******************************************************** DC.Title = DIALOGUE de PLUTUS, LE LUXE et LA VANITÉ. DC.Author = SAINT-ROMAN DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:12. DC.Coverage = Pays féérique DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/SAINT-ROMAN_DIALOGUE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** DIALOGUE Par M. de Saint Roman, de Montpellier. Publié dans le Mercure de France en décembre 1750, pp 20-28. ACTEURS PLUTUS. LE LUXE. LA VANITÉ. DIALOGUE PLUTUS. Je n'y puis plus tenir ; sa fureur est extrême ;Madame, votre fils que vous avez gâté,S'il n'abandonne son système,Détruira ma Divinité,Et s'anéantira lui-même. LA VANITÉ. On blâme avec facilitéDes goûts que l'on n'a plus, c'est le ton d'un vieux père ;Défaites-vous, Plutus, de cette austérité,Ce ton déplaît toujours et ne corrige guère. LE LUXE. Oubliez-vous que par mes goûts divers Je fais honneur au Dieu dont je tiens la naissance ?Vous voyez par mes soins tous vos trésors ouverts,Si l'on m'aime, l'on vous encense,Et vous devez, mon père, à ma magnificenceLes hommages de l'Univers. LA VANITÉ. Il a raison ; le Luxe est l'idole adorée,Il avait dans tous les lieux sa faveur implorée ;Sa gloire est l'ouvrage d'un jour ;Roi de tous les esprits, charme de tous les âges,Amusement des fols et le faible des sages, Il en triomphe tour-à-tour,Et servant la beauté qui vole sur ses traces,Près d'elle quelquefois il ramène les grâces ,Et fournit des traits à l'Amour. PLUTUS. C'est ainsi que la complaisance De vos éloges séducteursEntretient son extravagance ;Vous lui vantez en vain l'encens et les honneursDont il jouit par tout ; funeste récompense,S'il renonce pour eux à la gloire des moeurs ! Dans les jours de son premier âge,Que mon fils était loin de ce libertinage,Dont il est aujourd'hui follement entêté !D'une noble simplicitéIl sentait le prix et l'usage ; La raison réglait ses désirs.Quand on sait les borner, on peut les satisfaire ;Sûr d'être heureux et de me plaire,Au sein de la sagesse il trouvait des plaisirs.Mais grâce à vos belles maximes, La conduite qu'il tient m'inspire un juste effroi ;Les erreurs bien souvent sont la source des crimes ;Le caprice est son guide et la mode est sa loi ;Occupé tour à tour de mille bagatelles,Je le vois courir après elles. L'art de fixer leur prix fait son unique emploi.À peine en jouit-il, que semblable à l'abeille,Il désire un nouveau butin ;La seule nouveauté le flatte et le réveille,Il renverse le soir l'idole du matin, Et j'ai vu rarement le bijou de la veille,Être celui du lendemain.Encor si son goût légitime,Oubliant quelquefois le frivole agrément,Laissait aux Beaux-Arts qu'il anime, Le choix de l'utile ou du grand ;Mais esclaves de sa manie,Forcés de se soumettre à sa bizarrerie ,Les Arts, pour amuser sa puérilité,Bornent l'effort de leur génie À ces fragiles riens dont la futilité -Dégrade les dons d'Uranie. LE LUXE. Cette leçon sent le courroux ;Mon père ; épargnez-moi ce rigoureux langage. LA VANITÉ. Console toi, mon fils, tu serais bien plus sage, Que Plutus en serait jaloux.C'est par toi seul que fleurit un Empire ;Ta présence y fait naître et ranime les Arts.Des bouts de l'Univers ta voix puissante attireCes mortels que la gloire inspire, Et qui flattés de tes regards,Font ces chef-d'oeuvres qu'on admire.Du règne des premiers CésarsRappelle-toi, mon fils, le bonheur et la gloire ;Ces favoris de la victoireRégnaient sur l'Univers, et tu régnais sur eux ; De leurs fêtes et de leurs jeuxLa pompe, la magnificence,Ces hardis monuments élevés en tous lieux,Dont les vastes débris frappent encor nos yeux,Furent l'effet de ta puissance ; Mars en fit des Héros, toi seul en fis des Dieux ! LE LUXE. Madame, si j'ai fait de si rares merveilles,Je les dois plus à vos conseils,Qu'à mes travaux et qu'à mes veilles,Et vous seule avez l'art d'animer mes pareils. PLUTUS. Et voilà le malheur que ma raison déplore ;[Note : Mentor : Nom propre d'un noble habitant d'Ithaque, ami d'Ulysse, dont Minerve prit la figure, d'après Homère, pour accompagner Télémaque à Pylos et à Lacédémone. Par extension, gouverneur, guide, conseil de quelqu'un. [L]]Tant que la Vanité sera votre Mentor ;Les mortels verront-ils écloreLes jours heureux de l'âge d'or ?Du sort de ces Romains quelle fut la constance ; Quand ils souffrirent que chez euxLe Luxe vint souffler l'abus de l'opulence !Bientôt son excès monstrueuxPrécipita leur décadence,Et les rendit plus malheureux. Tel que l'Astre brillant qui sort du sein de l'onde ?Pour enrichir chaque saison,Tel le Luxe embellit le monde,Quand il est dirigé par lu saine raison ;Mais si la mode, la folie, Le caprice et la vanitéGouvernent son Empire au gré de leur manie,Son éclat imposteur devient un incendieDont la funeste activitéS'étend jusqu'aux trésors utiles à la vie, Et ne laisse, en cessant, à l'homme épouvanté,Que le travail et l'industrie,Pour combattre sa pauvreté. LA VANITÉ. Où prenez-vous, Plutus, ces principes sublimes ?Ils ont dans votre bouche un agrément nouveau ; Apprend-on les belles maximesÀ calculer sur un bureau ?Juge des vins et de la bonne chère ;Je croyais que Plutus bornait là ses talents ;Mais j'étais dans l'erreur ; c'est un docteur sévère, Dont les sermons sont excellents ;lPeut-être que les miens sont bien moins éloquents ; Mais n'ont-ils pas le don de plaire ? LE LUXE. Je ne décide point entre vous et mon père ;Faisant le bien, le mal, sans penchant, sans effort, C'est à qui me guide et m'éclaire,Qu'il faut s'en prendre si j'ai tort. PLUTUS. Affreuse vérité, mais qu'il vous faut entendre ! LA VANITÉ. Je la trouve fort à propos.En lui rien n'étant à reprendre , C'est mon éloge en peu de mots.N'est ce pas, dites-moi, par son secours utileQue Paris des Beaux Arts est devenu l'asile,Que le goût dans son sein a repris son éclat ? PLUTUS. Et moi dans l'Univers je ne vois point de Ville Où du bons sens on fasse moins d'état. LA VANITÉ. Du bon sens ! Que ce mot est dur à mon oreille !Vous serez déclaré l'ennemi du bon ton,Si vous ressuscitez cette triste merveille,Le bon sens n'est plus de saison. Ce siècle est le siècle des grâces,De l'enjouement, de la gaîté.On ne veut que bons mots, que riantes surfacesOù brillent l'agrément, l'esprit, la nouveauté ;L'énergie au ton mâle et la froide clarté, Avec l'ordre à l'air concerté,Ont pris leur essor vers les Classes.Du grand même on est rebuté,On fuit en le voyant monté sur ses échasses,Tandis qu'on vole sur les traces De l'aimable légèreté. PLUTUS. Et vous applaudissez à ce siècle volage,Créateur des pantins, auteur du persiflage,Que la frivolité conduit dans ses projets ;[Note : Affiquets : Petit objet d'ajustement. Ce mot dans ce sens s'emploie presque toujours au pluriel. [L]]Follement curieux de clinquant, d'affiquets, De cent diverses porcelaines,[Note : Marmouset : Petite figure grotesque. [L]]De leurs frivoles marmousets,Dont toutes les maisons sont pleines,Et qui rendent Paris, n'en déplaise aux Français,[Note : Colifichet : Anciennement petit morceau de papier, de carte, de parchemin, coupé proprement avec des ciseaux et représentant diverses figures, que l'on colle ensuite sur du bois, du velours, etc. Babiole, bagatelle, petit objet de fantaisie. [L]]Le Temple des colifichets ! LA VANITÉ. Prétendez-vous ainsi réformer la Nature ?Laissez le monde comme il est ;On révolte par la censure,C'est par le plaisir seul qu'on plaît. PLUTUS. La vanité jamais ne cède ; J'attendrais vainement que mon fils plus heureuxReçût de votre main l'efficace remèdeQui fait tout l'objet de mes voeux ;Mais cependant le mal empire ;Les Français tous les jours du luxe plus épris : Se livrent sans réserve à ses goûts inouïs ;Si la raison enfin n'arrête leur délire,qui sera le garant qº leur brillant empire,Le modèle et l'effroi de tous ses ennemis,Ne verra pas ternir la splendeur de ses lis ? LA VANITÉ. Moi. Vous riez. PLUTUS. Sans doute, à ce garant aimableQui voudrait ne pas se fier ?J'en pourrais pourtant essayer,Si vous étiez plus raisonnable. Ne vous méprenez point sur ma sévérité,Elle n'est point le fruit des dégoûts de mon âge ;Dans les limites d'un goût sage,Si le luxe pouvait fixer sa liberté, Vous me verriez moi-même admirer son ouvrage ;Il ornerait les Arts sans flétrir les vertus ;Mais par malheur l'excès fut toujours son partage,Et si j'en applaudis l'usage,Je dois en blâmer les abus. De la dépense qui l'accable,[Note : Superfluité : Ce qui est superflu. [L]]Supprimez le faux goût, la superfluité,Retranchez de son être, et ce trait admirableDonnant à ses attraits de la solidité,Son r-gne sera plus durable, Et vos plaisirs en sûreté.Pourquoi ces chars tout brillants de dorure,Où tant d'arts à la fois se disputent le prix,Pour rendre hommage à la figureDe la plupart de mes commis ? Pourquoi tous ces festins où l'art de la cuisine,Fécond en mets délicieux,Se fait un jeu d'y présenter aux yeuxMille énigmes divers qu'avec peine on devine,Mais dont l'élégance assassine, Immolant à l'opinionLes goûts de la Nature et ceux de la raison,Altère les présents que leur main nous destine,Et change sans effroi l'aliment en poison ?Pourquoi ces parures de Fées, Ce spectacle changeant et d'atours et de goûts,De l'enfant de Paphos ingénieux trophées,La ruine ou la honte, hélas ! de tant d'époux !Pourquoi ces valets inutiles,De leur maître, qu'ils n'aiment pas, Espions dangereux ou complices serviles,Souvent traîtres, toujours ingrats ?Pourquoi tant de secrets asiles,Tant de Temples honteux où le vice adoréSous les traits imposteurs des beautés les plus viles, Se nourrit de l'encens d'un mortel enivré ?Pourquoi... mais je le vois, vous souffrez à m'entendre ;Malgré vous dans vos yeux éclate le dépit,J'en gémis, je connais ce que l'on peut attendreDe la vanité qui rougit. Raison, viens éclairer et le fils et la mère,De ton flambeau fais briller à leurs yeuxLa plus éclatante lumière ;Que tes sages conseils les rendent vertueux,JDu moins de ces mortels qu'entraîne leur faiblesse, Que ta voix dissipe l'erreur !Les ramener à la sagesse,C'est les rapprocher du bonheur. ==================================================