******************************************************** DC.Title = L'HÉRITIER RIDICULE OU LA DAME INTÉRESSÉE.. DC.Author = SCARRON, Paul DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:21. DC.Coverage = Espagne DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/SCARRON_HERITIERRIDICULE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k717535 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'HÉRITIER RIDICULE OU LA DAME INTÉRESSÉE. COMÉDIE DÉDIÉE AU PRINCE D'ORANGE. M DC L. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. par Monsieur SCARRON À PARIS, Chez TOUSSAINT QUINET, au Palais, sous la montée de la Cour des Aides.Achevé d'imprimer pour la première fois le 4. Mai 1650. Les exemplaires ont été fournis. Réprésenté pour la première fois le 1 août 1659 au théâtre du Petit Bourbon. ACTEURS. DON DIÈGUE de Mendoce. FILIPIN, ou DON PEDRO de Buffalos, Laquais de Don Diègue. ROQUESPINE, Écuyer de Don Diègue. CARMAGNOLLE, Valet de Don Pedro de Buffalos. DON JUAN BRACAMONT. LÉONOR DE GUSMAN. HÉLÈNE DE TORRES. BÉATRIX, Servante de Léonor. PAQUETTE, Servante d'Hélène. MUSICIENS. La Scène est à Madrid. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Léonor, Béatrix. BÉATRIX. Madame, c'est courir beaucoup, et ne rien prendre, Pour moi, je n'en puis plus, je commence à me rendre, Si vous vouliez un peu regagner la maison, Vous ne feriez pas mal. LÉONOR. Béatrix a raison De se lasser enfin de prendre tant de peine ; Mais elle ne sait pas le sujet qui me mène. BÉATRIX. Vous ne le savez pas aussi. LÉONOR. Je le sais bien ; Mais trop pour mon repos. BÉATRIX. Trop aussi pour le mien, Moi qui croyais marcher des mieux pour une fille, [Note : Mandille : manteau que portaient il n'y a pas longtemps les laquais, qui leur était particulier, et qui les faisait distinguer des autres valets. Il était fait de trois pièces, dont l'une leur pendéit sur le dos, et les deux autres sur les épaules. Quand on veut reprocher à quelqu'un sa basse naissance, on lui dit que son père a porté la mandille, qu'il a été laquais. (Dict. Furetière)]Qui l'aurais disputé contre un porte-mandille : [Note : Aller au pied : Aller bien du pied, aller du pied comme un chat maigre, comme un Basque, être très bon marcheur. (Dict. Littré)]Je confesse pourtant que vous allez du pied Comme moi, pour le moins, voire mieux de moitié ; Pour moi je ne vais plus quasi que d'une fesse ; Car vous ne parlez point, et vous rêver sans cesse. Madame, encore un coup, je ne puis tant aller, Si je n'ai quelquefois le plaisir de parler : Mais pourvu que je parle, et que l'on me répondeJ'irai sans me lasser jusques au bout du monde. LÉONOR. Oui, Béatrix, un peu de conversation, J'y consens, et t'écoute avec attention. BÉATRIX. Discourons donc un peu, mais qu'il ne vous déplaise Du sujet qui vous fait sans carrosse et sans chaise, Sans Écuyer, sans gens, sans suite, sinon moi, [Note : Pavé : Je suis sur le pavé du roi, c'est-à-dire vous n'avez pas le droit de me faire sortir de cette rue ou place publique. (Dict. littré)]Courir le long du jour sur le pavé du Roi. Je ne m'ingère point de condamner la chose Devant que la savoir : mais l'effet qu'elle cause Ma lassitude à part, je ne le puis louer : Car ma chère maîtresse, il vous faut avouer Que depuis quatre jours que vous courez la rue, Et faites malgré moi de la Dame inconnue, Si c'est avec dessein qu'il a mal réussi, Et si c'est sans dessein que les fous font ainsi, Vous ne savez pas bien ma foi ce que vous faites, Que dira-t-on de vous, si l'on sait qui vous êtes ? Vous qui dites toujours, mon Dieu que dira-t-on ? Vous qui dites toujours, le trouvera-t-on bon ? Qui de tout et partout faites la scrupuleuse, Ne redoutez-vous point qu'on vous nomme coureuse, Car ce nom-là vous est (sauf votre honneur) bien dû, Si vous courrez ainsi toujours à corps perdu : Et ne songez-vous point aux langues de vipère, Qui tondent sur un oeuf, qui de tout font mystère ; Les uns diront du moins que vous perdez le sens, Les autres plus, selon qu'ils seront médisants : Moi, qui chéris l'honneur autant, et plus qu'un autre, Que fera-t-on au mien, si l'on s'attaque au vôtre, Puisque l'on dit toujours, tel maître, tel valet ? LÉONOR. Je n'attendais pas tant de ton esprit follet, Mais puisque je te trouve aujourd'hui si morale : Je te veux croire aussi d'une âme assez loyale, Pour apprendre de moi le sujet important, Qui me fait tant courir, et qui te lasse tant ; Écoute donc. BÉATRIX. Vraiment, Madame, si j'écoute, Je choisirais plutôt de ne voir jamais goutte, Que de n'écouter pas un important secret : C'est mon plus grand plaisir, mais j'ai l'esprit discret. LÉONOR. Sache donc, Béatrix, que j'aime. BÉATRIX. Est-il possible ?Je vous en aime mieux, il faut être sensible, Pour moi, je vous croyais plus dure qu'un Rocher : Mais puisque je connais que l'on vous peut toucher, Si pour vous y servir, il ne faut que ma vie, Madame, assurez-vous que vous serez servie. LÉONOR. Mais je suis, Béatrix, malheureuse à tel point, Que j'aime un Cavalier. BÉATRIX. Qui ne vous aime point. LÉONOR. Non, mais qui ne sait pas, que pour lui je soupire. BÉATRIX. Le malheur n'est pas grand, il ne faut que lui dire. LÉONOR. Et comment Béatris ? BÉATRIX. [Note : Il eut été normal de mettre "dirai" et non "dira", mais pour la rime, nous laissons.]C'est moi qui lui dira, Reposez-vous sur moi, Dieu nous assistera, Quand c'est à bonne fin, l'oeuvre n'est pas mauvaise. Ha ! Vraiment, il vaut mieux aimer chaud comme braise, Que haïr son prochain, et lui faire le froid, Madame, il faut aimer ce qu'aimable l'on croit, Et ne prétendre pas aussi pour être aimable, Qu'on ait droit de laisser périr un misérable, [Note : Narcisse : Homme amoureux de sa figure. (...) [L]]Quand votre Amant serait plus fier qu'un Narcissus, J'en viendrais bien à bout, j'en aurais le dessus : Et si je ne tiens pas la chose difficile, Comment trouverait-il qui vous vaille en la ville ? [Note : Rendu : Qui a cédé, qui s'est soumis. Nous comptions ce matin, avant le lever du roi, jusqu'à trente ou trente-trois places prises ou rendues, depuis le deuxième de ce mois, à lui ou à ses alliés, PELLISSON, Lett. hist. t. I (Dict. Littré)]Nommez-le seulement, je vous le rends rendu, Et quand pour son mérite il ferait l'entendu, (Car je ne doute point qu'il n'en n'ait plus qu'un autre, Puisqu'il a le pouvoir d'assujettir le vôtre). Nous avons pour gagner les superbes Amants Des secrets aussi forts que des enchantements : Mais pour vous, que le ciel a faite toute belle, Vous n'avez qu'à jouer un peu de la prunelle ; Vous n'avez qu'à lui faire une fois les yeux doux, Vous le verrez bientôt embrasser vos genoux. Belle, riche d'esprit, noble, avec tous ces charmes, Vous avez des désirs qui vous coûtent des larmes ; C'est à vous bien plutôt à donner des désirs, Qui causent de l'extase, ou bien des déplaisirs : Selon que vous serez en humeur de bien faire, Il sera trop heureux, Madame, de vous plaire. LÉONOR. Ho, ho, la Béatrix, qui t'en a tant appris ? [Note : Pris : Ce dont on s'est rendu maître, qu'on a forcé, emporté, mis en sa main ville prise, chateau rendu. On a ordonné qu'il sera pris et appréhendé au corps. (Dict. Trévoux)]Je ne connaissais pas ton mérite et ton pris, Je ne pensais avoir qu'une simple servante, Et tu t'es découverte une fille savante. BÉATRIX. Je puis parler d'amour, puisque j'en ai tâté, Et vous y puis servir puisque j'en ai traité : Mais depuis un certain, qui mourut à la guerre, Je ne prends plus plaisir aux choses de la terre : Que maudit soit le jour que premier je le vis, Si mon cruel destin ne me l'avait ravi, Je ne me verrais pas une simple soubrette : Mais Dieu l'a bien voulu, sa volonté soit faite ; Parlons de votre affaire, et me contez un peu Comment, quand, et par qui votre coeur a pris feu. LÉONOR. Ce fut un peu devant que nous fussions ensemble ; Dieux ! À ce souvenir, je frissonne, et je tremble, Un jour qu'il fit fort beau, j'allai me promener Aux champs, où j'avais fait apprêter le dîner, J'avais pris avec moi, quatre de mes amies, Après dîner étant toutes cinq endormies, En attendant le frais, laissant passer le chaud, Un effroyable bruit me réveille en sursaut, Je me lève, et ne vois dans la chambre paraître Qu'une épaisse fumée, à travers la fenêtre, Je vois le Ciel en feu, qui me remplit d'effroi : Je tombe évanouie, et si fort hors de moi, Que qui m'eût vue alors, m'eût cru aisément morte, Le feu gagnait déjà l'escalier, et la porte, Ces Dames, qui m'avaient laissée en ce danger, (La peur les avait bien empêché d'y songer) Versaient assez de pleurs, faisaient assez de plaintes, Et je jurerais bien qu'elles n'étaient pas feintes, Offraient assez d'argent, mais à me secourir, Chacun faisait le sourd, de crainte de mourir, Alors qu'un Cavalier conduit par mon bon Ange, Arrive, est informé de ce malheur étrange, Ces Dames en pleurant, lui content mon malheur, Et lui, fut-il jamais de pareille valeur ! Fut-il jamais vertu comparable à la sienne ? Met sa vie en hasard pour secourir la mienne, Saute sans hésiter, de son carrosse en bas, Passe au travers du feu qui ne l'épargne pas, Monte vite en la chambre, ou plutôt il y vole, Cette belle action dehors passe pour folle, On le plaint, on le croit aussi perdu que moi, Lorsqu'on le voit sortir, me traînant après soi, Le poil brûlé, le teint tout noirci de fumée, Il ne s'en alla point tant qu'il me vit pâmée ; Mais sitôt qu'il me vit reprendre mes esprits, Sans que son action reçût le moindre prix, Je confesse en cela que l'on fit une faute, Et par là j'ai bien vu qu'il a l'âme bien haute, Sans se faire de fête, ou se faire valoir, Sans qu'il me soit depuis seulement venu voir, Il s'éloigna de nous, ce bel Ange visible, Juge si j'en reçus un déplaisir sensible, Alors qu'on m'eût appris ce que je lui devais, C'est ce qui m'a réduite au point où tu me vois, C'est ce qui m'a depuis fait verser tant de larmes, Et donné sur mon coeur tant de force à ses charmes, Que rien ne me paraît aimable comme il est, Après lui dans la Cour personne ne me plaît, Soit qu'il soit trop aimable, ou moi trop susceptible D'un amour, qu'à chasser j'ai fait tout mon possible, Car je l'ai vu depuis, cet aimable vainqueur ; Mais je ne l'ai pu voir qu'aux dépens de mon coeur, Mais je ne l'ai pu voir sans en être amoureuse, Et de plus, Béatrix, jalouse, et furieuse ; Ne désapprouve point ces mouvements jaloux Je l'ai vu depuis peu dans l'Église à genoux, Discourant en secret avec une inconnue, Que mon Page suivit jusques dans cette rue, Et c'est pourquoi j'y viens depuis deux ou trois jours, Et ce qui m'y fait faire avec toi tant de tours, Mais j'aperçois venir le plus fâcheux des hommes, Je suis au désespoir, s'il connaît qui nous sommes, C'est un homme choquant, un homme sans raison. BÉATRIX. Entrons sans marchander dedans cette maison, J'en vois sortir, me semble, une femme assez belle. LÉONOR. Mon Dieu ! Sans la connaître. BÉATRIX. Et vous mangera-t-elle ? Allez, allez, Madame, et parlez hardiment, Il ne vous en saurait coûter qu'un compliment. SCÈNE II. Léonor, Hélène, Béatrix. LÉONOR. Madame, n'ayant pas l'honneur de vous connaître Vous n'approuverez pas ma liberté, peut-être, Mais vous ne pouvez pas avoir tant de beauté Que vous n'ayez beaucoup de générosité : Ce Cavalier qui vient me poursuit, il m'importe D'éviter son abord, je crois qu'à votre porte Je rencontre à propos un lieu de sûreté, Où je ne craindrai point son importunité. HÉLÈNE. À votre seul abord, sans voir votre visage, Je vous accorderais encore d'avantage, Approchez-vous, Madame, et ne redoutez rien. SCÈNE III. Don Juan, Léonor, Hélène, Béatrix. DON JUAN. En vain vous vous cachez, je vous reconnais bien, Pourquoi me fuyez-vous, ingrate Léonore ? Ah ! C'est trop maltraiter celui qui vous adore, Et qui pourtant est prêt de se mettre à genoux S'il a pu vous déplaire en courant après vous. LÉONOR. Oui ! Seigneur Don Juan, c'est moi, je le confesse ; Quel plaisir prenez-vous à me fâcher sans cesse ? Pensez-vous emporter par obstination : Ce qu'on ne peut gagner que par affection, Mon humeur, dites-vous est une chose étrange, Quand Dieu vous aurait fait aussi parfait qu'un Ange, Quand il vous aurait fait un objet plein d'appas, Avecque tout cela vous ne me plairiez pas ; De cette aversion, vous demandez la cause, C'est vous seul qui pouvez en savoir quelque chose, Puisque cette cause est, ainsi que je le crois, Et selon l'apparence, en vous plutôt qu'en moi, Pour donner de l'amour, le secret est de plaire, Vous ne me plaisez pas, que pensez-vous donc faire ? Vous m'offrez votre coeur en échange du mien, Pourquoi changer mon coeur, si je m'en trouve bien, Et quand je voudrais bien le changer pour un autre, Êtes-vous assuré que je prisse le vôtre ? Parce que vous m'aimez, vous dois-je aimer aussi. Est-ce bien raisonner que de conclure ainsi ? Vous m'aimez, dites-vous, car je suis bien aimable, Si vous ne m'êtes pas en cela comparable, Si vous n'êtes aimable autant que je le suis ; C'est me demander trop, et plus que je ne puis, Et c'est sur ce sujet tout ce que je puis dire. HÉLÈNE. Je ne vois pas pour vous grande matière à rire : Mais bien à composer de pitoyables Vers Contre la dureté de ce sexe pervers, Contre les cruautés de ces méchantes femmes, Qu'on devrait assommer à grands coups d'épigrammes. DON JUAN. Ah ! Madame, c'est trop avoir de cruauté, Railler un malheureux, c'est une lâcheté ; Mais de ce procédé, quoiqu'il soit bien étrange, Si vous me procurez un regard de mon Ange, Je vous promets, Madame, et je vous le tiendrai, Que comme d'un bienfait je m'en ressouviendrai. LÉONOR. Et mon Dieu, Don Juan, lorsque vous m'aurez vue, Quel plaisir pensez-vous recevoir de ma vue, Je vous regarderai comme un persécuteur. DON JUAN. Est-ce persécuter que de donner son coeur ? LÉONOR. Entendrai-je toujours dire la même chose ? HÉLÈNE. Encore que je sois suspecte en cette cause, Sachez mon Cavalier, qu'aimer sans agrément C'est dépenser son bien très inutilement, C'est n'être pas trop bien avec sa destinée, Et dès ce monde ici vivre en âme damnée, Ce qui de vous étant de près considéré, Laissez Madame en paix, et me sachez bon gré, De vous avoir donné cet avis salutaire. DON JUAN. Je veux suivre un avis au vôtre tout contraire, Et que je plaise, ou non, servir jusqu'à la mort Cette ingrate beauté, de qui dépend mon sort, Le temps pourra changer son humeur de tigresse. LÉONOR. N'espérez rien du temps qu'une triste vieillesse La chute des cheveux, et la perte des dents, Et parce qu'avec vous je passe mal le temps, Et que Madame en est sans doute importunée, Allez pester plus loin contre la destinée. DON JUAN. Madame, l'attendrai plutôt jusqu'à demain, Que je n'aie l'honneur de vous donner la main Jusqu'à votre demeure. LÉONOR. Et moi pour m'en défendre J'espère vous lasser en vous faisant attendre. HÉLÈNE. Vous voulez donc, Monsieur, assiéger ma maison ? DON JUAN. Vous êtes contre moi, Madame. HÉLÈNE. Avec raison. Vit-on jamais user de telle violence ? Si quelqu'un m'avait fait une pareille offense ; Mais je vois Don Diègue, il vient tout à propos. LÉONOR, tout bas. Ha Béatris ! C'est lui qui trouble mon repos, HÉLÈNE. Vous ne voulez donc pas laisser en paix Madame ? DON JUAN. Vous voulez donc qu'un corps s'éloigne de son âme. HÉLÈNE. Je ne puis plus souffrir tant d'incivilité, Don Diègue, de grâce, ayez la charité De vouloir délivrer une Dame assiégée, À quoi je suis aussi par honneur engagée. SCÈNE IV. Don Diègue, Hélène, Don Juan, Léonor, Béatrix. DON DIÈGUE. Et Madame qui donc vous fait la guerre ainsi ? HÉLÈNE. C'est Monsieur. DON DIÈGUE. Don Juan, puis-je croire ceci ? HÉLÈNE. J'étais dessus ma porte, une Dame inconnue, Avecque sa Suivante à la hâte est venue, Se sauver près de moi pour éviter l'abord De Monsieur que voilà, qui la courait bien fort, Il l'aime, à ce qu'il dit, elle ne l'aime guères, Elle lui vient de dire en paroles bien claires, Lui, sans se rebuter de sa sévérité, La veut accompagner contre sa volonté. Son importunité m'a semblé bien étrange ; Et c'est peu respecter ce qu'il nomme son Ange, Je l'ai voulu prier, je n'ai rien obtenu, C'est où nous en étions quand vous êtes venu. DON DIÈGUE. Ah ! Seigneur Don Juan, nous devons tout aux Dames, Les hommes ne sont nés que pour servir aux femmes. DON JUAN. Ce que vous dites là, qui le sait mieux que moi : Mais lorsque j'ai pensé faire ce que je dois, Lui présenter la main pour la mener chez elle, Elle m'a refusé, l'ingrate, la cruelle, Elle a fait l'inconnue, et m'a caché ses yeux, Après deux ans entiers que je brûle pour eux, À la fin la fureur suivra la patience. DON DIÈGUE. Prétendez-vous vous faire aimer par violence ? L'amour se doit gagner, et ne se peut ravir, Si vous le trouvez bon, je m'offre à vous servir, Demain si vous voulez, je lui rendrai visite. DON JUAN. Je suis au désespoir. DON DIÈGUE. Un homme de mérite Doit espérer toujours. DON JUAN. Ah ! L'ingrate beauté A trop peu de justice, et trop de cruauté, J'ai juré de la voir, je ne puis sans offense... DON DIÈGUE. Don Juan, en amour le voeu d'obéissance, Va devant tes serments. Allons. DON JUAN. Je le veux bien, Vous promettez beaucoup, mais je n'espère rien. SCÈNE V. Hélène, Léonor, Béatrix. HÉLÈNE. Il s'en va bien fâché, le pauvre misérable, Vous ne me tiendrez pas une rigueur semblable, Je verrai ces beaux yeux qui lui font tant de mal, Et votre amant s'en va devenir mon rival LÉONOR. Me montrer, ce n'est pas le moyen de vous plaire, Mais vous obéissant, je ne saurais mal faire. HÉLÈNE. Ha ! Vraiment je l'excuse au lieu de le blâmer, Il ne vous a pu voir, et s'empêcher d'aimer, Ou trouvez le moyen de vous rendre invisible, Ou laissez-vous aimer. LÉONOR. Madame, est-il possible ? Lorsque vous me raillez assez visiblement, Que vous gagniez pourtant mon coeur absolument ? Vous m'avez fait, Madame, un plaisir, dont j'espère Me revancher bientôt, et Monsieur votre frère, En éloignant de moi cet Empereur des Fous, S'est acquis dessus moi ce qu'il peut dessus vous. HÉLÈNE. Don Diègue est de soi si fort considérable, Que si j'avais pour frère un Cavalier semblable, Quand cela m'ôterait la plupart de mon bien J'y gagnerais beaucoup. LÉONOR. Il ne vous est donc rien ? HÉLÈNE. Non, mais il tâche assez de m'être quelque chose. LÉONOR. Sa qualité peut-être inégale est la cause, Qu'il aura de la peine à parvenir si haut. HÉLÈNE. Dans sa condition il est bien sans défaut, On n'en saurait non plus trouver en sa personne ; Mais ce n'est pas pour rien aujourd'hui qu'on se donne, Don Diègue est fort pauvre, étant ce que je suis, Je veux vivre en la Cour, sans bien je ne le puis : Mon bien est médiocre, et j'aime la dépense. LÉONOR, tout bas. Ma crainte, et mes soupçons font place à l'espérance. HÉLÈNE. Que dites-vous ? LÉONOR. Je dis qu'en épousant un gueux, Quelque bien que l'on ait, d'un pauvre on en fait deux. HÉLÈNE. Don Diègue est aimable, et son nom est Mendoce, Mais cela ne fait pas bien rouler un carrosse, Un oncle, à ce qu'il dit, Gouverneur au Pérou, Lui garde bien du bien : mais il n'est pas venu, Je n'aime pas le bien qui n'est qu'en espérance, Je l'amuse pourtant de quelque complaisance, Qui ne me coûte guère, et ne m'engage à rien, N'en ai-je pas sujet ? LÉONOR. Ha ! Que vous faites bien, Et que l'on voit souvent des filles abusées, Pour n'être pas ainsi que vous bien avisées ; Mais le plaisir que j'ai de vous entretenir, Dont je veux conserver toujours le souvenir, Et que je dois sans doute à ma bonne fortune, M'empêche de songer que je vous importune, Je prends congé de vous. HÉLÈNE. Faites-moi donc savoir Le nom de la Beauté que j'ai l'honneur de voir, Et dont la connaissance est pour me rendre vaine, Je vous veux aller voir. LÉONOR. Je n'en vaux pas la peine, Pour vous obéir donc, mon surnom est Gusman, Mon nom est Léonor, et je loge à Saint-Jean. HÉLÈNE. Et moi pour vous le rendre en la même monnaie, Hélène de Torrès. LÉONOR. Ce m'est beaucoup de joie, De connaître une Dame en qui la qualité Aussi bien que l'esprit égale la beauté, Je reviendrai bientôt chez vous vous rendre grâce De votre bon secours. HÉLÈNE. Devant que le jour passe Je vous visiterai, Paquette ! SCÈNE VI. Paquette, Hélène. PAQUETTE. Qui va là ? HÉLÈNE. Maraude, osez-vous bien me répondre cela ? Don Diègue a-t-il lu ma lettre ? PAQUETTE. Oui, Madame. HÉLÈNE. Et que vous a-t-il dit ? PAQUETTE. Il vous nomme son âme, Son Ange, son Soleil, son Inclination, Et cent autres beaux mots d'édification, Qui m'ont bien fait pleurer, car je suis un peu tendre, Sans doute je serais personne aisée à prendre, Et qui me parlerait d'une mourante voix, Aurait mon coeur, mon âme, et plus si je l'avais, Quand je vois Don Diègue auprès de vous en larmes, Vous dire cent beaux mots qui sont autant de charmes, Et que je considère aussi d'autre côté Hélène de Torrès, dont il est écouté, Qui ne s'en émeut point, au lieu de satisfaire Aux obligations. HÉLÈNE. Je vous ferai bien taire, Cette coquine-là se mêle de prêcher, Allez dire à quelqu'un qu'on cherche le cocher. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Don Diègue, Roquespine. DON DIÈGUE. Ha ! Je n'ai jamais vu d'homme plus obstiné En son logis pourtant enfin je l'ai mené, Il revenait toujours à la Dame inconnue, Qu'il avait rencontrée au milieu de la rue, Et n'avait pas voulu lui montrer ses beaux yeux, Qu'il appelait ses Rois, ses Soleils, et ses Dieux, Il a fait cent serments qui ne sont pas vulgaires, Il a pris le bon Dieu de toutes les manières, Disant que la beauté, qui le méprise tant, Devait considérer un homme si constant. Il m'a fait le récit de toutes ses prouesses, Et le dénombrement de toutes ses Maîtresses. Et cela pour monter, y joignant les combats À cent contes pour rire, et tout cela fort bas, Quoique nous fussions seuls ; il m'a fait voir en prose Deux discours sur l'État, du ton de Bellerose, M'a récité des Vers, enfin il a tant fait, Que de son sot esprit assez mal satisfait, Et pour dire le vrai de sa personne entière, Je l'ai laissé pestant contre la Dame fière Que je dois visiter pour lui dire qu'elle a Grand tort de le traiter de cette façon-là, Et de plus il m'a fait, bon gré, mal gré, promettre De joindre à ma visite une efficace lettre, Pour rendre cet esprit de Tigre un peu plus doux. ROSQUEPINE. Vous devriez bien plutôt, Monsieur, songer à vous, Et sans vous tourmenter pour le repos d'un autre Travailler tout de bon pour établir le vôtre, [Note : Mener par le bec : mener par le bout du nez, faire faire par autrui ce que l'on désire.]Hélène de Torrès, vous mène par le bec, Met votre coeur en cendre, et votre bourse à sec, Lorsque vous lui parlez de conclure l'affaire, [Note : Matois(e) : rusé, difficile à être trompé, adroit à tromper les autres. [F]]La matoise qu'elle est adroitement diffère, Et jure son grand Dieu, vous faisant les yeux doux, Que si vous l'aimez bien, elle est folle de vous ; Mais que plusieurs raisons qu'elle ne peut apprendre Malgré tout son amour, la font encore attendre, Et moi qui vois bien clair, Monsieur je vous apprends Que le bien de votre oncle est tout ce qu'elle attend, Non que vous déplaisiez à cette dame chiche, Mais elle aime le bien, et vous n'êtes pas riche. DON DIÈGUE. Je serai riche un jour quand mon oncle mourra, Mon Dieu quand mourra-t-il ? ROSQUEPINE. Le plus tard qu'il pourra, Mais je veux qu'il soit mort, vous savez qu'un naufrage Peut vous faire déchoir de cet ample héritage, Et la Flotte qui vient que l'Hollandais attend, Et que le plus souvent vous savez bien qu'il prend, Si Dieu veut qu'elle prenne Amsterdam pour Séville, Vous passerez fort mal le temps en cette ville ; Et je veux qu'on me pende en cas que cela soit, Si chez elle jamais l'ingrate vous reçoit, Toute la subsistance est, peu s'en faut, tarie, Vous sollicitez mal votre Commanderie, Très inutilement vous tirez comme on dit, [Note : Tirer : Fig. Tirer sa poudre aux moineaux, perdre sa peine et son temps. [L]]De la poudre aux moineaux, et donnez à crédit Votre temps, dont jamais on ne vous tiendra compte. Vous en crevez de rire, et moi j'en meurs de honte. DON DIÈGUE. Es-tu mon Pédagogue ou bien mon Gouverneur ? ROSQUEPINE. Je suis votre Écuyer, de plus, homme d'honneur. SCÈNE II. Filipin, Don Diègue, Roquespine. FILIPIN, entre en chantant. Que la Tour de Valladolid tombe sur toi, [Note : Licence poétique, le "e" de tue fait partie du second hémistiche.]Qu'elle tombe, et te tue, que m'importe à moi ? DON DIÈGUE. Ho, ho, c'est Filipin, hé bien quelles nouvelles ? FILIPIN. Desquelles voulez-vous, dites-le-moi, desquelles, Car j'en ai pour pleurer, et pour ne pleurer pas, J'apporte de l'argent, et j'annonce un trépas. DON DIÈGUE. Dis-nous donc ce que c'est. FILIPIN. Je veux qu'on le devine Ou je ne dirai rien. DON DIÈGUE. Ce laquais a la mine De se faire un peu battre. FILIPIN. Et devant que parler, Je veux savoir où peut ma récompense aller, Et si je veux de plus outre ma récompense, Que votre Seigneurie augmente ma dépense. DON DIÈGUE. [Note : Valoir fait : Faire un acte, remplir une formalité pour valoir ce que de raison, faire un acte, remplir une formalité par pure précaution, et pour servir dans l'occasion comme il sera juste et raisonnable. (Dict. Littré)]Hé bien cela vaut fait, dis donc succinctement. FILIPIN. Ce n'est pas là mon compte, il faut absolument Que je parle beaucoup, ou bien que je me taise. DON DIÈGUE. Parle ton saoul. FILIPIN. De plus je demande ma chaise. DON DIÈGUE. Prends en une. FILIPIN. Et de plus quand j'aurai commencé, Si quelqu'un m'interrompt, je veux être offensé, Et qu'on ait là-dessus à me bien satisfaire. DON DIÈGUE. Et qui t'interrompra ? FILIPIN. Ce vieil gobbe clystère, Cet écuyer que Dieu confonde, et qui se rit De tout ce que je dis, et fait du bon esprit. DON DIÈGUE. Je te réponds de tout, commence donc ? FILIPIN. À d'autres, Vous transgressez déjà les conditions nôtres, Ne vous ai-je pas dit ? Et vous le savez bien, Que vous devinassiez, et vous n'en faites rien. DON DIÈGUE. Et si je devinais qu'aurais-tu plus à dire ? Sais-tu bien, gros faquin, que je suis las de rire, Et si tu fais le sot, qu'à grands coups de bâton... FILIPIN. Ho, ho, je vous croyais aussi doux qu'un mouton. Et que Diable vous sert d'avoir lu la Morale ? Vous vous fâchez pour rien, et vous devenez pâle ; Et bien n'en parlons plus, je parle, écoutez-moi. DON DIÈGUE. Je ne t'écoute point, je le saurai sans toi. FILIPIN. Vous ne m'écoutez point ? De grâce à la pareille, Monsieur, accordez-moi l'honneur de votre oreille. DON DIÈGUE. Je veux faire à mon tour quelques conditions. FILIPIN. Faites, je passe tout, hors les contusions, Qui diable vous a dit que c'était là mon tendre ? Je ne veux point parler, alors qu'on veut m'entendre ; Quand on ne le veut plus, j'enrage de parler : Et maintenant, Monsieur, je ne le puis celer : Si vous me défendez de dire mes nouvelles, [Note : Phénix : Oiseau fabuleux, unique en son espèce, qui, disait-on, vivait plusieurs siècles, et qui, brûlé, renaissait de sa cendre. Fig. Personne unique dans son genre, supérieure aux autres. [L]]Vous perdez le Phénix des serviteurs fidèles ; Les discours retenus me pourront suffoquer, Et d'une mort si sotte on se pourra moquer. DON DIÈGUE. N'y retourne donc plus, parle je te fais grâce. FILIPIN. Voulez-vous un discours avec une préface, Et tous les ornements que j'y pourrai donner ? DON DIÈGUE. Dépêche en peu de mots, et sans tant badiner. FILIPIN. Certes il est bien vrai que jamais la fortune... DON DIÈGUE. Ce beau commencement dès l'abord m'importune. FILIPIN. Je vais changer de style, outre la pension, Monsieur, je vous apporte une succession. DON DIÈGUE. Mon cher oncle est donc mort. FILIPIN. Et pour de longues années, Que de femmes partout vous vont être données ! Le franc homme d'honneur que vous avez perdu Le grand bien qu'il vous laisse à Séville rendu ! En est bon témoignage, ô la belle monnaie [Note : Patacon : Monnaie d'argent de Flandre, frappée sous l'archiduc Albert, avec son nom et celui de l'archiduchesse Elisabeth pour légende, et un écusson couronné qui contenait de petits lions. [C]]Que de gros patacons son commis vous envoie ! [Note : Monnayé : part. passé de monnayer. Argent monnayé, se dit par opposition à argent ouvragé ou brut. (Dict. Littré)]En argent monnayé, diamants, et lingots, Cent mille beaux écus, trente jeunes magots, Autant de perroquets, de Cachou plein deux caisses, Bref trois vaisseaux chargés de toutes les richesses Que possédait votre oncle ! Hélas, encore un coup, En gagnant tant de bien, que vous perdez beaucoup ! Mais si vous commandiez qu'on me donnât à boire, Pour m'ôter, si l'on peut, sa mort de ma mémoire, Tandis que vous lirez ce que l'on vous écrit, J'irais me délasser, et le corps, et l'esprit, J'ai bien peur de trouver tout froid dans la cuisine. DON DIÈGUE. Va le faire manger ; et reviens, Roquespine. ROSQUEPINE. Le voilà qui revient. FILIPIN. Monsieur sortant d'ici, Une Dame voilée, et sa servante aussi, Qui ne m'a pas paru non plus qu'elle pourrie, Attend pour vous parler en cette Galerie. DON DIÈGUE. Dis-lui qu'elle entre. FILIPIN. Entrez, Madame, au nez caché Don Diègue est tout seul, et n'est pas empêché. SCÈNE III. Léonor, Béatrix voilées, Don Diègue, Filipin. LÉONOR. C'est comme je le veux. DON DIÈGUE. Elle a fort bonne mine. FILIPIN. La putain de servante a guigné Roquespine. LÉONOR. Monsieur pour un sujet que vous allez savoir, Faites sortir vos gens. DON DIÈGUE. Vous vous ferez donc voir. LÉONOR. Vous n'en serez pas mieux lorsque vous m'aurez vue. FILIPIN. La Dame qui se cache, est ou vielle, ou barbue. DON DIÈGUE. Pour être ainsi, Madame a trop bonne façon, Mais alors qu'on se cache, on donne du soupçon. FILIPIN. Et vous, qui paraissez être la Damoiselle De cette Demoiselle, ou vous n'êtes pas belle, Ou j'ose bien gager que vous ne valez rien, Puisque vous vous cachez aux yeux des gens de bien. BÉATRIX. Et vous, plaisant, ou Fou de Monsieur votre Maître, Muletier ou laquais, car tout cela peut être, Je gage bien plutôt que vous ne valez rien, Puisque vous tourmentez ainsi les gens de bien FILIPIN. Il n'a pas mal parlé, ce visage de crêpe, Ô beauté, qui m'avez piqué comme une guêpe ! Daignez me recevoir pour votre humble frelon, Quoique laquais, je suis favori d'Apollon. LÉONOR. Sortons, sortons d'ici, Don Diègue et sa suite Devaient mieux recevoir ma première visite. DON DIÈGUE. Ha ! Madame, arrêtez, Don Diègue fera (N'en doutez nullement) tout ce qu'il vous plaira. LÉONOR. Commandez donc Monsieur encore un coup qu'ils sortent, Et vous saurez de moi des choses qui vous importent. FILIPIN. Adieu belle inconnue ! BÉATRIX. Adieu vilain connu. FILIPIN. Adieu vieille suivante ? BÉATRIX. Adieu laquais chenu. SCÈNE IV. Léonor, Don Diègue. LÉONOR. Sans employer le temps en discours inutiles, Et sans vous accabler de paroles civiles De la part d'une Dame à qui vous êtes cher, Je suis ici venue exprès pour vous chercher ; Et pour savoir de vous si vous êtes à prendre, Ou si vous êtes pris. Veuillez donc me l'apprendre, Cette Dame a dessein de vous bien marier, En cas que vous soyez un homme à vous lier ; Elle sait votre nom, connaît votre mérite, Et c'est pour cela seul que je vous rends visite. DON DIÈGUE. Je ne vous dirai rien si vous ne promettez De lever votre voile, et montrer vos beautés. LÉONOR. S'il ne tient qu'à cela, vous verrez mon visage, Encore qu'à le cacher, j'aie un grand avantage, Dites-moi cependant si vous aimez ou non. DON DIÈGUE. Volontiers. LÉONOR. Vous aimez. DON DIÈGUE. Oui j'aime. LÉONOR. Tout de bon. DON DIÈGUE. Tout ce qu'on peut aimer. LÉONOR. Et vous aimez. DON DIÈGUE. Hélène; LÉONOR. Hélène De Torrès. DON DIÈGUE. C'est elle qui m'enchaîne. LÉONOR. Et qui se meurt d'amour pour vous. DON DIÈGUE. Qui m'aime bien. LÉONOR. Vous le croyez. DON DIÈGUE. Sans doute. LÉONOR. Et moi je n'en crois rien. DON DIÈGUE. Vous ne le croyez pas ? LÉONOR. Je la sais de sa bouche, Que le bien de votre oncle, et non pas vous, la touche, Et que s'il vous manquait cette succession, Vous n'auriez jamais part en son affection. DON DIÈGUE. Femme qui n'êtes pas sans doute son amie, Qui tâchez d'ébranler ma fortune affermie, En venant m'avertir que l'on ne m'aime pas, Sachez que vous perdez votre temps, et vos pas. Hélène de Torrès m'aime, je le veux croire, Plutôt que les avis d'une Donzelle noire, Dont peut-être l'esprit que l'on ne saurait voir, À son voile est pareil, c'est-à-dire bien noir. LÉONOR. Ne jugez plus de moi par ma noire figure, Mon visage n'est pas de si mauvaise augure. Regardez-moi, Monsieur, s'il vous reste des yeux, Pour d'autres que pour ceux dont vous faites des Dieux. DON DIÈGUE. Ô qu'il est difficile, après vous avoir vue, De se gardez des maux qui suivent votre vue, Et si j'avais encor un coeur à saccager, Madame, qu'avec vous je serais en danger ! Mais, Madame, il me vient, vous ayant regardée De votre beau visage une confuse idée, Il faut bien qu'autrefois il m'ait été connu. LÉONOR. Encore est-ce beaucoup de s'être souvenu D'un visage commun et fait comme le nôtre, Tandis qu'absolument possédé par un autre, On ne vit que pour elle, et l'on songe fort peu À voir par charité ceux qu'on sauve du feu ; Car de civilité l'on n'en espère aucune De qui méprise tout, fors sa bonne fortune. DON DIÈGUE. Femme qui n'êtes pas sans doute son amie, Qui tâchez d'ébranler ma fortune affermie, Oui, Madame, il est vrai : contre vous j'ai péché, Vous me l'avez chez moi justement reproché, En ne vous voyant point, j'en ai fait pénitence, Et j'en ai tout de bon beaucoup de repentance. LÉONOR. En ne me voyant point vous n'avez point souffert : Ce que l'on aime point, sans regret on le perd, Si vous avez de moi la mémoire perdue, Puisqu'à notre mérite elle n'était point due ; Me dire qu'en cela vous avez bien péché, C'est rire à mes dépens, et même à bon marché, Vous adorez des yeux qui vous gardent des nôtres : Mais Seigneur Don Diègue, ouvrez un peu les vôtres. Ne faites pas de moi ce mauvais jugement, De croire qu'à dessein de tromper seulement, Je vienne ici chez vous, vous avertir qu'Hélène Amuse votre amour d'une espérance vaine : D'elle même je sais que son affection Suit seulement l'espoir d'une succession, Que la succession ou tardive ou manquée, Rendra de tous vos soins l'espérance moquée, Et que ce dessein seul fait qu'elle vous reçoit ; Ne doutez nullement que tout cela ne soit. À moi-même, tantôt elle a fait confidence De cette trahison qu'elle nomme prudence, Je suis la Dame même à qui Don Juan Plus funeste pour moi que n'est un chat-huant, A causé le bonheur de se voir dégagée Par vous, lorsqu'il m'avait chez Hélène assiégée. Vous m'obligeâtes moins en me sauvant du feu, Peut-être cet avis vous importune un peu, Ne vous en prenez point à moi, qui vous le donne, Je ne fais qu'obéir à certaine personne, Dame de grand mérite, et qui vous aime assez Pour souhaiter ailleurs vos feux récompensés, Sans votre engagement vous auriez avec elle, Ce que vous n'aurez point avec votre infidèle Elle a six mille écus de rente : en qualité, Elle surpasse Hélène, et peut-être en beauté : Ne considère en vous que votre seul mérite Et là-dessus, Monsieur, je finis ma visite. DON DIÈGUE. Et ne saurais-je point sa demeure et son nom. LÉONOR. Sans le bien mériter, je pense bien que non. DON DIÈGUE. J'irai chez vous l'apprendre. LÉONOR. Et que dirait Hélène ? Non, non, n'y venez pas, je n'en vaux pas la peine. SCÈNE V. Don Diègue, Roquespine, Filipin. DON DIÈGUE. Roquespine, laquais, quelqu'un venez à moi, L'aventure est plaisante, et rare sur ma foi. Savez-vous ce qu'a fait cette Dame voilée ? ROSQUEPINE. Non je sais seulement qu'elle s'en est allée. DON DIÈGUE. Elle a fait ses efforts pour me persuader Qu'Hélène me trahit, que je m'en dois garder, Et que si je veux rompre avec cette infidèle Une autre se présente, et plus riche, et plus belle. ROSQUEPINE. Il n'est rien de plus vrai, je l'ai su depuis peu. DON DIÈGUE. C'est elle qu'une fois je garantis du feu. ROSQUEPINE. La peste qu'elle est belle ! FILIPIN. Et jeune. ROSQUEPINE. Et de plus, riche. FILIPIN. C'est dommage qu'un champ si beau demeure en friche. DON DIÈGUE. Elle parlait pour elle, ou je me trompe fort. FILIPIN. Et prenez-la-moi donc, ou vous avez grand tort, Prenez-la-moi, vous dis-je, et me laisser la peine, De découvrir au vrai l'intention d'Hélène. DON DIÈGUE. Et comment ferais-tu ? FILIPIN. Feignez tout attristé Que votre oncle vous a tout net déshérité, Que ma mère est sa soeur, mariée en Galice, Et que par mon bonheur, ou par mon artifice Lui faisant cent rapports que vous ne valez rien, Le bonhomme en mourant m'a laissé tout son bien. Vous savez qu'à la cour on ne me connaît guère, Que je parle un langage étonnant le vulgaire ; [Note : Phoebus : On dit proverbialement, qu'un homme parle phoebus, lors qu'en affectant de parler en termes magnifiques, il tombe dans le galimatias et l'obscurité. [F]]Et qu'ayant autrefois appris quelque latin, Je sais, quoique laquais, dire sort, et destin ; Parler Phoebus, écrire, en vers ainsi qu'en prose, [Note : Métamorphose : se dit aussi au figuré du changement de moeurs ; d'habits, de condition. [F]]Appliquer bien ou mal une métamorphose, Si malgré mon langage et mine de pédant [Note : Bien et beau : façon de parler adverbiale et populaire, pour dire, Tout-à fait, entiérement. Il refusa bien et beau. [T]]Votre Hélène reçoit le nouveau prétendant, Pour l'espoir des grands biens dont il fera fanfare, Plantez pour reverdir cette maîtresse avare ; Prenez-moi bien et beau Madame Léonor, Et ce sera changer votre argent faux en or. DON DIÈGUE. Bien je veux essayer avec ton stratagème De savoir s'il est vrai que c'est mon bien qu'on aime. FILIPIN. Il faut battre le fer cependant qu'il est chaud, L'héritier Ridicule agira comme il faut. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Hélène, Don Diègue. HÉLÈNE. Mon Dieu ! Ne jurez point, ou véritable ou feinte, Une noire tristesse en votre face est peinte. DON DIÈGUE. Étant auprès de vous, pourrais-je m'attrister ? HÉLÈNE. Contre la vérité voulez-vous contester ? Mais ne saurais-je point le sujet qui vous fâche ? DON DIÈGUE. Ce qu'on ne peut celer, il faut bien qu'on le sache. HÉLÈNE. La flotte a-t-elle fait naufrage ? DON DIÈGUE. Elle est au port Heureusement conduite, et si mon oncle est mort. HÉLÈNE. Qu'est-ce qui vous met en peine ? DON DIÈGUE. En cette lettre Vous verrez un malheur capable de m'y mettre. LETTRE. MONSIEUR, etc.Votre oncle Don Pelage a cassé en mourant le Testament qu'il avait fait en votre faveur, et a fait votre Cousin Don Pedro de Buffalos son héritier universel : Il ne vous laisse que trois cents Ducats de rente durant votre vie : j'ai fait ce que j'ai pu pour vous servir, je n'ai pu rien obtenir du vieillard, auprès de qui on vous a rendu sans doute de très mauvais offices : j'en suis au désespoir, et suis, MONSIEUR, Votre très humble, et très obéissant serviteur George Rinaldi. HÉLÈNE. Vous avez grand sujet de n'être pas content, Et trop de coeur pour vous affliger tant ; Une âme généreuse, et qui n'est pas commune, Est au-dessus des biens que donne la fortune. DON DIÈGUE. Pourvu qu'Hélène m'aime, et me veuille du bien, Les malheurs les plus grands me touchent moins que rien, Sa main mise en la mienne, ainsi que je l'espère ; Car il n'est plus saison que sa bonté diffère De m'accorder bientôt ce sensible bonheur, Dont le retardement blesserait votre honneur : Sa main, dis-je, donnée, et la mienne reçue, Feront qu'en ses desseins la Fortune déçue Me laissera jouir de ce bonheur parfait, Sans me plus tourmenter, comme elle a toujours fait. Ne différez donc plus ce bien incomparable, Faites un homme heureux d'un homme misérable : Achevez ma fortune en public dès demain, Et recevant mon coeur, donnez-moi votre main. HÉLÈNE. Vous pressez un peu trop ce qu'on peut toujours faire, Vouloir être mon Maître, est-ce vouloir me plaire ? Vous m'aimez Don Diègue, au moins, ce dites-vous, J'aime bien Don Diègue, et craint fort un époux : Vous n'avez point de bien, j'aime fort la dépense, Jugez par ce discours de tout ce que je pense. DON DIÈGUE. Vous refusez un bien si longtemps attendu ? HÉLÈNE. Osez-vous vous en plaindre, et vous était-il dû ? DON DIÈGUE. Ô que vous cachiez bien votre âme intéressée ! HÉLÈNE. Ô qu'en vous épousant je serais insensée ! DON DIÈGUE. Je ne le pouvais croire alors qu'on me l'apprit Que vous aimiez le bien. HÉLÈNE. C'est avoir de l'esprit. DON DIÈGUE. Vous en avez beaucoup, mais bien plus d'avarice. Ô que mon beau cousin frais venu de Galice Serait bien votre fait, tout mal bâti qu'il est ! HÉLÈNE. Vous pensez-vous railler ? S'il est riche, il me plaît. DON DIÈGUE. Et ne craignez-vous point de passer pour infâme ? HÉLÈNE. Non, mais je crains bien fort de me voir votre femme. DON DIÈGUE. Je me verrais venger par vous-même, de vous, Si mon sot de Cousin devenait votre époux. HÉLÈNE. S'il n'est pas comme vous accablé de misère, Et non pas comme vous d'une âme peu sincère, Je ne le cèle point, je l'aimerai bien mieux Qu'un incivil, un brave, un pauvre, un glorieux. SCÈNE II. Paquette, Don Diègue, Hélène. PAQUETTE. Madame un Cavalier, ou qui paraît de l'être, Suivi d'un Écuyer bien mieux fait que son Maître, Demande à vous parler, j'ai retenu son nom : Pedro de Buffalos, il se donne du Don, Je croirais pourtant bien en voyant sa personne, Que ce Don a besoin que quelque autre lui donne. DON DIÈGUE. C'est mon Cousin lui-même. HÉLÈNE. Hé bien je le veux voir, Qu'on le fasse monter, je le veux recevoir, Pour vous faire dépit, en homme de mérite. DON DIÈGUE. Dieu veuille que l'amour succède à la visite ! HÉLÈNE. Ô l'étrange figure ! SCÈNE III. Filipin ou Don Pedro de Buffalos, Carmagnolle, Don Diègue, Hélène, Paquette. FILIPIN. Ha, pardon bel objet ! Je pensais bien encore faire un plus long trajet ; J'ai traversé déjà deux salles et deux chambres. Ce logis, Dieu me sauve, a quantité de membres : Que dites-vous de moi, d'oser sans parasol Visiter un soleil, c'est un acte de fol ? Mais dans l'occasion je vais tête première : Quitte pour me saucer un peu dans la Rivière : En quittant vos beaux yeux, qui sont miroirs ardents. Holà, je suis tout seul, Carmagnolle, mes gens, Carmagnolle ! CARMAGNOLLE. Monsieur. FILIPIN. Tiens-moi bien, je palpite ! Ô dangereuse vue ! Ô fatale visite ! [Note : Aquilin(e) : Dans la comédie des Académiciens de Saint-Évremont, acte II, sc. 1, Chapelain dit, à propos d'une ode qu'il revoit et où il a placé le mot aquilin : "Aquilin ne vient pas fort souvent en usage ; Mais il convient au nez du plus parfait visage." Dans la 1re éd. (de 1650), le second vers porte : "Mais c'est un mot de l'art pour faire un beau visage". [L]]Cousin où prends-tu donc l'aquiline valeur, Qui fait que sans ciller, sans changer de couleur, Sans baisser seulement à demi la paupière, [Note : Guigner : Regarder du coin de l'oeil. [L]]Tu la guignes en aigle, une journée entière ? Hélas ! Je ne la vois que depuis un moment, Et je me sens déjà tout je ne sais comment : Mais elle ne dit mot, me semble, cette belle, J'aime les gens d'esprit, dis, Cousin, en a-t-elle ? DON DIÈGUE. Et du plus raffiné. FILIPIN. Je lui rendrai des soins. HÉLÈNE. Si je ne vous dis mot, je n'en pense pas moins. FILIPIN. Je ne prends pas aussi plaisir qu'on m'interrompe ; Vous m'aimez n'est-ce pas ? DON DIÈGUE. Oui, si je ne me trompe. HÉLÈNE. Qui ne vous aimerait ? FILIPIN. Bon, elle le prend bien : Ha, petite civette ! Ha chatte ! Ha petit chien ! Petit chien, ce mot-là pour femme est ridicule. Ha, pardon ! Je voulais vous nommer canicule ; Mais vous avez bon sens, et vous savez fort bien Qu'on nomme également femelle et mâle un chien. Ha, vous m'assassinez de certaines oeillades, Qui ravissent les gens en les faisant malades. Vos yeux m'ont inspiré de certains sentiments, Qui sont fort opposés aux saints commandements. Madame fermez-les, fermez-les ces paupières, Ces assassins qui font enfler les cimetières. Mais ne les fermez point, brûlez, je le veux bien, Brûlez mon pauvre coeur, je n'y prétends plus rien : Vous me gâtez l'esprit, ou la peste me tue, Et ma pauvre raison de désirs combattue M'oblige à vous parler en termes ambigus. Ha, si j'avais cent yeux comme défunt Argus, Ou si j'étais aveugle ainsi que Tirésie, Ou si vous aviez pris assez de malvoisie, Et mangé tant de pain, que Cérès et Bacchus Vous pussent rendre enfin prenable par blocus, Ou si je savais bien ce que je vous veux dire, Ou si j'avais pouvoir de m'empêcher de rire, Comme vous que je vois vos deux lèvres manger, Tant vous avez eu peur de me désobliger ! Mais riez, bel objet, riez si bon vous semble, Et pour vous enhardir, rions, ma belle, ensemble. Ça je vais commencer, rions à l'unissons : Mon Dieu que vous riez de mauvaise façon ! [Note : Guenuche : Petite guenon. Fig. Femme petite et laide. (Dict. Littré)]Hi, hi, hi, hi, hi, hi ; vous riez en guenuche, Adorable beauté qui m'allez rendre cruche : Je dis vos vérités, c'est mon plus grand regret. Si je vous aimais moins, je serais plus discret : Mais vous venez encor, assassinante oeillade, [Note : Estrade : Terme de guerre. Usité seulement en cette locution : Battre l'estrade, courir la campagne, aller à la découverte. [L]]Malgré mes beaux discours sur moi battre l'estrade ! [Note : Matras : Gros trait lancé par l'arbalète. [L], ici sens figuré ; les oeillades sont des flèches.]Hé, trêve de matras, ils sont hors de saison, Et parmi les chrétiens c'est une trahison. Je vous le maintiendrai, merveille des merveilles ! Tout à l'heure en champ clos avec armes pareilles : Mais vous délibérez, et tant délibérer Sur un semblable cas, c'est me désespérer. Hé bien, ma belle, hé bien suis-je en amour novice ? C'est le style d'amour dont on use en Galice. S'il n'est pas à la mode, il le faudra changer ; Pour vous je ferai tout, jusqu'à me fustiger. HÉLÈNE. Je ne veux pas de vous une si rude épreuve. FILIPIN. Si vous me promettiez de n'être jamais veuve, Quoique j'aie un regard de Caton le Censeur, Nous autres Buffalos, savons tous un coup sûr [Note : Génératif : Qui a puissance d'engendrer. La vertu générative qui est dans les semences ne peut pas être connue par les hommes. (Dict. Furetière)]Pour faire des enfants, et la générative Dedans nous, fait la nique à la végétative : Étant génératif plus que végétatif, Il ne tiendra qu'à vous qu'un noeud copulatif, En langage moins fin que l'on nomme hyménée, Ne nous soigne tous deux, et dès cette journée. HÉLÈNE. Connaissons-nous devant, et ne nous pressons point. FILIPIN. Carmagnolle ! CARMAGNOLLE. Monsieur. FILIPIN. Dégrafe mon pourpoint, L'amour qui dans mon coeur chante ville gagnée Excite en mon jabot exhalaison ignée. HÉLÈNE. Vraiment, mon Cavalier, ce terme de jabot [Note : On dit figurément, On l'a vu venir à Paris avec des sabots, en parlant d'un homme, qui d'une origine obscure, ou d'une extrême pauvreté, est parvenu à une fortune considérable. Il est du style familier. [Ac. 1762]]Est un terme fort bas, et qui sent le sabot. FILIPIN. Un homme comme moi peut le mettre en usage : Cousin, approuves-tu ce subit mariage ? Dis, puis-je mieux choisir ? Peut-elle choisir mieux ? DON DIÈGUE. Vous montrez en cela que vous avez bons yeux : Je prends congé de vous, Madame. FILIPIN. Et je demeure Auprès de ce bel Ange. DON DIÈGUE tout bas à Carmagnolle. Elle est prise, ou je meure. FILIPIN. Carmagnolle ! CARMAGNOLLE. Monsieur. FILIPIN. Qu'on me donne un fauteuil, [Note : Guerre à l'oeil : Fig. observer avec soin ce qui se fait afin de profiter des conjonctures. [L]]D'où je puisse aisément faire la guerre à l'oeil Sur ces tétons de lait, amoureuses collines ; Ces deux mondes jumeaux, ces boules assassines, Carmagnolle ! CARMAGNOLLE. Monsieur. FILIPIN. Mon rabat est-il bien ? CARMAGNOLLE. Il est bien. FILIPIN. Et le reste ? CARMAGNOLLE. Il ne vous manque rien. FILIPIN. Carmagnolle. CARMAGNOLLE. Monsieur. FILIPIN. J'en tiens, j'en ai dans l'âme. Carmagnolle. CARMAGNOLLE. Monsieur. FILIPIN. Ne dis plus rien. Madame, Que dites-vous de moi ? HÉLÈNE. Je dis que vous valez Tout ce qu'on peut valoir. FILIPIN. Ha ! Vous me cajolez, [Note : Extravaguer : Dire ou faire quelque chose mal à propos, indiscretement et contre le bon sens, ou la suite du discours, ou la bienséance. Il y a des fous qui discourent bien quelque temps, à la fin on connaît qu'ils extravaguent. [F]]Et moi je dis de vous que déjà j'extravague ; [Note : Naufrague : naufrage, modifié pour la rime.]Enfin que ma raison auprès de vous naufrague. HÉLÈNE. Ce terme est fort nouveau. FILIPIN. Je parle élégamment, Et non pas mon Cousin qui parle bassement ; Écoutez, écoutez, je vais dire, merveilles, Vous ravissez mes yeux, défendez vos oreilles, Si le style est trop haut, je l'accommoderai À votre connaissance, et l'humaniserai. HÉLÈNE. Vous me ferez plaisir, pourvu que je l'entende. FILIPIN. Moitié Zone Torride, et moitié Groenlande, Qui Torride brûlez, Groenlande glacez, Trêve de glace et de feu, c'est assez, c'est assez, De vos regards doubles les forces agissantes Font sur mon pauvre coeur impressions puissantes : Mitigez-les, Madame, ou s'en faudra bien peu, Si vous continuez, que je ne crie au feu. Me voilà tantôt cuit, quoique aussi dur que roche, En donnant seulement encor un tour de broche : Et bien vous en riez ? HÉLÈNE. Tout autant que je puis. FILIPIN. Je divertis toujours les maisons où je suis, Cependant qu'en rêvant mon esprit se repose Carmagnolle ! CARMAGNOLLE. Monsieur. FILIPIN. Raconte quelque chose À Madame, fais-lui quelques contes plaisants, Tels que tu m'en faisais durant mes jeunes ans : [Note : Coyonnerie : Lascheté, poltronnerie. Il a fait cent coyonneries, cent lâchetés, cent bassesses, pour parvenir au poste où il est. [F]]Tu me dis quelquefois mille coyonneries, Qui font crever de rire : et dans tes railleries Tu réussis assez ; mais trêve du prochain, Dis-lui que Don Diègue est pour mourir de faim. Et qu'il a seulement pour sa mère, ma tante, Pour ses soeurs et pour lui, trois cents Ducats de rente, Qu'il ne peut disposer de ces trois cents Ducats, Mais du seul usufruit, ce qui n'est pas grand cas ; Qu'il a perdu ce bien pour mainte et mainte faute, Qu'il pensait tout avoir, et contait sans son hôte, Que pour avoir été par trop Vénérien, Joueur, filou, hargneux ; en un mot un Vaurien. Mon Oncle Don Pelage, ayant appris ces choses, L'a frustré de son bien pour ces trop justes causes, Que ce qu'il m'a laissé vaut en argent comptant Trois cent mille Ducats. CARMAGNOLLE. Et les meubles autant. HÉLÈNE. Vraiment, mon Cavalier, vous êtes donc bien riche ? FILIPIN. Oui, ma belle, et sachez si vous n'êtes pas chiche De ce que je ne veux recevoir que de vous, Que tous mes biens seront en commun entre nous. HÉLÈNE. Refuser un bonheur alors qu'il se présente, C'est n'avoir point d'esprit. FILIPIN. Ce discours me contente, J'ai de plus un procès aussi clair que le jour, Qui sera terminé bientôt en cette Cour, Dont j'attends force bien, c'est une bonne affaire ; Écoutez, et voyez si la chose est bien claire. Mon grand-père, l'honneur de tous les Buffalos Vendit certaine terre au Seigneur d'Avalos. À quelque temps de là cette terre vendue Deux cent mille écus, dont la somme était due À mon oncle, de qui les enfants héritiers S'opposant au décret seulement pour un tiers. Ma tante mariée avec un Aquavive Obtint contre l'arrêt sentence informative : [Note : Lignager : 1° Terme de jurisprudence. Celui qui est du même lignage. 2° Adj. Usité seulement dans cette locution : retrait lignager, action par laquelle un parent du côté du vendeur pouvait reprendre, dans un délai fixé et sauf remboursement, l'héritage vendu. [L]]Par retrait lignager forme opposition, Et reprend tout le bien ; mais par intrusion La chose n'étant pas encore homologuée, Je dis que la cutume est fort mal alléguée, Et que j'y dois rentrer. J'ai su d'un Avocat Que le procès pourtant était fort délicat ; Mais j'ai de bons amis, et je sais la chicane, Trouvez-vous cette affaire obscure ou diaphane ? HÉLÈNE. Je ne l'entends pas bien. FILIPIN. En bonne vérité J'y trouve comme vous beaucoup d'obscurité, Par mon Solliciteur je vous la ferai dire, Carmagnolle ! CARMAGNOLLE. Monsieur. FILIPIN. Approche, sais-tu lire ? CARMAGNOLLE. Oui, Monsieur. FILIPIN. Tu sais combien j'ai de magots ? CARMAGNOLLE. Trente. FILIPIN. Et de perroquets. CARMAGNOLLE. Autant. FILIPIN. Et de lingots ? CARMAGNOLLE. Je n'en sais pas le nombre. FILIPIN. Et l'escarboucle fine. CARMAGNOLLE. C'est un riche trésor, une pierre divine. FILIPIN. Mon Oncle la trouva chez Attabalippa, Elle était à Ganac fils de Gainaccappa, Qui se fit baptiser, et fut appelé George. Foin, ces noms Indiens me font mal à la gorge ; J'ai de fort beaux rubis dont je fais fort grand cas. CARMAGNOLLE. Et deux cents diamants. FILIPIN. Je ne m'en souviens pas. CARMAGNOLLE. Ni moi de ces rubis. FILIPIN. Ce chien de Carmagnolle Se fâche bien souvent pour la moindre parole : Mais je vais recevoir quatorze mille écus. Adieu beaux yeux brillants, dont les miens sont vaincus, Ne vous ennuyez point, belle en charmes fertile, Que nous aurons d'enfants si vous n'êtes stérile ! En cas, cela s'entend, que je sois votre époux. HÉLÈNE. Cela pourrait bien être. FILIPIN. Il ne tiendra qu'à vous. PAQUETTE. Quoi vous voulez, Madame, après un Don Diègue [Note : Galègue : Natif, ou originaire, habitant de Galice en Espagne. [T]]Choisir un Campagnard, et de plus, un Gallégue ? HÉLÈNE. Quand il est question d'établir mon repos M'irai-je embarrasser d'un gueux mal à propos ? PAQUETTE. Un mari jeune et beau, vaut bien la bonne chère : Le plaisir vaut l'argent, j'ai ouï dire à ma mère : Lorsqu'à mes grandes soeurs elle faisait leçon, [Note : Jeune chair et vieux poisson : la chair des jeunes bêtes et celle des vieux poissons sont les meilleures. [L]]Qu'il faut choisir toujours jeune chair, vieux poisson : Dieu veuille avoir son âme, elle en savait bien d'autres. Je me souviens qu'un jour disant ses patenôtres, Elle vint à parler du plaisir de la chair, Où repentir, dit-on, suis toujours le pécher. HÉLÈNE. Hé bien, que diras-tu ? Ne te veux-tu pas taire ? PAQUETTE. Alors que j'ai raison, j'ai bien peine à le faire : Madame, encore un mot, puis après je me tais. HÉLÈNE. Dis en trois si tu veux, et puis me laisse en paix. PAQUETTE. J'accepte le parti ; savez-vous bien, Madame, [Note : Sur mon âme : Familièrement. expression affirmative, c'est-à-dire sur ma vie, mon honneur. [L]]Que ce nouveau galant sentait l'ail, sur mon âme ? HÉLÈNE. Opulent comme il est, moi n'ayant point de bien, Il est bien mieux mon fait, que quelque bon à rien : Je l'aurai dans six mois, de bien fou, fait bien sage, Et changerai bientôt sa mine et son langage. PAQUETTE. Et moi devant six mois je lui ferais porter... HÉLÈNE. Si je prends un bâton, je t'irai bien frotter. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Don Diègue, Léonor. DON DIÈGUE. La chose s'est passée ainsi que je le dis, LÉONOR. Vraiment elle est plaisante, et le tour bien hardi. Je voudrais qu'autrement elle se fût passée, Et je sais ce que peut une femme offensée. DON DIÈGUE. Offensée ou contente, et moi je sais fort bien Que n'étant plus qu'à vous, elle ne tient plus rien. LÉONOR. Je n'ai pas jusqu'ici grand sujet de le croire. DON DIÈGUE. Et moi j'en ai beaucoup de perdre la mémoire D'une avare beauté, qui se moque de moi, Et de vous consacrer mon amour et ma foi. LÉONOR. Le temps découvrira la vérité des choses. DON DIÈGUE. Je vous aime, et la hais pour de trop justes causes, Pour avoir à chercher l'assistance du temps. Si je fus remarquable entre les plus constants Pour les soins assidus d'un immuable zèle, Que ferai-je pour vous, ayant tant fait pour elle ? Que ne ferai-je point, de vous favorisé, Si j'ai tant fait pour elle, en étant abusé ? Mes services rendus, dont maintenant j'ai honte, Selon toute équité doivent entrer en compte Chez l'ingrate, j'ai fait mon approbation, J'aurai de vous le prix de mon affection : Ne différez donc point. BÉATRIX. Votre Madame Hélène Demande à voir Madame. DON DIÈGUE. Et sa fièvre quartaine, Et que vient-elle faire ? LÉONOR. Elle vient vous chercher. DON DIÈGUE. Je ne le pense pas. LÉONOR. Allez tôt vous cacher Dedans mon cabinet. DON DIÈGUE. Que je la donne au diantre, Et du bon de mon coeur. LÉONOR. Cachez-vous donc, elle entre. SCÈNE II. Hélène, Léonor, Paquette. HÉLÈNE. Vous voyez comme quoi je cultive avec soin L'honneur de vous connaître ? LÉONOR. Il n'était pas besoin Pour si peu de sujet de peindre tant de peine : Mais les civilités de la charmante Hélène Sont toutes dans l'excès, et c'est me reprocher Que m'ayant obligée, il fallait rechercher Dès aujourd'hui l'honneur de la voir la première : Accordez un pardon à mon humble prière, Vous verrez par les soins que je veux prendre exprès Qu'il est bon de faillir, pour faire mieux après ; Votre bonté pourtant en m'obligeant m'afflige. HÉLÈNE. Quand on vous fait plaisir, soi-même l'on s'oblige, Pour le peu que j'ai fait tant de remerciement Me fait voir ma faiblesse assez adroitement : Mais si je l'avais pu, j'aurais fait davantage. LÉONOR. L'interprétation sensiblement m'outrage, Je ne conteste pas avec vous de l'esprit : La conversation de l'autre jour m'apprit Combien vous en avez, et que jointe à vos charmes Personne contre vous n'a d'assez fortes armes. BÉATRIX. Madame. LÉONOR, elle parle à l'oreille. Approchez-vous ; est-il déjà là-bas ? BÉATRIX. Oui, Madame. LÉONOR. À l'instant je reviens sur mes pas, Vous me pardonnez bien une faute si grande, C'est un Oncle Tuteur qui là-bas me demande. HÉLÈNE. Nous ne sommes ici que pour vous obéir. LÉONOR. Pour cet acte incivil, vous me devriez haïr : Mais vous excuserez, comme vous êtes bonne, Une nécessité. HÉLÈNE. L'excellente personne Que cette Léonor. PAQUETTE. Chacun en dit du bien. HÉLÈNE. Sa chambre est magnifique. PAQUETTE. Elle n'épargne rien Pour être bien meublée. HÉLÈNE. Approche-toi, Paquette, L'agréable tapis pour être de moquette, Ce cabinet est riche, et plein de bons tableaux. PAQUETTE. Je ne sais s'ils sont bons, mais je les trouve beaux. HÉLÈNE. N'y vois-je pas quelqu'un ? Quel homme pourrait-ce être ? PAQUETTE. C'est un que vous devez, me semble, bien connaître. HÉLÈNE. Mendoce ? PAQUETTE. C'est lui-même. HÉLÈNE. Ha, le traître, c'est lui. Qui l'aurait jamais dit ? PAQUETTE. En sortant aujourd'hui Il paraissait fâché, vous en savez la cause. LÉONOR. Je reviens, mon tuteur ne voulait pas grand-chose : Vous avez mal passé le temps. HÉLÈNE. Vous vous trompez, Les sens ne sont ici que trop bien occupés ; Ce cabinet est plein de peintures fort belles, Qui divertissent bien. LÉONOR. J'en ai de telles quelles. HÉLÈNE. Sont-elles d'Italie ? Et sont-ce originaux ? Vous avez un portrait pourtant pue je tiens faux, Qui fut longtemps à moi, mais je m'en suis défaite : Comment avez-vous fait cette mauvaise emplette ? LÉONOR. Vous y connaissez-vous ? HÉLÈNE. Je m'y connais fort bien. LÉONOR. Ne vous y trompez plus, vous n'y connaissez rien, Le portrait est de prix, et vaut bien qu'on le garde, Une âme généreuse à la bonté regarde, Ne fut-il que passable, étant sans intérêt, Je l'aimerai toujours à cause qu'il me plaît : Aimer pour le profit, c'est être mercenaire. HÉLÈNE. [Note : Courir sur le marché : On dit figurément, Courir sur le marché de quelqu'un, pour dire, Entreprendre sur ce que quelque autre personne a ménagé pour soi. (Ac. 1732)]Courir sur le marché d'un autre, est-ce bien faire ? LÉONOR. Courir après l'argent, ce n'est pas faire mieux. HÉLÈNE. C'est avoir le goût bon. LÉONOR. Et de fort mauvais yeux De mépriser la forme, et choisir la matière. HÉLÈNE. Votre portrait en l'un et l'autre ne vaut guère. LÉONOR. Peut-être en avez-vous tâté, car autrement Vous ne parleriez pas de lui si hardiment. HÉLÈNE. Je ne tâte jamais d'une chose mauvaise. LÉONOR. Vous êtes délicate, et moi je sui bien aise Aux dépens de mon goût de croire en tout honneur Qui dans la vertu seule établit le bonheur. HÉLÈNE. Vous êtes bien parfaite. LÉONOR. Et point du tout avare. HÉLÈNE. C'est trop voir pour un coup une dame si rare. Paquette, suivez-moi. LÉONOR. Je vous visiterai. HÉLÈNE. Vous pouvez mieux passer le temps. LÉONOR. Je vous croirai. Madame encore un mot. HÉLÈNE. Parlez vite, j'ai hâte. LÉONOR. Un portrait de Province en peu de temps se gâte, La plupart en sont faux : sans les bien éplucher, N'en acquérez jamais. HÉLÈNE. Et vous sans le cacher Ne retenez jamais ce qu'il faut que l'on cache. LÉONOR. Votre face est en feu, quelque chose vous fâche. HÉLÈNE. Je rougis, mais de vous. LÉONOR. De moi ? Je le veux bien ; Et moi je ris de vous, pour ne vous devoir rien. BÉATRIX. Ha, Madame, elle enrage. LÉONOR. Et moi je suis ravie, Je ne passai jamais mieux le temps de ma vie ; Mais Don Diègue a tort, il se devait cacher. BÉATRIX. L'aventure est pour rire, et non pour se fâcher. LÉONOR. Don Diègue ! DON DIÈGUE. Madame. BÉATRIX. Elle s'en est allée, Madame l'a, me semble, assez mal consolée De vous avoir perdu. DON DIÈGUE. Comment ? BÉATRIX. On vous a vu. DON DIÈGUE. Ha ! Madame, pardon, surpris au dépourvu, Si jamais je le fus, sans songer à la porte, J'ai gagné votre Alcôve. LÉONOR. Il n'importe, il n'importe ; Je m'en vais vous conter tout ce qu'elle m'a dit :Mais je n'ai rien voulu prendre d'elle à crédit, Je l'ai bientôt payée en la même monnaie. Ô le fâcheux objet que le malheur m'envoie ! Elle s'enfuit dans son Cabinet. Adieu je me retire. SCÈNE III. Don Juan, Don Diègue, Léonor. DON JUAN. Hé, de grâce, arrêtez ; J'ai donc toujours pour moi des incivilités, Et je verrai toujours favoriser les autres ? Mais il m'importe peu, je ne suis plus des vôtres, Vous ne me verrez plus embrasser vos genoux. DON DIÈGUE. J'étais ici venu pour lui parler de vous : Mais j'ai perdu ma peine, elle est toujours la même, Et pour vous sa rigueur, je l'avoue, est extrême. DON JUAN. Il m'est indifférent qu'elle soit douce ou non, J'en veux tout oublier, et, si je puis, le nom, Et c'est là le sujet, qui chez elle m'amène : J'ai dessein de servir cette Madame Hélène, Que vous connaissez tant, et qui la retira Chez elle, quand l'ingrate enfin me déclara Qu'elle ne m'aimait point : depuis cette journée J'ai résolu d'aimer quelque Dame bien née, Et qui reconnaîtra la constance, et la foi D'un homme de mérite, enfin fait comme moi. DON DIÈGUE. Je trouve en ce dessein quelque obstacle, me semble, Un Don Pedre la sert, ils sont fort bien ensemble, Don Pedre est mon cousin, des champs tout frais venu. DON JUAN. Ce que vous voulez dire à moi-même est connu : Mais ce Don Pedre-là n'est qu'une grosse bête. DON DIÈGUE. Il est vrai, mais je sais qu'elle l'a dans la tête, À cause qu'il est riche, elle aime plus le bien Que vertu ni noblesse. DON JUAN. Et moi je n'en crois rien. Ce Don Pedre tantôt lui donne sérénade, L'homme que vous voyez, lui dresse une embuscade. Où je ferai savoir à ce gros paysan, Combien pèsent les coups que donne un courtisan : Nous verrons à ce soir lequel a belle amie. DON DIÈGUE. Vous irez éveiller une Dame endormie, Faire aboyer des chiens, émouvoir le Bourgeois, Faire pleuvoir sur vous des pierres, et du bois. Laissez-là ce Don Pedre, et par mon entremise, Hélène vous sera demain peut-être acquise. Si vous me promettez d'agir d'autre façon : Ce Campagnard Don Pedre, est un mauvais garçon, Et bien qu'il soit d'esprit, et de corps ridicule, Il passe en son pays pour un brave, un Hercule. DON JUAN. Bien s'il est Hercule, et moi j'en serai deux, Démordre d'un dessein, quand il est hasardeux, Je ne le fis jamais, vous perdez votre peine, Il laissera la vie, ou bien l'amour d'Hélène. DON DIÈGUE. Don Juan, croyez-moi, le cas est bien douteux ; Faites plus sagement, attendez le boiteux : Sur le moindre incident, on rompt un mariage. DON JUAN. Et durant ce temps-là, que fera mon courage ? DON DIÈGUE. Je vous en avertis, mon cousin se bat bien ? DON JUAN. Et moi, me bats-je mal ? DON DIÈGUE. Vous n'y gagnerez rien. DON JUAN. Y gagner de l'honneur avec une Maîtresse, N'est-ce pas bien gagner ? Adieu le temps me presse, Je m'en vais de ce pas m'assurer de mes gens. DON DIÈGUE. Je t'étrillerai bien tantôt, malgré tes dents, LÉONOR sort de son Cabinet. Avez-vous entendu ce qu'il m'est venu dire ? DON JUAN. Oui j'ai tout entendu. DON DIÈGUE. Je crois que le bon Sire Avait pris de son vin : il me fâcherait fort, Comme il sera tantôt sans doute le plus fort, S'il battait mon laquais : j'y donnerai bon ordre, Et j'empêcherai bien ce gros mâtin de mordre. Il les fera beau voir, mon valet est poltron, L'autre ne l'est pas moins, pour être fanfaron ! Bon, voilà Roquespine, il vient à la bonne heure. Va quérir une épée, et choisis la meilleure. Prends ma jaque de maille, et ma rondelle aussi, Et reviens vitement me retrouver ici. ROSQUEPINE. Suis-je de la partie ? DON DIÈGUE. Et pourquoi non ? Apporte Ce qu'il faut pour nous battre, et de bonne sorte. ROSQUEPINE. Vous me verrez ici dans un petit moment. LÉONOR. M'aimez-vous, Don Diègue ? DON DIÈGUE. Oui, très assurément. LÉONOR. Ne vous parjurez point, je crois bien le contraire. Puisque vous m'aimez bien, comment pouvez-vous faire De semblables desseins, encore devant moi ? DON DIÈGUE. Je fais voir mon amour, faisant ce que je dois, C'est vous mériter peu que d'être sans courage. LÉONOR. Ô l'étrange discours à quoi l'amour m'engage ! Je rougis, ha ! Mon Dieu, ne me regardez point : J'aime bien Don Diègue, et je l'aime à tel point, Que pour le conserver, je ne veux plus rien dire, Je n'en ai que trop dit : adieu, je me retire. DON DIÈGUE. Ha ! Madame, achevez le discours commencé : Il était obligeant, mais vous l'avez laissé. Puisqu'en si peu de temps vous changez ma fortune ; C'est après avoir plu, signe que j'importune : Je ne le cèle point, d'un tel mal combattu Mon coeur désespéré manquera de vertu. Je redoute bien moins une âme de Tigresse, Que l'inégalité d'une belle Maîtresse. De ce charmant discours, qui vous a détourné ? Il promettait beaucoup, mais il n'a rien donné. LÉONOR. S'il a promis beaucoup, je tiendrai sa promesse, Si j'avais moins d'amour j'aurais moins de faiblesse : Puisque votre courage étonne mon amour, Ne se hasarder point, c'est bien faire sa cour. DON DIÈGUE. Si ce grand Fanfaron par malheur allait battre Mon laquais, il faudrait l'assommer ou combattre ; Je hasarde bien moins, empêchant son dessein. LÉONOR. On ne conserve pas un jugement bien sain, Quand on a de l'amour ; mais souvent le courage L'emporte dessus lui, sans être le plus sage. DON DIÈGUE. Je crains trop de mourir, puisque je vous suis cher : Si je fais jamais rien qui vous puisse fâcher, Ne me souffrez jamais : mais voici Roquespine. LÉONOR. Ha, tout cet attirail de guerre m'assassine ! Ce que vous m'avez dit, ne me peut rassurer, Adieu, cruel, adieu, je me vais retirer ! DON DIÈGUE. Madame, encore un mot. LÉONOR. Non, méchant, je vous laisse, Je ne saurais vous voir sans mourir de tristesse. Elle s'en va. SCÈNE IV. Don Diègue, Roquespine. DON DIÈGUE. Ils s'arment en marchant. Quelle heure est-il ? ROSQUEPINE. Il est bien tard. DON DIÈGUE. Dépêchons-nous, Que j'aurai du plaisir à voir battre ces fous ! ROSQUEPINE. Je sais fort bien que l'un, n'est pas homme à se battre. DON DIÈGUE. [Note : Se faire tenir à quatre : faire le furieux et le méchant, et au fond ne l'être pas beaucoup témoigner en apparence qu'on se veut battre, et au fond n'en avoir pas grande envie. (Dict. Littré)]L'autre ne se fait pas non plus tenir à quatre. ROSQUEPINE. Je vois venir quelqu'un. DON DIÈGUE. Tout beau, c'est Don Juan, Don Juan se cache.Où diable ira nicher ce brave chat-huant, Et comment est-il seul ? ROSQUEPINE. C'est qu'il ne veut rien faire Au salut de son corps qui puisse être contraire, Il ne veut être ici que paisible auditeur. DON DIÈGUE. Il paraissait tantôt l'Ange exterminateur, Chut, j'entends la musique, entrons en cette porte, Ils se cachent. Filipin s'est armé d'une plaisante sorte. SCÈNE V. Filipin ou Don Pedro de Buffalos, Don Diègue, Roquespine, Don Juan, Les Musiciens. FILIPIN. Posons auprès de nous Rondache et Morion, Afin de les trouver en toute occasion :Nous commençons trop tôt, l'heure est, me semble, indue,J'ai peur que la musique étant trop entendue, [Note : Défluxion : Fluxion sur, écoulement d'un liquide, ou, fig. d'une force, d'une vertu, de haut en bas. [L]]Il ne tombe sur nous quelque défluxion, [Note : Profusion : Action de répandre sans modération les libéralités, les dépenses. [L]]Ou se fasse sur nous quelque profusion. Je me sens dedans moi quelque esprit prophétique, Qui m'effraye et me dit, Malheur sur ta Musique ! Les gens de ce quartier ne sont pas endormis, Et tu pourrais trouver ici des ennemis : Mais au nom de Dieu soit, commençons. DON DIÈGUE. Roquespine, Ils s'en vont bien crier, au meurtre, on m'assassine !Va charger Filipin, quand ils auront fini. Je vais à Don Juan rendre le teint terni, [Note : Platassade : mot, semble-t-il, inventé par Scarron, que l'on trouve aussi dans le "Virgile Travesti" du même auteur ; coup d'épée à plat.]Et peut-être donner à son dos platassades. ROSQUEPINE. J'en prétends faire autant aux donne sérénades. FILIPIN. Commençons. DON DIÈGUE. Taisons-nous, ils s'en vont commencer. SÉRÉNADE. Beauté qui m'assassinez, Et dont l'oeil dessus mon coeur s'acharne, Ta lucarne Me devrait montrer ton nez ; Hélas ! Je suis pour lui, Jour et nuit dans l'ennui : Belle aurore Je t'adore, Je t'honore, Exhibe-toi, Ou bien c'est fait de moi. Pour détourner ce méchef, Montre-toi, vénérable Comète, En cornette, Ou bien prends ton couvre-chef, Si ton temporiser Me fait agoniser, Je trépigne, Je rechigne, Je t'échigne, Et dès demain Tu sentiras ma main. [Note : Quinola : Terme du jeu de Reversis et de la petite Prime. C'est ainsi que les Espagnols ont nommé le valet de coeur qui donne avantage à ces jeux-là. Quinola, est aussi un sobriquet qu'on donne à un meneur de Dames, comme un valet de chambre, ou autre homme gagé pour cela ; ce qu'on appelle chez les Grands, Escuyers. [F]]Foi de parfait quinola Notre main n'est pas si téméraire, Que de faire À ton nez, cet affront-là, Non, non, je m'en dédis, Je suis ton Amadis, [Note : Friquet : Espèce de Passerau, ou de Moineau de noyer, qui ne fait que fretiller sur l'arbre becquetant les noix. Se dit aussi d'un jeune galant fort mince, qui n'a que du caquet et de l'afféterie, et rien de solide. On le dit aussi au feminin. Une jeune friquette, une petite friquette. C'est toujours un terme de mépris qui marque la légéreté, l'humeur volage de ceux dont on le dit. [T]]Ma levrette, Ma civette, Ma friquette, Sois douce ou non, Je trouverai tout bon. FILIPIN. Êtes-vous là, charmante étoile poussinière, [Note : Cornette : Sorte de coiffure de femme en déshabillé. Sans nuls atours qu'une simple cornette. [L]]Plus fraîche mille fois que la fleur matinière ? [Note : Escoffion : Ancienne coiffure à l'usage du peuple. [L]]Êtes-vous en cornette, ou bien escoffion, Avez-vous entendu votre brave Amphion ? [Note : Amphion : Fils de Zeus et d'Antiope, poète et musicien.] DON JUAN. Je ne puis plus souffrir. Don Diègue va charger Don Juan, et se retire en son poste. DON DIÈGUE. Demeure, ou je t'assomme. FILIPIN. Hélas ! J'entends du bruit, et si je vois un homme. Roquespine va charger Filipin, et se retire en son poste. ROSQUEPINE. Rends l'épée. FILIPIN. Et le casque, et la rondelle aussi. Mes compagnons sont prêts d'en user tout ainsi : Mais il s'enfuit, courage, il me le faut poursuivre, Pour faire le vaillant. DON JUAN. Le bon Dieu me délivre, D'un dangereux pendard, mais, hélas ! Le voilà. FILIPIN. Ha ! C'est de moi qu'il parle, alors qu'il s'en alla, Je devais ne bouger, comme un homme bien sage. Si j'étais confessé... DON JUAN. J'ai trop cru mon courage. DON DIÈGUE. Les voilà dos à dos, ils ne se feront rien. ROSQUEPINE. Pour faire un homicide, ils sont trop gens de bien. FILIPIN. Hélas, je suis gâté ! DON JUAN. Malheureuse embuscade ! FILIPIN. Si jamais à putain, je donne sérénade... L'épée de Don Juan se choque avec celle de Don Pedro de Buffalos. DON JUAN. Je demande la vie. FILIPIN. Et moi certes aussi, L'ami, fais rien, fais rien. DON DIÈGUE. Cavaliers, qu'est-ce ci, Vous vous entr'assommer ? FILIPIN. Hélas ! Tout au contraire, Nous nous entre sauvons. DON DIÈGUE. Vous ne pouviez mieux faire. FILIPIN. Mon cousin, est-ce vous ? DON DIÈGUE. Moi-même. FILIPIN. Un assassin A bien pensé gâter votre brave Cousin ; Mais certes la valeur qui toujours m'accompagne, À pied comme à cheval, jour et nuit en campagne, Comme dedans la rue, a fait doubler le pas À ce larron d'honneur que je ne connais pas : Ha ! Si je puis voir clair en cette action noire... DON JUAN. Je vais vous révéler le secret de l'histoire. Certain Duc est l'auteur de ce noir attentat, Pour certaines raisons, et d'amour, et d'État. Ce bon Duc, qui n'a pas l'âme des plus guerrières, Qui me craint, et me hait, et que je n'aime guères, Comme je m'amusais après certain concert, [Note : Prendre sans vert : Prendre quelqu'un sans vert, le prendre au dépourvu. [L]]A pensé pour le coup, que j'étais pris sans vert. Il s'est jeté sur moi, suivi de trois ou quatre, Mais je n'ai pas laissé toutefois de les battre, À l'aide de Monsieur, et sans être blessé : Et c'est de la façon que le tout s'est passé. FILIPIN. Et c'est de la façon que l'on ment par la gorge. DON DIÈGUE. C'est être aussi vaillant, que le Cid, que Saint George. DON JUAN. Il prend à part Don Diègue. Vous êtes mon ami, je suis homme d'honneur ; Je vous avais parlé tantôt avec chaleur, Mais j'ai songé depuis que la plus douce voie Est toujours la meilleure, et c'est avecque joie Que renonçant pour vous à mon ressentiment, Suivant votre conseil, j'agirai doucement : Mais vous devez aussi tenir votre promesse, Et voir sans y manquer dès demain ma maîtresse : Vous savez mon mérite, et vous savez mon bien, Et comme en l'épousant, mon bonheur est le sien, Que tout le monde m'aime, ou me craint, ou m'estime : Et qu'étant Espagnol, je suis fils légitime De cette valeur rare, et de tant de vertus, Dont toujours les Héros ont été revêtus. Je vous en dirais plus. Mais vous savez le reste, Et que tout mon défaut est d'être trop modeste, Adieu, je vais chercher encore à dégainer ; Car je n'ai fait, me semble, ici que badiner, Et si je n'ai fourni matière à funéraille, Tant que dure la nuit, je ne dors rien qui vaille. Il s'en va. FILIPIN. [Note : Funérailler : donner de la matière aux funérailles : tuer.]Et moi si l'on pouvait ne point funérailler, Je ne ferais, ma foi, jamais que batailler ; Mais parce que combat engendre funéraille, Alors que je combats, je ne fais rien qui vaille. DON DIÈGUE. Fera-t-il ce qu'il dit ? ROSQUEPINE. Il ne le fera point, [Note : Moule du pourpoint : le corps. Sauver le moule du pourpoint, sauver son corps, sa personne. (Dict. littré)]Le Sire a trop grand soin du moule du pourpoint. DON DIÈGUE. [Note : Estafilade : coupure faite par un instrument tranchant. (Dict. Furetière)]Ô ! Que j'étais tenté par quelque estafilade De punir son orgueil, et sa fanfaronnade ! FILIPIN. C'est le plus grand poltron qui... DON DIÈGUE. L'est-il plus que toi ? FILIPIN. Plus que mille fois. DON DIÈGUE. Sans jurer, je le crois. Or ça, parlons un peu de notre Dame Hélène. FILIPIN. Nous épousons demain. DON DIÈGUE. Demain ? FILIPIN. Chose certaine, Nous avons dès tantôt ordonné des habits, Des esclaves ; carrosse. DON DIÈGUE. Ha ! Ce que tu me dis, Ne peut s'imaginer. FILIPIN. Vous le pouvez bien croire. DON DIÈGUE. Allons, chemin faisant, tu m'apprendras l'histoire. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Filipin ou Don Pedro de Buffalos, Paquette. FILIPIN. Où diable est donc Madame ? PAQUETTE. Elle viendra bientôt. FILIPIN. Ma Paquette ! PAQUETTE. Monsieur. FILIPIN. Le dirai-je tout haut ? PAQUETTE. Puisque nous sommes seuls, vous le pouvez bien dire. FILIPIN. Ma Paquette, sais-tu que j'aime bien à rire ? Ta maîtresse me rend l'esprit tout sérieux, Pour te dire le vrai, je t'aimerais bien mieux. PAQUETTE. Vous vous pensez moquer parmi des Damoiselles, [Note : Lait virginal : cosmétique dans lequel on faisait entrer autrefois le baume du Pérou, le storax, l'ambre et la civette ; on le prépare aujourd'hui en versant goutte à goutte de la teinture alcoolique de benjoin dans de l'eau commune, jusqu'à ce que la liqueur soit parfaitement blanche. (Dict. Littré)]Telles que je puis être, on en voit d'aussi belles Que ces Dames de prix, en qui souvent, dit-on, Blanc, perles, coques d'oeuf, lard et pieds de mouton, Baume, lait virginal, et cent mille autres drogues [Note : Gogue : Nom, dans l'Aunis, d'une grosse cerise blanchâtre. (Dict; Littré)]De têtes sans cheveux aussi rases que gogues, Font des miroirs d'amour, de qui les faux appas Étalent des beautés qu'ils ne possèdent pas. On les peut appeler visages de moquette. Un tiers de leur personne est dessous la toilette ; [Note : Patin : Soulier de femme qui a des semelles fort hautes et pleines de liège, afin de paraître de plus belle taille. (Dict. Furetière)]L'autre dans les patins, le pire est dans le lit : Ainsi le bien d'autrui tout seul les embellit, Ce qu'ils peuvent tirer de leur propre domaine, [Note : Gousset : qui signifie l'aisselle et la mauvaise odeur qui en sort : d'où vient qu'on dit communément, Sentir le gousset, pour dire, Sentir mauvais, à cause des mauvaises humeurs corrompues qui sortent par cette partie quand elle est échauffée. (Dict. Furetière)]C'est chair molle, gousset aigre, mauvaise haleine. Et pour leurs beaux cheveux si ravissants à voir, Ils ont pris leur racine en un autre terroir. Ils sont le plus souvent des plantes transplantées, Qu'on applique avec art sur têtes édentées. FILIPIN. Paquette, ma Paquette, où prends-tu tant d'esprit ? Aimes-tu quelque auteur, lorsque ton oeil me prit, Je te soupçonnais bien d'avoir l'esprit alerte, Mais de l'avoir si bon, Ha ! C'est trop pour ma perte, Je veux rompre aujourd'hui bien plutôt que demain, Avecques ta Maîtresse, et te donner la main ; Mais la voici venir. SCÈNE II. Hélène, Filipin ou Don Pedro de Buffalos, Paquette. HÉLÈNE. Je vous ai fait attendre, Vous me le pardonnez, j'avais visite à rendre À certaine Duchesse, à qui je dois beaucoup. FILIPIN. [Note : Tramontane : L'étoile polaire, qui, avant la découverte de la boussole, servait seule de guide aux navigateurs. [L]]Ma belle Tramontane, hé bien, est-ce à ce coup, Que l'hymen ayant joint Don Pedre, et Dame Hélène, [Note : Congrès : Terme obscène. Action du coït qui se faisait il n'y a pas longtemps par ordonnance d'un Juge écclesiastique en présence de chirurgiens et de aatrones, pour éprouver si un homme était impuissant, aux fins de dissoudre un mariage. (Dict. Furetière)]De leur congrès fécond viendra la digne graine ! Laquelle pullulant en ce puissant État, Soumettra tout le monde à notre Potentat. HÉLÈNE. Puisque votre vertu m'a tout à fait acquise, Ma volonté doit être à la vôtre soumise. FILIPIN. Je n'ai présentement que dix mille Ducats, [Note : Faquin : Crocheteur, homme de la lie du peuple, vil et méprisable. [L]]Un faquin de facteur, dont j'ai fait quelque cas, [Note : Gage : Familièrement. Casser aux gages, retirer à quelqu'un son emploi, ses appointements. [L]]Et que pour sa paresse, il faut casser au gage, Me fait de jour en jour attendre, dont j'enrage : M'écrit, qu'à la monnaie, on agit lentement, À cause que l'on sert le Roi premièrement, Et que son Commissaire enlève de Séville [Note : Patagon : Monnaie de Flandres faite d'argent, qui a valu d'abord 48. s. et depuis 58. s. [F]]Autant de Patagons qu'on fait en cette ville. HÉLÈNE. Cette guerre de Flandre enlève tout l'argent. FILIPIN. Il me promet pourtant d'être plus diligent, Et d'envoyer bientôt une notable somme. Vous pouvez cependant ravir d'aise un pauvre homme Qui ne vit depuis peu que d'expectation, Comme les sots de Juifs font après leur Sion : Hélas ! Dans peu de jours, je vais mourir par braise ! Au lieu qu'un prompt Hymen me fera mourir d'aise. [Note : Tabis : Étoffe de soie unie et ondée, passée à la calandre sous un cylindre qui imprime sur l'étoffe les inégalités onduleuses gravées sur le cylindre même. [L]]Quatre ou cinq mille écus en velours et tabis, Suffiront, ce me semble, à faire des habits, Le carrosse, le train, et tout notre équipage, Se feront à loisir après le mariage ; Lorsque j'aurai reçu la somme que j'attends, Et quelques diamants : au reste je prétends Que les couleurs seront, selon ma fantaisie, Et que l'étoffe aussi sera de moi choisie. HÉLÈNE. Avecque vous, Monsieur, je renonce à mon choix. FILIPIN. Vous aurez douze habits, c'est-à-dire un par mois, Que l'orangé pastel est couleur agréable ! HÉLÈNE. On ne s'habille plus d'une couleur semblable. FILIPIN. [Note : Zinzolin : C'est un nom qu'on donne à une espece de couleur qui tire sur le rouge, dont la teinture est faite du suc d'une plante que les Latins appellent hysginum, dont parle Pline ; et de son diminutif hysginolinum a été fait zinzolin. [L]]Et zinzolin, Madame. HÉLÈNE. Il n'est plus de saison. FILIPIN. J'aime cette couleur qu'on dit, merde d'oison : Elle réjouit l'oeil. HÉLÈNE. Ce n'est donc qu'en Galice. FILIPIN. Une robe de peau, couleur de pain d'épice ; Qu'un drap marbré bien chaud, doublerait pour l'hiver, [Note : Passepoil : Petite bande de satin, ou taffetas de couleur qu'on met sur les coustures d'un habit, et qu'on laisse un peu avancer en dehors pour le relever. [F]][Note : Minime : est aussi le nom d'une couleur trés-sombre, telle que celle que portent ces Religieux. C'est un gris fort obscur en tirant sur le noir ou tanné. [F]]Avec trois passepoils, jaune, minime, et vert, Qui feraient ce qu'on dit, Pistache ou bien Pistage, Serait le vêtement le plus riche d'Espagne. HÉLÈNE. Envoyez-moi l'argent, tout sera bien choisi. FILIPIN. On me fait un pourpoint de velours cramoisi, [Note : Tristamie : Ancien nom de la couleur de pain bis, chez les teinturiers. [L]]Dont les chausses seront de satin tristamie. PAQUETTE. Don Diègue est là-bas. FILIPIN. La fortune ennemie Assez mal à propos m'envoie un importun. HÉLÈNE. Ne le verrez-vous point ? FILIPIN. [Note : C'est tout un : il n'importe, cela est égal. Qu'il m'approuve ou me blâme, ce m'est tout un. [L]]Ce me serait tout un, S'il ne m'avait point fait une supercherie Sous mon nom. Il m'escroque une commanderie, Et retient mes papiers après cet acte noir. Vous me pardonnerez si je ne le puis voir, Il nous faudra sans doute enfin tirer la lame. HÉLÈNE. Entrez dans mon Alcôve. FILIPIN. Et de bon coeur, mon âme, Quand il sera sorti, faites-le moi savoir, Coupez court avec lui. HÉLÈNE. J'y ferai mon pouvoir. SCÈNE III. Don Diègue, Hélène. DON DIÈGUE. Madame, ce n'est pas l'amour qui me ramène : Je perdrais près de vous, et mon repos, et ma peine, Je viens vous proposer un homme pour époux Que vous confesserez être digne de vous, Don Juan Bracamont. HÉLÈNE. Brisons-là, je vous prie. DON DIÈGUE. [Note : Faire la rencherie : s'estimer beaucoup. [O]]Depuis quand faites-vous si fort la rencherie ? Il est riche, Madame. HÉLÈNE. Étant de votre main, Il me serait suspect. DON DIÈGUE. C'est mon Cousin germain, Qui règne en votre coeur comme un clou chasse l'autre. HÉLÈNE. C'est ce que vous voudrez. DON DIÈGUE. Il y va trop du vôtre, De prendre un campagnard tout opulent qu'il est. HÉLÈNE. Tant moins vous l'estimer, d'autant plus il me plaît. DON DIÈGUE. Vous l'aimez donc, Madame ? HÉLÈNE. Et de plus, je l'épouse. DON DIÈGUE. Que le Ciel me faisant d'une humeur peu jalouse, M'a fait un riche don, quoiqu'il m'ait fait sans bien ! HÉLÈNE. Auprès de Léonor, il ne vous manque rien. DON DIÈGUE. Il est vrai ; mais pourtant, je crains qu'elle n'apprenne [Note : Nompareille : se dit en plusieurs arts pour exprimer ce qui y est de plus petit. [L]]Que je suis venu voir la nompareille Hélène. HÉLÈNE. Le péril n'est pas grand pour vous. DON DIÈGUE. Il le serait, Si j'étais assez riche. HÉLÈNE. On vous enlèverait, Si Dieu vous avait fait ce que vous pensez être. DON DIÈGUE. Il m'a fait trop de grâce, en me faisant connaître Que pour vous être cher, il faut n'être pas gueux. HÉLÈNE. Vous diriez bien plus vrai, si vous disiez, fâcheux. DON DIÈGUE. Je me vois sur le point de l'être davantage. HÉLÈNE. Et comment ferez-vous ? DON DIÈGUE. Rompant un mariage. HÉLÈNE. Le mien ? DON DIÈGUE. Le vôtre même. HÉLÈNE. Et quelle autorité Prétendez-vous sur moi ? DON DIÈGUE. C'est par sincérité Que je veux empêcher l'inégal Hyménée, Qui joindrait à ce fat une Dame bien née. Don Buffalos n'est pas tout ce que vous pensez, Vous le croyez bien riche, il ne l'est pas assez. HÉLÈNE. Que vous avez en vain la tête embarrassée ! DON DIÈGUE. Pour vous perdre d'honneur vous êtes bien pressée. HÉLÈNE. Je pourrais aisément me passer de vos soins. DON DIÈGUE. Je n'en aurais pas tant, si je vous aimais moins. HÉLÈNE. Et moi, pour vous montrer combien je vous redoute, Dans une heure au plus tard, je l'épouse. DON DIÈGUE. Sans doute ? HÉLÈNE. Il n'est rien de plus sûr, et je fais plus encor, Nous aurons pour témoins, et vous et Léonor, Il m'est indifférent de quel sens on explique Une bonne action que je rendrai publique. DON DIÈGUE. Elle le sera trop, mais pour la détourner Je saurai malgré vous le remède donner. HÉLÈNE. Joignez à Léonor toute la terre ensemble, J'aurai votre Cousin. DON DIÈGUE. Dites, si bon vous semble, Je vais chez Léonor, pour l'amener ici. HÉLÈNE. Vous enragerez bien tantôt. DON DIÈGUE. Et vous aussi. FILIPIN. Il sort de l'Alcôve. Ha le mauvais parent ! Madame, je vous jure, Si je n'ai eu peur de vous faire une injure, Que j'aurais fait sur lui notable irruption : Mais j'en retrouverai bientôt l'occasion. [Note : Ase : âne.]Au prix de moi, Madame, un lion n'est qu'un ase, [Note : Antipéristase : Action de deux qualités contraires, dont l'une excite la vigueur de l'autre. La moyenne region de l'air est froide en été, et les foudres s'y forment par antiperistase, par le combat du froid et du chaud. [F]]Quand je suis en colère, une antipéristase Me trouble le dedans, la consanguinité Fait la guerre en mon âme, à sa méchanceté. Si je mangeais son coeur, je mordrais en la grappe. Madame, tenez-moi, de peur que je m'échappe. Ne me retenir point, c'est me faire enrager, Que sait-on ? Je ferai bien mieux de ne bouger. Si je l'allais trouver, et qu'il fît résistance, Le malheureux mourrait sans nulle repentance. Comme mes premiers coups ne sont pas jeux d'enfants ; [Note : Orbe : Terme de Chirurgie, qui se dit des coups qui font des contusions, et qui ne viennent pas d'instruments trenchants qui entament la peau. [F]]Mais de ces orbes coups à tuer éléphants. J'ai pourtant grand sujet de me mettre en colère, C'est une passion qui grandement m'altère. Qu'on me presse en un verre, un, deux ou trois limons, J'aime la limonade, elle est bonne aux poumons. Ma chère âme ! HÉLÈNE. Monsieur. FILIPIN. Nous allons faire noce. PAQUETTE. Don Juan Bracamont, Don Diègue, Mendoce, Amènent avec eux Madame Léonor. FILIPIN. N'ont-ils point amené quelques autres encor ? PAQUETTE. Je ne le pense pas. FILIPIN. Bien, que mon cousin monte, [Note : Copulativement : d'une manière conjointe. Manière affectée de dire "et".]Copulativement je m'en vais à sa honte Me joindre aux yeux de tous au trésor de beauté Qu'il ne méritait point, et que j'ai mérité. Paquette, approchez-vous, est-il prêt le Notaire ? PAQUETTE. Oui Monsieur. FILIPIN. Achevons vitement cette affaire, Je suis grand amateur de la conclusion, [Note : Appéter : Terme dogmatique. Désirer. Il ne se dit guère que des désirs qui viennent des causes naturelles. [F]]Et naturellement j'appète l'union. SCÈNE IV. Léonor, Hélène, Don Diègue, Don Juan, Filipin ou Don Pedro de Buffalos, Paquette. LÉONOR. [Note : Conjouir : Il ne se dit qu'avec le pronom personnel. Se réjouir avec quelqu'un d'une bonne fortune qui lui est arrivée, d'une bonne affaire qu'il a faite. (...) Ce mot vieillit, et en sa place on dit "féliciter". [F]]Je viens me conjouir avec la belle Hélène. HÉLÈNE. Ignorant le sujet, qui chez moi vous amène, Si c'est pour m'obliger, ou pour vous divertir, Je ne sais comment je vous dois répartir, De quelle façon donc voulez-vous que j'en use ? FILIPIN. Qui rit à mes dépens, je soutiens qu'il s'abuse, Quatre cent mille fois, quelque chose de plus. LÉONOR. Les éclaircissements sont ici superflus. Nous ne venons ici qu'à dessein de vous plaire, Et de vous obliger. FILIPIN. Vous ne pouvez mieux faire. HÉLÈNE. Je n'attendais pas moins de vous, mais pour Monsieur ? LÉONOR. Vous le connaissez mieux que moi, c'est un rieur, Qui dit d'une façon, et qui pense de l'autre. DON DIÈGUE. Madame, vous savez que je fus toujours vôtre. Attribuez, de grâce, au sensible regret De vous avoir perdue, un discours indiscret, Dont je viens à vos yeux me châtier moi-même, En laissant voir aux miens ravir celle que j'aime : Car ce n'est rien qu'un rapt que l'Hymen inégal De vous, et d'un laquais, qui panse mon cheval. FILIPIN. Ha ! Ne blasphémons point. HÉLÈNE. Vous êtes fou, Mendoce. DON DIÈGUE. [Note : Il faut au lieu de "avec" mettre "avecque" pour le nombre de pieds.]Vous êtes folle, Hélène, avecque votre noce. HÉLÈNE. Don Pedre, endurez-vous ? FILIPIN. Je suis un autre fou. Qui le nie, a menti par sa gorge, ou son cou. HÉLÈNE. Vous n'êtes qu'un laquais ? FILIPIN. Fort à votre service. HÉLÈNE. Quoi, me jouer ainsi ? DON DIÈGUE. C'est vous faire justice. HÉLÈNE. Ha ! Qui me vengera, peut espérer de moi Ce que je puis donner. FILIPIN. Ce ne sera pas moi. HÉLÈNE, à Don Diègue. Indigne de ton ordre, et du nom que tu portes, Qui me vient outrager en tant, et tant de sortes. Tu prétends te jouer avec impunité D'une femme d'honneur, et de ma qualité ? DON DIÈGUE. Aboyer votre saoul, vous ne me pouvez mordre : Vous vous êtes causé vous-même ce désordre ; Vous m'avez abusé par un déguisement. Celui de mon laquais entrepris justement, Au lieu de vous fâcher, doit plutôt vous instruire, Qu'il ne faut pas choisir tout ce qu'on voit reluire. Sachez-moi donc bon gré d'un tour qui vous apprend Qu'à tout esprit qui fourbe, à la fin on le rend : Vous m'avez amusé de vos belles paroles, Vous ne considériez en moi que les pistoles, La pauvreté pour moi vous donna du mépris. Parce que tous les chats durant la nuit sont gris,À notre Filipin vous vous êtes soumise, Vous m'avez pris pour dupe, un laquais vous a prise. Le tour était bien lâche, et je vous l'ai rendu : Mais gagner un laquais, ce n'est pas tout perdu. HÉLÈNE. Ha ! Je me vengerai d'une pièce si rude. DON DIÈGUE. La vengeance n'est pas l'action d'une prude. HÉLÈNE. Ha ! Seigneur Don Juan, de grâce, vengez-moi : C'est le prix où je mets mon amour, et ma foi. DON JUAN. Qui moi, vous épouser ? Vous, une intéressée Que Mendoce a servie, et puis après laissée : Parce qu'elle l'aimait seulement pour le bien, [Note : Féru : Blessé. Il ne se dit qu'en cette phrase burlesque : "Il est bien feru de cette femme", pour dire, "Il en est bien amoureux" : et Son coeur est feru, pour dire, Il est blessé par l'amour. [F]]Qu'un laquais a férue, et prise en moins de rien. Puis pour son pis-aller qui m'a pris, moi la crème, De la Cour de Madrid, moi que tout le monde aime ! Madame, je serais le plus sot des humains, Je ne veux point de vous, et vous baise les mains. DON DIÈGUE. Qui moi, vous épouser ? Vous une intéressée, Chez qui le profit seul règne dans la pensée. Qui m'avez préféré mon laquais travesti, Parce que vous croyiez prendre un meilleur parti ! Ha ! Ne vous flattez plus d'une fausse espérance : Je n'aurai plus pour vous que de l'indifférence. Madame, je serais le plus sot des humains, Je ne veux point de vous, et vous baise les mains. FILIPIN. Qui moi, vous épouser ? Vous une intéressée, Que mon Maître a servie, et puis après laissée ; Et qui me donneriez bientôt du pied au cul, [Note : Quart d'écu : Quart d'écu, ancienne monnaie d'argent, qui valait d'abord quinze ou vingt sous, et qui, plus tard, en a souvent valu davantage. [L]]Lorsque vous me verriez être sans un quart d'écu ! Nous autres Filipins avons trop de courage, Guérissez votre esprit, oubliez mon visage. Madame, je serais le plus sot des humains, Je ne veux point de vous, et vous baise les mains. HÉLÈNE. Elle est dans une chaise, un mouchoir devant les yeux, qui pleure. Je ne manquerai pas de parents en Espagne. LÉONOR. Que vous avais-je dit des tableaux de campagne ? Ne savais-je pas bien qu'ils étaient souvent faux ? Et ne connais-je pas mieux que vous les Tableaux ? HÉLÈNE. Ha ! C'est trop endurer, qu'on me mène en ma chambre. FILIPIN. Qui vous appliquerait de l'or sur chaque membre, C'est un grand lénitif, et que vous aimez fort. DON DIÈGUE. Taisez-vous, Filipin. HÉLÈNE. Ma vengeance ou ma mort, Me mettront en repos, devant que le jour passe. Elle s'en va. DON DIÈGUE. En attendant l'effet de si grande menace, Madame, d'un seul mot vous pouvez bien casser Le rigoureux Arrêt qu'on vient de prononcer. LÉONOR. Si votre droit est bon, je vous ferai justice, Surtout, n'usez jamais envers moi d'artifice : Ne sollicitez point d'autres juges que moi, Et je me souviendrai de ce que je vous dois. DON DIÈGUE. Mon sort dépend de vous. LÉONOR. N'en soyez point en peine ; Mais nous incommodons votre adorable Hélène. Allons dans mon logis, et là je vous dirai Ce que je crois de vous, et ce que j'en ferai. SCÈNE V. Béatrix, Filipin. BÉATRIX. Filipin. FILIPIN. Béatrix. BÉATRIX. Mon tout. FILIPIN. Mon coeur. BÉATRIX. Mon âme, Si tu voulais. FILIPIN. Et quoi ? BÉATRIX. Prendre. FILIPIN. Parle. BÉATRIX. Une femme. FILIPIN. La prendre ? À quel dessein ? BÉATRIX. Pour épouse. FILIPIN. Ha ! Ma foi. Le conseil est fort bon, la connais-je ? BÉATRIX. C'est moi. FILIPIN. [Note : Vade, Vade, retro Satanas : phrase latine, "Va-t-en, va-t-en, en arrière Satan".]Vade, Vade, retro Satanas, qui me tente ! [Note : Table rase : ou table d'attente, lame, planche sur laquelle il n'y a encore rien de gravé. [L]]Mon front ne fut jamais une table d'attente ; Et ne portera point le mystérieux bois [Note : Timbre : se dit figurément en morale de la cervelle d'un homme, ou de son esprit. [F]]Que personne ne voit, et qu'on croit toutefois. [Note : Pécore : Ce mot au sens prorpe signifie un animal, une bête ; mais il est bas et burlesque. Se dit aussi figurémment et burlesquement pour signifier une personne sotte, stupide, et qui a de la peine à concevoir quelque chose. [F]]Je ne veux point avoir un timbre de pécore, Je ne veux point de toi, redoutable Pandore ! [Note : Pandore : Mythologie. Nom qu'Hésiode donne à la première femme. [T]]Moi, te prendre, ha ! Vraiment, c'est moi qui serais pris, Et pour qui me prends-tu, maudite Béatris ? Tu me crois aussi sot que Mendoce mon Maître. Moi j'aurais des enfants, et leur mère à repaître ! Si je suis sans enfants, on dira c'est un sot, Et si j'en fais enfin, ou quelque autre, un marmot. J'aurai neuf mois durant une femme ventrue, Je l'entendrai hurler comme un pourceau qu'on tue. Quand elle mettra bas cet enfant tout mouillé, Non sans avoir longtemps en son ventre souillé, Une sotte dira, c'est le portrait du père ; Un autre, il a les yeux, et le nez de la mère : Puis il faudra baiser un fils, qui sentira Le ventre de sa mère, et ce ventre puera. Il me faudra souffrir une sotte nourrice, Un enfant qui toujours, ou crie, ou tète, ou pisse, Me relever la nuit, pour le faire bercer, Et cela tous les ans, c'est à recommencer. Avoir tous les matins à prier, quelle peine ! De me voir bientôt veuf par une mort soudaine. Au lieu qu'ayant l'esprit content et satisfait, Le front comme d'abord le bon Dieu me l'a fait : Je vais, je viens, je dors, je ris, je bois, je mange, Je fais ce que je veux, sans qu'on le trouve étrange ; La chose est arrêtée, il n'y faut plus penser, Si mes yeux t'ont fait mal, va te faire panser. BÉATRIX. Il s'en veut aller, elle le retient. Arrête, Filipin, que je te désabuse, Moi, t'épouser, crois-tu que je sois assez buse Pour mettre à mes côtés un pareil Damoiseau ? Voyez le beau mari, voyez le bel oiseau, Moi, qui suis de galants jour et nuit recherchée De Bourgeois, Courtisans, Prélats, et gens d'épée, Qui depuis quelques jours sans quelques ennemis, Aurais eu pour époux un opulent commis ; Qui viens de refuser le clerc ou secrétaire [Note : Poulet : signifie aussi un petit billet amoureux qu'on envoye aux Dames galantes, ainsi nommé, parce qu'en le pliant on y faisait deux pointes qui representaient les ailes d'un poulet. [F]]D'un riche président : gros vilain, va te faire Cent fois plus honnête homme, et lors j'aviserai, Par pitié seulement, si je t'épouserai. J'ai reçu depuis peu deux gros poulets d'un Comte, [Note : Coucher en joue : ne pas perdre de vue une personne ou une chose sur laquelle on a quelque dessein. [L]]Un Duc me couche en joue, et j'en fais peu de compte. [Note : Ni demi : avec un substantif qui précède, sans rien absolument de la chose dont il s'agit. [L]]Un jeune abbé, qui n'est ni prêtre ni demi, S'offre de m'épouser, ou d'être mon ami : Il me fit l'autre jour don d'une porcelaine, Et je t'épouserais ? C'est ta fièvre quartaine. FILIPIN. Arrête, Béatrix, elle s'en va, ma foi, [Note : Quant-à-moi : ou le quant-à-soi, l'indépendance, la fierté qu'on se réserve. [L]]Je devais bien aussi faire du quant à moi, M'a-t-elle ainsi quitté par dépit ou par ruse ? [Note : Foin : Interjection. Terme de repentir et d'indignation, qu'on dit, lors qu'on a fait quelque chose qui déplaît, contre celui qu'on accuse d'en être cause. [F]]Foin, j'enrage d'avoir tout ce qu'on me refuse, Mon Dieu, que l'on est sot, alors que l'on est beau ! Il faut que là-dessus je lui fasse un Rondeau. ==================================================