******************************************************** DC.Title = ARSACE, ROI DES PARTHES, TRAGÉDIE. DC.Author = PRADE DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:11. DC.Coverage = Turquie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/PRADE_ARSACE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5740797h DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ARSACE, ROI DES PARTHES TRAGÉDIE M. DC. LXVI. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. DE MONSIEUR DE PRADE. Représenté pour la première fois le 3 novembre 1662 au Théâtre du Palais-Royal AU LECTEUR. Ceux qui trouveront dans cet ouvrage de la conformité avec quelques autres qui ont paru depuis six ou sept années, sont avertis qu'il était en état d'être mis au jour dès l'année 1650. Que les suivantes il fut promis dans les Affiches des Comédiens du Marais, et depuis annoncé par ceux de l'Hôtel de Bourgogne ; et que si Monsieur de Prade, qui ne l'avait fait que pour son divertissement particulier, ne se fut opposé à sa représentation, il y eut éclaté dès ce temps-là avec tous les avantages que lui pouvaient donner ses beautés naturelles, soutenues des charmes de la nouveauté. II a été lu à une infinité de personnes de mérite qui peuvent en rendre témoignage : Messieurs de Sainte Marthe, le Vayer de Boutigny, Lebret, Follecille, l'Abbé de la Motte le Vayer, de Montauban, de Scudery, de Rotrou, du Ryer, et Beys ont publié dès l'année 1653, l'estime qu'ils en faisaient. Et il y a neuf ou dix ans que l'on en fit une lecture chez Monsieur_le_Comte de la Serre, où se trouvèrent Messieurs Quinault et Corneille le jeune, ce dernier même y relut à loisir quelques endroits dont il fut touché : Après cela je pense qu'il est aisé de conclure en faveur de Monsieur de Prade, puisqu'il ne pouvait pas avoir jeté les yeux dans l'avenir pour y chercher un modèle de son travail dans des pièces qui pour lors n'étaient pas seulement en idée. J'espère que l'on lui rendra justice, et que l'on n'estimera pas moins les belles choses, qui sont dans son ouvrage leur lieu naturel, que l'on a fait dans ceux où elles étaient transplantées. Le sujet d'Arsace est tiré du 42ème livre de Justin, où il dit qu'Artaban septième Roi des Parthes, succéda á son neveu Phradate : et sur ce peu de mots qui contiennent ce qu'il y a de véritable, le reste a été imaginé en sorte néanmoins que l'histoire en est plutôt étendue que contredite. Que si l'on y représente Pharasmane si criminel, ce n'a pas été sans fondement, puisque le même Justin témoigne qu'il était ordinaire aux Parthes d'avoir des Rois parricides. Pour les vers je n'en dirai rien ; mais ceux qui s'y connaissent demeureront d'accord qu'on n'en a guère vu de mieux imaginés, ou plus forts également partout, ni plus justes, ni de mieux tournés, et qui brillent d'un feu si vif. Aussi ont-ils fait dire à l'un des plus beaux génies de ce temps, qu'il n'avait point encore vu de pièce où il eut trouvé tant d'esprit, et l'illustre Monsieur Corneille, qu'elle avait assez de beautés pour parer trois pièces entières. ACTEURS ARTABAN, Roi des Parthes. PHARASMANE, fils ainé d'Artaban. ARSACE, son frère. VOLOGESE, Seigneur Parthe. ARAXIE, fille aînée de Phradate, prédécesseur d'Artaban. MÉDONIE, sa soeur. LE CAPITAINE DES GARDES. La Scène est à Seleucìe dans le Palais d'Artaban. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Vologese, Le Roi. VOLOGESE. Deviendrez-vous sujet dans vos propres États. LE ROI. J'abandonne le trône, et ne m'en prive pasMes fils y régneront, et puis à trop attendreJe pourrais en tomber, j'aime mieux en descendreEt faire ( en le quittant par générosité ) Ce qu'on ne fit jamais que par nécessité.De mou affection, je veux qu'il soit un gage,Qu'il leur soit un bienfait, plutôt qu'un héritage,Qu'ils m'en soient obligés, plus qu'à mon triste sort.Et qu'il leur soit aisé de pleurer à ma mort. VOLOGESE. Ce sont faibles motifs, pour quitter un Empire. LE ROI. J'en ai pour mon repos de plus puissants à dire,Et mes fils qui tous deux s'y veulent élever>M'en imposent la loi si je les veux sauver.Tu sais leur différend, et ce qui le fit naître. VOLOGESE. Étant connu de tous, je le puis bien connaître,Quand vous étiez sujet, Pharasmane naquit,Arsace vint après avec plus de bruit ;Car la mort du feu Roi jointe à votre naissance,Vous avait mis en main, la suprême puissance ; Leur sang est donc pareil, et leur rang inégal,L'un est fils d'un Monarque et l'autre d'un vassal,Et ce droit naturel ou du rang ou de l'âge,De l'Empire futur est à chacun un gage ;Pharasmane y prétend en qualité d'ainé ; Arsace comme fils d'un père couronné,Il tient qu'avec moins d'heur, le Ciel l'aurait fait naîtreS'il avait résolu de lui donner un maître ;Et croît qu'après son frère, il ne vit la clarté,Que pour attendre à naître avec la Royauté ; Ce sont leurs différends que craignent nos Provinces,Et la Perse en a vu de pareils en ses Princes. LE ROI. Ils sont à redouter ; mais j'en verrai la fin,Lorsque l'un sur le Trône élevant son destin.L'autre dans son malheur, oubliera sa naissance, Et perdra son orgueil avec son espérance,Je vais donc leur donner, ce qu'ils voudraient ravir,Et si l'un règne heureux, je suis prêt à servir,Oui, je veux dès demain, que la voix d'un arbitre,Soit pour me succéder leur infaillible titre, Leur donner tout par elle, et m'épargner l'emploi.D'en faire un malheureux, en faisant l'autre Roi ;D'un bien qu'un seul aura, l'autre me rendra grâce,Car pour tous deux enfin, j'aurai quitté la place. VOLOGESE. Un sujet de leur rang est bientôt révolté. LE ROI. Lors appuyant son Roi de mon autorité,Un sujet, quoi que grand aura peine à l'abattre,Puis qu'il aura son père et son frère à combattre ;Mais il reconnaîtra que son ambition,Ne pourra plus passer, que pour rébellion ; Il n'osera rougir d'être au dessous d'un frère,Quand il aura l'honneur d'être égal à son père :Ni demander aux dieux la gloire d'être Roi,De peur de demander d'être au dessus de moi. VOLOGESE. Quiconque a pour ses fils de pareilles tendresses... LE ROI. Écoute, à ce dessein j'ai mandé les Princesses,Voulant céder le trône à qui le Trône est dûVois qu'il sera par moi moins donné que rendu. SCÈNE II. Le Roi, Araxie, Médonie, Vologère. LE ROI à Araxie. Quand le sort nous ravit le feu Roi votre père ;Il me fit de son sceptre un bien héréditaire, Et n'ayant point de fils comme Prince du sang,Voulut qu'après sa mort je montasse à son rang ;Depuis et mes faveurs et mon amour extrême,Ont comme été vers vous le prix du Diadème ;Mais pour m'en acquitter, maintenant je connais, Qu'il faut un bien égal à celui que je dois,Et que pour bien payer une telle Couronne,Quiconque l'a reçue, il faut qu'il la redonne,Je veux donc vous la rendre, et voir avecque vousRégner l'un de mes fils en qualité d'époux, Ainsi réunissant l'une et l'autre famille,Phradate après sa mort régnera dans sa fille,Et je croirai qu'en vous, il va ressusciter,Pour faire qu'envers lui je me puisse acquitter.Avecque tant de joie, à ce bonheur j'aspire, Que j'en aurai beaucoup à quitter un Empire ;Mais pour mettre un époux sous vos divines lois,Aux dépens de vos voeux je ne fais point de choix ;Et quelque effort sur moi que la nature fasse,Ne pouvant me résoudre à vous donner Arsace. Mais que vois-je ? Et pourquoi changez-vous de couleur ? ARAXIE. Du plus infortuné, je ressens le malheur. LE ROI bas ce premiers vers à Vologèse. Son amour que je sers, croit que je la menace.Ne pouvant me résoudre à vous donner Arsace,Ni Pharasmane aussi, vous choisirez demain À qui des deux offrir et l'empire et la main ;Comme Reine en effet, que rien ne vous contraigneEn me donnant un Roi, commencez votre règne,Mon choix suivra le vôtre, et je garde mes voeuxComme un droit pour celui que vous ferez heureux. ARAXIE. Sire, dispensez-moi de cette obéissance,Vos fils par leurs vertus méritent leur naissances ;Mais s'il me faut choisir, mon amour importun,De deux que vous m'offrez en doit mépriser un. LE ROI. Mais alors qu'à ce choix, il vous faudra réduire. L'un des deux sera crû digne de mon Empire,Digne d'être mon fils et de me succéder,De vous avoir pour femme, et de vous posséder,Et la gloire de l'un se joignant à la vôtre,Me fermera les yeux sur le mépris de l'autre : Ne vous défendez plus, demain toute ma CourDoit prendre un nouveau Roi du choix de votre amour. À Médoine.Celui dont elle aura rendu l'attente vaine,Trouvera lors en nous un remède à sa peine.Car s'il laisse une Reine aux mains de son rival, Il obtiendra sa soeur, et sera mon égal.Adieu, je vais porter mes fils à se soumettreÀ ce choix dont tous deux se doivent tout promettre. SCENE III. Araxie, Médonie. MÉDONIE. Que ce projet est doux à votre ambition. ARAXIE. Il est plus doux encore à mon affection. le Roi descend du Trône, et m'y donne sa place,Mais le Trône ma soeur me va donner Arsace. MÉDONIE. Votre intérêt m'engage à vous désabuser,Vous le pouvez choisir, il vous peut refuser. ARAXIE. S'il est si peu sensible à l'amour qu'il me donne, Peut-il ne m'aimer point avec une Couronne ?Ses brillants prêteront de l'éclat à mes yeux ;Et s'il n'est pas amant, il est ambitieux.Comme Reine du moins, si ce n'est comme amante,À cet ambitieux je paraîtrai charmante ; Et quand à mes désirs il voudrait résister,S'il ne se donne pas, j'ai de quoi l'acheter. MÉDONIE. Un héros tel que lui n'abaisse point son âmeJusqu'à chercher l'empire en l'amour d'une femme,Il veut le conquérir s'il n'en hérite pas, Et s'il faut le devoir, le devoir à son bras. ARAXIE. Si de moi, si du Trône, il fait si peu d'estime,En lui donnant un Roi je punirai son crime :Et j'en serai ma soeur quels que soient ses projets, Un rebelle à son père, ou l'un de mes sujets : Si l'amour au respect ne le saurait contraindre,Le rang où je serai l'obligera d'en feindre,Je le verrai soumis adorer mon pouvoir,Si ce n'est par amour ce sera par devoir,Chaque jour, chaque instant, mon orgueil et ma haine ; De sa soumission lui feront une peine,Et le mettront si bas, qu'indigné de son sort,Ayant quitté l'Empire, il cherchera la mort. MÉDONIE. C'est beaucoup. ARAXIE. Ne crains rien pour cet amant farouche,Ma fureur contre lui n'excite que ma bouche, Et loin de le punir, étant ce que je suis,Le dire seulement est tout ce que je puis.Je l'adore ma soeur, et quoi qu'il en arrive,Il sera couronné par sa propre captive.Vois-le donc, et du moins pour mon soulagement Épargne-moi l'affront de m'offrir vainement. MÉDONIE. Mais.... ARAXIE. Laisse-moi le bien qu'un peu d'espoir me donne,Ne m'ôte pas la vie avant qu'il en ordonne,Si croyant me l'ôter avec plus de douceur,Toi-même tu ne veux assassiner ta soeur. SCÈNE IV. MÉDONIE. Qu'elle me connaît mal, et que son espéranceSe fonde aveuglement dessus ma confidence.Ses amants sont les miens, et pour régner par eux,Je feins sans les aimer de répondre à leurs voeux,Ou si pour l'un des deux mon amour se remarque, J'aime celui des deux qui doit être monarque,Et n'ai de deux amants sollicité la foi,Qu'afin de m'assurer de l'amitié d'un Roi.Non qu'enfin mon amour épuré dans mon âme,N'y brille pour l'aîné d'une plus vive flamme, Quelque charme secret plus fort que mes désirs,Souvent en sa faveur m'arrache des soupirs ;Mais mon ambition, quelque ardeur qu'il m'inspire,Empêche que l'amour ne règne en ton empire,Qu'il ne soit assez fort pour ne te point céder, Et te faire obéir, où tu dois commander.Superbe passion, fais-moi toujours connaître,Que ma franchise est due à qui sera mon maître,Et qu'ayant du mépris pour le moins fortuné,Je dois aimer celui qui sera couronné. Mais Pharasmane vient, même sort nous menace. SCÈNE V. Pharasmane, Médonie. PHARASMANE. Ha si vous l'ignorez apprenez ma disgrâce.Votre soeur peut choisir de mon frère ou de moi,Pour en faire à son gré son époux et son Roi,Et de quelque côté que son désir la guide, Ou j'aimerai sujet, ou règnerai perfide.Si la Princesse m'aime et me veut couronner,C'est me vouloir contraindre à vous abandonner :Et si je suis des deux, celui qu'elle rejette,Je serai fort sujet, et vous serez sujette ; Ainsi son espérance a de quoi se flatter,Mais moi des deux côtés j'ai tout à redouter. MÉDONIE. Le mal est arrivé, vous n'avez plus à craindre,Et cessant d'espérer commencez à vous plaindre.Arsace... Ce nom seul vous doit rendre jaloux, La Princesse ma soeur le choisit pour époux ;Et comme étant des deux celui qu'elle rejette,Vous deviendrez sujet, et je serai sujette,Bref, il peut tout attendre, et même tout avoir,Avant que son audace en ait conçu l'espoir. PHARASMANE. Mon frère me ranger sous son obéissance ?Lui que même au berceau me soumit la naissance !Non du Trône plutôt je ferai son cercueil,Et j'ai pour obéir trop d'amour et d'orgueil.Il faut pour vous servir porter une couronne, Et la défendre bien quand le Ciel nous la donne.Rival audacieux qui prétends m'asservir,Ce n'est qu'après ma mort qu'on me la peut ravir,Arsace ton bonheur te va coûter la vie. MÉDONIE. Hé de grâce quittez cette funeste envie. PHARASMANE. L'aimeriez-vous Princesse en feignant de l'aimer ?Un mérite si grand a-t-il su vous charmer ? MÉDONIE. Quand on crut à la Cour, malgré le droit d'aînesse,Qu'Arsace régnerait avecque la Princesse.Nous fîmes même effort, par un amour trompeur, Moi pour le captiver, vous pour gagner ma soeur,Et les porter ainsi, pour ne nous point déplaireÀ l'horreur d'un hymen qui nous était contraire :Cependant si ma soeur fut sourde à vos soupirs»De votre frère au moins, j'arrêtai les désirs ; Il en fit à ma feinte un véritable hommage,Il mit toute sa gloire en ce secret servage,Et l'empire absolu qu'il me donna sur lui,Fut alors notre espoir, et peut l'être aujourd'hui ;Attendez-en l'effet, et croyez que ma flamme, Rendra notre parti si puissant dans son âme,Que ma soeur qui peut tout verra par son refus,Que sans sceptre à donner je puis encore plus. PHARASMANE. Suivons plutôt la voie où la fureur m'entraîne. MÉDONIE. Croyez votre prudence et non pas votre haine. Et ne présumez point d'un esprit irrité,Lorsqu'il a plus de feu, qu'il ait plus de clartés :Mais voici votre frère, évitez la présence, Et prenant sur mes soins une entière assurance,Allez pour l'observer entretenir ma soeur. PHARASMANE. Non, non, si je fuyais, il se croirait vainqueur. SCÈNE VI. Pharasmane, Médonie, Arsace. PHARASMANE. Avouez que pour moi, votre haine mortelleDonne à votre allégresse une force nouvelle,Et vous fait moins sentir votre propre bonheur,Que celui de m'ôter et l'Empire et l'honneur ; Mais alors que la joie est si vaine et si prompte,Elle amène après soi le regret et la honte ;Vous n'êtes pas content puisque vous désirez,Et pouvez n'avoir rien puisque vous espérez.Vous savez qu'Araxie en donnant la Couronne, Penchera du côté que son amour l'ordonne :Mais ne présumez pas que soumis par son choix,J'abaisse mon orgueil à recevoir vos lois,Et qu'un lâche respect vienne occuper mon âme,Pour un Roi qui sera l'ouvrage d'une femme. La franchise est un bien qu'on ne me peut ravir ;Vous pouvez commander mais je ne puis servir ;Et je vous punirais si votre orgueil extrêmeMe traitait de sujet seulement en vous-même.On est mauvais sujet à qui l'on fut égal, Et qui voulut régner obéirait fort mal.il faut, puisque mes droits sont unis à ma vie,Que pour me les ôter elle me soit ravie ;Mais pour avoir ensemble et ma vie et mon rang,Jugez ce qu'à vous-même il coûtera de sang : J'ai les Parthes pour moi, si vous avez mon père,Et pour rendre électif un sceptre héréditaire,Il faut prendre sur eux de tyranniques droits,Et détruire l'État pour en changer les lois.Ne vous flattez donc pas d'une si vaine attente, Voyez votre fortune avec quelque épouvante,Songez qu'elle vous place au dessus d'un aîné,Et craignez le bonheur d'en être couronné. SCÈNE VII. Arsace, Médonie. ARSACE. Ors qu'il menace il craint. MÉDONIE. Je dois craindre de même,Ne pouvant m'aimer sans perdre un Diadème... ARSACE. J'ai prévu cette crainte, et vous viens témoignerQue ce n'est qu'avec vous qu'il m'est doux de régner,L'ambition ne peut commander à ma flamme,Et mon plus cher Empire est celui de votre âme :Mais le Sceptre d'ailleurs étant tel en effet, Qu'à peine l'on consent au refus qu'on en fait... MÉDONIE. En un mot je vous perds, le Couronne est si belle,Qu'elle vous autorise à me quitter pour elle.Aussi m'ôter ce coeur que vous m'avez donné,Est un crime si beau qu'il sera couronné. Je ne m'en plaindrai pas, au point où je vous aime,Je vous souhaite heureux seulement pour vous-même,Je vous rends tout à vous ; Prince allez vous offrir,Régnez avec ma soeur et me laissez mourir. ARSACE. Le refus de sa main et celui de l'Empire Quoi que vous en croyez vous en fera dédire.Soyez mon interprète et faites lui savoir,Que pour m'acquitter mieux, je veux moins lui devoir :Mais allons consulter toute notre prudence,Pour couvrir ce refus d'une belle apparence, Et joignons à ce coup tant d'art et de douceur,Qu'il puisse être porté de la main d'une soeur. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Médonie, Araxie. MÉDONIE dit bas les deux premiers vers. Ôtons-lui tout espoir, faisons parler Arsace,Et malgré son respect prêtons-lui de l'audace.Araxie, a-t-il dit, se flatte vainement, Je veux régner en Prince, et non pas en Amant,Et quitte sans regret, trône, sceptre, couronne,Si pour les posséder, il faut que je me donne.Je ne veux point devoir un bien qui m'est acquis,Et quelque grand qu'il soit, il est cher à ce prix, Pour faire que ma flamme à la sienne réponde,Elle me doit offrir tout l'Empire du monde.Pour avoir mon amour il le faut mériter,Ou le payer ainsi lorsqu'on veut l'acheter. ARAXIE. L'insolent ! MÉDONIE. Il fait plus, il sollicite, il presse, Pour vous ôter le choix que son père vous laisse. ARAXIE. Il périra plutôt, et ma haine à son tourPourra sur son destin, autant que mon amour. SCÈNE II. Araxie, Médonie, Arsace. ARAXIE. Quoi paraître à mes yeux ? ARSACE. Je vais trouver mon frère,Et m'éloigne d'ici pour ne vous point déplaire. ARAXIE. Tu ne le peux ingrat, et malgré mon courroux,Ta présence m'inspire un mouvement plus doux.Ne crains pas qu'il éclate et rompe le silence,À tous mes sentiments je ferai violence,Et pour les captiver sous l'Empire des tiens, Mon coeur jusqu'à ma langue est étendra ses liens.Je dispose du Sceptre, et ton père désire,Que le don de ma foi soit celui de l'Empire ;Mais faisant beaucoup plus, en faisant moins pour toi,Je te le veux donner séparé de ma foi. J'userai de mes droits, Amante généreuse,Pour te mieux assurer la Couronne douteuse,Sans te faire pourtant une nécessitéDe joindre mon hymen avec la Royauté,Par ta seule grandeur tu connaîtras ma flamme, Je te dispenserai de me prendre pour femme.Et ton père surpris reconnaîtra demain,Que qui donne son Coeur peut refuser sa main,Que s'il veut malgré nous à l'hymen nous contraindre.Dans ce commun malheur je serai seule à plaindre : Car punissant en moi ses tyranniques lois,Ma mort t'affranchira des rigueurs de mon choix.Mon choix de la Couronne aura paré ta tête,Ma mort t'en donnera la paisible conquête.Puisqu'ainsi mon trépas prévenant tes refus, Tu ne me devras rien, quand je ne vivrai plus :Sont-ce des sentiments qui méritent ta haine,Je veux te voir au trône et non pas à la gêne,Et je ne joindrai point pour mon seul intérêt,Un présent qui t'offense à celui qui te plaît. Je te rendrai content, sans devenir heureuse,Je voudrais t'acquérir, mais je suis généreuse,Et n'attends pas ton coeur pour t'avoir couronné,Car j'aurais plus acquis que je n'aurais donné.Ainsi de quelque horreur que ma flamme t'anime, Si je n'ai ton amour, j'obtiendrai ton estime,Ou si ma peine est due à ton aversion,Je serai morte, au moins, pour ma punition,Adieu, retiens ces pleurs, que je te vois répandre,J'ai surpris ta pitié qui s'en voulait défendre, Tu viens de t'oublier pour sentir mes douleurs ;Mais s'ils sont dérobés, je refuse les pleurs. ARSACE. Ha ! Madame MÉDONIE, bas à Arsace. Est-ce à moi que ce soupir s'adresse ? ARSACE. De quel côté pencher, amour, pitié, tendresse ? MÉDONIE, bas. Elles parlent pour elle, et vous les écoutés ? Elles veulent ma mort et vous les consultez ? ARAXIE, se tournant (comme elle s'en va) vers Arsace. Serais-tu bien touché d'un remords salutaire ? ARSACE dit la moitié de ce vers à Médonie, et l'autre à sa soeur. Il vous faut obéir, je vais trouver mon frère. SCÈNE III. Araxie, Médonie. ARAXIE. La fureur me saisit, sa mortelle chaleurAgite l'un par l'autre et mon sang et mon coeur, Et ce feu si subit dont mon âme est émue,Éclate dans ma bouche et reluit dans ma vue ;La honte à ce transport, encore se confond,L'une échauffe mon coeur, l'autre rougit mon front,Et comme en son excès la fureur est muette, Le désordre où je suis en devient l'interprète,Ha ma soeur, laisse-moi, je souffrirai bien moins,Quand ma confusion n'aura point de témoins. MÉDONIE, bas. Mon dessein réussit, c'est ici que j'espère. SCÈNE IV. ARAXIE. Et pour toute réponse, il va trouver son frère ! De toutes mes bontés un outrage est le prix !Et son feint repentir ne produit que mépris !À voir jusqu'à quel point l'insolent me rabaisse,Je pourrais oublier que je naquis Princesse,Si mon coeur outragé, qui demande son sang, Ne m'était pas encore un témoin de mon rang.Ingrat plus je t'aimai, plus mon esprit s'irrite»Au dessein de ta perte il s'emporte si vite,Que cent fois ma pensée a prévenu mon bras.Pour te punir plutôt par autant de trépas. Mais que puis-je tenter qui ne me fait contraire ?Mais où je ne puis rien, que ne pourra son frère ?Il m'aime, il veut régner, et je dois l'engager,Par ce double intérêt à vouloir me venger.Quand son obéissance aura servi ma rage, Son pouvoir et son rang apaiseront l'orage. SCÈNE V. Araxie, Pharasmane. PHARASMANE Souffrez que de mes maux je vous puisse parlerM'entendre seulement sera me consoler ;Madame, je vois trop en mon peu de mérite,Du malheur qui m'attend le présage et la suite, Et que par votre choix, du rang où je suis né,Je vais tomber aux pieds, d'un frère couronné :Mais si j'ose alléguer mon rang et ma naissance,Et les profonds respects de mon obéissance,Madame en leur faveur plus propice à mon sort, Avant que de choisir ordonnez-moi la mort.libérale des biens que l'un et l'autre espère,Donnez-moi le trépas, et l'Empire à mon frère,Quelque soit mon bonheur, pour un présent si doux,Arsace assurément n'en sera point jaloux. Je sens que mon repos doit précéder le vôtre,Je ne pourrais vous voir entre les bras d'un autre :Et ce sceptre éclatant que l'on me va ravir,Soulèverait ma haine au lieu de l'asservir.Ma gloire me prescrit de mourir avec elle, De n'être point sujet, pour n'être point rebelle ;Et je dois éviter le malheur sans égal,D'attaquer votre époux pour punir mon rival.Ne pouvant devenir ce que l'amour assemble ;J'aime mieux le sauver que de vous perdre ensemble ; Car je sais que ma rage irait jusques à vous,Puisque étant dans son coeur vous sentiriez ses coups,[Note : Dans l'édition originale et comme il était d'usage parfois, 'Donc' est orthographié 'doncques', ce qui permet de faire un alexandrin.]Donc pour prévenir... ARAXIE, rêvant. Il en perdra la vie. PHARASMANE. Expirer à vos yeux est mon unique envie. ARAXIE. Non, Prince, je m'égare en suivant mon transport, Je parle contre Arsace et demande sa mort. PHARASMANE Quoi sa mort ? ARAXIE. Pour vous voir sans rival et sans maître,Par un coup généreux vengez-moi de ce traître,Et témoignez ainsi de ma gloire jaloux,Ce que peuvent le Sceptre et mon amour sur vous. J'ordonne son trépas que rien ne vous retienne,Prêtez-moi votre main pour obtenir la mienne,Et payant de son sang, et l'Empire et ma foi,Faites de mon vengeur mon époux et mon Roi. PHARASMANE Je ne regarde ici forfait ni récompense, Et ne veux consulter que mon obéissance,Vous l'ordonnez, Madame, et d'un esprit soumis,En vous obéissant je me crois tout permis.Je vais donc le punir d'avoir pu vous déplaire. ARAXIE, continue sans prendre garde à la sortie de Pharasmane. Mais mon amour veut-il ce que veut ma colère ? Elle ose prononcer l'arrêt de son trépas,Et l'amour à l'instant ne le révoque pas ?Contre ce feu nouveau ma flamme est languissante !Je suis son ennemi, et non pas son Amante ?Et lorsque je consens à le faire périr, La crainte de sa mort ne me fait pas mourir.Va, ne me parle plus, ô fureur insensée,Si j'ai peu fait pour toi d'en avoir la pensée.Par quelque grand mépris qu'il ait pu m'outrager,J'en ai trop fait pour moi de m'en vouloir venger ; Prince, qu'il vive donc, et puisqu'enfin je l'aime,Au lieu de l'attaquer, défendez-le vous-même. PHARASMANE. qui rentre. Je vous obéirai, Madame ; il vient ici. ARAXIE. Il y va de ma gloire et de la vôtre aussi. SCÈNE VI. PHARASMANE. Oui, je vais l'immoler, rien ne m'en peut distraire, Je lui pardonnerais s'il n'était pas mon frère,Et si comme mon frère, il n'était mon rival,Et n'avait même droit sur le bandeau royal.Qu'un Roi pour te venger à ma perte conspire,Arsace qu'il m'en coûte et le jour et l'Empire. Je périrai content de mon funeste sort,Si par la tienne au moins j'ai mérité ma mort :Mais dans ce lieu fatal nul témoin ne m'éclaire,Et puisque d'un tel coup accuserait son frère ? SCÈNE VII. Arsace, Pharasmane. ARSACE. Notre malheur est grand, mais il pourra finir, Si du moins une fois nous nous pouvons unir,Le choix que de nous deux on donne à la Princesse,D'une crainte trop juste également nous presse,Et quoi qu'à l'un de nous, il doive être bien cher,Nous n'agissons tous deux qu'afin de l'empêcher. Mais le Roi qui le sait, et qui craint qu'un rebelleNe fasse à la Princesse une injure mortelle ,S'en offense mon frère, et nous vient témoignerQue ce n'est qu'à ce prix que nous pouvons régner,Il vient exprès ici : mais quoi qu'il en ordonne, Demandons à l'envi qu'il garde la Couronne»Et montrons... PHARASMANE, tirant un poignard pour tuer Arsace. Meurs plutôt. ARSACE, lui saisissant le bras. Attenter à mes jours ! PHARASMANE. Ce n'est que d'un moment en prolonger le cours. SCÈNE VIII. Le Roi, Pharasmane, Aarsace. LE ROI, voyant ses deux fils aux prises qui se séparent à son arrivée, et le poignard tombant. Ô spectacle inhumain ! Dois-je espérer ou craindre ?Et suis-je ici venu les sauver ou les plaindre ? N'achevez pas le coup ou je vous ai surpris,Le crime est assez grand de l'avoir entrepris. PHARASMANE. Il veut m'assassiner. ARSACE. Il en veut à ma vie. LE ROI. Donc même fureur vous donnait même envie ?Mais lors qu'à cet excès vous en êtes venus ; Répondez inhumains vous êtes-vous connus :Ou bien n'est-il en vous de vous pouvoir connaître :Que quand vous regardez celui qui vous fît naîtreLe sang qui vous unit de ses plus sacrés noeuds,Par une seule atteinte aurait coulé des deux, Ô que j'ai mal jugé de vos âmes perfides,Je cherchais un Monarque entre deux parricides,Et voulant déposer le Sceptre dans vos mains,J'en partageais l'espoir entre deux assassins.Enfants dénaturés quel démon vous anime ? Il valait mieux souffrir que commettre ce crimeDu coup qu'on vous portait ne vous pouvant troublerDu coup que vous portiez il vous fallait trembler,Plutôt que d'attaquer une si chère vie,Il fallait consentir qu'elle vous fut ravie. J'en aurais un à plaindre, et j'ai pour m'affligerMes deux fils à punir, et pas un à venger.Mais je ne vois qu'un fer ; c'est le vôtre ou le vôtre,Il ne pouvait ensemble attaquer l'un et l'autre,Et du crime de l'un ce complice avéré Est en faveur de l'autre un témoin assuré.Il le rend innocent s'il le fait méconnaître,Et je juge d'ailleurs qu'un de vous le doit être ;Car deux coeurs à la fois n'auraient pu concevoirLe penser seulement d'un attentat si noir ; Mes voeux sont exaucés, j'en ai donc un à plaindre,Et l'un doit espérer, lorsque l'autre doit craindre. À Pharasmane.Tu ne t'en peux défendre, et ton front étonné,Au rapport de mes yeux t'a déjà condamné. PHARASMANE. J'ai de l'étonnement, mon visage le montre, Mais qui n'en aurait pas en pareille rencontre.Où l'oeil comme abusé d'un fantôme imprévu,N'ose assurer l'esprit de tout ce qu'il a vu.Un père me condamne, un frère m'assassine,Et pour me perdre enfin tout mon sang se mutine ; Quel plus grand accident peut troubler mes esprits ?Il faudrait s'étonner si je n'étais surpris ?Et croire qu'à ce coup, mon âme préparée,Se serait à loisir pleinement assurée. LE ROI, à Arsace. Donc perfide c'est toi, donc ce lâche dessein, Aura pu de ton coeur passer jusqu'à ta main.Et ton juste remords ne peut trouver passage,Pour conduire la peur jusques sur ton visage/Sous un front assuré tu caches son bourreau,Mais ta feinte innocence est un crime nouveau. Tu feins d'être innocent pour le rendre coupable,Tu veux que son trépas me paraisse équitable ;Et qu'ainsi l'ordonnant sans en avoir d'horreur,Au lieu de la punir j'imite ta fureur. ARSACE. Que de cette assurance on me loue, ou me blâme, Le visage se meut au mouvement de l'âme,Et si quelque remords agitait mon esprit,On verrait mon forfait sur mon visage écrit.L'innocence l'assure, et dans cette rencontre,Pour être son témoin elle-même se montre, Elle répand sur moi ses plus vives clartés,Pour trouver le coupable en ces obscurités.Mais si l'ambition fait la seule querelle,Qui peut rendre à ce point notre main criminelle.Sire, pourquoi commettre un attentat si noir ? Le choix de la Princesse assurait mon pouvoir,J'allais monter au trône, et le vouloir détruire,N'était que d'un sujet affaiblir mon Empire.La Princesse le sait, on la peut consulter. LE ROI, à Pharasmane. Tu seras criminel si je veux l'écouter. Parle. PHARASMANE. Je crois, Seigneur, qu'il m'a voulu défendre,Car ce font mes raisons qu'il vous a fait entendre.Sire, pourquoi commettre un attentat si noir ?Le choix de la Princesse assurait mon pouvoir ;J'allais monter au trône, et le vouloir détruire, N'était que d'un sujet affaiblir mon Empire.La Princesse le sait, et sans trop me flatter,Je crois que pour ma gloire on la peut consulter.Mais non n'en faites rien, hélas je considèreQu'en me sauvant ainsi, je fais périr mon frère, Que j'assure sa perte en assurant mon sort,Et que mon innocence est le coup de sa mort;J'en ai déjà trop dit, et supprime le reste,J'en craindrais le succès, il lui serait funeste ;Je commettrais ce crime en le désavouant, Et m'en rendrais coupable en m'en justifiant.Mon frère parlez donc, je n'ai rien à répondre, Et veux tout avouer de peur de vous confondre,J'évitai mon trépas qui vous eut fait périr :Mais pour vous conserver je suis prêt à mourir. ARSACE. Certes je suis surpris, cette impudence extrêmeMe pourrait faire entrer en soupçon de moi-même, Et si son attentat ne m'était si présent,Je pourrais oublier que je suis innocent LE ROI. Terminez ce combat où mon âme incertaine Ne voit rien d'assuré que le crime et la haine,Où toujours le coupable est trop avantagé,Puisqu'entre mes deux fils mon coeur est partagé,Avec juste raison il se cache le traître, Et fait qu'en le voyant je ne le puis connaître. Quoi que dans ma tendresse il pût trouver d'appui,Ma rigueur toute entière agirait contre lui ;Qu'il dissimule donc avec plus d'artifice.Et s'obstine au secret par la peur du supplice.Mais qu'il apprenne aussi qu'on lui peut reprocher, Que son crime redouble à le vouloir cacher,Puisque employant la ruse après le force ouverte.De son frère deux fois il hasarde la perte ;Qu'il sache le cruel que mon ressentiment.Doit à ce double crime un double châtiment, Et que deux fois ainsi l'équité me convie,Aux plus sévères lois d'abandonner sa vie.Ces noms de père et fils lui seront superflus,S'il veut être inconnu, je ne le connais plus.Mais il rit en secret alors que je menace : De mon aveuglement il espère sa grâce,Et croit rendre toujours mon courroux impuissant,S'il confond sa fortune avec un innocent ;Mais quelque obscurité dont se couvre ce lâche,Qui me cache mon fils, quand lui-même il se cache, Qui confond sa vertu dans son crime douteux,Et veut qu'au lieu d'un traître on m'en reproche deux.Je saurai le trouver l'assassin de son frère,Qui garde assurément même sort à son père.Et qui pour n'être point parricide à demi, Me hait pour avoir fait naître son ennemi.Que si pour le punir, je ne le puis connaître,Injuste avec raison parla crainte de l'être »Quoi que les droits du sang me veuillent retenir,Sans l'avoir reconnu je l'oserai punir. Je vous perdrai tous deux pour venger l'un ou l'autre,Pour punir votre crime ou pour punir le vôtre,Ou plutôt en bon père, et juge rigoureux, Pour vous venger tous deux, je vous perdrai tous deux.Aussi bien si j'en dois croire votre querelle, D'un si grand attentat la faute est mutuelle ;L'un de vous de sa haine, a fait l'autre l'objet,Mais l'autre à cette haine a fourni de sujet,Et l'amour de vos coeurs également bannie,L'un commença la faute, et l'autre la finie ; D'ailleurs, quoiqu'il en soit, vous m'êtes ennemis ;Car enfin vous vouliez assassiner mon fils. Au Capitaine de ses Gardes.De crainte cependant, qu'aucun d'eux par sa fuiteNe se puisse soustraire à ma juste poursuite,Que Selucie étant leur prison désormais, La Garde s'y redouble aussi bien qu'au Palais. À ses fils.Au surplus inhumains, je vous laisse en la vôtre,Et l'un quoi qu'il en soit me répondra de l'autre. SCÈNE IX. Le Roi, Vologèse. LE ROI. Arsace est innocent, si j'en crois son grand coeur,Ses exploits et son bras de tant de Rois vainqueur ; Mais ce n'est pas assez que seul je l'ose croire,De ce soupçon honteux je dois sauver sa gloire,Employer tous mes soins à la faire éclater,Et ne permettre pas qu'on en puisse douter.Ainsi j'aurai su joindre aux droits de sa naissance, Celui de ses vertus et de son innocence,Et par eux l'élever à l'Empire aujourd'hui,Avecque moins de haine, et plus d'éclat pour lui. VOLOGÈSE. Si vous la consultiez, le Princesse pressée... LE ROI. Elle serait suspecte étant intéressée, Par un autre moyen, je puis me contenter,Ou sinon je pourrai toujours la consulter:Mais allons au Conseil, le genre de l'affaireAvec toutes ses voix veut que j'en délibère,Et je dois me servir de son autorité, Pour mieux exécuter ce que j'ai projeté. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Pharasmane, Araxie. PHARASMANE. Tandis que sur nos jours le Conseil délibère,Je n'accuserai point la rigueur de mon père,Je m'en prends à moi-même et je dois être puni,Non d'avoir commencé, mais d'avoir mal fini. Quand d'Arsace à mes mains vous demandiez la vie,J'ai montré votre haine et ne l'ai pas servie. ARAXIE. Moi j'ai voulu sa mort Princesse ? C'est un abus. PHARASMANE. De vos commandements ne vous souvient-il plus ?Voulez-vous demeurer sans rival et sans maître ? Prince, me dites-vous, vengez-moi de ce traître. ARAXIE. Quand pour vous y porter je vous tins ce discours,Croyez-vous qu'en effet j'en voulusse à ses jours ?Du mouvement confus de mon âme irritée,Ma langue malgré moi se trouvant agitée, J'ordonnai son trépas sans mon consentement,Et pris part au forfait de la voix seulement.Ainsi contre un amant ma haine irrésolueA demandé sa perte et ne la point voulue.Mais vous-même par vous, jugez de mon dessein, Je vous avais choisi pour être l'assassin ;Dans mes ressentiments à moi-même contraintJe n'avais contre un frère employé que son frère.Et je n'avais donné l'ordre de m'en venger,Qu'à celui dont l'amour le devait protéger. Ainsi mon coeur poussé d'une contraire envie,Par le choix du meurtrier prenait soin de fa vie ;Il excitait vos bras à servir mon courroux,Et par ces mêmes bras en détournait les coups,Cette fureur encore à sa perte animée, Y fut par mon amour aussitôt désarmée,Contre elle d'un amant, j'embrassai l'intérêt,Et demandant sa mort j'en révoquai l'arrêt :Le crime est donc à vous, qui voulant l'entreprendre,Avez feint à dessein de ne me pas entendre, Qui pouvez oublier à qui le sang vous joint,Qui paraissez son frère, et qui ne l'êtes point. PHARASMANE. Et bien vous le voulez, pour immoler Arsace,Oui je fermai l'oreille à l'arrêt de sa grâce.Mais ne m'imputez pas que par aversion, Je courusse, Madame, à sa punition.Malgré nos intérêts il fut toujours mon frère ;Aussi n'étant poussé que de votre colère,je crus que justement vous vouliez son trépas,Puisque pour l'en punir vous employiez mon bras ; Je crus qu'à ce forfait votre haine irritée,Par un autre plus grand avait été portée :Et mesurant l'offense à cette impiété,L'excès de son horreur m'en fit voir l'équité.Ne m'accusez donc pas d'avoir pu méconnaître, Celui que de mon sang la nature a fait naître>Entre mon frère et vous me laissant partager,Je l'aimai, mais aussi je voulus vous venger :Et tenant par le coeur à l'amour fraternelle,Ma main contre mon coeur soutint votre querelle, ARAXIE. Si vous aviez voulu me servir seulement,Vous auriez donné moins à mon ressentiment ;Loin de porter si tôt le coup de ma vengeance,Avecque mon amour étant d'intelligence :Vous l'auriez différé pour me faire songer, Qu'aux dépens d'un amant je voulais me venger,Sa vie avec mes jours se trouvant confondue,Au lieu de l'attaquer vous l'auriez défendue ;Mais pour vous assurer de l'Empire et de moi,Vous couriez à la mort d'un rival et d'un roi ; Vous agissiez pour vous assurer du salaire,Pour prétexte à sa mort vous preniez ma colère,Et vouliez l'opposer après ce grand forfait,Au reproche sanglant que je vous eusse fait. PHARASMANE. Et bien si j'ai failli ma perte est légitime, Découvrez tout ensemble et punissez mon crime,Et rendez-vous le Roi doublement obligé,De savoir le coupable, et d'en être vengé. ARAXIE. Je vous accuserais, si mon amour connueMe m'obligeait sans doute à plus de retenue, Je ferais croire ainsi que ce Prince en danger,Par ce lâche moyen s'en voudrait dégager,Ou me ferait parler pour seconder sa haine,Et rejeter sur vous et son crime et sa peine ;J'attends donc que le Ciel vous découvre sans moi... Mais à Dieu je vais voir ce que résout le Roi. SCÈNE II. PHARASMANE. Qu'à sa discrétion, je suis peu redevable,En faveur d'un rival elle m'est favorable ;Mais que me veut sa soeur ? Dont l'amour déguisé,Alors qu'il est déçu croit m'avoir abusé. SCÈNE III. Médonie, Pharasmane. MÉDONIE. Pour perdre le coupable, on fait une injustice,Prince. PHARASMANE. Sur qui des deux doit tomber le supplice ? MÉDONIE. Le dirai-je ? Sur vous. PHARASMANE. Quoi l'on m'opprime ainsi !Princesse on me condamne! MÉDONIE. Et votre frère aussi.Pour trouver le coupable on ordonne... je tremble, Qu'en public aujourd'hui vous combattrez ensemble,Et que vos bras armés pour sa punition,Iront par sa défaite à sa conviction.Cet auguste Conseil, où l'équité préside,Craignant de voir régner un prince parricide, Veut qu'il soit au combat par sa mort convaincu,Et croit que comme lâche il y sera vaincu.Ne pouvant qu'en aveugle ordonner son supplice,Il laisse à l'innocent à s'en faire justice.Et se remet au Ciel, équitable et puissant» De punir le coupable et sauver l'innocent.Ainsi dans le vaincu l'on verra le coupable,Sa défaite rendra son trépas équitable,Et l'innocent enfin trouvé dans le vainqueur,Obtiendra pour son prix la couronne et ma soeur. PHARASMANE. Le Roi donc y consent ? MÉDONIE. Jugez-en par ma plainte,Le Roi qui par serment s'imposa la contrainte ;De permettre au Conseil, quoiqu'il put ordonnerEst forcé maintenant de vous abandonner.Et pour voir le succès d'un combat si barbare, Toute la Cour s'assemble et le champ se prépare.Mais Arsace m'offrant de ne combattre pas,À ma prière aussi mettez les armes bas,D'un et d'autre collé mon sort serait à plaindre,J'aurais pour mon supplice également à craindre Que vaincu par Arsace, ou d'Arsace vainqueur,Mon Amant n'y périt, ou n'épousât ma soeur.D'ailleurs comme le sort vous peut être contraireVous traiteriez d'égal avecque votre frère :Qui pouvant l'obtenir du succès de ses coups, Serait encor du trône aussi proche que vous. PHARASMANE. Adieu, laissez-nous seuls, je le vois qui s'avance. SCÈNE IV. Arsace, Pharasmane. ARSACE. On veut que le combat montre notre innocence?Mais si vous m'en croyez, tous deux prêts à périr,Avant que de combattre on nous verra mourir, On peut faite verser, et mon sang et le vôtre,Mais non pas nous contraindre à périr l'un par l'autre,Car nos mains qu'on destine à cette cruautéRelèvent seulement de notre volonté ;Allons donc appeler d'un arrêt si sévère, Des rigueurs du Conseil aux tendresses d'un père,Ou manquant au devoir pour ne le pas trahir,Faisons une vertu de lui désobéir ;L'amour qu'également nous lui ferons paraître,Quelque rigueur qu'il ait le fléchira peut-être, S'il veut punir en nous deux mortels ennemis,Il y protégera deux véritables fils.Quoi qu'exigent de lui nos discordes passées,Par ces marques d'amour les croyant effacées,Il aimera bien mieux nous laisser impunis, Qu'ordonner le combat à deux frères unis.Notre amour lui rendra notre faute incroyable,De l'avoir osé croire il se croira coupable,La prenant pour un songe, il croira que ses sens.Déposent devant lui contre deux innocents. PHARASMANE. Enfin de ce combat injuste ou légitime,Vous voulez éviter le péril et le crime ;Mais moi je cours au crime afin de me venger,Et cherche le péril pour vous mettre en danger. ARSACE. Quand j'ai cru que dans vous l'amour pourrait renaître, Je me suis aveuglé jusqu'à vous méconnaître ;Mais vous voyant rebelle à ses plus saintes lois,Mon erreur se dissipe et je vous reconnais. PHARASMANE. Allons donc au combat, ou ma haine s'apprête,Si vous me connaissez quel remords vous arrête. C'est être généreux et non dénaturé,Que vouloir triompher d'un ennemi juré ;Ma fureur lorsqu'aux mains, on verra l'un et l'autre,Éclatant la première excusera la vôtre,Et du crime, aussi bien, qui vous transit d'effroi, L'acte le plus sanglant, s'achèvera par moi. ARSACE. D'un si frivole espoir vous devez vous défendre,Comme vous du combat je pourrais tout attendre,Me promette les biens dont il me peut combler ;Mais pour y consentir, il faut vous ressembler, Que le sort vous est doux ! Celui qu'il vous oppose,Pour vous contre lui-même entreprend votre cause. PHARASMANE. Il est vrai que le sort ne peut m'être plus doux,Dans tous mes intérêts, il prend part contre vous ;Du coup qui fut un crime, il fait une victoire, Il veut qu'un attentat s'achève avecque gloire ;Et par l'ordre du Roi nous faisant ennemis,Pour m'en récompenser veut qu'il me soit permis :Du fait que j'en attends il sépare la honte,Pour en rendre la joie, et plus grande et plus prompte, Il fait combattre et vaincre en même occasion,Mon amour, ma fureur, et mon ambition.Il donne tout ensemble au désir qui me presse,Votre mort et l'Empire avecque la Princesse.Et croirait avoir fait trop peu pour mon bonheur Si vous ôtant la vie, il vous laissait l'honneur ;Absous et couronné par ma propre victime,Au sort de l'innocent j'attacherai mon crime ;Et triomphant de vous et de votre renom,Je serai l'assassin même de votre nom. Mais parmi tant de biens que sa faveur m'envoie,Un secret déplaisir empoisonne ma joie,Comme nous combattrons de tant d'yeux éclairés,Mes efforts contre vous seront plus modérés,Ma haine triomphante et non pas assouvie, Bornera votre peine à vous ôter la vie.À quelque humanité mon coeur sera contraint,Et vous épargnera pour montrer qu'il vous plaint. ARSACE. Sans me régler sur vous, je suis toujours le même,Et si vous haïssez, un frère, qui vous aime, Quelque ressentiment qui me doive animer,J'aime un frère inhumain qui ne me peut aimer,Ainsi loin qu'au combat votre haine m'engage,Je vais en l'évitant signaler mon courage,Et du Roi noblement mériter le courroux, Plutôt que de vous perdre ou de périr par vous. PHARASMANE. Voulez-vous en effet m'en épargner le crime ?Faites-vous un effort plus grand, plus magnanime. ARSACE. Comment donc ? PHARASMANE. Dans le camp à vous-même inhumain,Tomber dessous l'effort de votre propre main. ARSACE. Ha cruel ! PHARASMANE. C'est ainsi que vous pourrez me plaire,Soyez votre ennemi, je serai votre frère. ARSACE. Pour vous ôter un frère il vous faudrait trahir ? PHARASMANE. Hé bien je vous perdrai pour ne vous plus haïr. ARSACE. Adieu, votre fureur moins forte en mon absence, Vous y fera penser avec plus de prudence. SCÈNE V. PHARASMANE. seul. Je l'invite au combat que je veux éviter,Mais il croirait faillir s'il m'osait imiter.Pour y pouvoir entendre il a trop de tendresse,Ou comme moi peut-être il en connaît l'adresse Il voit qu'on veut trouver au combat proposé,L'innocent dans celui qui l'aura refusé.Mais voici... SCÈNE VI. Le Roi, Araxie, Pharasmane, Vologese. LE ROI. Prenez-y moins de part que leur père. ARAXIE. Ha ! Sire, révoquez un arrêt si sévère,Qui m'arrachant un bien que j'ai reçu de vous, À l'effort de vos fils expose mon époux. LE ROI. Vous aurez le vainqueur. ARAXIE. Je serai le salaire !De celui qui sera l'assassin de son frère ?Et qui digne plutôt d'un second châtiment,Aura peut-être encore immolé mon amant ? Ne l'espérez jamais, mon amour, ou ma gloireNe pourrait s'accorder avecque sa victoire ;Mais, Sire, est-ce un effet de l'amour paternelQue d'exposer un fils pour perdre un criminel ?Jugez-vous du devoir d'un monarque équitable ? D'en vouloir faire deux pour trouver un coupable ?Ils feront en public ce qu'ils tenaient caché,L'innocent par contrainte à son frère attaché,Deviendra criminel pour mériter sa grâce,Et de son assassin sur passer à l'audace. Ha ! Ce crime où l'on veut animer leurs esprits,Est plus grand que le crime où l'on les a surpris.Vous osez nous promettre un Roi de leur querelle,Mais craignez qu'à tous deux elle ne soit mortelle,Ils seront pour régner même effort, mêmes voeux, Et ne pouvant se vaincre ils périront tous deux,Leur fureur ne sera qu'un effet de la vôtre.Ils périront par vous, et non pas l'un par l'autre,Par vous qui les forcez à ce lâche attentat,Et qui les combattrez sans aller au combat. Mais s'il un est vainqueur il doit avoir l'Empire ;Sire, que faites-vous ? Vous couronnez le pire,Qui devant sa grandeur à l'effort de ses coups,En sera revêtu sans la tenir de vous.Tous deux également se plaindront de leur père ; L'un y perdra le jour, l'autre y perdra son frère. LE ROI. Princesse à vos raisons la nature s'émeut,Et mon courroux incline à tout ce qu'elle veut,Ils ne combattront point. ARAXIE. Ha, Sire! LE ROI. Mais Princesse,Quelque soupçon encor s'oppose à ma tendresse ; Permettez qu'avec eux un secret entretien,Me découvre leur coeur et leur montre le mien.Allez ! Conduisez-là Princesse et lui rendez grâce,Puis revenez ici ; Ce demi vers au Capitaine des Gardes.Vous ! Appelez Arsace. SCÈNE VII. Le Roi, Vologèse. LE ROI. Son ennui par l'espoir se trouvant apaisé, Précipitons l'effet d'un combat supposé,Celui qui le fuira, loin, de passer pour lâche,Sauvera son honneur d'une éternelle tache,Si quoiqu'on lui propose, il refuse aujourd'huiDe combattre son frère animé contre lui, Je pourrai bien penser, que toujours magnanime,Il n'eut d'ambition que noble et légitime,Et que contre son frère il a moins entrepris,Puisqu'il fuit ce combat quand le Sceptre est son prix.De l'autre je croirai par un effet contraire, Qu'il voulut lâchement assassiner son frère.Puisqu'on l'aurait en vain au combat excité,Si ses propres fureurs ne l'avaient emporté.Lors je le punirai de m'avoir crut capableDe voir entre mes fils ce combat effroyable, Comme si de le voir il m'eut été permis,À cause que je sois le père d'un tel fils.Les voici. SCÈNE VIII. Le Roi, Pharasmane, Arsace, Vologèse. LE ROI, à Pharasmane. Du combat que juge la Princesse. PHARASMANE. Ce qu'elle doit juger après votre promesse. LE ROI. J'ai promis de le rompre afin de l'apaiser, Mais le Conseil l'ordonne, il s'y faut disposer,Sa rigueur à ce prix met l'oubli de vos crimes,Et puisqu'elle vous rend ennemis légitimes,Poursuivez la Victoire avec tant de chaleur,Qu'on ne soit étonné que de votre valeur. [Note : Dans l'édition 1666, le vers 911 est difficile à lire et à interpréter.]Si la fortune à l'un refuse l'avantage,Que l'autre soit au moins son égal en courage,Et montrez que mon sang entre vous départi,Soutient également l'un et l'autre parti,Au moins tenant ainsi la victoire incertaine, Vous aurez différé votre mort et ma peine,Et devant qu'en voir un coupable et malheureux,J'aurai vu mes deux fils plus longtemps généreux.Ne considérez pas qu'au point où je vous aime,Vous combattrez chacun contre un autre moi-même, Et que m'intéressant, et pour vous, et pour vous,Mon coeur sera toujours au milieu de vos coups,Figurez-vous plutôt que ma haine équitableA séparé de moi le père du coupable,Qu'ainsi pour le vainqueur tout doit être permis, Que sans m'en ôter un, il me rendra mon fils,Que ce commun vengeur loin de m'être funeste,Conservera le sang le plus pur qui me reste,Perdra le criminel loin de le devenir,Et sauvera sa gloire au lieu de la ternir. PHARASMANE. Mais, Sire, le combattre ! LE ROI. Il est ton adversaire. PHARASMANE. En un tel ennemi je ne vois que mon frère. ARSACE. Réglant mes sentiments sur ceux que vous prenez,Sire je combattrai si vous m'y contraignez. LE ROI. Qu'entends-je il y consent ! ARSACE. Mais je n'ai rien à craindre Car mon père est trop bon pour m'y vouloir contraindre. LE ROI, à Pharasmane. Crains-tu d'être vaincu ? PHARASMANE. Moins que d'être vainqueur. LE ROI. Ton crime est avéré par ton manque de coeur. PHARASMANE. Étant moins innocent je serais moins timide,Je n'ai jamais appris à faire un parricide. LE ROI. [Note : À partir d'ici, jusqu'au vers 9XX, ce passage n'est pas présent dans l'exemplaire de Gallica mais est présent en carton dnas l'exempliare d ela Bibliothèque Mazarine (relevé par Anne Tannhof lors de son master à la Sorbonen Paris IV).]Lâches, dédaignez-vous de commettre un forfaitQui ne vous paraît plus être tel en effet ?Ou la peur du péril, entre vous mutuelle,Aurait-elle accordé votre injuste querelle ?Seriez-vous ennemis lorsqu'il se faut aimer ? Ou frères seulement lorsqu'il se faut armer ? ARSACE. J'évite le combat qui serait une peine,Pour celui de nous deux qui combattrait sans haine. LE ROI. Est-ce une illusion ? Est-ce une vérité ?Qui joint tant de tendresse à tant de cruauté ; Doncques, sur l'offensé la nature préside,Et le frère est d'accord avec le parricide.Il respecte un coupable au mépris de son Roi,Et n'osant se venger, il entreprend sur moi.Doncques son assassin, qui le fait méconnaître, se veut dire innocent, et refuse de l'être.Il en fuit le moyen, il n'ose l'accepter,Et craint de faire un coup qu'il a voulu tenter.La haine qui vous perd, et qui vous déhonore,Ne devait point agir que pour agir encore. Vous deviez inhumains, pour paraître mes fils,Ou courir au combat, ou demeurer amis. ARSACE. L'un des deux est au moins digne de votre estime. PHARASMANE. L'un des deux fait au moins un refus légitime. LE ROI. L'un des deux est mon fils, mais sa timidité Le dégrade en secret de cette qualité.Jusqu'ici m'accusant d'avoir produit un traître,J'en crus l'un innocent, et l'espérai connaître ;Mais quand je cherche en vous ce fils que vous m'ôter,J'y trouve seulement deux enfants révoltés, Et j'apprends pour le moins d'un refus si timide,Que deux lêches en vous cachent un parricide ;Et comme l'un et l'autre est indigne de moi,J'y trouve le supplice et d'un père et d'un Roi ;Allez monstres cruels, sortez de ma présence, Et n'espérez de moi ni pitié ni clémence,Si l'innocent m'inspire un sentiment plus doux,Le coupable aussitôt réveille mon courroux,Et pour dire en un mot jusqu'où va ma colère,Si je ne vois mon fils, vous n'avez plus de père. SCÈNE IX. Le Roi, Vologèse. LE ROI. Mon attente est trompée, et je ne puis juger ;Qui des deux est celui dont je me dois venger,Mais le Ciel me fait grâce, en me faisant outrage ;L'innocence de l'un à tous deux se partage,Et semant d'un obstacle au courroux paternel, Pour me sauver un fils me cache un criminel,Mais quoi ! Je n'ai pour eux ni tendresse ni haine,Oui une et l'autre, enfin, est pour eux incertaine. VOLOGESE. Sire, pour vous tirer de ce doute confus,Consultez la Princesse et ne différez plus ; Tous deux sur sa faveur fondent leur innocence,Et peuvent s'en flatter avec quelque apparence,Amante en vain de l'un quand l'autre est son amant,Elle a pu choisir l'un, et l'autre également,Mais sachez vers lequel sa raison et sa flamme, Ont fait pencher ensemble et l'Empire et son âme. LE ROI. Puis-je de son aveu me promettre aucun jour ?Puisque l'un à sa haine et l'autre son amour ?Sa haine ou son amour s'exprimant par sa bouche,Augmenteront mon trouble, et l'ennui qui me touche, Voyons-là toutefois, je conçois un dessein,Qui la pourra contraindre à nous ouvrir son sein,Qui surprendra mes fils et servira peut-être,Ou par l'un ou par l'autre à les faire connaître.Contre mes sentiments promettant à l'aîné, Qu'avecque la Princesse il sera couronné,Je vais de son rival lui demander justice,Les observer tous trois, et par cet artifice,Contraire et favorable à tous leurs intérêts,Voir dans leurs actions leurs sentiments secrets ; Allons donc consulter la Princesse, et résoudre,Sur qui d'eux tombera la Couronne ou la foudre. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Araxie, Le Roi, Pharasmane, Arsace. ARAXIE. Oui je leur ai promis et l'Empire et mes voeux,Mais n'en abusant qu'un, j'en ai cru servir deux.Comme l'ambition de mon choix incertaine, À de sanglants effets eut pu porter leur haine,J'ai dû tout leur promettre et par cet intérêt,Les disposer sans trouble à subir mon arrêt. LE ROI. Ha ! si vous avez craint qu'une haine obstinée,Ne voulut avant vous faire leur destinée, Vous en avez connu le principe caché,Vous savez qui des deux en est le plus touché.Vous voyez l'innocent et pour le rendre au père,Pouvez le séparer de son coupable frère.Vous le reconnaissez au plus certain espoir, Que du sceptre par vous il a pu concevoir,Nommez-le donc, Princesse, et rendez légitime,Mon amour qui pour lui n'est maintenant qu'un crime.Et si vous me plaignez en ce double malheur,D'être père sans fils, et Roi sans successeur : Donnez pour mon repos en le faisant connaître,Un fils à ma famille, à mon état un maître. ARAXIE. Je l'ignore, Seigneur, et veux bien l'ignorer,Pour n'être point contrainte à vous le déclarer,Si je l'avais nommé de sa gloire ennemie, J'aurais à son triomphe ajouté l'infamie,Je l'aurais fait rougir de la honte de voir,Son frère convaincu d'un attentat si noir ;Je vous aurais réduit au sort inévitable,Ou de haïr un fils ou d'aimer un coupable, De vouloir son supplice ou son impunité,D'avoir trop peu d'amour ou trop peu d'équité.De manquer au devoir ou de juge ou de père,De condamner un Prince en qui l'État espère,Ou de lui réserver par une injuste loi, L'ennemi de son frère ou celui de son Roi :Mais cherchez votre fils seulement en vous-même,Et lui voulant céder la puissance suprême,Pour ne vous point tromper en ce doute confus,Honorez-en celui que vous aimez le plus : Sa vertu qui sans doute et plus vive et plus pure,À vous le faire aimer seconda la nature ;Cette même vertu peut encore aujourd'huiArrêter votre estime et vos faveurs sur lui ;Puisque pour inspirer un si grand parricide, La rage est impuissante où la vertu préside :Joint que l'amour des Rois, comme il importe à tous,Par le mérite seul est attiré sur nous ;Le Ciel qui les gouverne en leur âme l'inspire,Il empêche leurs sens de les pouvoir séduire, En affaiblit l'amorce et permet rarementQue leur faveur se donne avec aveuglement.Si vous l'aimez en fils, il est digne de l'être,Croyez-en cet amour que les Dieux ont fait naître,Et ne permettez pas qu'un aveugle courroux, Démente votre coeur qui le connaît pour vous. LE ROI. Hé bien à vos avis je défère, Princesse,Et si pour l'un des deux plus d'amour m'intéresse,Comme digne en effet et du sceptre et de moi Je vais le reconnaître et pour fils et pour Roi. Mais si par cet amour fatal à l'innocence,Je donne au criminel la suprême puissance :Comme complice enfin de mon aveuglement»Craignez que ses effets n'en soient le châtiment.Adieu, dans un moment vous en serez instruite, Et de votre Conseil vous apprendrez la suite. SCÈNE II. Araxie, Arsace, Pharasmane. ARAXIE, à Arsace. Ainsi tout vous succède, et son affectionVa remplir mon attente et votre ambition,Espérez tout de lui, Prince, il vous considère,Moins en juge irrité qu'en véritable père, Et ne déferre plus à ce devoir forcé,Qui pour votre rival le seul intéressé.Je le rappelle à vous par lui je vous couronne,Et lui rends à dessein le pouvoir qu'il m'en donne.Non qu'avec déplaisir je n'en cède l'honneur, Et ne diffère ainsi votre propre bonheur.Mais, Prince, en vous nommant j'eusse fait violenceÀ ce droit qu'à vous-même attacha la naissance.Et mon amour trop vain eut semblé témoigner,Que par lui seulement vous eussiez pu régner. Le sceptre en le prenant de la main d'un monarqueSera de vos vertus une plus belle marque ;Et montrant ce qu'il croit de ce Prince et de vous,L'heur de le posséder vous en sera plus doux.Mais quoi que mon respect vous soit si favorable Prince, ne croyez pas m'en être redevable,Ce respect eût-il fait plus pour vous que pour moi,J'en mets la récompense à vous avoir pour Roi.Adieu. SCÈNE III. Pharasmane, Arsace. PHARASMANE. Si je l'en crois c'est en vain que j'espèreMais j'ai lieu d'espérer, si j'en dois croire un père, Il est père, il est Roi, l'amour et l'équité,Dispenseront ses voeux avec égalité.Si pour vous toutefois sa faveur déclarée,Rend par votre bonheur ma disgrâce assurée,Achevez de me perdre, et terminant mon sort, De mes droits usurpés hérités par ma mort.J'attends comme un bienfait et non comme un suppliceCe coup de votre haine ou de votre justice :Empêchez que manquant à ce que je vous dois,Je n'attaque en vous seul et mon frère et mon Roi : Et qu'enfin... ARSACE. Ha ! Quittez cette espérance vaine,D'animer contre vous ma justice ou ma haine,J'en serai toujours maître et toujours généreux,Je ne refuserai que la mort à vos voeux.Mais quelqu'un vient... SCÈNE IV. Médonie, Pharasmane, Arsace. MÉDONIE. Le Roi contre toute apparence, N'a pas tenu longtemps votre sort en balance,Sans crainte et sans remords il en fait l'un heureux,Et traite avecque l'autre en père rigoureux,Il promet à même heure et nous donne un Monarque,Et fait voir aisément à cette illustre marque, Quoiqu'il ait témoigné d'en douter aujourd'hui,Qu'il a toujours connu le plus digne de lui. PHARASMANE. 'Auquel donc ?... MÉDONIE. Recevez auecque mon hommage,Du choix qu'il fait de vous en premier témoignage.Il vous éleve au trône et veut que dés demain, Pour y placer ma soeur, vous lui donniez la main,Et tandis que pour vous il agit auprès d'elle,Je viens annoncer cette heureuse nouvelle. PHARASMANE. Il sait ce qu'il doit faire, et juste au plus haut point,Jugeant même au hasard il ne s'abuse point ; Mais j'en ferais douter, si ma haute fortuneNe vous était, mon frère, avecque moi commune,Et si mon amitié ne faisait voir ainsi,Qu'alors qu'il me couronne, il vous couronne aussi.Donc par mon amitié commençant à connaître, Combien peu justement vous me craigniez pour maître :Mon frère recevez ma parole et ma foi,Que dans le Trône unis, nous ne ferons qu'un Roi,Et que de ma grandeur le plus grand avantage,Ne sera que d'en faire un si noble partage. À mon exemple, Prince, oubliez le passé,Et ne me craignez point pour m'avait offensé »Mais s'il nous faut unir d'une nouvelle étreinte ,Pour rendre plus auguste une amitié si sainte,Quand j'épouse Araxie, épousez-en la soeur, Par elles aimons-nous avecque plus d'un coeur,Et comme par le sang, frères, par l'hyménée,Tenons d'un double noeud la discorde enchaînée,Consentez-y, Princesse, et comme moins heureux,Par l'ordre du Roi même il doit avoir vos voeux, Couronnez son amour au défaut de la mienne ;Donnez-lui votre main, et recevez la sienne. ARSACE. J'avais cru que le Sceptre en vos mains affermi ;Me ferait de mon frère un puissant ennemi ;Et je vois cependant qu'il me fait au contraire, D'un ennemi puissant un véritable frère.Ha ! Prince, de quel bien plus longtemps souhaité,Me pouviez-vous payer celui qui m'est ôté.J'ose mettre en balance avecque la Couronne,L'heur d'être aimé de vous que sa perte me donne, Non que quelque soupçon ne me doive alarmer,De vous voir si facile, et si prompt à m'aimer ;Mais je n'écoute ici ce soupçon téméraire,Que comme un imposteur qui s'attaque à mon frère.Et qui de ma raison voulant s'autoriser, N'embrasse mon parti que pour nous diviser,Que m'en promettre aussi, qu'amour et que tendresse,Lorsque voulant m'unir avec cette Princesse,Il veut aux droits du sang joindre de nouveaux droits,Et m'avoir pour son frère une seconde fois. Mais de cette bonté que dois-je enfin attendre ?Madame, c'est de vous que je le dois apprendre,Qu'à cet instant fatal... MÉDONIE. C'est trop peu d'un instantPour résoudre un hymen à ce point important.Un peu plus à loisir permettez que j'y pense, Que je me donne à vous avecque connaissance,Et qu'ainsi mon amour m'en imposant la loi.Avecque plus d'éclat vous assure ma foi.Ici comme sujette aux voeux d'un grand Monarque,Je dois de mon respect cette dernière marque, Mais comme amante aussi, je dois vous faire voir,Que mon amour s'accorde avecque mon devoir. ARSACE. Oserai-je le dire ? Une raison si vaineNe montre pour mes feux que mépris et que haine :Vous fuyez un hymen dont les funestes noeuds, Uniraient votre sort au sort d'un malheureux. MÉDONIE. Prince, quoi que sensible à l'ennui qui vous touche,Ma pitié fasse effort pour me fermer la bouche,De tant de lâcheté me voyant accuser,Je vais me découvrir et vous désabuser. Mais si je vous déplais par cet aveu sincère,Songez que l'honneur seul m'engage à vous déplaire,Et que tout intérêt devant céder au sien,Je ne m'attaque à vous qu'en défendant le mien.Si je voyais en vous cette vertu reluire, Qui vient à votre aîné de disputer l'Empire,Dans votre abaissement aux pieds d'un souverain,Je tiendrais à bonheur de vous donner la main :Mais en vous désormais ; ne voyant plus Arsace,De mon premier amour le souvenir s'efface, Ne vous connaissant plus je puis m'en dégager,Et votre changement m'autorise à changer.Ce sont des sentiments que mon devoir m'ordonne,Je trahirais déjà le Roi que l'on me donne,Si par un lâche hymen je pouvais m'asservir À celui dont le bras nous la voulut ravir,Et si de mon devoir aujourd'hui peu jalouse,De son propre ennemi je devenais l'épouse.Il peut vous pardonner au lieu de vous punir ;Mais de votre attentat je me dois souvenir, Et malgré ses bontés à vos désirs cruelle,Par ma rébellion lui demeurer fidèle.Je sais qu'avec tant d'art vous l'avez su cacher ;Qu'on paraît comme injuste à vous le reprocher,Mais je sais bien aussi qu'un frère magnanime Même par son pardon présuppose le crime,Et d'ailleurs que pour vous un père rigoureux,De votre abaissement vous fait un sort honteux.Arbitre de ses fils, cet équitable père,Ou le droit est égal à la vertu déferre. Il veut feindre pour vous, mais l'amour paternelNommant son successeur nomme le criminel.Et sur le front de l'un la couronne affermie,Le couvre enfin de gloire, et l'autre d'infamie.J'en crois donc ce qu'il pense et dois plus l'écouter; Plus l'amour fait effort à m'en faire douter.Pour me cacher en vous ce que j'y vois d'aimable,Je dois vous regarder seulement en coupable,Opposer votre crime à mes voeux les plus doux,Et par l'horreur du crime en concevoir pour vous. PHARASMANE. C'est vouloir retrancher des effets de ma grâce,Que de lui reprocher un forfait qu'elle efface. ARSACE. Que ces fausses couleurs de générositéOnt peine à déguiser votre infidélité !Je la connais, Madame, et vois votre espérance ; Mais enfin mon respect m'impose le silence,Et quoi qu'à ma douleur inspire mon courroux,Je remets à mon frère à me venger de vous.Je vais à votre soeur avecque mon hommageRendre de mon respect ce premier témoignage Et me justifiant de mon refus passé,M'arracher aux remords dont je me sens pressé. SCÈNE V. Médonie, Pharasmane. MÉDONIE. Est-ce ainsi que pour moi votre amour s'intéresse. PHARASMANE. C'est ainsi que contraint d'épouser la Princesse,Par mon frère je veux devenir votre époux, Et vous unir à lui pour m'attacher à vous.Que puis-je faire plus! MÉDONIE. Être à moi par vous-même ;Car que ne peut l'amour en un pouvoir suprême?Empêchant qu'à vos voeux on ne fasse la loi,Témoignez en effet qu'on vous a nommé Roi, Fuyez le déshonneur de vous laisser contraindre,Et devant être craint, ayez honte de craindre. PHARASMANE. Subir en les donnant la contrainte des lois,Et craindre d'être injuste est la gloire des Rois :Lorsque l'on fait en moi régner le droit d'aînesse, Dois-je l'assujettir moi-même en la Princesse ?Faisant plus que le Roi ne s'est jugé permis,Vous soumettrai-je ainsi l'arbitre de ses fils ?Celle qu'il m'a choisie et pour femme et pour Reine ?Et dont lui-même encore il fait sa souveraine ? Non, non, je suis amant, mais Monarque en ce jour,Je dois tout à ma gloire et rien à mon amour. MÉDONIE. Ha ! Vous devez plutôt comme Roi magnanime,Protéger cet amant qu'en vous-même on opprimeN'avez-vous pas prévu, pour m'aimer et régner, Que vous auriez en fin ma soeur a dédaigner ?Cependant aujourd'hui me serez-vous contraire ?Ferez-vous moins pour moi que n'a fait votre frère !Il refusa ma soeur et d'en être fait Roi,Refusez seulement la Princesse pour moi. PHARASMANE. D'un trop indigne prix son amour est suivie,Et je vous connais trop pour en avoir l'envie.C'est avec beaucoup d'art que vous dissimulez,Mais votre feinte éclate au feu dont vous brûlez ?Sans s'arrêter à nous, il monte à la couronne, Et c'est pour l'acquérir que votre amour se donne ;Vous nous avez aimé tant qu'un espoir douteux,Avec notre espérance a partagé vos voeux ;Mais quand de mon rival la disgrâce est certaine,Quoi qu'il vous soit fidèle, il est digne de haine, Et reçoit le mépris qui m'était destiné,Si pour m'en affranchir je n'étais couronné.J'ai feint jusques ici de ne le pas connaître ;Mais mon sort a changé, je dois agir en maître,Et quittant des respects qu'on doit avoir pour moi, Témoigner en effet que l'on m'a nommé Roi. MÉDONIE. Oui le reproche est juste, et je dois y souscrire.J'aimais ce Prince et vous pour m'assurer l'Empire ;Mais soumise à tous deux par mon ambition,Je ne l'étais à vous que par affection, Sans quitter un parti, je m'attachais à l'autre,Je craignais son bonheur et désirais le vôtre,Je vous faisais l'objet de mes voeux les plus doux,Et demandais aux Dieux de régner avec vous ;Ainsi par mon orgueil mon amour combattue, En était ébranlée, et non pas abattue,Je vous manquais de foi sans infidélité,J'accordais l'inconstance avec la fermeté ;Mais plus elle eut d'ardeur, plus ma flamme outragée,En un feu de courroux s'est aisément changée. Je cours à la vengeance et loin de craindre un Roi,Un Roi pour ma victime est plus digne de moi :Aussi bien désormais confuse et mépriséeDe deux Princes trahis la haine et la risée,Et si loin de ce trône où je devais monter... Mais le Roi vient. PHARASMANE. Qui soit n'est point à redouter. SCÈNE VI. Le Roi, Pharasmane. LE ROI. Enfin votre innocence avec le droit d'aînesse,Vous assure aujourd'hui le sceptre et la Princesse,Car pour vous mon amour plus tendre et plus puissant,Prince défend vos droits et vous rend innocent ; Mais pour justifier un Roi qui vous couronne,Servez-vous justement du pouvoir qu'il vous donne,Montrez que ma justice, aussi bien que mon sang,Vous élève en mon coeur pour monter à mon rang.Si vous ne l'êtes point, votre frère est coupable, Comme votre grandeur sa peine est équitable ;Et si Roi contre vous j'ai dû le maintenir,Quand vous êtes son Roi vous le devez punir.Donc soumis par le sceptre à m'en faire justice,Comme j'ai fait du prix ordonnez du supplice. Et du foudre des Rois vous armant contre lui,De le lancer moi-même, épargnez-moi l'ennuiDevant partir des mains ou de l'un ou de l'autre,La mienne justement s'en remet à la vôtre :La Nature dans vous moins forte que dans moi, Vous y fera résoudre avecque moins d'effroi,Puisqu'un frère immolé par la rigueur d'un frère,La blesse moins qu'un fils immolé par un père ;Par un autre intérêt vous y serez forcé,Vous serez plus sévère étant plus offensé, En vous le souvenir de sa rage inhumaine,Au secours du devoir appellera la haine,Et témoin de son crime ordonnant son trépas,La peur de vous tromper ne vous retiendra pas. PHARASMANE. Tout prêt à faire voir... LE ROI. Imposez-vous silence, Et soit que par respect ou que par déférence,Vous couriez à sa mort toute juste qu'elle est,Avant que d'y penser n'en donnez point l'arrêt.La justice à pas lents doit conduire au supplice,Et quand elle est trop prompte elle n'est plus justice. Acquérez-vous l'honneur par ce retardement,D'avoir comme à regret conclu son châtiment ;Et vous montrant vous-même à vous-même contraire,Soyez frère indulgent, et Monarque sévère. À Vologèse.Tandis que sur sa haine il se va consulter, Pour m'en instruire mieux, s'il l'a fait éclater,La Princesse par moi de son hymen pressée,Peut-être à s'expliquer se trouvera forcée. SCÈNE VII. PHARASMANE. Non, non, tiens-toi cachée, ou pour paraître au jour,Ma haine emprunte ici la forme de l'amour ; Trompe les yeux du Roi qui te flatte peut-être,Et te livre un rival pour te pouvoir connaître,Ben mieux par cet amour, où je me dois forcer,Je trouverai ce coeur que je lui veux percer ;Arsace si je viens pour flatter ton attente, De t'offrir ma faveur avecque ton amante,Je te tiendrai parole, et veux que mon pouvoir,T'élève à ce bonheur, mais pour t'en faire choir :Et qu'en toi ma faveur donnant prise à ma rage,Elle t'acquierre tout pour t'ôter davantage. Mais voyons Médonie, et l'allons disposerPar de nouveaux mépris à vouloir l'épouser,Dédaignons son amour, et faisons qu'en son âmeLa colère allumée en éteigne la flamme.Tout mon bien en dépend : par cet hymen fatal Je me délivre d'elle, et combats mon rival,Je le rends plus suspect,par ces devoirs de frère,Je lui parais plus doux que le Roi ne l'espère,Et j'engage Araxie en perdant son amant,À vouloir m'écouter plus favorablement : Allons donc ajouter ce qui manque à ma gloire,Et faisons d'une seule une triple victoire. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Arsace, Araxie. ARSACE. Des fers de Médonie étant donc dégagé,Je vous soumet un coeur qui n'est point partagé,Et monstre en mon amour, si grand de sa naissance, L'effort impétueux de ma reconnaissance.Mais comme en un destin si triste et rigoureux,J'ose jusques à vous faire monter mes voeux :Punissez mon audace et rendez-vous justice,Ordonnez que mes feux deviennent mon supplice, Et que de leur ardeur me laissant dévorer,Je vous aime toujours sans jamais espérer. ARAXIE. Non, non, espérez tout. SCÈNE II. ARAXIE. Ô Ciel ! Quelle nouvelle,Arsace est repentant, et ma soeur infidèle,Je trouve mon vaincu dans mon propre vainqueur, Et ma rivale enfin dans ma perfide soeur ;Mais Vologèse vient, et porte en son visageDe quelque grand malheur le sinistre présage. SCÈNE III. Araxie, Vologère. VOLOGESE. Ha ! Quelque grand qu'il soit il semble seulementQu'il n'est de nos malheurs que le commencement ; Que je viens annoncer de grands sujets de plainte,Que vous allez prévoir de grands sujets de crainte. ARAXIE. Qu'est-ce ? VOLOGESE. Un assassinat dont l'horreur me transit. ARAXIE. De cet évènement faites-moi le récit ;Souffrir est moins que craindre une peine infinie. VOLOGESE. Ayant ordre du Roi d'assurer Médonie,Que comme il unissait Pharasmane avec vous,Il voulait lui donner Arsace pour époux :J'allais l'en assurer, et de cette nouvelle,Même avant son bonheur, faire un bonheur pour elle, Lorsque je l'ai trouvée en son appartement :Mais hélas... ARAXIE. Poursuivez. VOLOGESE. Vous dirai-je comment ?Un poignard dans le sein, assise et languissante,Elle n'était pas morte, et n'était pas vivante,Et montrait dans ses yeux, qui ne se mouvaient plus ; Et d'ombre et de lumière un mélange confus.À peine son visage empruntait de son âmeLa mourante clarté d'un rayon de sa flamme ;Son coeur pourtant encor survivant à ses sens,Elle poussait parfois des soupirs languissant, Et proche du moment de son départ funeste,Prenait congé par eux de la clarté céleste,Tandis que Pharasmane à ses pieds étendu,Mêlait encor son sang, à son sang répandu,Et comme ayant horreur d'une mort si cruelle, La regardait mourir pour mourir avant elle ;Et trop sensible ainsi, par la pitié pressé,Approfondir le coup dont il était blessé. ARAXIE. Pharasmane et ma soeur ! Ô disgrâce imprévue. VOLOGESE. Interdit et surpris à cette triste vue, Pour leur donner secours, en vain je fais effort,Car mon étonnement m'est une courte mort :Mais enfin m'arrachant à des peines si dures,Je fais entrer leurs gens, et fermer leurs blessures.Le Prince alors revient et recouvre à la fois, Contre notre espérance, et la force et la voix.Mais quoiqu'on s'en informe, et quoique l'on lui die,Il nous cache l'auteur de cette perfidie ;Il demande son frère, il parle en fa faveur,Et veut avant sa mort le voir son successeur. ARAXIE. Ô funeste amitié. VOLOGESE. Cependant la Princesse,Par nos cris et nos soins revient de sa faiblesse ;Mais ces moments de vie ajoutez à son sort,Sont aussitôt suivis du moment de sa mort ;Comme du Prince alors l'ennui se renouvelle, Je commande aussitôt qu'on le sépare d'elle,Je laisse l'ordre aux siens d'observer sa douleur,Et donne avis au Roi de ce double malheur.Mais aussitôt le Roi pour comble de disgrâce,En impute le coup à la fureur d'Arsace, Et le soupçonnant seul, croit que son équitéDoit immoler ce Prince à sa sévérité :Opposez-vous, Madame, à ce dessein funeste,Et lorsqu'il perd un fils, sauvez celui qui reste,Pour s'en plaindre avec vous, il vient ; mais le voici. ARAXIE. Revoyez Pharasmane, et la Princesse aussi. SCÈNE IV. Araxie, Le Roi. LE ROI. Princesse, enfin nos maux sont les crimes d'Arsace,De nouveau sur son frère, il porte son audace,Et dans ses attentats la redoublant pour vous.Il vous ôte une soeur, aussi bien qu'un époux. ARAXIE. Qui l'accuse ? LE ROI. Un témoin si grand si magnanime ;Que par son indulgence il augmente son crime,Pharasmane t'accuse, en ne l'accusant pas ;Et voulant de ce traître empêcher le trépas,Son silence fait voir à ma juste colère, Que dans son assassin, il protège son frère,Son amour le fait voir, lorsqu'il veut le cacher ;Car quel autre à ce point lui pourrait être cher ? ARAXIE. Mais il fait voir aussi sa haine en son silence,Qui fatal à son frère en cache l'innocence. LE ROI. Non, il demande Arsace, il parle en fa faveur,Et veut avant sa mort le voir mon successeur ;Mais déjà par mon ordre on amène ce traître.Ô justice ! Ô rigueur ! Il est temps de paraître,Ôtez-lui le secours qu'il peut trouver en moi, Et soumettez son père à son juge et son Roi :[Note : Au XVIIème, "Amour" est parfois employé au féminin singulier.]Combattez cette amour qui s'oppose à sa peine,Dans la moitié d'un coeur dont il chasse la haine,Et qui d'intelligence avec l'autre moitié,Il surmonte la haine avecque la pitié. SCÈNE V. Le Roi, Araxie, Arsace. LE ROI. De crainte d'en rougir je t'ai déjà fait direTous mes soins jusqu'ici pour te donner l'Empire ;Mais comme j'ai plus fait que tu n'as mérité,Seul je puis faire foi de cette vérité ;Prince connais moi donc et pour mieux me connaître, En voyant quel je fus, vois quel je te dois être.Je t'aimai par instinct dès que tu vis le jour,Mon estime depuis t'assura mon amour,Elle t'en fit un ample et peu juste partage,J'aimai moins ton aîné pour t'aimer davantage, Fils ingrat, et toujours pour te le voir soumis,J'ai fait peut-être plus qu'il ne m'était permis.Mais cet amour si grand de ton aveugle pèreEst un bien usurpé qui retourne à ton frère,Et qui passant en lui me doit mieux exciter À punir l'assassin qui vient de me l'ôter,Après ton vain effort pour t'immoler sa vie,Par ton bras mieux instruit se la voyant ravie,Il recouvre son père et son affection,Il me devient plus cher pour ta punition, Au moins si plus qu'un fils, j'ai pu chérir un traître,Ma rigueur l'attaquant lorsqu'il se fait connaître,Pour m'en justifier fera voir noblement,Que je ne l'ai chéri que par aveuglement,Si ce fut honte à moi d'avoir été ton père, C'est ma gloire envers toi d'être juge sevère,Pour faire méconnaître à la postéritéTon père qui se change en un juge irrité.D'ailleurs à te punir tout l'État me convie,Il faut pour son bonheur qu'il t'en coûte la vie, Je sauve mes sujets quand je te fais périr,Et crois les adopter en te faisant mourir.Donc de ma bonté n'espère point de grâce,J'en prononce l'arrêt, tu vas mourir Arsace,Et quoique dans ton frère il te reste un appui, Tu vas mourir Arsace, et mourir avant lui.Je le vengerais mal, je serais mauvais père,Si je te permettais de survivre à ce frère. ARSACE. Ha ! Je n'appelle point de ce fatal arrêt,Et suis prêt à mourir puisque ma mort vous plaît, Quand vous me condamnez avant que de m'entendre,Sire, vous m'ordonnez de ne me point défendre,Et vous désobéir ce serait en effet,À ceux dont on m'accuse ajouter un forfait ;Mais il faut que ma mort soit un coup magnanime, Qu'il ne vous coûte point de remords ni de crime,Qu'il parte de ma main en ce danger pressant,Que du trépas d'un fils il vous laisse innocent ;Ainsi vous me verrez sans faire une injustice,Et mort et tout ensemble affranchi du supplice, Exempt de vos rigueurs sans m'avoir pardonné,Et puni toutefois sans m'avoir condamné :Je vais donc à la mort ainsi qu'à la victoire,Puisqu'elle vous contente et défend votre gloire,Et vous laisse à juger en cette extrémité, Si c'est ou désespoir, ou générosité. LE ROI. Arrête ; qu'aisément ma rigueur se relâche,Je condamne à même heure et veux sauver un lâche,Mais nul amour enfin ne me peut retenir,J'ay mon fils à venger et mon fils à punir, Et si l'amour s'oppose à ma rigueur extrême,Pour m'aider à le vaincre il se combat soi-même. ARAXIE. Ha ! Dans ce grand combat si l'amour n'est vainqueur,Qu'il ne succombe pas dessous votre rigueur,Alors qu'elle menace une si chère tête, S'il ne la peut dompter que du moins il l'arrête,Plus le courroux est grand, moins on s'y doit régler,Et son premier effet est de nous aveugler,N'étant plus irrité, vous douteriez peut-être,Du crime qu'irrité vous présumez connaître, Et ce doute cruel d'un tourment infini,Vous punirait vous-même après l'avoir puni.Différez donc au moins pour avérer son crime,Et si pour vous fléchir il faut une victime ;Sire, afin que mes voeux ne vous dérobent rien, Je répendrai mon sang en échange du sien. LE ROI. Pour venger votre soeur aussi bien que son frère,Loin de la ralentir excitez ma colère,Pour me résoudre mieux à voir finir ses jours,Je fais à ma justice emprunter son secours, Qu'il meure. SCENE VI. Le Roi, Araxie, Arasace, Vologese. VOLOGESE. Soyez-lui juge plus équitable,Arsace est innocent, et son frère est coupable. LE ROI. Pharasmane coupable ! VOLOGESE. Écoutez seulement,J'étais auprés de lui dans son appartement,Lorsqu'e tant averti que contre toute attente 5Médonie est encore ou semble être vivante,Je passe dans le sien et par un prompt secours,De leur terme fatal je recule ses jours.Et lors pour l'engager à le faire connaître,Détestant l'assassin d'une femme et d'un maître, Comme tel je lui dis qu'Arsace condamnéÀ payer de sa tête est déjà destiné.À ces mots plus perçants que le coup qui la tue,C'est à moi, c'est à moi que la peine en est due.J'ai trahi, me dit-elle, et ma soeur et le Roi, J'ai trahi, ses deux fils pour m'assurer leur foi,Et pour régner par l'un à tous deux infidèle,J'ai fait régner sur eux ma flamme criminelle.Aujourd'hui trop aveugle en Pharasmane heureux,Me croyant élevée au comble de mes voeux, J'ai dédaigné son frère, et moi-même abusée,Aussitôt de l'aîné me voyant méprisée,J'ai résolu leur mort, et sans plus balancer,Par celle de l'aîné j'ai voulu commencer.Lui mort j'ai présumé que la rigueur d'un père Comme auteur de ce meurtre immolerait son frère,Et qu'ainsi désormais entre le trône et moi,Je verrais seulement la Princesse et le Roi,Qui sous le fait de l'âge étant prêt à s'abattre,Ne me laisserait plus que ma soeur à combattre ; Mais le Ciel équitable à mon espoir trompé,De ce même poignard dont je l'avais frappé,Pharasmane s'armant d'une atteinte mortelle,A fait justice à tous de cette criminelle.Courez le dire au Roi, les Cieux ne m'ont permis De voir encor le jour, que pour lui rendre un fils,Et je serais en butte à toute leur colère,Si j'abusais ainsi de l'équité d'un père,Elle expire à ces mots, et j'accours à l'instant,Sire, vous annoncer ce secret important. LE ROI. Ha ! Mon fils. ARSACE. Ha ! Mon père. ARAXIE. Ha ! Mon Prince. ARSACE. Ha ! Madame,Enfin du criminel on découvre la trame. LE ROI. Rendons grâces au Ciel, qui propice à mes voeux,Dérobe à ma colère un fils si généreux,Et contre un déloyal faisant agir la sienne, Vous rend votre innocence et me laisse la mienne. VOLOGESE. Sire, le Prince vient, la fureur le conduit,De ce qui s'est passé l'on l'a fans doute instruit. SCÈNE DERNIÈRE. Pharasmane, Le Roi, Arsace, Araxie, Vologese. PHARASMANE. l'épée à la main. Mon crime est découvert, et ma peine arrêtée ;Mais je ne mourrai pas sans l'avoir méritée, Père dénaturé vois mourir devant moi,Celui dont par ma mort tu prétends faire un Roi. LE ROI, se mettant au devant de lui. Arrête, où fais encore un plus grand parricide. PHARASMANE, tombant. Ma faiblesse s'entend avecque ce perfide,Elle retient mon bras, elle abaisse mon coeur Jusques à me soumettre aux pieds de mon vainqueur !Arsace, ne crains plus, la force m'abandonne,Et tombant sur ton front j'élève la Couronne. LE ROI. Enfin par tes transports tu découvres assezTa noire perfidie et tes crimes passés ; Ce fut toi qui voulus attenter à sa vie,Et lorsque ta blessure a vengé Médonie,La feinte de ce coup le faisant soupçonner,Pour le faire périr, le voulait Couronner. PHARASMANE. Je ne m'en défends point, oui, pour hâter sa perte, J'ai fait agir la feinte après la force ouverte,À tes yeux de nouveau je l'ai même attaqué ;Mais si je me repens, c'est de l'avoir manqué :La mort était bien due à qui sur ma naissancePrétendit que la sienne obtint la préférence, Qui courut vers le Trône où m'appelaient les lois,Et me rendit coupable en défendant mes droits.Je te dirai bien plus si tu le veux apprendre,Ta faveur l'ayant mis en état d'y prétendre,À tes yeux j'ai voulu mêler son sang au mien, Pour te percer le coeur en lui perçant le sien,Et goûter en sa mort cette double allégeance :Que de tous deux ainsi m'eut donné la vengeance :Si tu veux m'en punir plains toi de mon trépas,Qui te réduit au point de ne le pouvoir pas. LE ROI. Ha ! Pour dernier excès d'une fureur si noire,Il te restait encor d'attenter à ma gloire,Par un devoir contraire à tous deux partagé,[Note : v. 1602, on lit "protégé" qui rime avec "partagé", l'orthographe n'est pas respectée.]Ce fut sans t'opprimer que je le protégeais,Bien que d'un grand Empire et l'exemple et l'usage, Pour régner après moi lui donnât l'avantage,Je fut toujours égal, on n'accordai mes voeuxPour le bien de l'État qu'au plus digne des deux,J'en doutai par ton crime et le voulus connaître,Ce fut à ce dessein que je te fis son maître : Je voulus t'éprouver, et crus que ta rigueurPouvant tout dessus lui, découvrirait ton coeur ;Mais si je t'aimai moins par ta fureur extrême,De ce manque d'amour tu m'excuses toi-même ;Tu montres que le Ciel avec élection Dispensa ma faveur et mon aversion.Mais c'est perdre en discours le temps de ton supplice,À mes fils inhumain devant faire justice,Pour la rendre à ton frère et le venger de toi,Vois devant ton trépas que je le fais ton Roi. À Arsace.Ainsi par un effet de haine et de tendresse,Je t'accorde, mon fils, le Sceptre et la Princesse,Je te les vais donner, et par cette bontéT'ôter le souvenir de ma sévérité. ARSACE. Seigneur... PHARASMANE. en ouvrant sa blessure. Il peut régner, mais ma blessure ouverte, Au point de sa grandeur précipitant ma perte,Je brave ta rigueur, et dans mon sort fatal,J'aurai le bien encor de mourir son égal,Puisque le seul moment que je l'ai vu Monarque,De ma sujétion ne peut laisser de marque. ARSACE. Vivez... PHARASMANE. Ha ! Que sans fard ne m'en fais-tu la loi ?Je mourrais plus content de mourir malgré toi.Loin de perdre à regret une vie ennuyeuse,Autant qu'à tout l'État à moi-même odieuse,Et telle qu'à sa honte, on connaît aisément Quelle est d'un ennemi le bienfait seulement,Je meurs avec plaisir pour modérer le vôtre,Et je crois me venger et de l'un et de l'autre,Puisque mon désespoir coûte à mes ennemis,La perte tout ensemble et d'un frère et d'un fils. LE ROI. À ces tristes objets sa colère s'irrite,Et seule le soutient quand son âme le quitte.Gardes, emportez-le. PHARASMANE. Gardes, n'en faites rien,Les troubler par ma vue est mon unique bien.Père injuste et cruel, qui cessant d'être père, Disposes à ton choix d'un Sceptre héréditaire,Rival qui criminel de me l'avoir ôté,Me rends plus criminel de l'avoir disputé,S'il est des Dieux vengeurs, la grandeur souveraineNe sera pour tous deux qu'une source de haine, L'un des deux va connaître en un rang plus abject,Que qui la quitte Roi, le désire sujet,Et l'autre redouter plus esclave que maître,Un sujet assez grand pour s'empêcher de l'être,Et s'armant, en un mot, contre son protecteur, Me rendre regrettable à mon persécuteur. LE ROI. Que l'on l'ôte, mon coeur à cette triste vueSent passer jusqu'à lui l'atteinte qui le tue. PHARASMANE. Ha ! Que ne puis-je donc par un nouvel effort,Me donner à tes yeux une seconde mort. On l'emporte. LE ROI, à Arsace et Araxie. Mais avant que le Sceptre acquitte ma promesse,Donnez-moi tout ce jour pour vaincre ma tristesse,Vous croiriez me l'ôter quand je vous l'offrirais,Si les larmes aux yeux je vous le présentais. ==================================================