******************************************************** DC.Title = ZÉNOBIE REINE D'ARMÉNIE, TRAGÉDIE. DC.Author = MONTAUBAN, Jacques Pousset de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:11. DC.Coverage = Arménie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/POUSSETDEMONTAUBAN_ZENOBIE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ZÉNOBIE REINE D'ARMÉNIE TRAGÉDIE M. DC. LIII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. Par Mr DE MONTAUBAN. À PARIS, Chez GUILLAUME DE LUYNE, au Palais, en la Salle des Merciers, sous la montée de la Cour des Aides.Achevé d'imprimer pour la première fouis le premier Octobre 1653. Les Exemplaires ont été fournis. MADEMOISELLE, Je n'ai pas assez de présomption pour croire que je vous fais un présent digne de vous, en vous offrant ZÉNOBIE Reine d'Arménie. Je vous demande seulement une protection que Monseigneur je Duc votre Père m'a fait l'honneur de me dire que vous m'accorderiez. Il a vu ZÉNOBIE sur un superbe Théâtre, et ce qu'il n'a pas cru indigne de ses yeux, il m'a assuré qu'il ne déplairait pas aux vôtres : c'est sur la foi de sa parole inviolable, que cette Reine ose paraître devant vous ; elle a autrefois rencontré son Asile, dans la générosité des Romains qui l'ont vengée de ses deux maris qui furent ses persécuteurs, et ses tyrans : elle vous demande la même grâce pour se justifier à la postérité de la poursuite de sa vengeance : ZÉNOBIE, sans ce secours que j'implore pour elle passerait pour cruelle ; quoiqu'elle ne soit que généreuse et ce qui n'est en elle qu'une vertu, deviendrait une passion ; sa colère qui est légitime et que les crimes de ses époux ont fait naître, passerait pour un autre crime, et que l'ardeur qu'elle a de se faire rendre Justice, pour un dérèglement de sa volonté. Enfin MADEMOISELLE si vous ne lui tendez la main, on la condamnera de trop de sévérité, et on lui souhaitera peut-être la mort après celle de ses maris : mais vous aurez de la bonté pour elle, et votre illustre nom révéré de toute la terre la garantira de ce reproche : sous cet appui elle ne craindra point de sinistre jugement de son Siècle ni de la postérité, et je n'ai pas de peine à me persuader que tout le monde aura du respect pour un ouvrage que ma plume vous consacre, et qui portera vos livrées : si ZÉNOBIE est généreuse, la Princesse sa fille ne l'est pas moins, et je m'assure que vous l'aimerez encore plus que la mère : elle combat de vertu et de générosité avec elle : mais quelque grande que soit cette vertu, elle n'est que l'ombre de la vôtre qui est aussi illustre que votre naissance : vous la posséder héréditairement comme le bien de vos Pères : c'est dans votre maison une grâce infuse, et une heureuse nécessité de naître vertueux : vous n'aurez besoin pour la former, ou pour la cultiver ni d'expérience, ni d'exemples étrangers : vous n'avez qu'à vous souvenir de l'histoire de votre Maison, et pour tout dire qu'à jeter les yeux sur celle de Monseigneur le Duc votre Père, dont toute la vie est un tissu en grandeur et généreuses actions qui répandent des lumières qui éclaireront tous les siècles : souffrez-moi donc à l'ombre de cette vertu, et faites grâce à ma témérité si j'ose prendre le titre qui m'est si glorieux de, MADEMOISELLE, Votre très humble et très obéissant serviteur, DE MONTAUBAN. SONNET. De deux Maris vivants femme ingrate et fidèle À qui l'amour t'unit pour te persécuter, Puisque tes deux Tyrans inhumaine et cruelle, Qui sans blesser ta gloire as pu les imiter. Reine trop de fureur te rendrait criminelle, Ne ressusciter pas pour la ressusciter : Et puisque MONTAUBAN te veut rendre immortelle, En la faisant mourir, tu dois le mériter. Je sais que leur ardeur par le crime allumée, Est un lâche attentat dessus ta renommée Mais en cessant de vivre ils sont dignes d'amour. Car si tu dois haïr ceux qui t'ont outragée Comme leurs propres mains leur ôtèrent le jour, Ne dois-tu pas aimer ceux qui t'en ont vengée ? DE S. GILLES. QUATRAIN. Faire des Vers comme un Homère, Et comme un Cicéron régner par le discours : C'est ce que MONTAUBAN sait faire, Et dont on n'a point vu d'exemple de nos jours. G. B. ACTEURS. ZÉNOBIE, Reine d'Arménie. PERSIDE, Fille de Zénobie et de Rhadamiste. BÉRÉNICE, Fille d'honneur de Zénobie. RHADAMISTE, Roi d'Ibérie. TIRIDATE, Roi des Parthes. PHRAARTE, Fils de Tiridate. HELVIDIUS, Consul et Général des Romains. CORBULON, Consul et député des Romains. LÉONTIN, Seigneur Arménien. GARDES, Romains et Arméniens. La Scène est dans le Palais Royal d'Artaxate, Capitale des Parthes. ACTE I SCÈNE I. Zénobie, Bérénice. ZÉNOBIE. Ardente passion qui règne sur mon âme, Qui contre deux Maris fais agir une femme, Arme des malheureux, espoir des affligés, Tison toujours fumant au coeur des outragés, Doux poison de mes sens, agréable supplice, Esprit du désespoir, ma dernière justice, Vengeance, c'est de toi que j'attends mon secours ; Toi, que sans rencontrer je cherchais tous les jours ; Toi, qu'ici réclamait mon âme infortunée, Et par les mains de Rome enfin qui m'es donnée, Mon coeur pour ces tyrans dignes de cet aveu N'est plus qu'un ciel d'orage et qu'un trône de feu, Qu'un siège empoisonné de haine et de divorce, Qu'un soleil sans chaleur, et qu'un astre sans force : Le Consul est vainqueur, ils sont entre ses mains. Il venge ma querelle, et celle des Romains, Et son bras généreux répare par les armes Et l'honneur du Sénat, et celui de mes larmes, Rome me fait leur Juge en ce double intérêt, Et déjà de leur mort j'ai prononcé l'Arrêt. BÉRÉNICE. Mais, Madame, après tout, vous seriez inhumaine D'en faire également l'objet de votre haine ; Je veux que tous les deux soient indignes du jour, Mais de l'un vous avez un cher gage d'amour ; Et la Princesse enfin de qui vous êtes Mère Doit faire moins haïr Tiridate son Père, Et faire en sa faveur produire quelque effort Pour réveiller en vous une pitié qui dort : Rhadamiste n'a pas cette faveur présente, Et vous n'avez de lui rien qui le représente Votre haine agissant dans ces tempéraments, Doit suivant ses degrés régler ses mouvements. ZÉNOBIE. Tu le crois, et le Peuple a sujet de le croire, Mais tu n'as jamais su ma véritable histoire, Et je veux maintenant te lever le rideau Qui de leurs attentats t'a caché le tableau ; Aussi bien ce récit anime mon courage ; Plus je vois mes malheurs, plus j'excite ma rage ; Et de mes deux tyrans j'aime à me souvenir, Et pour mieux me venger, et pour mieux les punir. Écoute donc. Le Roi dont j'ai reçu la vie Mithridate soutint le sceptre d'Arménie ; Le Prince Aronce, et moi, fûmes le double fruit Que pour revivre en nous sa couche avait produit : [Note : Ibérie : On a donné anciennement ce nom à deux différents pays. Le premier était une contrée de l'Asie, séparé vers le nord de la Sarmatie Européenne par le mont Caucase ; elle avait au couchant la Colchide, au levant l'Albanie, et au midi la grande Arménie. Ce pays est celui qu'on nomme aujourd'hui la Géorgie propre, et qui comprend les Principautés de Carduel et de Kacheti. [T]]Rhadamiste, en ce temps, fils du Roi d'Ibérie Par le fer et le feu désolait ma Patrie, Il était pour son Père armé contre le mien ; Notre hymen, de la Paix fut l'unique lien ; Mais hélas ! Cet hymen qui semblait nécessaire Fut le crime du Fils, fut le crime du Père, Et le piège fatal où par un même sort Et mon Père, et mon Frère, ont rencontré la mort : Ce Roi, d'un jour de joie, en fit un d'injustice, Et d'un festin Royal un sanglant sacrifice : Tous deux par le poison y perdirent le jour Sous la foi d'un fantôme, et de Paix, et d'amour : Ainsi je fus réduite à ce point de misère D'avoir pour mon Époux l'assassin de mon Père, À qui ce parricide avec peu d'effort Soumettait l'Arménie après mon Frère mort. À peine y règne-t-il que le peuple s'anime, Se souvient de ses Rois étouffés par son crime, Et brisant ses liens par un commun accord L'assiège en son Palais et demande sa mort : Rhadamiste pressé s'échappe à leur poursuite, Et ne trouva pour lui de salut qu'en la fuite ; Lors, grosse que j'étais, et prête d'accoucher Je le suivais à pied, tachant de l'approcher ; Mais le traître porté d'une jalouse envie, S'imaginant ce jour le dernier de sa vie, De la crainte qu'il eut que les Arméniens Me portassent au trône, où régnèrent les miens, Pour voir en même temps achever notre trame De trois coups de poignard attenta sur sa femme, Et son bras criminel loin d'être mon soutien, Par le sang paternel vit la route du mien. BÉRÉNICE. Ô ciel ! Qui l'eût pensé ? Que de crimes ensemble ! Madame, je frémis. ZÉNOBIE. Tu trembles, et je tremble Mais par ce grand récit qui fait notre entretien Je m'accoutume au sang pour répandre le sien. Phocide, qui suivait l'Époux qui m'assassine, De mon corps tout blessé recueillit la ruine Et m'ayant d'un Pêcheur procuré les secours Du reste de mon de mon sang fit arrêter le cours. Alors je m'aperçus tout proche d'Artaxate, Le siège de l'Empire où règne Tiridate, Du nôtre divisé par un petit trajet Qui sépare en ce lieu l'un et l'autre sujet : Chez ce pauvre pêcheur, seule, avecque Phocide, Au jour de ma douleur j'accouchai de Perside, Qu'après tant d'accidents qui forment mes malheurs Je puis bien appeler la fille de mes pleurs. BÉRÉNICE. Tiridate se trompe, et n'est donc pas son père Et le bruit qui courut n'est pas imaginaire, Qui nous entretenait de cet événement, Mais sans rien assurer, et fort confusément ? ZÉNOBIE. Écoute : ce Pêcheur qui connut mon visage, Garda bien le secret, et cacha bien mon gage, Et toujours éleva ma Fille en sa maison Comme un de ses enfants, et sans titre, et sans nom. On ne la connut point, mais pour ce qui me touche Mes tristes accidents passaient de bouche en bouche. Tiridate le sût, et me mande en sa Cour ; Je pensais, Bérénice, y voir mon dernier jour, C'était notre ennemi, mais je fus étonnée Que ce Prince adouci me parlait d'Hyménée, Et me persuadait pour de nouveaux liens Que mon Époux atteint par les Arméniens Me laissait par sa mort dans le droit légitime De faire désormais un second choix sans crime. Je me rendis facile à croire ces discours, Et de ce Roi de Parthe écoutai les amours. Que te dirai-je enfin ? Je l'épousai ce traître, Mais ma condition ne changea que de maître, Et je ne changeai point dans ce jour de malheur De persécutions, mais de Persécuteur ; Il crut que lui portant les droits de l'Arménie Ce Trône incontinent suivrait sa tyrannie ; Mais ce peuple lassé ne voulut plus de Rois, Et pour se gouverner lui-même fit ses lois : Ce sensible refus échauffa son courage, Je devins un objet de reproche, et d'outrage ; Par son commandement conduite en une Tour Où je ne vis jamais ni lumière ni jour, Où mon seul désespoir me présentait des armes, Je ne vécu longtemps que de l'eau de mes larmes ; Mais comme j'étais grosse, il eut le sentiment De m'en faire sortir, pour mon accouchement : D'une fille, en ce temps, le Ciel qui me fit Mère Fit éloigner d'ici Tiridate son Père, Il partit pour la guerre, et les armes en main Contre un Peuple allié de l'Empire Romain ; Il fut trois ans absent, et pendant cette absence Cette fille mourut avec mon espérance, Puisqu'il ne me restait plus rien pour opposer À mon cruel tyran et pour me l'apaiser : À mon propre repos cet intérêt sensible Pour me le procurer me rendit tout possible. Ma Fille me restait encor dans mon malheur, Élevée et nourrie au logis du Pêcheur Avecque confidence, et sans que rien n'éclate Ma ruse lui donna pour Père Tiridate ; Elle fut supposée, et le Roi de retour Embrassa ce mensonge avec beaucoup d'amour. Cette ruse, en effet si bien exécutée M'empêcha quelque temps d'en être maltraitée : Mais le coeur d'un méchant quoiqu'il parle de Paix Retourne à sa nature, et ne change jamais : Ce Prince vicieux l'ouvrit à tous les crimes, Sa cruauté me mit au rang de ses victimes, Trois fois il m'a voulu perdre par le poison, Trois fois j'ai découvert sa lâche trahison : Quelquefois sa fureur s'attachant à Perside D'un faux Père en voulait faire un vrai parricide, Il voulait l'immoler, et le fer à la main Pour me faire trembler en menaçait son sein : Dans le funeste état de ces tristes journées Toujours prête à mourir j'ai passé vingt années. Tu sais qu'à Tiridate, en ce point trop heureux, Est né d'un premier lit un Prince généreux ; Ce fils digne en effet d'une source plus pure ; Par ce Pêcheur mourant instruit de l'imposture, Eut alors pour Perside un autre sentiment, Et n'étant plus son Frère il devint son Amant Mais il jugea pour moi ce crime nécessaire Et malgré son amour son respect l'a su taire, Perside n'en sait rien, et jusques à ce jour Impute à l'amitié les termes de l'amour. BÉRÉNICE. Que devint Rhadamiste ? ZÉNOBIE. Enfin Roi d'Ibérie Par la mort de son Père, il marche en Arménie ; J'en conserve les droits, il se dit mon Époux, Dans le même moment il députe vers Nous, Et par lui Tiridate est sommé de se rendre. Tiridate au contraire, au point de se défendre, Joint à moi par l'hymen dont je souffre les lois Dit qu'il en a le titre, et qu'il est en mes droits : Il part au même temps, il y porte ses armes ; Lors les Arméniens dans ces fortes alarmes, Députent aux Romains, leur demandent secours Contre ces deux tyrans qui menacent leurs jours : Je demande comme eux un bras pour ma vengeance : Ce Peuple vertueux embrasse ma défense, Court où l'on voit paraître, et crime et le mal. BÉRÉNICE. Je sais qu'Helvidius en est le Général, Qu'à peine son armée arrive en Arménie Que de vos deux Époux la haine se rallie, Et que pour la combattre ils joignent leurs efforts, Que ces Rois assemblés paraissent les plus forts ; Mais qu'enfin ce Consul en ce jour plein de gloire, Après un grand combat remporte la victoire ; Et pour comble d'honneur que ces Rois, en ses mains Marquent avec éclat les armes des Romains. ZÉNOBIE. Je veux par leur trépas, et juste, et nécessaireÀ la postérité consacrer ma colère : Le Consul va venir pour apprendre de moi De leur arrêt de mort la Justice, et la Loi ; Par l'ordre du Sénat il vient chargé de gloire Me faire triompher de sa propre victoire. BÉRÉNICE. N'en espérez pas tant, et craignez un peu plus. La Princesse... ZÉNOBIE. Je sais qu'elle aime Helvidius : Au coeur de ce Consul elle jette une amorce Pour dérober son Père à ma haine, par force, Je sais pour cet effet leur secret entretien, Mais j'ai feint jusqu'ici de n'en connaître rien, Outre qu'Helvidius se faisant sa conquête Au courroux du Sénat irait porter sa tête, Quelque brillant espoir qu'il voie en ses appas Il y va de la vie à ne m'obéir pas : Je ne doute donc point, quoi qu'elle me dispute, Que l'ordre du Sénat ici ne s'exécute ; Perside et le Consul, en vain veulent s'unir, Par mon commandement vous la voyez venir, Afin que ce Romain qui fait cesser nos larmes Voie en nous, et l'honneur, et l'objet de ses armes. SCÈNE II. Perside, Zénobie, Bérénice. ZÉNOBIE. Enfin voici ma fille, et ton jour, et le mien, De nos deux ennemis ne redoutons plus rien : Ces Tyrans ne sont plus en état de nous nuire ; Prenons à notre tour plaisir à les détruire, Ma haine en a déjà mesuré le tombeau, Le Sacrifice est prêt, et je tiens le couteau ; Ma colère est le feu sans attendre la foudre Qui va tout embraser, et tout réduire en poudre. Je sais que quelque bruit s'en élève en ton coeur, Mais pour ton intérêt chasse cette vapeur, Qui se vient opposer au feu de ma colère, Et fait ombre à l'amour que tu dois à ta Mère : Tu sais leurs trahisons, tu sais leurs attentats, Voudrais-tu pour me perdre empêcher leur trépas ? Et tes souhaits pour eux seraient-ils légitimes Pour les faire remplir la terre de leurs crimes ? Ton Père est l'un des deux que je perds aujourd'hui ; Mais, ma Fille, après tout ; tu me dois plus qu'à lui. Comme à lui tu me dois le jour que tu respires, Mais tu dois à lui seul les maux que tu soupires ; Comme à lui tu me dois, et l'honneur et le rang, Mais tu me dois l'amour qu'il n'eut pas pour son sang ; Tu me dois mes soupirs, mes larmes et mes craintes, Et de mon coeur pour toi les sensibles atteintesNe fais donc pas pour lui de souhaits superflus, Tu recouvres en moi quelque chose de plus, PERSIDE. Quoi que dans votre coeur la haine en délibère, S'il est votre ennemi, Madame, il est mon Père ; Mon amour en ce point m'ôte à votre pouvoir, Ne vous obéir pas, c'est faire mon devoir, Contre un Roi, contre un Père, à travers votre haine Je ne reconnais point de Mère, ni de Reine, Ainsi que contre vous par cette même Loi Je ne reconnaîtrais de Père, ni de Roi, ZÉNOBIE. Quitte ces sentiments, prends ceux de ma colère, Et quoique l'un des deux, ma fille soit ton père Sache pour empêcher le cours de ton amour Qu'à peine tu lui dois l'avantage du jour ; Et que la cruauté du Barbare et du Traître T'avait presque étouffé avant qu'on te vit naître. PERSIDE. Tiridate, Madame, aurait-il attenté... ZÉNOBIE. Sans t'en plus découvrir tu vois ma volonté, C'est à toi d'obéir, c'est à toi de la suivre, Et de remercier le bras qui nous délivre : Le Consul va venir, change de sentiments, Donne-lui, comme moi, tes applaudissements. Le voici qui s'approche ; arme-toi, ma vengeance. SCÈNE III. Helvidius, Zénobie, Perside. HELVIDIUS. Enfin vos ennemis sont en votre puissance, Madame, et les Romains nous vengent par mon bras Et de leurs cruautés, et de leurs attentats Ces deux Rois vous sont joints par le même hyménée Au gré de vos souhaits faites leur destinée, Par eux sensiblement le Sénat offensé Comme vous dans leur mort se voit intéressé :N'ont-ils pas des Consuls fait abattre l'Image ? À tous ses alliés n'ont-ils pas fait outrage ? Cependant il vous fait l'arbitre de leur sort, Et vous donne sur eux droit de vie et de mort ; Mais si vous me croyez, il est de votre gloire De bien user ici du fruit de ma Victoire, Et la foudre à la main qui porte le trépas D'en étonner ces Rois, et ne les frapper pas. Rome où votre douleur a trouvé son refuge A cru leur pardonner en vous faisant leur Juge. ZÉNOBIE. Oui, Seigneur le Sénat ce Souverain des Rois Soumet par votre bras deux Tyrans à mes Lois, Et pour exterminer les monstres de la terre À Rome comme au Ciel est le lieu du tonnerre ; C'est là qu'on fait justice aux soupirs des humains, Là, qu'on peut accuser sans peur les Souverains, Et que ces demi-Dieux que rien ne peut atteindre Se trouvent en état de répondre et de craindre ; Dans cet asile heureux de tous les affligés, J'ai porté mes soupirs, et je les vois vengés Je vous croirai, Seigneur, il y va de ma gloire De savoir bien user du fruit de la Victoire ; J'en veux rendre l'éclat à mon autorité Sur la mort des Tyrans fonder ma sûreté, Et faire un tel exemple, à vos peuples, aux nôtres Que la cendre des miens fera trembler les autres : Je ne fais point de choix, tous deux également Sont le puissant objet de mon ressentiment ; Oui, Seigneur, l'ennemi des Romains est le nôtre, Ils veulent une tête, et je demande l'autre, Par le même intérêt et par la même Loi Que l'un meurt pou eux, l'autre mourra pour moi. HELVIDIUS. Possédez comme nous la vertu toute pure, Perdez le souvenir du crime, et de l'injure, Et puisque le Sénat pardonne à vos Époux Que l'un vive pour lui comme l'autre pour vous. PERSIDE. N'exercez pas contre eux toute votre puissance, Et de Rome, Madame, apprenez la clémence, Dont les sages leçons vous peuvent enseigner Et l'Art de pardonner, et celui de régner. ZÉNOBIE. Votre devoir, ma fille, est dans l'obéissance, Et mon commandement vous impose silence. Rome est juste, Seigneur, et contre mes Époux Ses armes en vos mains soutiennent mon courroux ; Par elles le Sénat fait justice à mes plaintes Et du sang des Tyrans leur gloire est d'être teintes Perdez-en à mes yeux nos communs ennemis, Pour recevoir mes lois Rome vous a commis N'examinez donc rien, et suivez ma colère, Vous savez mon arrêt que rien ne le diffère ; De ce plaisir si doux à mon ressentiment J'attendrai le succès en mon appartement. ACTE II SCÈNE I. Zénobie, Phraarte. ZÉNOBIE. Pour empêcher d'agir ma puissance absolue, En vain vous m'en parlez, la chose est résolue ; Et l'amour de Perside, et tout votre secours Ne sauraient d'un moment faire durer ses jours. PHRAARTE. Quoi ! Vous perdrez mon Père, et la reconnaissance N'aura sur votre esprit, ni force, ni puissance ? Car enfin j'ai bien su que vous aviez osé Donner au Roi mon Père un enfant supposé : Quand ce Pêcheur mourut il versa dans mon âme Ce secret important dont il savait la trame ; Vous le savez, Madame, et que depuis ce jour Pour Perside en secret mon coeur brûle d'amour : Oui, quoique cet amour fit mon impatience Jusqu'ici du secret j'ai gardé le silenceEt cachant votre crime ainsi que mon dessein La glace est sur ma bouche, et le feu dans mon sein : Perside ne sait point qu'elle est son aventure, Et quoiqu'un bruit confus, quoique un léger murmure, Que de quelque indiscret le rapport a produit En aie dit quelque chose, il ne l'a pas instruit : Mais aujourd'hui mon âme est encor plus timide. Je craignais tout d'un Père, et crains tout de Perside ; J'aime, malgré mon feu renfermé sous ma voix Et l'erreur de son sang, et celle de son choix. J'aime à voir aujourd'hui que son dessein éclate, Qu'elle aime Helvidius pour sauver Tiridate, Et que de son parti le faisant le soutien, Elle prenne toujours mon Père pour le sien ; Car enfin si pour plaire à l'amour qui me touche Pour mon propre intérêt j'osais ouvrir la bouche, Que puis-je remporter de ce cher entretien Que l'éclaircissement de son Père, et du mien ? De cette vérité jugez la conséquence ; Je vois mon Père mort si je romps le silence ; D'autre part ce secret demeurant en mon sein Je la vois qui s'engage à ce Consul Romain, Et dois à son amour qu'elle croit nécessaire Dans son aveuglement le salut de mon Père : À quelle extrémité me trouvai-je réduit ? Dans le camp des Romains j'ai travaillé sans fruit, J'ai voulu pour mon Père exciter des tempêtes, Armer pour son salut, et des bras, et des têtes ; Pour voir votre intérêt par eux abandonné J'ai flatté, j'ai prié, j'ai promis, j'ai donné ; Mais rien n'a réussi, ce Corps inébranlable A pour Rome une foi Romaine, inviolable : Maintenant, malgré moi, je renonce à mes droits, J'approuve de Perside et l'amour, et le choix, Je me joins au Consul, mais mon coeur qui soupire Vous dit par ce soupir qu'un Père le déchire : Donnez quelque remède à ces extrémités, Madame, mon amour implore vos bontés, Laissez vivre deux Rois, que votre haine cesse, Et me donnez enfin la mort, ou la Princesse ! ZÉNOBIE. Que ne suis-je en état de pouvoir accorder Ce qu'avec tant d'ardeur je vous vois demander ? Oui, Prince, vous savez que dans votre familleJ'ai trompé Tiridate et supposé ma fille, Et par quelle raison j'ai porté dans sa Cour Ce gage précieux de mon premier amour ; Le vôtre est un effet de cette connaissance Dont le feu s'entretient depuis sous le silence : Je vous ai trouvé seul sensible, et je vous dois Que votre coeur a craint, et pour vous, et pour moi ; Pour de si grands bienfaits dont je sais le mérite Sans obstacle aujourd'hui la Princesse m'acquitte ; Je lui donne la loi d'aimer ou de haïr, Laissez-moi commander, elle sait obéir ; Je veux par votre hymen en dépit de l'envie Qu'elle joigne le Parthe avecque l'Arménie ; Mais pour ce grand bonheur par vous si souhaité Laissez agir ma haine en pleine liberté, Souffrez que ma fureur passe en votre famille Puisque je vous promets, et mon Trône, et ma Fille, Et voulant désormais relever de vos lois Que je commande ici pour la dernière fois. PHRAARTE. Ah ! Madame, épargnez un discours qui m'outrage, Je sais ce que le sang demande à mon courage ; Pour désarmer mon coeur, et souffrir son trépas Et le trône, et Perside ont de faibles appas : Je quitte mon amour, je saurai m'en déprendre, Et de tout ce grand feu j'en ferai de la cendre ; Je veux, je veux pousser mon devoir jusqu'au bout, Perside ne m'est rien, et mon Père m'est tout. ZÉNOBIE. Et bien, vous n'aurez donc ni Perside ni Père, Votre consentement ne m'est pas nécessaire, Mais j'aperçois ma Fille. PHRAARTE. Ô Ciel ! Vois mon tourment. ZÉNOBIE. Elle se rend ici par mon commandement. SCÈNE II. Perside, Zénobie, Phraarte. ZÉNOBIE. Quoi ! Pour vous opposer à ma juste vengeance Helvidius, et vous, êtes d'intelligence ? Vous vous faites le prix de ce Consul Romain S'il me veut arracher les armes de la main ? Ainsi contre les droits du sang, de la nature, Perside, vous osez me faire cette injure ? Mais qui pensez-vous être ? Et dépend-il de vous De faire par vos mains le choix de votre Époux ? Le Consul sait-il bien qu'à suivre votre envie Et ne m'obéir pas il y va de la vie ?Et qu'il n'est pas en lui quand Rome l'a voulu De changer d'un seul point un ordre résolu ? Rome a mis en ma main le destin de ses traîtres Je veux me délivrer de ces superbes maîtres ; C'est à vous, c'est à lui de recevoir mes lois, De souffrir ma colère ou d'attendre mon choix. PERSIDE. Si j'ai blessé vos droits, j'ai dans cette aventure Pour me justifier la voix de la nature ; Je vous vois condamner vos Époux à mourir, Mon Père est l'un des deux, je le dois secourir ; De tout ce que je puis mon coeur se fait des armes, Je me sers de mes pleurs, je me sers de mes charmes, Pour aimer le Consul je n'ai point combattu Et de ma passion j'en ai fait ma vertu ; C'est la puissante main qui dans ce grand orage Retire en ce moment mon Père du naufrage ; C'est l'unique secours que je dois à mon Roi, C'est le juste retour qu'un Père attend de moi. De mon nom de mon sang, c'est l'appui nécessaire Et l'amour de la Fille est la rançon du Père : Mon frère n'a-t-il pas les mêmes sentiments ? PHRAARTE. La Reine de mon coeur connaît les mouvements ; De tout ce que je pense elle vient d'être instruite, J'approuve votre choix, et vois votre conduite ; Mais voici le Consul. SCÈNE III. Helvidius, Zénobie, Phraarte, Perside. HELVIDIUS. Prince, je viens savoir Si la Princesse, et vous avez quelque pouvoir Et si vos voeux communs persuadent la Reine ? PHRAARTE. Nous l'espérons, Seigneur. ZÉNOBIE. Leur espérance est vaine, La prière pour eux aigrit mon souvenir, Et de mes deux Tyrans je le veux devenir : Je veux partout, Seigneur, déplacer leurs images, Renverser cette idole, et purgeant mes hommages, De ces Dieux qui se font adorer des humains, Ne donner ni d'Autels, ni d'encens qu'aux Romains : Oui, j'espère leur mort, c'est ce qui me console, Rome me l'a promise, acquittez sa parole. HELVIDIUS. Madame, encore un coup voyez tout à loisir, Et vous faites du moins la grâce de choisir : Que si laissant à part la fierté Consulaire Je puis m'intéresser, et faire une prière, Pour sauver Tiridate, à ce Prince, à sa soeur, Je voudrais rappeler l'amour en votre coeur : Perside, avec raison l'espère d'une Mère, Et le Prince, et sa soeur vous demandent un Père. ZÉNOBIE. Seigneur, à dire vrai, ce discours me surprend, Vous ne paraissez pas si fort indifférent, Pourquoi dissimuler ? Quelque intérêt vous touche : Qui vous presse le coeur, et vous ouvre la bouche, Et Perside, Seigneur... HELVIDIUS. Puisque vous le savez, Oui, je l'aime, Madame, Et si vous l'approuvez, Si je puis l'espérer, je veux que l'on me nomme Le plus heureux Consul qui soit sorti de Rome ; Tous les droits souverains me quittent en un jour, Ils sont entre les mains de Perside, et d'amour, Et beaucoup plus d'honneur me vient de ma blessure Que du jour que sur moi répand la Dictature. ZÉNOBIE. Donc, Perside vous aime, et brave mon pouvoir ? HELVIDIUS. Elle ne fera rien qui blesse son devoir. ZÉNOBIE. Quel est de cette amour le prix et le salaire ? Que lui promettez-vous ? PERSIDE. Il me promet mon Père, Je vous l'ai dit, Madame, et vous le dis encor ; Et mon amour enfin me garde ce trésor ! PHRAARTE. Plût au Ciel que votre âme à ce point disposée Sans l'amour de ma soeur rendit la chose aisée; Peut-être le Consul a ce respect pour vous, Qu'il sera sans amour s'il vous voit sans courroux. ZÉNOBIE. Prince, je vous entends, et je plains votre peine, Je vous aime, mais j'aime encore plus ma haine ; Oui, je me veux venger, et ce n'est que de moi, Que le Consul et vous devez prendre la loi. PHRAARTE. Je vous entends, Madame, et vois votre colère J'aime beaucoup ma Soeur, mais j'aime mieux mon Père, Oui, je le veux sauver, et ce n'est que de nous Que le Consul prendra des armes contre vous. HELVIDIUS. Calmez votre courroux, apaisez votre haine, Et de vos passions soyez la souveraine, Vous changerez peut-être en voyant ces deux Rois, Et vous ne laisserez rien faire à notre choix ; Je viens de commander qu'ici l'on les amène ; Les voici. ZÉNOBIE. Vous pouviez m'épargner cette peine. SCÈNE IV. Zénobie, Rhadamiste, Tiridate, Perside, Phraarte, Helvidius. ZÉNOBIE. Que voulez-vous de moi ? RHADAMISTE. Si tu me vois ici J'obéis au Consul qui le commande ainsi ; Oui femme sans honneur ta présence me tue, J'en voulais épargner la douleur à ma vue, Puisqu'enfin je ne vois, pour aigrir mon courroux Que ton crime vivant dans ce Roi ton Époux : J'étais mort, il est vrai, j'ai tort de m'en défendre, Ton coeur fut mon tombeau, je n'y suis plus que cendre, Je n'y suis qu'un objet, et de haine, et d'oubli, Et dans ton souvenir j'étais enseveli : Ce Roi n'en est pas mieux qui se voit en ma place ; Il a part en ta couche, et part en sa disgrâce ; Ton lit est un présent funeste, empoisonné Qui fait périr tous ceux à qui tu l'as donné : Tu souhaites ma mort, contente ton envie, Elle me plaira plus qu'une honteuse vie ; Ton coeur par cet hymen qui me blesse si fort Triomphe du vivant, qu'il triomphe du mort ; Mais souviens-toi toujours, que tant que je respire Rien ne peut t'affranchir du joug de mon Empire, Je suis ton Souverain. ZÉNOBIE. Je le puis bien savoir, Et je soupire encor du souverain pouvoir ; Oui ton pouvoir encor est marqué par tes crimes Et mon Père, et mon Frère ont été tes victimes, Dans le sein de la joie, au milieu du festin, Cruel, par le poison tu fus leur assassin : La foi de notre hymen n'eût point de privilège, Et ce dépôt sacré trouva son sacrilège : L'Échanson qui fut pris, sauvé par ton moyen, Ne découvrit-il pas, et son crime, et le tien ? RHADAMISTE. Je ne lui donnai pas les ordres de le faire, Mais je ne pleurai point le trépas de ton Père, Il voulait attenter sur moi, sur mes États. ZÉNOBIE. Cherche un autre prétexte à tes assassinats ; Et ne sais-t-on pas bien quoi que tu puisses dire Que c'est l'ardente soif d'usurper son Empire ? Et qu'en un même jour tu te vis sans effroi De crime, en crime, et Gendre et Parricide, et Roi ? Mais la couronne est mienne, et malgré ton atteinte Je vais faire régner le sang dont tu l'as teinte, Puisqu'enfin pour punir ton tyrannique effort Si souverainement je prononce ta mort, Que c'est moi qui commande, et qu'ici ton supplice Va marquer mon pouvoir autant que ma justice : Mais Tyran, qu'en courroux le Ciel me fait souffrir, Crois-tu me voir encor, toi qui m'as fait mourir ? De trois coups de poignard tu vis finir ma trame, Et tu n'entends parler que l'ombre de ta Femme, Qui de son froid tombeau ne vient d'ouvrir le sein, Que pour te reprocher l'outrage de ta main. RHADAMISTE. Ce coup ne marque point un pouvoir tyrannique, Impute à mon amour un effet si tragique ; Me voyant presque atteint par les Arméniens, Les maîtres absolus de mes jours et des tiens, La vertu m'inspira la généreuse envie Pour sauver ton honneur de t'arracher la vie : Ce sentiment est noble, et digne d'un grand coeur, C'est ainsi qu'un vaincu peut vaincre son vainqueur, Et tu devrais toujours garder en ta mémoire Que ce jour de ta mort fut celui de ta gloire, Que mon amour parut dans un crime si beau Que tu me dois un temple et non pas un tombeau, Et qu'à chaque moment malgré tes impostures Ton oeil voit ton triomphe en voyant tes blessures : Mais j'ai su que depuis ce bienheureux malheur Le Ciel te fit guérir par la main d'un Pêcheur, Et que dans sa maison une Fille était née Le seul fruit couronné qu'ait eu notre Hyménée. Si proche de la mort, avant mon dernier jour Fais-moi voit cet objet, par haine, ou par amour. ZÉNOBIE. Quoi ! Ta Fille ? RHADAMISTE. Vit-elle encore ? ZÉNOBIE. Que t'importe ? Peut-être qu'elle vit, peut-être qu'elle est morte ; Pour comble de ta peine, incertain de son sort Ou doute de sa vie, ou doute de sa mort. PHRAARTE. Hélas ! ZÉNOBIE, à Tiridate. Silence, Prince, au soupir qui t'échappe, Et toi, coupable Roi, que le même coup frappe, Pourquoi dans mes malheurs me persuadais-tu La mort de mon Époux pour souiller ma vertu ? Cause de mon péché, pourquoi par cette feinte À l'honneur de mon lit vins-tu donner atteinte ? N'avais-je pas assez d'un tyran rigoureux ? Pourquoi par cet hymen m'en as-tu donné deux ? TIRIDATE. Rends grâce à mon amour qui t'as si bien traitée, Et reçu dans ses bras une Persécutée : Par la loi de la guerre, il m'eût été permis D'agir d'une autre sorte avec mes ennemis ; Mais loin de son conseil qui m'a semblé farouche, Je t'ai fait partager, et mon trône, et ma couche : Cependant tu te plains de mes séductions, Tu m'imputes l'erreur de tes affections : Sans ce mensonge heureux dont le crime t'étonne Tu serais fugitive, et Reine sans couronne ; Sans ce second hymen dont tu plains l'attentat Tu serais en ma Cour prisonnière d'État. ZÉNOBIE. Quoi ! Ces augustes noms et de femme et de Reine Ont-ils pu jusqu'ici faire cesser ma peine ? Jointe à toi par l'hymen n'ai-je pas éprouvé Tout ce que ta rigueur pour me perdre a trouvé ? Interroge les murs de cette Tour obscure Qui fut six mous entiers ma vive sépulture, Ils parleront encor de mes grandes douleurs, Et tu les trouveras humides de mes pleurs. TIRIDATE. J'étais bien informé de ta funeste envie, Je sus que tu voulais attenter à ma vie, Et que la nuit ta haine allumant le flambeau Tu devais de mon lit en faire mon tombeau ; Plût au Ciel que ta mort eut réparé ce crime, Je ne me verrais pas aujourd'hui ta victime. ZÉNOBIE. Tyran, ton coeur dément ce que ta bouche dit ; Le refus de mon trône a causé ton dépit ; Quand malgré mon hymen qui t'en portait les marques, Le peuple te chassa lassé de ses Monarques, De là vint ta fureur, de là vint ma prison, De là tes attentats, le fer et le poison. TIRIDATE. Je fis ta liberté. ZÉNOBIE. Ta rigueur fut moins ferme, Quand mon accouchement fut proche de son terme. Alors malgré ta haine, un cher gage d'amour Le fruit de notre hymen, Perside vint au jour. TIRIDATE. Puisque contre mes jours ta fureur est mortelle, Viens prononcer ma mort ; je vais revivre en elle ? ZÉNOBIE. Tu vas revivre en elle ! Était-ce ton dessein Quand tu levais le bras armé contre son sein ? Quand ce siège d'amour tremblait sous ta colère ? Quand tu faisais frémir et la Fille et la Mère ! Tu vas revivre en elle ! Et t'imagines-tu Que ton crime s'accorde avecques sa vertu ? Tu serais trop heureux, suspends tes espérances, Et tout ce que tu vois n'est pas ce que tu penses. TIRIDATE. Sont-ils de ton parti ? PHRAARTE. Seigneur, que dites-vous ? Connaissez votre sang, et pensez mieux de nous. PERSIDE. Pour conserver vos jours il n'est rien que je n'ose, Et contre son courroux que mon amour n'oppose. ZÉNOBIE. Seigneur, n'affligez plus ni mon coeur ni mes yeux, Qu'on les remène au camp, qu'ils sortent de ces lieux. RHADAMISTE. Mourons, si par ton choix on m'oblige de vivre. TIRIDATE. C'est là mon sentiment. ZÉNOBIE. Et bien, je le vais suivre, Seigneur, encor un coup faite-les retirer. HELVIDIUS. Qu'on remène ces Rois. Ils sortent. ZÉNOBIE. Cessez de différer, C'est à vous maintenant d'accomplir ma vengeance. Vous savez ce que Rome a mis en ma puissance Et que quand une fois le Sénat a parlé Son ordre impunément n'est jamais violé, Je veux la mort des deux, faites qu'on m'obéisse. PHRAARTE. Ah ! Madame, écoutez. ZÉNOBIE, sortant. Qu'on hâte leur supplice. PHRAARTE. Suivons, allons Princesse, embrasser ses genoux. PERSIDE. Seigneur ! HELVIDIUS. Ne craignez rien, je ferai tout pour vous. ACTE III SCÈNE I. Zénobie, Bérénice. BÉRÉNICE. Et que pouvez-vous faire après ces grands efforts ? Perside, et le Consul sont ici les plus forts, J'ai peine à concevoir le secours qui nous reste. ZÉNOBIE. Ce jour à mes Tyrans peut-être encor funeste, Et malgré ce Romain qui fait mal son devoir Rome encor une fois me rendra son pouvoir : Quand, Général d'armés il vint pour ma défense Me faire ici savoir son ordre, et ma puissance ; Il vit auprès de moi, Perside, et ses appas, Et son coeur ne fut pas armé comme son bras : Perside, qui craignait le succès de ses armes Tendit à sa valeur ce piège par ses charmes ; De leurs desseins depuis le commerce secret M'en a fait dès ce temps appréhender l'effet, Et craignant que ce feu s'allumant davantage Après tant de travaux renversa mon ouvrage, À Rome encor un coup exprès j'ai député ; J'ai fait voir du Consul le peu de fermeté, Et j'attends Corbulon, dont l'âme inaccessible À l'intérêt de Rome est seulement sensible, Dont le coeur généreux ne peut jamais trahir Qui ne sait point aimer, et sait bien obéir : De ce brave Romain j'espère ma vengeance, On m'en a fait certaine, et je sais qu'il avance ; Pour rompre leurs desseins en attendant ce jour Ma haine va s'armer du nom de mon amour ; Je m'en vais les flatter d'une fausse clémence, Et d'un calme trompeur faire voir l'apparence ; J'en veux parler au Prince, il se doit rendre ici. Exprès je l'ai mandé. BÉRÉNICE. Madame le voici. SCÈNE II. Phraarte, Zénobie. ZÉNOBIE. Je ne résiste plus, Prince, et votre prière A sur mes sentiments une puissance entière : Je me souviens toujours que tous mes déplaisirs Qui me coûtaient des pleurs, vous coûtaient des soupirs, Et comme ces deux Rois par le même hyménée Se trouvent engagés en même destinée, Je veux qu'également ils partagent le fruit Que la pitié pour eux dans mon coeur a produit : Je ne demande plus leur mort, ni ma vengeance, C'est assez d'en avoir témoigné la puissance, Que Rome s'intéresse, et que par son secours Je me voie aujourd'hui maîtresse de leurs jours : Je veux quand mon courroux ne trouve plus d'obstacle Dompter ma propre haine, et faire ce miracle ; Oui vous avez tant fait que mon coeur s'y résout, Et c'est votre prière à qui je donne tout. PHRAARTE. Cette faveur n'est pas du rang des ordinaires, Et les paroles sont pour les grâces vulgaires ; Mais puisque de leurs jours vous prononcez l'arrêt, Comment décidez-vous leur commun intérêt ? ZÉNOBIE. Le trône d'Arménie est mon propre héritage, Rhadamiste y doit seoir par l'hymen qui m'engage, Je vivrai sous ses lois, et je lui rends ma foi, La Princesse est le fruit de ce Prince et de moi ; Je quitte ce séjour, mon devoir me l'ordonne, Et laisse à Tiridate à remplir sa couronne PHRAARTE. Ainsi donc vous rendez par une juste loi, La femme à son Époux et le trône à son Roi ! Mais de ce grand bonheur ce que je considère, Est qu'en rendant par vous la Princesse à son Père, La crainte qui glaça ma voix jusqu'à ce jour Ne m'empêchera pas d'expliquer mon amour. Et que la bouche au coeur peut prêter des paroles, Puisque votre bonté rend mes craintes frivoles. ZÉNOBIE. Oui, Prince, cet hymen qui va vous faire Roi, Est-ce qui peut rejoindre, et Tiridate, et moi ; Perside seule en est le lien nécessaire, À ces conditions je sauve votre Père : Comme elle ne sait rien du sort de mes Époux, Je veux qu'elle n'en soit instruite que par vous, Afin que votre amour ainsi que sur des ailes Se porte dans son coeur sur ces bonnes nouvelles : Vous ne manquerez pas dans ces commencements, Afin que votre amour ait de bons fondements, De la bien éclaircir du point de sa naissance : Déjà par quelque bruit elle en a connaissance : Vous lui révèlerez ce secret important ; Je vais vous l'envoyer, et dans le même instant, Afin qu'avec honneur toute chose se fasse, Avertir le Consul de tout ce qui se passe. PHRAARTE. Je l'attendrai, Madame, ah ! Sensible bonheur À quel ravissement élèves-tu mon coeur ? Enfin je vois le port où tend mon espérance, Je ne couvrirai plus mon amour du silence, Mon feu voir pour agir l'empêchement ouvert Il va percer sa cendre et luire à découvert ; Cet éclaircissement n'a plus rien que je craigne, Mon Père désormais n'a rien qui me contraigne ; Ô Ciel ! Qu'avec plaisir mon coeur s'en entretient ! Que de bonheur pour moi ! Mais la Princesse vient. SCÈNE III. Perside, Phraarte. PERSIDE. Mon Frère quels secrets me devez-vous apprendre ? Mon coeur impatient brûle de les entendre. PHRAARTE. Enfin, c'est à ce coup que nous sommes en Paix, Et que l'événement répond à nos souhaits, Et pour vous dire tout, apprenez que la Reine N'a plus pour ses Époux de courroux ni de haine : Ces deux Rois aujourd'hui doivent à sa bonté Le rétablissement de leur autorité ; Nous ne demandons rien désormais pour un Père, Et le Consul pour nous n'a plus de choix à faire. PERSIDE. Ah ! Mon Frère ; est-il rien d'égal à ce bonheur ? De quel excès de joie accablez-vous mon coeur ? Ô moment bien heureux, où j'apprends que la Reine Allume de l'amour sur des cendres de haine ! Nous lui devons beaucoup, puisque ce même amour Nous rend, comme à mon Père, et le trône, et le jour Mais je lui dois encor autant que la lumière D'un coeur qu'elle affranchit la liberté première ; Car l'inclination que l'âme doit avoir Ne fit pas mon amour, ce fut mon seul devoir : Pour un Père, il n'est rien que ce devoir ne brave, J'aimais Helvidius, j'eusse été son esclaveJ'eusse suivi son char, et perdu par amour : L'honneur de ma naissance, et le trône, et le jour ; Je me fis cet effort, et dans cette contrainte Toutes mes passions relevaient de ma crainte, Mon Frère, en cet État, je vous laisse à juger Avecques quel plaisir je me vais dégager. PHRAARTE. J'approuve ce dessein, et je vous en convie, Princesse, c'est un point important à ma vie, Par force comme vous je me souffrais ce mal, Et jamais le Consul ne fût que mon rival. PERSIDE. Ton Rival ? PHRAARTE. Ce discours a droit de vous surprendre, Mais c'est un des secrets que je dois vous apprendre ; Tiridate n'est point la source de ce sang Qui rend illustre en vous, et le nom, et le rang, Il n'est point votre Père. PERSIDE. Et qui donc ? PHRAARTE. Rhadamiste ; En cette vérité tout mon bonheur consiste. PERSIDE. Ce discours me surprend et surpasse ma foi : Quoi, Prince ! Me donner pour Père un autre Roi ? Est-ce haine, est-ce amour, que venez-vous m'apprendre ? Est-ce qu'un bruit confus m'avait pu faire entendre ? Dans votre esprit crédule a-t-il fait quelque fruit ? PHRAARTE. Oui ma bouche aujourd'hui vous confirme ce bruit : C'est une vérité dont je vous fais certaine ; Je sais votre naissance aussi bien que la Reine ; Je sais que vos beaux yeux, ces deux sources d'amour Chez un pauvre Pêcheur ont salué le jour : Ce pêcheur en mourant m'a fait dépositaire De ces autres secrets que depuis j'ai su taire : Ce silence incommode a bien couvert des feux, Et vous a dérobé mes encens et mes voeux ; Mais il fut nécessaire, et j'en souffris la peine, Puisqu'il fallait cacher le crime de la Reine, Qui voyant que ma soeur était dans le tombeau Osa vous supposer encor dans le berceau : L'absence de mon Père où l'appelait la gloire, Donna lieu de tout faire, et de tout faire croire ; Peut-être ce Pêcheur à quelque autre l'a dit, Et c'est de là que vient ce bruit qu'on entendit, Cet entretien du Peuple, et ce léger murmure Qui fort confusément conte cette aventure ; De là vous la savez ; mais après tout, ce bruit Des raisons de ce crime amplement vous instruit, Apprenez donc de moi qu'elle est votre naissance, Princesse, dans mon coeur je porte ma créance, Si j'aimais une soeur, et d'horreur, et d'effroi Ne se serait-il pas élevé contre moi ? Toute la voix du sang qu'un tel crime inquiète Pour défendre ses droits serait-elle muette ? Non, Princesse, ce sang n'est point intéressé, Puisqu'il ne se plaint pas, c'est qu'il n'est point blessé : Combien de fois ma bouche en peine de se taire Faisait parler l'Amant en la place du Frère ! Trop heureux, si Perside eut été sans erreur, Si la Maîtresse eût dit ce que disait la soeur, Si cette erreur n'eût fait vos réponses frivoles, Et si l'amour enfin eût formé vos paroles. PERSIDE. De votre procédé je ne sais que penser, Et mon coeur en murmure, et s'en veut offenser. PHRAARTE. C'est ce coeur qui combat et souffre violence, Il reçoit Rhadamiste avecque résistance, Tiridate l'empêche, et tient encor le rang Que lui donna toujours l'erreur de votre sang, Tous deux font un parti qui trouble la nature, Princesse, c'est le moins que le ce coeur en murmure. PERSIDE. Oui, Prince, puisqu'enfin j'ai pu vous écouter, La Reine ne veut plus que j'en puisse douter, Je le veux avouer, encor que ce langage Jette l'émotion du coeur sur le visage : De mes jours les plus beaux voici le plus beau jour, Sur les pas d'amitié j'appellerai l'amour, Je ne vois rien en vous qui ne charme mon âme, Rien que plus noblement puisse embrasser ma flamme, L'habitude que j'ai de vous aimer en soeur Désormais en nature a passé dans mon coeur : Je vous aime donc, Prince, et j'y suis engagée, Et c'est la même amour de son erreur purgée, Qui ne change pour vous de siège ni d'objet, Mais qui n'est plus aveugle, et voit ce qu'elle fait ; Seulement je lui donne un autre caractère, Et je dis, mon Amant, sans plus dire mon Frère. PHRAARTE. Princesse, que de joie ! Et qui peut l'exprimer Ne sait assurément ce que c'est que d'aimer. PERSIDE. Mais il nous faut encor l'aveu de votre Père. PHRAARTE. À ces conditions je sauve votre Mère, Et comme elle s'en doit séparer aujourd'hui, L'hymen qui nous joindra la doit rejoindre à lui. Mais voici le Consul. PERSIDE. Son espérance est vaine ; SCÈNE IV. Helvidius, Perside, Phraarte. HELVIDIUS. Ne redoutez plus rien du courroux de la Reine, J'abandonne ses droits, et c'est en ce moment Que je vous obéis, Princesse, aveuglément ! Vous me le commandez, mon amour me l'ordonne, Et quoique l'ordre seul que le Sénat me donne, Soit d'écouter la Reine, et de suivre ses lois, Quand je devrais périr je suivrai votre choix : Que le Sénat se fâche, et pour me mettre en poudre Qu'il arme contre moi ses Aigles et sa foudre, Que cet Acte par lui soit traité d'attentat, De désobéissance, et de crime d'État, Que sa sévérité m'immole à sa colère, Je mourrai trop heureux quand j'aurai pu vous plaire ; Toute l'autorité de Rome est en vos mains, Commandez en ma place aux armes des Romains, Dites, pour qui des deux vous voulez qu'ils vous servent, Dites, qui des deux Rois vous voulez qu'ils conservent, Et dedans mon armée ainsi qu'en votre État, Soyez et le Consul, et Rome, et le Sénat. PERSIDE. Je vous suis obligée, et pour cette assistance Je ne puis témoigner trop de reconnaissance ; Quand pour mon intérêt vous n'aurez apporté Que le seul mouvement de votre volonté ; Quand tous vos bons désirs auraient été stériles, Je sais ce que je dois à vos offres civiles, Et ne mesure pas pour mes ressentiments Les obligations par les événements ; L'offre du coeur n'est pas une grâce commune, Le reste désormais dépend de la fortune, Dont la mobilité ne s'arrête jamais, Et qui le plus souvent vient tromper nos souhaits ; Grâces au Ciel, Seigneur, je ne suis plus en peine D'opposer vos efforts au courroux de la Reine ; Son coeur facilement a trouvé le retour Pour les Rois ses Époux, de la haine à l'amour ; [Note : vers 879, l'original porte "et l'autre et l'autre tête".]Sa bonté garantit, et l'une et l'autre tête, Le calme maintenant est où fut la tempête, L'amour rentre en son coeur d'où on le vit chassé, Nous n'avons plus de crainte, et l'orage est passé. HELVIDIUS. Je ne sais rien encor des ordres de la Reine, Je ne suis pas fâché qu'elle n'ait plus de haine, Et qu'à ses deux Époux sa pitié de retour Et conserve le trône, er redonne le jour : Je voudrais seulement qu'un d'eux me dût la vie ; Princesse, et qu'en ce point je vous eusse servie, Qu'un Père, de vos voeux si longtemps attendu Eut été par mes mains à votre amour rendu ; De cet événement la gloire m'était due Et toute ma douleur est de l'avoir perdue ; Je voudrais que la Reine encor l'eût condamné, Qu'elle eût de haine encor le coeur empoisonné, Pour dérober ce Père à sa fureur extrême Et vous prouver, Princesse, à quel point je vous aime. Mais ce que j'ai d'espoir le venez-vous ravir ? Ai-je part en un coeur que je n'ai pu servir ? J'ai tort, et votre amour fondé sur d'autres causes De dépend point du sort qui dérègle les choses, Et les événements que forme le hasard De vos affections ne font aucune part. PERSIDE. Vous le savez, Seigneur, mon amour eut sa cause. Le péril de mon Père a fait tout ce que j'ose ; Sans cela mon devoir n'eut jamais entrepris De promettre ce coeur, et le mettre à ce prix, Et si je vous l'offris en cette conjoncture C'est un présent forcé que faisait la nature : Rendez-le-moi, Seigneur, il n'est plus votre bien Par la loi du dépôt vous n'y prétendez rien ; Si j'en ai fait le prix du salut de mon Père, Par cet événement je le dois à ma Mère. HELVIDIUS. Le Prince votre Frère a t-il ce sentiment ? PHRAARTE. La Princesse, Seigneur, doit agir librement, La passion dont lors son âme fut atteinte, N'est-ce pas la plus juste, et la plus forte crainte ? Pour aveugler son coeur est-il rien plus puissant ? Pour faire tout promettre est-il rien plus pressant ? Que put-elle engager en ce désordre extrême ? Eut-elle de cet état quelque chose à soi-même ? Et son coeur en son Père, et vivant, et confus, Ne promit-elle pas ce qu'elle n'avait plus ? Outre que votre bras n'a point sauvé son Père, HELVIDIUS. Et qui donc l'a sauvé si je ne l'ai pu faire ? La Reine a bien connu quel était mon pouvoir, Que je pouvais tout faire armé de mon espoir, Que les armes en main j'irais forcer sa haine, Que je déroberais votre Père à sa peine ; Voyant de ses desseins l'impossibilité, Elle se fait vertu d'une nécessité, Et d'un pardon forcé comme d'une victoire, S'en impute la grâce, et s'en donne la gloire : C'est à moi, cependant, que votre Père est dû, C'est moi qui le couronne et qui vous l'ai rendu, C'est mon puissant secours que craignait votre Mère, Et de ce grand service on m'ôte le salaire ? Vous reprenez un coeur que vous m'avez donné, Princesse, et vous voulez un Époux couronné ? Mais sachez qu'un Consul en rejette les marques, Qu'il regarde à ses pieds les superbes monarques, Qu'il est le souverain ; et dispense à son choix, Pour relever de lui, les Trônes et les Rois : Le nom de Roi n'a rien que le Sénat révère, Il les donne souvent au jour de sa colère, Et quand il veut punir les Peuples mutinés Se sert, pour se venger, de sujets couronnés. Voilà quel est le point de la grandeur Romaine. Elle est entre mes mains l'objet de votre haine ; Et quand vous n'avez plus de Père à soutenir Vous n'avez plus aussi de parole à tenir. Cependant c'est un feu que vous avez fait naître, Princesse ; pensez-y, je suis encor le maître ; Et deux Rois prisonniers laissent entre mes mains De quoi venger encor un Consul des Romains. Il sort. PERSIDE. Hélas ! C'est à ce coup que nous reprend l'orage, Nous pensions être au port et voici le naufrage, Le Consul irrité renverse notre espoir. PHRAARTE. Il n'oserait passer la loi de son pouvoir, N'en appréhendons rien qui fasse notre peine, Mais allons de ce pas rendre grâce à la Reine. ACTE IV SCÈNE I. Zénobie, Perside, Phraarte. PERSIDE. Oui, Madame, j'apprends ces secrets importants Qu'un silence forcé m'a caché si longtemps, Que l'un de vos Époux, Rhadamiste est mon Père, Et que ce Prince enfin ne fut jamais mon Frère : Mais comme ces secrets cachés à vos Époux Ne sont qu'en votre sein, et connus que de vous, Quoique je donne au Prince une entière croyance, J'en attends toutefois, votre reconnaissance. ZÉNOBIE. Ne me demande point cet éclaircissement, Perside, comme toi j'ai de l'aveuglement, Moi-même je ne sais ce que j'en devrais croire, Et mes malheurs passés ont troublé ma mémoire. PHRAARTE. Ah ! Madame, cessez, et votre Majesté Ne dois pas faire un jeu de cette vérité, PERSIDE. Madame, si le Roi Tiridate est mon Père, Je suis ce que j'étais, et ce Prince est mon Frère ; Mais aussi s'il n'en a que le nom seulement, Rhadamiste est mon Père, et voici mon amant : Vous savez ce secret, dites-le moi, Madame, Et ne me souffrez pas un crime de ma flamme ZÉNOBIE. Quelque doute, aujourd'hui, que puisse être le tien, Ton Oracle est muet, et ne te répond rien ; Oui, ce Prince pour qui ton amour délibère, Peut-être ne t'est rien, et peut-être est ton Frère : Si cet amour est crime, ou vertu dans ton sein, Si tu dois arrêter, ou pousser ton dessein, Si tu dois te nommer sa soeur ou sa Maîtresse, Pour démêler ce noeud je connais ma faiblesse : Que ton amour est vague et tes feux incertains ! Et quoi ! N'aimes-tu plus le Consul des Romains ? Ne te promet-il plus de conserver ton Père ? PERSIDE. Et quoi ! N'avez-vous pas perdu votre colère ? N'avez-vous pas banni cette haine du coeur ? Et vous, Amant, ou Frère, êtes-vous imposteur ? PHRAARTE. L'espoir de leur salut est-ce un espoir frivole ? Et serez-vous sans foi, Madame, et sans parole ? ZÉNOBIE. Crédule, à mes discours ton esprit s'est rendu ! Et tu te vois tomber dans le piège tendu ! Enfin malgré vos soins je serai Souveraine, Et jamais votre amour n'arrêtera ma haine ; J'ai pour moi le Consul, et vous n'avez en lui Qu'un Amant irrité qui n'est plus votre appui. PHRAARTE. Où sommes-nous, Madame, et pour quoi ce silence ? Est-ce ainsi que du mien je vois la récompense ? Si le Roi Tiridate eût su votre attentat N'auriez-vous pas servi d'exemple à son État ? Et ce sang dont le feu forme votre colère, N'aurait-il pas mouillé le trône de mon Père ? Cependant pour payer ce service rendu, Vous me tendez un piège où mon Père est perdu. À Perside.Retournons au Consul, et reprenons nos armes. Il a le même coeur, et vous les mêmes charmes, Et contre son parti par un second effort Rendez par votre amour le nôtre le plus fort ; C'est l'unique moyen de sauver notre Père. PERSIDE. Montrez-moi quel il est, et je le pourrai faire. PHRAARTE. C'est ma soeur... PERSIDE. Achevez. PHRAARTE. C'est Tiridate. PERSIDE. Hélas ! Ne m'avez-vous pas dit que ce Roi ne l'est pas ? À vos premiers discours ce dernier est contraire, Seriez-vous mon amant s'il était notre Père ? PHRAARTE. Mon amour fut un crime, et mon sang perverti Vous donnait un faux Père, et je vous ai menti : Pour épouser ma soeur je fis cette imposture, Et tâchais de donner ce voile à la nature : La Reine, à qui mon coeur coupable, et peu discret, Parmi d'autres discours s'ouvrit de ce secret, Feignit d'être aussitôt de mon intelligence, Et promit d'appuyer cette fausse croyance ; Mais elle eût ses desseins, et ce doute forcé Est l'effet malheureux de ce qu'elle a pensé. PERSIDE. Me dit-il vrai, Madame, et puis-je enfin le croire ? ZÉNOBIE. Je vous l'ai déjà dit, je n'ai point de mémoire. PHRAARTE. Ma soeur c'est Tiridate, et vous n'avez douté Que par le triste effet d'un crime concerté ; Mon amour avait mis ce poison dans ma flamme, Ce trouble en ma famille, et ce doute en votre âme ; Mais voici le Consul, tentez votre pouvoir, C'est ce que nous avons de secours et d'espoir. SCÈNE II. Helvidius, Zénobie, Perside, Phraarte. HELVIDIUS. Madame, s'il est vrai que votre courroux cesse, Comme me l'ont appris le Prince et la Princesse, Pour en être éclairci je viens savoir de vous Ce que vous ordonnez de ces Rois vos Époux ; Prêt de vous obéir, et vous faire connaître Que n'ayant plus d'amour le Sénat est mon maître : Vous cherchez un Romain, et vous l'avez trouvé ; Corbulon pour le moins verra tout achevé ; Je sais que ce Consul vient à votre prière Pour faire ici ma charge, et moi je la veux faire. ZÉNOBIE. Faites-la donc, Seigneur, et perdez ces deux Rois. HELVIDIUS. Je vais sans différer obéir à vos lois. PERSIDE. Ah ? Seigneur, arrêtez, et vaincu par mes larmes, À cette cruauté ne prêtez point des armes : Je sais que contre nous vous êtes irrité ; Je reconnais ma faute et ma témérité, D'une Mère en courroux il me fallait tout craindre, Le feu dont je brûlais ne devait point s'éteindre ; Mais si ce même feu vous pouvait enflammer, Sa cendre fume encor, je le puis rallumer. La Reine avait surpris mon âme trop crédule, Je saurai pénétrer son coeur qui dissimule, Et quand elle pourrait apaiser son courroux Je ne tiendrai jamais mon Père que de vous : N'obéissez donc point aux ordres de la Reine, Dérober notre Père à l'arrêt de sa peine ; Nous vous en conjurons, Seigneur, ce Prince et moi, Par ce doux nom de Père, et par celui de Roi, Par ce sang généreux qui coule dans nos veines, Par ce sacré respect que l'on doit à nos peines, Par tout ce qui de moi vous fut aimable et doux ; Allons, mon Frère, allons embrassons ses genoux. PHRAARTE, à genoux. Soyez touché, Seigneur, de pitié, de tendresse. HELVIDIUS, les relevant. Prince, que faites-vous ? Que faites-vous Princesse ? Vous triompher d'un coeur que je venais d'armer De tout l'orgueil Romain pour ne jamais aimer ; La Reine était au point d'obtenir sa vengeance, Mais mon amour devient le frein de sa puissance : À Zénobie.Mon intérêt, Madame, arrête vos desseins, Mon prix est à mes yeux, je le veux en mes mains, Je le veux mériter, et lui rendre son Père, Et de votre courroux affaiblir la matière. ZÉNOBIE. Seigneur, que de faiblesse en un Consul Romain ! Pourquoi devenez-vous sujet du Souverain ? Perside, de l'hymen vous donne l'espérance ; Mais outre qu'il vous faut craindre son inconstance, Lorsque de quelque espoir elle vous entretient, Peut-elle se promettre, elle qui m'appartient ? Et qui sans son aveu, qui est seul légitime, Jamais de son amour ne peut faire qu'un crime ? Sans mon consentement qu'a-t-elle de pouvoir ? Ne l'écoutez donc point, faites votre devoir, Étouffer cet amour qui ternit votre gloire, Dessus vos passions gagnez cette victoire, Contez ce premier jour de votre Consulat, Et soyez digne enfin de Rome, et du Sénat. HELVIDIUS. Madame, je ne puis écouter vos prières, Je viens de rallumer mes feux à ses lumières ; Et quoi que puisse dire, et Rome, et le Sénat Je veux par mon amour marquer mon Consulat ; Oui, Princesse, aujourd'hui vous êtes Souveraine, Mais je veux que de vous votre Père l'apprenne ; Qu'il sache qu'en vos mains j'ai mis son intérêt, Et que vous prononciez vous-même son arrêt. Qu'on amène ces Rois. ZÉNOBIE. Ah Seigneur ! Quelle honte, Que la faiblesse même aujourd'hui vous surmonte ! Qu'une Fille triomphe ! Et d'un coeur enchaîné Fasse suivre son char d'un Consul couronné ! De la gloire du nom mauvais dépositaire, Quand Rome le saura redoutez sa colère. HELVIDIUS. Je ne redoute rien en l'état où je suis, Et les armes en main je sais ce que je puis. SCÈNE III. Rhadamiste, Tiridate, Zénobie, Perside, Helvidius, Phraarte, Gardes. RHADAMISTE. Seigneur, c'est mal user du pouvoir qu'on vous donne, Et blesser un peu l'honneur de la couronne, Que de nous appeler, loin de nous écouter Pour plaire à votre haine et pour nous insulter, Pour voir deux souverains pleurer votre victoire, Pour faire dans leur honte éclater votre gloire ; Pour fouler à vos pieds la Majesté des Rois Qui sont indépendants de vous et de vos lois, Et pour nous voir au gré des caprices d'un homme Les divertissements d'une Femme et de Rome. HELVIDIUS. Ne le présumez pas, et je suis plus humain. TIRIDATE. Vous maltraitez les Rois et vous êtes Romain ; À quelques grands effets que votre haine aspire Nous ne saurions, ni voir, ni souffrir rien de pire, Nous mourrons sans pâlir, notre coeur est trop haut : Mais cachez cette femme, et montrez l'échafaud, Allons au lieu fatal d'où tombent les couronnes, Mais de plus d'un supplice épargnez nos personnes : Et quoi ! Relevons-nous de si sévères lois, Qu'il nous faille, Seigneur, mourir plus d'une fois ! ZÉNOBIE. Ne craignez rien de moi, le Consul par envie M'ôte le droit sur vous, et de mort, et de vie. HELVIDIUS. Princesse, commandez, exercez en ce jour La souveraineté que vous fait mon amour ; Ordonnez, prononcez, et sauvez votre Père. PERSIDE. À ce coup me reprend mon doute, et ma misère ; Le trouble est dans mon coeur, je crains en cet état Que mon amour trompé fasse un assassinat ; J'ai peur en choisissant de faire un parricide, Je suis en cette nuit sans lumière, et sans guide, À qui je dois le port je puis être l'écueil, À qui je dois le jour je puis faire un cercueil Et plus j'y pense, et plus je trouble ma mémoire. PHRAARTE. Tiridate est ton Père. PERSIDE. Hélas ! Te puis-je croire, Toi qui pour me jeter dans cet aveuglement, Tantôt te dis mon Frère, et tantôt mon Amant ? TIRIDATE. Ne vois-tu pas en moi celui qui t'a fait naître Ma Fille ? Et qui me fait aujourd'hui méconnaître : Ce n'est pas que par là je veuille rien de toi, Mais je mourrai du moins, et ton Père, et ton Roi. RHADAMISTE. Peut-être est-ce de moi qu'elle a reçu la vie, D'elle chez un Pêcheur accoucha Zénobie : Ce secret important sans doute m'est ouvert, Et déjà quelque bruit me l'avait découvert ; Cette Fille, après tout, Madame, est-ce la nôtre ? ZÉNOBIE. Vous n'en serez jamais instruits ni l'un ni l'autre, Jamais rien de certain ne vous en fera foi : Peut-être, elle est à toi ; peut-être, elle à toi. RHADAMISTE. Viens nous en assurer, inhumaine, cruelle. ZÉNOBIE. De quoi vous plaignez-vous ? Êtes-vous dignes d'elle ? À Rhadamiste.Et toi, de qui le bras me vint assassiner. Si tu ne la vois point peux-tu t'en étonner ? De trois coups de poignard dont tu fis ma blessure Peut-être dans mes flancs elle eut sa sépulture, Et par cet inhumain et tyrannique effort Dans sa source de vie elle a trouvé la mort, À Tiridate.Mais peut-être est-ce à toi que je l'ai supposée Qu'elle passe pour tienne à ton âme abusée, Et que pour m'apaiser mon Tyran par ce don Elle a pris de ta Fille, et le rang, et le nom. TIRIDATE. Madame... ZÉNOBIE. Par ce doute où vous jette ma haine, Commencez mes Tyrans, commencez votre peine, En attendant le jour que le Ciel en courroux L'achève par sa foudre, et me venge de vous : Au refus du Consul c'est le bras que j'espère. HELVIDIUS. Qu'ai-entendu ? Bons Dieux ! PERSIDE. Qui de vous est mon Père ? Me l'enseignerez-vous, Mère, Prince, et vous Rois ? Me viendrez-vous tirer de la peine du choix ? M'en éclaircirez-vous, Seigneur, amour, nature ? Voix du coeur, voix du sang êtes-vous sans murmure ? Si pour sortir d'erreur je ne vois point de jour, Prince, c'est ce qu'a fait l'aveu de votre amour : Si ma crédulité renouvelle ma peine Madame, c'est le coup qu'a frappé votre haine ; Vous me perdez tous deux, et mon coeur en courroux Se plaint également, et de vous, et de nous. HELVIDIUS. Ma Princesse... PERSIDE. Seigneur, accordez ma prière ; Donnez-moi ces deux rois, l'un des deux est mon Père, Quoique toujours en doute ainsi qu'auparavant, Je dirai pour le moins que mon Père est vivant. ZÉNOBIE. Je l'empêche, Seigneur, et votre ordre est contraire. HELVIDIUS. Ce que vous demandez je ne le saurais faire, Princesse, si la Reine en quittant son courroux De ce point important n'est d'accord avec vous : Mais si toujours contre eux sa colère s'anime, À ses ressentiments il faut une victime. RHADAMISTE. Dispensez-vous, Seigneur, de la peine du choix, Une Femme le veut, faites mourir deux Rois, Puisque Rome y consent, que son pouvoir éclate, Même ardeur de mourir échauffe Tiridate ; Ou si vous ne voulez vous en faire raison Venez armer nos mains de fer ou de poison : Nous ouvrirons, Seigneur, le passage à notre âme Pour ne point relever de Rome et d'une femme. TIRIDATE. Oui, j'y consens, Seigneur. PHRAARTE, à Tiridate. Perdez ce sentiment. TIRIDATE. C'est à toi de m'aider à mourir noblement. HELVIDIUS. Faites ce choix tandis que vous le pouvez faire, Princesse, j'ai grand peur de quelque ordre contraire Qui venant du Sénat aurait plus de rigueur, Et me lierait peut-être et le bras et le coeur : Je sais qu'à cet effet la Reine sollicite. PERSIDE. Et bien, puisqu'il le faut, c'est ce que je médite À Tiridate.Mon éducation, Seigneur, que je vous dois, Cette longue habitude à vivre sous vos lois, Cet air de votre Cour que je respire encore, De la Reine avec vous le saint noeud que j'honore, Enseignent à mon coeur qui voit ses deux Époux, De ne point demander de salut que pour vous. PHRAARTE. Quelle joie ! PERSIDE. Attends, Prince, et garde le silence Mais d'autre part ce bruit qui court de ma naissance À Rhadamiste.Ces secrets découverts par ce Prince à mon coeur, Ce qu'en a dit ma Mère, et l'aveu du Pêcheur, Votre fuite, Seigneur, l'attentat sur la Reine, Ce pêcheur rencontré qui soulagea sa peine, L'heureux accouchement qu'elle fit en ces lieux Où le jour fut d'abord salué de mes yeux, Cet hymen de la Reine avecque Tiridate, Ma supposition dont la raison éclate, De la nuit où je suis me lèvent le bandeau, Et pour trouver mon sang me servent de flambeau ; Ainsi je ne mets plus mon esprit en balance, Et mon amour, Seigneur, vous doit la préférence. PHRAARTE. Que faites-vous, ma soeur ? PERSIDE. Ne sois point irrité Si mon coeur balancé tombe de ce côté, C'est la nécessité qui l'emporte, et le presse, Je ne sais quoi de moi pour ce Roi s'intéresse ; La nature à ce coeur parle un peu sourdement, Et j'attendrai la fin de ce commencement. ZÉNOBIE. Quoi ! Condamner à mort Tiridate ton Père ; Tu l'as pu prononcer ! Sa fille l'a pu faire ! PERSIDE. Hélas ! Je tremble encor. HELVITIUS. Votre choix est-il fait ? PERSIDE. Ah ! Seigneur, attendez, n'en prenez point l'effet ; Ne délibérons plus mon Père est Rhadamiste, C'est le choix que j'ai fait, Seigneur, et j'y persiste. TIRIDATE. Je ne suis plus ton Père ? As-tu perdu le sens ? RHADAMISTE, à Tiridate. Que je meure, vivez, Seigneur, je le consens, Mais du moins qu'au tombeau je remporte la gloire D'avoir trouvé ma Fille et de le croire. ZÉNOBIE. Quoi ! Perside, ainsi donc tu me feras la loi ; Et je le souffrirai du Consul et de toi ? Non, non, il faut enfin que mon pouvoir éclate ; Soyez pour Rhadamiste, et moi pour Tiridate. PHRAARTE. Ah Madame ! Appuyez ce projet généreux. ZÉNOBIE. Il me plaît par ce choix de conserver l'un d'eux, Non pas que j'aime l'un, non pas que j'aime l'autre ; Mais pour me garantir de son choix et du vôtre Et puisqu'il faut choisir, pour rompre vos desseins Je choisirai du moins mon Tyran par mes mains. PERSIDE. Seigneur, c'est en vous seul que mon amour espère, Vous me l'avez promis, conservez-moi mon Père. LÉONTIN. Madame, Corbulon arrive en votre Cour. ZÉNOBIE. Ah ! Perside, voici la mort de ton amour, Mes Tyrans, vous mourrez, et je vous le prononce. Au gré de mes souhaits Rome me fait réponse ; Et toi, lâche Romain, à qui dans ce moment Ma bouche peut donner ce titre impunément ; Quelque effet où l'amour porte ton entreprise Tu n'as rien élevé que Rome ne détruise. HELVIDIUS. Et bien, Madame, et bien, nous verrons son pouvoir. ZÉNOBIE. Perside, avecque moi venez le recevoir. PHRAARTE. Je vais voir ce Romain, Seigneurs, pour vous défendre. HELVIDIUS. Et nous, allons au camp, c'est là qu'il faut l'attendre. ACTE V SCÈNE I. Corbulon, Zénobie, Perside, Phraarte, Suite. CORBULON. Assurez-vous, Madame, et ne redoutez rien, Je sais quelle est ma charge, et je la ferai bien ; Vous me voyez ici pour essuyer vos larmes, Et Rome m'a commis son pouvoir, et ses armes. ZÉNOBIE. Je rends grâces au Ciel, Seigneur, que les Romains Ont mis mon intérêt en de meilleures mains, Et qu'en vous aujourd'hui ma douleur trouve un homme Digne de la grandeur du Sénat et de Rome, Certes, ils ne font pas toujours de si bons choix ; Et Rome, et le Sénat se trompent quelquefois, Témoin Helvidius, qu'une Fille surmonte, Et qui du nom Romain est la tache, et la honte : Au lieu de me venger qu'a-t-il fait en ma Cour Et que souiller sa gloire, et que faire l'amour ? Que protéger le crime, et s'en rendre complice ? Et par sa passion aveugler sa justice ? Je vous l'ai dit, Seigneur, il borne mon pouvoir ; Et me donne la loi qu'il devrait recevoir, Il tourne contre moi ses forces, et ses armes, Et redoublant ici mes douleurs, et mes larmes, Au mépris des Romains qui m'en furent garants Loin d'être mon secours c'est un de mes Tyrans. PERSIDE. Oui, Seigneur, par amour j'ai vaincu ce grand homme Et pour mon intérêt, et pour celui de Rome, Qui rougirait un jour d'avoir prêté son bras, Pour commettre en ces lieux ces deux assassinats : Mais à vous qui venez pour appuyer la Reine Pour lui rendre un secours que j'ôtais à sa haine, À vous, ô Corbulon, armé contre ces Rois De toute la rigueur de vos sévères lois, Pour fléchir votre coeur qu'est-ce que je puis dire ? L'insensibilité règne dans votre Empire, Et l'amour qui de l'homme adoucit le courroux, Qui partout est un Dieu, n'est qu'un monstre chez vous. Et bien, Seigneur, et bien, s'il vous faut des victimes : Ne changez seulement que d'objet à vos crimes ; Oui, Madame, si rien ne vous peut apaiser Votre coeur est instruit en l'art de supposer, Mettez-moi dans sa place ; armez votre colère, Tout mon sang est l'image où vous verrez mon Père, Répandez-le, Madame, effacez son tableau, Ma gloire trouvera son temple en mon tombeau, Ce conseil vous importe, et vous le devez suivre, C'est le faire mourir et c'est me faire vivre. CORBULON. J'admire ce grand coeur, et suis ravi de voir Que rien n'altère en vous l'honneur et le devoir. PHRAARTE. Mon Père croit en vous trouver quelque refuge ; La Reine est sa partie, et vous êtes son juge ; Mais de quoi se plaint-elle ? Est-ce d'avoir en lui Au fort de ses malheurs rencontré son appui, Lorsque de Rhadamiste accompagnant la fuite En un si triste état elle se vit réduite, Que quiconque l'entend, d'un esprit tout confus Croit que son ombre parle, et qu'elle ne vit plus ? Qu'a fait le Roi mon Père en voyant cet orage, Que de remettre au port un vaisseau de naufrage ? Que de la recueillir ? L'appeler en sa cour ? Et que de la pitié de passer à l'amour ? Que si pour l'épouser en cette conjoncture De Rhadamiste mort il lui fit l'imposture, Et si c'est là, Seigneur, le crime qui le perd ; Il faut examiner à qui ce crime sert ; N'est-ce pas à la Reine ? Et sans cet heureux crime Qui pouvait l'empêcher d'être notre victime ? Et de voir achever par un bras ennemi Ce crime qu'un Époux n'avait fait qu'à demi ? Madame, ces bienfaits devraient pour votre gloire De vos derniers malheurs effacer la mémoire, Dissiper cette haine, et calmer ce courroux : Je ne compte pour rien ce que j'ai fait pour vous, Quoique vous me deviez quelque reconnaissance D'avoir su votre crime, et gardé le silence : Mais pour mon Père enfin si je n'avance rien Prenez mon sang, Seigneur, et conservez le sien. ZÉNOBIE. Seigneur je veux leur mort, faites qu'on m'obéisse, N'écoutez point ce Prince et me rendez justice. CORBULON. Je la rendrai, Madame, et ne diffère plus, Voyez pour cet effet venir Helvidius. ZÉNOBIE. Quelle joie à mon coeur ! PERSIDE. Ah ! Quel triste spectacle, Enfin, Madame, enfin, vous n'avez plus d'obstacle. PHRAARTE. Seigneur... CORBULON. Silence, Prince. SCÈNE II. Helvidius, Corbulon, Zénobie, Perside, CORBULON. Et bien, Helvidius, Je suis le Souverain, vous ne commandez plus ; Si j'ai pris toutefois le serment de l'armée Que votre âme, Seigneur, n'en soit point alarmée ; Un amant comme vous sans se vouloir trahir Ne sait point commander, il ne sait qu'obéir ; L'amour vous a vaincu de même que les autres, Vous êtes son sujet, vous n'êtes plus des nôtres, Perside, et ses appas ont triomphé de vous ; Qui pourrait résister à des attraits si doux ? Votre fortune est grande, et le Sénat m'envoie, Pour vous faire savoir la grandeur de sa joie ; Personne mieux que vous n'en a pu mériter, Et je viens tout exprès vous en féliciter. HELVIDIUS. Parlez, parlez, Seigneur, et ce discours m'offense. CORBULON. Celui-ci vous plaira, sans doute, en récompense, Honte de notre choix, peu généreux Romain, Ainsi donc votre coeur désarme votre main ? Et cette grandeur d'âme à l'amour accessible Cesse par ses appas de vous rendre invincible ? Que pourrait le Sénat depuis ce triste jour Se promettre d'un bras enchaîné par l'amour ? D'une âme basse en qui la servitude éclate ? Et d'un Consul qui fait la Cour à Tiridate ? La mollesse du coeur qu'un lâche amour produit A perdu des Héros qui nous auraient détruit ; C'est l'ombre des vertus, c'est l'obstacle à la gloire, C'est ce qui dans son cours arrête la victoire, C'est la perte des coeurs, le poison des regards, C'est la honte d'Antoine, et l'écueil des Césars : Mais toujours le Sénat est un Astre sans tache, Jamais intéressé, jamais faible, ni lâche, Qui par un noble orgueil relève de ces lois Qui lui font mépriser les Femmes et les Rois ; Et la sévérité que la vertu fait naître L'a fait de l'Univers, et l'arbitre, et le maître : Sans le consentement de ce même Sénat, Qu'est-ce que votre amour ? Un crime, un attentat ; Et pouvez-vous jamais sans son ordre suprême Asservir votre coeur, disposer de vous-même ? Vous relevez de lui jusqu'à la liberté, Vous êtes à lui Père, Enfants, Postérité, Du choix de votre femme il a le privilège ; Et sans lui votre hymen passe pour sacrilège ;Quittez donc votre amour, et vous ressouvenez Que Rome vous vit naître, et que vous en venez. HELVIDIUS. Je m'en souviens, Seigneur, mais quoi qu'il en puisse être Je ne dépendrai point de ce superbe maître : Quel droit a le Sénat de se faire obéir En me donnant la loi d'aimer ou de haïr ? Quoi ! Prétend-il encor régner sur mes pensées ? Et voir d'un libre coeur les passions forcées ? Croyez-vous me trouver à ce point résolu Par ces mots souverains que Rome l'a voulu ? Pouvez-vous l'espérer, et ne suis-je plus libre ? Nomme-t-on les Romains les Esclaves du Tibre ? Le Sénat a-t-il seul toute l'autorité ? Et n'avons-nous sans lui, ni voix ni liberté ? Quoi ! J'attendrai, Seigneur, de sa fierté Romaine, Qu'il daigne m'inspirer ou l'amour, ou la haine ? Qu'il me fasse un destin funeste ou glorieux ? Et dépendrai de lui comme je fais des Dieux ? Ne l'espérez jamais, et je renonce à Rome, Si pour être Romain il faut cesser d'être homme, Et s'il faut devenir pour son propre malheur Ennemi de soi-même, et Tyran de son coeur : Depuis que la Princesse a fait que je soupire En ai-je moins suivi les ordres de l'Empire ? Contre ses ennemis n'ai-je pas combattu ? Perside a-t-elle fait obstacle à ma vertu ? Jugez, jugez, Seigneur, puisqu'ici pour ma gloire Son Père prisonnier pleure de ma victoire, Si les chaînes du coeur ont passé jusqu'au bras, Et si l'Aigle Romain en a volé plus bas. Quand les Dieux pour aimer furent ce que nous sommes Cessaient-ils d'être Dieux sous la forme des hommes. En ont-ils moins chez vous de temples, et d'autels ? Pour paraître mortels sont-ils moins immortels ? Et l'amour qui du Ciel les fit descendre en terre Leur a-t-il fait quitter le soin de leur tonnerre ? Ne m'imputez donc rien, il vous est glorieux Que le Consul se forme à l'exemple des Dieux. CORBULON. Les Dieux ont des secrets mal aisés à comprendre, L'esprit doit respecter ce qu'il ne peut entendre ; Et quelquefois ces Dieux qu'adorent nos États Font ce que l'homme admire, et qu'il n'imite pas. Mais enfin de l'amour la pressante tendresse Ne peut jamais en vous passer que pour faiblesse, Quoique contre ces Rois vous ayez combattu Votre amour toutefois souille votre vertu : Il semble que pour vous en soit toute la gloire, Vous n'appliquez qu'à vous le fruit de la victoire, Et tenez de ces Rois le sort entre les mains, Comme s'ils n'étaient pas le butin des Romains : Parce que l'intérêt de Perside est le vôtre Vous faites mourir l'un et vous conservez l'autre ; L'espoir impatient de vivre sous ses lois Met cette différence injuste entre ces Rois, Qui ne doivent avoir qu'une même fortune, Et l'espérance entre eux ou la crainte commune : Mais vous savez, Seigneur, l'esprit de notre Cour ? Nous pensez-vous d'humeur à souffrir votre amour ? Et ne craignez-vous point Rome ni sa colère, Quand vous vous promettez une femme étrangère ? Nous pouvez-vous flatter de ce frivole espoir ? Et ne savez-vous pas quel est notre pouvoir ? Non, non, pour votre gloire étouffez votre flamme, Brisez sans différer ces chaînes de votre âme ; De la part des Romains je vous l'ordonne ainsi, Je suis le Souverain, et je commande ici : Helvidius, fuyez cet objet qui vous charme, Ne regardez jamais le bras qui vous désarme, Et d'un honteux amour comme d'un attentat Allez, lâche Romain, rendre compte au Sénat. HELVIDIUS. Seigneur... CORBULON. Allez, vous dis-je. HELVIDIUS. Un mot que je m'explique. CORBULON. Non, mon commandement ne veut point de réplique. HELVIDIUS. Superbes habitants ! Fier Sénat ! Peuple vain ! CORBULON. Silence, Helvidius, tâchez d'être Romain, Faites que l'on vous compte encor entre les nôtres, Contentez-vous d'un crime, et n'en faites point d'autre, Soyez pour le Sénat d'un sentiment plus doux Et ne m'obligez pas à le venger de vous. Allez, encor un coup, j'aurai soin de l'armée. HELVIDIUS. Je ne crains rien pour moi, ni pour ma renommée ; Sans doute le Sénat est plus juste que vous ; Je vais par mes raisons apaiser son courroux. Il sort. CORBULON. Madame, son amour ne saurait plus vous nuire. ZÉNOBIE. Il reste d'achever la vengeance où j'aspire ; Et que mes deux Tyrans enfin humiliés Et meurent à mes yeux, et tombent à mes pieds. PHRAARTE. Seigneur, n'écoutez point cet ordre tyrannique. PERSIDE. Ah Seigneur ! CORBULON. Sur ce point il faut que je m'explique, Madame, le Sénat contre les attentats De ces Rois vos epoux vous a prêté son bras, Ce bras fait à vos pieds tomber la tyrannie, Ce bras vous a sauvé le trône d'Arménie, Vous a fait souveraine, et rendu noblement L'honneur sacré du Sceptre et du commandement : Oui, Rome vous prêta son bras et son épée, Mais par l'événement Rome s'est bien trompée ; Elle croyait, Madame, en ce juste dessein Désarmer votre coeur en armant votre main, D'un peu de vanité flatter votre colère, Et que vous ne feriez rien quand vous pourriez tout faire ; Et rappelant l'amour en votre souvenir Que vous pardonneriez quand vous pourriez punir : Si dans ces sentiments Rome a pu résoudre De vous faire leur Juge, elle a cru les absoudre : Je vous vois cependant faire un dernier effort, Et mettre votre gloire à poursuivre leur mort : Vous demandez du sang pour essuyer vos larmes, Mais pourquoi faites-vous cette honte à nos armes, Qui gardant aux vaincus le respect des Autels, À la postérité nous rendent immortels ? Je sais qu'au dernier point vous fûtes outragée, Mais pleinement enfin n'êtes-vous pas vengée, Quand ces rois vos Époux à leur femme soumis Perdent l'honneur du rang où l'hymen les a mis ? Quand pouvant vous venger vous épargnez leur tête ! Quand vous levez un bras que Rome vous arrête ? Si le Consul eut su sa manière d'agir, Son pouvoir en nos mains ne l'eut pas fait rougir ; Il vous eut expliqué ce qu'il vous en faut croire Par le seul intérêt, et d'honneur, et de gloire ; Et de votre bonté nous serions les témoins Si votre grand courage avait cru pouvoir moins, Obligez-vous ces Rois d'une faveur extrême, Il leur faut un pardon, prononcez-le vous-même. ZÉNOBIE. Moi ! De ces deux Tyrans faire la liberté ? Est-ce là ce grand coup de votre autorité ?Quoi ! De mes ennemis je serai la victime ? Et vous me laisserai entre les bras du crime ? Je veux par mon trépas prévenir ces malheurs. CORBULON. Faites, faites saigner votre coeur par vos pleurs, Par ce secours des yeux s'attendrit la nature. Madame, de ces Rois ne craignez plus d'injure, Rome vous est par moi garant de vos Époux, Et si Rome est pour nous qui sera contre vous ? Avecque Rhadamiste aujourd'hui réunie Allez voir vos Sujets, passez en Arménie, Où le peuple douteux, au Trône souverain Attend jusqu'à ce jour un maître de ma main ; Que Tiridate aussi reprenne sa couronne, Et relèvent tous deux de la main qui les donne. PERSIDE. Prince reconnaissons cette grâce à genoux. PHRAARTE. Que ne vous dois-je point ? CORBULON. Ah Prince ! Levez-vous : Ce n'est pas tout, Madame, achevons cet ouvrage ; Qu'un hymen de la paix soit le fidèle gage, Ce Prince aime Perside, accordez-lui ce bien, Faites ces Rois amis par cet heureux lien, Et que par vos Enfants votre amour se rappelle. ZÉNOBIE. S'il n'avait plus de Père il serait digne d'elle ; Jusques-là je n'ai point de partis différents Et je confonds ce Prince avecque mes tyrans. PHRAARTE. Souffrez que par l'hymen j'entre en votre alliance. ZÉNOBIE. Parlez à Corbulon, je n'ai plus de puissance. CORBULON. Votre vertu de vous attends ces grands efforts ; Faites venir ces Rois. SCÈNE III. Un Garde, Corbulon, Zénobie, Phraarte, Perside, Suite. UN GARDE. Seigneur, ces Rois sont morts. PHRAARTE. Et quoi ! Mon Père est mort ? PERSIDE. Dieux ! Que viens-je d'entendre ? CORBULON. Ces Rois morts ! Et comment ? UN GARDE. Je m'en vais vous l'apprendre. Ces Rois persuadés qu'esclaves, enchaînés, Ils seraient dedans Rome en triomphe menés, Et comme Helvidius lui-même leur fit croire Que vous étiez venu pour en avoir la gloire, Pensent à s'échapper, concertent leur dessein : Helvidius s'en mêle, et leur prête la main ; Et par son affranchi qui fut de la partie, L'un des Gardes des Rois procura leur sortie : On en est averti, tous les Gardes font bruit, Et sans perdre de temps sur l'heure l'on les suit. On les devance, enfin au camp on les ramène ; Eux, voyant désormais leur espérance vaine, Un poignard à la main qu'en cette extrémité D'un de leurs diamants ils avaient acheté, S'en frappent l'un et l'autre avec tant de vitesse Qu'ils trompent tous nos soins et toute notre adresse, Par terre en même temps ils sont tombés tous deux, Et la mort sur le champ leur a fermé les yeux. PHRAARTE. Qu'ai-je entendu ? Bons Dieux ! PERSIDE. Ô comble de misères ! PHRAARTE. Et bien, Madame, enfin nous n'avons plus de Père, Goûtez avec plaisir notre commun malheur. ZÉNOBIE. Mon coeur devient sensible et s'ouvre à la douleur, Ma haine pour ces Rois en pitié s'est chargée, Ils sont trop malheureux, et je suis trop vengée, Oui, mon coeur est atteint pour des Rois malheureux, Et par quelques soupirs il s'explique pour eux. CORBULON. Madame par leurs mains ils ont fait leur supplice, Je leur eusse fait grâce, ils se sont faits justice : Joignez de leurs Enfants les États, et les coeurs, Aussitôt que le temps aura séché leurs pleurs. PHRAARTE. De nos larmes, Princesse, allons tremper leur cendre, C'est un faible secours, mais qu'ils doivent attendre, PERSIDE. Allons Prince. CORBULON. Suivons, et voyons en ces lieux Dans la mort de ces Rois la justice des Dieux. ==================================================