******************************************************** DC.Title = AVOCAT SAVETIER, COMÉDIE. DC.Author = ROSIMOND, Claude Rose DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 10/08/2022 à 21:39:07. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ROSIMOND_AVOCATSAVETIER.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5628610x DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'AVOCAT SAVETIER COMÉDIE M. DC. LXXXIII. Par le Sieur SCIPION. COMÉDIEN DU ROI. À LA HAYE, Chez ADRIAN MOETJENS, Marchand-Libraire près le Cour, à la Librairie Française. Représentée pour la première fois en 1670 au Théâtre du Marais. ACTEURS. ROSANDRE, amoureux de Lisimène. PANCRACE, père de Lisimène. LISIMÈNE, fille de Pancrace. BAGOLIN, honnête savetier. LE COUSIN de Pancrace. LE DOCTEUR. UN SERGENT du quartier. PLUSIEURS RECORS. SCÈNE I. Rosandre, Pancrace. ROSANDRE. Ah ! Mon très cher ami, je vous trouve à propos,Seriez-vous en humeur d'écouter quatre mots ? PANCRACE. Cher ami, depuis quand Monsieur je vous supplie,Je ne vous vis jamais que je crois de ma vie. ROSANDRE. Encore que jamais je ne vous vis aussi, Je crois, vous faire honneur de vous traiter ainsi ; Pancrace est votre nom je pense ? PANCRACE. Oui Monsieur sous ce nom, l'on me connais en France. ROSANDRE. J'étais prêt d'envoyer un de mes gens chez vous,Mais vous trouvant ici... PANCRACE. Je n'étais pas chez nous. ROSANDRE. La cause entre nous deux, n'est que fort peu de chose,Il faut tout maintenant que je vous la propose,Un laquais comme moi vous en eu fait savant. PANCRACE. Votre laquais, ou vous Monsieur passons avant. ROSANDRE. Je suis né gentilhomme, et d'un vieillard fort riche, J'héritai force bien, donc je ne fus pas chiche,Car aimant la débauche, et la femme, et le jeu Tout ce grand bien laissé, se dissipa dans peu.La femme commença de désenfler ma bourse,Et le vin, et le jeu m'ont laissé sans ressource, Et tous les trois, enfin, m'ont mis dans un état,[Note : Gueux : se dit hyperboliquement de ceux qui n'ont pas assez de biens, de fortune pour soutenir leur naissance et leur qualité. [F] ]Que je suis à présent presque aussi gueux qu'un rat.Il est vrai, que le sort combattant ma misère,M'a donné des vertus, capable de vous plaire ;Je suis mutin en diable, et me bat comme deux. Je joue incessamment, et je sais tous les jeux ;Et comme au temps passé le jeu beaucoup me coûte,[Note : Filouter : tirer la laine, ou voler et tromper quelqu'un par de mauvaises voies et artifices. [F]]Pour m'en récompenser maintenant je filoute. PANCRACE. Fort bien. ROSANDRE. Toutes les nuits, en batteur de pavé,À tirer des manteaux on m'a souvent trouvé, Au reste, pour trinquer, je ne connais personne[Note : Incamot : Intelligence, esprit inventif. ]Qui dedans l'incamot plus galamment s'en donna.Il est fort peu de jour qu'on ne me trouve saoul,[Note : Drillot : Supposé tirer de "drille" qui signifie méchant soldat. Ce mot absent du Furetière et du Richelet.]Et comme un bon drillot, j'avale ainsi qu'un trou.Alors, suivant le feu qui me monte en cervelle, Je me dis, de quelqu'un, ou je cherche querelle,Ou prenant du tabac, je fume à qui plus plus. PANCRACE. Finissez le récit, de toutes vos vertus. ROSANDRE. Dès hier, on me dit que dans votre famille,.Vous aviez seulement, une fort belle fille, A l'âge que je crois, d'une vingtaine d'ans,À qui vous donneriez bien trente mille francs. PANCRACE. Il est vrai. ROSANDRE. Ce grand bien, m'a fait naître dans l'âme,Le désir a peu près, de la prendre pour femme ;Afin que son argent peut satisfaire aux frais, Qu'en débauché garçon incessamment je fais. PANCRACE. Ce n'est donc que son bien qui vous fait entreprendreDe l'avoir en vos mains, d'être à peu près mon gendre ? ROSANDRE. Rien autre. Et sans cela, votre fille, ni vous,N'eussiez put rencontrer un si parfait époux. Aussi, pour seconder l'honneur qu'on vous veut faireJ'ai déjà su pourvoir tout au plus nécessaire,J'envoyai mon laquais hier, de grand matin,Prier tous mes parents de venir au festin,Même, un tailleur et moi, fûmes dans des boutiques Pour lever des habits qui seront magnifiques.Ayant dit au marchant, pour avoir de l'argent,Qu'on s'en alla chez vous ; suis-je pas obligeant ? PANCRACE. Est-ce tout ? ROSANDRE. Au regard de ce qu'à vous m'amène. PANCRACE. Ce n'est pas encore tout, Monsieur, prenez la peine De rendre à vos marchands les draps, et les habits.Desquels vous prétendiez avoir de beaux habits.Et pour le prompt effet de ce beau mariage,Vous pouvez faire dire à votre parentage,Qu'à leur dépens chez eux, il peuvent bien manger, [Note : Gruger : Signifie simplement, manger beaucoup. Se dit figurément et burlesquement en Morale, de la chicane, qui consomme en eu de temps le bien d'un plaideur. [F]]Mais, qu'il ne vienne point chez moi pour y gruger.J'ai juré, pour finir en jureur passé maître,De ne prendre jamais qu'un grand homme de lettresDocteur en médecine, ou bien docteur en droit,Il ne m'importe pas, pourvu que docte il soit. Et pour vous dont mon bien a su chatouiller l'âmeVous pouvez autre part vous pourvoir d'une femme. ROSANDRE. Comment ? PANCRACE. Pour mon beau fils nous sommes résolus,De n'en prendre jamais s'y remplis de vertus,[Note : Pétuner : Prendre du tabac, il ne se dit que de celui qu'on prend en fumée avec une pipe. [F]]Qui joue incessamment, qui pétune filoute Pour rattraper l'argent que le joueur lui coûte[Note : Chartier : Il signifie celui qui mène une charrette, ou un chariot, une charrue. On dit aussi d'un grand jureur, il jure comme un charretier. [F] ]Et qui sous tous le jour renie en charretierÀ moins que quereller lui servent de métier. ROSANDRE. Me refuser pour gendre, est-ce que je m'abuse ? PANCRACE. Je ne le pense pas puisque je vous refuse, Et si vous le disant, cela ne vous suffit,Je suis prêt de le mettre encore par écrit.Serviteur cher ami... SCÈNE II. Rosandre, Bagolin. ROSANDRE. Jamais tour agréable Pour se bien divertir, au mien ne fut semblable,Ce bon homme me croit un fameux débauché, Et Rosandre pourtant, est là dessous caché.Rosandre, à qui lui-même a promis Lisimène,Et qui pour l'épouser ici la lettre amène,Mais j'aperçois venir l'homme dont j'ai besoinIl faut à me servir, qu'il applique son soin. Et que l'embarrassant d'une attente frivole,Dans cette Comédie, y joue un plaisant rôle. On lève un petit rideau, Bagolin paraît dans sa boutique, chante, et veut apprendre à siffler à son oiseau. BAGOLIN, chantant. Quoi ? Maudit animal, tu ne siffleras pas ?Ou je me trompe fort, ou bien tu siffleras. ROSANDRE. Je suis de Bagolin l'ami très véritable. BAGOLIN. Je pense que tu veux que je te donne au diable ? ROSANDRE. Pourrait-on point l'ami, quelque temps vous parler ? BAGOLIN. Tu ne veux pas siffler ? Je vais pour toi siffler. ROSANDRE. Mon très cher Bagolin, un petit mot de grâce. BAGOLIN. Mon bon Monsieur Rosandre, ha ! Que je vous embrasse Comment vous portez-vous, depuis que dans Paris,J'étais orfèvre en cuir devant votre logis ?Depuis quand en ce lieu ? Et comment va le père,Qui vous amène ici ? ROSANDRE. Une importante affaire ;Mets cette affaire à part, je te veux marier, Et te faire quitter ton pénible métier.Tu sais que dès longtemps je fus ton plus intime,Et c'est pour t'enrichir le sujet qui m'anime. BAGOLIN. Qui moi me marier ? Vous vous moquez ma foi ;Je ne saurais gagner de quoi me nourrir moi, Et je pourrais prétendre, à nourrir une femme ? ROSANDRE. Que ce soin important, n'alarme point ton âme.Cette illustre famille, où je veux t'allier,[Note : Savetier : Artisan qui raccommode les vieilles chaussures, souliers, bottes, pantoufles. [F] C'est aussi un terme péjoratif pour dire de quelqu'un qu'il travaille mal.]Ne permettra jamais, que tu sois savetier. BAGOLIN. En disant Savetier, dites par révérence, C'est un métier d'honneur, et des plus grands de France. ROSANDRE. La fille dont je parle a trente mille francs,Elle est belle, elle est riche, et n'a rien que vingt ans,Vois, si ce grand parti, te pourrait satisfaire ? BAGOLIN. Oui trente mille francs, ferait bien mon affaire ; J'aurais de quoi goinfrer sans jamais travailler.Mais la fille me choque, à vous en bien parler,Comme je suis d'humeur, à n'avoir point famille,Qu'on me donne l'argent, et qu'on garde la fille. ROSANDRE. Quoi dont dix mille écus, pour devenir l'époux ? De... BAGOLIN. Et bien ! De parbleu Monsieur marions nous.Aussi bien m'a-t-on dit, pour garder ma boutique,Que j'avais grand besoin, d'un diable domestique.Mais comment en ceci, doit agir Bagolin ? ROSANDRE. Par fortune, dis-moi, sais-tu parler Latin ? BAGOLIN. Ho qu'oui, le matin, ou le soir, ne m'importe,[Note : Drôle : Se dit d'un homme ou d'un enfant qui, ayant quelque chose de décidé, de déluré, ne laisse pas d'exciter quelque inquiétude, et sur lequel d'ailleurs on s'attribue quelque supériorité. [L]]Je jase comme une drôle, et de la bonne sorte. ROSANDRE. Je dis Latin stupide, et non matin ? BAGOLIN. Tout doux,Quoi pour se marier il faut avoir des coups ?Je renonce au Latin, ainsi qu'au cocuage. ROSANDRE. He ! Que dis tu ? BAGOLIN. Doucement, je dis du mariage,Mais pourquoi ce Latin ? ROSANDRE. Pancrace m'a fait voir,Qu'il voulait pour son gendre, un homme de savoir. BAGOLIN. Et pour homme d'esprit, vous voulez me commettreMoi, qui ne sut jamais, ce que c'est qu'une lettre ? [Note : Pied-plat : et quelquefois plat pied, homme qui ne mérite aucune considération : locution qui vient non du vice de conformation indiqué ci-dessus, mais d'une différence de chaussure entre les gens du peuple et les gentilshommes, ceux-ci portant des souliers avec des talons rouges très relevés, tandis que les ouvriers et les bourgeois portaient des souliers plats. [L]]Ah ! Prenez pour cela, quelqu'autre qu'un pied plat. ROSANDRE. Je prétends t'ériger pourtant en avocat,Et te donner du bien, ainsi que de la gloire,Pourvu que ce Latin, entre dans ta mémoire. BAGOLIN. Comment dit ce Latin ? Commençons par un bout. ROSANDRE. Ça, dit donc, Ego sum. BAGOLIN. Après. ROSANDRE. Avocatus. BAGOLIN. Est-ce tout ? ROSANDRE. Oui. BAGOLIN. Mais en français cela que veux-t-il dire ? ROSANDRE. Que je suis avocat. BAGOLIN. Vous me faites bien rire,Si vous êtes Docteur, allez vous marier,Vit-on jamais au monde Avocat Savetier ? ROSANDRE. Mais c'est toi qui sera le gendre de Pancrace,Et trente mille francs. BAGOLIN. Et bien, je prends la place,Et me résous enfin, pour les dix mille écus,Me dire trente fois, je suis, Avocatus.Mais après ses trois mots, si quelqu'un m'interroge. [Note : Faire Jacques d'éloge : s'enfuir, s'évader. [L]]Vous répondrez, ou bien, je fais Jacques d'éloge. ROSANDRE. Pancrace est ignorant, et ce seul mot bien dit,Te fait passer d'abord pour un homme d'esprit,Mais il te faut marcher sur un ton gravissime,Et devant lui, parler en homme doctissime, [Note : Jason : un personnage de la mythologie grecque.][Note : Cujas, Jacques [1520-1590] : célèbre jurisconsulte. Aucun n'a pénétré plus avant dans la connaissance et l'explication des lois romaines, et aucun n'a écrit la langue latine avec plus de pureté.]Citer avec en face, et Jason, et Cujas,Auteurs, que ce vieillard, je crois, ne connaît pas. BAGOLIN. Ma foi ni toi non plus. ROSANDRE. Je vais trouver Pancrace, Reviens dans un moment, en cette même place,Nous y serons ensemble. BAGOLIN. Avant de s'en aller, Dites pour ce Latin, comme il faut s'habiller. ROSANDRE. Te mettre proprement, sous une robe noire. BAGOLIN. Bon, j'ai su tout d'un coup me mettre en la mémoire,Certain habit que j'ai, du dernier carnaval.Qui pour me déguiser, ne servira pas mal, Adieu, je vais le mettre, et je reviens. SCÈNE III. Rosandre, Pancrace. ROSANDRE. Courage,Bagolin, a ravi, jouera son personnage,Hola. PANCRACE. He bien ! Monsieur ? Que voulez vous de moi ? ROSANDRE. Je viens vous retrouver. PANCRACE. Peut-on savoir pourquoi ? ROSANDRE. J'ai pour vous une estime, et haute, et fort sincère, Je vous trouve brave homme, et vous honore en père,Et père, quoi qu'en recherchant de m'allier à vous,L'on ait vu vos mépris, allez jusqu'au courroux,Je sais qu'avec raison, mon attente est trompée,Puisque vous n'êtes pas, pour un homme d'épée. [Note : Soutane : habit que porte les hommes d'église et plus particulièrement les curés.]Vous aimez la soutane, et je viens vous revoirPour savoir si mon frère arrive d'hier au soir,Pourrait avoir l'honneur d'épouser votre fille ? PANCRACE. Quel est ce frère ? ROSANDRE. Un homme en qui le savoir brille,Plus docte qu'Aristote, et qui dedans Paris A fait taire cent fois, les plus rares espritsAu restes fort bien fait galant de sa personne. D'une humeur enjouée, et qui semble bouffonne. PANCRACE. Tant mieux. ROSANDRE. Et plus que tout, c'est que deux mil écusDe ses biens tous les ans, font les beaux revenus. PANCRACE. Tant mieux encore. ROSANDRE. En arrivant, il me fit presque entendre,Le désir qu'il avait de se voir votre gendre.Ayant su dans Paris quel homme vous étiez,Et par le bruit commun, ce que vous méritiez. PANCRACE. Ah ! Je serais ravi, qu'il entre en ma famille. Et je vais sans tarder en parler à ma fille.Lisimène ? SCÈNE IV. Lisimène, Pancrace, Rosandre, Bagolin. LISIMÈNE. Papa, Papa que me désirez-vous ? PANCRACE. Je veux dés aujourd'hui, vous donner une époux.[Note : Doctrine : Savoir, érudition, ce qu'on a appris en lisant, en voyant le monde. [F]]Mais un époux illustre, et de qui la DoctrineFait cacher Aristote, et fait endormir Pline. Fort riche ; n'est ce pas ? ROSANDRE. Oui, Monsieur. PANCRACE. Et bien fait,C'est un homme en un mot, digne d'être en portrait.Voilà Monsieur son frère, et bientôt ce beau gendre. LISIMÈNE. Vous ne songez donc pas, que promis à Rosandre.Qui vient pour m'épouser... PANCRACE. Rosandre est un badin, Qui s'amuse à dormir je crois par le chemin ,Quand y devrait conclure une affaire importante ; En un mot, je prétends qu'en fille obéissante,Vous épousiez, Monsieur... Comment le nomme-t-on ? ROSANDRE. Entre les gens d'esprit, le Docteur Barabon, Mais pour vous saluer vers vous y s'achemine. PANCRACE. Que cet homme est savant, et qu'il a bonne mine. BAGOLIN, en habit de Docteur. Est-ce là, le beau-père, où je dois m'allier ? ROSANDRE. [Note : Etablier : Celui qui tient une auberge et qui y travaille.]Et sa fille avec lui, cache l'établier.Que tu ne sois connu, et surtout prend bien garde À ce que tu diras. BAGOLIN. Le barbon me regarde. ROSANDRE. Laisse le regarder, et porte bien ton bois. BAGOLIN. Dois-je parler d'abord ou Latin, ou François ? ROSANDRE. Il faut en premier lieu, suivant la bienséance,Lui lever le chapeau, faire la révérence, Puis dire ton Latin. BAGOLIN. Il ne m'en souvient plus. ROSANDRE. Ego sum. BAGOLIN. Après ? ROSANDRE. Advocatus. BAGOLIN. Je m'en vais l'aborder, et de la bonne sorte,Je suis Advocatus, ou le diable m'en porte. PANCRACE. Il m'ôte mon chapeau, Monsieur est-ce qu'il rit ? ROSANDRE. C'est la mode à présent entre les gens d'esprit. PANCRACE. Cette mode à mon sens, me semble ridicule ;Mais n'importe, écoutons son docte préambule. ROSANDRE. Veux-tu me faire ici recevoir un affront,Songe à ce que tu fais, Gar... BAGOLIN. Adbvocatus sunt. Non pas Advocatus des quinze à la douzaine,Puisque des plus savant, je suis le capitaine ; Mais des Advocatus, vénérable patron, [Note : Carteron : (quarteron) Compte qui fait le quart d'un cent. On dit proverbialement d'une chose qu'on estime, qu'on ménage, qu'il n'y en a pas trois douzaines au quarteron. [F]]Dont on ne voit jamais que dix au carteron.Connaissez vous Platon, ce grand homme de Genève ! PANCRACE. Non. BAGOLIN. Et Sénèque ? PANCRACE. Encore moins. BAGOLIN. S'ils étaient sur la terreAvant qu'il fut deux jours, au seul bruit de mon nom,On ne trouverait plus Sénèque, ni Caton,Car ils s'iraient cacher dans le pot au vinaigre. PANCRACE. Que Monsieur votre frère est un docteur allègre, Il parle comme un livre, et rit incessamment. ROSANDRE. Ne vous ai-je pas dit, qu'il raillait doctement. PANCRACE. Vous avez fait, Monsieur, tous vos degrés ? BAGOLIN. Sans doute,Je saurai l'autre jour, notre montée toute,Sans un degré de manque, étant saoul de muscat. PANCRACE. Et depuis quand Monsieur êtes vous avocat ? LISIMÈNE. Peut-on le demander sans paraître incivil. BAGOLIN. Depuis que ce jeune homme arrivant dans la ville,Pour avoir votre fille et vos dix mille écus.M'apprit à décliner, je suis Advocatus. ROSANDRE. Il est vrai, qu'aussitôt que je le vis paraître ,Sachant que vous vouliez un grand homme de lettres,Je dis qu'un avocat y parut aujourd'hui,Et que ce bel objet pouvait être pour lui. PANCRACE. Fort bien. Et son humeur me paraît agréable. BAGOLIN. Au reste sachant tout, la science m'accable,J'ai quatre onces du moins, de l'hébreu le plus fin.J'ai plein quatre chapeaux de Grec, et de Latin.Je sais presque par coeur l'Histoire véritable,[Note : Aymon (le duc) : Prince des Ardennes, saxon d'origine, obtint de Charlemagne le gouvernement du pays dont Albi était la capitale, avec le titre de Duc de Dordogne, et fut père des quatre preux que nos romanciers ont célébré sous les nom des quatre fils d'Aymon. Ils avaient pour nom Renaud, Guichard, Alard, Richardet, il possédaient en commun, selon la légende, un seul cheval ; devenu célèbre sous le nom de Bayard. [B]]Des quatre fils Aymons, et de Robert le diable. Quand le Ciel est couvert de son plus noir manteau,Je devine s'il pleut ; que nous aurons de l'eauDedans le mois d'août, je sais fort bien comprendre,Qui fait beaucoup plus chaud, qu'en celui de décembre.Et sitôt que la grêle à gâté le raisin, Je dis assurément, nous aurons peu de vin.Pour les procès je pense, y savoir quelque chose.Et sitôt qu'un plaideur ayant perdu sa cause,Paraît comme enragé, je dis au même instant,Que son esprit troublé, n'est pas des plus contents. Et comme Savetier, nous avons connaissance,Que le bon cuir d'Auvergne, est le meilleur de France.Et quand il vous faudra rajuster vos souliers,Vous verrez si l'on voit de meilleurs savetiers. PANCRACE. Se moque-t-il de nous ? Quoi la Savetterie ? L'occupe quelquefois ? ROSANDRE. Ce n'est que raillerie,En vous parlant de lui, ne vous ai-je pas ditQu'il montre à tous moments, le feu de son esprit. PANCRACE. Combien de mille écus possédez-vous de rente ! ROSANDRE. Deux mille pour le moins, sans le bien d'une tante, Qui.... BAGOLIN. Qui, moi, deux mille écus, malpeste du fol,Jamais d'argent comptant je ne me vis deux sols. ROSANDRE. Vous ne comprenez pas ou tendent ses paroles,Il n'eut jamais deux sols, mais bien force pistoles. PANCRACE. Or ça, Monsieur mon gendre, ou Monsieur l'Avocat, Pour votre mariage, il faut faire un contrat,Et sans que de vos biens autrement je m'informe,Faisons le si vous plaît, qui soit en bonne forme. BAGOLIN. [Note : Forme : Signifie quelquefois, un moule, un modèle, et se dit particulièrement de ceux des souliers. [F]][Note : Forme : On appelle un arrêt en forme, un contrat en forme, ceux qui sont en parchemin, en grosse, signés, et scellé en forme probante, et authentique. [F]]Celle-ci que je crois, sera bonne pour vous,Elle vient de Paris. PANCRACE. Se moque-t-il de nous ; Une forme est-ce que par gageure... ROSANDRE. C'est que mon frère est propre, et surtout en chaussure,Et craignant en ce lieu qu'on le trouva mal mis, Il a fait apporter sa forme de Paris. PANCRACE. Mais il est à propos touchant ce mariage, De savoir si ma fille aura quelque avantage ?[Note : L'original ecrit "le dot", nous corrigeons.]Vous savez que la dot... BAGOLIN. Que vous êtes badin, [Note : Saint Crépin : on appelle aussi Saint Crépin tous les outils du cordonnier. [F]]Ma femme après ma mort aura mon Saint-Crespin. PANCRACE. Qu'est-ce qu'un Saint-Crespin ? ROSANDRE. Que votre espoir s'y fonde , Il entend tout le bien, qu'il a dedans le monde. BAGOLIN. Mais aussi, je prétends que les dix mille écus,[Note : Gousset : signifie aussi, une petite bourse qu'on attache à présent aux hauts de chausses et qu'on mettait autrefois sous l'aisselle, comme font encore aujourd'hui les paysans [XVIIème siècle NdR]. [F]]Viendront dans le gousset du sieur Advocatus. PANCRACE. Nous l'entendons ainsi, ça vite LisimèneDe déchausser le gant, il faut prendre la peine. LISIMÈNE. Rosandre, mon papa... PANCRACE. Vous résistez en vain, [Note : Badot : ou Badaud. Sot, niais, ignorant. C'est un sobriquet injurieux qu'on a donné aux habitant de Paris, à cause qu'ils s'attroupent, et s'amusent à voir, et à admirer tout ce qu'ils rencontrent en chemin, pour peu qu'il leur semble extraordinaire. [F]]Rosandre est un badot, ça monsieur votre main.Pour se donner la foi, c'est le premier article. LISIMÈNE. Papa, qu'est-ce la foi ? BAGOLIN. [Note : Manicle : Ce sont des fers qu'on met aux mains es prisonniers On dit ordinairement des menottes. Les confiseurs se servent aussi de ce mot pour signifier quelque morceau de papier avec quoi ils lèvent la poêle de dessus le feu, de peur de se brûler les mains. [F]]C'est une manicle,[Note : Ligneuil : Cordon qui se fait de plusieurs fils attachés ensemble par de la poix. [F]]Pour tirer le ligneuil, de crainte que la poix,Ne s'attache à la main. ROSANDRE. Oui, c'est que l'autre fois. En n'écrivant un mot avec tranche plume,Il se fit une plaie d'un assez grand volume,Dont le chirurgien, l'a su persuader, De porter cette peau, pour la consolider. PANCRACE. Vite, touché, palette, allons mon future gendre. LISIMÈNE. J'obéis à mon père, et la donne à Rosandre. BAGOLIN. Bon, me voila déjà marié d'une main. PANCRACE. Les noces, si vous plaît ; se feront dès demain.Le plutôt vaut le mieux, en cas de mariage. BAGOLIN. Je vais faire chez vous porter tout mon bagage. PANCRACE. Fort bien. Mais voulez-vous qu'avec vos laquais,[Note : Portefaix : On appelle portefaix des crocheteurs, et gens de peine propres à porter des meubles, et les provisions. [F]]J'envoie une charrette ou quelque portefaix ? BAGOLIN. Vous vous moquez de moi, j'ai l'échine assez largePour pouvoir supporter une plus lourde charge,Adieu, je reviendrai plutôt que l'on ne croit, Mon frère cependant faite l'amour pour moi. PANCRACE. Son humeur qui me charme, est sans doute agréable.Et je crois qu'à railler elle est incomparable,Attendant son retour, pour ne perdre le temps.Je vais de ce beau choix avertir mes parents, Ma fille entretenez cet aimable beau frère. SCÈNE V. Lisimène, Rosandre. LISIMÈNE. Hé bien, que dites vous de l'humeur de mon père ? ROSANDRE. Elle est assez facile, à ne vous rien celer,Et pour le voir duper on n'a rien qu'à parler,Cependant, Lisimène à Rosandre promise, Par lui même à mon père, augmente ma surprise,Quoi m'écrire à Paris, de venir promptementJoindre le nom d'époux, aux ardeurs, d'un amant,Et vous voir à mes yeux destiné pour un autre. LISIMÈNE. La faute, ou je me trompe, est entièrement vôtre, Vous vouliez le jouer, mais Rosandre avouée,Que souvent les plus fins en jouant sont joués. ROSANDRE. Mais, depuis quatre jours qu'auprès de vos appas, On me voit de retour ? LISIMÈNE. Il ne vous connaît pas.Et qui plus est encor, vous m'avez fait paraître, Que ce n'est pas par moi, qu'il vous devait connaître,Je n'ai rien dit, ainsi vous devez aujourd'hui,Vous plaindre de Rosandre, et point du tout de lui. ROSANDRE. Mais puis-je m'assurer que Lisimène m'aime ? LISIMÈNE. Sans doute, et beaucoup plus qu'elle ne fait soi-même, Ne doutez donc de rien, et calmez ce couroux ?Croyez qu'absolument Lisimène est à vous. ROSANDRE. Jamais son changement n'entrât dans ma pensée,[Note : Fourbe : tromperie, déguisement de la vérité. [F]]Mais allons achever la fourbe commencée,Et voir si l'avocat emportera le prix, Je vais trouver Pancrace. LISIMÈNE. Et moi j'entre au logis. SCÈNE VI. BAGOLIN, en traînant une caisse. Quand un homme prend femme, et qu'il entre en ménage,On m'a dit qu'il y doit porter tout son bagage,Aussi je veux savoir en portant tout le mien,Si notre chère épouse a pour moi tout le sien ! Hola ho ? LISIMÈNE. Quoi vous-même vous prenez cette peine. BAGOLIN. Je la prends aujourd'hui charmante Lisimène.Mais entrant dès demain, en ménage nouveau,Vous m'aiderez je pense à porter le fardeau.Ça prêtez moi la main, pour décharger ma caisse. LISIMÈNE. [Note : Crocheteur : Qui crochète des portes, des serrures. Signifie aussi un portefaix qui porte des fardeaux sur des crochets. [F]]Un avocat bon Dieu, crocheteur. BAGOLIN. He bien ! qu'est-ce ? Si l'on voit large dos à Monsieur votre époux,[Note : Tamieux : tant mieux.]Il en est plus robuste, et c'est tamieux pour vous.Quand il faudra pour vous exercer son échine,L'avocat gagnera de quoi boire chopine. LISIMÈNE. [Note : Hardes : signifie les habits et meubles et portatifs qui servent à v^tir ou parer une personne, ou sa chambre. [F]]Pouvons nous visiter les hardes que voilà,Voir vos coffres ici ? BAGOLIN. Oui dà, mettez-vous là. LISIMÈNE. [Note : Guenille : habit déchiré, et tombant en lambeaux. [F]]Quelle guenille au Ciel ! BAGOLIN. C'est mon habit de noce.[Note : v. 374, la fin du vers est graphié : "au chosses"]Voyez-vous le pourpoint, il revient bien aux chausses,Je le mets le dimanche avec ce grand chapeau. LISIMÈNE. Vous êtes lors bien mis, car l'équipage est beau. BAGOLIN. Voilà mon Saint-Crespin, et mon linge. LISIMÈNE. Il me semble,Que le linge et l'habit reviennent bien ensemble. BAGOLIN. Il est sale, il est vrai, mais vous devez savoir,Que tant plus je le porte, et plus il devient noir. LISIMÈNE. Qu'est cela ? BAGOLIN. D'un cocu le plumageIl est bon d'en avoir quand on entre en ménage.On s'en sert quelquefois pour manche de couteaux.Pourrai-je quelque jour être de ses oiseaux,Dites ? LISIMÈNE. Cela se peut, et l'homme le plus sage... BAGOLIN. Je vous en fait présent, au nom de mariage. LISIMÈNE. Ah ! Gardez-les pour vous, pour moi, je n'en veux point. BAGOLIN. Et vous m'en fournirez quand j'en aurai besoin,Prenez. LISIMÈNE. Encore un coup je n'en veux point des vôtres. BAGOLIN. Et prenez celle-ci, vous en donnerai d'autres. Mais que vois-je... LISIMÈNE. Mon père, et mon cousin aussi. BAGOLIN. J'entre dans le logis, et je reviens ici. SCÈNE VII. Le Cousin, Pancrace, Le Docteur, Bagolin, Rosandre, Lisimène. LE COUSIN. C'est bien précipiter un pareil mariage. PANCRACE. Il le faut, quand on trouve un si grand avantage.Un avocat bien fait, richissime et savant. LE DOCTEUR. La plus belle apparence est trompeuse souventDit Sénèque, et souvent par une fausse amorce,On trouve un méchant bois, sous une belle écorce.Est-il fort docte ? PANCRACE. Autant que feu Nostradamus. LE DOCTEUR. Mortalibus doctrina honnore est omnibus. Oui, le profond, savoir est un rare avantage,Il nous honore, et rien n'est comparable au sage,Sitôt que j'aurai vu ce gendre prétendu,Qui peut porter le nom de rare individu,[Note : Interrogat : Question, demande qu'on fit en justice, et dont on attend une réponse. [F]]Un bon interrogat, nous apprendra peut-être, S'y dans le droit civil, il sera passé maître. PANCRACE. Le voici, dites-moi qu'est-ce que son esprit. LE DOCTEUR. On en peut pas juger n'ayant encore rien dit.Je vais l'interroger. LE COUSIN. Il a mauvaise mine. LE DOCTEUR. C'est un dont ennoré sans doute à la Doctrine. Ami du Sieur Pancrace, et docteur dans les lois,Je prends part au bonheur qui suit un si beau choix.Mais comme les savants semblent avoir en buteD'égayer leurs esprits toujours dans la dispute,Souffrez qu'à ce brillant qui me met à qui a, Je puis se demander quid est Justicia ? BAGOLIN. Que dit-il ? ROSANDRE. En Latin qu'es-ce que la Justice. BAGOLIN. Je suis Advocatus visage decrevice,Cela dit et cetera. LE DOCTEUR. Répondez BAGOLIN. On y va.Mais toi-même réponds, Quid est ce Justitia. LE DOCTEUR. Justicia est, Constans et perpetua Volontas,Jus suum Cuiqué tribuendi.C'est une volonté pour les biens importante,Qu'on voit perpétuel et qu'on nomme Constante,À rendre à tout chacun ce qui leur appartient. BAGOLIN. D'accord, car je soutiens ce que Monsieur soutient. LE DOCTEUR. Le grand Justinien, cet empereur Illustre,Qui fit voir la Justice en son plus digne lustre,Surpris, de voir régner tant de docteurs divers,Qui tous traitaient des Lois à droit, et à travers, De tant d'écrits confus, faisant un noir mélange,Qui plongeait la Justice en un abîme étrange,Ramassant promptement de ces divers esprits,Les plus pures sentiments, et les plus beaux écrits,Il en forma les lois que notre siècle honore, Et qui jusqu'à présent porte son nom encore. BAGOLIN. Que vous raisonnez bien, que vous avez d'esprit. LE DOCTEUR. Depuis que ce grand homme, eût fait ce que j'ai dit,On n'a vu dans l'instant s'installer dans le monde.Tant de livres de droit, que le siècle en abonde. BAGOLIN. Des Lièvres ? Il est vrai, on en voit bien parfois,Et des lapins aussi. LE DOCTEUR. Latin, Grec, et François.Or, parmi ses docteurs dont les sciences brillent,On met au premier rang Balde, Lesquiquoquille,Bertolle, Déclapier, Théophile, Jason, Ennacurse, Alciat, Hypolite, et Papon ?Tribonien, Merna, Fulgosse, Dorathée,Rocheflaven, Menard, Odofret, Abudée,Macrobe, Imbert, Fabert, Lolive, Carondars,Louet, Dinno, Marcil, et l'Illustre Cujas. Bref, de pareils savants une longue Illiade,Qui tous, pour s'élever dans le suprême grade,Et remplir de leur noms, leur fameux tribunaux,Enfoncent, et leurs têtes, et leurs nez doctoraux,Dans les digestes, lois, paragraphe, rubriques, Decretales, versets, chapitres au tantiques. Dans les Codes Flamiens, Codes Théodosiens, Codes Argemoniens, Grégoriens, Papiniens, Dans les titres Canon, Institution, Gloses, Et mille autres erreur, dedans le droit enclose, Qui vont embarrassant quand on veut l'embrasser,Des Cerveaux, qu'avec peine on peut débarrasser. PANCRACE. Je ne comprends rien là, du moins qui me remembre,Tandis, qu'ils finiront, je vais jusqu'à ma chambre. LE DOCTEUR. De ses savants aux lois, que l'on nomme Docteurs, Les uns sont chicanants, chicanez, chicaneurs ,Plaidants, et consultants, glosateurs, formulaire,Qui rapporteur d'arrêts, qui désessonaires, Les uns praticiens, d'autres instituteurs ,Interprète du Droit, et qui solliciteurs. LE COUSIN. Que d'un pareil discours la longueur m'assassine,J'entre dans le logis, et reviens ma cousine. LE DOCTEUR. Un parfait avocat doit savoir tout cela, Et pour se rendre Illustre aller jusqu'au delà,N'ignorer ce que c'est, que ces fins dilatoires, Piramtoire même, et fins déclinatoires,Qu'est-ce que nullités, qu'est-ce qu'originaux, Promesses et contrats, achats, lettre royaux, publiques, Écritures publiques, épreuves, et requêtes,Copies, testaments, mariages, enquêtes, L«s Les contestations, révisions, arrêts ,Représentations, productions, extraits ,Qu'est-ce que conclusions au parquet, ordonnances,Les avis, aux conseils, sentences,Et requêtes au palais, opposants, prétendants, Saques, et piesse enfin, demandants, défendants,Parties jointes, et de plus tous ces noms innombrablesQu'au Palais tous les jours vont forgeant nos semblables. LISIMÈNE. Je m'ennuie beaucoup. ROSANDRE. Peut-on pas s'en aller ? LISIMÈNE. Suivez-moi dont aussi, car je vous veux parler. BAGOLIN. Tout le jour faudra-t-il que j'ai la bouche close ?Et quand diable Monsieur dirai-je quelque chose ? LE DOCTEUR. Je n'ai plus qu'à parler deux heures seulement,Et puis, vous me pouvez répondre congrument. Or donc justiniant, de nos illustres plumes, Dans Rome, ayant trouvé, deux cent mille volumes,Composé du depuis Justin, à Romulus. BAGOLIN. La langue me démange enfin, je n'en puis plus. LE DOCTEUR. Pour laisser aux mortels, sa mémoire immortelle... BAGOLIN. Je veux parler te dis-je, ou nous aurons querelles. LE DOCTEUR. Et que tout l'avenir profitas de ces soins. BAGOLIN. Il va dans un moment, pleuvoir des coups de poings. LE DOCTEUR. Ayant formé ces lois que je viens de vous dire Dès lors... Mais Domine vous voulez je crois rire ? BAGOLIN. Quoi je ne dirai mot ? LE DOCTEUR. Je dois être entendu, Car.... vous êtes un sot, insupremo gradu, Écoute, et saches que Cujas... à l'échine,L'on va dans un instant voir battre la Doctrine. BAGOLIN. Voilà pour commencer. LE DOCTEUR. Ah ! Suivons mon courroux,C'est par trop en souffrir, il faut donner des coups, Ah ! J'ai le nez cassé, mais allons qu'on se venge, Un homme tel que moi, sais bien donner le change, Te voilà que je crois, assommé comme un chien,Tu n'as rien qu'a courir, chez le chirurgien, Afin que promptement il te mette une emplâtre. Et songe une autre fois alors qu'on veut se battre,C'est... Mais il ne remue, et même ne dit mot ?De se laisser mourir serait-il assez sot.Voyons et confirmons à mon âme alarmée ?Je pense que son corps est réduit en fumée ? D'un homme fort palpable, on ne trouve plus rien.Il n'en faut plus douter, c'est un magicien. Ne perdons point de temps, faisons venir Pancrace, Et lui montrons l'époux, qu'il veut mettre en sa race.Hola vite. PANCRACE. Bonjour, avez-vous achevé ? LE DOCTEUR. Ah ! Que je suis heureux de vous avoir trouvé, Laissez-moi prendre haleine. BAGOLIN. Ha, que la farce est drôle,Mettons nous dans la robe, et finissons le rôle. PANCRACE. Venez-vous me donner quelques avis importants ? LE DOCTEUR. Je viens vous raconter un cas exorbitant, L'avocat... PANCRACE. He bien quoi. LE DOCTEUR. N'avait rien que l'externe, Étant dans l'intérieur ignorant subalterne,Outre qu'il est sans doute un insigne sorcier. PANCRACE. Et de plus m'a-t-on dit un méchant savetier,Qui voulait m'attraper ; mais je le ferai pendre, Ne voulant ni le sorcier, ni savetier pour gendre. LE COUSIN. Je le connais fort bien, son nom est Bagolin. LE DOCTEUR. Sachez qu'en nous frottant, c'est homme diablotin, De me voir, le plus fort prévoyant sa disgrâce, N'a laissé dans mes mains, qu'une robe en sa place... Mais il est de retour, saisissons-nous de lui. PANCRACE. Ha pendard, je te tiens, ou du moins ton étui,Allons il faut dans peu venir à la Justice, Et dedans un bon feu, recevoir ton supplice. BAGOLIN. Quoi, pour être avocat, il faut être grillé, Ha, l'on verra bientôt l'avocat dépouillé, Je veux être pendu, en cas qu'on m'y rattrape. PANCRACE. Tenez le bien tous deux, de crainte qu'il n'échappeJe m'en vais appeler le sergent du quartier,Hola. SCÈNE VIII. Sergent, Pancrace, Le Docteur. SERGENT et Recors. Que voulez-vous ? PANCRACE. Nous avons un sorcier Qui faut mettre en prison, sans tarder davantage.Tenez bien. LE DOCTEUR. N'ayez peur. SERGENT. Voyons le personnage ;Ah galant ! Je te tiens, c'est de la part du Roi,Allons y faut marcher, vous moquez-vous de moi,Pourquoi mettre en prison cette jaquette noire ? LE DOCTEUR. [Note : Grimoire : Livre qu'on n'a jamais vu, où on prétend qu'il y a des conjurations propres pour faire évoquer les démons. [F]]Il est plus fin que nous, autre tour de grimoire. PANCRACE. Monsieur, nous nous étions de son corps emparé,Mais comme il est sorcier y s'est évaporé. SERGENT. Il faut courir après, mais si l'on vous l'amène... PANCRACE. Et vous, et vos records, chacun aura sa peine, Votre argent est tout prêt, s'y peut-être arrêté,Mais sans perdre de temps courons de ce côté. SCÈNE I.. BAGOLIN, seul. [Note : Séquelle : Nom collectif qui se dit d'une suite de personnes, ou de choses, qui vont ordinairement ensemble, ou qui sont attachés au parti, aux sentiments, aux intérêts communs. [F]]Je n'ai jamais mieux fait, voyant cette séquelle, [Note : Venelle : terme populaire qui se dit en cette phrase, "enfiler la venelle" pour dire, s'enfuir. [F] [venelle : petite rue]]Que d'avoir sans rien dire enfilé la venelle ,J'étais pris pour un sot, et sous mon habit noir , Dans une basse-fosse on me fut venu voir,Et l'on eut fait chanter, dans cette belle cage, [Note : Ramage : Se dit aussi ironiquement des différents cris et tons de voix des animaux. On dit aussi des gens qui ont changé de sentiment, de profession, qu'ils chantent maintenant un autre ramage.]À l'avocat bibus, un diable de ramage,Que l'Avocasserce, est un méchant métier, Il plus dangereux que d'être savetier. Reprenons donc sans bruit la manicle, et la forme,Et pour être avocat qu'on m'attende sous l'orme,[Note : Driller : Courir vie. 'est un terme bas et populaire, qui se dit des laquais, des soldats, des gueux qui s'ennuient, et qu'on fait courir. [F]]J'en avais pour mon conte, et si je n'eus drillé,Le pauvre Bagolin allait être étrillé. SCÈNE X. Le Cousin , Sergent, Bagolin. LE COUSIN. Voilà notre galant, niché dans sa boutique, Songez en le prenant, qu'il entend l'art magique, Que pour être invisible il n'a qu'à le vouloir. SERGENT. Sorcier en nos mains, n'a plus aucun pouvoir.C'est de la part du Roi... BAGOLIN. He bien, quoi ! SERGENT. Que je vous commande.De venir en prison. BAGOLIN. À vous, à votre bande, Je commande à mon tour, que sans plus retarder,Vous n'ayez en ce lieu rien à me commander.À moins que vous voulez que la savatterie, Sans aille faire un tour, sur votre friperie. SCÈNE XI. Pancrace, Bagolin, Recors, Le Docteur, Sergent. PANCRACE. Voilà notre avocat, notre illustre enchanteur, Vite, vite, Sergent saisissez l'imposteur. BAGOLIN. Ah ! Vieux fol édenté tu veux donc qu'on m'arrête,Ce coup est pour ton conte. RECORS. Ah ! L'épaule ! LE DOCTEUR. Ah ! La tête ! PANCRACE. [Note : Recors : Aide de sergent, celui qui assiste, lorsqu'il va faire quelque exploit, ou exécution, qui lui sert de témoin, et qui lui prête main forte. [F]]Saisissez le, Recors. SERGENT. Il nous est échappé,Courons après enfants, et qu'il soit attrapé. SCÈNE XII. Lisimèn, Rosandre. LISIMÈNE. Oui Rosandre, il est temps de faire voir Rosandre,C'est trop jouer mon père, et c'est trop l'entreprendre,L'honneur... mais quel grand bruit provient jusques ici ? ROSANDRE. Ce sera Bagolin qui fuyant... le voici. SCÈNE X.II. Recors, Sergent, Lisimène, Rosandre, Le Docteur, Pancrace, Le Cousin. RECORS. Arrête, arrête. SERGENT. Vite, que l'on le prenne, Il m'a tant fait courir, que j'en suis hors d'haleine. RECORS. [Note : Collet : Partie de l'habillement qui joint le cou, qui se met autour du cou. En ce sens on appelle Petit collet, un homme qui s'est mis dans la réforme, dans la dévotion, parce que les gens d'église portent par modestie de petits collets, tandis que les gens du monde en portent de grands ornés de points et de dentelles.]Qu'on le prenne au collet, il doit être en ces lieux, Il s'est évanoui tout d'un coup à nos yeux,C'est un franc enchanteur, j'y gagerais ma tête,Visitons bien partout, il faut... arrête, arrête. LISIMÈNE. La pièce est admirable, et pour n'en rire pas, Il faudrait aux plaisirs ne trouver nul appas. RECORS. Au sorcier, au sorcier. LISIMÈNE. La prise est infaillible, RECORS. L'avez vous ? SERGENT. Et deux fois qui se rend invisible ;Nous le tenions au dos quand il a disparu. LE DOCTEUR. Souvent le lièvre est pris, quand il a bien couru, Visitons bien partout.... BAGOLIN. Gagnons au pied, et vite. LE DOCTEUR. Nous tenons le renard, il est pris dans le gîte. PANCRACE. L'Enchanteur est-il pris, et malgré son pouvoir... SERGENT. Il est dans cette caisse, et vous le pouvez voir. PANCRACE. [Note : Dauber : Battre sur le dos à coups de poings, comme font les petites gens, et les écoliers. Il est bas. [F]]Il faut qu'à mon plaisir maintenant je le daube. LE DOCTEUR. Il s'est évanoui, comme il fait de la robe.Mais Chut ne dites mot, j'aperçois son secret. [Note : Pendard : Par exagération, celui, celle qui est digne de pendaison, qui ne vaut rien du tout. [F]]Et le pendard est pris si plus y si remet ; Il ne nous fera plus une troisième pièce, Nous n'avons dans ce lieu qu'a remettre la caisse, Et s'il y rentre, encore, il faudra l'investir,C'est un diable, s'il a le pouvoir d'en sortir. LE COUSIN. Bon, bon, que dites-vous ? Une autre adresse presse, Sitôt... BAGOLIN. Bonjour, bonjour. RECORS. Arrête, arrête. LISIMÈNE. Bagolin comme il faut, égaye ses esprits,Ce trait qui les surprend, m'a dans l'abord surpris. ROSANDRE. Oui, je trouve à mon sens l'invention jolie Elle serait plaisante en une comédie ;Mais encore une fois les voici de retour. RECORS. Au sorcier, au sorcier. LE DOCTEUR. Mettez-vous à l'entour,Il vous a dit bonsoir, donnez lui le bonjour........................... PANCRACE. Ah ! Sorcier mon ami, ta magie étant vaine,De m'avoir fait courir, tu payeras la peine, [Note : Dégoiser : Se dit figurément et dans le style burlesque de ceux qui parlent trop et mal à propos. [L]]Il faut dans un cachot, le faire dégoiser. LISIMÈNE. Non mon père, il est temps de vous désabuser,Ce homme est innocent, mais puisqu'il faut tout dire,Tout et qu'il s'est passé, ne s'est fait que pour rire. PANCRACE. Bagolin ? BAGOLIN. Bagolin, bien loin d'être sorcier, N'a jamais eu l'esprit que d'être Savetier. LISIMÈNE. Mon père connaissez.... PANCRACE. Qui ma fille ? LISIMÈNE. Rosandre. ROSANDRE. Qui prétend à l'honneur, de se voir votre gendre ;La lettre fait foi, de ce que je vous dis :Je suis pour ce sujet arrivé de Paris, J'ai failli vous jouant, mais pour ravoir ma grâce. PANCRACE. Rosandre mon enfant, ah ! Que je vous embrasse,Lisimène est à vous, puisque je l'ai promis,Je ne pouvais trouver un plus aimable fils. ROSANDRE. C'est le meilleur effet de ma bonne fortune. SERGENT. Monsieur... PANCRACE. [Note : Pécune : ou pequeune. Vieux mot qui signifiait autrefois de l'argent. [F]]Je vous entends, voilà de la pécune,Pour vous le cher ami, vous serez du festin. LE DOCTEUR. Le Philosophe dit, que quand un bon dessein... BAGOLIN. Et le pauvre avocat n'aura rien pour sa peine ? ROSANDRE. Bagolin, dix louis, seront pour ton étrenne. BAGOLIN. Fort bien. PANCRACE. Rentrons, et dès demain sans perdre plus de temps,Rendons par cette hymen, tous vos désirs contents. ==================================================