******************************************************** DC.Title = LA BELLE ÉGYPTIENNE, COMÉDIE DC.Author = SALLEBRAY, Monsieur de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragi-comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 15/05/2020 à 13:54:19. DC.Coverage = Espagne DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/SALLEBRAY_BELLEEGYPTIENNE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k72493t?rk=21459;2 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA BELLE ÉGYPTIENNE TRAGI-COMÉDIE M. DC. XLII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. PAR MONSIEUR DE SALLEBRAY. Achevé d'imprimer pour la première fois le vingt huitième Janvier 1643. Représenté pour la première fois en 1641 à l'Hôtel de Bourgogne. PERSONNAGES. DON JEAN DE CARCAME, dit ANDRES, amoureux de Précieuse. PRÉCIEUSE, belle Égyptienne. LA VIEILLE, tante prétendue de Précieuse. LE POÈTE, amoureus de Précieuse. LE CAPITAINE DES ÉGYPTIENS. LA TROUPE DES ÉGYPTIENS. FERDINAND, sénéchal de Tolède. ISABELLE, femme du Sénéchal. HIPOLITE, amoureux d'Andrès. LE PRÉVÔT. LES ARCHERS. UN VALET. La Scène est à Tolède, ville d'Espagne. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Précieuse, Le Vieille sortant de leur tente. PRÉCIEUSE. Enfin, personne ici ne saurait nous entendre,Quel est donc le bonheur que vous voulez m'apprendre ?Je meurs de le savoir, contentez mon désir,Qui le déclare tôt fait doublement plaisir. LA VIEILLE. Ha l'heureux accident ! L'admirable aventure, Si j'en dois croire au moins certaine conjecture. PRÉCIEUSE. Mais ces ravissements sont pour moi superflus,Et mon impatience en augmente encore plus. LA VIEILLE. Ô Ciel ! Quelle fortune à la nôtre est pareille ?Et que ne promet point cette rare merveille ? PRÉCIEUSE. Tout cela jusqu'ici ne m'éclaircit de rien,Et je trouve une peine où j'attendais un bien. LA VIEILLE. Ne hâtons point celui que le sort nous envoie,Ménageons ses faveurs ainsi que notre joie. PRÉCIEUSE. Hé, ne me tenez plus davantage en langueur, Ou comblez d'un refus votre injuste rigueur.Vous retranchez ce bien que vous croyez étendre,Et qui veut l'augmenter, il nous en doit surprendre. LA VIEILLE. Encore, sur ce sujet quel est ton sentiment ?Songe un peu. PRÉCIEUSE. N'est-ce point quelque nouvel amant ? LA VIEILLE. [Note : Penser : nom masculin au XVIIème pour « pensée ».]Déjà dans ce penser un démon te l'inspire,Mais il faut qu'on m'embrasse avant que de le dire. PRÉCIEUSE. S'il ne tient qu'à cela, j'aime mieux vous baiser,Je ne sais rien après qu'on me dût refuser. LA VIEILLE. Flatteuse, c'en est fait, je cède à tes caresses, Apprends donc en trois mots l'effet de tes adresses.Le dernier mois passé, tu sais bien que nos gensVoulurent dans Séville arrêter quelque temps,Que la permission leur en fut accordée. PRÉCIEUSE. De l'honneur qu'on m'y fit je garde encore l'idée. LA VIEILLE. Là, le jour du ballet (jour des plus fortunés)[Note : More : Maure, Homme noir, ou femme noire, nés dans une région d'Afrique nommée Mauritanie. [F]]Où tu menais danser des Mores enchaînés... PRÉCIEUSE. En effet, ce jour-là j'eus quelques avantages. LA VIEILLE. Tes larcins glorieux en sont des témoignages.Ne te souvient-il pas de ce jeune Seigneur ? PRÉCIEUSE. Je vous entends venir, le fils du GouverneurN'est-ce pas ? LA VIEILLE. Justement. PRÉCIEUSE. Ha Dieu qu'il est aimable !Qu'il est respectueux, galant, civil, affable ! LA VIEILLE. Toutes ces qualités ne font ni bien, ni mal,Dis qu'il est généreux, dis qu'il est libéral, C'est la vertu des Rois, et qui fait l'honnête homme,De toute autre vertu l'effet est moins qu'un somme,À peine est-il formé qu'il meurt le plus souvent,Ce n'est qu'ombre et fumée, un appas décevant :La libéralité produit tout au contraire Un effet à la fois solide et nécessaire,[Note : Ducat : Monnaie d'or et d'argent qui est battue dans les terres d'un Duc, et qui vaut environ un écu d'argent, et deux étant d'or. [F]]Tel que sont ces ducats dont il me fit présent,Joint, que l'aspect aussi n'en est pas déplaisant. PRÉCIEUSE. Par son mérite seul il m'est considérable. LA VIEILLE. Et moi par ses dons seuls je le trouve adorable. PRÉCIEUSE. Enfin quoi qu'il en soit, qu'a-t-il fait ce Seigneur ? LA VIEILLE. Sache, le croirais-tu ? Qu'il nous a fait l'honneur...Remettons à tantôt cette bonne nouvelle. PRÉCIEUSE. Ha ma tante ! Vraiment c'est être trop cruelleDe faire ainsi languir ma curiosité, De grâce poursuivez ce discours arrêté,Il nous a... LA VIEILLE. Ce matin, m'ayant vue à Tolède. PRÉCIEUSE. Que dit-elle, bon Dieu ? Quel transport me possède ? LA VIEILLE. Il nous a fait l'honneur de s'enquérir de toi. PRÉCIEUSE. Il est en cette ville, et se souvient de moi ? Depuis quand, je vous prie, avez-vous fait ce songe ? LA VIEILLE. Dans quelque étonnement que ce discours te plonge,Crois qu'il est véritable, et de plus... PRÉCIEUSE. Achevez,Et ne me celez rien de ce que vous savez. LA VIEILLE. Que c'est à ton sujet qu'il a fait ce voyage, Ainsi que dans les mains, je lis dans le visage. PRÉCIEUSE. Ô Ciel ! Est-il possible ? LA VIEILLE. Oui, puisqu'il est certain. PRÉCIEUSE. Il est vrai que souvent il me baisait la main,Et mêmes au rapport que m'en fait ma mémoire,Les discours qu'il me tint furent tous à ma gloire, M'accusant d'un grand vol qu'avait fait ma beauté. LA VIEILLE. De son coeur, de son âme. PRÉCIEUSE. Et de sa liberté :Mais quoi qu'il me jurât dans sa cajolerie,Je crus que ce n'était que par galanterie. LA VIEILLE. Par là, mon doute encore en est mieux éclairci. PRÉCIEUSE. Taisons-nous, j'aperçois quelqu'un qui vient ici. LA VIEILLE. C'est notre poète, ô Dieu, l'étrange personnage ! SCÈNE II. Le Ppoète, La Vieille, Précieuse. LE POÈTE. C'est elle, je la vois. PRÉCIEUSE. Le moyen qu'il fut sage,Il est jeune, il est poète, et de plus amoureux,De ces trois qualités naît un mal dangereux. LA VIEILLE. Oui, c'est la pauvreté, fuyons de sa présence. PRÉCIEUSE. Ayez en ma faveur un peu de complaisance. LE POÈTE. Doux charme de mon coeur, miracle de nos jours,Jeune source d'appas, de grâces, et d'amours,Votre divine main m'enchaîna dans Séville, La même a resserré mes fers en cette ville,Et ce rencontre heureux fait voir que le destinÀ vos yeux mes vainqueurs veut rendre leur butin. PRÉCIEUSE. Franchement, voulez-vous m'obliger d'une grâce ? LE POÈTE. Je vous veux obéir, que faut-il que je fasse ? PRÉCIEUSE. Trêve d'amour ici, ne parlons que de vers. LE POÈTE. À quoi m'obligez-vous, honneur de l'Univers ?Dois-je pas de nouveau vous rendre mes hommages ?Dois-je pas de mon feu retracer les images ?Et bravant les efforts d'un respect rigoureux, [Note : Derechef : Une seconde fois, encore, de nouveau. [F]]Dois-je pas derechef m'avouer amoureux ?Ce discours vous déplaît, et je suis téméraire,Mais qui se sent brûler ne saurait pas se taire,[Note : Trait : Se dit figurément, et poétiquemet des regards, et des charment qui touchent les coeurs, et qui insipirent l'amour. [F]]Et les traits de vos yeux, malgré votre rigueur,M'ouvrent tout à la fois et la bouche et le coeur. PRÉCIEUSE. Vous savez à quel point j'aime la poésie,Donnez preuve par là de votre courtoisie,Quelque aimable travail de ce noble métierQui charge son auteur de gloire et de laurier,Nous peut mieux divertir, et causer moins de blâme, Que tous ces vains discours et de traits et de flamme. LE POÈTE. Parlons-en, je le veux, m'avez vous fait l'honneurDe lire ce Sonnet où j'ai peint mon bonheur ? LA VIEILLE, à part avec Précieuse. Puisque cet entretien te plaît et te contente,Je m'en vais cependant faire un tour dans la tente, Mais si de son amour il t'ose encore parler,Tranche-lui moi tout court, ou me viens appeler. PRÉCIEUSE. Allez, cela vaut fait. SCÈNE III. Précieuse, Le Poète. PRÉCIEUSE. Oui, j'ai lu cet ouvrage,C'est sur notre rencontre. LE POÈTE. Ajoutez mon servage. PRÉCIEUSE. Chaque rime en est riche, et dans les plus nouveaux, Les termes, à mon gré, ne semblent point si beaux,Le tour du vers est noble, agréable et facile,Enfin vous triomphez dans la douceur du style. LE POÈTE. Enfin vous vous moquez de ce que j'ai produit,Mais dans le triste état où vous m'avez réduit, [Note : Faix : Charge, corps pesant qui porte sur quelque chose. (...) Se dit figurémment en choses spirituelles. [F]]Sous le faix de mes maux, mon âme gémissanteAbat ainsi ma Muse, et la rend languissante,Et c'est bien rarement que l'on voit des enfants,Quand leur père se meurt, pompeux et triomphants.Mais si de quelque espoir vous consolez ma peine, Si vos rudes froideurs ne glacent plus ma veine,Vous enverrez couler mille torrents de vers,Qui de votre beau nom rempliront l'Univers,Et qui prenant dans l'air une route connue,Vous remettront au Ciel, d'où vous êtes venue ; Beaux yeux qui m'inspirez ce glorieux dessein,Lancez pour son effet votre feu dans mon sein,Soyez mon Apollon... PRÉCIEUSE. C'est assez me confondre,Donnez-moi pour le moins le temps de vous répondre,Ou plutôt, excusez ma curiosité, Vous même répondez, mais avec vérité.Ce que je veux apprendre au moins n'est pas sans cause,Et le savoir au vrai m'importe en quelque chose ;Dites-moi donc sans feinte, êtes-vous poète ? LE POÈTE. Non :Il est trop peu de gens qui méritent ce nom, Avec ardeur pourtant j'aime la poésie,Et j'en puis sans secours, passer ma fantaisie.Si j'ai besoin d'une ode, ou de quelque sonnet,[Note : Cabinet : Le lieu le plus retiré dans le plus bel appartement des Palais, des grandes maisons. Signifie aussi une pièce d'appartement, où l'on étudie, où l'on se séquestre du reste du monde, et où l'on serre ce qu'on a de plus précieux. [F]]Une heure en fait l'office au lit, au cabinet,Mais pour faire des vers je ne suis pas poète, Dieu me garde de l'être, ou que je le souhaite. PRÉCIEUSE. Peu de gens, dites-vous, en méritent le nom,Et vous en craignez tout, même jusqu'au renom :Cette condition n'est donc pas honorable. LE POÈTE. À ne faire autre chose elle est peu favorable. Ce n'est pas que l'effet n'en soit bien glorieux. PRÉCIEUSE. Pourquoi le nom de poète est-il donc odieux ? LE POÈTE. C'est sans doute un venin de ces âmes vulgairesQui n'ont aucune part à nos sacrés mystères,D'un tas de jeunes gens qui n'ont pas mérité De sentir ce rayon de la divinité,De ces petits esprits qui se donnent la gênePour trouver dans leur tête un mot qui rime à chaîne,Qui n'ont su pénétrer dans ces saintes forêts,Où le Dieu du savoir découvre ses secrets, [Note : Doctes soeurs : les muses.]Et que les doctes soeurs ont jugé trop indignesD'honorer comme nous de leurs faveurs insignes,[Note : Babillard : Qui parle continuellement; et qui ne dit que des choses de néant. Si dit aussi d'un indiscret qui ne saurait tenir sa langue. [F]]Ignorants, babillards, censeurs, ambitieux,Enragés de nous voir si bien avec les Dieux :Oui, ce sont ces messieurs, qui d'une humeur profane Approuvent dans leur coeur ce que leur voix condamne :Car enfin ce bel Art, l'amour des beaux esprits,Dont les honnêtes gens se sentent tous épris,Cette chaste beauté qu'on nomme poésie,Ne vient point, comme on croit, de notre frénésie, Elle est fille du Ciel, son aimable entretienFait révérer partout quiconque en use bien.Les rois avec plaisir goûtent sa compagnie,Sa douceur est charmante, et sa grâce infinie, C'est le Trône animé des plus nobles vertus, Le beau champ où l'on voit les vices abattus,Le guide qui conduit les Héros à la gloire,La triomphante voix qui chante leur victoire,Le marbre où sont gravés leurs noms dignes des Cieux,Le temple de l'honneur, le langage des Dieux, La Reine des destins, la source de la vie,Le trésor des beaux faix, et le fléau de l'envie :Voilà de ce Soleil quelques simples crayons,Vous tracerai-je encore quelqu'un de ses rayons ?C'est une pièce rare, où cent beautés paressent, Qu'il ne faut exposer qu'à ceux qui s'y connaissent,Non pas à la façon de quelques importuns,Qui, les offrant à tous, rendent ces bien communs. PRÉCIEUSE. Oui, mais cette beauté si noble et si chérieEst pauvre à ce qu'on dit. LE POÈTE. C'est une raillerie, Au contraire elle est riche, au moins voit-on contentsTous ceux qui dans son sein prennent leurs passe-temps :Rare condition, belle Philosophie,Dont l'usage est puissant, puisqu'il nous déifie,Mais rendez-moi le bien que je vous ai prêté, En excusant aussi ma curiosité,De la vôtre après tout, peut savoir la cause ? PRÉCIEUSE. Oui da, c'est la raison qu'ici je vous l'expose,C'est que vous croyant poète à votre procédé,Et par cette raison pas trop accommodé, Voulant lire vos vers je crus être charméeDe voir une pistole avec eux enfermée,Je la tâtai cent fois, et j'en doutais encore,Mais l'ayant fait sonner, je vis qu'elle était d'or,Lors, quoi que toute seule à ce nouveau spectacle, Un Poète, m'écriai-je, a de l'argent, Miracle ! LE POÈTE. Que je le sois ou non. PRÉCIEUSE. Souffrez ma liberté,Puisque vous n'avez rien de cette qualité. LE POÈTE. Prenez ces autres vers qui partent de ma veineEt de ce que je suis ne soyez plus en peine, Suffit que si j'étais d'un monde possesseur,Je vous l'offrirais tout, aussi bien que mon coeur. PRÉCIEUSE. Ô Dieu ! Ce papier brûle. Elle le tâte.Il est tout plein de flammes,Et doit vivre longtemps, car il a plusieurs âmes,La pistole en est une, et puis celle des vers, Où l'on en voit toujours plus que dans l'Univers.Or sus, mon Cavalier, de ces biens qui sont vôtres,Reprenez l'âme d'or, je retiendrai les autres,Voilà celle d'hier que je vous rends aussi,C'est elle-même au moins, et puisqu'il est ainsi, Contractons entre nous une amitié qui dure,Mais changez cette infâme et lâche procédure,Venez me visiter quelque fois, j'y consens,Comme faiseur de vers, et non pas de présents. LE POÈTE. Hé bien vous le voulez ? Il faut donc les reprendre, Trop heureux de cette offre, où je n'osais prétendre :Mais ayant eu l'honneur de passer par vos mains,Il ne doit plus servir au trafic des humainsCe trésor que j'égale à ceux des Républiques,Et je vais l'enchâsser ainsi que des reliques. SCENE IV. La Vieille, Précieuse. LA VIEILLE. Précieuse. PRÉCIEUSE. C'est fait. LA VIEILLE. Rentre sans contester,J'entends venir quelqu'un qui pourrait t'arrêter,Nos gens vont à la ville, il faut que tu te pares. PRÉCIEUSE. Nous bravons sans cela les beautés les plus rares. En se retirant, elle laisse choir sans dessein le papier que le poète lui a donné. SCÈNE V. DON JEAN DE CARCAME, seul. Hé bien, es-tu content puissant Maître des Dieux, Connaissant le sujet qui m'amène en ces lieux ?Ai-je enfin satisfait à ta juste colère ?Et puis-je désormais espérer de te plaire ?Je le confesse amour, j'ai bravé ton pouvoir,Tes effets jusqu'ici n'avaient pu m'émouvoir, J'ai devant tes sujets ta gloire méprisée,J'ai fait de ton carquois un objet de risée,J'ai renversé ton trône, abattu tes autels,Je t'ai même tiré du rang des immortels,Et ne t'avais placé que dans la fantaisie De ceux qui sont atteints d'un peu de frénésie :Mais puisque je pêchais par une aveugle erreur,Tu devais modérer l'excès de ta fureur,Et pour rendre pareil le châtiment au crime.N'ajouter point la honte à ce joug qui m'opprime. S'il me fallait servir ces illustres beautés,Ou la naissance est jointe aux rares qualités,Bien loin d'en murmurer je bénirais mes chaînes,Et ferais mon bonheur des tourments et des gênes,Car enfin il est vrai qu'il n'est rien de plus doux Que de se voir l'objet de leurs aimables coups,Que notre âme est heureuse alors qu'elle en soupire !Et que cet esclavage est plus beau qu'un empire !Mais qu'une Égyptienne ait rangé sous sa loiCe coeur ambitieux, ce coeur digne d'un Roi, Ô mortelle infamie ! Ô honte irréparable !Par là tu prouves mieux ton pouvoir redoutableQue si tu dépliais tes plus puissants ressors,Et tu parais plus fort par ces fables efforts,Il est, il est d'un Dieu, de prendre d'une offense Par un moyen si bas, une haute vengeance.Si bas, ha crime encore plus noir que le premier !Peux-tu m'avoir ouï, Ciel, sans me foudroyer ?Profane qu'ai-je dit ? Pardonne-moi bel Ange,[Note : Fange : Boue de campagne qu'on trouve dans les terres grasses, et lieux humides, et marécageux : bourbe. [F]]Tu ne brilles pas moins pour être dans la fange, La terre a ses trésors, la nuit a son Soleil,L'éclat du diamant est par tout sans pareil,La rose est toujours rose au milieu des épines,Enfin, tout sert de lustre à tes beautés divines. Il tire une bourse de sa poche.Précieux instrument des nobles passions, Brillant fourrier d'amour de toutes nations,Favorable enchanteur dont la force des charmesPeut des plus chastes mains faire tomber des armes,Âme de l'Univers qui fais tout, qui peux tout,Par qui de toute chose on peut venir à bout, Métal incorruptible, et qui peux tout corrompre,Puisqu'il n'est rien si fort que tu ne puisse rompre,Qu'un Dieu même implora ton pouvoir souverain,Et n'entra que par toi dedans la tour d'airain,Tu peux bien faire moins, seconde ma licence, Et fais-moi triompher d'une jeune innocence.La voici, Dieux ! Je tremble à son divin aspect,Et je sens ce désir qui se change en respect. SCÈNE VI. La Vieille, Précieuse, Don Jean de Carcame. LA VIEILLE, voyant Précieuse qui cherche quelque chose. Qu'est-ce donc ? PRÉCIEUSE. Ce n'est rien. DON JEAN, seul. Amour soutien ta cause. LA VIEILLE. Rien ! PRÉCIEUSE. Non rien. LA VIEILLE. Il faut bien que ce soit quelque chose. PRÉCIEUSE. Dieu, qu'un petit sujet vous donne un grand souci !Hé bien, c'est une papier qui vient de choir ici.Êtes-vous satisfaite ? DON JEAN, à part. Ha que cet astre brille ! PRÉCIEUSE, ayant aperçu son papier. Le voilà. LA VIEILLE. C'est lui-même. PRÉCIEUSE. Oui. LA VIEILLE. Viens, suis-moi ma fille,Il le faut aborder. PRÉCIEUSE. Qui ? LA VIEILLE. Ce Seigneur. PRÉCIEUSE. Ô Dieux ! Je ne le voyais pas, mais feignons pour le mieux.La Croix mon Cavalier. DON JEAN. Ô favorable augure ! PRÉCIEUSE. Nous vous dirons après votre bonne aventure. DON JEAN. Viens-tu de quelque espoir consoler ma langueur,Et modérer le feu que tu mets dans mon coeur ? Réponds en ma faveur une bonne parole. PRÉCIEUSE. Voyons dans votre main, qui ce discours cajole. LA VIEILLE. Mon bon Seigneur surtout, mettez la Croix dedans,Celles d'or marquent mieux les heureux accidents. PRÉCIEUSE. Vous êtes né sous les planètes D'Amour et de Valeur, de Venus et de Mars,Votre honneur court quelques hasardsDans l'entreprise que vous faites.Prenez garde à votre finance,Mercure à des larrons veut joindre votre sort. Croyant qu'on l'interdit à tortD'éclairer à votre naissance.Dieux ! Que vois-je par cette ligne ?Ha, que vous en tenez pour un aimable objet !Poursuivez ce rare projet, La fille n'en est pas indigne.Vous avez dans la fantaisieUn dessein suborneur qui dût être chassé,Hélas ! Vous êtes menacéDe ce démon de jalousie. La ligne de vie est fort belle,Une seule traverse en coupe la longueur :Mais vous braverez sa rigueur,Pourvu que vous soyez fidèle. DON JEAN. Ha ! Ne me flatte plus de cette erreur commune, De toi seule dépend l'une et l'autre fortune,Et mon sort si tu veux, soit doux, soit inhumain,Se lira dans tes yeux beaucoup mieux qu'en ma main.Ne reconnais-tu pas ce Don Jean de Carcame ?C'en est le corps au moins qui vient joindre son âme, Son âme que tu pris... PRÉCIEUSE. En quel temps ? En quel lieu ? DON JEAN. Où ta rare beauté mit en sa place un Dieu,À Séville en un mot, ha ! C'est trop méconnaîtreL'Amour que dans ton sein tes beaux yeux firent naître,Là tu ravis mon coeur que je t'allais offrir, Et commenças dès lors à me faire souffrir,Garde le bien ce coeur, ce larcin m'est aimable,Je gagne en cette perte un bien inestimable,Et si tous mes trésors te pouvaient contenter,En voici quelques-uns que je viens t'apporter. Il lui offre la bourse. LA VIEILLE. Bon cela. DON JEAN. Reçois-les avec l'assuranceDe posséder le reste. LA VIEILLE. Agréable espérance. DON JEAN. Si tu veux approuver ma constante amitié. LA VIEILLE. Ma fille qu'en dis-tu ? pour moi j'en ai pitié. DON JEAN. Oui, si quelque faveur répond à mon envie, Sans mener plus longtemps cette honteuse vie,Je vous mets toutes deux au faîte du bonheur,Et je vous fais passer de l'opprobre à l'honneur. PRÉCIEUSE. Vous n'êtes pas le seul qui l'âme abuséeA jugé mon honneur une conquête aisée, Plusieurs l'ont attaqué, tous ont été confusDe souffrir comme vous la honte du refus.Consolez-vous Monsieur, vous avez de semblables,C'est le soulagement de tous les misérables.Le métier que je fais, et mes gaies humeurs, Qui sont de faux miroirs pour exposer mes moeurs,Inspirent, je le crois, cette injuste licence,Mais quand de ma vertu j'ai donné connaissance,On se repent aussi des discours qu'on m'a faits,Voyant que l'apparence est contraire aux effets. Je vais, je viens, je cours, je ris et je folâtre,Toujours avec l'honneur dont je suis idolâtre,Et bien loin d'imiter vos dames des Cités,Qui couvrent de froideur leurs impudicités,J'ai les yeux tout de flamme, et le coeur tout de glace, Et j'ose les braver dans mon honnête audace,Je ne perdis jamais à ce pudique jeu,Et c'est ainsi que l'or s'affine dans le feu.Si j'ai parlé de Croix, n'ayez pas la penséeQu'un si lâche trafic me rende intéressée, Non, non, l'argent n'est point l'objet de mes souhaits,Et chacun sait fort bien que je n'en pris jamais.Gardez donc vos trésors, et croyez je vous prie,Que ce que j'en ai dit c'est par galanterie,N'espérez pas par là ces innocents plaisirs, Qui sont dûs seulement aux innocents désirs,Si je vends mon honneur, ce seul trésor que j'aime,Ce ne sera jamais qu'au prix de l'honneur même. LA VIEILLE. Voilà bien raisonner. DON JEAN. Ha ! Bannis ce penser,Le garder un moment, c'est beaucoup m'offenser : Mets là ta belle main, et sois toute assuréeD'une foi, d'une amour d'éternelle durée. LA VIEILLE. Ma foi c'est tout de bon, il ne se moque point. PRÉCIEUSE. Plusieurs difficultés s'opposent à ce point,Vous ne vaincrez jamais de si puissants obstacles. DON JEAN. Amour dans le besoin sait faire des miracles. LA VIEILLE. Oui, oui, mon bon Seigneur. PRÉCIEUSE. Sachez que parmi nousLa fille et son amant qui s'offre pour épouxÉprouvent leurs humeurs le cours de deux années,Avant que de pouvoir joindre leurs destinées. A ces conditions engager votre foi,Subir à mon sujet la rigueur de la loi,Abaisser votre rang à cette infâme vie,Avouez que déjà vous en perdez l'envie. DON JEAN. Douter de ma constance, ha ! mon coeur connaît mieux Le pouvoir de ma flamme, et celui de tes yeux.Propose si tu veux à mon âme assuréeLes périls encourus pour la Toison dorée,Rien ne peut étonner mon amour courageux,Tout m'est doux, tout m'est beau, tout m'est avantageux : Bref le Ciel m'est témoin qu'avec ma PrécieuseToute condition me sera glorieuse,Et je triompherai de toutes ses rigueurs,Pourvu qu'un chaste hymen unisse un jour nos coeurs. LA VIEILLE. Ô merveilleux dessein ! PRÉCIEUSE. Après cette assurance, Si ma tante y consent... DON JEAN. Vivrais-je en espérance ? LA VIEILLE. Moi je consens à tout. PRÉCIEUSE. Hé bien, oui, je me rends,Mais de quelle façon abuser vos parents ?Nous serions tous perdus s'ils en avaient un doute. DON JEAN. Je conclus avec eux, ayant su votre route, De voyager en France, et m'en suis séparéSous ce prétexte faux qui me tient assuré,La guerre en fut un autre à m'exempter de suite. PRÉCIEUSE. Quoi, vous êtes tout seul ? DON JEAN. Oui. PRÉCIEUSE. La rare conduite ! DON JEAN. Il la faut achever, ne perdons point de temps, Pour ma réception préparez tous vos gens,Tandis que je ferai transporter dans vos tentes. PRÉCIEUSE. Quoi ? DON JEAN. Tout mon équipage, en serez-vous contente ? LA VIEILLE. Faites. DON JEAN, lui présentant la bourse. En m'attendant garde toujours ceci. PRÉCIEUSE. Enfin vous offensez de me traiter ainsi. LA VIEILLE. Donnez j'en aurai soin. PRÉCIEUSE. Non pas. LA VIEILLE. Elle se moque. PRÉCIEUSE. Je vous l'ai déjà dit, ce procédé me choque,De grâce... DON JEAN. C'est assez, à Dieu, je t'obéis. SCÈNE VII. La Vieille, Précieuse. LA VIEILLE. Mes leçons et mes soins sont donc ainsi trahis. PRÉCIEUSE. Voyez vous ? Je hais trop cette humeur mercenaire. LA VIEILLE. Folle tu ne sais pas ce qui t'est nécessaire,Refuser de l'argent, ô Dieux ! Te moques-tu ?Connais-tu son pouvoir ? En sais-tu la vertu ?Sommes-nous en danger ? L'argent nous en délivre,Dans les bras de la mort souvent l'argent fait vivre, Nous principalement, dont le sort quelque foisEst prêt de succomber sous la rigueur des lois :Ces rayons exposés éblouissent la vue,Dissipent du malheur l'épouvantable nue,Éclairent à signer notre élargissement, Et nous font retirer des prisons promptement,Apprends qu'une clef d'or ouvre toutes serrures. PRÉCIEUSE. Sachez que la Vertu brave ces procédures,Au reste, allons hâter nos desseins résolus. LA VIEILLE. Passe pour cette fois, mais n'y retourne plus. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. DON JEAN, seul. À peine mon vaisseau s'éloigne du rivage,Qu'un Neptune jaloux veut exciter l'orage,À peine dans la lice ai-je fait quelques pas,Qu'un fantôme importun me dit, ne poursuis pas,[Note : Bonace : Calme de la mer, qui se dit quand le vent est abattu, ou a cessé. La bonace trompe souvent le Pilote. [F]]Et lâche que je suis presque dans la bonace, Je cède au moindre effort du vent qui me menace,Et mon coeur infidèle après un juste choix,Veut ce semble obéir à cette injuste voix.Quel démon d'intérêt en mes routes divinesSème confusément la fange et les épines, Et pour me détourner d'un but si souhaité,Oppose l'infamie et la difficulté ?Forçons, forçons, mon coeur, ce rempart inutile,Rien n'est aux vrais amants honteux ni difficile.Insolents ennemis de mon affection, Rang, honneur, qualité, naissance, ambition,Adieu, retirez-vous, sortez de ma pensée,De vos lâches conseils mon âme est offensée,En vain vous combattez ce vainqueur que je sers,Qui me dompte à ma gloire, et m'honore en ses fers. Quel noble sentiment, partisan de ma flamme,Me fait voir glorieux ce que je crûs infâme ?Et quels nouveaux rayons ont sitôt dissipéLes vapeurs dont mon coeur était enveloppé.Je sens qu'il est plus calme, et mon âme éclairée Dans ce beau champ d'Amour marche plus assurée.Le Ciel rit à mes voeux, l'air me semble plus doux. Voyant Précieuse.C'est l'effet du Soleil qui s'approche de nous. SCENE II. Le Capitaine et la Troupe d'Égyptiens, Don Jean, Le Vieille, Précieuse. LE CAPITAINE. Il faut entretenir le feu qui le consomme. LA VIEILLE. Le voilà. LE CAPITAINE. C'est assez. PRÉCIEUSE. Hé bien mon Gentilhomme, Avez-vous médité dessus votre dessein ?Et sentez-vous encore même ardeur dans le sein ?Êtes-vous résolu d'entre en notre bande ? DON JEAN. Mais veut-on m'honorer d'une faveur si grande ? PRÉCIEUSE. Vous êtes-vous tâté de toutes les façons ? Car enfin... DON JEAN. Hé ! mon âme à quoi tant de soupçons ?J'ai remis en tes mains et mon sort et ma vie,Tu peux en disposer au gré de ton envie.Le dessein que j'ai fait de vivre sous tes lois,Doit m'élever plus haut que le trône des Rois, Juge si ma fortune en si beau lieu placée,Me peut faire dédire et changer de pensée. PRÉCIEUSE. Venez donc suivez-moi, vous serez enrôlé.Voici le Cavalier dont on vous a parlé. LE CAPITAINE. Bon, la façon m'en plaît, sa taille, et tous ses gestes, Sont d'un adroit voleur les preuves manifestes,J'attends de lui beaucoup en ce qu'il entreprend,Et sa mine promet quelque chose de grand.Tu sois le bienvenu, cher soldat de Mercure,[Note : Auspice : C'était chez les anciens une espèce d'augure, de vaine superstition, lorsqu'ils considéraient le vol et le chant des oiseaux, pour savoir si quelque entreprise que l'on commençait devait être heureuse ou malheureuse. [F]]Apprends de ce nom seul quelle est ton aventure. Le Ciel de ses faveurs fut ainsi libéral,Donnant à notre armée un Dieu pour général,Rien n'échappe à nos mains avec ses artifices,Et nous hasardons tout sous ses divins auspices,Cet avertissement doit déjà t'animer. DON JEAN, bas. Le glorieux motif ! LE CAPITAINE. Pour te faire estimerDans la profession que tu veux entreprendre,Observe bien nos lois, que je te vais apprendre.Éloigne en premier lieu ce fantôme d'honneur,Si tu veux réussir avec quelque bonheur, C'est un fâcheux démon jaloux de notre adresse,Qui raffine surtout, et de tout s'intéresse,Dont les tristes conseils, et les sévères lois,Chargent de fers dorés les sujets et les Rois,Et nous portant au bien le moins digne d'envie, Retranchent les trois parts des plaisirs de la vie,Loin donc cet ennemi de nos contentements,Loin la honte du blâme, et la peur des tourments,Après ces bons avis tu peux prendre les armes. DON JEAN. L'honorable milice ! Ô Dieux qu'elle a de charmes ! LE CAPITAINE. Nous cherchons les combats dont la bourse est le prix,Où la gloire consiste à n'être point surpris,Où la subtilité l'emporte sur la force.Là, l'espoir du butin nous est bien quelque amorce,Le gain donne un plaisir, mais il s'en faut beaucoup Qu'il égale celui d'avoir fait un beau coup,Éprouve cette joie, et quoi que tu hasardes,Songe qu'il faut duper qui se tient sur ses gardes,Endormir de discours ceux que nous réveillons,Et paraître en repos lorsque nous travaillons, Comme il faut plus d'esprit, notre âme est plus ravieQuand un heureux effet succède à son envie.Être prompt, avisé, hardi, subtil, adroit,Tirer sans qu'on le sente une bague du doigt,Dénouer un collier, fouiller dans une poche, Prendre quoi que ce soit à qui que l'on approche,Affiner le plus fin, et le moins empêché,Escamoter partout, dans le Temple, au marché,Relever ce qui tombe, et serrer ce qui traîne,[Note : Duire : Dresser, accoutumer à quelque chose. Signifie aussi, être propre à quelqu'un, l'accommoder, lui convenir. [F]]Tout nous duit, tout nous plaît, tout est bon, quoi qu'on prenne Des gants, une chemise, un mouchoir, un chapeau,Une poule, un coq d'Inde, un mouton, une peau,Tandis qu'un frère chasse, entretenir le maître,Lui déguiser son bien jusqu'à le méconnaître,Faire la guerre à l'oeil, que rien ne soit perdu, Bref, le livrer jamais ce que l'on a vendu,C'est à quoi notre esprit applique son étude,Secondé de nos mains et de leur promptitude. DON JEAN. Le royal passe-temps ! Quel divertissement !Et que jusques ici le métier est charmant ! LE CAPITAINE. Ne te rebute pas de nos plaisants mystèresPour l'ordre du carcan, le fouet ou les galères,Pour quelque trait de corde, ou ces petits affrontsDont on punit ici les plus fameux larrons :Que pas un de ces maux n'ébranle ta constance, Et si ton mauvais sort te fait surprendre en France,Comme un présent du roi, reçois la fleur de Lys,Par ces marques d'honneur nous sommes ennoblis,Un bon soldat s'anime en voyant ses blessures,Et sans rien avouer nous souffrons les tortures, Au pouvoir du prévôt un de nous est-il mis,Il subit châtiment, non pour ce qu'il a pris,Mais pour être si sot de s'être laissé prendre.Qui ne sait son métier doit tâcher de l'apprendre,Cela le subtilise en autre occasion, Et le rend bien plus prompt à l'exécution. DON JEAN, bas. Qu'on prépare mon âme à d'agréables choses. LE CAPITAINE. Passons de quelque épine en des plaines de roses.Nous possédons sans peur mille trésors divers,Et nous sommes Seigneurs de ce grand Univers, Nous chassons dans les bois et dessus les montagnes,Nous jouissons des biens des plus riches campagnes,La terre à nos désirs offre tout avec choix,Les forêts au besoin nous présentent du bois,Les fontaines de l'eau, les coteaux de l'ombrage, Les rochers un abri quand il fait quelque orage,Les vignes des raisins, les étangs des poissons,Les arbres et les champs des fruits et des moissons,Enfin avec nous, pour peu que tu t'exposes,Sans qu'il te coûte rien espère toutes choses. DON JEAN. Qui ne serait ravi de ces commodités ? LE CAPITAINE. Jamais nous ne logeons dans l'enclos des Cités,Les dehors sont plus beaux, plus sûrs, et plus utiles,C'est là que nous plantons nos pavillons mobiles,Et nous en délogeons au moins quand il nous plaît, Là, notre emmeublement se trouve toujours prêt,Les gazons sont nos lits, et la belle prairieÀ nos palais volants sert de tapisserie,Nous y voyons aussi quantité de tableaux,Jamais dedans la Flandre il n'en fut de si beaux, L'art ne saurait atteindre à ces vivants ouvrages,Et Nature elle-même a fait ces paysages.Ce cuir impénétrable aux rigueurs des saisonsNous fait braver le Ciel dans ces faibles maisons,Les tonnerres grondants sont pour nous des musiques, Les vents impétueux des zéphyrs pacifiques,Les éclairs des flambeaux, la pluie un bain charmant,Et les neiges enfin un rafraîchissement :Ainsi toujours contents nous passons notre vieExempts d'ambition, de soucis, et d'envie, Ce beau dérèglement ne te charme-t-il pas ? DON JEAN. Oui certes, et le trône a beaucoup moins d'appas. LE CAPITAINE. Au reste, tu peux prendre en l'ardeur qui t'enflammeCette jeune beauté pour maîtresse ou pour femme. PRÉCIEUSE. Arrêtez là de grâce, et ne poursuivez point, Il est tombé d'accord avec moi sur ce point.Que s'il veut renoncer aux lois que j'ai prescrites,Je préfère l'honneur à ces rares mérites,Nul de vous n'a pouvoir dessus ma volonté,N'en disposez donc pas avec autorité, Ce droit nous appartient avec plus de justice,Je l'ai fait espérer à deux ans de service,Mais quoi que le serment semble nous obliger,Il nous est libre encore de nous en dégager,Consultez-vous, Monsieur, touchant cette promesse, Recueillez votre coeur du sommeil qui le presse,Arrachez le bandeau qui vous couvre les yeux,Soyez plus raisonnable, enfin choisissez mieux,Votre équipage est là, vous pouvez le reprendre. LA VIEILLE. Je ne pourrais jamais me résoudre à le rendre, Accordez-nous plutôt. DON JEAN. Je te suis donc suspect ?Quoi dans beaucoup d'amour crains-tu peu de respect ?Non, non, engage encore mes flammes amoureusesA des conditions qui soient plus rigoureuses,Mon coeur est une cire où tu ne peux imprimer Ces chastes sentiments qui te font estimer,Mais sache que pour toi ce même coeur de cireChangera de nature après ce doux martyre,Et que pour mieux garder ton vouloir souverainIl deviendra plus dur que le fer ou l'airain. Oui, ta seule présence entretiendra ma joie,Je serai trop content pourvu que je te voie,Et si l'Amour m'excite à quelque autre plaisir,Un baiser tout au plus bornera mon désir,Puis-je pas espérer ce remède à ma flamme ? PRÉCIEUSE. Oui, si sage d'ailleurs... DON JEAN. N'en doute plus mon âme.Et vous mon Capitaine, il me faut octroyerUn mois d'apprentissage a ce noble métier. LE CAPITAINE. C'est trop de la moitié pour être passé maître,Après deux ou trois vols assure-toi de l'être. DON JEAN. Souffrez que dans ce temps je n'en fasse pas un,Ces quatre cents ducats départis au communSuppléeront au défaut de cette main oisive,Prenez-les pour ma part du bien dont je vous prive,Après qu'on laisse faire à mes secrets efforts, Mon adresse d'abord s'attaque aux coffres fors. LE CAPITAINE. Ta générosité n'eut jamais son égale,Oui, ces riches effets de ta main libérale,Font résoudre la troupe à quoi que tu voudras,Dispose de nos coeurs ainsi que de nos bras. Il reste maintenant à prendre un nom de guerreQui te fasse inconnu courir toute la terre,Hérite de celui du plus fameux voleurQui jamais parmi nous signala sa valeur,Il se nommait Andrés, plaît-il à ton envie ? DON JEAN. Je le conserverai de tout le temps de ma vie,Andrés, ha ! Que ce nom me semble glorieux,Puisqu'il m'est imposé pour servir ces beaux yeux ! LE CAPITAINE. Donc que chacun de nous montre son allégresse,D'un si cher camarade exaltons la noblesse, Mêlons un doux concert à nos remerciements,Et faisons mille voeux pour ses contentements. Les Égyptiens chantent en musique ces quatre vers.Vive le noble Andrés, vive la PrécieuseD'une vie à leur gré la plus délicieuse,Qu'Hymen joigne bientôt ce beau couple d'amants, Et que rien ne s'oppose à leurs embrassements. LE CAPITAINE. Voilà qui vaut l'argent, cet objet qui t'engageDu fard Égyptien t'enseignera l'usage,Surtout change d'habit pour notre sûreté,Et pour aller par tout avec liberté, Nous en avons toujours quelques-un dans nos tentesPour ceux qui sont reçus au métier que tu tentes :Tandis, pour éviter tout accident fatal,Je vais rendre l'honneur qu'on doit au Sénéchal,Notre bande a besoin du pouvoir qu'il possède, Déjà depuis deux jours nous rodons dans TolèdeSans la permission qu'il nous faut obtenir,Adieu, demeurez seuls pour vous entretenir. LA VIEILLE. Enfin tout est à nous, homme, argent et bagage,Mais allons de plus près visiter l'équipage. LE CAPITAINE. Puissant Dieu des matois, et des subtilités,Mercure inspire lui tes bonnes qualités,Afin qu'aux yeux de tous il vole en assurance,[Note : Argus : personnage de la mythologie gréco-romaine, c'était un géant qui avait cent yeux dont cinquante ouverts pendant que cinquante étaient fermé et dormaient.]Et trompe des Argus l'exacte vigilance.Suivez-moi Compagnons, tous en ordre rangés, Ces ducats au retour vous seront partagés. SCÈNE III. Andres, Précieuse. ANDRES. Enfin j'ai le bonheur où mon amour aspire,Mon sort est dans tes mains, je vis sous ton empire,Me voilà ton sujet, et j'ai reçu tes lois,C'est trop pour égaler la fortune des Rois. Ce n'est point le pouvoir que ce titre leur donneQui m'attache avec joie auprès de ta personne,Ce n'est point un espoir de leurs vaines grandeursQui contente mes sens et nourrit mes ardeurs,Ce n'est point ce hasard contre qui l'on déclame, Qui fait voir dans tes fers et mon corps et mon âme,C'est ce charme adorable, invisible et puissantQue forment tes attraits, et ton coeur innocent,C'est cet esprit divin dont ce beau corps s'anime,Qui s'est acquis partout une si haute estime, C'est ce je ne sais quoi qui brille dans tes yeuxCapable d'enchanter et les Rois et les Dieux.Ainsi puisque l'Amour et ta seule puissanceMe rangent aujourd'hui sous ton obéissance,Espère que ces noms et d'esclave et d'amant Ne me feront traiter que favorablement,Me le jure tu pas par la céleste flammeQue ces deux Astres bruns lancent jusqu'en mon âme ?Par la réflexion de ce feu glorieuxQue l'un et l'autre joue emprunte de tes yeux, Par ce vivant corail qui fait tant de miracles,Et qui rend tous les jours mille divins oracles.Me le jure tu pas par ce berceau d'Amour,Où, comme dans tes yeux, ce Dieu fait son séjour ?Par ces monts animés dont le beau privilège Peut enflammer les coeurs à l'aspect de leur neige,Et par ce noble tout, ouvrage précieuxQue formèrent l'Amour, la Nature et les Dieux :Mais à te voir si triste en mon bonheur insigne,Il semble que déjà tu m'en juges indigne. PRÉCIEUSE. Me dois-je réjouir de vous avoir réduitÀ quitter un beau tour pour une affreuse nuit,À quitter des rayons pour un nuage sombre,La gloire pour la honte, et le Soleil pour l'ombre,Les plaisirs pour la peine, et les biens pour les maux, Un repos assuré pour de rudes travaux,Une Princesse enfin pour une Égyptienne ?Non, Seigneur, croyez-moi, quelque honneur qui m'en vienne,Je vous estime trop pour ne m'affliger pasDu tort que je vous fais par mes faibles appas. ANDRES. Que ton affliction console bien mon âme !Que ton regret me plaît ! Que ta froideur m'enflamme !Il est donc vrai, mon coeur, que ta sainte amitiéFait déjà le devoir d'une chaste moitié :Mais ne plains point mon sort digne qu'un Dieu l'envie, Et juge mieux de l'heur qui va suivre ma vie,Trouvais-je pas en toi sans forcer mes désirsMa gloire, mon repos, mes biens et mes plaisirs ?Tes yeux ne sont-ils pas des Soleils ? Et ces astresN'écarteront-ils par loin de moi les désastres ? N'ont-ils pas pour rayons mille feux pétillants ?Et pour être un peu noirs en sont-ils moins brillants ?Non, non, d'une façon qui n'est point coutumièreCette noirceur éclate et me rend la lumière,Contre l'ordre du monde elle fait un beau jour, Et rallume partout le flambeau de l'Amour,Mais pardonneras-tu ma première licence ? PRÉCIEUSE. Oui, puisque vous avez une entière puissance. ANDRES. Il a aperçu dans son sein le papier du poète.D'où te vient ce papier ? Que son destin est doux ! PRÉCIEUSE. Si c'est une douceur que de faire un jaloux, [Note : Poulet : signifie aussi un petit billet amoureux qu'on envoie aux Dames galantes, ainsi nommé, parce qu'en le pliant on y faisait deux pointes qui representaient les ailes d'un poulet. [F]]Ce poulet en ce lieu vous donne de l'ombrage,Avouez. ANDRES. Nullement. PRÉCIEUSE. L'auteur vaut bien l'ouvrage. ANDRES. Je le crois. PRÉCIEUSE. Tout de bon ? ANDRES. Oui certes. PRÉCIEUSE. Cependant,Je veux de son rival faire mon confident,Tenez, après cela doutez que je vous aime, Car je ne l'ai point lu. ANDRES. La faveur est extrême. PRÉCIEUSE. J'en espère pourtant un aimable entretien, À part.Il est un peu remis. ANDRES, à part, ayant lu. Mon coeur ne crains plus rien. PRÉCIEUSE. Lisez haut, vous riez. ANDRES. Il faut bien que je rieDe l'agréable effet de cette tromperie, Ce sont des vers. PRÉCIEUSE. Hé bien, c'est le parler des Dieux,Le style en est plus doux, et persuade mieux. ANDRES. Il lit tout haut ces vers.Je chante dans les fers mieux qu'un Égyptien,Vous me réjouissez en me donnant la gêne :Mais pourquoi joignez-vous le repos à ma chaîne ? Suis-je si malheureux de n'être propre à rien ?L'esclave trop oisif souffre un double tourment,Servez-vous du pouvoir que mon destin vous donneD'un emploi près de vous honorez ma personne,Et ne rejetez pas les voeux d'un pauvre amant. PRÉCIEUSE. Hé bien qu'en dites-vous ? Ce n'est pas un novice,Voyez qu'adroitement il m'offre son service. ANDRES. Voilà pour un captif parler bien librement,Mais il ne devait pas finir si pauvrement,L'Amour est de ce mal la mortelle ennemie, Et pour un pauvre amant je serais endormie. PRÉCIEUSE. Ainsi que de ses vers vous rirez de l'objet. ANDRES. Mais qui t'en ferait voir sur un autre sujet ? PRÉCIEUSE. De qui ? ANDRES. Bas.Dissimulons. D'un jeune gentilhommeMon plus intime ami, qui t'aime. PRÉCIEUSE. Et qui se nomme ? ANDRES. Son nom ne se dit pas. PRÉCIEUSE. Bas.C'est lui-même. Et pourquoi ? ANDRES. Pour cause, les voici, c'est un récit pour toi,Au ballet que... PRÉCIEUSE. J'entends ce que vous voulez dire,Voyons. ANDRES. À ce penser il faut que je soupire,Là, mes superbes sens furent humiliés, Et ta grâce à danser foula mon coeur aux pieds. PRÉCIEUSE. Épargnez ces discours où l'amour vous emporte. ANDRES. Tu devais à peu près nous parler de la sorte. PRÉCIEUSE. Vous avez lu les miens, que je lise ceux-ci. ANDRES. Il est juste, tiens donc, tu peux en rire aussi. PRÉCIEUSE, lit ce qui suit. Récit de la belle Égyptienne.Si je vous semble Égyptienne,Je n'en ai que l'habit, l'adresse et les cheveux,Et quoi que d'un César leur Reine ait eu les voeux,Sa beauté toutefois fut moindre que la mienne.J'attire à moi tous les humains, Curieux de me voir ainsi que de m'entendre,Et pas un ne se peut défendreDes coups où mes beaux yeux font l'office des mains.Je donne aux âmes la torture,Je ne prends que des coeurs, mes larcins sont hardis, Et je fais mieux que je ne dis.La bonne ou mauvaise aventure.Mes compagnes et moi d'une adresse subtileNous volons en tous lieux,Mais de tout notre bien je leur quitte l'utile, Et ne profite point que du délicieux.Comme on voit nos larcins être fort différents,Nos restitutions ont des effets contraires,La leur oblige fort, et moi lorsque je rends,Je cause des douleurs amères, Et l'on me fait mille prièresDe retenir toujours ce que je prends. ANDRES. Que t'en semble ? PRÉCIEUSE. L'ouvrage est sans doute admirable,Heureuse si le sens en était véritable. ANDRES. Je le puis assurer sans faire le flatteur. PRÉCIEUSE. Si vous craignez encore qu'on découvre l'auteur,Suivez-moi seulement. ANDRES. Sais-tu qui se peut être ? PRÉCIEUSE. Je le vais déguiser, il se fait trop connaître,Mais il faut qu'avec moi vous y mettiez la main. ANDRES. Elle s'en doute, Amour seconde son dessein. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Le Poète, Les Égyptiens. LE POÈTE, en habit de berger et de nuit. Au secours, je suis mort, ha ! Quelle destinéeM'a fait trouver ces chiens dans leur rage obstinée ? L'ÉGYPTIEN, à son camarade. [Note : Mâtin : Gros chien servant ordinairement à garder une cour, à suivre les chevaux, etc. Terme d'injure populaire. Mâtin, mâtine, celui, celle qu'on assimile à un mâtin, à un chien.]Sans doute nos mâtins font quelque bon repas,Ils cessent d'aboyer, suis-moi, doublons le pas. LE POÈTE. Ô Dieux ! Je n'en puis plus. L'ÉGYPTIEN. J'entends quelqu'un se plaindre. Approche ta lumière, et garde de l'éteindre.Ma foi c'est un berger prêt à laisser sa peau,Tu verras que nos chiens sont après le troupeau.Es-tu mort ? LE POÈTE. Je me meurs. L'ÉGYPTIEN. Hé ! Qui diable t'amèneEn ces lieux, et de nuit ? LE POÈTE. Ma fortune inhumaine, Mais sans plus discourir, de grâce assistez-moi. L'ÉGYPTIEN. Après, qui nous payera ? LE POÈTE. Moi-même. L'ÉGYPTIEN. As-tu de quoi ?Je ne fais rien pour rien, songe à quoi tu t'engages. LE POÈTE. Oui, tenez, ce ducat vous servira de gages. L'ÉGYPTIEN. Prends courage à présent, va, crois-moi, ce n'est rien, Quant tu seras guéri tu te porteras bien. À part.Un ducat d'un berger ! LE POÈTE. Amis, qui vous arrête ? L'ÉGYPTIEN. Ça, donne-moi tes pieds, toi prends-le par la tête,Une vieille entre nous par un magique sort,En touchant de l'argent ferait revivre un mort, Nous allons de ce pas te porter dans sa tente,Pour en être content, rends-la devant contente. LE POÈTE. Je n'épargnerai rien pour mon soulagement. SCÈNE II. Andres, La Vieille, Précieuse, Les Égyptiens, Le Poète. LA VIEILLE, à Andres. Mon fils, où courez-vous ? PRÉCIEUSE. Arrêtez un moment. L'ÉGYPTIEN. La voilà, je l'entends, approchez bonne mère, Voici de la pratique. ANDRES. Ô Dieux quelle misère ! LA VIEILLE. C'est la cause du bruit qui vous faisait courir. PRÉCIEUSE. Ma tante dépêchons, il faut le secourir. LA VIEILLE. Hé bien, qu'est-ce qui fait le sujet de tes plaintes ? LE POÈTE. Les dents de vos mâtins sur mes jambes empreintes. Hélas ! Si dans le temps qu'ils me faisaient ce mal,Il ne fut par bonheur passé quelque animal,Dessus qui maintenant ils repaissent leur rage,Ils n'auraient pas encore arrêté leur outrage. LA VIEILLE. Si je te puis guérir que me donneras-tu ? L'or est un prompt remède, et de grande vertu,Le baume le meilleur coule de cette source,Et pour fermer la plaie il fait ouvrir la bourse. LE POÈTE. Hâtez ma guérison de tout votre pouvoir,Je vous contenterai par dessus votre espoir. LA VIEILLE. Enfants, portez-le donc en la plus proche tente,Ma fille va quérir de mon divin NepanteJe guéris avec lui toute sorte de maux,Mais il faut sur les tiens murmurer quelques mots,Pour arrêter le sang qui coule en abondance. LE POÈTE. Mon mal va jusqu'au coeur. ANDRES. Ami, prends patience. LA VIEILLE, à Précieuse. Ne l'as-tu point tantôt assez considéré ?Cours, es-tu revenue ? PRÉCIEUSE, à part en s'en allant. Il est trop assuré,C'est notre Poète, ô Dieux ! Quelle est son entreprise,De nuit, et déguisé, je crains quelque surprise. SCÈNE III. Le Poète, Le Vieille, Andres, Les Égyptiens. LE POÈTE. Soleil dont la lumière est si douce à mes yeux,Tarderas-tu longtemps de paraître en ces lieux ? ANDRES. Non, il est tantôt jour. LE POÈTE. Sa divine présencePeut des maux que je sens charmer la violence. LA VIEILLE, aux Égyptiens. Entrez-là, c'en est fait, son sang est arrêté. Ô discours salutaire en cette extrémité. Les Égyptiens portent le poète dans une tente. SCÈNE IV. La Vieille, Andres, Précieuse. ANDRES, à Précieuse. Quoi déjà de retour ? LA VIEILLE. Elle fuit les Égyptiens.Vite, ma fille apporte. SCÈNE V. Précieuse, Andres. PRÉCIEUSE. La charité m'oblige à courir de la sorte. ANDRES. Tu dois, s'il est ainsi, faire quelques efforts,Pour soulager mon âme aussi bien que son corps. PRÉCIEUSE. Si vous n'avez besoin que de ma diligence... ANDRES. Tu pourrais sans courir hâter mon allégeance. SCÈNE VI. La Vieille, Andres, Précieuse. LA VIEILLE, sortant de la tente et parlant au poète. Te voilà bien, à Dieu, repose en sûreté,Tandis que j'en vais faire autant de mon côté,Si pour ta guérison trop longtemps je sommeille, Apprends qu'au son de l'or notre soin se réveille. ANDRES. Sa mine et son discours me font connaître assezQue vos soins quelque jour seront récompensés. LA VIEILLE. J'entends bien dès demain recevoir mon salaire,Fut-il mon propre enfant, fut-il mon propre frère, S'il m'avait fait attendre après lui plus longtemps,L'un de l'autre tous deux nous serions mécontents,Point d'argent, point d'onguent, dessus cette penséeAllons nous retirer. ANDRES. Qu'elle est intéressée ! PRÉCIEUSE. Ma tante allez devant, nous vous suivons de près. SCÈNE VII. Précieuse, Andres. PRÉCIEUSE. [Note : Cyprès : symbole de la mort.]Les lauriers d'Apollon sont changés en cyprès. ANDRES. Comment ? À ce discours je ne puis rien comprendre. PRÉCIEUSE. Le plaisant accident que je vous vais apprendre ! ANDRES. Qu'est-ce donc mon souci ? PRÉCIEUSE. Mais me promettez-vous ? ANDRES. Oui, parle, que veux-tu ? PRÉCIEUSE. De n'être point jaloux. ANDRES. [Note : Ambroisie : Viande exquise dont les Anciens feignaient que leurs Dieux se nourrissaient. [F]]Assis entre les Dieux, et parmi l'ambroisie,Qui pourrait à présent troubler ma fantaisie ? PRÉCIEUSE. Ce mal nous vient souvent d'un soupçon plus léger.Qui pensez-vous que soit ce malheureux berger ? ANDRES. Parles-tu du blessé ? PRÉCIEUSE. Je parle de lui-même. ANDRES. Le connais-tu d'ailleurs ? Est-ce quelqu'un qui t'aime ? PRÉCIEUSE. N'excitera-je point une mauvaise humeur ? ANDRES. Point du tout. PRÉCIEUSE. Sachez donc que c'est notre rimeur. ANDRES. Quoi, celui dont tantôt nous avons lu des Stances ? PRÉCIEUSE. Celui-là même, auteur de ces extravagances. ANDRES. Ha ! Certes j'ai pitié de ce pauvre garçon. PRÉCIEUSE. Le sort le persécute en plus d'une façon,Ce n'était pas assez qu'il eut mal à la tête,Il fallait que ses pieds... ANDRES. Enfin c'est ta conquête,Pourquoi traiter si mal un si fidèle amant ? Tu l'as porté peut-être à ce déguisement. PRÉCIEUSE. Ne voilà pas déjà des effets de ma crainte.Vous êtes donc jaloux. ANDRES, à part. Est-ce franchise ou feinte ?Moi, jaloux, nullement. PRÉCIEUSE. L'étrange visionDe me croire complice en cette occasion ! Hé bien, pour avoir paix, et me montrer fidèle,Je ne le verrai point. ANDRES. C'est être bien cruelle. PRÉCIEUSE. Je vous ai fait déjà deux fois mon confident,J'attends de vous le même en pareil accident,Ne me procurez point le mal dont je vous prive, Et chassons le martel aussitôt qu'il arrive. ANDRES. Si je pouvais un jour t'en causer en effet,Je serais bien vengé du mal que m'as fait. PRÉCIEUSE. Ha ! Ma sainte amitié défend cette vengeance,Adieu, séparons-nous en bonne intelligence. ANDRES. Un baiser tout au moins m'en fera la raison,Peut-on cueillir ce fruit en plus belle saison ? PRÉCIEUSE. Est-ce là ce respect et cette retenue ? ANDRES. Oui, malgré mon amour mon respect continue,Mais c'est une faveur permise à mon désir. PRÉCIEUSE. Nous en disputerons le jour plus à loisir.Je n'ai pas entendu que ce fut à toute heure. ANDRES. La nuit, et sans témoins elle serait meilleure. SCÈNE VIII. ANDRES, seul. Loin de ces beaux charmeurs qui corrompent les sens,Donnons un libre cours à nos désirs pressants, Amour, foi, complaisance, incomparable idée,Dont par enchantement mon âme est possédée,Retirez-vous comme eux, et me laissez iciExaminer à part l'objet de mon souci,Votre ligue est trop forte, et cette conférence Demande une sévère et juste indifférence,Mon coeur à votre aspect n'agit point librement,Bref vous êtes suspects à notre jugement.Ce rival odieux plus conforme à sa guise,Connaît, voit, parle, écrit, vient de nuit, se déguise, Et je ne croirais pas qu'un favorable aveuAu mépris de ma flamme entretienne son feu ;Ha, que ta trahison visiblement éclate !Inconstante beauté, lâche coeur, âme ingrate,Dont l'adresse perfide a caché sous des fleurs Le dangereux aspic qui cause mes douleurs.Ne suis-je descendu du plus haut rang de gloireDans ce honteux état qui ternit ma mémoire ?Ne t'avais-je promis d'élever ton bonheurAu faîte des plaisirs, des biens et de l'honneur ? Enfin n'ai-je engagé mes plus belles annéesÀ suivre avec toi d'infâmes destinées,Que pour voir préférer à mon chaste desseinCelui d'un suborneur qui règne dans ton sein ?Achève d'ériger ton indigne trophée, Sur le reste mourant de ma flamme étouffée,Comble-le de faveurs en me comblant d'ennuis,Tout m'est indifférent en l'état où je suis,Ton lâche mouvement vient d'arrêter ma course,Et je vais remonter à mon illustre source. Mais pourrai-je accomplir le projet que je fais ?Non, j'aime trop mes fers pour en sortir jamais :Impuissants ennemis du Dieu qui me maîtrise,Savez-vous quelle chaîne arrête ma franchise ?Savez-vous le pouvoir de ces noirs assassins , Qui me percent le coeur, et rompent vos desseins ?Si les trais et les feux vous marquent leur puissance,Que ne me rangez-vous sous leur obéissance,Et si de ces brillants vous ignorez le prix,Pourquoi me conseiller un injuste mépris ? Devez-vous pas avoir beaucoup de retenueÀ dire votre avis d'une chose inconnue ?Conseillers indiscrets, ou laissez-moi périr,Ou par d'autres moyens venez me secourir.Quoi donc je fais régner mon amour déréglée ? Quelle ombre, ou quel grand jour à mon âme aveuglée ?On s'offre à me tirer d'une infâme prison,Et ce zèle obligeant me paraît trahison,À quel point m'a réduit ma fière destinée ?Dans cet aveuglement mon âme est obstinée, À me faire du mal je suis ingénieux,Et qui me veut aider me semble injurieux,De qui dois-je espérer un effet secourable,Puisque ma volonté ne m'est pas favorable ?Mais pour mieux profiter de ce raisonnement, Tirons de ce rival un éclaircissement,Arrachons son aveu par force ou par adresse,Et perdons puis après le traître et la traîtresse. SCÈNE IX. Andres, Le Poète couché dans la tente. ANDRES, ayant relevé un côté de la tente. Camarade, dors-tu ? LE POÈTE. Les langueurs que je sensCommençaient d'assoupir mes esprits et mes sens. ANDRES. Hé bien, que dit le coeur ? Comment vont tes morsures ? LE POÈTE. Comme il plaît au destin qui m'a fait ces blessures. ANDRES. Je plains ton infortune, et j'en suis bien marri.Dans trois jours au plus tard tu seras tout guéri.Mais qui te presse aussi ? Quelle affaire importante Te fait marcher de nuit, et devers cette tente ?Parle. LE POÈTE. Hélas ! ANDRES. Je le tiens, ce discours l'a surpris.Réponds-moi, que crains-tu ? Rappelle tes esprits,Tu peux m'entretenir avec toute assurance. LE POÈTE. Hé de quoi ? De douleurs, de peine, de souffrance, C'est là tout l'entretien que vous pourriez avoir,Déplaisant à donner, et triste à recevoir... ANDRES. Voyez qu'il équivoque, et qu'il feint bien le traître.Plus je t'entends parler, plus je te crois connaître,Ta mine et cet état ont trop peu de rapport, Et ce rustique habit cache un plus noble fort,Confesse. LE POÈTE. Plût au Ciel. ANDRES. Ma pensée est trop vraie,Et me fait découvrir une nouvelle plaie,Mon âme a succombé sous de plus doux efforts,N'est-elle pas blessée encore plus que ton corps ? Certes, s'il est ainsi que je me l'imagine,Tu mérites le bien que l'Amour te destine.Nous avons entre nous une jeune beauté,Dont l'éclat a de l'air de la Divinité,Un coeur aura reçu son adorable image, Et par son ordre exprès tu viens lui rendre hommage. LE POÈTE. Rien moins. ANDRES. Ce rare effet de ta discrétionTe rend plus digne encore de son affection. LE POÈTE. Perdez encore un coup cette injuste pensée,Dont sa chaste pudeur pourrait être offensée. ANDRES. Comme il prend son parti, mais allons jusqu'au bout,Il faut après cela qu'il me déclare tout.À quoi bon, découvert te cacher davantage ? LE POÈTE. Je ne puis avouer un si faux avantage. ANDRES. Pour être Égyptien ne crois pas que mon coeur Ignore le pouvoir de ce noble vainqueur,Je sais bien que l'Amour porte à d'étranges choses,Et je pourrais parler de ses Métamorphoses.Ne me cèle donc plus ton dessein ni tes feux,La belle Égyptienne est digne de tes voeux, Bien loin de la blâmer j'estime ton adresse,Et je te veux servir auprès de ta maîtresse. LE POÈTE. Ton zèle enfin me charme, et civilitéMe force à contenter ta curiosité,Mon coeur s'ouvre de joie au nom de cette belle, J'ai l'heur de la connaître, et d'être connu d'elle,Et puisque tu peux lire en ce coeur malheureux,Je ne te nierai plus que j'en suis amoureux. ANDRES. Après avoir langui, enfin ce mot me tue. LE POÈTE. Elle a rendu la force à mon âme abattue, Et l'appareil plus doux à mon mal furieux,Fut le charme innocent qui vint de ses beaux yeux. ANDRES. Il guérit et je meurs, mais la rage m'anime,De ton rare mérite elle fait grande estime. LE POÈTE. Si peu. ANDRES. Quoi tu t'en plains, ha ! N'en fais plus le fin, Achève d'exposer ton bien-heureux destin,Nous sommes, tu le sais, les plus secrets du monde.As-tu de ses faveurs ? Ta gloire est sans seconde,Montre-les moi, de grâce, et ne me cache rien,Fais-moi ton confident, je te ferai le mien, Sous d'autres vêtements j'ai fait des aventures,Dignes de raconter à nos races futures,Et sans aller plus loin que ce même séjour,Je t'en pourrais conter une du dernier jour,Qui vaut bien à mon gré la peine de l'entendre. LE POÈTE. Que je serai ravi si tu veux me l'apprendre ! ANDRES. Tu me fermes la bouche en me fermant ton coeur,Et tu me crois sans doute indiscret ou moqueur,Vois-tu ? Ne couvre plus une flamme apparente,Et sache que la fille est ma proche parente, Que je vous puis servir tous deux en vos amours,Vous faisant préférer des nuits aux plus jours. LE POÈTE. Je ne refuse pas cette offre avantageuse,Mais mieux que son parent je connais Précieuse,On ne peut faire brèche à sa chaste vertu, Par discours, par présents, en vain j'ai combattu,Rien ne peut ébranler cette vivante roche,Mille trais enflammés en défendent l'approche,Et lorsqu'on la permet, c'est pour mieux faire voirQue sans intelligence on ne la peut avoir. ANDRES. Ha ! Ce dernier discours me redonne la vie,Mais redoublons l'épreuve, et sachons son envie.Dis ce que tu voudras pour cacher ton dessein,Je vois ce que tous deux vous avez dans le sein,Et dedans votre amour mon zèle s'intéresse, Mais enfin la veux-tu pour femme ou pour maîtresse ?Si tu la veux pour femme, hé bien dans peu de tempsJ'y ferai consentir tous ses autres parents,Sinon il ne faut point tant de cérémonies,De semblables vertus parmi nous sont bannies, Pourvu que nous voyons quelque somme d'argent. LE POÈTE. Cher ami, ce discours est par trop obligeant. ANDRES. En as-tu ? LE POÈTE. J'ai sur moi quelques six vingts pistoles. ANDRES. À part.C'est pour la suborner. Donc sans plus de paroles [Haut.]Laisse-moi faire. LE POÈTE. Hélas ! Perds ce soin odieux, Puisqu'un autre dessein m'a conduit en ces lieux,Ce n'est pas qu'en effet je n'aime Précieuse,Et que ma passion ne me soit glorieuse :Mais de mon seul destin l'implacable courrouxMe fait venir chercher un asile entre vous. Apprends en peu de mots le sujet qui m'amène,Qui m'a fait déguiser, et qui cause ma peine.La mort d'un cavalier couché sur le pavé,Dedans une querelle où je m'étais trouvé,Me fit quitter Séville, et venir à Tolède Pour trouver dans ma fuite un assuré remède.Mes parents cependant qui savent où je suis,Avertis du danger où mes jours sont réduis,M'ont fait donner avis cette même soirée,Que j'eusse à me pourvoir de retraite assurée, Tout ce que j'ai pu faire en ce pressant souci,Est de changer d'habit, et de venir ici,Contre les trais du sort implorer assistance. ANDRES. Si ce n'est que cela repose en assurance,Je m'en vais de ce pas y résoudre nos gens. LE POÈTE. Va, je reconnaîtrai tant de soins obligeants. La tente se referme. ANDRES, en s'en allant. Marche droit hardiment, ou mon âme abuséeSaura bien se vanter de ta flamme rusée,Qui cherche ma maîtresse il cherche le trépas,Je t'irais immoler, à ses yeux, dans ses bras, Et si son lâche coeur trempait dedans ton crime,J'abattrais d'un seul coup l'autel et la victime. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Andres, Précieuse. ANDRES. Mais tu ne me dis rien de ce pauvre blessé,Est-ce ainsi qu'un Amant doit être délaissé ?Est-ce ainsi que l'amour doit céder à la crainte ? PRÉCIEUSE. Que vous êtes adroit à couvrir une feinte !Vous l'avez vu sans doute. ANDRES. Oui, je l'ai visité,J'ai plus de soin que toi, j'ai plus de charité. PRÉCIEUSE. S'il est vrai qu'on appelle ainsi la jalousie. ANDRES. J'ai flatté la douleur dont son âme est saisie, Et même j'ai promis de l'en faire guérir. PRÉCIEUSE. Après avoir eu soin de vous bien enquérir,Mais se porte-t-il mieux ? ANDRES. Je crains qu'il ne se trouble,Sa plaie est toute en feu, la fièvre lui redouble,Enfin il est fort mal, tu devais bien aussi Faire en sorte qu'il vint plus sûrement ici,Et c'était bien assez du feu qui le dévore. PRÉCIEUSE. Quoi ? Sur cet accident vous me raillez encore,Apprenez-moi plutôt quel étrange desseinSous ce rustique habit il cache dans le sein, Ce secret n'aura pas échappé votre adresse. ANDRES. Il ne le dira point qu'à sa seule maîtresse,Et je me suis chargé pour son allègement,D'obtenir l'entretien d'une heure seulement,Ne lui refuse pas un bien si désirable, Et prépare à ses voeux un accueil favorable. SCÈNE II. Andres, Précieuse, Hipolite. ANDRES, ayant aperçu Hipolite. Ha ! Le fâcheux objet. PRÉCIEUSE. Hé quel malheur si promptVous met la flamme aux yeux et la rougeur au front ?Ha ! C'est une maîtresse. ANDRES. Une fille importune. PRÉCIEUSE. Hé bien, faut-il rougir d'une bonne fortune ? Voilà ce que produite votre sombre beauté,Et le fard que je donne a cette qualité,Mais sa peine m'oblige à vous laisser ensemble. ANDRES. Vois mon dernier refus. HIPOLITE. Le voilà, mais je tremble. PRÉCIEUSE. Prié par ce regard si doux et si charmant D'une heure d'entretien pour son allègement,Et lui refusez pas un bien si désirable,Et faites à ses voeux un accueil favorable. ANDRES. Je vois bien ce que c'est, tu veux rire à ton tour,Mais ne crois pas au moins... PRÉCIEUSE. Adieu, jusqu'au retour. HIPOLITE. Feignons de l'arrêter, quoi qui nous en advienne,Où va si promptement la belle Égyptienne ?Peut-on pour un moment ici l'entretenir ? PRÉCIEUSE. Je ne suis point du tout savante en l'avenir.Celui que vous voyez suivant ma conjecture, Vous dira mieux que moi votre bonne aventure. HIPOLITE. Hélas ! Elle a raison, éprouvons son avis. ANDRES. De quel nouveau malheur mes jours sont-ils suivis ? SCÈNE III. Andres, Hipolite. ANDRES. Madame, vous m'offrez un honneur qui m'étonne.J'ai vu de votre part l'une et l'autre personne, Toutes deux m'ont parlé de votre indigne choix,Toutes deux m'ont ravi l'usage de la voix,Et maintenant encore je ne sais que répondre,Trop d'éclat m'éblouit, trop d'heur me vient confondre,Et ces rares faveurs me font imaginer Qu'à quelque autre qu'à moi vous croyez les donner :Sortez de votre erreur, voyez ce que vous faites,Regardez qui je suis, et songez qui vous êtes,Si vos yeux ont un voile, ou si vous sommeillez,Arrachez-le, Madame, ou bien vous éveillez. HIPOLITE. Non, non, ma passion en m'a point aveuglée,C'est toi seul qui la rends et juste et déréglée,Tu contrains à t'aimer quiconque ose te voir,Et c'est le moindre effet de ton charmant pouvoir.Mon âme te sentit dès que mes yeux te virent, Ta douceur m'enchanta, tes grâces me ravirent,Je trouvais de l'éclat dans ce teint basané,Et d'une obscure tige un noble Amour est né,Amour qui te remet les biens que je possède,En quoi sache que nul ne m'égale à Tolède, Amour qui t'offre encore un trésor plus exquis,Triomphe beau vainqueur après avoir conquis :De ce même regard qui me met toute en flamme,Lance un rayon d'espoir qui contente une âme,Modère ton tourment, et romps enfin le sort Qui l'agite, la trouble, et me donne la mort. ANDRES. Notre pouvoir est vain pour les charmes de l'âme,Et ce sont les démons qu'en ce point on réclame. HIPOLITE. Autre démon que toi ne l'y sut attacher,Autre démon que toi ne l'en peut arracher, Laisse, laisse cruel une importune feinteQui donne à mon amour une mortelle atteinte.De roi ne devient point un tyran de mon coeur,Ni de maître adorable un insolent vainqueur,Que l'amitié succède à la feinte bannie, N'ajoute point la honte à ma peine infinie,Ne mêle point l'orgueil aux belles qualitésQue je vois au travers de ces obscurités.Quoi, manquai-je d'appas ? Quoi, manquai-je de charmesQui puissent t'obliger à me rendre les armes ? Ma personne, mes biens, et ma condition,Ne peuvent-ils forcer ton inclination ?Ne peux-tu préférer à cette vie infâmeL'avantageux bonheur de m'avoir pour ta femme ?Quitte, quitte la honte où le sort t'engagea, Sors de cette misère où le sort te plongea,Seconde mes désirs en faveur de toi-même,Réponds au nom d'Hymen à mon amour extrême,Par là, de mes trésors tu deviens possesseur,Tu vivras avec gloire, en paix, dans la douceur, Et goûtant des plaisirs tous purs et sans limites,Braveras la Fortune ingrate à tes mérites. ANDRES. Descendre jusqu'à moi, m'élever jusqu'à vous,D'un pauvre Égyptien en faire votre époux,Ravi d'une si haute et si rare merveille, Quoi que près d'un soleil je doute si je veille,Et je ne comprends pas par quel heureux destinJ'ai pu faire un si noble, et si riche butin.À quelles dures lois est mon âme asservie,Que je ne puisse pas contenter votre envie, Que je ne puisse pas jouir de ce bonheurQui contient le plaisir, la richesse et l'honneur ?Ha ! C'est bien maintenant que l'ingrate FortuneMe fait sentir les traits de sa haine importune,Me venant d'une main un trésor présenter, Que l'autre au même instant me défend d'accepter. HIPOLITE. Dans ce consentement que ta grâce m'octroie,Qui s'oppose à ton bien ? Qui s'oppose à ma joie ? ANDRES. La rigueur de nos lois, qui veut que parmi nousNous prenions une femme et la fille un époux, Lors par qui mon malheur a sa rage assouvie,Et qu'il faut observer sur peine de la vie. HIPOLITE. Je te sauve de tout par mon autorité. ANDRES. Vous ne me sauvez pas de l'infidélité. HIPOLITE. Es-tu déjà soumis au joug de l'Hyménée ? ANDRES. J'espère voir bientôt cette heureuse journée. HIPOLITE. L'avantage en ce cas te permet de changer. ANDRES. Trop puissant est l'objet qui me sut engager, HIPOLITE. Mais cet objet enfin n'est qu'une Égyptienne. ANDRES. Sa vertu me plaît mieux qu'une race ancienne. HIPOLITE. Quiconque a l'une et l'autre, elle est à préférer. ANDRES. De la seule vertu je puis tout espérer. HIPOLITE. Prends la possession, et quitte l'espérance. ANDRES. Je me tiens à l'espoir, qui m'en donne assurance. HIPOLITE. Le malheur trop souvent suit cet esprit flatteur. ANDRES. Quoi qui puisse arriver j'en bénirai l'auteur. HIPOLITE. La misère et l'orgueil ne sont pas bien ensemble. ANDRES. J'aime dans mon destin le noeud qui les assemble. HIPOLITE. Quoi ? Mon attente est vaine, et je souffre un refus. ANDRES. Je ne vous puis donner un coeur que je n'ai plus. HIPOLITE. Quoi d'un Égyptien je me vois refusée !Quoi d'un fier vagabond je me vois méprisée !Ma faveur le poursuit, il suit d'autres appas,Je lui parle d'Hymen, il ne l'accepte pas,Honte, dépit, affront, ressentiment, vengeance, Laissez-vous triompher cette superbe engeance ?Souffrez-vous que ce traître avec impunitéProfane ma vertu, ma gloire et ma beauté ?Au secours ma fureur, vite forgeons un foudre,Qui réduise à mes yeux ces deux amants en poudre, Faisons pour le hâter des efforts merveilleux,Et lançons-le d'abord sur ce roc orgueilleux,Roc qui brave le Ciel qui s'attache à la terre ;Et semble défier les éclats du tonnerre,Bientôt, bientôt, ingrat, il va tomber sur toi, Tu sauras ce que c'est de se moquer de moi,Tu sauras ce que c'est de mépriser ma flamme,Et de me préférer je ne sais quel infâme,Tu ne tiens pas encore cet objet de tes voeux,Tu périras au port, et peut-être tous deux, Je te vais de ce pas faire charger de chaînes,Je te vais exposer aux plus cruelles gènes,Et tu confesseras dans l'horreur de tes fers,Qu'il vaudrait mieux vivant tomber dans les enfers,Qu'au pouvoir irrité d'une amante enragée D'un indigne mépris dont je serai vengée. SCENE IV. Andres, Précieuse. PRÉCIEUSE. Bon augure, il est seul, mais las ! En peu de tempsOn peut beaucoup résoudre. Est-ce lui que j'entends ?Quoi soupirer tout seul ? Cette belle maîtresseVous a quitté trop tôt, c'est le mal qui vous presse. Que vous êtes confus ! Vous deviez bien aussiLui donner rendez-vous en autre lieu qu'ici,Et c'est un peu manquer d'adresse et de prudence,Contez-moi vos transports, Dieux le triste silence !Vous ne me dites mot, mais quelle est mon erreur ? Peut-on garder la voix ayant perdu le coeur ? ANDRES. Amour, que ton pouvoir tyrannise nos âmes,Et que de ton flambeau sortent d'étranges flammes ! PRÉCIEUSE. Il est vrai que l'Amour est un étrange Dieu,Il nous prend, il nous laisse, en tout temps, en tout lieu. ANDRES. Que dans ce changement une fille est à craindre. PRÉCIEUSE. Non, non, ne craignez rien, j'aurais tort de m'en plaindre. ANDRES. Que cette affaire, hélas, est fatale à ma foi ! PRÉCIEUSE. Vous y puis-je servir ? Voyez, employez-moi. ANDRES. Dieu ! Quelle est ta malice, ha ! Sois moins soupçonneuse. PRÉCIEUSE. Il le faut avouer, je suis bien malheureuse,Je souffre tout, je m'offre, et le veux consoler,Et pour tant de bontés il me vient quereller. ANDRES. Pardon, tu vois mon âme encore toute agitéeDu menaçant courroux d'une amante irritée. PRÉCIEUSE. Est-ce à moi qu'elle en veut ? J'implore, beau vainqueur,Le pouvoir que l'Amour vous donne sur son coeur,Sauvez-moi du danger que prépare sa rage. ANDRES. Je suis compris aussi dans ce mortel orage,Mais le Ciel m'est témoin si j'ai peur que pour toi, Quoi que cette enragée ait vomi contre moi,Quelques fers qu'à présent me forgent sa malice,Je ne me plaindrais point d'un si proche supplice,Si ce même démon pour croître mes douleurs,Ne voulait t'exposer à de mêmes malheurs ; Je crains que sa menace enfin ne s'effectue,Et c'est ce qui me trouble, et c'est qui me tue,Fuyons, si tu m'en crois, de ce lieu malheureux. PRÉCIEUSE. Fort bien, pour mieux nier vos larcins amoureux.Peut-on couvrir sa faute avec plus d'industrie ? ANDRES. Trêve, trêve, mon coeur à cette raillerie,L'orage dessus nous est tout prêt à crever,Et nous sommes perdus si l'on nous peut trouver. PRÉCIEUSE. Je ne puis croire encore ce projet détestable. ANDRES. Hélas ! Notre malheur le rend trop véritable. PRÉCIEUSE. Dieux ! Que m'apprenez-vous ? ANDRES. Un sanglant désespoir,Mais fuyons j'ois du bruit. PRÉCIEUSE. Que je crains son pouvoir !Courons donc du départ prier le Capitaine,Faut-il qu'à mon sujet vous ayez tant de peine ?Ô Ciel ! Contre ces traits daigne armer notre sein, Ou bien fais avorter ce damnable dessein. SCÈNE V. Hipolite, Le Prévôt, Ses Archers. HIPOLITE. Je bénis ce rencontre à mes yeux favorable,J'allais vous supplier de m'être secourable. LE PREVÔT. En quoi ? Me voilà prêt, et je me sens ravirDu glorieux bonheur de vous pouvoir servir. HIPOLITE. Ces infâmes auteurs de mille fourberiesMe sont venus voler toutes mes pierreries,Et je n'ai point d'espoir de recouvrer ce bien,Que par votre assistance, et par votre moyen. LE PREVÔT. Il faut pour cet effet prendre le Capitaine, Notre exacte recherche autrement serait vaine. HIPOLITE. Un certain entre tous d'assez bonne façon,De tout le voisinage attire le soupçon,On l'a vu qui rodait fort près de notre porte,Et les plus assurés l'ont dépeint de la sorte, Châtain clair, un peu grêle, et le plus haut de tous,Qui semble le plus propre à de semblables coups,Et dont la mine dit qu'il en a bien fait d'autres :Faites-le moi d'abord saisir par un des vôtres,Après, nous fouillerons et sa valise et lui. LE PREVÔT. [Note : Vers 1346, on lit "Ces assés" dans l'édition originale.]C'est assez, ces voleurs rendront tout aujourd'hui.Ne perdons point de temps, l'affaire est d'importance,Allons, c'est ici près, et s'ils font résistance,Sans attendre ma voix, main basse, tuez tout,Du meurtre général mon pouvoir vous absout. SCÈNE VI. HIPOLITE, seule. Je te tiens arrogant, et ta perte arrêtéeVa venger mon amour lâchement rejetée,Ma fourbe par mes mains conduite adroitement, Elle tient dans sa main les joyaux, dont on l'a vue parée.Prépare à ton orgueil un juste châtiment,Et ces joyaux tirés du fond de ta valise Feront selon mes voeux réussir l'entreprise. SCÈNE VII. Andres, Précieuse, La Vieille, Le Capitaine et la troupe d'Égyptiens. LE CAPITAINE. Oui, je trouve à propos d'éviter sa fureur,La femme en se vengeant va jusques à l'horreur,La flamme méprisée allume d'autres flammes,Dans leurs caresses même il faut craindre les femmes, C'est pourquoi que chacun se prépare au départ,Afin de déloger quand il sera plus tard,Nous pouvons cette nuit choisir une retraite,Et les bois en sont une assurée et secrète. PRÉCIEUSE. À quelle extrémité vous ai-je ici réduit ? ANDRES. Ha ! mon coeur, c'est bien moi... LE CAPITAINE. Ne faisons point de bruit,Et ne poursuivez point cette plainte inutile,Je m'en vais cependant faire un tour dans la ville,Afin d'en ramener quelques-uns de nos gens. PRÉCIEUSE. Ainsi rien ne s'oppose à vos soins diligents. ANDRES. Sur nos chastes desseins mon amour se repose. LA VIEILLE. On dit bien vrai, l'épine est proche de la rose. SCÈNE VIII. Le Prévôt, Ses Archers, Hipolite, Le Capitaine et la troupe d'Égyptiens, Andres, Précieuse, La Vieille. LE PREVÔT. Demeurez. Le premier qui fait le moindre effort. LA VIEILLE. Ha bon Dieu ! qu'est ceci ? LE PREVÔT. Je le tue, il est mort.Il faut restituer à cette jeune Dame Ses joyaux qu'on a pris. ANDRES. L'effrontée ! PRÉCIEUSE. Ha ! l'infâme. LE CAPITAINE. Vous peut-elle prouver son accusation ? LE PREVÔT. On ne connaît que trop l'auteur de l'action. HIPOLITE. Oui, voilà mon voleur. ANDRES. Moi ! HIPOLITE. Toi-même en personne,Toi que l'on m'a dépeint, et que chacun soupçonne. ANDRES, la tirant à part, et lui parlant bas. Celle qui m'a prié m'ose-t-elle accuser ?Craint-elle point la honte où je puis l'exposer ? HIPOLITE. Non, non, tout maintenant je veux qu'on me les rende,Ou l'on va t'enchaîner avec toute la bande,Voyez qu'il est rusé : sans faire plus de bruit Je les aurai, dit-il, et devant qu'il soit nuit. ANDRES. Justes Dieux souffrez-vous cette lâche imposture ? HIPOLITE. Son bagage fouillé prouve ma conjecture,Commandez qu'on l'apporte. ANDRES. Oui, qu'on l'aille quérir, Un Égyptien va quérir la malle.Si tout ne m'appartient je consens à périr. PRÉCIEUSE. Que ta fidélité me va coûter de larmes ! ANDRES. Qui croirait tant de ruses avec tant de charmes ? PRÉCIEUSE. C'est l'aspic sous les fleurs. LE PREVÔT. La vue en sera foi. HIPOLITE. Ne fiez, s'il vous plaît, la recherche qu'à moi. LE PREVÔT. Elle vous appartient étant intéressée. LA VIEILLE. Nous n'aurions point ces maux si l'on l'eut caressée. HIPOLITE, voyant l'Égyptien qui revient avec la malle. Apporte ici, mets là, vous verrez si j'ai tortD'accuser ce voleur. ANDRES. Quel titre ! PRÉCIEUSE. Mais quel sort ! HIPOLITE, fouillant la malle. Ne voilà pas déjà mes bracelets, ma chaîne ?Pour découvrir le reste il ne faut point de gêne. ANDRES. Que vois-je ? HIPOLITE. Ton larcin. ANDRES. Dieux que je suis confus ! HIPOLITE. Tu dois bien l'être aussi, si jamais tu le fus,Bon, je tiens mon collier, il faut que tout revienne,Oseras-tu nier que ce bien m'appartienne ? ANDRES. Tout cela ne se fait que par enchantement. HIPOLITE. Il me revient encore un certain diamant,Cherchons bien. PRÉCIEUSE. Juste Ciel fais voir son innocence. ANDRES. C'est de lui seulement que j'attends ma défense. HIPOLITE. Courage, le voici, nous tenons tout. EnfinConfesse qu'avec moi tu n'es pas le plus fin. ANDRES. Oui, je succombe aux trais de ta noire malice. HIPOLITE. Il m'injurie encore. LE PREVÔT. Vite, qu'on le saisisse,Et qu'on le mette aux fers. ANDRES. Écoutez pour le moins. HIPOLITE. Que peut-il alléguer, faut-il d'autres témoins ?Commandez qu'il se taise. ANDRES. Ha monstre que j'abhorre ! Tu m'empêches en vain. UN ARCHER lui donnant un soufflet. Tu discoures encore. PRÉCIEUSE. Ha Dieu, quelle impudence ! ANDRES, le tuant de son épée, qu'il lui tire de son côté. Un soufflet, effronté,Ton sang me vengera de ta témérité. LE PREVÔT. Empêchez. ANDRES. C'en est fait, il est mort. LE PREVÔT. Quoi perfide,À ton larcin encore ajouter l'homicide ! ANDRES. Je n'endurai jamais de semblables affronts. HIPOLITE. Il faut le dépêcher. LE PREVÔT. C'est ce que nous ferons. HIPOLITE. Amis, vengez la mort de votre camarade,Immolez-lui ce traître, et toute sa brigade,Encore sera-ce peu pour contenter son sang. LE PREVÔT. Allons, et que pas un ne sorte de son rang,L'arrêt du Sénéchal fera punir son crime. PRÉCIEUSE. Bourreaux, vous lâcherez cette illustre victime,Et je lui vais conter, lâche, ta trahison. LE PREVÔT. Vous autres, vous aurez mon logis pour prison. HIPOLITE. Je saurai reconnaître un si louable office. LE PREVÔT. Je serai toujours prêt à vous rendre service. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Ferdinand, Isabelle. ISABELLE. Vous voyez bien, Monsieur, par cet événement,Qu'hier je combattais vos bontés justement,Et qu'avec raison mon âme était gênée De la permission que vous aviez donnée :Ces démons que le Ciel eut déjà foudroyés,Si comme un de ses fléaux ils n'étaient envoyés,Ont-ils pu s'abstenir de leur crime ordinaire ?Mais pour ce rare effort comment pourraient-ils faire ? Ils semblent destinés à ce métier honteux,Ils naissent de larrons, sont nourris avec eux,Et du premier moment qu'ils se peuvent connaître,S'efforcent d'imiter ceux dont ils tiennent l'être,Tant ce charme odieux est puissant sur leurs coeurs, Il faut donc l'arracher par d'extrêmes rigueurs,Et qu'un arrêt de flamme en ce jour extermineCes noirs auteurs de maux, de fraude et de rapine. FERDINAND. Madame, il est certain qu'un foudre rougissant[Note : Hydre de Lerne : serpent monstrueux né de Typhon et d'Echidna, séjournait dans les eaux du lac de L'Herne en Argolide. Il avait sept tête, et chacune repoussait à mesure qu'on la coupait, à moins qu'on ne brûlât immédiatement la plaie. Hercule en livrera la terre, c'est un de ses douze travaux. [B].]Devrait exterminer cet hydre renaissant, Encore que tels voleurs, quoi qu'il nous puissent prendre,Par un droit ancien soient quittes pour le rendre :Mais le meurtre jamais ne se doit pardonner,Et l'homicide ouï je le vais condamner. ISABELLE. N'en demeurez pas là, que de rudes supplices Soient aussi préparés pour ses lâches complices ;Une seule entre tous m'excite à la pitié,Et par un tendre instinct gagne mon amitié,Ce charme de nos coeurs, ce jeune astre qui brille,Me fait ressouvenir de notre chère fille, À ce triste penser, coulez, coulez mes pleurs. FERDINAND. Ne renouvelez point nos sensibles douleurs,Et laissons faire au Ciel, dont la toute puissanceDes secrets plus cachés sait donner connaissance. ISABELLE. Hélas ! Depuis douze ans qu'un destin malheureux Nous ravit à Madrid ce gage de nos feux,Au travers des ennuis dont je suis possédée,Cet objet que je plains m'en retrace l'idée.Cela lui doit valoir quelque meilleur parti,Son sort avec ce traître était mal assorti, Pour un plus noble époux elle semble être née. FERDINAND. Comment ? Au criminel elle était destinée. ISABELLE. En m'apprenant son crime on me l'a dit ainsi,Mais dessus ce propos je crois que la voici,Considérez, Monsieur, sa grâce non commune, Et ce front dont l'éclat répugne à sa fortune. FERDINAND. En effet, j'y remarque un air tout glorieux,Laissez faire à mes soins, je la pourvoirai mieux. ISABELLE. La vertu sollicite aujourd'hui pour le vice. FERDINAND. Il la faut écouter. SCÈNE II. Précieuse, La Vieille, Isabelle, Ferdinand. PRÉCIEUSE. Ha ! Monseigneur, justice, Délivrez mon époux, sauvez un innocent,Sa vertu vous en prie, et le Ciel y consent,S'il meurt, je dois mourir, c'est à tort qu'on l'accuse,Le vol qu'on lui suppose est l'effet d'une ruse,C'est un mauvais office, et qui part d'un démon Dont il vous apprendra la malice et le nom,Faites-lui seulement la faveur de l'entendre,Écoutez ses raisons qui le sauront défendre,Et ne vous hâtez pas de juger ce procès,Dont le Ciel par vos soins me promet bon succès. FERDINAND. Ma fille, laisse là l'intérêt d'un perfide,Le vol peut être faux, et non pas l'homicide. PRÉCIEUSE. Il est vrai que son bras l'a vengé d'un affrontQui fait rougir ensemble et sa joue et son front,Il est l'homme d'honneur, et dans son innocence Endurer un soufflet excédait sa puissance :Mais, Monsieur, nous mettons nos biens à l'abandon,Pour obtenir plutôt un si juste pardon,Et si, pour accorder sa grâce à notre envie,Ils ne suffisent pas, j'offre encore ma vie, Qu'on me mette en sa place, et qu'il soit délivré,Il ne saurait mourir tandis que je vivrais,Il vit dedans mon coeur beaucoup mieux qu'en lui-même,Et je suis cause enfin de ce malheur extrême.Mais oyez ses raisons. FERDINAND. Cesse de t'affliger, Oui, tes voeux sont reçus, je vais l'interroger,Demeure cependant pour divertir Madame. ISABELLE. Je chasserai le deuil qui règne dans son âme. FERDINAND. Cette affaire contient des mystères cachés,Il s'en faut éclaircir. PRÉCIEUSE. Hé ! Monsieur, dépêchez. Justes Dieux qui savez le crime et l'innocence !N'ordonnez point la peine à qui souffre l'offense. SCÈNE III. Isabelle, Précieuse, La Vieille. ISABELLE. Ne crains point, Précieuse, approche, baise-moi,Si l'on lui fait faveur, c'est pour l'amour de toi.Tais-toi, sèche tes pleurs, bannis cette tristesse, Tu briseras d'ici la chaîne qui le presse,Et tu sais emporter d'un effort ravisseurCe que ta voix demande avec tant de douceur.Quel charme as-tu sur toi dont la force secrèteT'obtient si promptement ce que ton coeur souhaite ? Par quel aimable sort te fais-tu tant aimer ?Ha ! Ce sont tes beaux yeux qui nous savent charmer,Ta beauté, ton esprit, ta grâce et ton adresseÉlèvent jusqu'au Ciel ton indigne bassesse,Bonne mère, approchez. LA VIEILLE, à part. Dans l'ennui que je sens Quelle nouvelle peur vient troubler tous mes sens ? ISABELLE. Je vois bien qu'en son mal votre âme s'intéresse,Cette fille est à vous. LA VIEILLE. Madame, c'est ma nièce. ISABELLE. Quel âge a-t-elle bien ? LA VIEILLE. Je crois qu'elle a quinze ans,C'est tout ce que j'en sais. Ha ! Discours déplaisants. ISABELLE. Hélas ! C'est à peu près l'âge qu'aurait ma fille,Elle serait ainsi belle, aimable et gentille,Et rien ne semble mieux à ce gage d'Amour,Qu'on nous ravit si jeune à Madrid en plein jour. LA VIEILLE, à part. Dieu ! Qu'est-ce que j'entends ? ISABELLE. Ha, ma chère Constance ! LA VIEILLE, à part. Voilà son même nom. ISABELLE. Montre-moi ta présence,Fais nous voir ta personne, et non pas ton portrait. LA VIEILLE, à part. Ô Ciel ! Pour quelque temps cache encore ce secret. ISABELLE. Mais quel nouveau souci semble accroître ta peine.Parle un peu, réponds-moi. PRÉCIEUSE. Si ma prière est vaine, Madame assurez-vous que je cours au trépas,Puisque de mon époux je veux suivre les pas. ISABELLE. Ha ! C'est trop affecter sa ville destinée,Espère, Précieuse, un plus noble Hyménée,Oui, nous voulons donner en cette occasion Un plus illustre objet à ton affection. PRÉCIEUSE. Sa vertu me contente ainsi que sa naissance,Que puissiez vous, Madame, en avoir connaissance,Je cesserais de craindre, et vous de m'affliger,Voulant porter ici mon esprit à changer. ISABELLE. Mais encore quelle chaîne et si belle et si forteDedans ses intérêts t'engage de la sorte ?A-t-il quelque mérite, et d'autre qualitéQue celle de voler avec subtilité ? PRÉCIEUSE. Ha ! Ne lui donnez point cette honteuse tâche, Il est bien éloigné d'un sentiment si lâche,Puisque quelque trésor qu'on lui vint présenter,Je doute avec raison qu'il voulut l'accepter.Il est riche et content, il est sage et fidèle,C'est d'un homme de bien le plus parfait modèle, Et s'il avait l'honneur d'être connu de vous,Vous vous étonneriez qu'il se fit mon époux. ISABELLE. Quoi, tu veux que son corps enferme une belle âme ? PRÉCIEUSE. Il a le coeur d'un Roi sous cet habit infâme. ISABELLE. Quoi, tu veux faire croire, étant Égyptien, Qu'il est homme d'honneur, qu'il est homme de bien ?Il se voit à ce conte unique en son espèce. PRÉCIEUSE. Aussi l'est-il, Madame, en mérite, en noblesse,Et ce coeur généreux n'eut jamais de second. ISABELLE. Quoi, tu veux anoblir un traître, un vagabond ? PRÉCIEUSE. Il est ce qu'il vous plaît, mais il est honnête homme,Et vous me croirez mieux s'il faut que je le nomme. ISABELLE. Mais il est criminel, et quel que soit son sort,La Justice aujourd'hui doit conclure à sa mort. PRÉCIEUSE. Qu'ai-je ouï, juste Ciel ! Ha ! on âme abattue Cède au cruel effort de ce mot qui me tue :Si j'ai l'honneur encore de plaire à ces beaux yeuxQui surent enchanter un Ministre des Dieux,Si vous daignez comme eux défendre l'innocence,Si votre coeur connaît l'Amour et sa puissance, Si vous avez aimé son joug aimable et doux,Si vous aimez encore votre fidèle époux,Madame, par vos soins, vos bontés et vos charmes,Par ces divines mains que j'arrose de larmes,Par votre cher époux, par mes faibles appas, Que vous me témoignez ne vous déplaire pas,Par votre fille prise en un âge si tendre,Que peut-être le Ciel se prépare à vous rendre,Par cette ressemblance et ce juste rapport,D'âge, d'aspect, de moeurs, et possible de sort, Enfin au nom d'Hymen je demande une grâce,Que la Justice même ordonne qu'on nous fasse,Ne laissez point au vice opprimer la vertu,Mon généreux Andres l'a trop bien combattu,Sauvez-le du danger où l'a mis l'imposture, Mon destin est mêlé dans sa triste aventure,Et s'il succombe aux trais d'une injuste rigueur,Les mêmes trais aussi me perceront le coeur. ISABELLE. Quoi qu'il ait fait pour toi, par là tu le surpasses,Heureux dans son malheur d'avoir tes bonnes grâces, Hé bien, pour t'obliger ; je parlerai pour lui,Modère cependant l'excès de ton ennui. LA VIEILLE, à part. Parlons ; pour seconder une si juste envie,C'est l'unique moyen pour lui sauver la vie.Puis-je espérer, Madame, un pardon ? ISABELLE. Et de quoi ? LA VIEILLE. D'un important larcin que j'ai fait. ISABELLE. Est-ce à moi ? LA VIEILLE. Hélas ! Oui, c'est à vous. ISABELLE. La bonne conscience ! LA VIEILLE. Donnez-moi, s'il vous plaît, un moment d'audience,Et je vous ferai voir ce que je vous ai pris, ISABELLE. Un si nouveau remords étonne mes esprits, Et déjà sur ce point certain désir me presse,Parlez donc. PRÉCIEUSE. Quel espoir vient chasser ma tristesse ? LA VIEILLE. Si l'heureux accident que je vais découvrirNe saurait empêcher qu'on me fasse mourir,Et si votre bonté vainement je réclame, Au moins auparavant, lisez cela Madame,Consultez votre coeur, et voyez bien aussiSi vous reconnaîtrez le collier que voici. ISABELLE. Ô funeste présent que le sort me renvoie,Quelle confusion de douleur et de joie ! Hé bien qu'est devenu cet enfant précieux ?Est-il vivant ou mort ? LA VIEILLE. Demandez-le à vos yeux,Si vous ne l'apprenez de votre fille même,La voilà, parlez-lui. PRÉCIEUSE. Félicité suprême ! ISABELLE. Quoi, c'est là ma Constance ? Hé dites-moi comment, Ne laissez point de doute en mon ravissement. LA VIEILLE. Faites-moi donc l'honneur de m'écouter encore.Je pris cette beauté, que tout le monde adore,À l'âge de trois ans, devers cette saison,À Madrid, en plein jour, et dans votre maison, J'appris secrètement qu'on la nommait Constance,Et fis écrire un mot de chaque circonstance,Afin que quelque jour tout cela pût servirÀ lui rendre les biens que j'osais lui ravir,Et sauver l'un de nous d'une mort violente, Comme l'occasion aujourd'hui s'en présente.Depuis elle a vécu mieux que nous ne faisons,En combattant nos moeurs avec mille raisons,Dont les moindres prouvaient par leur force divineLa gloire et la vertu de sa noble origine. ISABELLE. Est-il vrai ? N'est-ce point un fantôme moqueur ?Mais pourquoi démentir et mes yeux et mon coeur ?Ha ! Je n'en doute plus, viens mon sang, viens ma vieRedoubler le plaisir dont mon âme est ravie. PRÉCIEUSE. Madame, je chéris un bonheur si parfait, D'autant plus que je vois qu'il vous plaît en effet. ISABELLE. Après douze ans d'ennuis et de peine soufferte,Je recouvre en ce jour une si chère perte,Je te revois, ma fille, ha quel contentement !Ô favorable jour, ô bienheureux moment ! Oui, tout confirme ici ces faveurs désirées,J'en vois dessus ton bras des marques assurées,Mon oeil de ce collier reconnaît la façon,Le sang achevé enfin de lever tout soupçon,Ho la, vite quelqu'un. Un valet paraît. Ma fille Égyptienne, Allez dire à Monsieur qu'il quitte tout, qu'il vienne,Ma Constance. PRÉCIEUSE. Madame. ISABELLE. Unique et cher trésor,Approche, baise-moi, que je t'embrasse encore.Mais parmi ces transports, quelle étrange disgrâceD'un reproche honteux diffame notre race ? Deviez-vous l'accorder, sachant sa qualité,Avec un de vos gens, quelle inégalité ? LA VIEILLE. Madame, il est aussi d'une illustre naissance. ISABELLE. Ô Dieux ! LA VIEILLE. Et son nom seul en donne connaissance.L'esprit de votre fille avec sa chasteté, D'un pouvoir glorieux secondant sa beauté,Ont fait naître en plusieurs une amour sans pareillePour cette incomparable et céleste merveille,Mais Don Jean de Carcame est le seul entre tousQue j'ai trouvé plus propre à faire son époux, Et d'hier seulement il est en cette ville. ISABELLE. Ce nom nous est connu, n'est-il pas de Séville ? PRÉCIEUSE. Oui, Madame, et son père en est le Gouverneur. ISABELLE. Ha l'aimable aventure, ha l'insigne bonheur !Sois béni juste Ciel d'un destin si prospère, Que ce rare accident va réjouir ton père ! PRÉCIEUSE. Madame, un doux excès de joie et de plaisirsArrête bien ma voix, et non pas mes désirs. ISABELLE. Que veux-tu ? PRÉCIEUSE. Le pardon pour cette bonne mère,Qui tremble et qui frémit au seul nom de mon père. Faites qu'il s'y contente, apaisez son courroux. LA VIEILLE. Ma bonne Dame, hélas ! Je n'espère qu'en vous. PRÉCIEUSE. Dans quelque étrange sort qu'elle m'ait engagée,D'un vrai soin maternel je lui suis obligée,Joint qu'ayant déclaré ce rapt sans l'y forcer, On doit songer plutôt à la récompenser. ISABELLE. Allez, ne craignez rien. PRÉCIEUSE. Ce n'est pas tout, Madame,Il faut tirer des fers la moitié de mon âme,Hélas ! Songeant aux maux qu'il endure pour moi,Je succombe, je meurs. ISABELLE. Enfin, console toi, Attends cette faveur des bontés de ton père,C'est lui qui te rendra ce noble époux, espère :Ce que tu m'as appris de son extractionLe rend un digne objet de ton affection,Mais le voici. SCÈNE IV. Ferdinand, Isabelle, Précieuse, La Vieille, Un Valet muet. ISABELLE. Monsieur, bénissez l'aventure Qui prépare une histoire à la race future,Qui nous rend notre fille. FERDINAND. Ô Dieux ! Qu'ai-je entendu ? ISABELLE. Qui nous rend ce trésor que nous avons perdu. FERDINAND. Le verrai-je ? ISABELLE. Oui Monsieur, approche ma Constance,Non, non, ne témoignez aucune résistance, Mon esprit sur ce doute est trop bien éclairci,La marque de son bras, le collier que voici,Et ce que dit encore cette carte rouléeDe l'endroit et du temps qu'elle nous fut volée,Vous doivent bien, Monsieur, assurer du bonheur Qui nous la rend si belle, et même avec l'honneur. FERDINAND. Inutiles témoins d'une fille si chère,Cédez à son aspect aux atteintes du père,Oui, je te reconnais espoir de mes vieux jours,Gage si précieux de mes chastes amours, Accours dedans mes bras, viens ça que je t'embrasse. PRÉCIEUSE. Ha Monsieur, que d'honneur succède à ma disgrâce ! FERDINAND. Ô du Ciel et du sort l'incomparable effet !Après tant de faveurs je mourrai satisfait.Mais qui t'a découvert cet étrange mystère ? Ne saurais-je punir l'auteur de ta misère ? LA VIEILLE. Ô Dieux ! Je suis perdue. PRÉCIEUSE. Hé ! Monsieur, par ce nomOu de père ou de fille accordez ce pardon,Voila qui la causa, mais loin d'être punie,Je la dois caresser puisqu'elle l'a finie. ISABELLE. Il est juste, Monsieur. FERDINAND. Madame, rêvez-vous ?èA notre fille encore destiner un épouxUn traître Égyptien, un voleur, un infâme. ISABELLE. Mais fils du Chevalier Don François de Carcame,Qui s'est mis dans leur troupe épris de sa beauté. FERDINAND. Dieux ! que m'apprenez-vous ? PRÉCIEUSE. La pure vérité. FERDINAND. Courez vite quelqu'un dans la prochaine,Et que sans lui rien dire ici l'on le l'amène,S'il est vrai, le pardon vous est tout assuré. LA VIEILLE. Ainsi chacun aura ce qu'il a désiré. FERDINAND. Don François de Carcame ! Ô Ciel ! Quels avantages,Ce noble compagnon d'armes et de voyages,Mon Pylade avec qui j'ai si longtemps vécu,Mon second, avec qui j'ai tant de fois vaincu,Ha comble de plaisir qui n'est point ordinaire ! Oui par l'aspect du fils je me remets le père,Il est ainsi posé, grave, modeste et doux. ISABELLE. Ne désirez-vous pas en faire son époux ?Ne désirez-vous pas en faire votre gendre ? FERDINAND. Si tu l'aimes, ma fille, oui tu peux le prétendre. PRÉCIEUSE. Je n'ai d'amour pour lui dans un si grand bonheurQue ce qu'en doit avoir une fille d'honneur,Une fille portée à la reconnaissanceDes devoirs d'un amant de si haute naissance,Qui méprisant son rang a tout quitté pour moi, S'est fait Égyptien, et m'a donné sa foi. FERDINAND. Ô miracle d'Amour, ô vertu sans pareille ! ISABELLE. Il nous faut achever cette rare merveille,Le voici qu'on amène. PRÉCIEUSE. En quel état odieux. FERDINAND. Que personne à présent ne montre un front joyeux, D'un si parfait bonheur ma voix le veut surprendre. PRÉCIEUSE. Que j'ai peur de sa crainte, ha s'il pouvait m'entendre ! SCÈNE V. Ferdinand, Isabelle, Andres, Précieuse, La Vieille. FERDINAND. Approche scélérat. PRÉCIEUSE. Dieu ! Qu'est-ce j'entends ? FERDINAND. Oui, je veux aujourd'hui rendre tes voeux contents,Devant que de souffrir la mort la plus infâme, À l'Hymen prétendu dispose ici ton âme,M'as-tu pas demandé cette insigne faveur ? ANDRES. C'est le dernier souhait qui parte de mon coeur,Et je mourrai content pourvu que je l'obtienne. FERDINAND. C'est aussi le désir de cette Égyptienne. ANDRES. Sa vertu méritait un destin plus heureux,Et je devais avoir un sort moins rigoureux. FERDINAND. Toi meurtrier, toi voleur. PRÉCIEUSE. Ha Dieu que j'appréhende ! FERDINAND. Toi le plus renommé de cette infâme bandeQue ma juste fureur dût toute exterminer, Pour venger tant de maux, et pour les terminer. ANDRES. Ces reproches honteux commencent mon supplice. FERDINAND. De tes vols pour le moins cette fille est complice. ANDRES. Dites, sans offenser sa générosité,Complice d'innocence et de fidélité. FERDINAND. Ce larron d'Andrès mort, si Don Jean de CarcameSuccède à son bonheur, et la reçoit pour femme. ANDRES. Quoi donc je suis trahi de son affection ? FERDINAND. Elle n'a pu se taire en cette occasion,Mais pour vous témoigner combien je vous honore, Outre la liberté, prenez ma fille encore,Je vois chacun content de cet offre. ISABELLE. En effet,Nous ne pouvons prétendre un gendre plus parfait,Et je ne pense pas que Monsieur le refuse. ANDRES. Si j'ai la liberté, permettez que j'en use. Ce n'est pas que mon sort dans l'honneur de ce choixNe fut trop glorieux de vivre sous ses lois,Mais j'ai déjà donné mon âme à cette belle,Et j'aime mieux mourir malheureux qu'infidèle. FERDINAND. Si son coeur y consent vous ne le serez point, Et nous nous promettons son aveu sur ce point. PRÉCIEUSE. Oui, cet Hymen me plaît, et je vous le conseille. ANDRES. Ô Ciel ! Ha lâcheté qui n'a point de pareille !Quoi tu peux consentir... FERDINAND. Ne vous en fâchez pas,Ma fille est aussi belle, et n'a pas moins d'appâts. Madame, montrez-lui. ISABELLE. Viens ma Constance, approche. PRÉCIEUSE. Quoi vous me refusez ? Ha ! J'ai droit de reproche. ANDRES. Ô Dieux ! FERDINAND. N'en doutez point, et n'appréhendez plus,Vous serez à loisir éclairci là dessus,Oui, c'est ma fille unique, et cette Égyptienne Empêche votre perte en réparant la mienne. ANDRES. Quoi donc je vois finir la rigueur de mon sort ?Je trouve mon salut dans les bras de la mort,Et dans le désespoir la source de ma joie,Que le Ciel me chérit ! Que de biens il m'envoie ! Ha sitôt que je vis cette rare beauté,Je lus bien sur son front en sa haute qualité,Je lus bien dans ses yeux son illustre naissance,Toutes ses actions en donnaient connaissance,Et sans examiner ces témoins superflus, Sa pudique vertu le pouvait encore plus.Mais de ces belles fleurs qui flattent mon estime,Peut-être voulez-vous couronner la victime. ISABELLE. Non, non, un faux appas n'abuse point vos yeux,Au nom de l'Hyménée embrassez-vous tous deux. ANDRES. Mon Soleil. PRÉCIEUSE. Mon espoir. ANDRES. Ma lumière. PRÉCIEUSE. Ma vie. ANDRES. Que mon coeur est content ! PRÉCIEUSE. Que mon âme est ravie ! ANDRES. Enfin je suis à toi doux charme de mes sens. PRÉCIEUSE. Enfin je suis à vous sans attendre deux ans. LA VIEILLE. Le Ciel veuille allonger vos nobles destinées, Une fois pour le moins autant que j'ai d'années. ANDRES. Et vous, pour vous payer ma gloire et votre soin,Puissiez vous jusqu'au bout en être le témoin.Mais en faveur du bien que je prétends vous faire,Ayez soin du blessé dont vous savez l'affaire. LA VIEILLE. Je vous obéirai. PRÉCIEUSE. Je vous en prie aussi. LA VIEILLE. Dès qu'il pourra marcher je vous l'amène ici. FERDINAND. Au reste assurez-vous d'un aveu que j'espère,Étant comme je suis ami de votre père,Joint que l'extraction, les biens, la qualité, Font voir de nos deux maisons dedans l'égalité. ANDRES. Le mal me presse un peu, hâtez ce doux remède. ISABELLE. Un courrier dès demain partira de Tolède. ANDRES. Que je suis redevable à vos rares bontés !Que de joie à la fois ! Que de félicités ! Madame, Amour, Monsieur, mon père, ma maîtresse,À qui premier de vous faut-il que je m'adresse ? FERDINAND. Dieux ! Qui nous vient troubler en ce jour solennel ? SCÈNE DERNIÈRE. Ferdinand, Isabelle, Andres, Précieuse, La Vieille, Le Prévôt, Le Capitaine, et la troupe d'Égyptiens. LE CAPITAINE. Grâce, grâce, Monsieur, il n'est point criminel. FERDINAND. Ne craignez plus pour lui, je sais toute l'affaire, Hipolite en a fait un aveu volontaire. LE PREVÔT. C'est elle qui m'a dit que j'amenasse iciCes gens que vous voyez. FERDINAND. C'était mon ordre aussi,Puisque dans ce pays ils n'ont point fait de crime,Qu'ils aient la liberté dont ils font tant d'estime. LE CAPITAINE. Enfants, reconnaissez la grâce qu'on vous fait,Payez d'une cascade un si rare bienfait,Faites le noble Andres témoin de votre adresse,Et dansez en faveur de sa belle maîtresse. Ici les Égyptiens dansent un petit ballet. UN DE LA TROUPE. Si nous eussions prévu tant de contentement, Nous eussions augmenté ce divertissement. LE SÉNÉCHAL. Allez, vivez contents, rendez grâce à ma fille,Dont vous avez privé si longtemps ma famille,Publiez ce bonheur et nos ravissements,Annoncez la vertu de ces nobles amants, Et que par votre choix voix l'Univers s'entretienneDu destin qu'éprouva LA BELLE EGYPTIENE. ==================================================