******************************************************** DC.Title = L'AVARE ET SON AMI, COMÉDIE. DC.Author = RADET, RABOTEAU DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 12:45:17. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/RADET-RABOTEAU_AVAREAMI.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6148123c DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'AVARE ET SON AMI EN UN ACTE ET EN PROSE MÊLÉE DE VAUDEVILLES. Représenté pour la première fois sur le théâtre du Vaudeville le 19 Germinal an 9. AN IX. Par les Citoyens Radet et Raboteau Représenté pour la première fois sur le théâtre du Vaudeville le 19 Germinal an 9. PERSONNAGES. ACTEURS. Citoyens. SAINVILLE, riche manufacturier. Vertpré. SAINVILLE fils.Armand. DORMEL, ami de Sainviile. Chapelle. AGATHINE, fille de Dormel. Melle Arsène. FINETTE, femme-de-chambre d'Agathine. Melle Blosseville ROBERT, homme d'affaires de Sainville. Lenoble. JACQUES, jardinier. Hypolite. VILLAGEOIS ET VILLAGEOISES. La scène est à la campagne, à quelques lieues de Sedan. S'adresser au citoyen Ficht, chef de l'orchestre du théâtre du Vaudeville, pour les accompagnements de toutes les pièces joués sur ce théâtre depuis sa création. L'AVARE ET SON AMI. Le théâtre représente un salon. SCÈNE PREMIÈRE. Robert, Finette. ROBERT. Eh bien, Mademoiselle Finette, comment trouvez-vous cette maison de campagne ? FINETTE. Très jolie, en vérité. Depuis hier que nous sommes arrivés de Sedan, je ne me lasse point d'en parcourir le jardin. Des bosquets charmants, des allées délicieuses, des fleurs de toute espèce... ROBERT. Des arbres chargés de fruits ; une rivière qui ne tarit jamais... Et tout cela dans une étendue de six arpents... C'est moi qui ai fait faire cette acquisition à Monsieur Sainville. FINETTE. Ma foi, je vous en félicite ; il doit être satisfait. ROBERT. Aussi l'est-il, Mademoiselle, aussi l'est-il. Ses grandes occupations ne l'empêchent pris de songer à ses petits plaisirs. FINETTE. Il est certain qu'il travaille beaucoup. ROBERT. Et qu'il fait beaucoup travailler. - Savez-vous que nous faisons par an pour plus d'un million d'affaires ? - Il faut voir notre manufacture. FINETTE. C'est un monde. ROBERT. Oh ! Monsieur Sainville voit les choses en grand. Air : Vaudeville des Visitandines.Dans une entreprise hardieTous les jours ses travaux nombreux,Son activité, son génie,Obtiennent des succès heureux : Bis.Il encourage, il récompense, Il fait éclore le talent ;Et c'est un ruisseau bienfaisantQui féconde une plaine immense. Bis. FINETTE. Que d'ouvriers il fait vivre ! ROBERT. Et comme il excite leur émulation ! Même air.Ceux qui se montrent davantageZélés, actifs, intelligents, Il préside à leur mariage, Il fait, élever leurs enfants. Bis.Hommes, femmes, garçons et fillesChez lui trouvent un sort aisé ;Et son bonheur est composé Du bonheur de trente familles. Bis. FINETTE. Il faut qu'il ait une bonne tête. ROBERT, se touchant le front. Ah ! Celle-ci n'est pas mauvaise. FINETTE. Faire vivre les autres et bien vivre soi-même, voilà ce qui s'appelle savoir employer sa fortune. Ah ! Si Monsieur Dormel eût suivi cet exemple, son sort, celui de sa fille, le mien, aurait été un peu différent. ROBERT. Et on ne lui aurait pas enlevé son trésor. FINETTE. Quarante mille écus disparus dans une nuit... avec le coffre ! ROBERT. Avec le coffre ? FINETTE. Oh ! Le voleur n'a rien oublié. ROBERT. Et c'était là toute la fortune de Monsieur Dormel ? FINETTE. Absolument tout ; le patrimoine et les économies. ROBERT. Je crois que ce dernier article n'était pas le moindre ; car le cher homme était d'une avarice !.... FINETTE. Ah ! Ne m'en parlez pas. Il fallait voir comme nous étions logés, nourris, vêtus... Son aimable fille, cette chère Agathine... Privée de tous les plaisirs de son âge... Point de sociétés, point de bals, jamais de spectacles !... Et comme elle était mise ! Elle osait à peine sortir. ROBERT. La pauvre petite ! FINETTE. Air : Vaudeville du Sauvage.Quelquefois par aventure,On allait se promener :Mais quelle était sa parure ?Tâchez de l'imaginer. Une robe héréditaire,Dont le nouvel harpagon,Avait payé, pour lui plaire,La quatrième façon. ROBERT, en riant. Eh ! Mais, écoutez donc... J'ai connu à ma grand-mère une robe à grands carreaux qui serait assez à la mode aujourd'hui. FINETTE. Air : J'arrive à pied de province.Enfin de tous les avares Anciens et nouveaux,Recherchez les traits bizarres, Les vilains défauts :Réunissez-les, en somme, Du plus laid côté ; Et vous aurez de notre hommeUn portrait... flatté. ROBERT. Ce qui m'a toujours étonné, c'est qu'avec un caractère aussi différent, Monsieur Sainville n'ait pas cessé d'être l'ami de Monsieur Dormel...... Il l'aime de tout son coeur. FINETTE. Il le prouve assez tous les jours ; car enfin, depuis un an qu'on nous a volés, Air : De l'Opéra-comique.À tous nos besoins ses bienfaitsFournissent avec abondance ;Et sans lui nous n'aurions jamais Connu les douceurs de l'aisance.Le drôle qui prit notre bienA fait cette métamorphose :Il nous fallait n'avoir plus rienPour avoir quelque chose. ROBERT. Et sans doute, Monsieur Dormel s'accoutume à bien vivre... gratis. FINETTE. Oui, mais il aimerait encore mieux, et pour cause, que Monsieur Sainville lui donnât son argent à dépenser. ROBERT. Quel ami que Monsieur Sainville ! FINETTE. Ce n'est rien encore que cela. Ce qui m'étonne davantage, c'est que, malgré notre ruine complète, il n'ait rien changé à son projet de marier son fils, à la fille de Monsieur Dormel. ROBERT. Mais, comme Monsieur Dormel ne devait point donner de dot à sa fille, rien n'a dû être changé au mariage. À part.Qui se fera beaucoup plutôt qu'on ne pense. Haut.Et ces pauvres jeunes gens s'aiment de si bon coeur ! FINETTE. Comme on s'aime à leur âge ; mais ma maîtresse peut avoir besoin de moi : je vous quitte. ROBERT. Allez, Mademoiselle ; aussi bien, j'aperçois Monsieur Sainville à qui j'ai beaucoup de choses à dire. SCÈNE II. Robert, Sainville père. SAINVILLE, entrant gaîment. Ma foi, ce pays-ci est fort agréable ; et les habitants me paraissent de bonnes gens. ROBERT. Ils se félicitent déjà de vous posséder ; et cela ne pouvait manquer, puisque j'ai suivi les instructions que vous m'aviez données. SAINVILLE. Il en coûte donc bien peu pour se faire des amis. ROBERT. Air : De Frosine.Partout la joie et les bienfaitsAccompagnent votre présence :Le bonheur ne vous fuit jamais ;Dans ce séjour il vous devance.Près d'un homme si généreux Combien nos devoirs sont faciles !Vous nous commandez d'être heureux,Et nous sommes dociles. Bis. SAINVILLE. Vous faites bien ; car je n'aime pas que l'on me contrarie;;; Ah çà , parlons d'affaires. Où en sont nos mariages ; d'abord, celui de la fille du jardinier ? ROBERT. Monsieur, les fiançailles se feront aujourd'hui, et les jeunes gens viendront tantôt avec leurs parents et le notaire du lieu, vous prier de signer leur contrat, et recevoir la dot que vous avez la bonté de leur donner. SAINVILLE. Fort bien. ROBERT. De plus, j'ai porté chez ledit notaire le projet du contrat de mariage de votre fils avec Mademoiselle Agathine. SAINVILLE. Tu n'as parlé à personne... ROBERT. Monsieur, je sais garder un secret. C'est une surprise que vous ménagez à ces aimables jeunes gens et à Monsieur Dormel ? SAINVILLE. Je lui en ménage plus d'une. ROBERT. Comment cela ? SAINVILLE. Il y a précisément aujourd'hui un an qu'on lui enleva son cher trésor. ROBERT. Oui !... Effectivement, c'était à pareil jour ; je me le rappelle. Sans doute, Monsieur Dormel ne l'a pas oublié ; et ce triste souvenir lui fera passer une mauvaise journée. SAINVILLE. Peut-être. Mais quand il apprendra que cette maison est à lui... ROBERT. À Monsieur Dormel !... Ah ! Je vous devine. SAINVILLE. Je ne le crois pas. ROBERT. C'est un fort joli cadeau. SAINVILLE. Eh ! Non. ROBERT, continuant. Quelle délicatesse ! Le jour même... SAINVILLE. La maison est à lui, acquise de son argent. ROBERT, reculant d'étonnement. De son argent ! Aurait-il retrouvé... SAINVILLE. Rien, mais... ROBERT. Le vol n'avait donc pas été commis ? SAINVILLE. Il avait été commis : cela confond ta sagacité. ROBERT. J'en conviens. SAINVILLE. Tu sais que, lors de l'événement, les soupçons se réunirent sur ce jeune étranger, d'une figure si douce, qui porteur des meilleures recommandations, s'était introduit chez Dormel et chez moi. ROBERT. Oui, tout le monde soupçonna l'étranger ; mais moi qui me connais en hommes, je ne partageai point l'opinion publique. SAINVILLE. Et tu te trompas. - L'étranger était le coupable. ROBERT. Est-il possible ?.... Effectivement, quand je me rapelle sa figure, il me semble qu'il avait dans les yeux... dans le regard... quelque chose de... Oh ! Oui, cela ne m'étonne pas. SAINVILLE. Eh bien ! Ce jeune homme..... ROBERT, vivement. Vient d'être arrêté ? SAINVILLE. Pas du tout. Air : ***Le voleur, prompt à s'effrayer,Faute, je crois , d'expérience Sentit, peu fait pour le métier,Le réveil de sa conscience ;Différent de ces gens adroitsQui sans effort et sans étude,Semblent, dès la première fois, En avoir l'habitude. ROBERT. Et ces gens-là ne sont pas les plus rares. SAINVILLE. Huit jours s'étaient à peine écoulés, lorsqu'un soir je vols tout-à-coup entrer dans mon cabinet, ce malheureux jeune homme, l'air égaré, les yeux en larmes, respirant à peine... Il se précipite à mes pieds, y dépose une lourde cassette, me remet ce billet, et disparaît sans prononcer une seule parole. ROBERT. Ah ! Mon Dieu ! SAINVILLE. Lis. ROBERT, lisant. « Vous êtes, Monsieur, le plus intime ami de Monsieur Dormel ; et j'ai craint de m'exposer à sa colère. Puisse le remord qui m'accable, expier le crime qu'un instant d'égarement m'a fait commettre ! C'est vous que je charge de sa réparation. Adieu ! Je fuis pour jamais. »ÉDOUARD WILTON. Stupéfait.Je n'en reviens pas. SAINVILLE. Juge de ma surprise et de ma joie... J'allais à l'instant même faire ma commission lorsqu'une réflexion m'arrêta. ROBERT, très attentif. Voyons, Monsieur, votre réflexion. SAINVILLE. Voici le raisonnement que je fis. Dormel possédait un trésor auquel il touchait à peine, et toujours malgré lui. Se refusant tout... Ne vivant que de privations... Aujourd'hui que ce trésor est retrouvé , il va l'enfouir de nouveau. Ne serait-ce pas un service à lui rendre que de le forcer d'en jouir avec agrément et utilité, en faisant valoir à son profit ses fonds dans mon commerce ? ROBERT. Voilà précisément ce que j'aurais, dit à votre place. SAINVILLE. L'affaire était délicate. ROBERT. Très délicate... Mais votre réputation... Votre fortune... Vous qui refusez tous les jours les fonds qu'on vous offre de tous les côtés... SAINVILLE. Il s'agissait de corriger mon ami : je ne balançai pas. Je pris d'abord les précautions nécessaires ; et un acte en bonne forme, déposé chez un notaire, pourvut à tout. ROBERT. Fort bien... C'est à quoi je n'aurais pas manqué. SAINVILLE. J'ai voulu qu'à tout événement, Dormel ne pût rien perdre. Air : Du vaudeville de Tom Jones.Pour le guérir de sa triste démence,Je l'ai laissé dans ses regrets ;Mais son argent lui procure une aisanceQu'il croit devoir à mes bienfaits. De maints plaisirs que l'avarice ignore,Il goûte le prix aujourd'hui;Et de son bien qu'il pleure encore,Il jouit en dépit de lui. Bis. ROBERT. Oui, mais il n'entasse plus. SAINVILLE. Quoique le goût des économies ne l'ait pas encore quitté, je me suis aperçu plusieurs fois qu'il n'était pas insensible aux douceurs de l'aisance. ROBERT. Allons, Monsieur. Air : D'Arlequin journaliste.Je vois qu'il se trouvera bien De sa ruine passagère, Prendre et restituer le bien.Le voleur ne pouvait mieux faire, Bis.Quand un plan est ainsi conçu, Bis.S'en plaindre serait injustice ; Mais bien des gens n'auraient renduQue la moitié de ce service. SAINVILLE. Ah ça, mon cher, je compte sur ta discrétion. Silence jusqu'au dernier moment ! J'ai tout caché, même à mon fils : c'eût été le dire à Agathine... Pour toi, qui n'es pas amoureux, à ce que je crois tu n'abuseras pas de ma confiance. ROBERT. Monsieur, je n'ai jamais abusé de rien... Voici vos jeunes gens : je vous laisse avec eux. SCÈNE III. Les deux Sainville, Agathine, Finette. FINETTE. Ah ! Monsieur, voici bien du nouveau. SAINVILLE fils. Je suis au désespoir. Monsieur Dormel vient de m'annoncer que je ne dois plus songer à épouser sa fille. SAINVILLE père. Bah ! AGATHINE. Il m'ordonne d'oublier celui qu'il m'avait destiné pour époux. FINETTE. Et cela, sans vouloir nous en dire le pourquoi. SAINVILLE père. Je le sais, le pourquoi ; c'est qu'il est fou... Mais moi, qui ne le suis pas, je vais lui parler. SAINVILLE fils. Mais vous, ma chère Agathine, vous auriez dû... AGATHINE. J'ai vainement tenté de le fléchir. FINETTE. Eh bien, puisqu'il refuse de s'expliquer, je dis que vous devez... AGATHINE. Je dois obéir et me taire. FINETTE. Obéir !... C'est difficile. Se taire, c'est impossible. SAINVILLE père. Refuser pour sa fille un mari jeune, honnête, aimable... FINETTE. Et qui ne lui coûte rien. AGATHINE. Finette ! FINETTE. Sans dot ! AGATHINE. Finette ! FINETTE. Qu'il soit avare tant qu'il voudra ; mais.... AGATHINE. Songez que vous parlez de mon père. FINETTE. Voulez-vous que je dise qu'il est généreux ? AGATHINE. Air : De la piété filiale.Cessez, cessez un semblable discours,Il blesse mon coeur ; il m'offense.Ce coeur me dit que rien ne nous dispense De respecter les auteurs de nos jours.Les défauts que, par intervalle,On voit obscurcir leurs vertus,Semblent prescrire un sentiment de plusÀ la piété filiale. Bis. SAINVILLE, fils. Je ne puis qu'applaudir à des sentiments que je partage ; mais, ma chère Agathine, après un refus aussi étrange... AGATHINE. Croyez-vous que j'y sois insensible ? SAINVILLE père. Fort bien ; désespérez-vous, mes enfants. C'est votre rôle : c'est celui de tous les amants contrariés dans leur flamme. Quant à moi, je ne me désespérerai pas, mais j'agirai... J'entends notre homme. Laissez-moi avec lui. AGATHINE. Ah ! Monsieur ! SAINVILLE fils. Ah ! Mon père, songez... SAINVILLE père, gaiement. Oui, mes enfants, je connais votre position. Tu en mourrais de douleur ; Agathine n'y survivrait pas; Finette en perdrait la tête ; je ne sais pas moi-même ce que je deviendrais... Mais pendant que nous nous portons bien tous, laissez-moi prévenir d'aussi grands malheurs. Ils sortent par le côté opposé à l'entrée de Dormel. SCÈNE IV. Sainville, père, Dormel. SAINVILLE, à part. Ah dieu ! Quelle figure renfrognée... C'est l'anniversaire. DORMEL, d'un air sombre. Bonjour, Sainville. SAINVILLE, du même ton. Bonjour Dormel... Gaiement.Est-ce que tu n'as pas bien dormi ? DORMEL. Si fait. SAINVILLE. Comme te voilà triste ! DORMEL. Je n'ai pas coutume d'être gai. SAINVILLE. C'est vrai. DORMEL. Je ne te ressemble pas. SAINVILLE. Tant pis. Air : Quand la mer rouge.Chez moi, dans mes ateliers,La gaité préside ;Elle est de mes ouvriersEt l'âme et le guide :Tout va bien quand chacun rit, Et j'y trouve mon profit ;Car l'homme joyeuxEn travaille mieux.Oui, celui dont la main est plus diligente,C'est celui qui chante. DORMEL. Je n'ai pas envie de chanter... Savez-vous, Monsieur, qu'il y a aujourd'hui un an... SAINVILLE. Ah ! Ça, mais, mon cher... Nous étions convenus que tu ne mettrais plus cet habit-là. DORMEL. Oh ! Il est encore bien bon pour le matin. SAINVILLE. Mais tu en as d'autres. DORMEL. Est-ce une raison pour les user ? SAINVILLE. Apparemment. DORMEL. Non, Monsieur, il faut les ménager. SAINVILLE. Oh ! Sans doute les ménager!... Air : ***Tant de respect pour tes habitsExcite mon juste murmure :Si ce goût gagnait dans Paris, Que serait ma manufacture !Quand le tailleur fait maint habit nouveau, Du marchand j'emplis la boutique ;Mais si l'habit reste au porte-manteau, Le drap reste dans ma fabrique. DORMEL. Oh ! Bah ! Tous ces beaux raisonnements... SAINVILLE. Te déplaisent... Eh bien, parlons d'autre chose. Est-il vrai que tu ne veux plus que mon fils épouse ta fille ? DORMEL. Rien n'est plus vrai. SAINVILLE. Et la raison ? DORMEL. Dispense-moi de la dire. SAINVILLE. Non, parbleu, il faut que tu t'expliques. DORMEL. Tu le veux absolument ? SAINVILLE. Très absolument. DORMEL. Il m'en coûte. SAINVILLE. Tâche qu'il ne t'en coûte pas trop. DORMEL. Eh bien, mon cher, ta conduite.... SAINVILLE. Achève. DORMEL. Ta conduite... me déplait. SAINVILLE. En quoi ? DORMEL. En tout. D'abord, ta table.... SAINVILLE. Ma table est bonne. DORMEL. Très bonne ; mais... SAINVILLE. Et mon vin ? DORMEL. Excellent, mais.... SAINVILLE. N'es tu pas logé commodément ? DORMEL. Très commodément ; mais, mon cher.... SAINVILLE. Cette maison n'est-elle pas agréable ? DORMEL. Que trop agréable ; et puisqu'il faut le dire, tu te ruines. SAINVILLE. Je me ruine ? DORMEL. Oui, tu te ruines... Une table somptueuse, des meubles recherchés, des prodigalités sans nombre... SAINVILLE. Tu n'as jamais rien prodigué, toi ; et cela t'a joliment réussi ! DORMEL. Est-ce ma faute ? - Ah Dieu ! Air : Du petit Matelot.Le fruit de tant d'économie,Avec tant de soin conservé , Par la plus horrible infamie,Dans un instant m'est enlevé. Bis. SAINVILLE. Je conviens qu'un peu de dépenseN'eût pas empêché ce malheur ;Mais au moins , c'eût été d'avance, Autant de pris sur le voleur. Bis. DORMEL. Le scélérat ! SAINVILLE. Il ne prendra pas cette maison, j'espère... C'est de l'argent bien placé. DORMEL. Oui, bien placé ! Une maison qui ne rapporte rien ! SAINVILLE. Elle rapporte. Elle m'a déjà beaucoup rapporté. Air : ***Des voisins qui manquaient d'ouvrageEn ont d'abord trouvé céans :De plus, j'occupe au jardinageJacques, sa femme et ses enfants. Bis.Toute la petite familleM'appelle ici le bieu venu :Autour de moi la gaité brille ;Est-il un meilleur revenu ? Bis. DORMEL. Oui, voilà de bonnes rentes ! SAINVILLE. Ce ne sont pas les moins sûres. DORMEL, avec chaleur. Monsieur, un négociant ne peut trop borner ses dépenses. Il a déjà bien assez des hasards de son commerce : car enfin, les faux calculs, les mauvaises spéculations... les banqueroutes.... Le commerce n'a rien de sûr ; et si l'on considérait bien ce qu'on y risque... SAINVILLE, malignement. On enfermerait son argent, n'est-ce pas ? Moyen d'en jouir, très agréable... et surtout très utile à l'État. DORMEL. Bon ! L'État ! L'État ! SAINVILLE. Air : De Molière à Lyon. Au guerrier qui défend nos droits, L'État vengé doit la victoire ;Au sage qui fonde nos loisIl doit une plus belle gloire :Pour le nourrir, de toutes parts Du laboureur le bras s'exerce ; Sa parure est dans les beaux arts,Mais son âme est dans le commerce. DORMEL. Celui qui veut ne pas perdre son bien.... le garde. SAINVILLE. Celui qui veut jouir de ce qu'il a, le change contre ce qu'il n'a pas.... Tout est échange dans ce monde. DORMEL. Air : Ah ! Rendez grâce à la nature.Le soleil pompe les vapeursQu'exhale la terre embrasée :La tendre aurore sur nos fleurs Les distille en douce rosée.Du ciel l'éternelle bonté,Réglant ses dons avec mesure,Impose à la sociétéLes mêmes lois qu'à la nature. Bis. DORMEL. Oh ! Voilà de mes philosophes... Mais tu philosopheras tant que tu voudras. Après avoir, par un malheur inouï, perdu tout ce que j'avais, je ne veux plus que ma fille épouse le fils d'un homme qui n'aura bientôt plus rien par sa faute. SAINVILLE. Et tu n'as pas d'autre motif de rupture ? DORMEL. Non. SAINVILLE. Allons, puisqu'il est nécessaire que je te donne l'état de ma fortune, que nous comptions ensemble... Nous compterons. À part.Il est ma foi temps de le mettre dans le secret. Haut. Mon ami, je te laisse, pour m'occuper de mon bilan. DORMEL. Tu plaisantes ; mais... SAINVILLE. Non parbleu, je ne plaisante pas ; et dès aujourd'hui je veux te prouver que je sais bien employer l'argent. SCÈNE V. DORMEL, seul. Quelle tête que ce Sainville ! C'est dommage... On est fort bien dans cette diable de maison de campagne. Je ne sais comment cela s'est fait, mais j'ai parfaitement dormi. - Il est vrai que j'avais pris hier de l'exercice dans ce maudit jardin qui est parbleu charmant... Et ce chien de souper qui était délicieux ! Ce vin de Beaune... Oh ! Quel vin !... Je ne sais pas ce qu'il coûte ; je n'en ai jamais acheté de pareil. Air : Du vaudeville de Cruello.Le vin de Suresnes jadisSuffisait à ma table:J'en trouvai toujours, vu le prix,L'usage délectable. Ce vin, quand il faut l'acheter,Sur le Beaune doit l'emporter,Et c'est chose certaine. Après une réflexion.Quand on le boit, c'est différent ;Le vin de Beaune assurément Vaut mieux Bis.Que le vin de Suresnes. Bis.Mais on a sitôt bu... Au reste, j'ai averti Sainville. S'il se ruine maintenant, c'est son affaire... Songeons à la nôtre... Il me force d'accepter de temps en temps de petites sommes pour mes menus plaisirs. Tirant de son sein Un petit sac.Mes menus plaisirs ! Les voilà !... Les voilà, mes menus plaisirs... Se retournant avec précipitation. Hein !... Que ces petites poches sont bien inventées ! Air : Mes bons amis.Quoique françaisOn ne me vit jamaisTrès grand partisan de la mode : Mais dieu merci, Je trouve celle-ciAgréable, utile et commode.On a, faisant chemin,Son argent sous sa main, Et rien n'est mieux inventé, ce me semble :L'argent, source du vrai bonheur, Est le fidèle ami du coeur ;On fait bien de les loger ensemble. Considérant l'argent de son sac. Les belles espèces !... Trente-deux louis, de poids... deux écus de six livres, point rognés.... Une pièce de cinq francs.... Un petit écu... Une pièce de quinze sols.... Une de six... Une de deux et quatre centimes. Cela fait bien, d'après mon calcul de ce matin... Sept cents quatre-vingt-neuf livres trois sols et quatre centimes... Et si je puis ajoutera cela. SCÈNE VI. Dormel, Sainville fils, Agathine, Finette. AGATHINE. Ensemble. Mon père ! SAINVILLE fils. Ah ! Monsieur ! DORMEL, serrant brusquement son argent. Hein !... Qu'est-ce ? SAINVILLE fils. Ne me cachez rien. DORMEL. Cacher ! Quoi ? AGATHINE. C'est votre coeur que nous venons attaquer. DORMEL. Mon coeur ! SAINVILLE fils. Vous y renfermez... DORMEL. Je ne renferme rien, Monsieur. SAINVILLE fils. Un secret qui fait le malheur de ma vie. DORMEL. Ah ! Je respire. AGATHINE. Air : Je suis heureuse.Cent et cent fois vous m'avez dit, mon père : Constant et sincère,Sainville a tout pour plaire. DORMEL. Discours superflus ! SAINVILLE fils. Rompriez-vous quand l'hymen nous appelle,D'une main cruelle, Une chaîne si belle ? DORMEL. Ne m'en parlez plus. SAINVILLE fils. Quoi ! Sans retour aujourd'hui.... DORMEL. Oui. FINETTE. Personne ne vous conçoit. DORMEL. Soit. AGATHINE. Devions-nous craindre jamais... DORMEL. Paix ! SAINVILLE fils. Mais au moins une raison ? DORMEL. Non. LES TROIS AUTRES. Dites-nous une raison. DORMEL. Non. LES TROIS AUTRES. Dites-nous une raison. DORMEL, sortant. Non. SCÈNE VII. Sainville fils, Agathine, Finette. SAINVILLE fils. Eh ! Quoi, toujours à se taire il s'obstine ! AGATHINE. Plaignez Agathine. FINETTE. Quelle humeur le domine ! SAINVIILE fils. Refus outrageant ! FINETTE. Auprès de lui vos plaintes sont, frivoles,Vos demandes folles ; Il est chiche en parolesAutant qu'en argent. SAINVIILE fils. Je n'ai pu voir encore mon père ; mais sans doute il n'aura pas mieux réussi que nous. FINETTE. Refuser de donner une raison ! Il est écrit que cet homme ne donnera jamais rien. SAINVILLE fils. Quel parti prendre ? AGATHINE. Céder à notre destinée. FINETTE. Voilà ce qui s'appelle montrer du caractère. SAINVILLE. Vous ne concevez pas l'excès de mon malheur. AGATHINE. Ah ! Sainville, il m'est affreux de renoncer à l'espoir de vous être unie : mais une chose au moins adoucit ma peine ; c'est qu'un mariage plus avantageux pour vous peut un jour... SAINVILLE. Pouvez-vous le penser ? AGATHINE. Air : Fuyant et la ville et la cour.Sans doute vous saurez charmerCelle que le ciel vous destine.Ah ! puisse-t-elle vous aimer Autant que vous aime Agathine !Par un père, dans sa rigueur,Ma main peut vous être ravie ;Mais je dispose de mon coeur :Ce coeur est à vous pour la vie. Bis. SAINVILLE. Et le mien peut-il cesser d'être à ma chère Agathine ? AGATHINE. Votre fortune vous permet les plus brillantes espérances. SAINVILLE. Même air.Ma fortune !... Pour vous l'offrir,Jusqu'à présent je l'ai chérie :Ah ! sans pouvoir vous embellir ,Par vous elle était embellie.Pour mes regrets, pour ma douleur, Désormais elle est importune :Peut-on, en perdant le bonheur Songer encore à la fortune ? Bis. FINETTE. Voici Monsieur Sainville. SCÈNE VIII. Les précédents, Sainville père. SAINVILLE fils. Eh bien ! Mon père, avez-vous pu pénétrer enfin... SAINVILLE père. Oui, Dormel, m'a tout dit... Une maison de campagne... Une table somptueuse Des prodigalités sans nombre.... Enfin, il dit qu'après avoir perdu tout ce qu'il avait, il ne veut pas que sa fille épouse le fils d'un homme qui, bientôt, n'aura plus rien par sa faute. Ce sont ses propres mots. SAINVILLE. Vous plaisantez, sans doute. SAINVILLE père. Non, ma foi. Air : Qu'on soit jaloux, etc.Ce que de lui je viens d'apprendre, Je vous le ois sans nuls défours. FINETTE. On a beau le voir et l'entendre ;Monsieur Dormel surprend toujours, Bis.Que de son bien on soit avare,Rien n'est plus commun aujourd'hui;Mais sur ma foi, c'est chose rare Que de l'être du bien d'autrui. Bis. SAINVILLE fils. Voilà bien l'idée la plus extraordinaire. SAINVILLE père. Tu ne savais pas que j'étais un dissipateur... Eh bien ! Ni moi non plus. SCÈNE IX. Les précédents, Robert. ROBERT. Monsieur, voici vos lettres. SAINVILLE père. Voyons si j'y trouverai ce que j'attends... Celle-ci concerne ma manufacture... Il la parcourt.Ah ! Ah ! Je ne me ruine pas encore tout-à-fait.... Il continue d'ouvrir ses lettres et lit. FINETTE. N'est-il pas vrai, Mademoiselle, que votre père est un homme d'une grande prévoyance ? SAINVILLE fils. Qu'a-t-il voulu dire ? AGATHINE. Je n'y comprends rien. SAINVILLE père. Ah ! Ce pauvre l'Angevin est rétabli ; j'en suis bien aise. C'est un excellent ouvrier et un brave homme. J'avais recommandé qu'on en eût grand soin. ROBERT. Oui, recommandé !... Il n'a jamais voulu voir le médecin. SAINVILLE père. Guérir sans le médecin ! FINETTE. Il est bien hardi ! SAINVILLE père. Voici mon affaire... C'est le contrat d'acquisition de cette maison ; et j'en avais besoin aujourd'hui même. ROBERT, le tirant par l'habit. Monsieur, je voudrais vous parler. SAINVILLE père. Mes enfants, laissez-nous. J'ai à causer avec Robert... Ne vous désolez pas tout-à-fait : ma ruine n'est pas encore complète ; et votre mariage n'est pas entièrement désespéré. SAINVILLE fils. Ah ! Mon père, vous me rendez la vie. FINETTE. Nous en avions grand besoin. SCÈNE X. SAINVILLE père, Robert. ROBERT, en riant. Comment donc, Monsieur, votre ruine.- Le mariage désespéré ! SAINVILLE. C'est une petite gaité de Dormel... Mais voyons : qu'as-tu à me dire ? ROBERT. Monsieur, j'ai remis chez Mademoiselle Agathine les étoffes et les dentelles que vous lui destinez. SAINVILLE. Bon ! Quoique le mariage soit désespéré, il faut bien songer aux habits de noce. ROBERT. Ensuite, Monsieur, nos fiancés demandent à quelle heure ils pourront se présenter. SAINVILLE. À quelle heure ? Ma foi, c'est que je voudrais voir Dormel auparavant. ROBERT. Eh bien ! Monsieur, le voici lui-même, et dans toute sa parure. SAINVILLE. En ce cas, amène les jeunes gens le plutôt possible. ROBERT. Avertirai-je aussi Monsieur votre fils ? SAINVILLE. Tout le monde. Robert sort. SCÈNE XI. Dormel, Sainville père. SAINVILLE. Ah ! Tu as mis ton habit neuf : j'en suis bien aise. J'ai aujourd'hui grande compagnie. DORMEL. Grande compagnie !... Te voilà bien !... Toujours de la dépense ! SAINVILLE. Quoi ! Tu me parleras toujours de dépense ! DORMEL. Tant que tu ne te lasseras pas d'en faire, morbleu !... Je sors de la chambre d'Agathine. Air : Vaudeville des deux Veuves.Encore des présents nouveaux ;Et cela me met en colère. SAINVILLE. C'est toi qui lui fais ces cadeaux ;Je les offre au nom de son père. DORMEL. Un père qui sait réfléchirCraint le luxe dans sa famille. SAINVILLE. Un bon père croit s'embellirDe la parure de sa fille. Bis. DORMEL. Oh ! Oui, s'embellir ! SAINVILLE. Conviens qu'Agathine sera charmante. DORMEL. Il est bien question de cela ! SAINVILLE. Oui... Et moi qui ne suis que le beau-père... DORMEL. Le beau-père ! SAINVILLE. Assurément... Il est un peu étrange que tu me fasses un crime de te procurer plus d'aisance que tu n'en a jamais eu. DORMEL. Air : Oui noir, etc.À vivre dans l'aisance Je prendrais du plaisir ;Mais, Monsieur , par prudence,Il faut voir l'avenir :Il faut, il faut voir l'avenir. SAINVILLE père. Je dois en convenir. DORMEL. Je n'y puis plus tenir.Écoute-moi. SAINVILLE. J'écoute. DORMEL. Tu m'obliges sans doute :Mais tout ce qu'il t'en coûte SAINVILLE. Il ne m'en coûte rien. DORMEL, se récriant. Ton bien ! SAINVILLE. Mon bien !Mon ami, Bis.C'est le tien. DORMEL. Oh ! C'est fort obligeant. SAINVILLE. C'est naturel Je t'ai promis ce matin de te rendre un compte. DORMEL. Quittons la plaisanterie, SAINVILLE. Je ne plaisante point. D'abord, tu es ici chez toi. DORMEL. Je sais bien que ton amitié... SAINVILLE. Ce n'est pas cela. En appuyant. Tu es ici le propriétaire. DORMEL. Le propriétaire ! SAINVILLE. Vois ce contrat. DORMEL, lisant. Cette maison.... Acquise en mon nom.... Pour vingt mille francs ! Qu'est-ce que cela signifie ? SAINVILLE. Cela signifie que tu l'as achetée.... et payée. DORMEL. Ruiné comme je le suis.. .. SAINVILLE. Ruiné comme tu l'es, tu as fait cette acquisition. DORMEL. Mais enfin... SAINVILLE. lui donnant le billet de la deuxième scène. Jette les yeux sur ce papier. DORMEL, voyant la signature. Édouard Wilton ! SAINVILLE. Lis. DORMEL, lit. Que vois je !.... Se jetant dans les bras de Sainville.Ah ! Mon cher Sainville ! Mon ami ! Mon bon ami ! Mon sauveur ! SAINVILLE. Eh doucement ! Tu m'étouffes, DORMEL. Air : Des femmes et le secret.Quoi, tout mon or ! SAINVILLE. Oui, tout ton or. DORMEL. Je pourrais le voir reparaître !Mon cher trésor ! SAINVILLE. Ton cher trésorÀ son maîtreRevient encor. DORMEL. Eh ! quoi, tout mon or ! SAINVILLE. Eh ! oui, tout ton or. DORMEL, hors de lui. Ah ! Grand Dieu ! Quelle joie ! Quelle satisfaction ! Quel bonheur !... S'arrêtant tout-à-coup.Eh mais... C'est donc sur mes propres fonds..., que j'ai si bien vécu pendant toute une année ? SAINVILLE. Rassure-toi, mon ami, rassure-toi, tu n'as mangé qu'une partie de ton revenu. DORMEL. Comment ? Mais cette maison..... SAINVILLE. Elle est, ainsi que tout ce que j'ai dépensé pour toi, le produit net de ton capital, heureusement employé dans mon commerce. DORMEL. Et mes quarante mille écus ? SAINVILLE. Cette somme est toute entière dans mes mains. Elle te sera rendue quand tu voudras... Aujourd'hui même, si tu l'exiges.... Et tu auras de plus un jardin pour l'enterrer. DORMEL, honteux. Ah ! Sainville ! SAINVILLE. Est-ce que la maison ne serait pas de ton goût ; DORMEL. Je.... ne dis pas cela. SAINVILLE. Tu la trouves peut-être trop chère ? DORMEL. Non... Mais je dis... SAINVILLE. Que dis-tu donc enfin ? DORMEL. Air : De la boulangère.Ma foi, c'est que vingt mille francs,Quand on est économe... SAINVILLE. Nous n'aurons point de différents ; J'agis en galant homme.Laisse la maison, je la prends. DORMEL, réfléchissant. Vingt mille francs,Bien nets et bien francs,Vraiment, c'est une somme ! On entend une ritournelle. DORMEL. Qu'est-ce que j'entends là ? SAINVILLE. C'est une noce. DORMEL. Une noce ! SAINVILLE. Eh ! Oui, tout au moins une, puisque tu n'en veux pas, deux. SCÈNE XII ET DERNIÈRE. Sainville père, Dormel, Robert, et ensuite Sainville fils, Agathine, Finette, Les Fiancés, Le Notaire, Jacques et les gens de la noce. ROBERT. Monsieur, c'est tout le village, et Jacques, votre jardinier, à la tête. SAINVILLE père, bas à Dormel. C'est mon jardinier.... ou le tien, dont je marie la fille. JACQUES. Air : De Piron.Vl'à tous nos habitants joyeux,Qui venont fêter en ces lieuxLeur nouveau propriétaire. SAINVILLE, bas à Dormel. Cette fête est-elle pour toi ? CHOEUR. Drès que j'l'avons vu sur ma foi, Drès que j'l'avons vu jarnigoi ,Ce brave homme a su nous plaire. ROBERT, à Sainville père. Voici, Monsieur, nos époux,Leurs parents et le notaire.Dites, comment les trouvez-vous ? SAINVILLE. Mais ils ont l'air honnête et doux. LES FIANCÉS. C'est grâce à lui que dans c'biau jourLe bonheur, l'hymen et l'amourVont habiter not' chaumière. CHOEUR. Puisse-t-il, c'voisin généreux, Pi ester au milieu des heureuxQu'i' s'entend si ben à faire ! JACQUES. Et puisse-t-il, dans cinquante ans,Être fêté par les enfants,De nos enfants Et d'ses enfants ! CHOEUR. Oui, puisse-t-il etc. SAINVILLE, père. Mes amis, le nouveau propriétaire ne peut que se féliciter d'avoir d'aussi bons voisins. N'est-il pas vrai, Dormel ? DORMEL. Oh ! Oui... C'est fort agréable À part, enchanté.Tout mon argent et une maison de campagne ! SAINVILLE, père, bas. Tu gardes la maison ? DORMEL, de même. Un moment. SAINVILLE, père, se tournant vers les paysans. Mes amis, ce n'est point à moi que vous devez adresser vos compliments. C'est à mon ami Dormel. DORMEL, le tirant par son habit. Tu es bien pressé. SAINVILLE père, sans l'écouter, et le faisant passer à sa place. C'est lui qui est le véritable propriétaire. SAINVILLE fils, à Finette. Qu'entends-je ! AGATHINE, à Dormel. Comment ! Vous seriez.... DORMEL. C'est bon, c'est bon. JACQUES. Dam ! Monsieur Dormel, excusez, je n'savions pas. Mais ça n'fait rien... V'z'avais itou l'air d'un brave homme. Prenez que j'vous ayons dit tout ça. DORMEL. Oh ! Je suis SAINVILLE père, vivement. Vous ne perdrez pas au change. JACQUES. Tant mieux, morgué !.... Car stila qu'j'avons eu l'bonheur d'pardre.... J'étions son jardinier ; je n'voulons pas en dire de mal ; mais ça f'sait un rude chrétien Jarnigoi ! Quel avare ! DORMEL. Il était avare ? SAINVILLE, père, bas à Dormel. Paix donc ! JACQUES. Ah ! J'vous en réponds. I'ne r'cevait parsonne ; on n'le voyait jamais... Il vivait ni pus ni moins qu'un ours ; il entarrait son argent. SAINVILLE père. Hé ! Comment ? DORMEL, bas. Laisse-le dire. JACQUES. Oui, morguenne ! Il l'entarrait... J'en somm'sûr... Mais vous n'savez pas l'pus meilleur ? Air : Mon père était pot.I' trépassit sans dire motUn jour de Notre-Dame :C'était un ben vilain magot ; Dieu veuille avoir son âme !Drès l'jour de sa mort,Auprès d'son trésorJ'vis pus d'un bon apôtre,Qui buvait déjà Avec c'magot-làÀ la santé de l'autre. DORMEL, à lui-même. Voilà bien les héritiers ! JACQUES. Pas vrai, not' bourgeois, qu'c'était ben fait ? FINETTE, à part. Il fait joliment sa cour à son nouveau maître ! SAINVILLE père, à part, en riant. Ce pauvre Dormel ! JACQUES. C'est dommage que l'défunt n'ait pas pu voir ça... Ça l'aurait p't'êt' corrigé... À Dormel. Pas vrai, not' bourgeois ? DORMEL, avec un sentiment concentré. Oui, sans doute ; cela l'aurait corrigé. À part. Quelle honte pour moi, s'ils savaient !... LE NOTAIRE, à Sainville père. Monsieur, voici les deux contrats de mariage. SAINVILLE, père, les prenant. Fort bien... Celui de ces jeunes gens. À son fils. Et le vôtre. SAINVILLE fils et AGATHINE. Le nôtre ! SAINVILLE père, aux villageois. Ah ça, mes enfants, Robert va vous compter la dot de six cents francs que je vous ai promise ; car, en cédant cette maison à Dormel, je me suis réservé le droit de vous établir. DORMEL, dans un bel enthousiasme. Non, Monsieur, la maison est à moi ; et c'est à moi de doter la fille de mon jardinier. FINETTE, à part. Et ! Mon Dieu ! Avec quoi ? DORMEL, tirant secrètement son petit sac. Tenez ma bonne amie, voilà vos six cents francs. FINETTE, à part. Monsieur Dormel qui donne !... Ô prodige ! DORMEL, tout bas. Il y a cent et tant de francs de plus ; mais c'est égal.... vous me les rapporterez demain matin. SAINVILLE père, à part. Il avait encore économisé. DORMEL. Et c'est de même à moi de signer le contrat de mariage. SAINVILLE père, vivement. Lequel ? DORMEL. Tous les deux, mon ami. SAINVILLE fils et AGATHINE. Est-il possible ? DORMEL, à ceux qui l'entourent. Oui, mes enfants, soyez heureux. Je le suis aussi, moi... Non pas seulement d'avoir retrouvé mon bien, mais d'avoir appris à en faire un bon usage. AGATHINE. Quoi ! Mon père ! Vous auriez retrouvé.... SAINVILLE père. On vous contera tout cela. DORMEL. C'est à Sainville que je dois cette leçon Lui prenant la main.Mon ami ! Elle ne sera pas perdue. VAUDEVILLE. SAINVILLE père. Air : De Wicht.Bien corrigé de la manieD'enferrer sans cesse de l'or,Tu vas, à jouir de la vie, Employer enfin ton trésor. Bis.Il faut, mon cher, en homme sage,Réparer les MOMents perdus :Va, la folie est dans l'abus,Mais la sagesse est dans l'usage. Bis. DORMEL. Je suis changé, je le répète,Et ne le suis point à demi ;Je dois ma guérison complèteÀ mon voleur, à mon ami. Bis.Désormais, avec avantage, Je saurai placer mes écus :Mon voleur m'en montra l'abus,Mon ami m'en apprend l'usage. Bis. SAINVILLE fils. Mondor se tait ; et pour excuseDu silence qu'il se prescrit, Je crains, dit-il, qu'on ne m'accuseDe vouloir montrer trop d'esprit. Bis.Ne te gêne pas davantage,Mondor, tes soins sont superflus :Tu ne dois pas craindre l'abus D'un bien dont tu n'as pas l'usage. Bis. FINETTE. À sa fille maman sévèreProdiguant de tristes leçons, Lui dit : soyez sage, ma chèreEt défiez-vous des garçons : Bis.Craignez l'amour et son langageGrave maman ! Ne grondez plus.On peut en défendre l'abus,On doit en tolérer l'usage. Bis. ROBERT. Quoiqu'en dise un célibataire, Se marier est à propos :La femme a cent moyens de plairePour deux ou trois petits défauts, Bis.Ma foi, vive le mariage ?Oui, malgré tous les vieux rébus, C'est le plus triste des abusQue de n'en faire aucun usage. Bis. JACQUES. Drès l'matin not' femme querelle ;De boire alle me fait un tort.T'en prends trop, Jacques, me dit-elle ; Mais moi j'n'en tombons pas d'accord. Bis.Sur l'soir, c'est un autre langage ;Jarnigoi ! Je n'la r'connais plus.All' trouv' que c'n'est pas trop d'l'abus ;Moi j'dis qu'c'est ben assez d'l'usage. Bis. AGATHINE, au public. S'il faut en croire la critique, Vous devez craindre d'applaudir :Gardez-vous de mettre en pratiqueUn conseil qui nous fait frémir. Bis.Ces signes de votre suffrage, Chez nous sont toujours bien reçus :Nous n'en voulons pas faire abus ;Mais nous en voulons faire usage. Bis. On répète en choeur les deux derniers vers. ==================================================