******************************************************** DC.Title = VENCESLAS DC.Author = ROTROU, Jean DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragi-comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:11:12. DC.Coverage = Pologne DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ROTROU_VENCESLAS.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k72399m DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** VENCESLAS TRAGI-COMÉDIE M DC CL VIIII PAR Mr DE ROTROU À PARIS, chez ANTOINE DE de SOMMAVILLE, au palais de la petite salle des Merciers, à l'écu de France.Achevé d'imprimer le douzième mai 1648. Représenté pour la première fois en 1647. Monseigneur, Venceslas, encore tout glorieux des applaudissements qu'il a reçus de la plus grande reine du monde, et de la plus belle cour de l'Europe ne pouvait restreindre son ambition, aux caresses, et à l'estime du beau monde, ose aujourd'hui se montrer à toute la France, sous l'honneur de la protection que vous lui avez promise ; et ne craint point de s'exposer aux ennemis, que sa gloire lui peut susciter, ayant pour asile l'une des plus anciennes, et des plus illustres maisons du royaume, et pour défenseur, l'héritier des vertus comme du sang, des plus fameux appuis de nos rois, et des plus redoutables bras de l'État. Personne n'ignore Monseigneur, que les grandes actions, de ces grand hommes, à qui vous avez succédé font presque toute la beauté de notre Histoire, et que l'antiquité grecque, et romaine, n'a rien vu de plus mémorable, que ce que les derniers siècles ont vu faire du grand Daguerre, père de l'une de vos aïeules, et au glorieux connétable de Esdiguierre votre bisaïeul (dont le premier sortit victorieux de ce fameux duel, qu'un de nos rois lui permit à Sedan, où son ennemi combattait avec tant d'avantage, et le second fit sa renommée si célèbre, par les batailles de Pontcharra, et de Salbertran, et servit le couronne par de si judicieux conseils, et de si prodigieux succès, qu'il en mérita les premières charges ; il fut suivi de l'indomptable Maréchal de Créquy, votre aïeul, qui signale par une infinité de preuves, la passion qu'il avait pour son prince, et par un illustre et double combat, que la postérité n'oubliera jamais, celle qu'il avait pour la gloire. La volée de canon qui l'emporta dans le glorieux emploi qu'il occupait en Italie, fait encore aujourd'hui voler son nom aussi loin que le bruit des actions héroïques peut aller ; et sa vertu se continua, en celles de Monsieur de Canaples votre père, dont la vie, et la mort représentèrent dignement celles de ses devanciers. Il est impossible de comprendre dans la juste étendue d'une lettre, la mémoire de tant de héros, et je laisse à l'Histoire de Panégyriques, des fameux Pont-Dormys, dont l'un fut frère d'armes de l'incomparable Bayart, et mérita de passer en sa créance, pour la valeur même ; je dirai seulement, Monseigneur, qu'il ne vous suffit pas d'être riche de la gloire d'autrui, vous ne vous contentez pas des acquisitions qu'on vous a faites, et ne vous croiriez pas digne successeur de ces illustres personnes, si vous ne leur ressembliez, et vous ne vous deviez la plus belle partie de votre estime ; l'Italie a retrouvé dans le fils la valeur des pères, et le sang que vous coûta l'effort qu'il fit contre votre vie, fut autant une marque de la frayeur que vous lui fîtes, que du péril où votre grand cour vous précipita ; vous avez poussé jusqu'au bord de la Segre, cette ardeur sans mesure qui vous attache si fortement aux intérêts de votre maître, et partout où votre courage vous a porté, l'on a si clairement reconnu le sang dont vous sortez, que nos ennemis peuvent avec raison douter de la perte de ces grands personnages que vous réparez dignement ; ces vérités étant très constantes, Venceslas (Monseigneur) a-t-il lieu de rien redouter, sous l'autorité d'un si digne protecteur ; faites lui la grâce de le souffrir, puisque vous l'avez daigné flatté de cette espérance, et qu'il se donne à vous sans autre considération que de l'honneur d'être vôtre, et de m'obtenir de vous, la permission de ma dire avec toutes les soumission que je vous dois, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur. ROTROU ACTEURS VENCESLAS, roi de Pologne. LADISLAS, son fils, prince. ALEXANDRE, infant. FEDERIC, duc de Curlande et favori. OCTAVE, gouverneur de Varsovie. Gardes. CASSANDRE, duchesse de Cunisberg. THÉODORE, infante. LÉONOR, suivante. > ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Venceslas, Ladislas, Alexandre, Gardes. VENCECLAS. Prenez un siège, Prince, et vous infant, sortez. ALEXANDRE. J'aurai le tort, Seigneur, si vous ne m'écoutez. VENCESLAS. Sortez, vous dis-je. Et vous, Gardes, qu'on se retire. LADISLAS. Que me désirez-vous ? VENCESLAS. J'ai beaucoup à vous dire.Ciel prépare son sein, et le touche aujourd'hui. LADISLAS, bas. Que la vieillesse souffre, et fait souffrir autrui :Oyons les bon avis, qu'un flatteur lui conseille. VENCESLAS. Prêtez-moi, Ladislas, le coeur, avec l'oreille,J'attends toujours du temps, qu'il mûrisse le fruitQue pour me succéder, ma couche m'a produit ; Et je croyais, mon fils, votre mère immortelle,Par le reste qu'en vous, elle me laissa d'elle.Mais, hélas ! Ce portrait qu'elle s'était tracé,Perd beaucoup de son lustre, et s'est bien effacé,Et vous considérant, moins je la vois paraître, Plus l'ennui de sa mort, commence à me renaître,Toutes vos actions, démentent votre rang,Je n'y vois rien d'auguste, et digne de mon sang ;J'y cherche Ladislas, et ne le puis connaître,Vous n'avez rien de Roi, que le désir de l'être ; Et ce désir (dit-on) peu discret, et trop prompt,En souffre, avec ennui, le bandeau, sur son front.Vous plaignez le travail, ou ce fardeau m'engage,Et n'osant m'attaquer, vous attaquez mon âge ;Je suis vieil, mais un fruit de ma vieille saison, Est d'en posséder mieux, la parfaite raison ;Régner est un secret, dont la haute science,Ne s'acquiert que par l'âge, et par l'expérience,Un roi, vous semble heureux, et sa condition,Est douce, au sentiment, de votre ambition ; Il dispose à son gré, des fortunes humaines ;Mais, comme les douceurs, en saurez vous les peines :À quelque heureuse fin, que tendent ses projets,Jamais il ne fait bien, au gré de ses sujets ;Il passe pour cruel, s'il garde la justice, S'il est doux, pour timide, et partisan du vice ;S'il se porte à la guerre, il fait des malheureux ;S'il entretient la paix, il n'est pas généreux ;S'il pardonne, il est mol ; s'il se venge, il est barbare ;S'il donne, il est prodigue ; et s'il épargne, avare ; Ses desseins les plus purs, et les plus innocents,Toujours, en quelque esprit, jettent un mauvais sens ;Et jamais sa vertu , (tant soit-elle connue)En l'estime des siens, ne passe toute nue ;Si donc, pour mériter, de régir ses États, La plus pure vertu, même, ne suffit pas.Par quel heur voulez-vous, que le règne succède, Le Prince tourne la tête et témoigne [de] s'emporterÀ des esprits oisifs, que le vice possède ;Lors de leurs voluptés, incapables d'agir,Et qui cerfs de leurs sens, ne se sauraient régir ; Ici, mon seul respect, contient votre caprice ;Mais examinez-vous, et rendez-vous justice ;Pouvez-vous attenter, sur ceux, dont j'ai fait choix,Pour soutenir mon trône, et dispenser mes lois ;Sans blesser les respects, dûs à mon diadème, Et sans en même temps, attenter sur moi-même ?Le Duc, par sa faveur, vous a blessé les yeux,Et parce qu'il m'est cher, il vous est odieux :Mais voyant d'un côté, sa splendeur non commune,Voyez, par quels degrés, il monte à la fortune ; Songez, combien son bras, à mon trône affermi,Et mon affection, vous fait son ennemi !Encore, est-ce trop peu ; votre aveugle colère,La hait en autrui même, et passe à votre frère ?Votre jalouse humeur, ne lui saurait souffrir, La liberté d'aimer, ce qu'il me voit chérir !Son amour pour le duc, lui produit votre haine,Cherchez donc un digne objet, à cette humeur hautaineEmployez, employez ces bouillants mouvements,À combattre l'orgueil, des peuples ottomans ; Renouvelez contre eux, nos haines immortelles,Et soyez généreux, en de justes querelle ;Mais, contre votre frère ! Et contre un favori,Nécessaire à son roi, plus qu'il n'en est chéri !Et qui de tant de bras, qu'armait la Moscovie, Vient de sauver mon sceptre, et peut-être ma vie,C'est un emploi célèbre ! Et digne d'un grand cour !Votre caprice, enfin, veut régler ma faveur ;Je sais mal appliquer mon amour, et ma haine,Et c'est de vos leçons, qu'il faut que je l'apprenne ; J'aurais mal profité, de l'usage, et du temps ! LE PRINCE. Souffrez... LE ROI. Encore un mot, et puis, je vous entends ;S'il faut qu'à cent rapports ma créance réponde,Rarement le soleil, rend la lumière au monde,Que le premier rayon, qu'il répand ici bas, N'y découvre quelqu'un de vos assassinats ;Ou, du moins, on vous tient, en si mauvaise estime ;Qu'innocent, ou coupable, on vous charge du crime ;Et que vous offusquant, d'un soupçon éternel,Aux bras du sommeil même, on vous fait criminel, Sous ce fatal soupçon, qui défend qu'on me craigne,On se venge, on s'égorge, et l'impunité règne,Et ce juste mépris, de mon autorité,Est la punition, de cette impunité ;Votre valeur, enfin, naguère si vantée, Dans vos folles amours languit comme enchantée,Et par cette langueur, dedans tous les espritsEfface son estime, et s'acquiert des mépris ;Et je vois toutefois, qu'un heur inconcevable,Malgré tous ces défauts, vous rend encore aimable ; Et que votre bon astre, en ces mêmes esprits,Souffre ensemble pour vous, l'amour et le mépris ;Par le secret pouvoir, d'un charme que j'ignore,Quoiqu'on vous mésestime, on vous chérit encore ;Vicieux on vous craint, mais vous plaisez heureux, Et pour vous, l'on confond, le murmure, et les voeux ;Las ! Méritez, mon fils, que cette amour vous dure,Pour conserver les voeux, étouffez le murmure ;Et régnez dans les cours, par un sort dépendant,Plus de votre vertu, que de votre ascendant ; Par elle, rendez-vous, digne d'un diadème,Né pour donner des lois, commencez par vous-même ;Et que pas vos passions, ces rebelles sujets,De cette noble ardeur, soient les premiers objets ;Par ce genre de règne, il faut mériter l'autre, Par ce degré, mon fils, mon trône sera vôtre ;Mes États, mes sujets, tout fléchira sous vous,Et sujet de vous seul, vous régnerez sur tous ; Mais si toujours vous-même, et toujours cerf du viceVous ne prenez des lois, que de votre caprice ; Et si pour encourir, votre indignation,Il ne faut qu'avoir part, en mon affection ;Si votre humeur hautaine, enfin, ne considère,Ni les profonds respects, dont le Duc vous révère,Ni l'étroite amitié, dont l'infant vous chérit ; Ni la soumission, d'un peuple qui vous rit ;Ni d'un père, et d'un roi, le conseil salutaire,Lors, pour être tout roi, je ne serai plus père,Et vous abandonnant à la rigueur des lois,Au mépris de mon sang, je maintiendrai mes droits. LADISLAS. Encore que de ma part, tout vous choque et vous blesse,En quelque étonnement, que ce discours me laisse,Je tire au moins ce fruit, de mon attention,D'avoir su vous complaire, en cette occasionEt sur chacun des points, qui semblent me confondre, J'ai de quoi me défendre, et de quoi vous répondre,Si j'obtiens à mon tour, et l'oreille et le coeur. LE ROI. Parlez, je gagnerai, vaincu plus que vainqueur ;Je garde pour vous, les sentiments d'un père,Convainquez-moi d'erreur, elle me sera chère. LADISLAS. Au retour de la chasse, assisté des miens,Le carnage du cerf, se préparant aux chiens,Tombées sur le discours, des intérêts des princes,Nous en vînmes sur l'art de régir les provinces ;Où chacun à son gré, forgeant des potentats, Chacun selon son sens, gouvernants vos États,Et presque aucun avis, ne se trouvant conforme,L'un prise votre règne, un autre le réforme ;Il trouve ses censeurs, comme ses partisans ;Mais, généralement, chacun plaint vos vieux ans ; Moi, (sans imaginer, vous faire aucune injure)Je coulai mes avis, dans le libre murmure ;Et mon sein, à ma voix, s'osant trop confier,Ce discours m'échappa, je ne le puis nier ;Comment, dis-je, mon père accablé de tant d'âge, Et la force, à présent servant mal son courage,Ne se décharge-t-il, avant qu'y succomber,D'un pénible fardeau. Qui le fera tomber ?Devrait-il, (me pouvant assurer sa couronne.)Hasarder que l'État me l'ôte, ou me la donne ? Et s'il veut conserver, la qualité de roi,La retiendrait-il pas, s'en dépouillant pour moi ?Comme il fait murmurer, de l'âge qui l'accable,Croit-il de ce fardeau ma jeunesse incapable ?Et n'ai-je pas appris, sous son gouvernement, Assez de politique, et de raisonnement,Pour savoir à quels soins, oblige un diadème ?Ce qu'un roi, doit aux siens, à l'État, à soi-même ?À ses confédérés, à la foi des traités,Dedans quels intérêt, ses droits sont limités ; Quelle guerre est nuisible, et quelle d'importanceA qui, quand et comment, il doit son assistance ?Et pour garder, enfin, ses États d'accidents,Quel ordre, il doit tenir, et dehors et dedans ?Ne sais-je pas qu'un roi, qui veut qu'on le révère, Doit mêler à propos, l'affable, et le sévère ?Et selon l'exigence, et des temps, et des lieux,Savoir faire parler, et son front, et ses yeux !Mettre bien la franchise, et la feinte en usage,Porter, tantôt, un masque, et tantôt un visage, Quelque avis, qu'on lui donne, être toujours pareil,Et se croire, souvent, plus que tout son conseil ?Mais surtout (et delà, dépend l'heur des couronnes)Savoir bien appliquer, les emplois, aux personnes,Et faire, par des choix, indicieux, et sains, Tomber le ministère, en de fidèles mains ;Élever peu de gens, si haut qu'ils puissent nuire,Être lent à former, aussi bien qu'à détruire ;Des bonnes actions, garder le souvenir,Être prompt à payer, et tardif à punir ; N'est-ce pas, sur cet art (leur dis-je) et ces maximes,Que se maintient, le cours des règnes légitimes :Voilà la vérité, touchant le premier point,J'apprends, qu'on vous l'a dite, et ne m'en défends point, LE ROI. Poursuivez. LADISLAS. À l'égard de l'ardente colère, Où vous meut, le parti du Duc, et de mon frère ;Dont l'un est votre cour, si l'autre est votre bras,Dont l'un règne, en votre âme, et l'autre en vos états J'ai haï l'un, il est vrai, cet insolent ministre,Qui vous est précieux, autant, qu'il m'est sinistre ; Vaillant, j'en suis d'accord, mais vain, fourbe, flatteur,Et de votre pouvoir, secret usurpateur ;Ce Duc, à qui votre âme, à tous autres obscure,Sans crainte, s'abandonne, et produit toute pure ;Et qui sous votre nom, beaucoup plus roi que vous Met, à me desservir, ses plaisirs les plus doux ;Vous fait mes actions, pleines de tant de vices,Et me rend, près de vous, tant de mauvais offices ;Que vos yeux prévenus, ne trouvent plus en moi ?Rien, qui vous représente, et, qui promette un roi ; Je feindrais, d'être aveugle, et d'ignorer l'envie,Dont, en toute rencontre, il vous noircit ma vie ;S'il ne s'en usurpait, et m'ôtais les emplois,Qui si jeune, m'ont fait, l'effroi, de tant de rois ;Et dont ces derniers jours, il a des Moscovites, Arrêté les progrès, et restreint les limites ;Parlant pour cette grande, et fameuse action,Vous en mîtes le prix, à sa discrétion ;Mais, s'il n'est trop puissant pour craindre ma colère,Qu'il pense mûrement, au choix de son salaire ; Et que le grand crédit, qu'il possède à la Cour,S'il méconnaît mon rang, respecte mon amour ;Où tout brillant qu'il est, il lui sera frivole,Je n'ai point sans sujet lâché cette parole ;Quelques bruits, m'ont appris, jusqu'où vont vos desseins ; Et c'est un des sujets, Seigneur, dont je me plains. LE ROI. Achevez. LE PRINCE. Pour mon frère, après son insolence, Je ne puis m'emporter, à trop de violence ;Et de tous vos tourments, la plus affreuse horreur,Ne le saurait soustraire, à ma juste fureur. Quoi, quand le coeur, outré de sensibles atteintes,Je fais entendre au Duc, le sujet de mes plaintes ;Et de ces procédés, justement irrité,Veux mettre quelque frein, à sa témérité,Étourdi, furieux, et poussé d'un faux zèle, Mon frère, contre moi, veut prendre sa querelle ;Et bien plus, sur l'épée, ose porter la main !Ha ! J'atteste du ciel, le pouvoir souverain,Qu'autant que le soleil, sorti de sein de l'ondeÔte, et rende le jour, aux deux moitiés du monde ; Il m'ôtera le sang, qu'il n'a pas respecté,On me fera raison, de cette indignité ;Puisque, je suis au peuple, en si mauvaise estime,Il la faut mériter, du moins, par un grand crime ;Et de vos châtiments, menacé tant de fois, Me rendre un digne objet de la rigueur des lois. LE ROI, bas. Que puis-je plus tenter, sur cette âme hautaine ?Essayons l'artifice, ou la rigueur est vaine ;Puisque, plainte, froideur, menace, ni prison,Ne l'ont pu, jusqu'ici, réduire à la raison. Il dit au prince.Ma créance, mon fils, sans doute, un peu légère,N'est pas sans quelque erreur, et cette erreur m'est chère ;[Note : Discords : Au singuier, état de ceux qui ne s'accordent pas, au pluriel, dissensions civiles.]Étouffons nos discords, dans nos embrassements, Il l'embrasse.Je ne puis de mon sang, forcer les mouvements ;Je lui veux bien céder, et malgré ma colère, Me confesser vaincu, parce que je suis père.Prince, il est temps, qu'enfin, sur un trône commun ;Nous ne fassions qu'un règne, et ne soyons plus qu'un,Si proche du cercueil, où je me vois descendre,Je me veux voir en vous renaître de ma cendre. ; Et par vous, à couvert, des outrages du temps,Commencer à mon âge, un règne de cent ans. LE PRINCE. De votre seul repos dépend toute ma joie ;Et si votre faveur, jusques-là je déploie ;je ne l'accepterai, que comme un noble emploi, Qui parmi vos sujets, fera conter, un roi. SCÈNE II. Alexandre, Le Roi, Le Prince. ALEXANDRE. Seigneur... LE ROI. Que voulez-vous ? Sortez. ALEXANDRE. Je me retire,Mais si vous... LE ROI. Qu'est-ce encore ? Que me vouliez-vous dire ?À quel étrange office, Amour, me réduits-tu !De faire accueil au vice, et chasser la vertu ! ALEXANDRE. Que si vous ne daignez m'admettre en ma défense,Vous donnerez le tort, à qui reçoit l'offense ;Le Prince, est mon aîné je respecte son rang,Mais, nous ne différons, ni de cour, ni de sang,Et pour un démentir, j'ai trop... LE ROI. Vous téméraire. Vous la main, sur l'épée ! Et contre votre frère !Contre mon successeur, en mon autorité !Implorez, insolent, implorez sa bonté ;Et par un repentir, digne de votre grâce,Méritez le pardon, que je veux qu'il vous fasse ; Allez, demandez-lui ; Vous, tendez-lui les bras. ALEXANDRE. Considérez, Seigneur ! LE ROI. Ne me répliquez pas. ALEXANDRE, bas. Fléchirons-nous, mon cour, sous cette humeur hautaine !Oui, du degré de l'âge, il faut porter la peine,Que j'ai de répugnance, à cette lâcheté ! Ô ciel ! Pardonnez-donc, à ma témérité, Parlant au prince.Mon frère, un père enjoint que je vous satisfasse,J'obéis à son ordre, et vous demande grâce ;Mais par cet ordre, il faut me tendre aussi les bras. LE ROI. Dieux ! Le cruel, encore, ne le regarde pas ! LE PRINCE. Sans eux, suffit-il pas, que le Roi, vous pardonne. LE ROI. Prince, encore une fois, donnez-les, je l'ordonne,Laissez, à mon respect, vaincre votre courroux. LE PRINCE, embrassant son frère. À quelle lâcheté, Seigneur, m'obligez-vous !Allez, et n'imputez, cet excès d'indulgence, Qu'au pouvoir absolu, qui retient ma vengeance ; ALEXANDRE, bas. Ô nature, ô respect, que vous m'êtes cruels ! LE ROI. Changez ces différents, en des voeux mutuels ;Et quand je suis en paix, avec toute la terre,Dans ma maison, mes fils ne mettez point le guerre Faites venir le Duc, Infant. L'infant sort. SCÈNE III. Le Roi, Le Prince. LE ROI. Prince, arrêtez. LE PRINCE. Vous voulez m'ordonner, encore de la lâcheté !Et pour ce traître, encore, solliciter ma grâce !Mais pour des ennemis, ce cour n'a plus de place,Votre sang, qui l'anime, y répugne à vos lois ; Aimez cet insolent, conservez votre choix ;Et du bandeau royal, qui vous couvre la tête,Payez, si vous voulez, sa dernière conquête ;Mais souffrez m'en, Seigneur, un mépris généreux,Laissez ma haine libre, aussi bien que vos voeux, Souffrez ma dureté, gardant votre tendresse,Et ne m'ordonnez point, un acte de faiblesse. LE ROI. Mon fils, si prêt du trône, où vous allez monter,Prêt d'y remplir ma place, et m'y représenter ;Aussi bien souverain, sur vous, que sur les autres, Prenez mes sentiments, et dépouillez les vôtres ;Donnez à mes souhaits (de vous-même vainqueur,)Cette noble faiblesse, et digne d'un grand cour,Que vous fera priser, de toute la province ;Et Monarque, oubliez, les différents du Prince. LE PRINCE. Je préfère ma haine, à cette qualité,Dispensez-moi, Seigneur, de cette indignité. SCÈNE IV. Le duc de Curlande, La Roi, Alexandre, Le Prince, Octave. LE ROI. Étouffez cette haine, ou je prends la querelle ;Duc, saluez le Prince. LE PRINCE, l'embrassant avec peine. Ô contrainte cruelle. Ils s'embrassent. LE ROI. Et d'une étroite ardeur, unis à l'avenir, De vos discords passés, perdez le souvenir. LE DUC. Pour lui prouver, à quoi, mon zèle me convie,Je voudrais perdre encore, et le sang, et la vie. LE ROI. Assez, d'occasions, de sang, de combats,Ont signalé pour nous, et ce cour, et ce bras ; Et vous ont trop acquis, par cet illustre zèle,Tout ce qui d'un mortel, rend la gloire immortelle,Mais vos derniers progrès (qui certes m'ont surpris)Passent tout créance, et demandent leur prix,Avec si peu de gens, avoir fait nos frontières, D'un si puissant parti, les sanglants cimetières ;Et dans si peu de jours, par d'incroyables faits,[Note : Moscovite : habitant de Moscou en Russie.]Réduit le Moscovite à demander la paix ;Ce sont des actions, dont la reconnaissance,Du plus riche monarque, excède la puissance, N'exceptez rien, aussi, de ce que je vous dois,Demandez ; j'en ai mis le prix, à votre choix ;Envers votre valeur, acquittez ma parole. LE DUC. Je vous dois tout, grand Roi. LE ROI. Ce respect est frivole ;La parole des rois, est un gage important, Qu'ils doivent, (le pouvant) retirer à l'instant ;Il est d'un prix trop cher, pour en laisser la garde,Par le dépôt, la perte, où l'oubli s'en hasarde. LE DUC. Puisque vote bonté, me force à recevoir,Le loyer d'un tribut, et le prix d'un devoir. Un servage, Seigneur, plus doux, que votre Empire,Des flammes, et des fers, sont le prix, où j'aspire ;Si d'un cour consommé, d'un amour violent,La bouche ose exprimer... LE PRINCE. Arrêtez, insolent ;Au vol de vos désirs, imposez des limites, Et proportionnez vos voeux, à vos mérites ;Autrement, au mépris, et du trône, et du jour,Dan votre infâme sang, j'éteindrai votre amourOù mon respect s'oppose, apprenez, téméraire,À servir sans espoir, et souffrir, et vous taire ; Ou... LE DUC sortant. Je me tais, Seigneur, et puisque mon espoir,Blesse votre respect, il offense mon devoir. Il s'en va avec l'infant. SCÈNE V. Le Roi, Le Prince, Octave. LE ROI. Prince, vous emportant, à ce caprice extrême,Vous ménagez fort mal, l'espoir d'un diadème ;Et votre tête, encore, qui le prétend porter. LE PRINCE. Vous êtes Roi, Seigneur, vous pouvez me l'ôtez ;Mais, j'ai lieu de ma plaindre, et ma juste colère,Ne peut prendre des lois, ni d'un roi, ni d'un père. LE ROI. Je dois bien en moins en prendre, et d'un fol, et d'un fils ;Pensez, à votre tête, et prenez un avis. Il s'en va en colère. SCÈNE VI. Le Prince, Octave. OCTAVE. Ô Dieux ! Ne sauriez-vous, cacher mieux votre haine. LE PRINCE. Veux-tu, que la cachant, mon attente soit vaine !Qu'il vole à mon espoir, ce trésor amoureux,Et qu'il fasse son prix, de l'objet de mes voeux ?Quoi Cassandre, sera le prix d'une victoire, Qu'usurpant, mes emplois, il se dérobe à ma gloire ;Et l'État, qu'il manie, avec confusion,L'épargne, qu'il manie avec profusion,Les siens, qu'il agrandit, les charges qu'il dispense,Ne lui tienne pas lieu, d'assez de récompense, S'il en me rime encore, du fruit de mon amour,Et si m'ôtant Cassandre, il ne m'ôte le jour ;N'est-ce pas de tes soins, et de ta diligence,Que je tiens le secret, de leur intelligence ? OCTAVE. Oui, Seigneur, mais l'hymen, qu'on lui va proposer, Aux succès de vos voeux, le pourra disposer ;L'infante l'a mandée, et par son entremise,J'espère à vos souhaits, le voir bientôt soumise ;Cependant, daignez mieux, et d'un père irrité,Et d'un roi méprise, craignez l'autorité ; Reposez sur nos soins, l'ardeur, qui vous transporte. LE PRINCE. C'est mon roi, c'est mon père, il est vrai, je m'emporte,Mais je trouve, en deux yeux, deux rois plus absolus,Et n'étant plus à moi, ne me possède plus. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Théodore, infante, Casssandre. THÉODORE. Enfin, si son respect, ni le mien, ne vous touche, Cassandre, tout l'État, vous parle par ma bouche :Le refus de l'hymen, qui vous soumet sa foi,Lui refuse une reine, et veut ôter un roi :L'objet de vos mépris, attend une couronne,Que déjà d'une voix, tout le peuple lui donne ; Et de plus, ne l'attend, qu'afin de vous l'offrir ;Et votre cruauté, ne le saurait souffrir ? CASSANDRE. Non, je ne puis souffrir, en quelque rang qu'il monte,L'ennemi de ma gloire, et l'amant de ma honte ;Et ne puis, pour époux , vouloir d'un suborneur, Qui voit qu'il a sans fruit , poursuivi mon honneur ;Qui tant que sa poursuite, a cru m'avoir infâme,Ne m'a point souhaitée, en qualité de femme ;Et qui n'ayant pour but, que ses sales plaisirs, En mon seul déshonneur, bornait tous mes désirs ; Et quelque objet qu'il soit, à toute la province,Je ne regarde en lui, ni monarque, ni prince,Et ne vois sous l'éclat, dont il est revêtu,Que de traîtres appas, qu'il tend à ma vertu ;Après ses sentiments, à mon honneur sinistres, L'essai de ses présents, l'effort de ses ministres ;Sas plaintes, ses écrits, et la corruption,De ceux, qu'il crût, pouvoir servir sa passion;Ces moyens vicieux, aidant mal sa poursuite,Aux vertueux, enfin, son amour est réduite ; Et pour venir à bout de mon honnêteté,Il met tout en usage, et crime et piété ;Mais en vain il consent, que l'amour vous unisse,C'est appeler l'honneur au secours de son vice ;Puis, s'étant satisfait, on sait qu'un souverain D'un hymen qui déplaît, à le remède en main ;Pour en rompre les noeuds, et colorer ses crimes,L'État, ne manque pas, de plausibles maximes ;Son infidélité suivrait de près sa foi ;Seul, il se considère ; il s'aime, et non pas moi. THÉODORE. Ses voeux, un peu bouillants, vous font beaucoup d'ombrage ; CASSANDRE. Il vaut mieux, faillir mieux, et craindre davantage. THÉODORE. La fortune vous rit, et ne rit pas toujours ; CASSANDRE. Je crains son inconstance, et ses courtes amours ;Et puis, qu'est un palais, qu'une maison pompeuse, Qu'à notre ambition, bâtit cette trompeuse ?Où l'âme dans ses fers, gémit à tout propos,Et ne rencontre pas, le solide repos. THÉODORE. Je ne vous puis qu'offrir, après un diadème. CASSANDRE. Vous me donnerez plus, me laissant à moi-même. THÉODORE. Seriez-vous moins à vous, ayant moins de rigueur ? CASSANDRE. N'appelleriez-vous rien la perte, de mon cour ? THÉODORE. Vous feriez un échange, et non pas une perte ; CASSANDRE. Et j'aurais cette injure, impunément soufferte !Et ce que vous nommez des voeux un peu bouillants, Ces desseins criminels, ces efforts insolents, Ces libres entretiens, ces messages infâmes,L'espérance du rapt, dont il flattait ses flammes,Et tant d'offres, enfin, dont il crut me toucher ;Au sang de Cunisberg, se pourrait reprocher ? THÉODORE. Il ont, votre vertu, vainement combattue. CASSANDRE. On en pourrait douter, si je m'en étais tûe ;Et si; sous cet hymen, me laissant asservir,Je lui donnais un bien, qu'il m'a voulu ravir ;Excusez ma douleur, je sais sage princesse, Quelles soumissions, je dois à votre altesse ;Quelle soumissions, que mon cour, doit faire d'un épouxSi j'en crois mon honneur, je lui dois plus qu'à vous. SCÈNE II. Le Prince, Théodore, Cassandre. LE PRINCE entrant à grands pas. Cède, cruel tyran, d'une amitié si forte,Respect, qui me retient, à l'ardeur qui m'emporte, Sachons si mon hymen, ou mon cercueil est prêt.Impatient d'attendre, entendons mon arrêt ?Parlez, belle ennemie, il est temps de résoudre ;Si vous devez lancer ou retenir la foudre ;Il s'agit de me perdre, ou de me secourir, Qu'en avez-vous conclu, faut-il vivre, ou mourir ?Quel des deux voulez-vous ou mon cour, ou ma cendre ?Quel des deux aurai-je, ou la mort, ou Cassandre.L'hymen à vos beaux jours, joindra-t-il mon destin,Ou si votre refus, sera mon assassin. CASSANDRE. Me parlez-vous d'hymen ? Et voudriez-vous pour femme,L'indigne et vil objet, d'une impudique flamme ;Moi, Dieux ! Moi, la moitié d'un roi, d'un potentat !Ha prince, quel présent feriez-vous à l'État !De lui donner pour reine, une femme suspectE ; Et quelle qualité, voulez-vous qu'il respecte,En un objet infâme, et si peu respecté,Que vos sales désirs, ont tant sollicité ! LE PRINCE. Il y respectera, la vertu la plus digne ;Dont l'épreuve, ait jamais, fait une femme insigne ; Et le plus adorable, et plus divin objet ;Qui de son souverain, feint jamais son sujet ;Je sais trop (et jamais) ce cour vous approche,Que confus de ce crime, il ne se le reproche :À quel point d'insolence, et d'indiscrétion, Ma jeunesse, d'abord, porta ma passion ;Il est vrai, qu'ébloui de ces yeux adorables,Que font tant de captifs, et de tant de misérables ;Forcé par leurs attraits, si dignes de mes voeux,Je les contemplai seuls, et ne recherchai qu'eux ; Mon respect s'oublia, dedans cette poursuite,Mais un amour enfant, put manquer de conduite,Il portait son excuse, en son aveuglement,Et c'est trop le punir, que de bannissement ;Sitôt que le respect, m'a décillé la vue, Et qu'outre les attraits, dont vous êtes pourvue,Votre soin, votre rang, vos illustres aïeux,Et vos rares vertus, m'ont arrêté les yeux.De mes voeux, aussitôt, réprimant l'insolence, J'ai réduit sous vos lois, toute leur violence, Et restreinte à l'espoir de notre hymen futur,Ma flamme a consommé, ce qu'elle avait d'impur ;Le flambeau qui me guide, et l'ardeur qui me presse,Cherche en vous une épouse, et non une maîtresse ;Accordez-la, Madame, au repentir profond, Que détestant mon crime, à vos pieds me confond ;Sous cette qualité, souffrez que je vous aime.Et privez-moi du jour, plutôt que de vous-même ;Car, enfin, si l'on pêche, adorant vos appas,Et si l'on vous plaît, qu'en ne vous aimant pas ; Cette offense est un mal, que je veux toujours faire,Et je consens plutôt, à mourir qu'à vous plaire. CASSANDRE. Et mon mérite, Prince, et ma condition,Sont d'indignes objets de votre passion ;Mais, quand j'estimerais vos ardeurs véritables, Et quand on nous verrait des qualités sortables ;On ne verra jamais, l'hymen vous assortir,Et je perdrai le jour, avant qu'y consentir ;D'abord, que votre amour, fit voir dans sa poursuite,Et si peu de respect, et si peu de conduite ; Et que le seul objet d'un dessein vicieux,Sur ma possession, vous fit jeter les yeux ;Je ne vous regardai, que par l'ardeur infâme,Qui ne m'appelait point, au rang de votre femme ;Et que par cet effort brutal, et suborneur Dont votre passion, attaquait mon honneur ;Et Ne considérant en vous, que votre vice,Je pris en telle horreur, vous, et votre service,Que si je vous offense, en ne vous aimant pas,Et si dans mes voeux seuls, vous trouvez des appas, Cette offense est un mal, que je veux toujours faire,Et je consens plutôt, à mourir, qu'à vous plaire. LE PRINCE . Et bien, contre un objet, qui vous fait tant d'horreur,Inhumaine, exercez toute votre fureur,Armez-vous contre moi, de glaçons et de flammes, Inventez des secrets, de tourmenter les âmes ;Suscitez terre, et ciel, contre ma passion,Intéressez l'État, dans votre aversion ;Du trône, où je prétends, détournez, son suffrage,Et pour me perdre enfin, mettez tout en usage ; Avec tous vos efforts, et tout votre courroux,Vous ne m'ôterez pas l'amour, l'amour que j'ai pour vous ;Dans vos plus grands mépris, je vous serai fidèle ;Je vous adorerai, furieuse ou cruelle ;Et pour vous conserver, ma flamme, et mon amour, Malgré mon désespoir, conserverai le jour. THÉODORE. Quoi, nous n'obtiendrons rien de cette humeur altière ! CASSANDRE. Il m'a du, m'attaquant, connaître toute entière ;Et savoir que l'honneur, m'était sensible au point,D'en conserver l'injure, et ne pardonner point. THÉODORE. Mais vous venger, ainsi, c'est vous punir vous-même ;Vous perdez avec lui, l'espoir d'un diadème. CASSANDRE. Pour moi, le diadème, aurait de vains appas,Sur un front que j'ai craint, et que je n'aime pas. THÉODORE. Régner, ne peut déplaire, aux âmes généreuses. CASSANDRE. Les trônes bien souvent, portent des malheureuses, ;Qui sous le joug brillant de leur autorité,Ont beaucoup de sujets, et peu de liberté. THÉODORE. Redoutez-vous un joug, qui vous fait souveraine ? CASSANDRE. Je ne veux point dépendre, et veux être reine ; Où ma franchise, enfin, si jamais je la perds,Veut choisir son vainqueur, et connaître ses fers. THÉODORE. Servir un sceptre en main, vaut bien votre franchise. CASSANDRE. Savez-vous, si déjà, je ne l'ai point soumise ! LE PRINCE. Oui, le le sais, cruelle, et connais mon rival, Si j'ai cru que son sort m'était trop inégal,Pour me persuader, qu'on dût mette en balance,Le choix de mon amour, ou de son insolence. CASSANDRE. Votre rang, n'entre pas dedans ses qualités,Mais son sang, ne doit rien, au sang dont vous sortez, Ni lui, n'a pas grand lieu de vous porter envie. LE PRINCE. Insolente, ce mot, lui coûtera la vie ;Et ce fer en son sang, si noble, et si vanté,Me va faire raison de votre vanité ;Violons, violons ; des lois trop respectées, Ô sagesse, ô raison que j'ai tant consultées !Ne nous obstinons point à des voeux superflus ;Laissons mourir l'amour, où l'espoir ne vit plus ;Allez indigne objet de mon inquiétude,J'ai trop longtemps souffert, de votre ingratitude ; Je vous devais connaître, et ne m'engager pasAux trompeuses douceurs, de vos cruels appas ;Où m'étant engagé, n'implorer point votre aide,Et sans vous demander, vous ravir mon remède ;Mais, contre son pouvoir, mon cour a combattu Je ne me repends pas d'un acte de vertu ;De vos superbes lois, ma raison dégagée,A guéri mon amour, et croit l'avoir songée ;De l'indigne brasier, qui consommait mon cour,Il ne me reste plus, que la seule rougeur ; Que la honte, et l'horreur, de vous avoir aimée ;Laisseront à jamais, sur ce front imprimée ;Oui, j'en rougis, ingrate, et mon propre courroux,Ne me peut pardonner ce que j'ai fait pour vous ;Je veux que la mémoire efface de ma vie, Le souvenir du temps que je vous ai servie ;J'étais mort, pour ma gloire, et je n'ai pas vécu,Tant que ce lâche cour s'est dit votre vaincu ;Ce n'est que d'aujourd'hui qu'il vit, et qu'il respire ;D'aujourd'hui, qu'il renonce au joug de votre empire, Et qu'avec raison, mes yeux et lui d'accord,Détestent votre vue, à l'égard de la mort. CASSANDRE. Pour vous en guérir, Prince, et ne leur plus déplaire,Je m'impose, moi-même, un exil volontaire,Et je mettrai grand soin, sachant ces vérités, À ne vous plus montrer, ce que vous détestez.Adieu. Elle s'en va. SCÈNE III. Le Prince, Théodore. LE PRINCE, interdit la regardant sortir. Que faites-vous, ô mes lâches pensées,Suivez-vous cette ingrate, êtes-vous insensée ?Mais plutôt qu'as-tu fait, mon aveugle courrouxAdorable inhumaine, hélas ou fuyez-vous ? Ma soeur au nom d'amour et par pitié des larmes,Que ce cour enchanté donne encore à ses charmes,Si vous voulez d'un frère empêcher le trépasSuivez cette insensible et retenez ses pas. THÉODORE. La retenir, mon frère, après l'avoir bannie. LE PRINCE. Ha contre ma raison servez sa tyrannie,Je veux désavouer ce cour séditieux,La servir, l'adorer, et mourir à ses yeux.Privé de son amour je chérirai sa haine.J'aimerai ses mépris, je bénirai ma peine. Se plaindre des ennuis que causent ses appas,C'est se plaindre d'un mal qu'on ne mérite pas,Que je la vois au moins si je ne la possède,Mon mal chérit sa cause, et croit par son remède.Quand mon cour à ma voix a feint de consentir, Il en était charmé, je l'en veux démentir ;Je mourais, je brûlais, je l'adorais dans l'âme,Et le ciel a pour moi fait un sort tout de flamme ;Allez... Mais que fais-tu, stupide, et lâche amant ? Elle s'en va.Quel caprice t'aveugle ? As-tu du sentiment ? Rentre, Prince sans cour, un moment en toi-même,Me laissez-vous, ma soeur, en ce désordre extrême ? THÉODORE. J'allais la retenir. LE PRINCE. Hé ! Ne voyez-vous pasQuel arrogant mépris précipite ses pas ?Avec combien d'orgueil elle s'est retirée ? Quelle implacable haine elle m'a déclarée !Et que m'exposer plus aux foudres de ses yeuxC'est dans sa frénésie armer un furieux.De mon esprit plutôt chassez cette cruelle,Condamnez les pensers, qui me parleront d'elle. Peignez-moi sa conquête, indigne de mon rang,Et soutenez en moi l'honneur de votre sang. THÉODORE. Je ne vous puis celer que le trait qui vous blesseDedans un sang royal trouve trop de faiblesse,Je vois de quels efforts vos sens sont combattus, Mais les difficultés sont le champ des vertus,Avec un peu de peine on achète la gloire.Qui veut vaincre est déjà bien près de la victoire ;Se faisant violence, on s'est bientôt dompté,Et rien n'est tant à nous que notre volonté. LE PRINCE. Hélas ! Il est aisé de juger de ma peine,Par l'effort qui d'un temps m'emporte et me ramène ;Et par ces mouvements si prompts et si puissants,Tantôt sur ma raison et tantôt sur mes sens ;Mais quelque trouble enfin qu'ils vous fassent paraître Je vous croirai, ma soeur, et je serai mon maître,Je lui laisserai libre, et l'espoir et la foi,Que son sang lui défend d'élever jusqu'à moi ;Lui souffrant le mépris du rang qu'elle rejette,Je la perds pour maîtresse, et l'acquiert pour sujette, Sur qui régnait sur moi j'ai des droit absolusEt la punis assez par son propre refus ;Ne renaissez donc plus mes flammes étouffées,Et du Duc de Cueillade augmentez les trophées.Sa victoire m'honore, et m'ôte seulement Un caprice obstiné, d'aimer trop bassement. THÉODORE. Quoi, mon frère, le Duc aurait dessein pour elle ? LE PRINCE. Ce mystère, ma soeur, n'est plus une nouvelle,Et mille observateurs que j'ai commis exprèsOnt si bien vu leurs feux qu'ils ne sont plus secrets. THÉODORE. Ha ! LE PRINCE. C'est de cette amour que procède ma haine ;Et non de sa faveur (quoique si souveraine)Que j'ai sujet de dire, avec confusionQue presque auprès de lui le Roi n'a plus de nom ;Mais puisque j'ai dessein d'oublier cette ingrate, Il faut en la servant que mon mépris éclate ;Et pour avec éclat en retirer ma foi,Je vais de leur hymen solliciter le Roi ;Je mettrai de ma main mon rival en ma place,Et je verrai leur flamme avec autant de glace Qu'en ma plus violente et plus sensible ardeur,Cet insensible objet eut pour moi de froideur. Il s'en va. SCÈNE IV. THÉODORE, seule. Ô raison égarée ! Ô raison suspendue,Jamais trouble pareil t'avait il confondue ?Sottes présomptions, grandeurs qui nous flattez Est-il rien de menteur comme vos vanités ?Le Duc aime Cassandre, et j'étais assez vaine,Pour réputer mes yeux les auteurs de sa peine.Et bien plus pour m'en plaindre, et les en accuser,Estimant sa conquête un heur à mépriser. Le Duc aime Cassandre, et quoi tant d'apparences,Tant de subjections, d'honneurs, de déférences, D'ardeurs, d'attachements, de craintes, de tributs,N'offraient-ils à mes lois qu'un cour qu'il n'avait plus ?Ces soupirs dont cent fois, la douce violence, Sortant désavouée a trahi son silence, Ces regards par les miens tant de fois rencontrés,Les devoirs, les respects, les soins qu'il m'a montréProvenaient-ils d'un cour qu'un autre objet engage ?Sais-je si mal d'amour expliquer le langage ? Fais-je d'un simple hommage une inclinaison ?Et formai-je un fantôme à ma présomption ?Mais insensiblement renonçant à moi-mêmeJ'avouerai ma défaite, et je croirai que j'aime.Quand j'en serais capable, aimerais-je où je veux ? Aux raisons de l'État ne dois-je pas mes voeux ?Et ne sommes-nous pas d'innocentes victimes,Que le gouvernement immole à ses maximes ?Ma voeux en un vassal honteusement bornés,Laisseraient-ils pour lui des rivaux couronnés ? Mais ne me flatte point, orgueilleuse naissance,L'amour sait bien sans sceptre établir sa puissance ;Et soumettant nos cours par de secrets appasFait des égalités, et ne les cherche pas ;Si le Duc n'a le front chargé d'une couronne, C'est lui qui les protège, et c'est lui qui les donne ;Par quelles actions se peut-on signaler,Que ... SCÈNE V. Léonor, suivante, Théodore. LÉONOR. Madame, le Duc demande à vous parler. THÉODORE. Qu'il entre. Mais après ce que je viens d'entendre,Souffrir un libre accès à l'amant de Cassandre, Agréer ses devoirs et le revoir encore,Lâche, le dois-je faire ? Attendez Léonor ;Une douleur légère à l'instant survenueNe me peut aujourd'hui souffrir l'heur de sa vue.Faites-lui mon excuse. Ô Ciel ! De quel poison Sens-je inopinément attaquer ma raison ? Elle sort.Je voudrais à l'amour paraître inaccessible,Et d'un indifférent la perte m'est sensible :Je ne puis être sienne, et sans dessein pour lui,Je ne puis consentir ses desseins pour autrui. SCÈNE VI. Alexandre, Théodore, Léonor. Elle s'en vont. ALEXANDRE. Comment ? Du Duc ma soeur refuser la visite ?D'où vous vient ce chagrin et quel mal vous l'excite ? THÉODORE. Un léger mal de cour qui ne durera pas. ALEXANDRE. Un avis de ma part portait ici ses pas. THÉODORE. Quel ? ALEXANDRE. Croyant que Cassandre était de la partie. THÉODORE. À peine deux moments ont suivi sa sortie. ALEXANDRE. Et sachant à quel point les charmes lui sont doux,Je l'avais averti de se rendre chez vousPour vous solliciter vers l'objet qu'il adoreD'un secours que je sais que Ladislas implore. Vous connaissez, le Prince, et vous pouvez jugerSi sous d'honnêtes lois amour le peut ranger,Ses mauvais procédés ont trop dit ses pensées,On peut voir l'avenir dans les choses passées ;Et juger aisément qu'il tend à son honneur, Sous ces offres d'hymen un appas suborneur ;Mais parlant pour le Duc, si je vous sollicite,De la protection d'une d'une ardeur illicite,N'en accusez que moi, demandez-moi raison,Ou de son insolence ou de sa trahison. C'est moi ma chère soeur qui réponds à CassandreD'un bonheur dont jamais on ne verra la cendre,Et du plus pur amour de qui jamais mortelDans le temple d'hymen ait encensé l'autel ;Servez, contre une impure, une ardeur si parfaite. THÉODORE se retirant, appuyée sur Léonor. Mon mal s'accroît, mon frère, agréez ma retraite. ALEXANDRE, seul. Ô sensible contrainte ! Ô rigoureux ennui !D'être obligé d'aimer dessous le nom d'autrui.Outre que je pratique une âme prévenue,Quel fruit peut tirer d'elle une flamme inconnue ? Et que puis-je espérer sous ce respect fatal Que cache le malade en découvrant le mal ?Mais quoi que sur mes voeux mon frère ose entreprendreJ'ai tort de craindre rien sous la foi de Cassandre ;Et certain du secours, et d'un cour et d'un bras Qui pour la conserver ne l'épargneraient pas. ACTE III SCÈNE I. Le Duc de Cueilland, favori. LE DUC. Que m'avez-vous produit indiscrètes pensées,Téméraires désirs, passions insensées ?Efforts d'un cour mortel, pour d'immortels appas,Qu'on a d'un vol si haut, précipités si bas ; Espoirs qui jusqu'au ciel souleviez de la terre,Deviez-vous pas savoir, que jamais le tonnerre,Qui dessus votre orgueil enfin vient d'éclater,Ne pardonne aux desseins que vous osiez tenter ;Quelque profond respect qu'ait eu votre poursuite, Vous voyez qu'un refus vous ordonne la fuite ;Évitez les combats que vous vous préparez,Jugez-en le péril, et vous en retirez.Qu'ai-je droit d'espérer, si l'ardeur qui me presseIrrite également le Prince et la Princesse, Si voulant hasarder, ou ma bouche, ou mes yeuxJe fais l'une malade, et l'autre furieux.Apprenons l'art, mon cour d'aimer sans espérance,Et souffrir des mépris, avec révérence,Résolvons-nous sans honte aux belles lâchetés, Que ne rebutent pas des devoirs rebutés ;Portons sans intérêts un joug si légitime,N'en osant être amant, soyons-en la victime,Exposons une esclave, à toutes les rigueursQue peuvent exercer de superbes vainqueurs. SCÈNE II. Alexandre, Le Duc, Alexandre. ALEXANDRE. Duc, un trop long respect me tait votre pensée,Notre amitié s'en plaint et s'en trouve offensée,Elle vous est suspecte, ou vous la violez,Et vous me dérobez ce que vous me celez,Qui donne toute une âme en veut aussi d'entières, Et quand vos intérêts m'ont fourni des matières,Pour les biens embrasser, ce cour vraiment amiNe s'est point contenté de s'ouvrir à demi ;Et j'ai d'une chaleur généreuse et sincère,Fait pour vous tout l'effort que l'amitié peut faire ; Cependant vous semblez encore mal assuré,Mettre en doute un serment si saintement juré ;Je lis sur votre front des passions secrètes,Des sentiments cachés, des atteintes muettes,Et d'un oeil qui vous plaint, et toutefois jaloux, Vois que vous réservez un secret avec vous. LE DUC. Quand j'ai cru mes ennuis capables de remède,Je vous en ai fait part, j'ai réclamé votre aide.Et je n'en ai vu l'effet si bouillant et si promptQue le seul souvenir m'en charme et me confond ; Mais quand je crois mon mal de secours incapable,Sans vous le partager il suffit qu'il m'accable ;Et c'est assez et trop qu'il fasse un malheureux,Sans passer jusqu'à vous, et sans en faire deux. ALEXANDRE. L'ami qui souffre seul fait une injure à l'autre, Ma part de votre ennui diminuera la vôtre ;Parlez, Duc, et sans peine ouvrez-moi vos secrets,Hors de votre parti je n'ai plus d'intérêts ;J'ai su que votre grande et dernière journéePar la main de l'amour veut être couronnée ; Et que voulant au Roi qui vous en doit le prixDéclarer la beauté qui charme vos esprits ;D'un frère impétueux l'ordinaire insolenceVous a fermé la bouche, et contraint au silence ;Souffrez, sans expliquer l'intérêt qu'il y prend, Que j'en aille pour vous vider le différend ;Et ne m'en faites point craindre les conséquences ;Et le Roi ne pouvant nous en faire raisonJe me trouve à servir le ardeurs qui vous pressentQue j'apprenne du moins à qui vos voeux s'adressent. LE DUC. J'ai vu de vos bontés des effets assez grands Sans vous faire avec lui de nouveaux différends,Sans irriter sa haine, elle est assez aigrie.Il est prince, Seigneur, respectons sa furie ;À ma mauvaise étoile imputons mon ennui, Et croyons-en le sort plus coupable que lui.Laissez à mon amour taire un nom qui l'offense,J'ai des respects encore plus forts que sa défense.Et qui plus qu'aucun autre ont doit de me lier,Tout précieux qu'il m'est, m'ordonnent d'oublier, Laissez-moi retirer d'un champ d'où ma retraitePeut seule à l'ennemi dérober ma défaite. ALEXANDRE. Ce silence obstiné m'apprend votre secret,Mais il tombe en un sein, généreux et discret,Ne me le celez plu, Duc, vous aimez Cassandre ; C'est le plus digne objet où vous puissiez prétendre ;Et celui dont le prince adorant son pouvoirA le plus d'intérêt d'éloigner votre espoir ; Traitant l'amour pour moi votre propre franchiseA donné de ses rets, et s'en trouve surprise ; Et mes desseins pour elle aux vôtres préférésSont ces puissants respects, à qui vous déférez :Mais vous craignez à tort qu'un ami vous accuseD'un crime, dont Cassandre est la cause et l'excuse ;Quelque auguste ascendant qu'ai eut sur moi ses appas. LE DUC. Ne vous étonnée pour si je ne réponds pas ;Ce discours me surprend, et cette indigne plainteMe livre une si rude et si sensible atteinte,Qu'égaré je me cherche, et demeure en suspendsSi c'est vous qui parlez, ou moi qui vous attends. Moi, vous trahir, Seigneur, moi, sur cette CassandrePrès de qui je vous sers, pour moi-même entreprendreSur un amour si stable, et si bien affermi ;Vous me croyez bien lâche, ou bien peu votre ami. ALEXANDRE. Croiriez-vous l'adorant m'altérer votre estime. LE DUC. Me pourriez-vous aimer, coupable de crime ! ALEXANDRE. Confident, ou rival, je ne vous puis haïr. LE DUC. Sincère et généreux je ne vous puis trahir. ALEXANDRE. L'amour surprend les cours, et s'en rend bientôt maître. LE DUC. La surprise ne peut instituer un traître ; Et tout homme de cour pouvant perdre le jour,A le remède en main des surprises d'amour. ALEXANDRE. Pardonnez un soupçon, non pas une créanceQui naissait du défaut de votre confiance. LE DUC. Je veux bien l'oublier, mais à condition Que ce même défaut soit sa punition ;Et qu'il me soi permis une fois de me taire;Sans que votre amitié s'en plaigne ou s'en altère.Au reste, (et cet avis) s'ils vous étaient suspectsVous peut justifier mes soins et mes respects. Cassandre par le Prince est si persécutéeEt d'agents si puissants, pour lui sollicitée,Que si vous le voulez sauver sa libertéIl n'est plut temps d'aimer sous un nom emprunté,Assez et trop longtemps sous ma feinte poursuite J'ai de votre dessein ménagé la conduite ;Et vos voeux sous couleur de servir mon amourOnt assez ébloui tous les yeux de la Cour.De l'artifice enfin, il faut bannir l'usage,Il faut lever le masque, et montrer le visage ; Vous devez de Cassandre établir le repos,Qu'un rival persécute, et trouble à tout propos.Son amour et sa foi vous a donné des gages.Il est temps que l'hymen règle vos avantages.Et faisant l'un heureux en laisse un mécontent. L'avis vient de sa part, il vous est important.Je vous tais cent raisons qu'elle m'a fait entendreArrivant chez l'infant, ou je viens de la rendre ;Qui hautement du Prince embrassant le parti,La mande, (s'il est vrai ce qu'elle a pressenti) Pour d'un nouvel effort en faveur de sa peineMettre encore une fois son esprit à la gêne.Gardez-vous de l'humeur d'un sexe ambitieuxL'espérance d'un sceptre est brillante à ses yeux.Et de ce soin enfin un hymen vous libère. ALEXANDRE. Mais me libère-t-il du pouvoir d'un père,Qui peut... LE DUC. Si votre amour défère à son pouvoir,Et si vous vous réglez par la loi du devoir ;Ne précipitez rien qu'il ne vous soit funeste,Mais vous souffrez bien peu d'un transport si modeste, Et l'ardent procédé, d'un frère impétueuxMarque bien plus d'amour qu'un si respectueux. ALEXANDRE. Non, non, je laisse à part les droits de la nature,Et commets à l'amour toute mon aventure,Puisqu'il fait mon destin, qu'il règle mon devoir, Je prends loi de Cassandre, épousons dès ce soir ;Mais Duc, gardons encore d'éventer nos pratiques,Trompons pour quelques jours jusqu'à ses domestiquesEt hors de ses plus chers dont le zèle est pour nous,Aveuglons leur créance et passez pour l'époux. Puis l'hymen accompli sous un heureux auspice, Que le temps parle après et fasse son office,Il n'excitera plus qu'un impuissant courroux,Ou d'un père surpris, ou d'un frère jaloux. LE DUC. Quoique visiblement mon crédit se hasarde Je veux bien l'exposer, pour ce qui vous regarde,Et plus votre que mien, ne puis avec raison,Avoir donné mon cour, et refuser mon nom ;Le vôtre.... SCÈNE III. Cassandre, Alexandre, Le Duc. CASSANDRE, en colère de chez l'infante. Et bien, Madame, il faudra se résoudreÀ voir sur notre sort tomber ce coup de foudre ; Un fruit de votre avis s'il nous jette si bas,Et la chute au moins ne nous surprendra pas.Ha ! Seigneur, mettez fin à ma triste aventure, Avisant l'Infant.Mettra-t-on tous les jours mon âme à la torture.Souffrirais-je longtemps un si cruel tourment ? Et ne vous puis-je, enfin, aimer impunément ? ALEXANDRE. Quel outrage, Madame, émeut votre colère ? CASSANDRE. La fureur d'une soeur, pour l'intérêt d'un frère ;Son tyrannique effort veut éblouir mes voeux,Par le lustre d'un joug éclatant et pompeux ; On prétend m'aveugler avec un diadème,Et l'on veut malgré moi que je règne, et que j'aime.C'est l'ordre qu'on m'impose, où le Prince irritéAbandonnant sa haine à son autorité,Doit laisser aux neveux le plus tragique exemple, Et d'un mépris vengé la marque la plus ampleDont le sort ait jamais son pouvoir signalé,Et dont jusques ici les siècles aient parlé.Voilà les compliments que l'amour leur suscite,Et les tendes motifs dont on me sollicite. ALEXANDRE. Rendez, rendez le calme à vos charmants appas ;Laissez gronder la foudre, il ne tombera pas ;Ou l'artisan des maux que le sort vous destineTombera le premier dessous votre ruine ;Fondez votre repos en me faisant heureux, Coupons dès cette nuit tout accès à ses voeux,Et voyez sans frayeur, quoiqu'il ose entreprendre,Quand vous m'aurez commis une femme à défendre,Et quand ouvertement, en qualité d'époux,Mon devoir m'enjoindra de répondre de vous. LE DUC. Prévenez dès ce soir l'ardeur qui le transporte.Aux desseins importants la diligence importe.L'ordre seul de l'affaire est à considérer :Mais tirons-nous d'ici pour en délibérer. CASSANDRE. Quel trouble ? Quelle alarme ? Quels soins me possèdent ? SCÈNE IV. Le Prince, Alexandre, Cassandre, Le Duc. LE PRINCE. Madame, il ne se peut que mes voeux ne succèdent,J'aurais tort d'en douter, et de redouter rienAvec deux confidents qui me servent si bien,Et dont l'affection part du profond de l'âme,Il vous parlaient (sans doute) en faveur de ma flamme. CASSANDRE. Vous les désavoueriez de m'en entretenir,Puisque je suis si mal en votre souvenir,Qu'il veut même effacer du cours de votre vie,La mémoire du temps que vous m'avez servie ;Et qu'avec lui vos yeux et votre cour d'accord Détestent ma présence, à l'égard de la mort. LE PRINCE. Vous en faites la vaine, et tenez ces parolesPour des propos en l'air, et des contes frivoles,L'amour me les dictais, et j'étais transporté,S'il s'en faut rapporter, à votre vanité : Mais si j'en suis bon juge, et si je m'en dois croireje vois peu de matière à tant de vaine gloire :Je ne vois point en vous d'appas si surprenantsQu'ils vous doivent donner des titres éminents :Rien ne relève tant l'éclat de ce visage ; Ou vous n'en mettez pas tous les traits en usage.Vos yeux ces beaux charmeurs, avec tous leurs appasNe sont point accusez de tant d'assassinats.Le joug que vous croyez tomber sur tant de têtesNe porte point si loin le bruit de vos conquêtes, Hors un seul, dont le coeur se donne à trop bon prix :Votre empire s'étend sur peu d'autres esprits.Pour moi qui suis facile, et qui bientôt me blesse,Votre beauté m'a plu, j'avouerai ma faiblesse,Et m'a coûté des soins, des devoirs et des pas, Mais du dessein , je crois, que vous n'en doutez pas :Vous avez eu raison de ne vous pas promettreUn hymen que mon rang ne me pouvait permettre.L'intérêt de l'État qui doit régler mon sort,Avecque mon amour, n'en était pas d'accord : Avec tous mes efforts j'ai manqué de fortune,Vous m'avez résisté la gloire en est commune :Si contre vos refus j'eusse cru mon pouvoir,Un facile succès eut suivi mon espoir :Dérobant ma conquête elle m'était certaine, Mais je n'ai pas trouvé qu'elle en valut la peine :Et bien moins de vous mettre au rang où je prétends,Et de vous partager le sceptre que j'attends.Voilà toute l'amour que vous m'avez causée,Si vous en croyez plus, soyez désabusée, Votre mépris enfin m'en produit un commun ;Je n'ai plus résolu de vous être importun :J'ai perdu le désir avec l'espérance,Et pour vous témoigner de quelle indifférenceJ'abandonne un plaisir que j'ai tant poursuivi, Je veux rendre un service à qui m'a desservi.Je ne vous retiens plus, conduisez-là mon frère.Et vous Duc, demeurez. CASSANDRE, donnant la main à Alexandre. Ô la noble colère !Conservez-moi longtemps ce généreux mépris,Et que bientôt, Seigneur, un trône en soit le prix ! SCÈNE V. Le Prince, Le Duc. LE PRINCE, bas. Dieux ! Avec quel effort et quelle peine extrêmeJe consens ce départ qui m'arrache à moi-même,Et qu'un rude combat m'affranchit de sa loi.Duc, j'allais pour vous voir, et de la part du roi. LE DUC. Quelque loi qu'il m'impose elle me sera chère. LE PRINCE. Vous savez s'il vous aime, et s'il vous considère :Il vous fait droit aussi, quand il vous agrandit,Et sur votre vertu fonde votre crédit.Cette même vertu, condamnant mon caprice,Veut qu'en votre faveur je souffre sa justice, Et le laisse acquitter à vos derniers exploitsDu prix que sa parole a mis à votre choix.Usez donc pour ce choix du pouvoir qu'il vous donne,Venez choisir vos fers, qui sont votre couronne ;Déclarez-lui l'objet que vous considérez, Je ne vous défends plus l'heur où vous aspirez :Et de votre valeur, verrai la récompense :Comme sans intérêt, aussi sans répugnance. LE DUC. Mon espoir avoué par ma témérité,Du succès de mes voeux autrefois m'a flatté : Mais, depuis mon malheur, d'être en votre disgrâce,Un visible mépris a détruit cette audace.Et qui se voit des yeux, le commerce interdit,Est bien vain, s'il espère et vante son crédit. LE PRINCE. Loin de vous desservir et vous être contraire, Je vais de votre hymen solliciter mon père ;J'ai déjà sa parole, s'il en est besoinPrès de cette beauté , vous offre encore mon soin. LE DUC. En vain je l'obtiendrai de son pouvoir suprêmeSi je ne puis encore l'obtenir d'elle-même. LE PRINCE. Je crois que les moyens vous en seront aisés. LE DUC. Vos soins en ma faveur les ont mal disposés. LE PRINCE. Avec votre vertu ma faveur était vaine. LE DUC. Mes efforts étaient vains, avecque votre haine. LE PRINCE. Mes intérêts cessés relèvent votre espoir. LE DUC. Mes voeux humiliés révèrent mon devoir.Et l'âme qu'une fois on a persuadéA trop d'attachement à sa première idée,Pour reprendre sitôt l'estime ou le mépris,Et guérir aisément d'un dégoût qu'elle a pris. SCÈNE VI. Le Roi, Le Prince, Le Duc Gardes. LE ROI, au Duc. Venez heureux appui que le ciel me suscite,Dégager ma promesse envers votre mérite ;D'un cour si généreux ayant servi l'ÉtatVous desservez son Prince en le laissant ingrat ;J'engage mon honneur engageant ma parole, Le prix qu'on vous retient est un bien qu'on vous vole,Ne me laissez plus, puisque je vous le dois,Et déclarez l'objet dont vous avez fait choix.En votre récompense éprouvez ma justice,Du prince la raison a guéri le caprice. Il prend vos intérêts, votre heur lui sera doux,Et qui vous desservait, parle à présent pour vous. LE PRINCE, bas. Contre moi mon rival obtient mon assistance !À quelle épreuve, ô ciel ! Réduis-tu ma constance ? LE DUC. Le prix est si conjoint à l'heur de vous servir, Que c'est une faveur qu'on ne me peut ravir ;Ne faites point, Seigneur, par l'offre du salaire,D'une action de gloire une ouvre mercenaire ;Pouvoir dire, ce bras a servi Venceclas,N'est-ce pas un loyer digne de cent combats ? LE ROI. Non, non, quoique je doive à ce bras indomptable,C'est trop que votre Roi soit votre redevable ;Ce grand cour refusant, intéresse le mien,Et me demande trop, en ne demandant rien.Faisons par vos travaux, et ma connaissance, Du maître et du sujet discerner la puissance ;Mon renom ne vous peut souffrir sans se souiller,La générosité, qui m'en veut dépouiller.N'attisez point un feu que vous voudrez éteindre,J'aime en un lieu, Seigneur, où je ne puis atteindre ; Je m'en connais indigne, et l'objet que je sersDédaignant son tribut, désavouerait mes fers. LE ROI. Les plus puissants États n'ont point de souveraines,Dont ce bras ne mérite, et n'honorât les chaînes,Et mon pouvoir enfin, ou sera sans effet, Ou vous répond du don que je vous aurai fait. LE PRINCE, bas. Quoi ? L'hymen qu'on dénie à l'ardeur qui me presseAu lit de mon rival va mettre ma maîtresse ? LE DUC. Ma défense à vos lois n'ose plus répartir. LE PRINCE. Non, non, lâche rival, je n'y puis consentir. LE DUC. Et forcé par votre ordre à rompre mon silence,Je vous obéirai, mais avec violence.Certain de vous déplaire en vous obéissant,Plus, que n'observant point, un ordre si pressant ;J'avouerai donc, grand Roi, que l'objet qui me touche. LE PRINCE. Duc, encore une fois je vous ferme la bouche,Et ne vous puis souffrir votre présomption. LE ROI. Insolent ! LE PRINCE. J'ai sans fruit vaincu ma passionPour souffrir son orgueil, Seigneur, et vous complaire,J'ai fait tous les efforts que la raison peut faire ; Mais en vain mon respect tâche à me contenir,Ma raison de mes sens ne peut rien obtenir ;Je suis ma passion, suivez votre colère,Pour un fils sans respect, perdez l'amour d'un père ;Tranchez le cours du temps à mes jours destiné, Et reprenez le sang que vous m'avez donné,Ou si votre justice épargne encore ma tête,De ce présomptueux rejetez la requête :Et de son insolence humiliez l'excès, Il s'en va furieux.Ou sa mort à l'instant en suivra le succès. SCÈNE VII. Le roi, Le Duc, Gardes. LE ROI. Gardes, qu'on le saisisse. LE DUC, les arrêtant. Ha ! Seigneur, quel asileÀ conservé mes jours, ne serait inutile ?Et me garantirait contre un soulèvement.Accordez-moi sa grâce, ou mon éloignement. LE ROI. Qu'aucun soin ne vous trouble, et ne vous importune. Duc, je ferai si haut monter votre fortune,D'un crédit si puissant j'armerai votre bras,Et ce séditieux vous verra de si bas,Que jamais d'aucun trait de haine ni d'envieIl ne pourra livrer d'atteinte à votre vie. Que l'instinct enragé qui meut ses passionsNe mettra plus de borne à vos prétentions.Qu'il ne pourra heurter votre pouvoir suprême,Et que tous vos souhaits dépendront de vous-même. ACTE IV SCÈNE I. Théodore, Léonor. THÉODORE. Ha dieu ! Que cet effroi me trouble et me confond ; Tu vois que ton rapport à mon gré répond, Et sur cette frayeur tu condamnes mes larmes !Je me mets trop en peine, et je prends trop d'alarmes ! LÉONOR. Vous en prenez sans doute un peu légèrementPour n'avoir pas couché dans son appartement. Est-ce un grand sujet d'en prendre l'épouvante ?Et de souffrir qu'un songe à ce point vous tourmente ?Croyez-vous que le Prince en cet âge de feuOù le corps à l'esprit s'assujettit si peu ?Où l'âme sur les sens n'a point encore d'empire ? Où toujours le plus froid pour quelque objet soupire,Vive avecque tout l'ordre et toute la pudeurD'où dépend notre gloire et notre bonne odeur ?Cherchez-vous des clartés dans les nuits d'un jeune hommeQue le repos tourmente, et que l'amour consomme ? C'est les examiner d'un soin trop curieux,Sur leurs déportements, il fut fermer les yeux ;Pour n'en point être peiné, il n'en faut rien apprendre,Et ne connaître point ce qu'il faudrait reprendre. THÉODORE. Un songe interrompu, sans suite, obscur, confus, Qui passe en un instant, et puis ne revient plus,Fait dessus notre esprit une légère atteinte, Et nous laisse imprimée, ou point, ou peu de crainte :Mais les songes suivis, où dont à tout proposL'horreur se remontrant interrompt le repos, Et qui distinctement marquent les aventures,Sont des avis du ciel pour les choses futures.Hélas ! J'ai vu la main qui lui perçait le flanc !J'ai vu porter le coup, j'ai vu couler le sang,Du coup d'une autre main j'ai vu voler sa tête, Pour recevoir son corps j'ai vu la tombe prête,Et m'écriant d'un ton qui t'aurait fait horreur,J'ai dissipé mon songe, et non pas ma terreur.Cet effroi, de mon lit, aussitôt m'a tirée,Et, comme tu m'as vue, interdite égarée, Sans toi je me rendais en son appartement,D'où j'apprends que ma peur n'est pas sans fondement,Puisque ses gens t'ont dit... Mais que vois-je ? SCÈNE II. Octave, le Prince, Théodore, Léonor. OCTAVE. Ha Madame ! THÉODORE. Et bien ? OCTAVE. Sans mon secours le Prince rendait l'âme. THÉODORE. Prenais-je, Léonor, l'alarme hors de propos. LE PRINCE. Souffrez-moi sur ce siège un moment de repos.Débile, et mal remis encore de la faiblesseOù ma perte de sang, et ma chute me laisse ;Je me traîne avec peine, et j'ignore où je suis. THÉODORE. Ha mon frère ! LE PRINCE. Ha ma soeur ! Savez-vous mes ennuis ? THÉODORE. Ô songe ! Avant coureur d'aventure tragique,Combien sensiblement cet accident t'explique ;Par quel malheur, mon frère, ou par quel attentatVous vois-je en ce sanglant et déplorable état ? LE PRINCE. Vous voyez ce qu'amour et Cassandre me coûte, Mais faites observer qu'aucun de nous écoute. THÉODORE, faisant signe à Léonor qui va voir si personne n'écoute. Soignez-y, Léonor. LE PRINCE. Vous avez vu, ma soeurMes plus secret pensers jusqu'au fond de mon cour,Vous savez les efforts que j'ai fait sur moi-mêmePour secouer le joug de cette amour extrême, Et retirer d'un cour indignement blesséLe trait empoisonné que ses yeux m'ont lancé.Mais, quoi que j'entreprenne, à moi-même infidèle,Contre mon jugement, mon esprit se rebelle ;Mon cour de son service à peine est diverti, Qu'au premier souvenir il reprend son parti ;Tant a de droit sur nous, malheureux que nous sommesCet amour, mon amour, mais ennemi des hommes.J'ai, pour aucunement couvrir ma lâcheté,Quand je souffrais le plus, feint plus de santé. Rebuté des mépris qu'elle a faits d'un esclave,J'ai fait d'un souverain, et j'ai tranché du brave,Bien plus, j'ai furieux, inégal, interdit,Voulu pour mon rival employer mon crédit.Mais, au moindre penser, mon âme transportée Contre mon propre effort s'est toujours révoltée,Et l'ingrate beauté dont le charme m'a prisPeut plus que ma colère, et plus que les mépris :Sur ce qu'Octave enfin, hier, me fit entendre,L'hymen qui se traitait, du Duc, et de Cassandre ; Et que ce couple heureux consommait cette nuit. OCTAVE. Pernicieux avis, hélas ! Qu'as-tu produit ? LE PRINCE. Succombant tout entier à ce coup qui m'accable,De tout raisonnement, je deviens incapable.Fais retirer mes gens, m'enferme tout le soir, Et ne prends plus avis que de mon désespoir ;Par une fausse porte, enfin, la nuit venue,Je me dérobe aux miens, et je gagne la rue,D'où, tout soin, tout respect, tout jugement perdu,Au palais de Cassandre en même temps rendu, L'escalade des murs, gagne une galerie,Et cherchant un endroit commode à ma furie,Descends sous l'escalier, et dans l'obscuritéPrépare à tout succès mon courage irrité,Au nom du Duc, enfin, j'entends ouvrir la porte, Et suivant à ce nom la fureur qui m'emporte,Cours, éteins la lumière, et d'un aveugle effortDe trois coups de poignard blesse le Duc à mort. THÉODORE, effrayée s'appuyant sur Léonor. Le Duc ? Qu'entends-je ? Hélas ! LE PRINCE. À cette rude atteintePendant qu'en l'escalier tout le monde est en plainte, Lui, m'entendant tomber le poignard, sous ses pas, S'en saisit, me poursuit, et m'en atteint au bras.Son âme à cet effort de son corps de sépare,Il tombe mort. THÉODORE. Ô rage inhumaine et barbare ! LE PRINCE. Et moi, par cent détours, que je ne connais pas, Dans l'horreur de la nuit ayant traîné mes pas ;Par le sang que je perds mon cour enfin se glace,Je tombe, et hors de moi, demeure sur la place ;Tant qu'Octave passant, s'est donné le souciDe bander ma blessure, et de me rendre ici. Où (non sans peine encore) je reviens en moi-même. THÉODORE, appuyé sur Léonor. Je succombe, mon frère, à ma douleur extrême.Ma faiblesse me chasse, et peut rendre évidentL'intérêt que je prends dedans votre accident.Soutiens-moi, Léonor ; Bas.Mon cour es-tu si tendre S'en allant.Que de donner des pleurs à l'époux de Cassandre ?Et vouloir mal au bras qui t'en a dégagé,Cet hymen t'offensait, et sa mort t'a vengé. SCÈNE III. Le Prince, Octave. OCTAVE. Déjà du jour, Seigneur, la lumière naissanteFait voir par son retour la lune pâlissante. LE PRINCE. Et va produire aux yeux les crimes de la nuit. OCTAVE. Même au quartier du Roi j'entends déjà du bruit.Allons-nous rendre au lit, que quelqu'un ne survienne. LE PRINCE. Qui souhaite la mort, craint peu quoiqu'il advienne,Mais allons, conduis-moi. SCÈNE IV. Le Roi, Gardes, Le Prince, Octave. LE ROI. Mon fils ? LE PRINCE. Seigneur ? LE ROI . Hélas ! OCTAVE. Ô fatale rencontre ! LE ROI. Est-ce vous, Ladislas ?Dont la douleur éteinte et la voix égaréeNe marquent plus qu'un corps dont l'âme est séparée ?En quel lieu, si saisi, si froid, et si sanglantAdressez-vous ce pas, incertain, et tremblant ? Qui vous a si matin tiré de votre couche ?Quel trouble vous possède et vous ferme le bouche ? LE PRINCE, se remettant sur sa chaise. Que lui dirai-je ? Hélas ! LE ROI. Répondez-moi, mon fils.Quel fatal accident... LE PRINCE. Seigneur, je vous le dis ;J'allais, j'étais, l'amour a sur moi tant d'empire... Je me confonds, Seigneur, et ne vous puis rien dire. LE ROI. D'un trouble si confus un esprit assailliSe confesse coupable, et qui craint a failli ;N'avez-vous point eu prise avec votre frère ?Votre mauvaise humeur lui fut toujours contraire, Et si pour l'en garder mes soins n'avaient pourvu... LE PRINCE. M'a-t-il pas satisfait ? Non, je ne l'ai point vu. LE ROI. Qui vous réveille donc avant que la lumièreAit du soleil naissant commencé la carrière ? LE PRINCE. N'avez-vous pas aussi précédé son réveil ? LE ROI. Oui, mais j'ai mes raisons qui bornent mon sommeil,Je me vois, Ladislas, au déclin de ma vie,Et sachant que la mort l'aura bientôt ravieJe dérobe au sommeil, image de la mort,Ce que je puis du temps qu'elle laisse à mon sort ; Près du terme fatal prescrit par la nature,Et qui me fait du pied toucher ma sépulture ;De ces derniers instants dont il presse le cours Ce que j'ôte à mes nuits, je l'ajoute à mes jours.Sur mon couchant enfin, ma débile paupière Me ménage avec soin ce reste de lumière ;Mais quel soin peut du lit vous chasser si matin,Vous à qui l'âge, encor, garde un si long destin ? LE PRINCE. Si vous en ordonnez avec votre justiceMon destin de bien près touche son précipice ; Ce bras (puisqu'il est vain de vous déguiser rien)A de votre couronne abattu le soutien ;Le Duc est mort, Seigneur, et j'en suis l'homicide.Mais j'ai dû l'être. LE ROI. Ô Dieu ! Le Duc est mort, perfide !Le Duc est mort, barbare ! Et pour excuse enfin Vous avez eu raison d'être son assassin !À cette épreuve, ô ciel, mets-tu ma patience ? SCÈNE V. Le Duc, Le Roi, Le Prince, Octave, Gardes. Il sort. LE DUC. La Duchesse, Seigneur, vous demande audience. LE PRINCE. Que vois-je ? Quel fantôme ? Et quelle illusionDe mes sens égarés croît la confusion ? LE ROI. Que m'avez-vous dit, Prince ? Et par quelle merveilleMon oeil peut-il si tôt démentir mon oreille ? LE PRINCE. Ne vous ai-je pas dit, qu'interdit et confusJe ne pouvais rien dire, et ne reconnais plus. LE ROI. Ha Duc ! Il était temps de tirer ma pensée D'une erreur qui l'avait mortellement blessée,Différant d'un instant le soin de l'en guérirLe bruit de votre mort m'allait faire mourir.Jamais cour ne conçut une douleur si forte. Mais que me dites-vous ? LE DUC. Que Cassandre à la porte Demandait à vous voir. LE ROI. Qu'elle entre. LE PRINCE, bas. Ô justes cieux !M'as-tu trompé ma main ? Me trompez-vous mes yeux ?Si le Duc est vivant, quelle vie ai-je éteinte ?Et de quel bras, le mien, a-t-il reçu l'atteinte ? SCÈNE VI. Cassandre, Le Roi, Le Prince, Le Duc, Octave, Gardes. CASSANDRE, aux pieds du roi pleurant. Grand roi de l'innocence auguste protecteur, Des peines et des prix juste dispensateurExemple de justice inviolable et pure,Admirable à la race, et présente et future ;Prince et père à la fois, vengez-moi, vengez-vous,Avec votre pitié mêlez votre courroux, Et rendez aujourd'hui d'un juge inexorable,Une marque, aux neveux, à jamais mémorable. LE ROI, la faisant lever. Faites trêve, Madame avecque les douleurs,Que vous coupent le voix, et font parler vos pleurs ! CASSANDRE. Votre majesté, Sire, a connue ma famille ! LE ROI. Ursin de Cunisberg, de qui vous êtes la filleEst descendu d'aïeux, issus de sang royal,Et me fut un voisin, généreux, et loyal. CASSANDRE. Vous savez, si prétendre, un de vos fils pour gendre,Eut au rang qu'il tenait, été trop entreprendre ! LE ROI. L'amour n'offense point, dedans l'égalité. CASSANDRE. Tous deux, ont eu dessein, dessus ma liberté.Mais avec différence, et d'objet, et d'estime,L'un qui me crut honnête, eut un but légitime,Et l'autre, dont l'amour fol, et capricieux, Douta de ma sagesse en eut un vicieux ;J'eus bientôt d'eux aussi, des sentiments contraires, Et quoiqu'ils soient vos fils, ne les trouvai point frères !Je ne les puis aimer, ni haïr à demi,Je tins l'un pour amant, l'autre pour ennemi ! L'infant, par sa vertu, s'est soumis ma franchise,Le prince par son vice, en a maqué la prise ;Et par deux différents, mais louables effets,J'aime en l'un votre sang, en l'autre je le hais ;Alexandre, qui vit son rival en son frère, Et qui craignit, d'ailleurs, l'autorité d'un père ;Fit, quoiqu'autant ardent, que prudent et discret,De notre passion, un commerce secret ;Et sous le nom de Duc, déguisant sa poursuite,Ménagea votre vue, avec tant de conduite Que toute Varsovie, a cru jusqu'aujourd'huiQu'il parlait pour de Duc, quand il parlait pour lui ;Cette adresse a trompé, jusqu'à nos domestiques ;Mais craignant, que le Prince, à bout de ses pratiques,(Comme il croit tant pouvoir, avec impunité,) Ne suivit la fureur, d'un amour irrité,Et dessus mon honneur, osât trop entreprendre,Nous crûmes que l'hymen, pouvait seul m'en défendre,Et l'heure prise, enfin, pour nous donner les mains,Et bornant son espoir, détruire ses desseins, Hier (déjà le sommeil, servant partout ses charmesEn cet endroit, Seigneur, laissez couler mes larmes ; Pleurant.Leurs cours vient d'une source, à ne tarir jamais,L'infant, de cet hymen , espérant le succès,Et de peur de soupçon, arrivant sans escorte, À peine eut mis le pied sur le seuil de la porte,Qu'il sent, pour tout accueil, une barbare main,De trois coups de poignard, lui traverser le sein. LE ROI. Ô Dieu ? L'infant est mort ! LE PRINCE, bas. Ô mon aveugle rage,Tu t'es bien satisfaite, et voilà ton ouvrage. Le roi sied, et met son mouchoir sur son visage. CASSANDRE. Oui, Seigneur, il est mort, et je suivrai ses pas,À l'instant que j'aurai, vu venger son trépas ;J'en connais le meurtrier, et j'attends son supplice,De vos ressentiments, et de votre justice ;C'est votre propre sang, Seigneur, qu'on a versé, Votre vivant portrait, qui se trouve effacé :J'ai besoin d'un vengeur, je n'en puis choisir d'autre,Le mort est votre fils, et ma cause est la vôtre ;Vengez-moi, vengez-vous, et vengez un époux,Que veuve, avant l'hymen, je pleure à vos genoux ; Mais apprenant, grand Roi, cet accident sinistre,Hélas ! En pourriez-vous soupçonner le ministre !Oui, votre sang suffit, pour vous en faire foi : Montrant le prince.Il s'émeut, il vous parle, et pour, et contre soi ;Et par un sentiment, ensemble horrible et tendre, Vous dit, que Ladislas, est meurtrier d'Alexandre :Ce geste, encore, Seigneur, ce maintien interdit,Ce visage effrayé, ce silence le dit ;Et plus que tout, enfin. Cette main encore teinteDe ce sang précieux, qui fait naître ma plainte ; Quel des deux sur vos sens, fera le plus d'effort,De votre fils meurtrier, ou de votre fils mort ?Si vous étiez si faible, et votre sang si tendre, Qu'on l'eut impunément, commencé de répandre ;Peut être verriez-vous, la main qui l'a versé, Attenter sur celui, qu'elle vous a laissé ;D'assassin de son frère, il peut être le vôtre,Un crime pourrait bien, être un essai de l'autre ;Ainsi, que les vertus, les crimes enchaînés,Sont toujours, ou souvent, l'un par l'autre traînés : Craignez de hasarder, pour être trop auguste,Et le trône, et la vie, et le titre de juste ;Si mes vives douleurs ne vous peuvent toucher,Ni la perte d'un fils qui vous était si cher :Ni l'horrible penser du coup qui voua la coûte, Voyez, voyez le sang dont ce poignard dégoûte ;Et s'il ne vous émeut, sachez où l'on l'a pris,Votre fils l'a tiré du sang de votre fils ;Oui, de ce coup, Seigneur, un frère fut capable,Ce fer porte le chiffre, et le nom du coupable Vous apprend de quel bras il fut l'exécuteur,Et complice du meurtre en déclare l'auteur ;Ce fer, qui chaud encore, par un énorme crime,A traversé d'amour la plus noble victime ;L'ouvrage le plus pur que vous ayez formé, Et le plus digne cour dont vous fussiez aimé ;Ce cour, enfin, ce sang, ce fils, cette victime,Demandent par ma bouche un arrêt légitime ;Roi, vous vous feriez tort, par cette impunité,Et père de votre fils, vous devez l'équité ; J'attends de voir pousser votre main vengeresse,Ou par votre justice, ou par votre tendresse ;Ou, si je n'obtiens rien de la part des humains,La justice du ciel me prêtera les mains ;Ce forfait contre lui cherche en vain du refuge, Il en fut le témoin, il en sera le juge ;Et pour punir un bras d'un tel crime noirci ;Le sien saura s'étendre, et n'est pas raccourci ;Si vous lui remettez à venger nos offenses. LE ROI. Contre ces charges, Prince, avez-vous des défenses ? LE PRINCE. Non, je suis criminel, abandonnez grand RoiCette mourante vie aux rigueurs de la loi ;Que rien ne vous oblige à m'être moins sévère,Supprimons les doux noms et de fils et de père,Et tout ce qui pour moi vous peut solliciter, Cassandre veut ma mort, il l'a faut contenter ;Sa haine me l'ordonne, il faut que je me taise ;Et j'estimerai plus une mort qui lui plaiseQu'un destin qui pourrait m'affranchir du trépas,Et qu'une éternité qui ne lui plairait pas ; J'ai beau dissimuler ma passion extrême ;Jusqu'àprès le trépas mon sot veut que je l'aimeEt pour dire à quel point ce cour est embrasé,Jusqu'après le trépas qu'elle m'aura causé ;Le coup qui me tuera pour venger son injure Ne sera qu'une heureuse et légère blessure,Au prix du coup fatal qui me perça le coeur,Quand de ma liberté son bel oeil fut vainqueur ;J'en fus désespéré, jusqu'à tout entreprendre, Il m'ôta le repos, que l'autre doit me rendre, Puisqu'être sa victime, est un décret des cieux,Qu'importe qui me tue, ou sa bouche ou ses yeux !Souscrivez à l'arrêt, dont elle me menace,Privé de sa faveur, je ne veux point de grâce :Mettez à bout l'effet, qu'amour a commencé, Achevez un trépas, déjà bien avancé ;Et si d'autre intérêt, n'émeut votre colère,Craignez tout, d'une main, qui pût tuer un frère. LE ROI. Madame, modérez, vos sensibles regrets,Et laissez à mes soins, nos communs intérêts : Mes ordres, aujourd'hui, feront voir une marque,Et d'un juge équitable, et d'un digne monarque ;Je me dépouillerai de toute passion,Et je lui ferai droit, par sa confession ! CASSANDRE. Mon attente, Grand Roi, n'a point été trompée, Et... LE ROI. Prince, levez vous, donnez-moi votre épée. LE PRINCE, se levant. Mon épée ! Ha ! Mon crime est-il énorme au point ?De me... LE ROI. Donnez, vous dis-je, et ne répliquez point. LE PRINCE. La voilà ! LE ROI, la baillant au Duc. Tenez, Duc ! OCTAVE. Ô disgrâce inhumaine ! LE ROI. Et faites-le garder, en la chambre prochaine. Allez ! LE PRINCE, ayant fait la révérence au Roi, et à Cassandre. Presse la fin où tu m'a destiné,Sort ! Voilà de tes jeux, et ta roue a tourné ? LE ROI. Duc ! LE DUC. Seigneur ! LE ROI. De ma part, donnez avis au prince,Que sa tête, autrefois si chère à la province ;Doit servir aujourd'hui, d'un exemple fameux, Qui fera détester, son crime à nos neveux. SCÈNE VII. Le Roi, Cassandre, Octave, Gardes. LE ROI, à Octave. Vous, conduisez Madame, et la rendez chez elle. CASSANDRE, à genoux. Grand Roi, des plus grands rois, le plus parfait modèle ;Conservez invaincu, cet invincible sein,Poussez jusques au bout, ce généreux dessein ; Et constant, écoutez, contre votre indulgence,Le sang d'un fils, qui crie, et demande vengeance. LE ROI. Ce coup, n'est pas, Madame, un crime à protéger,J'aurai soin de punir, et non pas de venger. Elle s'en va avec Octave, il dit, étant seul.Ô ciel, ta providence, apparemment prospère, Au gré de mes forfaits, de deux fils m'a fait père ;Et l'un d'eux, qui par l'autre, aujourd'hui m'est ôté ;M'oblige, à perdre encore, celui qui m'est resté ! ACTE V SCÈNE I. Théodore, Léonor. THÉODORE. De quel air, Léonor, a-t-il reçu ma lettre ? LÉONOR. D'un air et d'un visage, à vous tout promettre. En vain, sa modestie, a voulu déguiser,Venant à votre nom, il l'a fallu baiser,Comme à force, imprimant, sur ce cher caractère,Une marque d'un feu, qu'il sent, mais qu'il veut taire. THÉODORE. Que tu prends mal ton temps, pour éprouver un coeur, Que la douleur éprouve, avec tant de rigueur :J'ai plaint la mort du Duc, comme d'une personne,Nécessaire à mon père, et qui sert sa couronne ;Et quand on me guérit, de ce fâcheux rapport,Et que j'apprends qu'il vit, j'apprends qu'un frère est mort ! Encore, quoi que nos cours, usent d'intelligence,Je ne puis de sa mort, souhaiter la vengeance ;J'aimai également, la mort et l'assassin,Je plains également, l'un et l'autre destin :Pour un frère meurtri, ma douleur a des larmes, Pour un frère meurtrier, ma fureur n'a point d'armes ;Et si le sang de l'un, excite mon courroux,Celui... Mais le Duc vient. Léonor, laissez-nous. SCÈNE II. Le Duc, Léonor. LE DUC. Brûlant de vous servir, adorable Princesse,Je me rends par votre ordre, aux pieds de votre altesse. THÉODORE. Ne me flattez point ! Et m'en puis-je vanter ? LE DUC. Cette épreuve, Madame, est facile à tenter ;J'ai du sang à répandre, et je porte une épée,Et ma main, pour vos lois, brûle d'être occupée. THÉODORE. Je n'exige pas tant de votre affection Et je ne veux de vous, qu'une confession. LE DUC. Quelle ! Ordonnez-la moi. THÉODORE. Savoir de votre bouche,De quel généreux objet, le mérite vous touche,Et doit être le prix, de ces fameux exploits,Qui jusqu'en Moscovie, ont étendu vos lois ; J'imputais votre prise, aux charmes de Cassandre,Mais l'infant l'adorant, vous n'y pouviez prétendre. LE DUC. Mes voeux ont pris, Madame, un vol plus élevé ;Aussi, par ma raison, n'est-il pas approuvé ! THÉODORE. Ne cherchez point d'excuse, en votre modestie, Nommez-la, je le veux. LE DUC. Je suis sans répartie ;Mais ma voix cédera, cet office à vos yeux,Vous-même, nommez-vous, cet objet glorieux, Lui bayant la lettre ouverte.Vos doigts ont mis son nom, au bas de cette lettre. THÉODORE, ayant lu son nom. Votre mérite, Duc, vous peut beaucoup permettre, Mais.... LE DUC. Sans vous aimer, j'ai condamné mes voeux,Je me suis voulu mal du bien que je vous veux,Mais, Madame, accusez une étoile fatale,:D'élever un espoir, que la raison ravale ;De faire à vos sujets, encenser vos autels, Et de vous procurer, des hommages mortels. THÉODORE. Si j'ai pouvoir sur vous, puis-je de votre zèle,Me promettre à l'instant, une preuve fidèle ? LE DUC. Le beau feu, dont pour vous, ce cour est embrasé,Trouvera tout possible, et l'impossible aisé. THÉODORE. L'effort, vous en sera pénible, mais illustre. LE DUC. D'une si noble ardeur, il accroîtra le lustre. THÉODORE. Tant s'en faut, cette épreuve est de tenir caché,Un espoir, dont l'orgueil, vous serait reproché :De vous taire, et n'admettre en votre confidence, Que votre seul respect, avec votre prudence ;Et pour le prix, enfin, du service important,Qui rend sur tant de noms, votre nom éclatantAllez en ma faveur ; demander à mon père,Au lieu de votre hymen, la grâce de mon frère ; Prévenir son arrêt, et par votre secours, Faire tomber l'acier, prêt, à trancher ses jours ;De cette épreuve, Duc, vos voeux sont-ils capables ? LE DUC. Oui, Madame, et de plus, puisqu'ils sont si coupables,Il vous sauront, encore, venger de leur orgueil, Et tomber, avec moi, dans la nuit du cercueil. THÉODORE. Non, je vous le défends, laissez-moi mes vengeances,Et si j'ai droit sur vous, observez mes défenses. Elle s'en va.Adieu, Duc. LE DUC, seul. Quel orage agite mon espoir !Et quelle loi mon cour, viens-tu de recevoir ! Si j'ose l'adorer, je prends trop de licence,Si je m'en veux punir, j'en reçois la défense ;Me défendre la mort, sans me vouloir guérir,N'est-ce pas m'ordonner de vivre, et de mourir !Mais... SCÈNE III. Le Roi, Le Duc, Gardes. LE ROI. Ô jour à jamais funèbre à la province ! Federic ? LE DUC. Quoi Seigneur. LE ROI. Faites venir le Prince. LE DUC, sortant avec les gardes. Il sera superflu, de tenter mon crédit,Le sang fait son office, et le roi s'attendrit. LE ROI, seul, rêvant, et se promenant. Trêve, trêve, nature, aux sanglantes batailles,Qui si cruellement, déchirant mes entrailles ; Et me perçant le coeur, le veulent partager,Entre mon fils à perdre, et mon fils à venger,À ma justice en vain, ta tendresse est contraire,Et dans le coeur d'un roi, cherche celui d'un père ;Je me suis dépouillé, de cette qualité, Et n'entends plus d'avis, que ceux de l'équité ;Mais, ô vaine constance, ô force imaginaire,À cette vue, encore, je sens que je suis père ;Et n'ai pas dépouillé, tout humain sentiment.Sortez, Gardes, vous, Duc, laissez-nous un moment. Ils sortent. SCÈNE IV. Le Roi, Le Prince. LE PRINCE. Venez-vous conserver, ou venger votre race ;M'annoncez-vous, mon père, ou ma rage ou ma grâce. LE ROI, pleurant. Embrassez-moi, mon fils. LE PRINCE. Seigneur ? Quelle bonté !Quelle effort de tendresse, et quelle nouveauté !Voulez-vous, ou marquer, ou remettre mes peines ? Et vos bras me sont-ils des faveurs ou des chaînes ? LE ROI, pleurant. Avec le dernier, de leurs embrassements,Recevez de mon cour, les derniers sentiments :Savez-vous de quel sang, vous avez pris naissance ? LE PRINCE. Je l'ai mal témoigné, mais j'en ai connaissance. LE ROI. Sentez-vous de ce sang, les nobles mouvements ? LE PRINCE. Si je ne les produits, j'en ai les sentiments. LE ROI. Enfin, d'un grand effort, vous trouvez-vous capable ? LE PRINCE. Oui, puisque je résiste à l'ennui qui m'accable,Et qu'un effort mortel, ne peut aller loin. LE ROI. Armez-vous de vertus, vous en avez besoin. LE PRINCE. S'il est temps de partir, mon âme est toute prête. LE ROI. L'échafaud l'est aussi, portez-y votre tête ;Plus condamné que vous, mon cour vous y suivra,Je mourrai plus que vous du coup qui vous tuera ; Mes larmes vous en sont une preuve assez ample,Mais à l'État, enfin, je dois ce grand exemple ;À ma propre vertu, ce généreux effort,Cette grande victime à votre frère mort ;J'ai craint de prononcer, autant que vous d'entendre, L'arrêt qu'ils demandaient, et que j'ai dû leur rendre,Pour ne vous perdre pas, j'ai longtemps combattu,Mais ou l'art de régner n'est plus une vertu,Et c'est une chimère aux rois que la justice ;Ou régnant à l'État, je dois ce sacrifice. LE PRINCE. Et bien, achevez-le, voilà ce col tout prêt,Le coupable, grand Roi, souscrit à votre arrêt ;Je ne m'en défends point, et je sais que mes crimes,Vous ont causé souvent des courroux légitimes ;Je pourrai, du dernier, m'excuser sur l'erreur, D'un bras qui s'est mépris, et crut trop ma fureur ;Ma haine, et mon amour, qu'il voulait satisfaire,Portaient le coup au Duc, et non pas à mon frère ;J'allèguerais encore, que le coup part d'un bras,Dont les premiers efforts, ont servis vos États ; Et m'ont dans votre histoire, acquis assez de place,Pour vous devoir parler, en faveur de ma grâce ;Mais je n'ai point dessein, de prolonger mon sort,J'ai mon objet à part, à qui je dois ma mort ;Vous la devez au peuple, à mon frère, à vous-même, Moi, je le dois, Seigneur, à l'ingrate que j'aime,Je la dois à sa haine, et m'en veux acquitter,C'est un léger tribut, qu'une vie à quitter,C'est peu pour satisfaire, et pour plaire à Cassandre,Qu'une tête à donner, et du sang à répandre, Et forcer de l'aimer, jusqu'au dernier soupir,Sans avoir pu vivant, répondre à son désir,Suis ravi de savoir, que ma mort y réponde,Et que mourant, je plaise, aux plus yeux du monde. LE ROI. À quoi que votre cour, destine votre mort, Allez vous préparer, à cet illustre effort ;Et pour les intérêts, d'une mortelle flamme,Abandonnant le corps, n'abandonnez pas l'âme ;Toute obscure qu'elle est, la nuit a beaucoup d'yeux,Et n'a pas pu cacher votre forfait aux cieux. L'embrassant.Adieu. Sur l'échafaud, portez le coeur d'un prince,Et faites y douter, à toute le province,Si né, pour commander, et destiné si haut,Vous mourez sur un trône, ou sur un échafaud. Le roi tape du pied pour faire venir le Duc. Le duc entre avec des gardes.Duc, remenez le prince. LE PRINCE, s'en allant. Ô vertu trop sévère ! Venceslas, vit encore, et je n'ai plus de père ! SCÈNE V. Le Roi, Gardes. LE ROI. Ô justice inhumaine, et devoirs ennemis,Pour conserver mon sceptre, il faut perdre mon fils !Mais laisse-les agir, importune tendresse,Et vous, cachez mes yeux, vos pleurs, et ma faiblesse, Je ne puis rien pour lui, le sang cède à la loi,Et je ne lui puis être, et bon père et bon roi.Vois, Pologne, en l'horreur, que le vice m'imprime,Si mon élection, fut un choix légitime ;Et si je puis donner, aux devoirs de mon rang, Plus que mon propre fils, et que mon propre sang ! SCÈNE VI. Théodore, Cassandre, Léonor, Le Roi, Gardes. THÉODORE. Par quelle loi, Seigneur, si barbare et si dure,Pouviez-vous renverser, celle de la nature ?J'apprends, qu'au Prince, hélas ! L'arrêt est prononcé,Que de son châtiment, l'appareil est dressé ; Quoi, nous demeurerons, par des lois si sévères,L'État sans héritiers, vous sans fils, moi sans frères ?Consultez-vous un peu ; contre votre fureur,C'est trop, qu'en votre fils, condamner une erreur ;Du carnage d'un frère, un frère est incapable, De cet assassinat, la nuit seule est coupable ;Il plaint autant que nous, le sort qu'il a fini,Et par son propre crime, il est assez puni ;La piété qui fera révoquer son supplice,N'est pas moins la vertu d'un roi que la justice ; Avec moins de fureur, vous lui serez plus doux,La justice est souvent, le masque du courroux ;Et l'on imputera cet arrêt si sévèreMoins au devoir d'un roi, qu'à la fureur d'un père ;Un murmure public, condamne cet arrêt, La nature vous parle, et Cassandre se tait ;La rencontre du prince, en ce lieu, non prévue,L'intérêt de l'État, et mes pleurs l'ont vaincue ;Son ennui si profond, n'a su nous résister,Un fils, enfin, n'a plus, qu'un père à surmonter. CASSANDRE. Je revenais, Seigneur, demander son supplice,Et de ce noble effort, presser votre justice ;Mon cour impatient, d'attendre son trépas, Accusait chaque instant, qui ne me vengeait pas ;Mais, je ne puis juger, par quel effet contraire, Sa rencontre, en ce cour, a fait taire son frère ;Ses fers, ont combattu, le vif ressentiment,Que je dois malheureuse, au sang de mon amant ;Et quoique tant meurtrie, mon âme encore l'adore, Les plaintes, les raisons, les pleurs de Théodore, Le murmure du peuple, et de l'état entier,Qui contre mon parti, soutient son héritier,Et condamne l'arrêt, dont ma douleur vous presse,Suspendent en mon sein, cette ardeur vengeresse ;Et me la font, enfin passer pour attentat, Contre le bien public, et le chef de l'État,Je me tais, donc, Seigneur, disposez de la vie,Que vous m'avez promise, et que j'ai poursuivie,Au défaut de celui, qu'on te refusera,J'ai du sang cher amant, qui te satisfera. LE ROI. Vous ne pouvez douter, Duchesse, et vous Infante,Que père, je voudrais répondre à votre attente ;Je suis par son arrêt, plus condamné que lui,Et je préférerais, sa mort, à mon ennui ;Mais, d'autre part, je règne, et si je lui pardonne, D'un opprobre éternel, je souille ma couronne ;Au *lieu, que résistant, à cette dureté,Ma vie, et votre honneur, devront leur sûreté ;Ce lion est dompté, mais peut-être, Madame, Celui, qui si soumis, *vous déguise sa flamme, Plus fier, et violent qu'il n'a jamais été,Demain attenterait, sur votre honnêteté ;Peut-être, qu'à mon sang, sa main accoutumée,Contre mon propre sein, demain serait armée ;La pitié qu'il vous cause, est digne d'un grand cour, Mais, si je veux régner, il l'est de ma rigueur,Je vous dois malgré vous, raison de votre offense,Et quand vous vous rendez, prendre votre défense,Mon courroux résistant, et le vôtre abattu,Sont d'illustres effets, d'une même vertu. SCÈNE VII. Le Duc, Le Roi, Théodore, Cassandre, Léonor, Gardes. LE ROI. Que fait le prince, Duc ? LE DUC. C'est en ce moment, Sire,Qu'il est prince, en effet, et qu'il peut se le dire !Il semble, aux yeux de tous, d'un héroïque effort,Se préparer plutôt, à l'hymen, qu'à la mort ;Et puisque si remis, de tant de violence, Il n'est plus en état, de m'imposer silence,Et m'envier, un bien, que ce bras m'a produit,De mes travaux, grand Roi, je demande le fruit. LE ROI. Il est juste, et fut il, de toute ma province. LE DUC. Je le restreins, Seigneur, à la grâce du prince. LE ROI. Quoi ! LE DUC. J'ai votre parole, et ce dépôt sacré,Contre votre refus, m'est un gage assuré ;J'ai payé de mon sang, l'heur que j'ose prétendre. LE ROI. Quoi ? Federic, aussi, conspire, à me surprendre !Quel charme, contre un père, en faveur de son fils, Suscite, et fait parler, ses propres ennemis ? LE DUC. C'est peu, que pour un prince, une faute s'efface !L'État qu'il doit régir, lui doit bien une grâce ;Le seul sang de l'Infant, par son crime est versé,Mais par son châtiment, tout l'État est blessé ; Sa cause, quoiqu'injuste, est la cause publique !Il n'est pas toujours bon, d'être trop politique,Ce que veut tout l'État, se peut-il dénier ?Et père, devez-vous, vous rendre le dernier ? SCÈNE VIII. Octave, Le Roi, Le Duc, Théodore, Cassandre, Léonor, Gardes. OCTAVE, hors d'haleine. Seigneur, d'un cri commun, toute le populace, Parle en faveur du Prince, et demande sa grâce ;Et surtout, un grand nombre, en la place amassé,À d'un zèle indiscret, l'échafaud renversé ;Et les larmes aux yeux, d'une commune envie,Proteste de périr, ou lui sauver la vie ; D'un même mouvement, et d'une même voix,Tous le disent exempt, de la rigueur des lois ;Et si cette chaleur, n'est bientôt apaisée,Jamais sédition, ne fut plus disposée ;En vain pour y mettre ordre, et pour les contenir, J'ai voulu... LE ROI, à Octave. C'est assez, faites-le moi venir. Octave va quérir le Prince. LÉONOR. Ciel seconde nos voeux. THÉODORE. Voyons, cette aventure. LE ROI, rêvant et se promenant à grands pas. Oui, ma fille, oui Cassandre, oui, parole, oui, nature !Oui peuples, il faut vouloir, ce que vous souhaitez ;Et par vos sentiments, réglez mes volontés. SCÈNE DERNIÈRE. Le Prince, Le Roi, Le Duc, Théodore, Cassandre, Léonor, Gardes. LE PRINCE, au pied du Roi. Le Prince et Octave entrent.Par quel heur. LE ROI, le relevant. Levez-vous ! Une couronne, Prince,Sous qui j'ai quarante ans, régi cette province ;Qui passera sans tâche, en un règne futur,Et dont tous les brillants, ont un éclat si pur ;En qui la voix des grands, et le commun suffrage, M'ont d'un nombre d'aïeux, conservé l'héritage ;Est l'unique moyen, que j'ai pu concevoir,Pour (entre votre faveur) désarmer mon pouvoir,Je ne vous puis sauver, tant qu'elle sera mienne ;Il faut que votre tête, ou tombe, ou la soutienne ; Il vous en faut pourvoir, s'il vous faut pardonner,Et punir votre crime, ou bien le couronner ;L'État vous la souhaite, et le peuple m'enseigne,Voulant que vous viviez, qu'il est las que je règne ;La justice est aux rois, la reine des vertus, Et me vouloir injuste, est ne me vouloir plus ;Régnez après l'État, j'ai droit de vous élire;Et donner en mon fils, un père à mon Empire. Lui baillant le couronne. LE PRINCE. Que faites-vous grand Roi ? LE ROI. M'appeler de ce nom,C'est hors, de mon pouvoir, mettre votre pardon : Je ne veux plus d'un rang, ou je vous suis contraire ;Soyez roi, Ladislas, et moi je serai père ;Roi, je n'ai pu des lois souffrir les ennemis ;Père, je ne pourrai faire périr mon fils ;Une perte est aisée, ou l'amour vous convie ; Je ne perdrai qu'un nom, pour sauver une vie ;Pour contenter Cassandre, et le Duc et l'État,Qui les premiers font grâce, à votre assassinat ;Le Duc, pour récompense, a requis cette grâce,Le peuple mutiné, veut que je vous la fasse ; Cassandre le consent, je ne m'en défends plus ;Ma seule dignité m'enjoignait ce refus ;Sans peine, je descends de ce degré suprême,J'aime mieux conserver un fils, qu'un diadème. LE PRINCE. Si vous ne pouvez être, et mon père, et mon roi, Puis-je être votre fils, et vous donner la loi ?Sans peine, je renonce, à ce degré suprême ;Abandonnez plutôt, un fils qu'un diadème. LE ROI. Je n'y prétends plus rien, ne me le rendez pas,Qui pardonne à son roi, punirait Ladislas ; Et sans cet ornement, ferait tomber sa tête. LE PRINCE. À vos ordres, Seigneur, la voilà toute prête ;Je la conserverai, puisque je vous la dois,Mais elle régnera, pour dispenser vos lois ;Et toujours, quoiqu'elle ose, ou quoi qu'elle projette, Le diadème au front, sera votre sujette. Il dit au Duc, l'embrassant.Par quel heureux destin, Duc, ai-je mérité,Et de votre courage, et de votre bonté ;Le soin si généreux, qu'ils ont eu pour ma vie. LE DUC. Il ont servi l'État, alors qu'il l'ont servie ; Mais, et vers la couronne, et vers vous acquitté,J'implore une faveur de votre majesté. LE PRINCE. Quelle ? LE DUC. Votre congé, Seigneur, et ma retraite,Pour ne vous plus nourrir, cette haine secrète,Qui m'expliquant si mal, vous rend toujours suspects, Mes plus ardents devoirs, et mes plus grands respects ; LE PRINCE. Non, non, vous devez, Duc, vos soins, à ma province ;Roi, je n'hérite point, des différents du prince ;Et j'augurerais mal, de mon gouvernement,S'il m'en fallait d'abord, ôter le fondement ; Qui trouve, ou dignement, reposer sa couronneQui rencontre à son trône, une ferme colonne ;Qui possède un sujet, digne de cet emploi,Peut vanter son bonheur, et peut dire être Roi ;Le ciel nous l'a donné, cet État le possède, Par ses soins, tout nous rit, tout fleurit, tout succède ;Par son art, nos voisins, nos propres ennemisN'aspirent qu'à nous être alliés, ou soumis ;Il fait briller partout notre pouvoir suprême,Par lui, toute l'Europe, ou nous craint, ou nous aime ; Il est de tout l'État, la force, et l'ornement,Et vous me l'ôteriez, par votre éloignement ?L'heur le plus précieux, que régnant je respire,Est que vous demeuriez, l'âme de cet EmpireEt si vous répondiez, à mon élection, Montrant Théodore.Ma soeur sera le noeud de votre affection. LE DUC. J'y prétendrais en vain, après que sa défense,M'a de sa servitude, interdit la licence. THÉODORE. Je vous avais prescrit, de cacher vos liens,Mais les ordres du Roi, sont au dessus des miens ; Et me donnant à vous, font cesser ma défense. LE DUC. Ô de tous mes travaux, trop digne récompense !C'est à ce prix, Seigneur, qu'aspirait mon crédit ! Au prince.Et vous me le rendez, me l'ayant interdit. LE PRINCE. J'ai, pour vous, accepté la vie, et la couronne, Madame, ordonnez-en, je vous les abandonne ;Pour moi, sans vos faveurs, elles n'ont rien de doux,Je les rends, j'y renonce, et n'en veux point sans vous ;De vous seule dépend, et mon sort, et me vie. CASSANDRE. Après, qu'à mon amant, votre main l'a ravit ? LE ROI. Le sceptre que j'y mets à son crime effacé,Dessous un nouveau règne, oublions le passé ;Qu'avec le nom de prince, il perde votre haine,Quand je vous donne un roi, donnez-nous une reine. CASSANDRE. Puis-je sans un trop lâche, et trop sensible effort, Épouser le meurtrier, étant veuve du mort.Puis-je ? LE ROI. Le temps ma fille. CASSANDRE. Ha quel temps le peut faire ? LE PRINCE. Si je n'obtient au moins, permettez que j'espère,Tant de soumissions, lasseront vos mépris,Qu'enfin de mon amour, vos voeux seront le prix. LE ROI. Allons rendre à l'Infant, nos dernières tendresses,Et dans sa sépulture, enfermer nos tristesses ; Il dit au Prince.Vous, faites-moi vivant, louer mon successeur,Et voir de ma couronne, un digne possesseur. ==================================================