANTE. À cet aveu si tendre, à de tels sentimentsQue je viens d'appuyer du plus saint des serments ;À tout ce que j'ai craint, madame ; à ce que j'ose ; À vos charmes enfin plus qu'à toute autre chose,Reconnaissez que j'aime ; et réparez l'erreurD'un père qui m'exclut du don de votre coeur.Je ne veux pour tout droit que sa volonté même.Père équitable et tendre, il veut que l'on vous aime. Dès que c'est à ce prix que l'on met votre foi,Qui jamais vous pourra mériter mieux que moi ? LUCILE. Mais enfin là-dessus, qu'importe qu'on l'éclaire,S'il ne vous en est pas pour cela moins contraire ;Et si, dès qu'il saura de qui vous êtes fils, Nul espoir, près de moi, ne vous est plus permis ? DORANTE. J'obtiendrai son aveu ; rien ne m'est plus facile.Mais, parmi tant d'amants, adorable Lucile,N'auriez-vous pas déjà nommé votre vainqueur ? LUCILE, tirant des vers de sa poche. L'auteur seul de ces vers a su toucher mon coeur ; Je l'avoue, et pour lui me voilà déclarée. DORANTE, apercevant Damis. On nous écoute ! LUCILE. Eh ! C'est Monsieur De L'Empyrée !Lisons-les-lui, ces vers, il en sera charmé. DORANTE, à part. Est-ce lui, juste ciel ! Ou moi qu'elle a nommé ? LUCILE, à Damis. Venez, monsieur, venez, pour qu'en votre présence, Nous discutions un fait de votre compétence ;Il s'agit d'une idylle où j'ai quelque intérêt ;Et vous nous en direz votre avis, s'il vous plaît. DORANTE. Madame, on fait grand tort à messieurs les poètes,Quand on les interrompt dans leurs doctes retraites. Laissons donc celui-ci rêver en liberté ;Et détournons nos pas de cet autre côté. DAMIS. Le plus grand tort, monsieur, que l'on puisse nous faire,C'est de priver nos yeux de ce qui peut leur plaire.Peut-on penser si bien, étant seul en ces lieux, Qu'étant avec madame, on ne pense encor mieux ?Madame, je vous prête une oreille attentive.Rien ne me plaira tant. Lisez ; et s'il m'arriveQuelque distraction dont je ne réponds pas,Vous ne l'imputerez qu'à vos divins appas. LUCILE. Votre façon d'écrire élégante et fleurieVous accoutume au ton de la galanterie.Allons, messieurs, passons sous ce feuillage épais,Où, loin des importuns, nous puissions lire en paix. Damis lui présente la main qu'elle accepte, au moment que Dorante lui présentait aussi la sienne. DORANTE, seul. Est-ce un coup du hasard ou de leur perfidie ? Voyons, il faut, de près, que je les étudie,Et que je sorte enfin de la perplexité,La plus grande où peut-être on ait jamais été. ACTE III SCÈNE I. DORANTE, seul, ramassant des tablettes. Quelqu'un regrette bien les secrets confiésÀ ces tablettes-ci que je trouve à mes pieds. Il les ouvre.Épithalame. ah ! Ah ! J'en reconnais le maître.J'y pourrais bien aussi développer un traître...Lisons. SCÈNE II. Dorante, Lisette. LISETTE. Suis-je une fourbe ? Ai-je trahi vos feux ?Le seul qu'on veut exclure, est-il si malheureux ?Dès que je vous ai vu près d'aborder Lucile, Je me suis éclipsée en confidente habile,Et je vous ai laissé le champ libre à l'instant.Eh bien ! Quelle nouvelle ? En êtes-vous content ? DORANTE. Ah ! Qu'elle est ravissante ! Et que ce tête-à-têteAchève de lui bien assurer sa conquête ! Je l'aimais, l'adorais, l'idolâtrais ; mais rienN'exprime mon état, depuis cet entretien.Jusqu'au son de sa voix, tout me pénètre en elle.Son défaut me la rend plus piquante et plus belle ;Oui, ce qu'en elle on nomme indolence et froideur, Redouble de mes feux la tendresse et l'ardeur. LISETTE. La dédaigneuse enfin s'est-elle humanisée ?Je l'avais, ce me semble, assez bien disposée. DORANTE. Tu me vois dans un trouble... LISETTE. Eh ! Vivez en repos. DORANTE. Ses grâces m'ont charmé, mais non pas ses propos. LISETTE. A-t-elle, avec rigueur, fermé l'oreille aux vôtres ? DORANTE. Non. Mais j'aurais voulu qu'elle en eût tenu d'autres. LISETTE. Quoi ? Qu'elle eût dit : monsieur, je suis folle de vous.Je voudrais que déjà vous fussiez mon époux.Mais oui ; c'est avoir l'âme assurément bien dure, De ne pas abréger ainsi la procédure. DORANTE. Ayant fait de ma flamme un libre et tendre aveu,Et promis d'agréer à Monsieur Francaleu,Comme je témoignais la plus ardente envieD'entendre mon arrêt ou de mort ou de vie, Elle m'a répondu (dirai-je avec douceur ? ) :L'auteur seul de ces vers a su toucher mon coeur.À ces mots, de sa poche elle a tiré l'idylle,Dont le succès me rend de moins en moins tranquille. LISETTE. C'est qu'elle a cru parler à l'auteur. DORANTE. Je ne sais. Mais elle a mis mon âme à de rudes essais.Elle a vu mon rival d'un oeil de complaisance.Elle a lu, malgré moi, l'idylle en sa présence.C'était me démasquer. Sous cape, il en riait,Peut-être en homme à qui l'on me sacrifiait ! Le serais-je en effet ? Serait-ce lui qu'on aime ?Me joueraient-ils tous deux ? Me jouerais-tu toi-même ? LISETTE. Les honnêtes soupçons ! Rendez grâce, entre nous,Au cas particulier que je fais des jaloux.Sans les égards qu'on doit à leur tendre caprice, Mon honneur offensé se ferait bien justice. DORANTE. L'auteur seul de ces vers a su toucher son coeur,Dit-elle ! Encore un coup, je n'en suis point l'auteur.Supposé qu'on la trompe, et qu'elle me le croie ;Où donc est encor là le grand sujet de joie ? Je jouis d'une erreur ; et j'aurais souhaitéUne source plus pure à ma félicité !Un mérite étranger est cause que l'on m'aime ;Et je me sens jaloux d'un autre, dans moi-même ! LISETTE. Que la délicatesse est folle en ses excès ! Eh ! Monsieur, y faut-il regarder de si près ?Qu'importe du bonheur la source fausse ou vraie ? DORANTE. Tout ce que j'entrevois, de plus en plus m'effraie.Le bonheur du poète était encor douteux ;Mais il est mon rival, et mon rival heureux. De Lucile, sans cesse, il contemple les charmes.Il se voit, vingt rivaux, sans en prendre d'alarmes.À l'estime du père il a le plus de part.Seule, avec son valet, je te trouve à l'écart.Que te veut-il ? Pourquoi s'enfuit-il à ma vue ? Quels étaient vos complots ? D'où vient paraître émue ?Réponds. LISETTE. Tout bellement ! Vous prenez trop de soin ;[Note : Inerrogat : Ancien terme de pratique. Question faite par les juges ; l'ensemble des questions adressées devant le tribunal à l'une des parties. ]Et c'est aussi pousser l'interrogat trop loin. DORANTE. Je t'épierai si bien aujourd'hui... prends-y garde.Quelque part que tu sois, crois que je te regarde. Cependant, allons voir, en les feuilletant bien,Si ces tablettes-ci ne m'instruiront de rien. SCÈNE III. LISETTE, seule. M'épier ! Doucement ! Ce serait une chaîne.Quoiqu'on soit sans reproche, on ne veut rien qui gêne.Ah ! C'est peu d'être injuste ; il ose être importun ! Aux trousses du fâcheux je vais en lâcher un,Qui, s'attachant à lui, saura bien m'en défaire.Le voici justement. SCÈNE IV. Francaleu, Lisette. FRANCALEU. Qu'as-tu donc tant à faireAvec ce cavalier qui ne semble chez moiS'être impatronisé, que pour être avec toi ? LISETTE. De tous nos entretiens vous seul êtes la cause. FRANCALEU. Voyons un peu le tour qu'elle donne à la chose. LISETTE. Tout simple. Le jeune homme entend vanter à tousCertaine tragédie en six actes, de vous,Que l'on dit fort plaisante, et qu'il brûle d'entendre, Sans qu'il sache par qui, ni trop comment s'y prendre. FRANCALEU. Et n'a-t-il pas l'ami qui me l'a présenté ? LISETTE. Monsieur De L'Empyrée ? Il aura plaisanté,De caustique et de fat joué les mauvais rôles,Et parlé de vos vers, en pliant les épaules. FRANCALEU. J'en croirais quelque chose, à son rire moqueur.Le serpent de l'envie a sifflé dans son coeur.Oh ! Bien, bien, double joie, en ce cas, pour le nôtre !Je mortifierai l'un, et satisferai l'autre ;L'autre aussi bien m'a plu, comme il plaira partout. Il a tout à fait l'air d'un homme de bon goût ;Et d'ailleurs il me prend dans mon enthousiasme.Je suis en train de rire, et veux, malgré mon asthme,Lui lire tous mes vers, sans en excepter un. LISETTE. Vous me déferez là d'un terrible importun. FRANCALEU. Va donc me le chercher. LISETTE. Faites-en votre affaire.Je me vais occuper d'un soin plus nécessaire.Il faut que je m'habille. FRANCALEU. Et pourquoi donc si tôt ? LISETTE. Voulant représenter Lucile comme il faut,J'ôte dès à présent mes habits de soubrette, Pour être, sous les siens, plus libre et moins distraite. FRANCALEU. C'est fort bien avisé. Va, je me charge, moi... SCÈNE V. Francaleu, Baliveau. FRANCALEU. Ah ! C'est vous ! Comment va la mémoire ? BALIVEAU. Ma foi !Quelques raisonnements que votre goût m'oppose,Je hais bien la démarche où mon neveu m'expose : Pour m'y résoudre, il faut, à cet original,Vouloir étrangement et de bien et de mal.Enfin mon rôle est su : voyons, que faut-il faire ? FRANCALEU. Et moi, de mon côté, je songe à votre affaire.Cependant soyez gai. Débutez seulement, Et vous serez bientôt de notre sentiment.De vos talents à peine aurons-nous les prémices,Que nous voulons vous voir un pilier de coulisses ;Et, quoi que vous disiez, vers un plaisir si doux,De la force du charme, entraîné comme nous. J'ai vu ce charme, en France, opérer des miracles ;Nos palais devenir des salles de spectacles ;Et nos marquis, chaussant à l'envi l'escarpin,Représenter Hector, Sganarelle et Crispin. BALIVEAU. Je ne le cache pas. Malgré ma répugnance, Une chose me fait quelque plaisir d'avance.C'est le parfait rapport qui, par un cas plaisant,Se trouve entre mon rôle et mon état présent.Je représente un père austère et sans faiblesse,Qui d'un fils libertin gourmande la jeunesse... Le vieillard, à mon gré, parle comme un Caton,Et je me réjouis de lui donner le ton. FRANCALEU. Celui qui fait le fils s'y prend le mieux du monde,Car nous ne jouons bien qu'autant qu'on nous seconde.Tout dépend de l'acteur mis vis-à-vis de nous. Si celui-ci venait répéter avec nous ? BALIVEAU. Je voudrais que ce fût déjà fait. FRANCALEU, appelant ses valets. Holà ! Hé !Que l'on aille chercher Monsieur De L'Empyrée. À Baliveau.Tenez, voilà par où le jeune homme entrera.Vous pouvez commencer sitôt qu'il paraîtra. Faites comme l'on fait aux choses imprévues.Soyez comme quelqu'un qui tomberait des nues ;Car c'est l'esprit du rôle, et vous vous souvenezQue vous vous trouvez, vous et ce fils, nez à nez,L'instant précis qu'il sort, ou d'une académie, Ou de quelque autre lieu que vous voulez qu'il fuie ;Et qu'à cette rencontre, un silence fâcheuxExprime une surprise égale entre vous deux.C'est un coup de théâtre admirable, et j'espère... SCÈNE VI. Francaleu, Baliveau, Damis. FRANCALEU, à Damis. Monsieur, voilà celui qui fera votre père. Il sait son rôle ; allons, concertez-vous un peu,Et tout en vous voyant, commencez votre jeu. À Baliveau, voyant son profond étonnement.Comment diable ! à merveille ! à miracle ! Courage !Personne ne jouera mieux que vous, du visage. À Damis.Vous avez joué, vous, la surprise assez bien ; Mais le rire vous prend, et cela ne vaut rien.Il faut être interdit, confus, couvert de honte. BALIVEAU. Je sens qu'ainsi que lui votre aspect me démonte. DAMIS, à Francaleu. C'est que lorsqu'on répète un tiers est importun. FRANCALEU. Adieu donc ; aussi bien je fais languir quelqu'un. À Damis.Monsieur l'homme accompli, qui du moins croyez l'être,Prenez, prenez leçon, car voilà votre maître. À Baliveau.Bravo ! Bravo ! Bravo ! SCÈNE VII. Baliveau, Damis. BALIVEAU, à part. Le sot événement ! DAMIS. Je ne puis revenir de mon étonnement.Après un tel prodige, on en croira mille autres. Quoi ! Mon oncle, c'est vous ? Et vous êtes des nôtres !Heureux le lieu, l'instant, l'emploi qui nous rejoint ! BALIVEAU. Raisonnons d'autre chose et ne plaisantons point.Le hasard a voulu... DAMIS. Voici qui paraît drôle.Est-ce vous qui parlez, ou si c'est votre rôle ? BALIVEAU. C'est moi-même qui parle, et qui parle à Damis.Voilà donc ce que fait mon neveu dans Paris ?Qu'a produit un séjour de si longue durée ?Que veut dire ce nom : Monsieur De L'Empyrée ?Sied-il, dans ton état, d'aller ainsi vêtu ? Dans quelle compagnie, en quelle école es-tu ? DAMIS. Dans la vôtre, mon oncle. Un peu de patience.Imitez-moi. Voyez si je romps le silenceSur mille questions, qu'en vous trouvant ici,Peut-être suis-je en droit d'oser vous faire aussi. Mais c'est que notre rôle est notre unique affaire,Et que de nos débats le public n'a que faire. BALIVEAU, levant la canne. Coquin ! Tu te prévaux du contre-temps maudit... DAMIS. Monsieur, ce geste-là vous devient interdit.Nous sommes, vous et moi, membres de comédie. Notre corps n'admet point la méthode hardieDe s'arroger ainsi la pleine autorité ;Et l'on ne connaît point chez nous de primauté. BALIVEAU, à part. C'est à moi de plier, après mon incartade. DAMIS, gaiement. Répétons donc en paix. Voyons, mon camarade. Je suis un fils... BALIVEAU, à part. J'ai ri. Me voilà désarmé. DAMIS. Et vous, un père... BALIVEAU. Eh ! Oui, bourreau, tu m'as nommé.Je n'ai que trop pour toi des entrailles de père,Et ce fut le seul bien que te laissa mon frère.Quel usage en fais-tu ? Qu'ont servi tous mes soins ? DAMIS. À me mettre en état de les implorer moins.Mon oncle, vous avez cultivé mon enfance.Je ne mets point de borne à ma reconnaissance,Et c'est pour le prouver que je veux désormaisCommencer par tâcher d'en mettre à vos bienfaits ; Me suffire à moi-même en volant à la gloire,Et chercher la fortune au temple de mémoire. BALIVEAU. Où la vas-tu chercher ? Ce temple prétendu(Pour parler ton jargon) n'est qu'un pays perdu,Où la nécessité, de travaux consumée, Au sein du sot orgueil se repaît de fumée.Eh ! Malheureux ! Crois-moi, fuis ce terroir ingrat.Prends un parti solide et fais choix d'un étatQu'ainsi que le talent, le bon sens autorise ;Qui te distingue et non qui te singularise ; Où le génie heureux brille avec dignité,Tel qu'enfin le barreau l'offre à ta vanité. DAMIS. Le barreau ! BALIVEAU. Protégeant la veuve et la pupille,C'est là qu'à l'honorable on peut joindre l'utile ;Sur la gloire et le gain établir sa maison, Et ne devoir qu'à soi sa fortune et son nom. DAMIS. Ce mélange de gloire et de gain m'importune.On doit tout à l'honneur et rien à la fortune.Le nourrisson du Pinde, ainsi que le guerrier,À tout l'or du Pérou, préfère un beau laurier. L'avocat se peut-il égaler au poète ?De ce dernier la gloire est durable et complète ;Il vit longtemps après que l'autre a disparu.[Note : Scarron, Paul (1610-1661) : Poète burlesque et auteur de trois comédies, ainsi que du Roman comique français, d'une oeuvre contre Mazarin. Il épousa Melle d'Aubigné , petite fille du poète, qui devint plus tard Mme de Maintenon.][Note : Patru, Olivier (1604-1681) : avocat de Paris, académicien. Grammairien et critique, ami de Boileau et Racine.]Scarron même l'emporte aujourd'hui sur Patru.Vous parlez du barreau de la Grèce et de Rome, Lieux propres autrefois à produire un grand homme.L'antre de la chicane et sa barbare voixN'y défiguraient pas l'éloquence et les lois.Que des traces du monstres on purge la tribune,J'y monte, et mes talents, voués à la fortune, Jusqu'à la prose encor voudront bien déroger.Mais l'abus ne pouvant si tôt se corriger,Qu'on me laisse, à mon gré, n'aspirant qu'à la gloire,Des titres du Parnasse anoblir ma mémoire,Et primer dans un art plus au-dessus du droit, Plus grave, plus sensé, plus noble qu'on ne croit.La fraude impunément, dans le siècle où nous sommes,Foule aux pieds l'équité, si précieuse aux hommes :Est-il, pour un esprit solide et généreux,Une cause plus belle à plaider devant eux ? Que la fortune donc me soit mère ou marâtre,C'en est fait : pour barreau, je choisis le théâtre ;Pour client, la vertu ; pour lois, la vérité ;Et pour juges, mon siècle et la postérité. BALIVEAU. Eh bien ! Porte plus haut ton espoir et tes vues. À ces beaux sentiments les dignités sont dues.La moitié de mon bien remise en ton pouvoir,Parmi nos sénateurs, s'offre à te faire asseoir.Ton esprit généreux, si la vertu t'est chère,Si tu prends à sa cause un intérêt sincère, Ne préférera pas, la croyant en danger,L'effort de la défendre au droit de la juger. DAMIS. Non, mais d'un si beau droit l'abus est trop facile.L'esprit est généreux et le coeur est fragile.Qu'un juge incorruptible est un homme étonnant ! Du guerrier le mérite est sans doute éminent ;Mais presque tout consiste au mépris de la vie,Et de servir son roi la glorieuse envie,L'espérance, l'exemple, un je ne sais quel prix,L'horreur du mépris même inspire ce mépris. Mais avoir à braver le sourire ou les larmesD'une solliciteuse aimable et sous les armes !Tout sensible, tout homme enfin que vous soyez,Sans oser être ému, la voir presque à vos pieds !Jusqu'à la cruauté pousser le stoïcisme ! Je ne me sens point fait pour un tel héroïsme.De tous nos magistrats la vertu nous confond,Et je ne conçois pas comment ces messieurs font.La mienne donc se borne au mépris des richesses ;À chanter des héros de toutes les espèces ; À sauver, s'il se peut, par mes travaux constants,Et leurs noms et le mien des injures du temps.Infortuné ! Je touche à mon cinquième lustreSans avoir publié rien qui me rende illustre !On m'ignore, et je rampe encore à l'âge heureux Où Corneille et Racine étaient déjà fameux ! BALIVEAU. Quelle étrange manie ! Et dis-moi, misérable !À de si grands esprits te crois-tu comparable ?Et ne sais-tu pas bien qu'au métier que tu faisIl faut ou les atteindre ou ramper à jamais ? DAMIS. Eh bien ! Voyons le rang que le destin m'apprête ;Il ne couronne point ceux que la crainte arrête.Ces maîtres même avaient les leurs en débutant,Et tout le monde alors put leur en dire autant. BALIVEAU. Mais les beautés de l'art ne sont pas infinies. Tu m'avoueras du moins que ces rares génies,Outre le don qui fut leur principal appui,Moissonnaient à leur aise où l'on glane aujourd'hui. DAMIS. Ils ont dit, il est vrai, presque tout ce qu'on pense.Leurs écrits sont des vols qu'ils nous ont faits d'avance ; Mais le remède est simple : il faut faire comme eux ;Ils nous ont dérobés, dérobons nos neveux ;Et tarissant la source où puise un beau délire,À tous nos successeurs ne laissons rien à dire.Un démon triomphant m'élève à cet emploi. Malheur aux écrivains qui viendront après moi ! BALIVEAU. Va, malheur à toi-même, ingrat ! Cours à ta perte !À qui veut s'égarer, la carrière est ouverte.Indigne du bonheur qui t'était préparé,Rentre dans le néant dont je t'avais tiré. Mais ne crois pas que, prêt à remplir ma vengeance,Ton châtiment se borne à la seule indigence.Cette soif de briller, où se fixent tes voeux,S'éteindra, mais trop tard, dans des dégoûts affreux.Va subir du public les jugements fantasques, D'une cabale aveugle essuyer les bourrasques,Chercher en vain quelqu'un d'humeur à t'admirer,Et trouver tout le monde actif à censurer !Va, des auteurs sans nom, grossir la foule obscure,Égayer la satire, et servir de pâture À je ne sais quel tas de brouillons affamésDont les écrits mordants sur les quais sont semés !Déjà dans les cafés tes projets se répandent.Le parodiste oisif et les forains t'attendent.Va, après t'être vu, sur leur scène, avili, De l'opprobre, avec eux, retomber dans l'oubli ! DAMIS. Que peut contre le roc une vague animée ?Hercule a-t-il péri sous l'effort du pygmée ?L'Olympe voit en paix fumer le mont Etna.Zoïle contre Homère en vain se déchaîna ; Et la palme du Cid, malgré la même audace,Croît et s'élève encore au sommet du Parnasse. BALIVEAU. Jamais l'extravagance alla-t-elle plus loin ?Eh bien ! Tu braveras la honte et le besoin.Je veux que ton esprit n'en soit que plus rebelle, Et qu'aux siècles futurs ta sottise en appelle ;Que, de ton vivant même, on admire tes vers ;Tremble, et vois sous tes pas mille abîmes ouverts !L'impudence d'autrui va devenir ton crime.[Note : Libelle : Écrit qui contient des injures, des reproches, des accusations contre l'honneur et la réputation de quelqu'un. [F]]On mettra sur ton compte un libelle anonyme. Poursuivi, condamné, proscrit sur ces rumeurs,À qui veux-tu qu'un homme en appelle ? DAMIS. À ses moeurs. BALIVEAU. À ses moeurs ? Et le monde, en ces sortes d'orages,Est-il instruit des moeurs, ainsi que des outrages ? DAMIS. Oui. De mes moeurs bientôt j'instruirai tout Paris. BALIVEAU. Et comment, s'il vous plaît ? DAMIS. Comment ? Par mes écrits.Je veux que la vertu plus que l'esprit y brille.La mère en prescrira la lecture à sa fille ;Et j'ai, grâce à vos soins, le coeur fait de façonÀ monter aisément ma lyre sur ce ton. Sur la scène aujourd'hui, mon coup d'essai l'annonce.Je suis un malheureux, mon oncle me renonce ;Je me tais ; mais l'erreur est sujette au retour ;J'espère triompher avant la fin du jour,Et peut-être la chance alors tournera-t-elle. BALIVEAU. Quoi ! Vous seriez l'auteur de la pièce nouvelleQue ce soir, aux français, l'on doit représenter ? DAMIS. Soyez donc le premier à m'en féliciter. BALIVEAU. Puisque vous le voulez, je vous en félicite. DAMIS. J'en augure une heureuse et pleine réussite. BALIVEAU. Cependant, gardez-vous de dire à FrancaleuQue de son bon ami vous êtes le neveu. DAMIS. Tout comme il vous plaira, mais je vois avec peineQue vous ne vouliez pas que je vous appartienne. BALIVEAU. J'ai de bonnes raisons pour en agir ainsi. DAMIS. J'obéirai, monsieur. BALIVEAU. J'y compte. DAMIS. Mais aussi,Daignant de même entrer dans l'esprit qui m'anime,Laissez-moi quelque temps jouir de l'anonyme,Pour goûter du succès les plaisirs plus entiersEt m'entendre louer sans rougir. BALIVEAU. Volontiers. À part.À demain, scélérat ! Si jamais tu rimailles,Ce ne sera, morbleu, qu'entre quatre murailles ! SCÈNE VIII. DAMIS, seul. Il ne veut m'avouer qu'après l'événement.Nous nous sommes ici rencontrés plaisamment.La scène est théâtrale, unique, inopinée. Je voudrais, pour beaucoup, l'avoir imaginée.Mon succès serait sûr. Du moins profitons-en,Et songeons à la coudre à quelque nouveau plan.J'en ai plusieurs. Voyons. Où sont donc mes tablettes ?La perte, pour le coup, serait des plus complètes. Tout à l'heure, à la main, je les avais encor.Ah ! Je suis ruiné ! J'ai perdu mon trésor !Nombre de canevas, deux pièces commencées ;Caractères, portraits, maximes et pensées,Dont la plus triviale, en vers alexandrins, Au bout d'une tirade, eût fait battre des mains !Que j'ai regret, surtout, à mon épithalame !Hélas ! Ma muse, au gré de l'espoir qui m'enflamme,Dans un premier transport venait de l'ébaucher.Deux fois du même enfant pourra-t-elle accoucher ? SCÈNE IX. Dorante, Damis. DAMIS. Ah ! Monsieur ! Secourez les muses attristées !Mes tablettes, là-bas, dans le bois sont restées.Suivez-moi ! Cherchons-les ! Aidons-nous ! DORANTE, les lui rendant. Les voilà. DAMIS. Je ne puis exprimer le plaisir... DORANTE. Brisons là. DAMIS. Vous me rendez l'espoir, le repos et la vie. DORANTE. Mon dessein n'est pas tel, car je vous signifieQu'il faut, en ce logis, ne plus vous remontrer,Et vous faire une affaire ou n'y jamais rentrer. DAMIS. L'étrange alternative ! Un ami la propose !Ne puis-je, avant d'opter, en demander la cause ? DORANTE. Eh fi ! L'air ingénu sied mal à votre front,Et ce doute affecté n'est qu'un nouvel affront. DAMIS. C'est la pure franchise. En vérité, j'ignore... DORANTE. Quoi, monsieur ? Que Lucile est celle que j'adore ? DAMIS. Non. Quand j'ai vu tantôt mes vers entre ses mains... DORANTE. Vous m'avez insulté, c'est de quoi je me plains.En quoi donc ? DORANTE. Oui, c'est vous qui les lui faisiez lire. DAMIS. Moi ! DORANTE. Vous. Plus je souffrais, plus je vous voyais rire...De ce qu'innocemment, la belle, malgré vous,Révélait un secret dont vous étiez jaloux. DORANTE. Non. Mais de la noirceur de cette âme cruelle,Et du plaisir malin de jouir avec elleDe la confusion d'un rival malheureuxQue vous avez joué de concert tous les deux.C'est à quoi votre esprit, depuis un mois, s'occupe ; Mais je ne serai pas jusqu'au bout votre dupe.Je veux, de mon côté, mettre aussi les railleurs,Et votre épithalame ira servir ailleurs. DAMIS. Ah ! Ce mot échappé me fait enfin comprendre... DORANTE. Songez vite au parti que vous avez à prendre. DAMIS. Dorante ! DORANTE. Vous voulez temporiser en vain.Renoncez à Lucile, ou l'épée à la main ! DAMIS. Opposons quelque flegme aux vapeurs de la bile :La valeur n'est valeur qu'autant qu'elle est tranquille,Et je vois... DORANTE. Oh ! Je vois qu'un versificateur Entend l'art de rimer mieux que le point d'honneur. DAMIS. C'en est trop. à vous-même, un mot eût pu vous rendre,Je ne le dirais plus, voulussiez-vous l'entendre.C'est moi qui maintenant vous demande raison.Cependant on pourrait nous voir de la maison. La place, pour nous battre, ici près est meilleure.Marchons ! SCÈNE X. Francaleu, Dorante, Damis. FRANCALEU, prenant Dorante par le bras et ne le lâchant plus. Eh ! Venez donc, monsieur ! Depuis une heure,Je vous cherche partout, pour vous lire mes vers. DORANTE. À moi, monsieur ? FRANCALEU. À vous. DAMIS, à part. Autre esprit à l'envers ! FRANCALEU. Vous désirez, dit-on, ce petit sacrifice. DORANTE. Et qui m'a, près de vous, rendu ce bon office ?C'est Lisette. Dorante, à Damis.C'est vous qu'elle veut servir. FRANCALEU. Lui,Il voudrait qu'on fût sourd aux ouvrages d'autrui. DAMIS. Loin de l'en détourner, c'est moi qui l'y convie. DORANTE, à Damis. Je lis dans votre coeur, et je vois votre envie. FRANCALEU. Vous dites bien : l'envie ! Oui, c'est un envieux,Qui voudrait, sur lui seul, attirer tous les yeux. DAMIS. Mon ami, par bonheur, est là pour me défendre.Tantôt je l'exhortais encore à vous entendre. DORANTE, bas à Damis. Vous osez m'attester ? ... DAMIS, bas à Dorante. Je songe à votre amour. Songez, si vous voulez, à faire votre cour. FRANCALEU. On me voudrait pourtant assurer du contraire. DAMIS. Lisez : et qu'il admire ; il ne saurait mieux faire. DORANTE, bas. Tu crois m'échapper. Mais... DAMIS, à Francaleu. D'autant plus que monsieurA besoin maintenant d'un peu de belle humeur. FRANCALEU, tirant un gros cahier de sa poche. Ah ! Quelque humeur qu'il ait, il faudra bien qu'il rie ;Et pour cela d'abord, je lis ma tragédie. DAMIS. Rien ne pouvait pour lui venir plus à propos. FRANCALEU. Pourvu que les fâcheux nous laissent en repos. DAMIS, bas à Dorante. Dès que vous le pourrez, songez à disparaître. Je vous attends. FRANCALEU, à Damis. Et vous, vous n'en voulez pas être ? DORANTE, au même, s'efforçant de faire lâcher prise à Francaleu. Je ne vous quitte point. DAMIS, à Francaleu. Monsieur, excusez-moi,J'aime ; et c'est un état où l'on n'est guère à soi.Vous savez qu'un amant ne peut rester en place. Il s'en va. DORANTE, voulant courir après lui.. Par la même raison... SCÈNE XI. Francaleu, Dorante. FRANCALEU, le retenant ferme. Laissez, laissez, de grâce ! Il en veut à ma fille ; et je serais charméQu'il parvînt à lui plaire, et qu'il en fût aimé. DORANTE. Oh ! Parbleu, qu'il vous aime, et vous et vosOuvrages ! FRANCALEU. Comme si nous avions besoin de ses suffrages ! DORANTE. Le mien mérite peu que vous vous y teniez. FRANCALEU. Je serai trop heureux que vous me le donniez. DORANTE. Prodiguer à moi seul le fruit de tant de veilles ! FRANCALEU. Moins l'assemblée est grande, et plus elle a d'oreilles. DORANTE. Si vous vouliez, pour lui, différer d'un moment ? FRANCALEU. Non ; qui satisfait tôt, satisfait doublement. Il lâche Dorante pour tirer ses lunettes. Dorante s'évade ; et Francaleu continue sans s'en apercevoir.Et c'est le moins qu'on doive à votre politesse,D'avoir bien voulu prendre un rôle dans la pièce. Il déroule son cahier et lit.La mort de Bucéphale... Se retournant.Où diable est-il ? Comment !On me fuit ! Oh ! Parbleu, ce sera vainement.Je cours après mon homme ; et s'il faut qu'il m'échappe, Je me cramponne après le premier que j'attrape ;Et, bénévole ou non, dût-il ronfler debout,L'auditeur entendra ma pièce jusqu'au bout. ACTE IV SCÈNE I. Mondor, Lisette, habillée pour jouer, et tirant Mondor après elle d'un air inquiet. MONDOR. À quoi bon, dans le parc, ainsi tourner sans cesse,Pirouetter, courir, voltiger ? LISETTE. Mondor ! MONDOR. Qu'est-ce ? LISETTE. Tu ne voyais pas ? MONDOR. Quoi ? LISETTE. Qu'on nous épiait. MONDOR. Quand ? LISETTE. Le voilà bien sot ! MONDOR. Qui ? LISETTE. Le trait certes est piquant.Quel ? LISETTE. Quel ? Qu'est-ce ? Quoi ? Quand ? Qui ? L'amant de Lucile,Que son mauvais démon ne peut laisser tranquille,Dorante. MONDOR. Eh bien ! Dorante ? LISETTE. Il nous a vus de loin, Ainsi que tu croyais m'aborder sans témoin.Sous ce nouvel habit, du bout de l'avenue,Qu'il ait cru voir Lucile, ou qu'il m'ait reconnuePrès de toi, l'un vaut l'autre ; et surtout son destinSemblant te mettre exprès une lettre à la main. Nous entrons dans le parc : il nous guette, il pétille ;Il se glisse, et nous suit le long de la charmille.Moi qui, du coin de l'oeil, observe tous ses tours,Je me laisse entrevoir, et disparais toujours :Dieu sait si le cerveau de plus en plus lui tinte ! Tant qu'enfin je le plante au fond du labyrinthe,Où le pauvre jaloux, pour longtemps en défaut,Peste et jure, je crois, maintenant, comme il faut.Je ferais encor pis, si je pouvais pis faire.De ces coeurs défiants l'espèce atrabilaire Ressemble, je le vois, aux chevaux ombrageux ;Il faut les aguerrir, pour venir à bout d'eux. MONDOR. Oh parbleu ! Ce n'est pas le faible de mon maître !Au contraire, il se livre aux gens, sans les connaître ;Et présume assez bien de soi-même et d'autrui, Pour se croire adoré, sans que l'on songe à lui.Du reste, sait-il bien se tirer d'une affaire ? LISETTE. Ceux qui l'ont séparé d'avec son adversaire,Disent qu'il s'y prenait en brave cavalier ;Et, pour un bel esprit, qu'il est franc du collier. MONDOR. Il n'est sorte de gloire, à laquelle il ne coure.Le bel esprit, en nous, n'exclut pas la bravoure.D'ailleurs, ne dit-on pas : telles gens, tel patron ;Et, dès que je le sers, peut-il être un poltron ? LISETTE. Voilà donc cet amour dont j'étais ignorante, Et que j'ai cru toujours un rêve de Dorante ?Mon maître ne dit mot ; mais, à la vérité,Ce combat-là tient bien de la rivalité.En ce cas, mon adresse a tout fait. LISETTE. Ton adresse ? MONDOR. Oui. J'ai, de sa conquête, honoré ta maîtresse. Celle qu'il recherchait ne me convenant pas,De Lucile, à propos, j'ai vanté les appas,Lui conseillant d'avoir souvent les yeux sur elle,Et de mettre un peu l'une et l'autre en parallèle.Il paraît qu'il n'a pas négligé mes avis. LISETTE. Il se repentirait de les avoir suivis.Envers et contre tous, je protège Dorante. MONDOR. Gageons que, malgré toi, mon maître le supplante.Car étant né poète au suprême degré,Lucile va d'abord le trouver à son gré. Monsieur de Francaleu déjà l'aime et l'estime ;Du père de Dorante, il n'est pas moins l'intime :Et je porte un billet à ce père adressé,Qu'après s'être battu, sur l'heure, il a tracé.Sachant des deux vieillards la mésintelligence, Il mande à celui-ci, selon toute apparence,De rappeler un fils qui fait ici l'amour,Et dont l'entêtement croîtrait de jour en jour.Il saura, là-dessus, le rendre impitoyable.S'il aime enfin Lucile, ainsi qu'il est croyable, Prends de mes almanachs, et tiens pour assuréQue le bonheur de l'autre est fort aventuré. LISETTE. Mais cet autre, avec qui je suis de connivence,A pris, depuis un mois, terriblement l'avance.J'ai vu pâlir Lucile, au récit du combat. D'une tendre frayeur, le coeur encor lui bat.Lucile s'est émue, et c'est pour lui, te dis-je.Il a visiblement tout l'honneur du prodige.Depuis, ils se sont même entretenus longtemps,Et s'étaient séparés, l'un de l'autre contents, Lorsque, dans cet esprit soupçonneux à la rage,Ma présence équivoque a ramené l'orage ;Mais le calme ne tient qu'à l'éclaircissementQui coulera ton maître à fond dans le moment. MONDOR. Je réponds de la barque, en dépit de Neptune. Songe donc qu'elle porte un poète et sa fortune !Telle gloire le peut couronner aujourd'hui,Qui mettrait père et fille à genoux devant lui.De ce coup décisif l'instant fatal approche.L'amour m'arrache un temps que l'honneur me reproche. Adieu. Que devant nous, tout s'abaisse en ce jour ;Et que tous nos rivaux tremblent à mon retour ! SCÈNE II. LISETTE. Telle gloire le peut couronner... j'ai beau dire,Dorante pourrait bien avoir ici du pire.Faisons la guerre à l'oeil ; et mettons-nous au fait De ce coup qui doit faire un si terrible effet. SCÈNE III. Francaleu, Damis, Lisette. FRANCALEU, à Lisette, qu'il ne voit que par derrière. Lucile, redoublez de fierté pour Dorante,Vous n'êtes pas encore assez indifférente.Vous souffrez qu'il vous parle ; et je défends celaTout net ! Entendez-vous, ma fille ! LISETTE, se tournant et faisant la révérence. Oui, mon père. FRANCALEU. Ah ! C'est toi, Lisette ? LISETTE. Eh bien ! C'est moi, je tiens parole.Lui ressemblé-je assez ? Jouerai-je bien son rôle ?L'oeil du père s'y trompe ; et je conclus d'iciQue bien d'autres, tantôt, s'y tromperont aussi. FRANCALEU, à Damis. Admirez, en effet, comme elle lui ressemble ! LISETTE. Quand commencera-t-on ? FRANCALEU. Tout à l'heure ; on s'assemble.Cependant, va chercher ta maîtresse, et l'instruisDes dispositions où tu vois que je suis.Si j'eus une raison, maintenant j'en ai trenteQui doivent à jamais disgracier Dorante. SCÈNE IV. Francaleu, Damis. FRANCALEU. La coquine le sert indubitablement,Et m'en a, sur son compte, imposé doublement.Sur quoi donc, s'il vous plaît, vous a-t-il fait querelle ? DAMIS. Sur un malentendu : pour une bagatelle. FRANCALEU. Ce procédé l'exclut du rang de vos amis ? DAMIS. Quelque ressentiment pourrait m'être permis ;Mais je suis sans rancune ; et ce qui se prépareVa me venger assez de cet esprit bizarre. FRANCALEU. Ce que j'apprends encor lui fait bien moins d'honneur. DAMIS. Quoi donc ? FRANCALEU. Qu'il est le fils d'un maudit chicaneur, Qui, n'écoutant prière, avis, ni remontrance,Depuis dix ou douze ans, me plaide à toute outrance.Des sottises d'un père, un fils n'est pas garant :Mais le tort que me fait ce plaideur est si grand,Que je puis, à bon droit, haïr jusqu'à sa race. Ce procès me ruine en sotte paperasse ;Et sans le temps, les pas, et les soins qu'il y faut,J'aurais été poète onze ou douze ans plus tôt.Sont-ce là, dites-moi, des pertes réparables ? DAMIS. Le dommage est vraiment des plus considérables. Il faut que le public intervienne au procès,Et conclue, avec vous, à de gros intérêts.Et Dorante n'a-t-il contre lui que son père ? FRANCALEU. Pardonnez-moi, monsieur, il a son caractère.Je lui croyais du goût, de l'esprit, du bon sens ; Ce n'est qu'un étourdi. Cela tourne à tous vents.Cervelle évaporée, esprit jeune et frivoleQue vous croyez tenir au moment qu'il s'envole ;Qui me choque, en un mot, et qui me choque au pointQue chez moi, sans ma pièce, il ne resterait point. Mais il le faut avoir, si je veux qu'on la joue ;Et voilà trop de fois que mon spectacle échoue.À propos, ce bonhomme avec qui vous jouez,Plaît-il ? Que vous en semble ? Excellent ! Avouez. DAMIS. Admirable ! FRANCALEU. A-t-il l'air d'un père qui querelle ! Hein ! Comme sa surprise a paru naturelle ! DAMIS. Attendez à juger de ce qu'il peut valoir,Que vous en ayez vu ce que je viens d'en voir.Il est original en ces sortes de rôle. FRANCALEU. Pour un mois, avec nous, il faut que je l'enrôle. DAMIS. De l'humeur dont il est, j'admire seulementQu'il daigne se prêter à nous pour un moment. FRANCALEU. C'est que je l'ai flatté du succès d'une affaire.Tirons-en donc parti, tandis qu'à nous complaireEt qu'à nous ménager il a quelque intérêt. DAMIS. La troupe ne saurait faire un meilleur acquêt. FRANCALEU. Si vous le souhaitez, c'est une affaire faite. DAMIS. Personne plus que moi, monsieur, ne le souhaite. FRANCALEU. Et personne, monsieur, n'y peut mieux réussir. DAMIS. Que moi ? FRANCALEU. Que vous. DAMIS. Par où ? Daignez m'en éclaircir. Vous pouvez, à la cour, lui rendre un bon office. DAMIS. Plût au ciel ! Il n'est rien que pour lui je ne fisse. FRANCALEU. Vous êtes bien venu des ministres ? DAMIS. Un fatAvouerait que la cour fait de lui quelque état ;Et, passant du mensonge à la sottise extrême, En le faisant accroire, il le croirait lui-même.Mais je n'aime à tromper ni les autres ni moi.Un poète, à la cour, est de bien mince aloi.Des superfluités il est la plus futile.On court au nécessaire ; on y songe à l'utile : Ou si, vers l'agréable, on penche quelquefois,Nous sommes éclipsés par le moindre minois ;Et là, comme autre part, les sens entraînant l'homme,Minerve est éconduite, et Vénus a la pomme.Ainsi, je n'oserais vous promettre pour lui, Sur un crédit si frêle, un bien solide appui. FRANCALEU. Ma parole, en ce cas, sera donc mal gardée ;Car je comptais sur vous quand je l'ai hasardée. DAMIS. Et de quoi s'agit-il encor ? Voyons un peu. FRANCALEU. Il veut faire enfermer un fripon de neveu, Un libertin qui s'est attiré sa disgrâce,En ne faisant rien moins que ce qu'on veut qu'il fasse. DAMIS, vivement. Oh ! Je le servirai, si ce n'est que cela ;Et mon peu de crédit ira bien jusque-là. FRANCALEU, voulant rentrer. Non, non, laissez ! Parbleu ! J'admire ma sottise ! DAMIS, l'arrêtant. Quoi donc ? FRANCALEU. J'en vais charger quelqu'un dont je m'avise. DAMIS. Ah ! Gardez-vous-en bien, s'il vous plaît ! FRANCALEU. Et pourquoi ? DAMIS. Quand je vous dis qu'on peut s'en reposer sur moi ! FRANCALEU. C'est qu'avec celui-ci l'affaire ira plus vite.Je serais très fâché qu'il en eût le mérite. FRANCALEU. Songez donc que ce soir il aura mon billet,Et que j'aurai demain la lettre de cachet. DAMIS. Mon Dieu ! Laissez-moi faire ! Ayez cette indulgence. FRANCALEU. Mais vous ne ferez pas la même diligence ? DAMIS. Plus grande encore. FRANCALEU. Oh non ! DAMIS. Que direz-vous pourtant, Si votre homme ce soir, ce soir même, est content ? FRANCALEU. Ce soir ! Ah ! Sur ce pied, je n'ai plus rien à dire ;Mais comment ce temps-là pourra-t-il vous suffire ? DAMIS. Je ne vous promets rien par delà mon pouvoir. FRANCALEU. Vous promettez pourtant beaucoup. DAMIS. Vous allez voir. Mais, monsieur, on dirait à cette ardeur extrême,Qu'à ce pauvre neveu vous en voulez vous-même. FRANCALEU. Sans doute, et j'ai raison. L'oncle me fait pitié,Et tout mauvais sujet mérite inimitié.Tenez, j'ai toujours eu l'amour de l'ordre en tête. Vous menez, par exemple, un train de vie honnête,Vous ; cela fait plaisir, mais n'étonnera pas ;Car vous me fréquentez et vous suivez mes pas.Des travers du jeune homme un fou sera la cause.Aussi l'ordre du roi, pour le bien de la chose, Devrait faire enfermer, avec le libertin,Tel chez qui l'on saura qu'il est soir et matin.Vous riez, mais je parle en père de famille. SCÈNE V. Francaleu, Damis, Lisette. FRANCALEU. Que viens-tu m'annoncer ? LISETTE. Que je me déshabille. FRANCALEU. Quoi ! La pièce... LISETTE. Est au croc une seconde fois. FRANCALEU. Faute d'acteurs ? LISETTE. Tantôt, il n'en manquait que trois ;Mais, ma foi, maintenant c'est bien une autre histoire. FRANCALEU. Quoi donc ? LISETTE. Vous n'avez plus d'acteurs ni d'auditoire. FRANCALEU. Que dis-tu ? LISETTE. Tout défile et vole vers Paris.Désertion totale ! LISETTE. Oui, pour avoir appris Que ce soir on y joue une pièce nouvelleDont le titre les pique et les met en cervelle. FRANCALEU. Ah ! J'en suis ! LISETTE. L'heure presse et tous ont décampé,Comptant se retrouver ici pour le soupé. DAMIS. Quelle rage ! à quoi bon cette brusque sortie ? Comme s'ils n'eussent pu remettre la partie. FRANCALEU. Non. Le sort d'une pièce est-il en notre main,Nous en voyons mourir du soir au lendemain.Celle-ci peut n'avoir qu'une heure ou deux à vivre.Si nous la voulons voir, songeons donc à les suivre. Venez. DAMIS. J'augure mieux de la pièce que vous.D'ailleurs ce qui se vient de conclure entre nous,De soins très sérieux remplira ma soirée. FRANCALEU. Adieu donc. Demeurez, Monsieur De L'Empyrée.Votre refus fait place à Monsieur Baliveau, Qui, dans l'art du théâtre étant encor nouveau,Ne sera pas fâché qu'on le mène à l'école.Qui plus est, son neveu l'occupe et le désole,Et la pièce nouvelle est un amusementQui pourra le lui faire oublier un moment. DAMIS, à part. Oui-da, c'est bien s'y prendre. SCÈNE VI. Damis, Lisette. LISETTE, à part. Un peu de hardiesse !Cet homme-ci, je crois, est l'auteur de la pièce.Faisons qu'il se trahisse. Il en est un moyen. Haut.Vous risquez, en tardant, de ne trouver plus rien.Monsieur raisonnait juste, et votre attente est vaine, Car la pièce est mauvaise et sa chute est certaine. DAMIS. Certaine ? LISETTE. Oui, cet arrêt dût-il vous chagriner. DAMIS. Mademoiselle a donc le don de deviner ? LISETTE. Non, mais c'est ce que mande un connaisseur en titreDont le goût n'a jamais erré sur ce chapitre. DAMIS. Et ce grand connaisseur dont le goût est si fin... LISETTE. Ne croit pas que la pièce aille jusqu'à la fin. DAMIS. Je voudrais bien savoir sur quelle conjecture ? LISETTE. Sur ce qu'hier, chez lui, l'auteur en fit lecture. DAMIS. Chez lui ! L'auteur ! Hier ! LISETTE. Oui. Qu'a donc ce discours ? ... Je ne suis pas sorti d'ici depuis huit jours ! LISETTE, à part. Je le tiens. DAMIS. C'est Alcippe ! Oh ! C'est lui, je le gage.Nouvelliste effronté, suffisant personnage,Qui raisonne au hasard de nous et de nos vers,Et pour ou contre nous prévient tout l'univers. Cela sait ses foyers, sa ville, ses provinces,Ses intrigues de cour, son cabinet des princes ;Pèse ou règle à son gré les plus grands intérêts,Et croit ses visions d'immuables arrêts.Présent, passé, futur, tout est de sa portée. Le livre des destins s'emplit sous sa dictée.Rien ne doit arriver que ce qu'il a prédit :Et l'événement seul toujours le contredit. À Lisette.Et n'a-t-il pas poussé l'impertinence extrêmeJusqu'à nommer l'auteur ? LISETTE. Non, monsieur ; c'est vous-même Qui venez de tout dire et de vous déceler.Alcippe, en tout ceci, n'a rien à démêler.Moi seule je mentais ; et je m'en remercie,Vu le plaisir que j'ai de me voir éclaircie. Elle veut sortir. DAMIS, la retenant. Lisette ! LISETTE. Hé bien ? DAMIS. De grâce ! ... étourdi que je suis ! LISETTE. Que voulez-vous de moi ? DAMIS. Du secret. LISETTE. Je ne puis. DAMIS. Quelques jours seulement ! LISETTE. Cela n'est pas possible. DAMIS. Hé ! Ne me faites pas ce déplaisir sensible !Laissez-moi recevoir un encens qui soit pur,En cas de réussite, ainsi que j'en suis sûr. LISETTE. J'imagine un marché dont l'espèce est plaisante.D'un secret tout entier la charge est trop pesante.Partageons celui-ci par la belle moitié.Tenez, si vous tombez, je parle sans pitié.Si vous réussissez, je consens de me taire. Voilà, pour vous servir, tout ce que je puis faire. DAMIS. Et je n'en veux pas plus ; car je réussirai. LISETTE. Oh bien, en ce cas-là, monsieur, je me tairai. Dorante, du fond du théâtre, les voit et les écoute. DAMIS, baisant les mains de Lisette. Avec cette promesse où mon espoir se fonde,Je vous laisse, et m'en vais le plus content du monde. SCÈNE VII. Dorante, Lisette. LISETTE, bas, apercevant Dorante, et lui tournant brusquement le dos. Le jaloux nous surprend ; le voilà furieux ;Car je passe, à coup sûr, pour Lucile à ses yeux. DORANTE, se tenant à trois pas derrière elle. Avec cette promesse où mon espoir se fonde,Je vous laisse, et m'en vais le plus content du monde. Madame, on n'aura pas de peine à concevoir Quelle était la promesse, et quel est cet espoir.Mais ce que l'on aurait de la peine à comprendre,C'est que cette promesse et si douce et si tendre,Reçue à la même heure, et presque au même lieu,Mot à mot dans ma bouche ait mis le même adieu. Il faut vous en faire un de plus longue durée,Et dont vous vous teniez un peu moins honorée.Adieu, madame ; adieu ! Ne vous flattez jamaisQue je vous aie aimée autant que je vous hais ! Il fait quelques pas pour s'en aller. LISETTE, bas. Donnons-nous à notre aise ici la comédie, Car il va revenir. Elle s'assied à l'un des coins du théâtre, en face du parterre, et lève l'éventail du côté par où Dorante peut l'aborder. DORANTE, croyant voir dans cette attitude l'embarras d'une personne confondue, et sans avancer. Monstre de perfidie !Pouvoir ainsi passer, d'abord et sans égard,Des mains de la nature à ce comble de l'art !M'avoir peint ce rival comme le moins à craindre !M'avoir persuadé, presqu'au point de le plaindre ! Qu'avez-vous prétendu par cette trahison ?Pourquoi, d'un vain espoir y mêlant le poison,Me venir étaler d'obligeantes alarmes ?Me dire, en paraissant prête à verser des larmes :"Dorante ! Ou je fléchis mon père, ou de mes jours, À l'asile où j'étais, je consacre le cours ! "Quels étaient vos desseins ? Répondez-moi, cruelle !Ne les dois-je imputer qu'à l'orgueil d'une belle,Qui, jalouse des droits d'un éclat peu commun,Veut gagner tous les coeurs, et ne pas en perdre un ? Ce reproche fût-il le seul que j'eusse à faire !Mais, hélas ! Malgré moi, la vérité m'éclaire.Ce rival, dès longtemps, est le rival aimé.C'est pour lui que j'ai vu votre front alarmé ;Et quand vous me disiez que j'en étais la cause, Quand vous me promettiez bien plus que l'amour n'ose,C'est que de votre amant vous protégiez les jours,Et vouliez ralentir la vengeance où je cours.Oui, j'y vole ; on ne l'a tantôt que différée,Et ma rage, à vos yeux, l'aurait déjà tirée ; J'attaquais devant vous le traître en arrivant,Si je n'eusse voulu jouir auparavantDe la confusion qui vous ferme la bouche !Que ma plainte à présent vous révolte ou vous touche ;Repentez-vous, ou non, de m'avoir outragé ; Vous ne me verrez plus que mort, ou que vengé ! LISETTE, effrayée. Dorante ! DORANTE. Je m'arrête au cri de l'infidèle !Elle tremble, il est vrai : mais pour qui tremble-t-elle ?N'importe : je l'adore ; écoutons-la. Parlez. Se rapprochant.Je veux encor, je veux tout ce que vous voulez. Rejetons le passé sur l'inexpérience :Et redemandez-moi toute ma confiance.Un regard, un seul mot n'a qu'à vous échapper.Mon coeur vous aidera lui-même à me tromper.Ah ! Lucile ! Ai-je pu si tôt perdre le vôtre ? Vous me haïssez ! LISETTE, tendrement. Non. DORANTE. Vous en aimez un autre ! LISETTE. Eh non ! DORANTE. Vous m'aimez donc ? LISETTE. Oui. DORANTE. M'y fierai-je ? LISETTE. Hélas ! DORANTE. Eh bien, je n'en veux plus douter ! Ne sais-je pasQue l'infidélité, surtout dans la jeunesse,Souvent est moins un crime, au fond, qu'une faiblesse, Qui peut servir ensuite à vous en détourner,Lorsque la nôtre va jusqu'à vous pardonner. Il s'approche enfin d'elle tout transporté.Je vous pardonne donc, et même vous excuse.Lisette est contre moi ; Lisette vous abuse ;Ce sont ici des coups qu'elle seule a conduits ; C'est elle qui me met dans l'état où je suis. LISETTE, sans mettre bas encore l'éventail. Il est vrai. DORANTE, se jetant à ses genoux, et lui prenant la main. C'est assez ! Mon âme satisfaite... SCÈNE VIII. Lucile, Dorante, Lisette. LUCILE, haut, du fond du théâtre. Veillé-je ou non ? Dorante aux genoux de Lisette ! LISETTE, baissant enfin l'éventail et se levant. Lui-même ! Et qui me fait fort joliment sa cour. À Dorante.On vous prend sur le fait, Monsieur, à votre tour ; Songez à bien jouer le rôle que je quitte ;Car vous nous voyez deux que votre faute irrite.Enfin concevez-vous combien vous vous trompiez ? DORANTE. Je croyais en effet, madame, être à vos pieds.Son habit m'a fait faire une lourde bévue. LISETTE. Madame, vous plaît-il que je vous restitueLes fleurettes qu'avant d'embrasser mes genoux,Monsieur me débitait, croyant parler à vous ?N'en déplaise à l'amour si doux dans ses peintures,Je vous restituerais un beau torrent d'injures. DORANTE. Eh ! Quel autre, à ma place, eût pu se contenir ? LISETTE. Je vous devais cela, monsieur, pour vous punir. LUCILE. Eh quoi ! Dorante, après mille et mille assurances,Qui, tout à l'heure encor, passaient vos espérances,Le reproche et l'injure aigrissaient vos discours, Et sur le ton plaintif on vous trouve toujours ? DORANTE. Avant que sur ce ton vous le preniez vous-même,Vous qui savez, madame, à quel point je vous aime,Souffrez qu'on vous instruise ; après quoi décidezSi mes soupçons jaloux n'étaient pas bien fondés. Je surprends mon rival... LUCILE. Oui, j'ai tort de me plaindre !En effet, ma faiblesse autorise à tout craindre ;Et l'aveu que j'ai fait, trop naïf et trop prompt,De votre défiance a mérité l'affront.Mais vous trouverez bon qu'en me faisant justice, Cette justice même aussi nous désunisse ;Et rompe, entre nous deux, un noeud mal assorti,Dont jamais on ne s'est assez tôt repenti. DORANTE. Entendons-nous, de grâce ! Encore un coup, madame,Bien loin, qu'en tout ceci, je mérite aucun blâme, Croyez, si j'eusse pu ne me pas alarmer,Que je ne serais pas digne de vous aimer.Devais-je voir en paix... LUCILE. Depuis quand, je vous prie,N'est-on digne d'aimer, qu'autant qu'on se défie ?Ainsi l'amour jamais doit n'être satisfait ? Et le plus soupçonneux est donc le plus parfait ?Vos vers m'en avaient fait toute une autre peinture.Juste sujet, pour moi, de crainte et de rupture !J'aime trop mon repos, pour le perdre à ce prix ;Et ne jugerai plus des gens par leurs écrits. DORANTE. Mais ayez la bonté... LUCILE. Ma bonté m'a trahie !Vous feriez, je le vois, le malheur de ma vie.Je ne recueillerais de mes soins les plus doux,Que l'éclat scandaleux des fureurs d'un jaloux.Que n'ai-je conservé, prévoyante et soumise, L'insensibilité que je m'étais promise !Lisette, je t'ai crue ; et toi seule, tu m'as... LISETTE, à Dorante, voyant pleurer Lucile. N'avez-vous point de honte ? DORANTE. Eh ! Ne m'accable pas !Tu sais mon innocence. Apaisez vos alarmes,Lucile ! Retenez ces précieuses larmes ! C'est mon injuste amour qui les a fait couler ;C'est lui qui, toutefois, pour moi doit vous parler.L'amour est défiant, quand l'amour est extrême. LUCILE. S'il se faut quelquefois défier quand on aime,C'est de tout ce qui peut, dans le coeur alarmé, Soulever des soupçons contre l'objet aimé.Je tiens, vous le savez, cette sage maxime,De ces vers qui vous ont mérité mon estime ;De votre propre idylle, ouvrage séducteur,Où votre esprit se montre, et non pas votre coeur. DORANTE. Ni l'un ni l'autre. Il faut qu'enfin je le confesse,Madame, et que je cède au remords qui me presse.Du moins, vous concevrez, après un tel aveu,Pourquoi tout mon bonheur me rassurait si peu.C'est que je n'en jouis qu'à titre illégitime ; C'est que tous ces écrits, source de votre estime,Vous venaient par mes soins, mais ne sont pas de moi. LUCILE. Ils ne sont pas de vous ! DORANTE. Non. LISETTE. Le sot homme ! LUCILE. Quoi ? ... DORANTE. Laissant lire, il est vrai, dans le fond de mon âme,J'inspirais le poète, en lui peignant ma flamme. Que son art, à mon gré, s'y prenait faiblement !Et que le bel esprit est loin du sentiment !Mais cet art vous amuse ; il a fallu vous plaire,Laisser dire des riens, sentir mieux, et se taire.N'est-ce donc qu'à l'esprit que votre coeur est dû ? Et ma sincérité m'aurait-elle perdu ? LUCILE. Votre sincérité mérite qu'on vous aime,Dorante ; aussi pour vous suis-je toujours la même.Tel est enfin l'effet de ces vers que j'ai lus :J'étais indifférente, et je ne le suis plus ; Et je sens que, sans vous, je le serais encore. DORANTE. Vous ne vous plaindrez plus d'un coeur qui vous adore,Où vous établissez la paix et le bonheur,Et qui commence enfin d'en goûter la douceur. LISETTE, à Dorante. Trêve de beaux discours ! Il est temps que j'y pense. De par monsieur, expresse et nouvelle défenseDe souffrir que jamais vous osiez nous parler. DORANTE. Il aura su mon nom ! LUCILE. Ah ! Tu me fais trembler ! LISETTE. Et même ici quelqu'un peut-être nous épie.Séparez-vous : rentrez, madame, je vous prie. Nous allons concerter un projet important. DORANTE. Rassurez-moi d'un mot encore, en me quittant ;Ou déjà mon espoir est tout prêt à s'éteindre. LUCILE. De vos rivaux du moins vous n'avez rien à craindre.Mon père pourra bien, en ce commun danger, Désapprouver mon choix, mais jamais le changer. SCÈNE IX. Dorante, Lisette. DORANTE. Quelqu'un m'a desservi près de lui, je parie. LISETTE. Eh ! Ne vous en prenez qu'à votre étourderie,Et qu'au brusque mépris dont vous avez heurtéLa rage qu'il avait, tantôt, d'être écouté. DORANTE. Oui, j'ai tort, je l'avoue, à présent il peut lire :Je l'écoute ; ou plutôt, sans cela, je l'admire,Et m'offre, en trouvant beau tout ce qui lui plaira,De me couper la gorge avec qui le niera. LISETTE. Ce n'est pas maintenant votre plus grande affaire. Songez à profiter d'un avis salutaire.Pourriez-vous nous trouver de ces perturbateursDu repos du parterre et des pauvres auteurs,Contre les nouveautés signalant leurs prouesses,Et se faisant un jeu de la chute des pièces ? DORANTE. Que diable en veux-tu faire ? Oui ; pour un, j'en sais trois. LISETTE. Courez les ameuter, pour aller aux Français,Sur ce qui se jouera, faire éclater l'orage.La pièce est de l'auteur qui vous fait tant d'ombrage.Le père de Lucile y vient d'aller... DORANTE. Tu veux... LISETTE. Ah ! J'en serais d'avis : faites le scrupuleux.Damis ne l'est pas tant, lui ; car, à votre père,Il a de votre amour écrit tout le mystère.Ce n'aura pas été pour vous servir, je crois.Et vous le voudriez ménager ? Et sur quoi ? Les plaisants intérêts pour balancer les vôtres !Une pièce tombée, il en renaît mille autres.Mais Lucile perdue, où sera votre espoir ?Monsieur de Francaleu, vous dis-je, va la voir.Il n'a déjà que trop ce bel auteur en tête. S'il le voit triompher, c'est fait ; rien ne l'arrête :Il lui donne sa fille, et croirait aujourd'huiS'allier à la gloire, en s'alliant à lui. DORANTE. Ah ! Tu me fais frémir, et des transes pareillesMe livrent en aveugle à ce que tu conseilles ! SCÈNE X. LISETTE, seule. Ah ! Ah ! Monsieur l'auteur, avec votre air humain,Vous endormez les gens ; vous écrivez sous main ;Vous avez du manège ; et votre esprit superbeCroit déjà, sous le pied, nous avoir coupé l'herbe !Un bon coup de sifflet va vous être lâché ; Et vous savez alors quel est notre marché. ACTE V SCÈNE I. DAMIS, seul. Je ne me connais plus, aux transports qui m'agitent.En tous lieux, sans dessein, mes pas se précipitent.Le noir pressentiment, le repentir, l'effroi,Les présages fâcheux volent autour de moi. Je ne suis plus le même, enfin, depuis deux heures.Ma pièce, auparavant, me semblait des meilleures :Maintenant je n'y vois que d'horribles défauts,Du faible, du clinquant, de l'obscur et du faux.De là, plus d'une image annonçant l'infamie : La critique éveillée, une loge endormie,Le reste, de fatigue et d'ennui harassé,Le souffleur étourdi, l'acteur embarrassé,Le théâtre distrait, le parterre en balance,Tantôt bruyant, tantôt dans un profond silence ; Mille autres visions, qui toutes, dans mon coeur,Font naître également le trouble et la terreur. Regardant à sa montre.Voici l'heure fatale, où l'arrêt se prononce !Je sèche. Je me meurs. Quel métier ! J'y renonce.Quelque flatteur que soit l'honneur que je poursuis, Est-ce un équivalent à l'angoisse où je suis ?Il n'est force, courage, ardeur qui n'y succombe.Car, enfin, c'en est fait ; je péris, si je tombe.Où me cacher ? Où fuir ? Et par où désarmerL'honnête oncle qui vient pour me faire enfermer ? Quelle égide opposer aux traits de la satire ?Comment paraître aux yeux de celle à qui j'aspire ?De quel front, à quel titre, oserais-je m'offrir,Moi, misérable auteur qu'on viendrait de flétrir ? Après quelques moments de silence et d'agitation.Mais mon incertitude est mon plus grand supplice. Je supporterai tout, pourvu qu'elle finisse.Chaque instant qui s'écoule, empoisonnant son cours,Abrège, au moins d'un an, le nombre de mes jours. SCÈNE II. Francaleu, Baliveau, Damis. FRANCALEU, à Damis. Eh bien ! Une autre fois, malgré mes conjectures,Vous fierez-vous encore à vos heureux augures, Monsieur ? J'avais donc tort tantôt de vous prêcherQue, lorsqu'on veut tout voir, il faut se dépêcher ?Voilà pourtant, voilà la nouveauté... flambée ! DAMIS, part. Et mon sort décidé ! Je respire. Haut.Tombée ? FRANCALEU. Tout à plat ! DAMIS. Tout à plat ! BALIVEAU. Oh ! Tout à plat. DAMIS, froidement. Tant pis. À part. C'est qu'ils auront joué comme des étourdis. BALIVEAU. Sifflée et resifflée ! DAMIS. Et le méritait-elle ? BALIVEAU. Il ne faut pas douter que l'auteur n'en appelle.Le plus impertinent n'a jamais dit : j'ai tort. FRANCALEU. Celui-ci pourrait bien n'en pas tomber d'accord, Sans être, pour cela, taxé de suffisanceCar jamais le public n'eut moins de complaisance.Comment veut-il juger d'une pièce, en effet,Au tintamarre affreux qu'au parterre on a fait ?Ah ! Nous avons bien vu des fureurs de cabale ; Mais jamais il n'en fut ni n'en sera d'égale.La pièce était vendue aux sifflets aguerrisDe tous les étourneaux des cafés de Paris.Il en est venu fondre un essaim des nuées !Cependant à travers les brocards, les huées, Le carillon des toux, des nez, des paix là ! Paix !J'ai trouvé... BALIVEAU. Ma foi, moi, j'ai trouvé tout mauvais. FRANCALEU. On en peut mieux juger, puisque l'on s'en escrime.Morbleu ! Je le maintiens : j'ai trouvé... telle rime... À Damis qui l'écoutait avidement, et qui ne l'écoute plus.Oui, telle rime digne elle seule, à mon gré, De relever l'auteur que l'on a dénigré. BALIVEAU. Tout ce que peut de mieux l'auteur, avec sa rime,Ce sera, s'il m'en croit, de garder l'anonyme ;Et de n'exercer plus un talent suborneur,Dont les productions lui font si peu d'honneur. DAMIS. C'est, s'il eût réussi, qu'il pourrait vous en croire,Et demeurer oisif, au sein de la victoire,De peur qu'une démarche à de nouveaux lauriersNe portât quelque atteinte à l'éclat des premiers ;Mais contre ses rivaux et leur noire malice, Le parti qui lui reste, est de rentrer en lice,Sans que jamais il songe à la désemparer,Qu'il ne les force même à venir l'admirer.Le nocher, dans son art, s'instruit pendant l'orage.Il n'y devient expert qu'après plus d'un naufrage. Notre sort est pareil, dans le métier des vers :Et, pour y triompher, il y faut des revers. FRANCALEU. C'est parler en héros, en grand homme, en poète ! À Baliveau.Vous êtes stupéfait ? Moi non. Je le répète.Vivent les grands esprits, pour former les grands coeurs ! Mais cela n'appartient qu'à nous autres auteurs. À Damis.N'est-ce pas, mon confrère ? SCÈNE III. Baliveau, Francaleu, Damis, Mondor. DAMIS, à Mondor qui le veut tirer à part. Eh bien ? MONDOR, bas et sanglotant. Je vous annonce... DAMIS. Je sais, je sais. Ma lettre ? MONDOR. En voilà la réponse. DAMIS. Laisse-nous, je te suis. Messieurs, permettez-moiD'aller décacheter à l'écart ; après quoi, Je compte vous rejoindre : et, laissant vers et prose,Nous nous entretiendrons, s'il vous plaît, d'autre chose. SCÈNE IV. Baliveau, Francaleu. BALIVEAU. Oui, changeons de propos, et laissons tout cela. FRANCALEU. Si vous saviez combien j'aime ce garçon-là... BALIVEAU. C'est qu'à ce que je vois, sa marotte est la vôtre. FRANCALEU. C'est que cela jamais n'a rien dit comme un autre. BALIVEAU. Belle prérogative ! FRANCALEU. Une lice ! Un nocher !Comme nous n'allons droit, qu'à force de broncher !Plaît-il ? Vous l'entendiez ? BALIVEAU. Moi ? Non ; j'avais en têteLa lettre de cachet, qui, dites-vous, est prête. FRANCALEU. Ce jeune homme n'est pas du commun des humains.Peste ! Les grands seigneurs se l'arrachent des mains. BALIVEAU. J'enrage ! Revenons, de grâce, à la promesseDont vous m'avez, tantôt, flatté pendant la pièce. FRANCALEU. Vous parlez d'une pièce ? Ah ! S'il en fait jamais, Ce sera de l'exquis ; c'est moi qui le promets ;Et je défierai bien la cabale d'y mordre. BALIVEAU, s'emportant. Parlez ! Aurai-je enfin, n'aurai-je pas mon ordre ? FRANCALEU. Eh ! Tranquillisez-vous ! Soyez sûr de l'avoir.Oui, vous serez content, ce soir même, ce soir ! C'est le terme qu'il prend. Votre affaire est certaine.Et, tenez, son retour va vous tirer de peine ;Car je gagerais bien que, tout en badinant,L'ordre est dans le paquet qu'il ouvre maintenant. BALIVEAU. Qu'il ouvre maintenant ? Qui ? FRANCALEU. Celui qui nous quitte. BALIVEAU. Plaît-il ? FRANCALEU. Êtes-vous sourd ? Cet homme de mérite.Monsieur de L'Empyrée ? FRANCALEU. Et qui donc ? BALIVEAU. Quoi ! C'est lui,Dont le zèle, pour moi, sollicite aujourd'hui ? FRANCALEU. Lui-même. Il a trouvé que vous jouiez en maître ;Et votre admirateur, autant que l'on doit l'être, Il veut vous enrôler pour un mois, parmi nous.Moi, le voyant d'humeur à tout faire pour vous,J'ai dû le mettre au fait de ce qui vous intrigue,Et des égarements de votre enfant prodigue.Il a, sur cette affaire, obligeamment pris feu, Comme si c'eût été la sienne propre. BALIVEAU. Adieu. FRANCALEU, l'arrêtant. Comment donc ? BALIVEAU. Vous avez opéré des prodiges ! FRANCALEU. Monsieur le capitoul, vous avez des vertiges.Eh ! C'est vous qui, plutôt que mon neveu, cent foisMériteriez... je suis le moins sensé des trois. Serviteur ! FRANCALEU. Mais encore, entre amis, l'on s'explique.Ne pourrait-on savoir quelle mouche vous pique ?Quoi ! Lorsque nous tenons... Non, nous ne tenons rien,Puisqu'il faut vous le dire ; et cet homme de bien,Au mérite de qui vous êtes si sensible, Est le pendard à qui j'en veux. FRANCALEU. Est-il possible ? BALIVEAU. Le voilà ! Maintenant soyez émerveilléDu jeu de la surprise où j'ai tantôt brillé.Si j'eusse vu le diable, elle eût été moins grande. FRANCALEU. Je vous en offre autant. à présent, je demande Où vous prenez le mal que vous m'en avez dit.Un garçon studieux, de probité, d'esprit,Beau feu, judiciaire, en qui tout se rassemble ;Un phénix, un trésor... BALIVEAU. Un fou qui vous ressemble !Allez, vous méritez cette apostrophe-là. De bonne foi, sied-il, à l'âge où vous voilà,Fait pour morigéner la jeunesse étourdie,Que, par vous-même, au mal elle soit enhardie,Et que l'écervelé qui me brave aujourd'hui,Au lieu d'un adversaire, en vous trouve un appui ? Il versifiera donc ! Le beau genre de vie !Ne se rendre fameux qu'à force de folie !Être, pour ainsi dire, un homme hors des rangs,Et le jouet titré des petits et des grands !Examinez les gens du métier qu'il embrasse. La paresse ou l'orgueil en ont produit la race.Devant quelques oisifs, elle peut triompher ;Mais, en bonne police, on devrait l'étouffer.Oui ! Comment souffre-t-on leurs licences extrêmes ?Que font-ils pour l'état, pour les leurs, pour eux-mêmes ? De la société véritables frelons,Chacun les y méprise, ou craint leurs aiguillons.Damis eût figuré dans un poste honorable ;Mais ce ne sera plus qu'un gueux, qu'un misérable,À la perte duquel, en homme infatué, Vous aurez eu l'honneur d'avoir contribué.Félicitez-vous bien ! L'oeuvre est très méritoire ! FRANCALEU. Oncle indigne à jamais d'avoir part à la gloireD'un neveu qui déjà vous a trop honoré !Savez-vous ce que c'est que tout ce long narré ? Préjugé populaire, esprit de bourgeoisie,De tout temps gendarmé contre la poésie.Mais apprenez de moi qu'un ouvrage d'éclat[Note : Capitoulat : Dignité de capitoul : nom qu'on donnait aux magistrats municipaux de la ville de Toulouse. L'office de capitoul anoblissait.]Anoblit bien autant que le capitoulat.Apprenez... BALIVEAU. Apprenez de moi qu'on ne voit guère Les honneurs, en ce siècle, accueillir la misère :Et que la pauvreté, par qui tout s'avilit,Faite pour dégrader, rarement anoblit.Forgez-vous des plaisirs de toutes les espèces.On fait comme on l'entend, quand on a vos richesses ; Mais lui, que voulez-vous qu'il devienne à la fin ?Son partage assuré, c'est la soif et la faim.Et d'un oeil satisfait, on veut que je le voie ?Soit ! à vos visions, je l'abandonne en proie.Il peut se reposer de ses nobles destins Sur ceux qui, dites-vous, se l'arrachent des mains.Qu'il périsse ! Il est libre. Adieu ! FRANCALEU. Je vous arrête,En véritable ami dont la réplique est prête ;Et vais vous faire voir, avec précision,Que nous ne sommes pas des gens à vision. Si j'admire en Damis un don qui vous irrite,Votre chagrin me touche, autant que son mérite ;Afin donc que son sort ne vous alarme plus,Je lui donne ma fille, avec cent mille écus. BALIVEAU. Avec cent mille écus ? FRANCALEU. Eh bien ! Est-il à plaindre ? Car elle a de l'esprit, est belle, faite à peindre...Holà ! Quelqu'un ! ... vous-même en jugerez ainsi. À un valet.Que l'on cherche Lucile, et qu'elle vienne ici. À part.Aussi bien elle hésite, et rien ne se décide. À Baliveau.Qu'est-ce ? Vous mollissez ? Votre front se déride ? Vous paraissez ému ! BALIVEAU. Je le suis en effet.Vous êtes un ami bien rare et bien parfait !Un procédé si noble est-il imaginable !Ne me trouvez donc pas, au fond, si condamnable.Nous perçons l'avenir ainsi que nous pouvons, Et sur le train des moeurs du siècle où nous vivons.Quand, à faire des vers, un jeune esprit s'adonne,Même en l'applaudissant, je vois qu'on l'abandonne.Damis, de ce côté, se porte avec chaleur,Et je ne lui pouvais pardonner son malheur ; Mais, dès que d'un tel choix votre bonté l'honore... SCÈNE V. Baliveau, Francaleu, Damis. FRANCALEU, à Damis. Venez, venez, Monsieur ! Une autre fois encoreVous serez à la cour notre solliciteur.Vous vous flattiez, ce soir, de contenter monsieur. DAMIS, à Baliveau. M'avez-vous trahi ? BALIVEAU. Non. Qu'entre nous tout s'oublie, Damis. Voici quelqu'un qui nous réconcilie,Qui signale à tel point son amitié pour nous,Qu'il s'acquiert à jamais les droits que j'eus sur vous.Monsieur vous fait l'honneur de vous choisir pour gendre. Voyant Damis interdit.Ainsi que moi, la chose a lieu de vous surprendre ; Car, de quelques talents dont vous fussiez pourvu,Nous n'osions espérer ce bonheur imprévu.Mais la joie aurait dû, suspendant sa puissance,Avoir déjà fait place à la reconnaissance.Tombez donc aux genoux de votre bienfaiteur. DAMIS, d'un air embarrassé. Mon oncle... BALIVEAU. Eh bien ? DAMIS. Je suis... FRANCALEU. Quoi ? DAMIS. L'humble adorateurDes grâces, de l'esprit, des vertus de Lucile ;Mais de tant de bontés l'excès m'est inutile.Rien ne doit l'emporter sur la foi des serments ;Et j'ai pris, en un mot, d'autres engagements. FRANCALEU. Ah ! BALIVEAU, Francaleu. Le voilà cet homme au-dessus du vulgaire,Dont vous vantiez l'esprit et la judiciaire,Qui, tout à l'heure, était un phénix, un trésor !Eh bien ! De ces beaux noms le nommez-vous encor ?Va ! Maudit soit l'instant où mon malheureux frère M'embarrassa d'un monstre en devenant ton père ! SCÈNE VI. Francaleu, Damis. FRANCALEU. Monsieur, la poésie a ses licences ; maisCelle-ci passe un peu les bornes que j'y mets ;Et votre oncle, entre nous, n'a pas tort de se plaindre. DAMIS. Les inclinations ne sauraient se contraindre. Je suis fâché de voir mon oncle mécontent ;Mais vous-même, à ma place, en auriez fait autant.Car je vous ai surpris, louant celle que j'aime,À la louer en homme épris plus que moi-même,Et dont le sentiment sur le mien renchérit. FRANCALEU. Comment ! La connaîtrais-je ? DAMIS. Oui ; du moins son esprit.Grâce à l'heureux talent dont l'orna la nature,Il est connu partout où se lit le mercure .C'est là que, sous les yeux de nos lecteurs jaloux,L'amour, entre elle et moi, forma des noeuds si doux. FRANCALEU. Quoi ! Ce serait ? ... quoi ! C'est... la muse originale,Qui de ses impromptus tous les mois nous régale ! DAMIS. Je ne m'en cache plus. FRANCALEU. Ce bel esprit sans pair... DAMIS. Eh ! Oui. FRANCALEU. Mériadec... De Kersic... de Quimper... DAMIS. En Bretagne. Elle-même ! Il faut être équitable. Avouez maintenant, rien est-il plus sortable ? FRANCALEU, éclatant de rire. Embrassez-moi ! DAMIS. De quoi riez-vous donc si haut ? FRANCALEU. Du pauvre oncle qui s'est effarouché trop tôt ;Mais nous l'apaiserons ; rien n'est gâté. DAMIS. Sans doute.Il sortira d'erreur, pour peu qu'il nous écoute. FRANCALEU. Oh ! C'est vous qui, pour peu que vous nous écoutiez,Laisserez, s'il vous plaît, l'erreur où vous étiez. DAMIS. Quelle erreur ? Qu'insinue un pareil verbiage ? FRANCALEU. Que vous comptez en vain faire ce mariage. DAMIS. Ah ! Vous aurez beau dire ! FRANCALEU. Et vous, beau protester ! DAMIS. Je l'ai mis dans ma tête. FRANCALEU. Il faudra l'en ôter. DAMIS. Parbleu non ! FRANCALEU. Parbleu si ! Parions. DAMIS. Bagatelle ! FRANCALEU. La personne pourrait, par exemple, être telle... DAMIS. Telle qu'il vous plaira ! Suffit qu'elle ait un nom.Mais, laissez dire un mot ; et vous verrez que non ! DAMIS. Rien ! Rien ! FRANCALEU. Sans la chercher si loin... DAMIS. J'irais à Rome.Quoi faire ? DAMIS. L'épouser. Je l'ai promis. FRANCALEU. Quel homme ! DAMIS. Et, tout en vous quittant, j'y vais tout disposer.Oh ! Disposez-vous donc, monsieur, à m'épouser !À m'épouser, vous dis-je ! Oui, moi ! Moi ! C'est moi-même, Qui suis le bel objet de votre amour extrême. DAMIS. Vous ne plaisantez point ? FRANCALEU. Non ; mais, en vérité,J'ai bien, à vos dépens, jusqu'ici plaisanté,Quand, sous le masque heureux qui vous donnait le change,Je vous faisais chanter des vers à ma louange. Voilà de vos arrêts, messieurs les gens de goût !L'ouvrage est peu de chose, et le seul nom fait tout.Oh çà ! Laissons donc là ce burlesque hyménée.Je vous remets la foi que vous m'aviez donnée.Ne songeons désormais qu'à vous dédommager De la faute où ce jeu vient de vous engager.Je vous fais perdre un oncle, et je dois vous le rendre.Pour cela, je persiste à vous nommer mon gendre.Ma fille, en cas pareil, me vaudra bien, je crois,Et n'est pas un parti moins sortable que moi. Tenez, lui pourriez-vous refuser quelque estime ? DAMIS, à part. Ah ! Lisette la suit ! Malheur à l'anonyme ! SCÈNE VII. Francaleu, Damis, Lucile, Lisette. FRANCALEU. Mignonne, venez çà ! Vous voyez devant vousCelui dont j'ai fait choix pour être votre époux.Ses talents... LISETTE. Ses talents ! C'est où je vous arrête... FRANCALEU. Qu'on se taise ! LISETTE. Apprenez... FRANCALEU. Ne me romps pas la tête.Coquine ! Tu crois donc que je sois à sentirQue tout le jour ici tu n'as fait que mentir ? DAMIS, bas à Francaleu. Faites qu'elle nous laisse un moment ; et pour cause. FRANCALEU. Va-t-en. LISETTE. Qu'auparavant je vous dise une chose. FRANCALEU. Je ne veux rien entendre. LISETTE. Et moi, je veux parler.Tenez, voilà l'auteur que l'on vient de siffler. DAMIS, à Francaleu. Maintenant elle peut rester. FRANCALEU. L'impertinente ! DAMIS. A dit vrai. LISETTE, bas à Lucile. Tenez bon ; je vais chercher Dorante. Elle sort. SCÈNE VIII. Francaleu, Damis, Lucile. FRANCALEU. Elle a dit vrai ? DAMIS. Très vrai. FRANCALEU. La nouvelle, en ce cas, M'étonne bien un peu, mais ne me change pas.Non, je n'en rabats rien de ma première estime :Loin de là ; votre chute est si peu légitime,Fait voir tant de rivaux déchaînés contre vous,Qu'elle prouve combien vous les surpassez tous. Et ma fille n'est pas non plus si malhabile... LUCILE. Mon père... DAMIS. Permettez, belle et jeune Lucile... LUCILE. Permettez-moi, monsieur, vous-même, de parler.Mon père, il n'est plus temps de rien dissimuler.D'un père, je le sais, l'autorité suprême Indique ce qu'il faut qu'on haïsse ou qu'on aime ;Mais de ce droit jamais vous ne fûtes jaloux.Aujourd'hui même encor, vous vouliez, disiez-vous,Que, par mon propre choix, je me rendisse heureuse ;Vous vous en étiez fait une loi généreuse : Et c'est ainsi qu'un père est toujours adoré,Et que moins il est craint, plus il est révéré.Vous m'avez ordonné surtout d'être sincère,Et d'oser là-dessus m'expliquer sans mystère.Mon devoir le veut donc, ainsi que mon repos. FRANCALEU. Au fait ! Bas.J'augure mal de cet avant-propos. LUCILE. Parmi les jeunes gens que ce lieu-ci rassemble... FRANCALEU. Ah ! Fort bien ! LUCILE. Rassurez votre fille qui tremble,Et qui n'ose qu'à peine embrasser vos genoux. FRANCALEU. Vous penchiez pour quelqu'un ? J'en suis fâché pour vous. Pourquoi tardiez-vous tant à me le venir dire ? LUCILE. C'est que celui vers qui ce doux penchant m'attireEst le seul justement que vous aviez exclu. FRANCALEU. Quoi ! Quand j'ai mes raisons... LUCILE. Vous ne les avez plus.Son coeur, à mon égard, était selon le vôtre. Vous craigniez qu'il ne fût dans les liens d'une autre :Et jamais un soupçon ne fut si mal fondé.Il m'adore, et de moi, près de vous, secondé...Ah ! Je lis mon arrêt sur votre front sévère !Eh bien ! J'ai mérité toute votre colère : Je n'ai pas, contre moi, fait d'assez grands efforts ;Mais est-ce donc avoir mérité mille morts ?Car enfin, c'est à quoi je serais condamnée,S'il fallait à tout autre unir ma destinée.Non, vous n'userez pas de tout votre pouvoir, Mon père ! Accordons mieux mon coeur et mon devoir.Arrachez-moi du monde à qui j'étais rendue !Hélas ! Il n'a brillé qu'un instant à ma vue.Je fermerai les yeux sur ce qu'il a d'attraits.Puisse le ciel m'y rendre insensible à jamais ! FRANCALEU. La sotte chose en nous, que l'amour paternelle !Ne suis-je pas déjà prêt à pleurer comme elle ? DAMIS. Eh ! Laissez-vous aller à ce doux mouvement,Monsieur ! Ayez pitié d'elle et de son amant.Je ne vous rejoignais, après ma lettre lue, Que pour servir Dorante à qui Lucile est due.Laissez là ma fortune, et ne songez qu'à lui. FRANCALEU. Votre ennemi mortel ! Qui voulait aujourd'hui... DAMIS. Souffrez que ma vengeance à cela se termine. FRANCALEU. Mais c'est le fils d'un homme ardent à ma ruine... DAMIS, lui remettant une lettre ouverte. Non. Voilà qui met fin à vos inimitiés. SCÈNE IX. Dorante, Francaleu, Damis, Lucile, Lisette. DORANTE, se jetant aux genoux de Francaleu. Écoutez-moi, monsieur ; ou je meurs à vos pieds,Après avoir percé le coeur de ce perfide !Il est temps que je rompe un silence timide.J'adore votre fille. Arbitre de mon sort, Vous tenez en vos mains et ma vie et ma mort.Prononcez, et souffrez cependant que j'espère.Un malheureux procès vous brouille avec mon père.Mais vous fûtes amis : il m'aime tendrement ;Le procès finirait par son désistement. Je cours donc me jeter à ses pieds comme aux vôtres,Faire, à vos intérêts, immoler tous les nôtres,Vous réunir tous deux, tous deux vous émouvoir,Ou me laisser aller à tout mon désespoir ! À Damis.D'une ou d'autre façon, tu n'auras pas la gloire, Traître, de couronner la méchanceté noireQui croit avoir ici disposé tout pour toi,Et qui t'a fait écrire, à Paris, contre moi. DAMIS. Enfin l'on s'entendra malgré votre colère.J'ai véritablement écrit à votre père, Dorante ; mais je crois avoir fait ce qu'il faut.Monsieur tient la réponse, et peut lire tout haut. FRANCALEU, lit. "Aux traits dont vous peignez la charmante Lucile,Je ne suis pas surpris de l'amour de mon fils.Par son médiateur, il est des mieux servis ; Et vous plaidez sa cause en orateur habile.La rigueur, il est vrai, serait très inutile ;Et je défère à vos avis.Reste à lui faire avoir cette beauté qu'il aime.Il n'aura que trop mon aveu ; Celui de Monsieur FrancaleuPuisse-t-il s'obtenir de même !Parlez, pressez, priez ! Je désire à l'excèsQue sa fille, aujourd'hui, termine nos procès,"Et que le don d'un fils qu'un tel ami protège, entre votre hôte et moi, renouvelle à jamais la vieille amitié de collège. Métrophile."Maîtresse, amis, parents, puisque tout est pour vous, Aimez donc bien Lucile, et soyez son époux. DORANTE. Ah ! Monsieur ! Ô mon père ! À Lucile.Enfin je vous possède. DAMIS. Sans en moins estimer l'ami qui vous la cède ? DORANTE. Cher Damis ! Vous devez en effet m'en vouloir,Et vous voyez un homme... DAMIS. Heureux. DORANTE. Au désespoir ! Je suis un monstre ! DAMIS. Non ; mais, en termes honnêtes,Amoureux et français, voilà ce que vous êtes. DORANTE, aux autres. Un furieux ! Qui, plein d'un ridicule effroi,Tandis qu'il agissait si noblement pour moi,Impitoyablement ai fait siffler sa pièce. DAMIS. Quoi ?... mais je m'en prends moins à vous qu'à la traîtresseQui vous a confié que j'en étais l'auteur.Je suis bien consolé : j'ai fait votre bonheur. DORANTE. J'ai demain, pour ma part, cent places retenues ;Et veux, après-demain, vous faire aller aux nues. DAMIS. Non ! J'appelle, en auteur soumis, mais peu craintif,Du parterre en tumulte, au parterre attentif.Qu'un si frivole soin ne trouble pas la fête.Ne songez qu'aux plaisirs que l'hymen vous apprête.Vous à qui cependant je consacre mes jours, Muses, tenez-moi lieu de fortune et d'amours ! ==================================================