******************************************************** DC.Title = LE JODELET DUELLISTE, COMÉDIE. DC.Author = SCARRON, Paul DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:21. DC.Coverage = Espagne DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/SCARRON_JODELETDUELISTE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k73873j DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE JODELET DUELLISTE. COMÉDIE M DC XLVI. de Monsieur SCARRON À Rouen, et se vend À PARIS, Chez GUILLAUME DE LUYNE, Libraire Juré, au Palais, en la Gallerie des Merciers, à la Justice.Achevé d'imprimer pour la seconde fois, le 10. Mai 1648. Réprésenté pour la première fois en 1646 au théâtre de l'Hôtel de Bourgogne. ACTEURS. DON DIEGO GIRON, fiancé avec Hélène, et amoureux de Lucie. DON FÉLIX DE FONSEQUE, amoureux de Lucie. DON GASPARD DE PADILLE, fanfaron, amoureux d'Hélène et de Lucie. DON PEDRO D'AVILA. DON SANCHE, oncle de Dorothée. HÉLÈNE. LUCIE. BÉATRIX, suivante d'Hélène et de Lucie. JODELET, serviteur de Don Félix. DON ALPHONSE, serviteur de Don Diego Giron. La Scène est à Tolède. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Don Flix, Jodelet. DON FÉLIX. Ah ! Je t'étrillerai sur le ventre et partout ; Maroufle, tu mets donc ma patience à bout ? Vit-on jamais valet d'une audace pareille ? Tu me veux conseiller ; et moi je te conseille De ne t'ingérer plus à donner des avis, Qui seront mieux payés, qu'ils ne seront suivis. JODELET. Conseillant bien... DON FÉLIX. Poursuis, parle, corrige, cause, Trouve à redire en moi jusqu'à la moindre chose, Et tu verras encor si je frappe bien fort. JODELET. Lorsque vous me frappez vous avez toujours tort ; Et moi toujours raison, quand je reprends vos fautes. N'importe, c'est à faire à perdre quelques côtes ; Me dussiez-vous casser un bras, voire le cou, Toutes et quantes fois que vous ferez le fou, En vrai valet d'honneur, je prétends vous reprendre. Faites mieux, payez-moi, je suis prêt de vous rendre Le pompeux vêtement que m'avez donné, Où votre Seigneurie a si bien lésiné, Qu'avec un galon vert qu'elle a fait coudre en onde, Elle estime son train le plus leste du monde. DON FÉLIX. Dis-moi, maître coquin, qui veux aussi railler, T'ai-je pris pour valet, ou bien pour conseiller ? JODELET. Vous m'avez pris pour dupe, et trompé par la mine. Néron qui fit mourir feu sa mère Agrippine, (À ce que m'en ont dit gens qui le savent bien,) Paraissait être bon, et fi ne valait rien. Cela s'adresse à vous, Don Félix de Fonseque. DON FÉLIX. De la part de Néron, sache, Monsieur Sénèque, Qu'un valet qui conseille, au lieu d'être écouté, Mérite bien souvent de se voir bien frotté, De même que mon bras a tantôt su bien faire, Et saura bien encor, si tu ne te sais taire. JODELET. Êtes-vous résolu de ne recevoir pas Mes conseils ? DON FÉLIX. Oui, sans doute. JODELET. Allons tout de ce pas, Donnez-moi de l'argent et que je me retire. DON FÉLIX. Quoi, tu veux de l'argent ? JODELET. Il ne faut point tant rire, Je veux être payé. DON FÉLIX. Ma foi, c'est pour ton nez, Après tant de conseils insolemment donnés, Et que j'ai tous soufferts sans me mettre en colère, Je t'apprends que c'est toi qui me dois du salaire. JODELET. Je suis embarrassé si jamais je le fus ; Servir sans rien gagner, ou ne conseiller plus. DON FÉLIX. Si ton maudit esprit à conseiller te porte, Tu n'auras rien de moi de ta vie. JODELET. Il n'importe, À donner des conseils je vais bien m'égayer. DON FÉLIX. Et moi pareillement, à ne te point payer. JODELET. Mes gages, adieu donc ; et vous notre Prudence, Fournissez-moi toujours conseils en abondance, Car j'en ai grand besoin, vu le Maître que j'ai. Ça, je vais commencer. DON FÉLIX. Non, non, tout est changé, Ne me conseille point, et prends double salaire. JODELET. Je me tiens au marché que nous venons de faire ; J'aime mieux conseiller. DON FÉLIX. Prends ce que tu voudras, Tout mon bien si tu veux, et ne conseille pas. JODELET. Aux dépens de mon bien, aux dépens de mes gages, Si je puis, moi pécheur, par conseils bons et sages, En vous jusques ici qui n'avez valu rien, Faire voir seulement l'apparence du bien, Je serai trop heureux, et jamais aucun Maître Ne se verra servi, comme vous l'allez être. DON FÉLIX. Il y va trop du mien dans ces conditions. JODELET. Et du moins laissez-moi faire des questions. DON FÉLIX. Bien, fais-en tout ton saoul. JODELET. Mon Maître, à la pareille ; Ne me payez jamais, et que je vous conseille, Vous aimez bien l'argent. DON FÉLIX. Ah ! C'est trop raisonner. JODELET. Bien, bien, n'en parlons plus, je vais questionner. D'où vient que tout objet vous devient une idole ? Qu'à la belle, à la laide, à la sage, à la folle, À jeune, à vieille, à veuve, à femme ayant mari, À fille à marier, d'un langage fleuri Vous allez jour et nuit demandant du remède ? Et que vous a donc fait ce beau sexe à Tolède, Que vous voulez ainsi l'exterminer par feu ? Et de grâce, Seigneur, épargnez-les un peu. La fille de dix ans, et la sexagénaire, (Chose que devant vous personne n'a vu faire,) Ont en vous un Amant qui leur fait les yeux doux, Et vous leur en voulez, à cause (dites-vous) Que l'une en sait beaucoup, et l'autre n'en sait guères, Et des rares beautés, et des beautés vulgaires, Je vois qu'également vous vous sentez féru ; Il faut (ce que de vous je n'aurais jamais cru) Que vous soyez, sans doute, un fourbe très insigne. Mais d'un homme d'honneur, cette vie est indigne. Et quoi, vous assiégez jour et nuit des maisons ? Contre la chasteté brassant des trahisons, Vis-à-vis d'un Balcon, ou d'une jalousie, Vous faites jour et nuit l'homme qui s'extasie ? À l'Église, où l'on doit seulement prier Dieu, Vous n'allez qu'à dessein d'y mettre tout en feu ? Là vos yeux travaillant à faire femmicides, Tantôt sont vus mourants, et de larmes humides ? Tantôt jetant le feu comme miroirs ardents, Vont sur les pauvres coeurs, flèches de feu dardants ? Comme on ne blesse pas toujours ce que l'on tire, Je vois quelques beautés qui ne s'en font que rire. De celles-là, Monsieur, le nombre est bien plus grand, Que de celles de qui le coeur à vous se rend ; Et je vois bien souvent que toute l'énergie, De ces traits raffinés de la blanche Magie, Opèrent moins pour vous, pauvre amoureux transi, Que pour moi qui m'en ris, et bien d'autres aussi, Si les réflexions qui sans cesse me viennent... DON FÉLIX. Ce faquin dit souvent des choses qui surprennent, Tu devais seulement faire des questions, Et tu me fais ici des prédications. N'importe, tu m'as pris en humeur de t'apprendre Pourquoi de tous côtés je me laisse ainsi prendre. Écoute ; mais surtout grande discrétion. JODELET. J'écoute ; mais surtout nulle digression ; Je hais les longs discours. DON FÉLIX. Tu te veux faire battre, Tu t'émancipes trop. JODELET. Je n'en veux rien rabattre, Je fais des questions, vous me l'avez permis. Répondez donc, mon Maître, et soyons bons amis. DON FÉLIX. Cher ami, nous vivons trop à la familière. JODELET. Quand un valet sert bien, un valet ne craint guère : Songez à ma répondre, au lieu de contester. DON FÉLIX. Je n'y gagnerais rien, il le faut contenter. Quand tu vois que d'amour, je soupire et je pleure, Ne crois pas pour cela, cher ami, que j'en meure ; À toutes quelquefois tu penses que j'en veux, Au diable si je suis de pas une amoureux : Quand j'offre à des beaux yeux mon âme en sacrifice, C'est moins par passion que j'aime, que par vice ; Je deviens amoureux, et si je n'aime rien ; Lorsqu'on me traite mal, lorsqu'on me traite bien, En l'un et l'autre état mon feu paraît extrême ; Mais sais-tu bien pour qui je brûle ? Pour moi-même. JODELET. Prétendez-vous, Monsieur, avoir bien des rivaux ? DON FÉLIX. Tais-toi, sot, or sachant fort bien ce que je vaux, Et que l'amour parfait vient de la connaissance, Je soutiens que je fais l'amour par excellence. JODELET. C'est fort bien soutenu. DON FÉLIX. Je te vais faire voir, Que ton Maître en amour fait fort bien son devoir, Il faut premièrement que ta bassesse sache, Qu'alors qu'on me refuse, ou bien lorsqu'on se fâche, J'ai le don de pleurer autant que je le veux ; Ce qui profite plus, qu'arracher des cheveux ; Et principalement quand on aime une sotte, Qui croit facilement un homme qui sanglote. À la belle, je dis que ses plus grands appas Sont ceux qui sont cachés, et que l'oeil ne voit pas. Que son esprit me plaît, bien plus que son visage. À la laide, je tiens presque un même langage. J'ajoute seulement, qu'elle a je ne sais quoi Qui fait que la voyant je ne suis plus à moi. Enfin également de toutes je me joue ; De ce qu'elles ont moins, c'est dont plus je les loue, Aux sottes, de l'esprit ; aux vieilles de l'humeur ; Aux jeunes, qu'avant l'âge elles ont l'esprit mûr ; La grasse se croit maigre, et la maigre charnue, Aussitôt que de nous elle est entretenue. Aux petites je dis que leur corps est adroit ; Aux grandes, que leur corps, quoique en voûte, est bien droit ; À celles que je vois d'une taille bizarre, Qu'ainsi le Ciel l'a faite, afin d'être plus rare ; Aux minces, qu'une Reine a moins de gravité ; Aux grosses, qu'elles ont beaucoup d'agilité. Aux propres, que j'admire en eux la nonchalance ; Tout cela sans me faire aucune violence ; Car de plus, j'ai le don de mentir sans remords, Vertu que seulement on voit aux esprits forts. JODELET. Vous êtes donc menteur ? DON FÉLIX. Oui, j'ai l'honneur de l'être. JODELET. Le grand homme de bien, que Monseigneur mon Maître ! DON FÉLIX. Vois-tu, ne point mentir, est la vertu d'un sot, Souvent en augmentant, ou retranchant un mot, On se tire aisément d'une affaire mauvaise, Enfin, feignant partout que je suis tout de braise, Des unes, je suis cru par leurs yeux bien charmé, Des autres je me vois quelquefois bien aimé, Et moi je ris bien fort, très maître de moi-même, De celle qui me hait, et de celle qui m'aime. JODELET. Mais à quoi bon, Monsieur, jouer du doux regard Sur celle que l'on sait aimer en autre part ? Quand vous voyez deux coeurs bien unis l'un à l'autre, Vous allez aussitôt en tiers offrir le vôtre : Est-ce là l'action d'un homme bien sensé ? C'est en vous ce qui m'a le plus embarrassé ; Car n'est-ce pas avoir l'humeur bien enragée, Que de courir après une fille engagée : De grâce, éclaircissez mon esprit là-dessus. DON FÉLIX. Vois-tu, je suis ravi, si jamais je le fus ; Quand un Amant par moi devient âme damnée, Peste cent fois le jour contre sa destinée, Qu'il se plaint jour et nuit à sa belle Vénus, Qu'il lui fait jour et nuit mille arguments cornus, Pour lui faire avouer par belle Rhétorique Que je suis depuis peu la mouche qui la pique, Lors la sotte lui fait cent satisfactions, Lui dit qu'il est l'objet de ses affections ; Le jaloux s'en contente ; et pour prendre revanche Du temps qu'il a perdu, lui baise la main blanche : Puis après la belle Âme, et le parfait Amant Se mettent à pleurer très idiotement ; Et moi tandis qu'entre eux la querelle s'apaise, Je suis le plus souvent dans mon lit à mon aise. JODELET. Je veux que le plaisir soit grand de coqueter, Mais si cet homme à qui vous en faites tâter, Et de ceux qui toujours portent dans leurs valises Des chaussons, un grand gant, pour quand on vient aux prises, Un poignard à coquille, et des fleurets brisés : Enfin, si cet amant que vous enjalousez, Est un gladiateur, un homme acariâtre, Qui vienne un beau matin vous battre comme plâtre, Et pour les males nuits qu'il croit avoir pour vous, S'en venge pleinement, en vous rouant de coups, Le jeu vous plaira-t-il ? DON FÉLIX. Depuis de longues années, Deux choses à la Cour sont de tous condamnées : L'une, ce que tu veux me faire redouter, Pour des femmes se battre, et l'autre de porter De pourpoint boutonné. Mais on frappe à la porte. JODELET. Qui diable (s'il n'est fou) peut frapper de la sorte ? Nous voudrait-on forcer d'ouvrir malgré nos dents ? DON FÉLIX. Va, va vite, de peur qu'on la mette dedans. SCÈNE II. Don Gaspard, Don Félix, Jodelet. DON GASPARD. Est-il là, Don Félix ? JODELET. Lui-même. DON GASPARD. Ouvrez, que j'entre. JODELET. Eussiez-vous la serrure au beau milieu du ventre. Voici quelque fendant issu d'un Roi des Goths. DON GASPARD. Pourrai-je avoir le temps de vous dire deux mots ? DON FÉLIX. Quatre si vous voulez. DON GASPARD. Faites qu'il se retire, Car devant un valet, je ne vous puis rien dire. DON FÉLIX. Ce valet est fidèle, et sait tous mes secrets. DON GASPARD. Vous êtes bien heureux d'en avoir de discrets. Savez-vous bien mon nom ? DON FÉLIX. Don Gaspard de Padille. DON GASPARD. Savez-vous que je suis d'une illustre famille ? DON FÉLIX. Oui. DON GASPARD. Que je suis cadet, plein d'esprit et de coeur ? DON FÉLIX. Fort bien. DON GASPARD. Pauvre de biens, mais très riche d'honneur ? DON FÉLIX. On le dit. DON GASPARD. Savez-vous ce que j'ai fait en Flandre ? DON FÉLIX. Non. DON GASPARD. Lisez donc l'Histoire, et vous pourrez l'apprendre. Savez-vous que je sais mener un homme à bout ; Quand je suis offensé, que je tue. DON FÉLIX. Est-ce tout ? DON GASPARD. J'aime depuis six ans une beauté suprême, Et vous depuis six mois vous aimez ce que j'aime, Et m'imitez si bien dans mon affection, Que sans vous dispenser de la moindre action, De tout ce que je fais, vous êtes la copie ; Vous m'observez en tout, partout votre oeil m'épie ; Et le jour et la nuit je vous ai sur mes pas ; Quand la beauté que j'aime, avec tous ses appas, Pour me favoriser, se montre à la fenêtre, J'enrage de vous voir à mon côté paraître. L'autre jour que je fus malade de la toux, Parce qu'il m'arriva de tousser devant vous, Aussitôt sur ma toux si bien vous enchérîtes, Que je vous crus atteint du mal que vous feignîtes, Et qu'un caterre enfin de vous me vengerait. Lors ce fut entre nous à qui mieux tousserait ; Vous crûtes que ma toux n'était pas sans mystère, Et vous fîtes merveille à me bien contrefaire : De vous en quereller, j'eusse passé pour fou ; Je vous laissai tousser tout votre chien de saoul. Un jour je fus tenté (mais j'eusse été peu sage) De me donner un coup de poignard au visage, Pour voir si vous, Monsieur, qui m'allez imitant, Seriez assez badin, pour vous en faire autant. Vous riez quand je ris, vous pleurez quand je pleure ; Si je pense à chanter, vous chanter tout à l'heure ; Et soupirez aussi, quand j'ose soupirer, Comme si vous étiez sur le point d'expirer. Quand j'ose regarder la beauté que j'adore, Je rencontre aussitôt votre oeil qui la dévore. Je me fâche à la fin d'être tant imité : Gardez bien d'être aussi fâché de mon côté : Si vous continuez d'être toujours mon singe, En chevaux, en couleurs, en vêtements, en linge, Enfin en tout ce qui concerne mon amour, Je suis pour vous jouer bientôt un mauvais tour. Adieu, faites profit de cette remontrance. DON FÉLIX. Quoi, jusques dans ma chambre ? Ô Dieu, quelle arrogance ? Ah ! Je le veux charger ce maître fanfaron ; On ne peut l'être tant, et n'être pas poltron. JODELET. Arrêtez-vous, Monsieur, depuis de longues années Deux choses à la Cour sont de tous condamnées, Pour des femmes se battre en duel ; et porter Le pourpoint boutonné. DON FÉLIX. J'entends encor heurter ; Le brave n'a pas dit tout ce qu'il voulait dire, Ouvre-lui promptement, j'en veux encore rire. JODELET. Ah ! Vraiment le brutal heurte bien autrement ; Mais celui-ci paraît homme de jugement. SCÈNE III. Don Félix, Don Sanche, Jodelet. DON FÉLIX. Quoi, Monsieur, vous daignez me rendre une visite ? C'est me faire un honneur que j'obtiens sans mérite. DON SANCHE. C'est moi-même, Monsieur, qui reçoit cet honneur. DON FÉLIX. Que désirez-vous donc de votre serviteur ? DON SANCHE. Vous devez bien savoir, Monsieur, ce qui m'amène ; Feignant de l'ignorer vous me mettez en peine. DON FÉLIX. Je ne suis pas devin ! DON SANCHE. Vous savez pourtant bien Ce que vous me devez ? DON FÉLIX. Moi ? Je ne vous dois rien. DON SANCHE. Vous devez accomplir par un juste Hyménée La parole autrefois à ma Nièce donnée, Et bien considérer que le noeud qui vous joint Se peut bien relâcher, mais qu'il ne se rompt point. Je ne m'étonne point d'un jeune homme volage ; Mais je m'étonne fort d'un second mariage, Qu'on dit que vous traitez au grand mépris des Lois, Qui ne permettent pas deux femmes à la fois. Sachez bien qui je suis, vous devez vous attendre, (Si vous nous offensez en un endroit si tendre,) Qu'un homme qui toujours a vécu noblement, Ne relâchera rien de son ressentiment. DON FÉLIX. Est-ce tout ? DON SANCHE. C'est assez. DON FÉLIX. Oui, pour me faire rire. Mais vous avez beau faire, et vous avez beau dire, Je suis trop jeune encor, pour un joug si pesant ; Que votre Nièce soit bien sage, et ce faisant, Quelque somme d'argent pourra la satisfaire ; Mais surtout prenez garde, elle et vous, à vous taire. DON SANCHE. Je ne donnerai pas mon honneur pour si peu. DON FÉLIX. Je l'achèterais trop, étant votre Neveu. DON SANCHE. Je saurai me venger sur vous d'un tel outrage. DON FÉLIX. Frappez-moi, tuez-moi, mais point de mariage. Jodelet, sais-tu bien le beau dessein qu'il a ? Il me veut marier. DON SANCHE. Le grand fou que voilà ! DON FÉLIX. Un Maître me méprise ! Un valet m'injurie ! Que n'ai-je de la force au gré de ma furie ! DON SANCHE. Mon Dieu, qu'il est mauvais ! DON FÉLIX. Taisez-vous Jodelet. DON SANCHE. Hélas ! Qu'on dit bien vrai, tel Maître, tel valet. DON FÉLIX. Ha ! Je l'ai trop joué ; j'ai peur qu'en sa colère Il ne fasse rumeur chez mon futur beau-père. JODELET. C'est ici justement où je vous attendais, Vous voulez épouser deux femmes à la fois ? Et quoi prétendez-vous que cette jeune fille, Pauvre, mais qui pourtant est d'honnête famille, Après avoir conçu deux beaux enfants de vous, S'apaise, en lui faisant seulement les yeux doux, Et vous souffre épouser par quelque autre à sa barbe ? Elle n'en fera rien, Monsieur, par Sainte Barbe ; Puissé-je là-dessus être mauvais Devin ; Mais quoique vous soyez et très fourbe et très fin, Vous n'achèverez point ce tour de passe-passe. DON FÉLIX. L'argent apaise tout, et l'argent tout efface. Je connais Dorothée, et son vieil Oncle aussi ; Et je sais que la rumeur qu'il vient de faire ici, N'est que pour quelque argent, dont la somme est petite, Que je lui dois donner, en cas que je la quitte, Qu'on lui dise de moi tout ce que l'on voudra, Si je veux dès demain, je ferai qu'elle ira Parler en ma faveur à ma Maîtresse même, Tant je suis assuré que la Balourde m'aime, JODELET. Elle en a grand sujet, car vous l'aimez bien fort. DON FÉLIX. Je m'accommode au temps, et je cède au plus fort. Je trouve en ma Lucie un Ange que j'adore, Un objet qui ravit, un parti qui m'honore ; Et déjà, Jodelet, j'en serais possesseur, Si certain Courtisan qu'on destine à sa soeur Était déjà venu ; on l'attend d'heure en heure, Et c'est pour mes péchés sans doute qu'il demeure. Je ferais bien pourtant, pour agir sûrement, D'aller voir Dorothée, et là civilement Tâcher de l'apaiser par de belles paroles. JODELET. Vous l'apaiserez mieux avecque des pistoles. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Don Diègue, Alphonse. DON DIÈGUE. Je ne puis plus loger dans cette Hôtellerie, C'est pis qu'un Hôpital, pis qu'une gueuserie, Je crois que dans l'Enfer on entend moins de bruit, Et qu'on y passe mieux la plus mauvaise nuit. ALPHONSE. Je suis moins délicat que vous ; mais la punaise M'a pourtant empêché de dormir à mon aise ; Les cousins m'ont piqué, les rats et les souris M'ont pissé sur le nez, et j'ai vu des esprits. [Note : Le locuteur suivant ne peut être Jodelet, c'est Don Diègue, nous corrigeons. ] DON DIÈGUE, il s'en va. Va-t-en vite savoir où Don Félix demeure ; Ne pense pas tarder plus d'un demi quart d'heure, Toi qui fais quelquefois en un jour six repas. ALPHONSE. Quelque pressé qu'il soit, je ne laisserai pas De m'humecter un peu contre la sécheresse. SCÈNE II. Jodelet, Béatris, Alphonse. JODELET. Si le Ciel t'avait fait un peu plus pécheresse, Que je serais heureux, t'ayant donné mon coeur ! Car hélas, malheureux ! Je suis un peu pécheur ; Mais me mordant plus fort que pourrait mordre un singe, En me criant vilain, tu foupis tout mon linge : Quand je te veux baiser, tu me mets tout en sang, Que ne m'as-tu percé d'un grand couteau le flanc, Plutôt que de m'avoir d'oeillade meurtrière, Réduit au triste état de croire que la bière (Qu'on dit être un séjour malsain et caterreux,) Serait à moi chétif un séjour bienheureux ! Tu sais que mes tourments sont tourments véritables, Et que je t'aime autant que tous les mille diables. BÉATRIX. Entendrai-je toujours tes discours d'insensé ? Va te faire penser, si tu te sens blessé ; Je m'en plaindrai tantôt à Don Félix ton Maître. ALPHONSE. Don Félix ? C'est celui que je cherche peut-être, Je le veux accoster, Monsieur. JODELET, arrêtant Béatris par sa robe. Mais à propos... BÉATRIX, se débarrassant. Va, parle à qui te parle, et me laisse en repos. JODELET. Peste soit l'importun qui vient troubler la fête ! Que j'aurais grand plaisir à lui rompre la tête ! Mais il me le rendrait. ALPHONSE. Je voudrais bien savoir Où loge Don Félix, et quand on le peut voir. JODELET. Il loge en sa maison. ALPHONSE. En quel lieu ? JODELET. Dans Tolède. ALPHONSE. Je le crois bien ainsi ; mais je ne puis sans aide Trouver cette maison, car je suis étranger. JODELET. Moi, je suis un qui tâche à te faire enrager. ALPHONSE. Et quand le peut-on voir ? JODELET. Alors qu'on le regarde. ALPHONSE. Vraiment vous paraissez d'humeur assez gaillarde. JODELET, tandis qu'Alphonse regarde s'il ne voit personne. Je serais plus gaillard, si vous étiez plus loin. Si j'osais lui donner deux ou trois coups de poing ! ALPHONSE. Il lui donne un soufflet. Personne ne nous voit. Il me prend grande envie, À ce fat le plus grand que j'ai vu de ma vie, De donner un soufflet au beau milieu du front. JODELET. Vous auriez donc dessein de me faire un affront ? ALPHONSE. Je m'en rapporte à vous. JODELET. Moi ? Je n'en veux rien croire, Pour votre conscience, et pour ma propre gloire. ALPHONSE, en s'en allant. Nous nous verrons encor, mon brave. JODELET, fait réflexion sur les paroles qu'il a eues avec Alphonse. Et de bon coeur ; Ne commandez-vous rien à votre serviteur ? Et quand le peut-on voir ? Alors qu'on le regarde ? Vraiment vous paraissez d'humeur assez gaillarde, Je serais plus gaillard, si vous étiez plus loin. Là-dessus il me donne un fort grand coup de poing. C'est ainsi, m'est avis, que s'est passé la chose : Mais avait-il la main toute ouverte, ou bien close ? Un coup de poing est plus honnête qu'un soufflet ; Je m'en veux éclaircir ; quoique simple valet, Je suis jaloux d'honneur autant ou plus qu'un autre, Je suis un vrai Démon, lorsqu'il y va du nôtre ; Et lorsque d'un soufflet il m'est venu charger, Si ce n'est que j'ai vu qu'il était étranger, Je n'aurais pas tourné la chose en raillerie : Mais pourtant j'étais prêt de me battre en furie, S'il eût recommencé ; Dieu fait tout pour le mieux ; Je n'y veux plus penser. BÉATRIX, raillant Jodelet. Cet homme est sérieux, Et frappe comme un sourd : pour moi, je te conseille, Puisque si librement il donne sur l'oreille, De ne vivre avec lui qu'avec bien du respect, De ne le railler point, de l'avoir pour suspect, Alors qu'il sera près de ta chère personne, Ma foi bien brusquement sa main un soufflet donne, Et bien paisiblement ta face le reçoit. Pourquoi le raillais-tu, lui qui te caressait ? Ô mon cher Jodelet, au visage de Dogue, Si tu n'avais été dans tes discours trop rogue, Ton visage charmant ne serait pas poilu ; Mais tu l'as souhaité, mais tu l'as bien voulu ; Et moi qui suis pour toi d'amour si mal traitée, J'ai vu par main d'autrui ta face souffletée, J'en ai la rage au coeur, j'en ai la larme aux yeux. JODELET. Tu ne te tairas pas ? SCÈNE III. Don Diègue, Don Félix, Jodelet. DON DIÈGUE. J'en suis tout glorieux, Et me voir avec vous, et dans votre mémoire, Est un bonheur si grand, que je ne le puis croire. DON FÉLIX. Je m'acquitterai mal de ce que je vous dois, Si je ne vous embrasse une seconde fois ; Et je me plains de vous, Don Diègue, ou je meure, D'avoir hors de chez moi choisi votre demeure ; Mais en vous traitant mal, je saurai m'en venger, Va-t-en vite au logis faire tout arranger, Don Diègue est mon Hôte. JODELET. En êtes-vous bien aise ? DON FÉLIX. Ne pense pas ici dire quelque fadaise. JODELET. Je ne dis rien. DON FÉLIX. Écoute. SCÈNE IV. Don Diègue, Alphonse, Don Félix, Béatrix. DON DIÈGUE. Alphonse, approche-toi, J'ai trouvé Don Félix. ALPHONSE. Et j'ai souffleté moi Son faquin de valet. DON DIÈGUE. Don Félix cependant parle à Béatrix en secret. Comment ? ALPHONSE. Il voulait rire ; Je l'ai prié cent fois, et cent fois de me dire Où loge Don Félix ; il m'a traité de sot. DON DIÈGUE. Vois-tu, si Don Félix m'en dit le moindre mot, Je veux qu'on le contente et qu'on le satisfasse. ALPHONSE. Je pourrai bien encor lui retoucher la face. DON DIÈGUE. Et moi je pourrai bien, si j'en entends parler, Aux dépens de ton dos t'apprendre à quereller, Je ne puis refuser Don Félix qui me prie ; Retourne vitement à notre Hôtellerie Quérir mon équipage, et l'apporte chez lui. BÉATRIX, parlant à Don Félix. Je vous ai bien cherché, Don Félix aujourd'hui. DON FÉLIX. Et que veux-tu de moi, Béatris ? BÉATRIX. Ma Maîtresse Vous veut entretenir pour affaire qui presse. DON FÉLIX. Et ma belle inhumaine est-elle à la maison ? BÉATRIX. Elle vient à l'instant d'aller à l'Oraison. DON FÉLIX. Elle y va bien en vain, puisque alors qu'on la prie, Au lieu de la fléchir on la met en furie, Une plainte l'offense, un soupir lui déplaît, Et toute belle, jeune, et parfaite qu'elle est. BÉATRIX. Ah ! Mon Dieu, gardez-lui tant de belles Fleurettes, Quant à moi j'y renonce, et j'en ai les mains nettes : Je ne veux point ouïr les discours d'amoureux, Ils sont en bonne foi malins et dangereux ; Je pèche assez d'ailleurs, sans pécher par l'oreille. À propos de pécher, votre vide-bouteille, Votre grand fainéant, votre chien de valet, Enfin ce mal bâti, ce maudit Jodelet, Depuis deux ou trois jours m'a prise pour une autre ; Je l'aurais bien frotté si ce n'est qu'il est vôtre. Il me trouve à son gré, tout ce que j'ai lui plaît ; Mais me plaît-il aussi le maussade qu'il est ? Il m'en faut bien un autre, et d'une autre fabrique, C'est un beau marmouset, c'est un bel as de pique, [Note : Guitariser : barbarisme pour dire jouer de la guitare.]Il pense quand la nuit il a guitarisé, Que j'en ai tout le jour le coeur martyrisé, À la fin il verra, si vous n'y donnez ordre, Que j'égratigne bien, et que je sais bien mordre, Il me va tourmentant de ses affections ; Il me va proposant des fornications, Et pour qui me prend-il ? Ah ! Par ma foi j'enrage, Encor s'il me parlait un peu de mariage. Dites-lui bien, Monsieur, qu'il ne soit plus si fou. DON FÉLIX. Va, chère Béatris, je lui romprai le cou. BÉATRIX. Quelques coups suffiront, et quelque réprimande. DON FÉLIX. Je l'étrillerai bien. BÉATRIX. Le bon Dieu vous le rende. DON FÉLIX. Il faut que je vous quitte, excusez un Amant. DON DIÈGUE. Vous reviendrez bientôt ? DON FÉLIX. Dans un petit moment. BÉATRIX. Venez donc vitement, sans tant vous faire attendre, Ma Maîtresse tantôt me dira pis que pendre. SCÈNE V. Don Diègue, Alphonse. DON DIÈGUE. Don Félix ne sait point ce qui m'amène ici, Car j'ai quelque raison de me cacher ainsi. ALPHONSE. Mais il saura bientôt que c'est pour un mariage. DON DIÈGUE. Si je ne trouve pas mon compte où l'on m'engage, Si mon père a choisi quelque objet odieux, Quelque Idole doré qui me choque les yeux, Plutôt que d'épouser un démon domestique, (Quoique du procédé le bonhomme se pique,) On me verra bientôt à Madrid de retour. ALPHONSE. Un père qui toujours au bien seul fait l'amour, Préfère un parti riche à la plus belle fille, Monsieur, n'est-ce pas là Don Gaspard de Padille ? DON DIÈGUE. Don Gaspard ? ALPHONSE. Oui, lui-même. DON DIÈGUE. Ha ! Tu dis vrai, c'est lui, Je ne m'attendais pas de le voir aujourd'hui. SCÈNE VI. Don Gaspard, Don Diègue, Don Alphonse. DON GASPARD, parlant à son valet qui sera derrière le théâtre. Ne pense pas tarder longtemps, ou je t'étrangle, Après t'avoir donné cent mille coups de sangle. DON DIÈGUE. C'est toujours le même homme. DON GASPARD. Hé, qu'est-ce que je vois ? Don Diègue de Giron est-ce vous ? DON DIÈGUE. Oui, c'est moi. DON GASPARD. Qui vous amène ici ? DON DIÈGUE. L'amour. DON GASPARD. La même chose Me retient à Tolède, et sera bientôt cause Que certain Dameret qui me veut supplanter, Se sentira du don que j'ai de bien frotter. J'aime deux soeurs. DON DIÈGUE. Deux soeurs à la fois ? DON GASPARD. Et fort belles ; Ce doucereux mignon en aime l'une d'elles, Je le souffrirais bien si l'autre était pour moi ; Il faut que chacun vive et travaille pour soi : Mais certain Courtisan devant épouser l'autre, Je vois ainsi qu'en tout il y va bien du nôtre, Et qu'à ce courtisan comme à ce dameret, Avec un certain fer plus pointu qu'un Fleuret, Dont vous savez, cousin, à quel point je m'acquitte, Il faudra que je fasse enfin prendre la fuite : Qu'en dites-vous, cousin ? DON DIÈGUE. Moi, qu'il n'est rien de tel. DON GASPARD. Je m'en vais pour demain leur dresser un cartel. DON DIÈGUE. Je ne vous quitte point. DON GASPARD. Je ne risque personne. DON DIÈGUE. Et la demeure ? DON GASPARD. Elle est partout où je m'adonne ; Adieu jusqu'au revoir. DON DIÈGUE. Adieu mon cher cousin, Modérez tant soit peu votre esprit spadassin. DON GASPARD, en s'en allant. Je ne puis. DON DIÈGUE. Le voilà tel qu'il était en Flandre, Mais avec tout cela, vaillant comme Alexandre. ALPHONSE. Et fou comme Roland, quand il courait les champs. DON DIÈGUE. Les fous pareils à lui ne sont jamais méchants : Il est fort libéral, fort vaillant, fort fidèle, S'il avait un peu plus de bien et de cervelle, Comme il est mon parent... SCÈNE VII. Lucie, Béatris, Don Diègue, Alphonse. Lucie paraît sur le théâtre, menée par un homme, et suivie de Béatrix. LUCIE. Et ce chien de cocher. BÉATRIX. Il ne se trouve point, je le viens de chercher : Cet ivrogne est sans doute allé boire chopine. DON DIÈGUE. Alphonse, qu'elle est belle ! Et qu'elle a bonne mine ! LUCIE. Et ce coquin me met ainsi sur le pavé ? BÉATRIX. Je n'ai pas eu le temps de dire un pauvre Avé ; Je l'ai cherché cent fois à l'entour de l'Église. DON DIÈGUE. Mon Dieu, si c'était là celle qu'on m'a promise, Que je serais heureux ! ALPHONSE. Allez voir, que sait-on ? Et puisque ce Soleil n'a point de Phaéton, Allez vous présenter, et la mener chez elle. DON DIÈGUE. Et toi, tâche à savoir le nom de cette belle. ALPHONSE. Je le saurai bientôt. DON DIÈGUE, tandis qu'Alphonse entretient l'homme de Lucie. Madame, un étranger Peut-il vous demander, sans se mettre en danger D'être trop téméraire, ou de trop entreprendre, L'honneur de vous mener, où vous voulez vous rendre ? Je reconnais assez ne le mériter pas, À bien considérer le prix de vos appas. LUCIE. J'accepterais, Monsieur, la faveur présentée, Si je croyais l'avoir tant soit peu méritée ; Et pour cette raison, j'ose vous avertir, Que vous êtes un peu trop prompt à vous offrir. DON DIÈGUE. J'ai tort, je le confesse, et cette offre est petite, À la considérer selon votre mérite : Mais qui peut vous offrir ce que vous méritez, Et vous faire ici-bas des libéralités, À vous en qui le Ciel prodiguement assemble Les plus riches Trésors qu'on puisse voir ensemble ? Une mine céleste, un esprit sans pareil, Un adorable corps aussi beau qu'un Soleil ? Madrid ne fera plus gloire de ses coquettes ; Tolède seulement a des beautés parfaites ; Et je trouve à Tolède, et dès le premier jour, Ce que je n'ai jamais pu trouver à la Cour. LUCIE. À ces riches discours qui pourraient me confondre, Il me faudrait beaucoup de temps pour y répondre. À Tolède on n'a pas l'esprit assez présent ; Vous vous donnez à moi, c'est un riche présent, Dont vous devez, Monsieur, vous rendre un peu plus chiche, Je ne veux point de vous, car je serais trop riche : Et vous qui vous donnez si témérairement, Sachez que vous seriez traité cruellement, Et que vous ne savez pas bien ce que vous faites. DON DIÈGUE. Je sais ce que je fais ; je sais ce que vous êtes ; Je sais qu'en vous voyant, je trouve dans vos yeux Un plaisir approchant de la gloire des Cieux : Mais hélas ! Je ne sais si cette gloire offerte, Doit être mon salut, ou doit être ma perte. LUCIE. Et moi je sais fort bien qu'un homme de la Cour, Feint fort facilement qu'il va mourir d'amour. BÉATRIX. J'ai trouvé le Cocher, il était dans la place. LUCIE. Ha ! Vraiment ce coquin mérite qu'on le chasse. BÉATRIX. Ce sera fort bien fait, car ce n'est qu'un vaurien. LUCIE. Cupidon vous assiste et vous fasse du bien. Adieu mon Cavalier. DON DIÈGUE. Ô Dieu qu'elle est aimable ! Et que je suis, Alphonse, un Amant misérable, Si celle que je viens en ces lieux épouser N'est pas cette beauté qui vient de m'embraser. ALPHONSE. Et que donnerez-vous pour ce bonheur extrême ? DON DIÈGUE. Je donne tout mon bien, je me donne moi-même. ALPHONSE. Réjouissez-vous donc, car le père qu'elle a, S'appelle (m'a-t-on dit) Don Pedro d'Avila. DON DIÈGUE. Est-il possible, Alphonse ? Et son nom est Hélène ? ALPHONSE. Pour cela, je l'ignore. DON DIÈGUE. Ah ! Tu me mets en peine ; Cette beauté sera peut-être quelque soeur, Et cependant, Alphonse, elle règne en mon coeur, Et de telle façon, que si ce n'est point elle, Pour être bon Amant, je serai Fils rebelle ; Ses beaux yeux dessus moi tout à coup éclatants, M'ont ébloui, blessé, conquis en même temps ; Elle n'a dessus moi décoché qu'une oeillade, Et si j'en meurs, Alphonse, au moins j'en suis malade D'un mal si dangereux, que je serais marri, Dût-il causer ma mort, si j'en étais guéri. Adorable Beauté, pourquoi vous ai-je vue, Si je n'aurai de vous seulement que la vue, Hélas ! Vous avoir vue, et ne vous avoir pas, C'est bien assurément avoir vu son trépas ! Que je te trouve froid dans ton morne silence ! Prends pitié de mon mal et de sa violence, Tiens-moi quelques discours qui puissent m'alléger, Car ne me dire rien, c'est me faire enrager. As-tu jamais rien vu qui soit approchant d'elle ? Dis-moi, serai-je heureux ? Sera-t-elle cruelle ? As-tu vu dans ses yeux reluire quelque espoir ? Ne la verrai-je plus ? La pourrai-je encor voir ? Tu ne me réponds rien. ALPHONSE. Que vous pourrais-je dire ; Je n'ai rien là-dessus à faire qu'à m'en rire, Si vous le permettez, car a-t-on jamais vu Un homme comme vous d'entendement pourvu, Voir, parler, saliver, aimer presque à même heure ? Injurier la mort, qui trop longtemps demeure ? Exagérer ses maux en termes désolés, Et cela sans savoir à qui vous en voulez ? Cependant vous savez que votre mariage... DON DIÈGUE. Tais-toi, me voyant fou, tu veux faire le sage : Je ne veux pas savoir si j'ai tort ou raison, Je ne veux que savoir si tu sais sa maison ; Je suis atteint d'un mal que le remède empire ; Je vois bien le meilleur, mais je choisis le pire. Sache, si je fais mal, que je le sais fort bien ; Suis donc mes sentiments, et ne me dis plus rien. Sais-tu bien sa maison ? ALPHONSE. C'est dans la grande Place. DON DIÈGUE. Bon, Don Félix y loge ; il faut que je t'embrasse : Vois-tu bien mon habit ? ALPHONSE. Fort bien. DON DIÈGUE. Il est à toi. ALPHONSE. Oui, mais vous l'userai devant qu'il soit sur moi. DON DIÈGUE. Je te le donnerai dès demain, ou je meure. Mène-moi donc bien vite où mon Ange demeure, Afin qu'à ses genoux j'aille lui confirmer, Que je n'ai pu la voir, sans aussitôt l'aimer : Mais hélas ! J'ai bien peur que quelque soeur moins belle Ne me vienne tantôt recevoir au lieu d'elle, Mais certes, si je suis malheureux à ce point, Don Diégo Giron ne se mariera point. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. JODELET, seul. L'honneur, ô Jodelet, est un trésor bien cher ! Il faut, ô Jodelet, aujourd'hui bien chercher Celui qui t'a fait niche avecque tant d'audace, Et d'une seule main couvert toute sa face, Téméraire étranger, où te cacheras-tu ? Qui te peut dérober à Jodelet battu ? Jodelet, un Démon irréconciliable, Alors que l'on lui fait quelque affront reprochable. Encor si coup de poing était le coup donné, Mais las, c'est un soufflet, et des mieux asséné ; Et Béatris l'a vu, Béatris la coquette, Qui l'aura publié bien mieux qu'une trompette. Mais tous ceux qui sauront que je suis outragé, Sauront en peu de temps que je suis bien vengé. Alphonse est derrière qui l'écoute. Et si je te puis trouver, étranger téméraire, Écoute en peu de mots ce que je te veux faire : Je te veux... SCÈNE II. Alphonse, Jodelet. ALPHONSE, le surprenant. Quoi ? JODELET. Ho, ho, cher ami, c'est donc vous ? Je viens de préparer une chambre chez nous Au Seigneur Don Diègue ; au reste, notre frère, Nous vous obligerons par notre bonne chère À faire plus de cas du pauvre Jodelet. ALPHONSE. Je suis au désespoir de ce maudit soufflet ; Mais aussi vous deviez en charité me dire... JODELET. Mon Dieu, n'en parlons plus, ce n'était que pour rire, Quant à moi, des amis je veux tout endurer. ALPHONSE. Voilà mon maître, adieu. JODELET. Ma foi, sans différer Je devais lui donner un peu sur les oreilles : Nous étions seul à seul, avec armes pareilles. Foin, la pitié me prend toujours mal à propos, Je veux être cruel, et lui casser les os, Et que dès aujourd'hui, par ce cartel il sache, Que je me sais venger, alors que l'on me fâche ; Je le trouverai bien. SCÈNE III. Don Diègue, Alphonse. DON DIÈGUE. Alphonse, je suis mort, Ma foi j'avais raison de me presser si fort, Le coeur me le disait, celle que j'avais vue, Qui parut à mes yeux de tant d'attraits pourvue, Te le dirai-je, Alphonse, elle n'est pas pour nous Don Félix plus Heureux, doit être son époux, Et moi venant chercher une femme à Tolède, J'y trouve mon malheur, et malheur sans remède : Car n'ayant pas Lucie (elle s'appelle ainsi) Il faudra bien se battre, ou l'enlever d'ici. Sa soeur Hélène est belle, elle est riche, elle est sage : Mais l'aimable Lucie a mon coeur pour partage, Et je veux que sa soeur la surpasse en beauté, Elle gagne sur elle au moins de primauté. Enfin, je veux par force ou bien par stratagème, Ôter à Don Félix sa Maîtresse que j'aime, Et n'est Prince, Parent, Ami, ni Confesseur, Conseil, force, Prison, Justice, crainte, honneur, Qui me puisse empêcher au péril de la vie De répandre du sang pour l'amour de Lucie, Devant que Don Félix la tienne entre ses bras, Je lui vais susciter un étrange embarras : Tu connais mon cousin Don gaspard de Padille : Tu sais comme il se bat, et pour une vétille. Don Félix lui déplaît, et j'ai su qu'aujourd'hui Don Gaspard est allé le quereller chez lui, Et je me trompe fort, ou c'est par jalousie, Car le brave à la fois sert Hélène et Lucie ; Aussi ferait-il tort à sa rare valeur, S'il n'aimait à la fois, et l'une et l'autre soeur : Je voudrais de bon coeur qu'il pût en avoir une ; Car sa valeur mérite une bonne fortune, De la maison qu'il est, si son aîné mourait, Il obligerait fort celle qu'il choisirait. ALPHONSE. La ruse quelquefois sert plus que le courage. DON DIÈGUE. Tu dis vrai ; mais, Alphonse, il faut donc faire rage : Il faut tromper parents, beau-père, épouse, amis, Aussi bien pour régner tous crimes sont permis, Et moi, je me tiendrai, si j'obtiens cette fille, Plus grand Roi que celui qui règne en la Castille. ALPHONSE. N'êtes-vous pas d'avis de changer de maison ? Car le désobliger par une trahison, Et demeurer chez lui, ce serait être buse. DON DIÈGUE. Je t'entends, je m'en vais lui trouver quelque excuse Pour quitter son logis, mais changeons de discours : Le voici, Don Félix, comment vont vos amours ? SCÈNE IV. Don Félix, Don Diègue, Alphonse. DON FÉLIX. Elles vont, cher ami, même train que les vôtres. DON DIÈGUE. On vous a donc appris tout le secret des nôtres ? DON FÉLIX. Et que nous épousons deux soeurs en même jour, Qu'on appelle à bon droit deux miracles d'amour, Ha, que j'éprouverais la Fortune prospère, Mon plus fidèle ami devenant mon beau-frère, Si je ne me voyais cruellement traité Par ce divin objet dont je suis enchanté, Notre fortune ici devrait être semblable ; Mais vous êtes heureux, et je suis misérable ; Et quoi que nous devions épouser les deux soeurs, Nous ne goûterons pas de pareilles douceurs. Vous trouvez un esprit en la parfaite Hélène À ne donner jamais au vôtre aucune peine, Dans celui de sa soeur, violent et léger, J'en rencontre un très propre à me faire enrager. On n'attendait que vous pour notre mariage, Je me croyais au port, à couvert de l'orage ; Mais depuis quatre jours il s'en est élevé Un, dont je ne suis pas encor si bien sauvé, Que je n'en aie encor l'esprit rempli de crainte. J'en serai quelque temps sans réserve et sans feinte, (Devant que ma Lucie eût envahi mon coeur,) Une fille de qui la complaisante humeur, La beauté de la taille, et celle du visage, M'ont fait perdre quasi le nom d'Amant volage : Mais tous ces grands appas se rencontrant sans bien, Et n'étant pas un homme à me donner pour rien, Ma Lucie aisément m'a fait être infidèle. Depuis peu ma jalouse en ayant eu nouvelle, En publiant partout qu'elle est grosse de moi, Et que je ne puis plus disposer de ma foi, Elle a fait si beau bruit, que ma belle Lucie Veux être là-dessus pleinement éclaircie. Deux mille écus promis ont fait cesser ces bruits, Pour lesquels j'ai passé de très mauvaises nuits ; Mais pourtant la cruelle est encor à se rendre ; Et c'est ce que tantôt m'était venue apprendre Une femme en secret, quand je vous ai quitté. Vous m'avez pardonné cette incivilité ; Car vous savez assez qu'un homme quand il aime, Est esclave, et n'est plus le maître de soi-même, Cet avis n'était pas pour être négligé, Me venant d'une main qui m'a tant obligé, De la parfaite Hélène, une fille obligeante, Autant que quelquefois sa soeur est outrageante, D'un esprit orgueilleux, d'un esprit contestant, Mais avec ses défauts, que j'adore pourtant. Si la douceur d'Hélène était communicable, Ou si Lucie était d'un esprit plus traitable, Que je serais heureux, et que vous le serez Avec cette beauté que vous épouserez, Il n'en fut jamais une aussi sage en Tolède ; C'est d'elle qu'en mon mal j'espère du remède ; C'est d'elle que j'ai su, cher ami, que c'est vous Que depuis si longtemps elle attend pour Époux. Au reste, sa vertu cède à votre mérite, Quand on parle de vous, elle est toute interdite. DON DIÈGUE. Ne me cajolez point d'un si beau coup de trait, Car je n'y visais pas alors que je l'ai fait. DON FÉLIX. Quoi, vous repentez-vous d'une telle conquête ? DON DIÈGUE. Pour moi le mariage est une triste fête, Et je serais fâché de voir pour notre amour Périr une pauvrette, et dès le premier jour, Je suis ici venu pour en faire une femme, Et non pour lui porter le désordre dans l'âme, C'est vous, quand vous aimez, qui mettez tout en feu. DON FÉLIX. Lucie et ses dédains, le témoignent bien peu. DON DIÈGUE. Puisque vous l'épousez, vous l'avez bien éprise. DON FÉLIX. J'ai peur l'avoir courue, et qu'un autre l'ait prise ; Car aujourd'hui sa soeur m'a dit qu'assurément Quelque chose pour moi la change étrangement ; Et que bien à regret ce superbe courage (Qui ne veut point d'un bien qu'un autre lui partage) Se résout à la fin de m'admettre en son coeur ; Mais à condition que son père et sa soeur Sauront la vérité de cette Dorothée. Voici l'heure tantôt entre nous arrêtée, Que je dois faire voir à Pedro d'Avila Cette Fille, et de plus, certain Oncle qu'elle a, Qui l'a toujours nourrie, et qui lui sert de père : Il est nécessiteux, et parce qu'il espère Que s'il me rend content, je le régalerai, Cet homme ne dira que ce que je voudrai, Encor que Gentilhomme, il a l'âme vénale, En lui toute action qui profite, est loyale ; Et sans son avarice, assurément je crois Que sa Nièce eut bien pu se défendre de moi. Voilà, mon cher ami, l'état de mon affaire, Où j'ai d'abord trouvé le vent assez contraire ; Mais j'espère bientôt, dans un port assuré, Partager avec vous un trésor désiré. J'espère en votre esprit, dont je connais l'adresse, Il pourra m'adoucir celui de ma tigresse ; Lorsque vous la verrez, tâchez de l'obliger À ne se plaire plus à me faire enrager. Allons-y de ce pas, aussi bien votre Hélène, (Qui s'inquiète fort pour certaine migraine,) Qui vous a pris tantôt, m'a prié mille fois De vous y remener, lorsque je vous verrais. Ne faites pas languir plus longtemps une Amante Qui témoigne pour vous une ardeur violente. DON DIÈGUE. Allons, je suis à vous dans un petit moment. Alphonse, va quérir mes lettres promptement ; Et songez à ... ALPHONSE. J'entends bien. DON FÉLIX. J'aperçois ce me semble Notre futur beau-père, et les Filles ensemble ; Allons les recevoir, ils viennent droit à nous. SCÈNE V. Don Pedro, Don Félix, Hélène, Don Diègue, Lucie. DON PEDRO. Il sort de sa maison avec ses filles.Bonjour, mes chers enfants, je m'en allais chez vous, Voici l'heure tantôt entre nous arrêtée ; Vous plaît-il pas aller chez cette Dorothée ? DON FÉLIX. Monsieur, quelque envieux, infâme, et sans honneur, (Pour me priver d'un bien dont dépend mon bonheur) A fait courir ces bruits contre ma renommée. DON PEDRO. Je vais toujours devant : vous et ma fille aînée Me suivrez en carrosse, étant comme je suis, Goutteux sur mes vieux jours, je marche quand je puis, Quoique vieil animal je ne suis pas si rosse, Que je ne puisse bien me passer de carrosse. Vous autres jeunes gens, si vous aviez marché, Vous croiriez contre vous avoir fait un péché. Avec mon seul bâton, je vais fort à mon aise, Il me sert de cheval, de carrosse, et de chaise. Parlant à Don Diègue.Monsieur, nous ne ferons qu'aller et revenir ; Vous aurez cependant, pour vous entretenir, Cette friponne-là, ma cadette Lucie. HÉLÈNE. Il est plus à propos qu'il soit de la partie. DON DIÈGUE. Vous me dispenserez, nous avons elle et moi Quelque chose à vider. HÉLÈNE. Elle et vous ? Et pourquoi ? Je ne vous puis souffrir ainsi seul avec elle. LUCIE. Quoi, jalouse de moi ? La fantaisie est belle, Et d'où vous vient, ma soeur, cette gentille humeur ? HÉLÈNE. De la vôtre, coquette. LUCIE. Ho, ho, ma bonne soeur, Vous me voulez du mal. HÉLÈNE. Et vous, dont je m'étonne, Vous voulez trop de bien à certaine personne. LUCIE. Si je lui veut du bien, vous en étonnez-vous ? Dois-je haïr celui qui sera votre époux ? HÉLÈNE. Devez-vous essayer qu'il devienne le vôtre ? LUCIE. Je ne cours pas ainsi sur le marché d'un autre, Et puis je connais bien que j'y perdrais mes pas, Vous le courez trop fort, pour ne l'attraper pas. HÉLÈNE. Vous ne fûtes jamais qu'indiscrète et piquante. LUCIE. Je ne serai jamais que votre humble servante. HÉLÈNE. Vous devriez donc avoir pour moi plus de respect ? LUCIE. Monsieur vous devrait donc être un peu moins suspect. HÉLÈNE. Je crains un Courtisan, autant qu'une coquette. LUCIE. Ne craignez rien, ma soeur, d'une pauvre cadette ; Monsieur a trop d'esprit pour vous manquer de foi ; Vous, et cent mille écus, vaille bien mieux que moi. HÉLÈNE. Je ne puis donc à moins vous être comparable ? LUCIE. Vous dites vrai, ma soeur, je suis toute adorable, Et si vous ne prenez bien garde à votre Amant, Je vous le ravirai d'un regard seulement. HÉLÈNE. Vous le voudriez bien, si vous le pouviez faire ; Mais vos discours piquants commencent à déplaire, Vous viendrez avec nous, monsieur, si vous m'aimez, Ou bien tous mes soupçons seront trop confirmés. DON DIÈGUE. Je vous veux obéir, mais ce soupçon m'offense, Et Don Félix sait bien quelle est mon innocence. HÉLÈNE. Don Félix, vous avez ici même intérêt. DON FÉLIX. Ah ! Madame, je sais la chose comme elle est. Le Seigneur Don Diègue est un autre moi-même ; S'il a voulu parler à la beauté que j'aime, Qui depuis ces faux bruits qui m'ont assassiné, Me fait souffrir des maux comme en souffre un damné, Ce n'est qu'en ma faveur, ce n'est qu'à ma prière, Il connaît la rigueur à cette beauté fière ; Il sait que depuis peu son malheureux Amant (Qui se tiendrait heureux d'un regard seulement,) Réduit au désespoir de la voir si cruelle, A quasi fait dessein de mourir devant elle. LUCIE. Vous seriez, Don Félix, un peu trop inhumain, Je ne mérite pas un si beau coup de main. Si vous vouliez pourtant faire cette promesse, Moi, qui n'ai point encor vu d'homme qui se blesse, Vous ne me verriez plus douter de votre foi : Mais nous perdrions trop, et Dorothée et moi, Et Messieurs vos enfants demeureraient sans père. DON FÉLIX. Dois-je mourir d'Amour pour qui me désespère ? LUCIE. Dois-je mourir d'amour devant que savoir bien Si Dorothée est sage, et vous homme de bien ? HÉLÈNE. Ah ! Seigneur Don Félix, c'est se rompre la tête ; Vous ne connaissez pas cette méchante bête ; Si vous vous arrêtez à ce qu'elle dira, Mon pauvre Don Félix, l'esprit vous tournera. Apprenez qu'aujourd'hui son Démon la possède, Et quand ce mal lui prend, qu'il n'est point dans Tolède D'homme assez patient pour ne pas enrager. LUCIE. Laissez-moi donc ici pour fuir ce danger, Et courez vitement où Don Félix vous mène, Mon Père vous attend, que vous mettez en peine : Allez, ma chère soeur, allez vérifier Si ce beau gentilhomme est bon à marier. HÉLÈNE. Ce n'est pas tant pour vous que je prends cette peine, Que pour lui. LUCIE. Mais plutôt, ma bonne soeur Hélène, Ce n'est pas tant pour lui, ni pour moi, que pour vous, Que vous désirez tant de le voir mon époux, Mais vous ne songez pas que vous faites attendre Mon père. HÉLÈNE. Et le carrosse ? DON FÉLIX. Il nous doit venir prendre Au détour de la rue. HÉLÈNE. Allons-y vitement. DON FÉLIX. Adieu, belle inhumaine. LUCIE. Adieu parfait amant. Lucie seule.Nous voyons bien pourquoi, Madame la jalouse, Vous souhaitez si fort que dom Félix m'épouse ; C'est pour vous assurez votre futur Époux, Dont vous voyez les voeux ne s'adresser qu'à nous. Ah, je ne vois que trop par son morne silence, Qu'à vous voir seulement, il se fait violence ; Au lieu, que par ses yeux attachés sur les miens, Je vois qu'assurément il est dans mes liens. Mais hélas ! Il me tient d'une étreinte aussi forte ; S'il m'aime avec excès, je l'aime de la sorte : Mais s'il n'est pas à moi, personne ne m'aura ; Mon père là-dessus fasse ce qu'il pourra, Don Félix là-dessus remue et Ciel et Terre, Et ma soeur avec eux me dénonce la guerre, Si je n'ai Don Diègue à la barbe d'eux tous, Je veux bien n'épouser jamais qu'un vieil jaloux. Haussant la voix. Béatrix. SCÈNE VI Béatris, Lucie. BÉATRIX. Me voici, Madame. LUCIE. Écoute, j'aime, Et pour te dire vrai, j'aime plus que moi-même Ce jeune Cavalier qu'on destine à ma soeur, Et je me trompe fort, ou je règne en son coeur, Au premier carrefour va louer une chaise : De ceci, Béatris, il faut que l'on se taise : Tout mon bonheur dépend aujourd'hui du secret, Et des inventions de ton esprit discret. Cours après Don Diègue, il est avec Hélène, Et que ton bel esprit adroitement le mène Devant les Jacobins, où je me trouverai : Déguise bien ta voix. BÉATRIX. Le mieux que je pourrai. LUCIE. Va donc quérir mon voile, et te cache d'un autre. BÉATRIX. Si vous changiez de robe, on connaîtra la vôtre ? LUCIE. Ma chaise empêchera, qu'on ne la puisse voir ; Et le bon Don Pedro, comme tu peux savoir, Au-delà de son nez ne voit rien sans lunettes ; Il aura grand besoin d'en avoir de bien nettes, Pour voir clair dans l'affaire où je le vais brouiller Avecque Don Félix : allons nous habiller ; J'ai des Lettres à prendre au fond de ma cassette ; Viens vite me l'ouvrir, mais surtout sois secrète. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Béatris, Lucie. BÉATRIX. En déguisant ma voix, corrompant mon langage, Et m'acquittant enfin fort bien du personnage ; J'ai très adroitement, mais non sans quelque peur,Accosté Don Diègue auprès de votre soeur ; Et puis je l'ai conduit où vous deviez vous rendre, Ce qui s'en est suivi, vous pouvez me l'apprendre. LUCIE. À chère Béatris, que tout est bien allé ! Et que j'ai doctement à mon père parlé ! J'avais honte pourtant, bien assise à mon aise, De le souffrir debout à côté de ma chaise. J'ai fait croire au vieillard tout ce que j'ai voulu ; Je ne me vis jamais l'esprit si résolu. Il croit assurément que je suis Dorothée, Que celle qu'il a vue est personne apostée, Que Don Félix a fait parler pour de l'argent, Qu'en cela l'on lui fait un affront outrageant : Enfin, j'ai fait si bien avec mon beau langage, Que peut-être il rompra tantôt mon mariage. Je l'entendais disant, en se mordant les doigts, Don Félix veut avoir deux femmes à la fois ! Et que l'une des deux soit ma fille Lucie ! Ah ! Vraiment l'alliance était fort bien choisie. Ah, j'empêcherai bien qu'on se moque de moi, Impudent, affronteur, sans honneur et sans foi. Enfin, je l'ai laissé pester tout à son aise, Et suis vite venue au grand train de ma chaise, Tout droit au rendez-vous que je t'avais donné, Où très adroitement tu l'avais amené. Mais j'aperçois venir le vieillard qui rumine ; Allons quitter le voile, et faisons bonne mine. SCÈNE II. DON PEDRO, seul. L'on me faisait fort bien passer pour un Oison ; Et ma fille Lucie a fort bonne raison De n'avoir pas donné la main à la volée ; Il faut qu'elle ait été du Ciel bien conseillée ! Et si son mariage on eut précipité, Le gentil embarras où cela m'eût jeté ! Quoi ? Ma fille eut passé pour la seconde femme Du brave Don Félix ? Peste de l'infâme ! Il voulait donc avoir (voyez la trahison,) Une femme à la ville, et l'autre à la maison. Ah ! Ma fille, approchez, votre fortune est belle, Nous devons au Seigneur une belle chandelle : Et pour remercier votre époux prétendu, Supplier le bon Dieu, qu'il soit bientôt pendu ; Vraiment il nous jouait un tour de galant homme, Mais il devait avoir sa dispense de Rome. Au reste gardez-vous de le plus regarder. C'est un esprit malin dont il se faut garder. SCÈNE III. Lucie, Don Pedro. LUCIE. Qu'avez-vous donc, Monsieur, qui vous met en colère ? DON PEDRO. J'ai les ressentiments que doit avoir un Père Qui pense être pourvu d'un gendre homme de bien. LUCIE. Quoi, notre Don Félix ? DON PEDRO. Don Félix ne vaut rien, Je suis donc allé voir tantôt sa Dorothée, Que pour vous affronter il avait apostée ; Elle a joué son jeu comme il a désiré, Et l'a joué si bien, que même j'ai pleuré Quand j'ai vu quelques pleurs couler sur son visage : Enfin, je croirais bien que cette fille est sage, Qu'entre elle et Don Félix il ne s'est rien passé, Dont Dieu ni le prochain en puisse être offensé : Mais le drôle qu'il est, nous donnait bien le change : Écoutez je vous prie une malice étrange. Comme je revenais de lui fort satisfait, (Et j'en avais assez de sujet en effet ;) Certaine Dame en chaise, et la face voilée, M'a dit en peu de mots, d'une vois désolée ; Monsieur, on vous affronte aussi bien comme moi, Et Don Félix ne peut, sans violer sa foi, Contracter, moi vivante, un second mariage : Deux enfants en pourront porter bien témoignage Devant l'Official, que je veux implorer. Elle s'est là-dessus bien fort mise à pleurer ; Et moi d'autre côté bien fort mis en colère. Le malheureux métier que d'être Père ou Mère, Et qu'on est assuré, quand on a des enfants, De ne manquer jamais de soucis bien cuisants. Or pour vous achever l'histoire commencée, Cette invisible après mainte larme versée, Comme je la quittais, lassé de son caquet, M'a mis entre les mains je ne sais quel paquet De missives d'amour. LUCIE. Quoique ma soeur en die, Je n'ai donc pas mal fait de m'être refroidie, Et d'avoir attendu la fin de ces bruits-là : Elle dit que j'ai tort, mais c'est elle qui l'a, D'avoir fait avec moi trop de la soeur aînée, Et d'avoir trop pressé ce gentil Hyménée. Le coeur me disait bien... ALPHONSE vient à l'étourdie. Monsieur, je suis pressé ; Mon maître n'a-t-il point tantôt ici passé ? J'ai des Lettres pour lui de son Père : et me semble Qu'il vous écrit aussi : mais j'ai tout mis ensemble, Et ne puis débrouiller ; Ha, bon, bon, la voilà. Je reviendrai tantôt pour la réponse. DON PEDRO. Holà, Vous vous trompez, ami, mais il ne peut m'entendre, Jamais les étourdis ne font que se méprendre. Cette Lettre est de femme, et sent bien son poulet. Que j'épousterais bien là-dessus un valet ! Mais je la veux garder, attendant qu'il revienne, Et sans faire de bruit, lui demander la mienne. LUCIE. Ouvrez-la, que sait-on ? DON PEDRO. Ouvrons, je le veux bien ; Cela nous peut servir, et ne peut nuire à rien. LUCIE. À qui s'adresse-t-elle ? DON PEDRO. À Don Diègue même. LUCIE. Sans doute elle sera de quelqu'une qui l'aime. DON PEDRO. Don Diègue en cela suit l'ordre de la Cour ; On n'est pas Courtisan quand on est sans amour ; Mais sans y recueillir, bien souvent on y sème, Et sans y mettre à mal toutes celles qu'on aime, Les sottes seulement favorisent leurs voeux, Mais les sages aussi se gardent fort bien d'eux : Ils soupirent souvent pour qui leur fait la moue, Et de plusieurs Beautés qu'ils coucheraient en joue, Ils n'en blessent souvent pas une, les méchants. Cependant les maisons, les bois, les prés, les champs, Se changent bien souvent en de vieux points de Gênes ; Les affreux créanciers font sauter les Domaines ; Et puis ces beaux Messieurs protestent sur leur foi, Qu'ils se sont ruinés au service du Roi. Je ferais là-dessus une longue Satire, Mais les vieillards, dit-on, ne font rien que médire : Je ne dis donc plus rien, ça, lisons ce poulet, Et le recachetons pour le rendre au valet. LETTRE. Mon cher Époux, Vous avez déjà mis quinze jours en un voyage, pour lequel vous ne m'en aviez demandé que huit ; cela me met en une extrême peine ; et notre petit Janos qui vous demande, et qui vous cherche depuis le matin jusques au soir, se désespère de ne voir plus son papa.Revenez donc vitement, si vous voulez le retrouver en vie ; et cessez par votre absence, de faire mourir mille fois le jour votre fidèle Dorothée. DON PEDRO. Quoi, bons Dieux, Dorothée à Don Diègue aussi, Dorothée à Madrid, et Dorothée ici, Et Dorothée en chambre, et Dorothée en chaise, Et le petit Janot qui n'est pas à son aise, Alors que son Papa n'est pas à la maison, Et qui diable ferait pareille trahison ? Bénite soyez-vous, Lettre décachetée, Par qui nous découvrons nouvelle Dorothée, Et bénit soyez-vous l'étourdi de valet, Qui nous avez livré ce bienheureux poulet ! Par qui nous découvrons que l'un et l'autre gendre, Est un signe fourbe, et qui n'est bon qu'à pendre. LUCIE. Mais, mon Père avez-vous bien lu ? DON PEDRO. Si j'ai bien lu ? J'ai lu mille fois mieux que je n'aurais voulu. LUCIE. Ce rencontre des noms est tout à fait bizarre, Il faut que Don Diègue ait l'âme bien avare : Car Don Félix pour moi peut avoir de l'amour ; Mais cet autre venu depuis peu de la Cour, Qui n'a pas seulement vu ma soeur en peinture, Nous montre bien qu'il est d'une avare nature ; Il en voulait sans doute au bien qu'elle a de plus. Aussi qui n'aimerait cent mille beaux écus ! DON PEDRO. Où diable ont-ils trouvé chacun leur Dorothée ? Est-ce un nom à la mode, ou chose concertée Pour se moquer de moi ? Mais bons Dieux les voilà ! Qui ne se tromperait à ces visages-là ? LUCIE, tout bas. Dieux ! Faut-il que je l'aime, et qu'il soit infidèle ! SCÈNE IV. Don Pedro, Lucie, Hélène, Don Diègue, Don Félix, Béatris. DON PEDRO. Don Diègue, Don Félix, et Hélène, paraissent sur le théâtre.Vraiment, mes beaux Seigneurs, vous me la baillez belle ; Et si Dieu n'eut fait voir quelles gens vous étiez, Le gentil passe-temps que vous nous apprêtiez ! Vous, Seigneur Don Diègue, allez voir votre femme ; La pauvrette qu'elle est, sans cesse vous réclame ; Et le petit Janot est pour ne vivre pas, Si vous ne retournez vitement sur vos pas, Vous, Seigneur Don Félix, sachez que Dorothée, Devant l'Official Requête a présentée, Et que deux beaux enfants témoignent contre vous. Vous, mes filles, venez, et me suivez chez nous. LUCIE, faisant une révérence à Don Félix. Quand je pourrai servir votre polygamie, Ce sera de bon coeur. HÉLÈNE. Ha, Béatris, m'amie. Qu'est-ce qu'a donc mon Père ? [Note : Il semble que le locuteur suivant n'est pas Don Pedro mais Béatris.] BÉATRIX. Il a juste raison De remercier Dieu ; rentrons dans la maison ; Rentrons, dis-je ; et laissons, s'ils veulent se morfondre, Ces beaux jeunes Seigneurs, que Dieu veuille confondre. DON FÉLIX. Je voudrais bien savoir quelle mouche a piqué Ce colère vieillard ? [Note : Il semble que le locuteur suivant n'est pas Don Pedro mais Don Diègue. ] DON DIÈGUE. Il s'est équivoqué ; Car pourquoi me parler de votre Dorothée ? DON FÉLIX. Je sais bien qui m'aura la charité prêtée. Un certain Don Gaspard qui fait le furieux, Qui longtemps devant moi lui faisait les doux yeux, M'a joué quelque tour. Mais si je ne m'en venge... BÉATRIX, sort du logis, et leur jette deux lettres. Messieurs, voilà des vers faits à votre louange, Lisez-les à loisir. DON DIÈGUE. Ah ! Ma Béatris, un mot. BÉATRIX. Allez plutôt revoir Dorothée et Janot. DON DIÈGUE. Dorothée et Janot, ma foi je n'y vois goutte. DON FÉLIX. Peut-être ces papiers nous tirerons du doute Où nous met le discours de Pedro d'Avila, Cette lettre est pour vous. DON DIÈGUE. Et de vous celle-là. DON FÉLIX. Oui, je sais bien l'avoir écrite à ma Lucie : Je veux voir aujourd'hui cette affaire éclaircie ; Et m'y dût-on tuer, je veux entrer chez eux. BÉATRIX, ouvrant la porte. Ha, Messieurs, qui prenez des femmes deux à deux, Que faites-vous encor auprès de notre porte ? On n'a que faire ici des gens de votre sorte. DON FÉLIX, entrant chez Don Pedro. Je reviens aussitôt. DON DIÈGUE. Je vous attends ici. SCÈNE V. Alphonse, Don Diègue. ALPHONSE, auprès de son maître. Et bien, le stratagème a-t-il bien réussi ? DON DIÈGUE. Je n'en sais rien encor. ALPHONSE. Et le beau-père ? DON DIÈGUE. Il jure, Don Félix enrage, et moi j'espère. ALPHONSE. Et pourquoi Don Félix ? DON DIÈGUE. Son cas aussi va mal, Et je n'ai plus sujet de craindre un tel rival. Il déplaît à Lucie, et moi tout au contraire, J'ose bien devant toi me vanter de lui plaire ; Car enfin, mon ami, si tu veux tout savoir, Sans qu'on en sache rien, nous nous venons de voir ; Cette assignation d'elle-même est venue, Je ne l'ai point par pleurs ni soupirs obtenue ; C'est un tout raffiné d'amour et de bonté, D'autant plus obligeant qu'il ne m'a rien coûté. Au reste, si d'abord j'y trouvai tout aimable, Elle s'est aujourd'hui fait voir toute adorable ; Et pourtant ce beau corps qui se fait adorer, À son divin Esprit ne se peut comparer. ALPHONSE. Si vous vouliez, Monsieur, finir cette légende, (Car vous êtes en train de la faire bien grande,) Il vaudrait mieux parlé du tour que j'ai joué, Dont je devais, me semble, être un peu plus loué : Pouvait-on mieux user de cette fausse Lettre ? Ai-je rien oublié de ce qu'il fallait mettre ? Le vieillard a-t-il mal donné dans le panneau ! Et jamais aurez-vous un prétexte aussi beau Pour rompre votre noce un peu précipitée ? DON DIÈGUE. Comment t'es-tu servi du nom de Dorothée ? ALPHONSE. J'ai pris le premier nom qui s'est offert à moi. DON DIÈGUE. Trouverais-tu mauvais, si courant après toi, Pour rendre encore mieux la chose vraisemblable, D'injures et de coups... ALPHONSE. Cela n'est pas faisable. DON DIÈGUE. Tu ne sais pas encor ? ALPHONSE. Je vous entends fort bien. Vous me voulez frapper, Monsieur. DON DIÈGUE. Si peu que rien. ALPHONSE. Cela n'est point du tout nécessaire à la chose ; Et vous pouvez rayer hardiment cette clause, Qui ne passera point de mon consentement. DON DIÈGUE. Alphonse, mon mignon, quatre coups seulement. ALPHONSE. Ne frappez donc pas fort. Peste, que je suis traître, Ou plutôt un grand sot, de tant aimer son Maître, Gardez-vous, (ou ma foi je pourrai m'échapper,) De vous laisser aller à l'ardeur de frapper. Servez-vous moins ici d'effets que de paroles ; Et surtout, n'usez point sur moi de croquignoles : Songez que vous allez frapper sur un Chrétien ; Retenez bien le bras. DON DIÈGUE. Ah ! Mon Dieu, ne crains rien. ALPHONSE. Et ne prétendez pas en rencontre semblable, Rendre à force de coups une chose croyable. DON DIÈGUE. Dieu ! Que de temps perdu. ALPHONSE. Faut-il crier bien fort ? DON DIÈGUE. Bien fort. ALPHONSE. Hay, hay, hay, hay, à l'aide, je suis mort. DON DIÈGUE. Ha, traître ! ALPHONSE. On m'assassine. DON DIÈGUE. [Note : Bélître : gros gueux qui mendie par fainéantise, et qui pourrait bine gagner sa vie. (Dict. Furetière)]Ah, bélître ! ALPHONSE. On m'assomme. DON DIÈGUE. Ha, bourreau de valet. ALPHONSE. Peste soit fait de l'homme. DON DIÈGUE. Qu'as-tu donc ? ALPHONSE. Ce que j'ai ? Vous frappez comme un sourd. DON DIÈGUE. Mon Dieu, c'est que je rêve ? ALPHONSE. Au Diable soit l'Amour. À la force, au secours. DON DIÈGUE. Tu mourras tout à l'heure ? Tu changes donc ainsi mes Lettres ? Ha, je meure, Si je ne te punis d'une étrange façon. SCÈNE VI. Don Pedro, Alphonse, Don Diègue, Don Félix, Lucie. DON PEDRO. Et que vous a donc fait ce malheureux garçon ? ALPHONSE. Hélas ! Je n'ai rien fait que brouiller une lettre. DON DIÈGUE. Je perdrai mon crédit, ou je te ferai mettre Bientôt sur une roue. ALPHONSE. Un homme ne craint rien Quand il est innocent. DON DIÈGUE, en s'en allant. Je te trouverai bien. DON PEDRO. Il n'en faut plus douter, la chose est toute claire. ALPHONSE. Du moins si j'en avais reçu quelque salaire, Si j'avais seulement de quoi m'en retourner. DON PEDRO, parlant à Don Félix. Va, ne t'afflige point, je t'en ferai donner. Et vous, que dites-vous de cet ami si brave ? JODELET paraît sur le théâtre, et se cache en un coin. Eussiez-vous cru qu'il fût du bien assez esclave. Pour faire une action noire jusqu'à ce point ; Je le perdrai d'honneur. LUCIE. D'honneur ! Il n'en a point, Et n'en aura jamais. DON FÉLIX. Je ne vous puis que dire : Je ne l'eusse pas cru. DON PEDRO, en s'en allant. Allons, allons en rire, Le péril est passé, rentrons dans la maison, Pour moi j'excuse tout, fors une trahison. DON FÉLIX. Mais vous dites, Monsieur, qu'une autre Dorothée, (Il faut bien que ce soit quelque bonne effrontée,) Vous a mis en la main la Lettre que je tiens, De laquelle il est vrai, le caractère est mien : Mais je ne l'ai jamais écrite à pas une autre, Qu'à Madame Lucie. LUCIE. Oui, cette Lettre est nôtre : Et puisque Don Diègue est un traître, un trompeur, Je veux bien confesser qu'il régnait en mon coeur, Et que pour empêcher mon prochain mariage, J'ai fait la Dorothée, et fait ce personnage, Avec un tel succès, que mon Père irrité, Vous a, quoique innocent, un peu bien maltraité. La Lettre vient de vous, c'est moi qui l'ai donnée, Mais que ne fait-on point, quand on est forcenée ? Je confesse l'avoir été pour ce trompeur, Jusqu'au point d'hasarder ma vie et mon honneur. Mais bientôt un couvent, où mon remords me voue, Vous doit venger assez d'un crime que j'avoue. DON FÉLIX. Tout le mal vient de moi, j'en demande pardon ; Je suis indigne d'elle. DON PEDRO. Ah ! Vous êtes trop bon. Et vous, une autre fois soyez mieux conseillée, Et profitez d'avoir été si déréglée. Parlant à Don Félix. Pour moi, si j'ai mal fait, j'étais circonvenu ; Mais on guérit bientôt quand le mal est connu. SCÈNE VII. JODELET, seul. Toi qui vient d'entrer là-dedans, Qui bat les gens malgré leurs dents, Et m'as frappé sans dire gare, Sais-tu ce que je te prépare ? Je te dis charitablement, Si tu le sais, que nullement Tu n'aies à passer cette porte, Car Monseigneur Satan m'emporte ; Et je le dis de sens rassis, Si tu sors, si je ne t'occis. J'enrage que je ne t'étrangle Et j'enrage que je ne sangle Au travers de ton chien de nez Estramaçons bien assénés. Au reste tu me peux bien croire, Je suis tout sûr de la victoire ; Car j'ai fait des provisions Pour semblables occasions. J'ai contre toute hémorragie, Pierre de grande énergie, Billet contre le coup fourré, Coup dangereux s'il n'est paré, Tous les jours presque je m'exerce Et sur la quarte et sur la tierce, Et prends en même temps leçon Pour et contre l'estramaçon ; Je suis bien sûr dans la parade ; J'ai fait forger une salade À l'épreuve du fauconneau, Dont je doublerai mon chapeau. À l'heure même on m'accommode, (Et peut-être en viendra la mode,) Une cuirasse à mon pourpoint, Qui ne paraîtra du tout point. Je suis nanti d'une rondache À l'épreuve du coup de hache ; Et quant à darder le poignard, J'en fais tout ainsi que d'un dard. D'abord que nous serons en garde, Mon épée au corps je lui darde ; Je le saisis, et puis après, D'un croc en jambe appris exprès, Je le renverserai sur l'herbe ; Où, comme un fléau fait sur la gerbe, Je prétends battre sur sa peau, Jusqu'à tant que j'en sois en eau. Cartels partout j'ai beau répandre, Il fait semblant de ne m'entendre, Cependant il en a reçu, Ce n'est pas que je l'aie su ; Mais en ayant fait plus de mille, Que j'ai semés parmi la Ville, Il faut bien qu'il en soit venu Quelqu'un à ce bègue Cornu. Je pensais, ô noble assistance, Vous régaler de quelque Stance, Car l'Auteur m'en avait promis ; Mais dans notre Rôle il n'a mis Que quelques vers faits à la hâte ; Bien souvent le papier il gâte, Et ne fait que des Vers rampants, Au lieu d'en faire des pimpants. Ô qu'être homme d'honneur est une forte chose, Et qu'un simple soufflet de grands ennuis nous cause ! SCÈNE VIII. Don Félix, Jodelet. DON FÉLIX. Vous avez donc querelle, à ce que l'on m'a dit. JODELET. Moi, querelle. DON FÉLIX. Oui, vous. JODELET. Mon Dieu, comme on médit ! Assurément, monsieur, je n'ai point eu querelle, Oui bien, un beau soufflet. DON FÉLIX. La différence est belle ; Et qui vous l'a donné ? JODELET. Ce n'est qu'un fanfaron Cet Alphonse qui sert Don Diègue Giron. DON FÉLIX. Je veux absolument qu'on se venge, ou qu'on sorte. JODELET. J'espère m'en venger, et de la bonne sorte. DON FÉLIX. Et vous l'a-t-il donné bien fort ? JODELET. Couci-couci. DON FÉLIX. Et comment a-t-il fait ? JODELET, lui donnant un soufflet. Ma foi, Monsieur, ainsi. DON FÉLIX. Si je prends un bâton... JODELET. Le récit véritable Ne se peut faire mieux que par un coup semblable. DON FÉLIX. Vos libertés, enfin, vous feront maltraiter. JODELET. Monsieur, vous savez bien que je ne puis flatter. DON FÉLIX. Jodelet, on m'a fait une pièce fâcheuse ; Il faut assurément que quelque âme envieuse Ai fait pour me priver de l'objet de mes voeux, Courir des bruits de moi très désavantageux. JODELET. Je vous l'ai toujours dit, votre façon de vivre, Très bonne à détester, et très mauvaise à suivre. Vous doit perdre à la fin. DON FÉLIX. Ah ! Je le connais bien. JODELET. Vois-tu j'aime partout, et si je n'aime rien ; Et je me ris souvent, très maître de moi-même, De celle qui me hait, et de celle qui m'aime ; Je prends plaisir à faire enrager des rivaux. DON FÉLIX. Il redit les vers qui sont au commencement. Qu'est-ce que tu dis là ? JODELET. Certains discours moraux Que j'ai souvent l'honneur de vous entendre dire. DON FÉLIX. Ah ! Mon Dieu, Jodelet, il n'est pas temps de rire ; Je ne veux plus songer qu'à finir ces bruits-là, Et me justifier à Pedro d'Avila ; Je suis las d'en avoir la tête inquiétée ; Viens, je veux t'envoyer parler à Dorothée. Don Diègue m'a fait un tour d'homme sans foi, Mais il s'est fait du mal autant et plus qu'à moi, Je l'estime perdu dans l'esprit de Lucie ; D'être mal dans le sien, fort peu je me soucie. JODELET. J'ai même sentiment pour son chien de valet ; Mais je lui ferai voir quel homme est Jodelet ; Mais je lui ferai voir à quel homme il se joue, Et si je suis de ceux que l'on frappe à la joue. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. JODELET, en chaussons, et prêt à se battre. Oui, tout homme vaillant doit être pitoyable ; Et j'ai pitié de toi, souffleteur misérable, Puisque pour le soufflet que tu m'as appliqué, Tu dois être de moi mortellement piqué, C'est la première fois qu'il m'avait que je sache, L'impertinent qu'il est donné sur la moustache ? De la façon pourtant qu'il s'en est acquitté, Je le tiens en cela très expérimenté. Je crois que de sa vie il n'a fait autre chose, Et nonobstant les maux que telle action cause, Tout pauvre que je suis, je lui donnerais bien, Pour souffleter ainsi, la moitié de mon bien. Mais n'est-ce pas à l'homme une grande sottise De s'aller battre armé de la seule chemise, Si tant d'endroits en nous peuvent être percés ? Par où l'on peut aller parmi les Trépassés ? Le moindre coup au coeur, est une sûre voie Pour aller chez les Morts ; il est ainsi du Foie : Le Rognon n'est pas sain, quand il est entrouvert, Le Poumon n'agit point, quand il est découvert ; Un artère coupé, Dieux ! Ce penser me tue, J'aimerais bien autant boire de la Ciguë ; Un oeil crevé, mon Dieu ! Que viens-je faire ici ? Que je suis un franc sot, de m'hasarder ainsi ! Je n'aime point la mort parce qu'elle est camuse ; Et que sans regarder qui la veut ou refuse, [Note : Dans le vers suivant, le mot traduit transcrit par voûsit est inconnu. ]L'indiscrète qu'elle est, grippe, voûsit ou non, Pauvre, riche, poltron, vaillant, mauvais et bon. Mais je suis trop avant pour reculer arrière ; C'est à faire en tout cas à rendre la Rapière, Doncque bien loin de moi la peur et ses glaçons, Je veux être de ceux qu'on dit mauvais garçons. [Note : Cartel : Appel en duel. Donner, recevoir, accepter, refuser un cartel. [L]]Mon cartel est reçu, je n'en fais point de doute, Mon homme ne vient point, peut-être il me redoute. Hélas, plaise au Seigneur, qu'il soit sot à tel point, Qu'il me tienne mauvais, et ne se batte point, Mais les raisonnements sont tout à fait frivoles, Où l'on a plus besoin d'effets que de paroles. Animons notre coeur un peu trop retenu. Çà, je pose le cas que mon homme est venu ; Nous avons dégainé, nous sommes en présence, Tâchons de lui donner au milieu de la panse, Bon pied, bon oeil ; et flic, et flac ; rien n'est pour toi ; Zest, j'ai paré ton coup ; courage il est à moi ! Tu recules, poltron ? Pare cette venue ; Plus bas, plus bas, coquin, j'ai défendue la vue ; Hay, Hay, j'ai l'oeil crevé, non, je me suis trompé, La peste, le grand coup dont je suis échappé, Mais tu me payeras la peur que tu m'as faite ; Il faut réciter ces vers-là vite, avec toute l'ardeur et la prestesse d'un homme qui se bat.[Note : Jaquette : est aussi un habit de paysan fait en petite casaque sans manche. [F]]Bon, ce coup-là sans doute a percé sa jaquette ; Bon, le voilà perdu : bon, me voilà sauvé ; Car de ce premier coup son oeil droit est crevé ; Mais il en faut avoir l'une et l'autre prunelle. Que ferai-je sans yeux ? Tu prendras une vielle. Ah, pardon, Jodelet ; non, non, il faut mourir ; Ah, de grâce pardon ; meurs sans plus discourir. SCÈNE II. Alphonse, Jodelet. ALPHONSE, surprenant Jodelet. Et bien le Fanfaron, qui voulez-vous qui meure ? JODELET, tout bas. Que cet homme maudit survient à la malheure ! Ce n'est rien. ALPHONSE. Ce n'est rien ? Par la mort. JODELET. Ha, tout beau, Ce n'est rien. ALPHONSE. Pourquoi donc l'épée hors du fourreau ? JODELET. Ma foi, je récitais des vers de Comédie. ALPHONSE. Ah ! C'est trop lanterner, je veux qu'on me le die. Contre un qui s'est battu le grand fou que je vois ; JODELET. Contre un qui s'est battu vaillamment sur ma foi ; J'estime la valeur en mon ennemi même. ALPHONSE. Vous a-t-il point blessé ? Que vous êtes si blême. Suivant votre Cartel que j'ai tantôt reçu, Je viens vous contenter. JODELET. Quelqu'un vous a déçu. Je n'écrivis jamais de ma vie, ou je meure ; Puis je ne me bats pas deux fois en un quart d'heure. ALPHONSE. Qu'on lise ce Cartel ? JODELET. Oui da, je le lirai ; Puis après, s'il vous plaît, Monsieur, je m'en irai. CARTEL.Quelques médisants disent que vous m'avez donné un soufflet, je ne puis croire cela de votre courtoisie : mais le moyen de faire taire le peuple, si ce n'est que votre Seigneurie lui ferme la bouche de sa main libérale, comme on dit qu'elle a fermé la mienne ? Mon Maître m'a dit, qu'il faut pour mon honneur que je vous donne des coups de bâton, ou que j'ai de votre sang. Je ne songe pas à vous en donner, parce que j'y trouve quelque difficulté ; et encore qu'à vous tirer du sang, et vous attirer à la campagne, je trouve aussi quelque chose qui me choque. Je supplie pourtant votre Seigneurie de se trouver vers le soir à la grande Place, et de pardonner la peine que lui donne son humble serviteur, JODELET. ALPHONSE. Et bien, que dites-vous de ce brave cartel ? JODELET. Que bénit soit de Dieu, celui qui l'a fait tel. ALPHONSE. Il n'est donc pas de vous ? JODELET. Ah ! Vous pouvez bien croire, Que je n'ai pas pour vous d'intention si noire. ALPHONSE. J'ai quelque affaire ailleurs ; et si je n'en avais, Je m'acquitterais mieux de ce que je vous dois ; Je crois m'en acquitter un jour en galant homme. Il le bat et s'en va.Recevez cependant cette petite somme, [Note : Nasardes : chiquenaude que l'on donne sur le bout du nez. On dit d'un homme ridicule, et faible, qu'il a le nez à camouflets ou à nasardes. [F]]De nasardes, soufflets, coups de pied et de poing. JODELET. J'eusse bien attendu, je n'en ai pas besoin. Enfin, nous avons donc la dague dégainée, Et nous sommes étonnés en campagne assignée. Si je ne l'eusse fait, qu'est-ce qu'eut dit de moi Ce Drôle, il en eut fait cent pièces, sur ma foi. Ô qu'il est important d'avoir bien du courage ! Et que je me vais plaire à faire du carnage ! [Note : Coupe-jarret : Brigand, assassin de profession. [L]]Je m'en vais devenir un vrai coupe-jarret, On ne me verra plus à la main qu'un fleuret. Mais j'aperçois quelqu'un, j'ai peur qu'on ne me voie. SCÈNE III. Don Félix, Alphonse, Don Pedro. DON FÉLIX. Faut-il qu'un tel malheur vienne troubler ma joie ? DON PEDRO. Elle est jeune, Monsieur, et ce ne sera rien ; J'en ai souvent autant, et je m'en guéris bien. DON FÉLIX. Voyant ainsi souffrir ma Déité visible, Si je ne m'affligeais je serais insensible. DON PEDRO. Ne vous affligez point ; je vous dis tout de bon, Et foi d'homme d'honneur, que tantôt sourde ou non, Que sa douleur augmente, ou bien qu'elle finisse, Je veux absolument, que l'hymen s'accomplisse, Et d'inclination aussi bien que d'honneur Je m'y trouve engagé. DON FÉLIX. Hélas ! Tout mon bonheur Dépend de son amour, mon malheur de sa haine ; C'est m'élever au rrône, au sortir de la chaîne. DON PEDRO, parlant à Alphonse qui paraît sur le théâtre. Vous voilà donc encor, je vous croyais parti. ALPHONSE. Je m'en vais à la Cour chercher quelque parti. Mais un de mes amis à demeurer m'engage, En me faisant trouver un Mulet de louage. DON PEDRO. Et le bon Don Diègue est-il encore ici ? Est-il allé tirer sa femme de souci ? ALPHONSE. Il est parti tantôt, et j'apporte une Lettre, Qu'en passant par la Poste on me vient de remettre ; Et s'adresse à lui ; vous la verrez, monsieur. Ne commandez-vous rien à votre serviteur ? DON PEDRO. Ami, Dieu te conduise, et te donne un bon Maître. Or çà, voyons un peu la Lettre de ce traître, De ce faux Don Diègue ; ô l'insigne imposteur : Et que n'aurait trompé ce visage menteur ? LETTRE. [Note : Exempt : Est aussi un officier établi dans les compagnies des Gardes du Corps, dans celles des prévôts et autres officiers. Ils commandent en l'absence des capitaines et lieutenants. [F]]Mon cher Époux, Sachant que Don Félix de Fonseque est votre ami, je vous écris à la hâte qu'on a exécuté ici des faux Monnayeurs, qui l'ont accusé d'être leur complice. Avertissez-le qu'un Exempt est parti avec ordre de le prendre en quelque lieu qu'il soit, et revenez voir promptement votre fidèle, DOROTHÉE. DON PEDRO. Et quoi, vous travaillez en moderne Médaille ? Vraiment je fais grand cas d'un homme qui travaille ; Multiplier ainsi les armes de son Roi, C'est pour être bientôt dans quelque bon emploi. DON FÉLIX. Que me dites-vous là ? Je n'y puis rien comprendre. DON PEDRO. Lisez, lisez, Monsieur, autre fourbe de Gendre. Ma foi j'étais pourvu de Gendre richement ; Le bon Dieu nous assiste, et bien visiblement ; Et ces deux Lettres sont un fort bon témoignage Qu'il a jeté les yeux sur mon petit ménage. DON FÉLIX. Monsieur, je veux savoir d'où cette Lettre vient. Et l'on me fait grand tort, Monsieur, qu'on ne retient Le fourbe qui vous vient d'apporter cette Lettre. DON PEDRO. Vraiment il est bien loin. DON FÉLIX. Je le veux mettre Au fonds d'une prison, tant qu'il ait confessé Qui m'a si méchamment en l'honneur offensé. DON PEDRO. Que veut ce Cavalier ? SCÈNE IV. Don Gaspard, Don Pedro, Don Félix, Hélène, Béatris. DON GASPARD. Messieurs, c'est avec peine (Mais il faut obéir à la Loi Souveraine) Que je viens arrêter par ordre de la Cour Le Seigneur Don Félix, par force, ou par amour. DON FÉLIX. Par force, ou par amour ? Ni par l'un ni par l'autre, Vous aurez de mon sang, ou bien j'aurai du vôtre. DON GASPARD. N'obéir pas au Roi, c'est se perdre à crédit ; Je vous prends à témoins, Messieurs. DON FÉLIX. C'est fort bien dit ; Je défends mon honneur, toi défends bien ta vie. DON PEDRO. J'ai bien peur que l'hymen devienne tragédie ; Je veux aller après. HÉLÈNE. Mon père, qu'est-ce-ci ? DON PEDRO. J'y vais voir. HÉLÈNE. Béatris sur moi, j'y vais aussi. BÉATRIX. Et moi je vais conter à Madame Lucie Tout ce brouillamini SCÈNE V. Don Diègue, Alphonse. DON DIÈGUE. Oui, cela me soucie ; Et si ce stratagème est par eux éventé, Je ne me vis jamais à telle extrémité. ALPHONSE. Monsieur, tout ira bien. DON DIÈGUE. Frappe vite à la porte, Et tâche d'obtenir que j'entre, ou qu'elle sorte. Alphonse entre. Il faut que je lui parle, à quel prix que ce soit. Ô Dieu, les rudes coups que mon âme reçoit : Je dois aujourd'hui perdre ou gagner ma Maîtresse ; Nous venons de tenter le dernier coup d'adresse. Et si ce coup me manque, à quoi plus recourir, Aimant comme je fais, si ce n'est à mourir ? Mais mon Ange paraît, un si charmant visage Ne peut être jamais qu'un bienheureux présage, Alphonse l'entretient du beau tour qu'il a fait ; Il faut lui donner temps de l'apprendre. SCÈNE VI. Lucie, Alphonse, Don Diègue. LUCIE. En effet. Il me fait grand pitié. Dans la ville où nous sommes On ne trouvera pas deux si dangereux hommes, Que votre Maître et vous. ALPHONSE. Vous l'êtes plus que nous ; Car nous ne faisons rien que pour l'amour de vous. LUCIE. Et cette lettre était encor de Dorothée ? ALPHONSE. Et de ma même main écrite et présentée. Enfin donc notre Exempt hardi comme un Lion, Est entré, Don Félix a fait rébellion ; L'Exempt après son coup a regagné la rue ; Don Félix furieux comme un cheval qui rue, L'a suivi chamaillant ; notre Exempt s'est sauvé, Qui sera bien cherché devant qu'être trouvé. LUCIE. Ô Dieu ! Qu'on va parler de moi d'étrange sorte ! Mais si votre dessein réussit, que m'importe ? DON DIÈGUE. Ah ! Mon Ange, est-ce vous qui venez m'éclairer ? Que dois-je devenir ? Dois-je encore espérer ? LUCIE. Votre peine est petite à l'égal de la mienne ; Je sais bien moins que vous ce qu'il faut que devienne Une fille insensée, et qui fait tant pour vous, Qu'elle trahit un Père, une soeur, un Époux. DON DIÈGUE. Après tant de bonté, tout ce que je puis faire, C'est de vous adorer, mon bel Ange, et me taire. LUCIE. Enfin, nous dépendons de l'amour et du sort, Serez-vous à ma Soeur ? DON DIÈGUE. Ah ! Plutôt à la mort. LUCIE. Serai-je à Don Félix ? DON DIÈGUE. Tant que j'aurai de vie Vous ne me serez point par un mortel ravie. LUCIE. Et moi je vous promets, si je ne suis à vous, Qu'aucun homme vivant ne sera mon Époux : Car enfin Don Diègue, il est vrai, je vous aime ; Si vous m'aimez bien fort, je vous aime de même : Je devrais témoigner plus de confusion En vous faisant ici cette confession, Que vous pouvez trouver étrange en une Fille. Mais lorsqu'à quelque sotte un homme de Cour brille, C'est avec tel effet, et si cruellement, Que la pauvrette en perd souvent le jugement. J'en suis, ô Don Diègue, un assez bel exemple, Puisque je feins d'avoir les douleurs dans la temple, D'être tout à fait sourde, et qu'on me croit chez nous Une folle, et cela tout pour l'amour de vous. DON DIÈGUE. Dieu ! Comment raillez-vous, ayant encor à craindre ? Mais quels sont donc ces maux que vous venez de feindre ? LUCIE. J'ai contrefait la sourde avec un tel effet, Que j'en ai reculé mon Hymen trop tôt fait ; Mais je ne vois plus goutte en ce péril extrême ; Et ma Soeur qui me hait autant qu'elle vous aime, Dit que mon mal de tête est un mal inventé, Et que mon plus grand mal est ma méchanceté. Mon Père qui ne sait à qui croire, en enrage ; Don Félix qui me croit bien malade, fait rage ; De plaindre son malheur, d'une mourante voix, Je me rirais d'eux tous, tout mon saoul, si j'osais, Mais nous sommes encor assez loin du rivage, Pour respecter les vents, et craindre le naufrage. DON DIÈGUE. Nous gagnerons le port, si nous avons du coeur ; Des périls les plus grands le courage est vainqueur. On vient à bout de tout alors qu'on s'évertue ; Qui tremble, est le premier le plus souvent qu'on tue. LUCIE. Et bien qu'inférez-vous de ces proverbes-là ? DON DIÈGUE. Qu'il faut ou découvrir à Pedro d'Avila, Que nous nous entraimons ; ou bien, sans qu'il le sache, Et sans considérer s'il l'agrée, ou s'en fâche, Que tout présentement vous me donniez la main, Et que je vous enlève à ce soir ou demain. LUCIE. Vous êtes importun ; tenez je vous la donne ; Et quant à m'enlever, faites, je m'abandonne ; Je n'ai plus rien sur moi, je vous ai tout donné. DON DIÈGUE. Ce jour-ci de mes jours est le plus fortuné ! BÉATRIX. Et mon Dieu, songez bien à faire bonne mine, Le bonhomme revient. LUCIE. S'il évente la mine, Nous n'avons qu'à monter à cheval cette nuit, Et nous sauver sans craindre, et sans faire de bruit. Béatris, vient m'aider à faire la malade. SCÈNE VII. Don Pedro, Don Diègue, Don Gaspard, Lucie, Béatris, Hélène. DON PEDRO. Je ne me trompe point quand je me persuade Que l'Exempt est un fourbe et dom Félix aussi, Puisque tous ses desseins ont fort mal réussi ; Dieu permet quelquefois que le méchant prospère, Mais augmente toujours la peine qu'il diffère. Ho, ho, que faites-vous ici dans ma maison ? Y venez-vous brasser nouvelle trahison ? DON DIÈGUE. Je vous dirai, Monsieur, le sujet qui m'amène, Sachant que Don Félix se trouvait bien en peine, Je reviens pour servir mon ami, si je puis, Et pour me faire voir à tous tel que je suis. Oui, si vous m'écoutez comme Juge équitable, Vous ne me croirez plus de trahison capable ; Mais un pauvre Amoureux, qui n'a rien tant à coeur Que se voir votre Gendre, et votre serviteur. DON PEDRO. Mon gendre ? Et que dirait Madame Dorothée ? DON DIÈGUE. Alors qu'on vous aura la chose bien contée, Et que vous verrez clair dans mon intention, Le pouvoir qu'a sur nous notre inclination ; Assurément, Monsieur, sera toute ma faute. Mais devant dites-moi nouvelles de mon hôte, J'en suis inquiété ; car on m'a dit, Monsieur,Qu'il était accusé d'être faux Monnayeur, Et devant qu'il ait pu se sauver par la fuite, Qu'un Exempt est venu sans Archer ni sans suite, L'arrêter. DON PEDRO. En cela je vois je ne sais quoi Qui sent beaucoup la fourbe, et peu l'ordre du Roi. Quand il est question de faire la capture D'un homme atteint d'un cas de pareille nature, Les Exempts ne vont point, s'ils ne sont bien suivis ; Et ce qui me confirme encor, en mon avis, C'est que ce Maître Exempt fait l'amour à ma fille, Et s'appelle : Attendez, dom Gaspard de Padille ; Don Félix l'a poussé d'abord en chamaillant : L'autre parant toujours, et toujours se raillant, Comme n'ayant pas peur d'un si faible Adversaire, Don Félix jure, pousse, et ne lui peut rien faire : Redouble ses efforts, dont l'autre enfin pressé, Attaque vivement son Ennemi lassé ; Le blesse dans un bras, lui fait tomber l'épée, Et lui met à ses pieds une oreille coupée. Don Félix tout sanglant tombe sur le pavé ; Don Gaspard à l'instant s'est vitement sauvé. Mais ce n'est pas encor sa dernière infortune, Le Ciel sur le méchant n'en verse pas pour une : Un Archet du Prévôt le regardant de près, (En vertu d'un décret qu'il m'a fait voir après) Le saisit au collet : c'était sa Dorothée, Qu'il croyait par argent avoir bien contentée, Et qu'un Oncle qu'elle a, jaloux de son honneur, Avait fait révolter contre ce suborneur. Tout ceci s'est passé comme un grand feu de paille ; Un moment a vu naître et finir la bataille ; Don Félix est tombé dans tous ces accidents ; En un demi quart d'heure, et même en moins de temps DON DIÈGUE. Il est donc en prison ? DON PEDRO. Et de si bonne sorte, Qu'il faudra qu'il l'épouse auparavant qu'il sorte : Elle a bonne promesse, outre deux beaux enfants, Dont le plus vieil, dit-on, n'a pas plus de deux ans. Don Gaspard paraît. Mais c'est là notre Exempt, ou bien je n'y vois goutte, Puisqu'il vous rit au nez, je ne suis plus en doute, Qu'en ce que Don Félix a souffert aujourd'hui, Vous n'ayez pour le moins autant de part que lui. DON DIÈGUE. Monsieur, il n'est plus temps de vous cacher la chose ; Du mal qu'a Don Félix, vous seul en êtes la cause. DON PEDRO. Moi, la cause ? DON DIÈGUE. Oui, vous, mais fort innocemment, Au lieu que dom Félix souffre bien justement. Car enfin Don Félix est fourbe très insigne, Et de votre alliance un homme très indigne. Quand vous serez instruit de ses déportements, Vous me direz alors s'il est vrai que je mens, Et me confesserez, qu'épousant votre Fille, Il était pour troubler toute votre famille ; Et c'est ce qui m'a fait, je le confesse bien, Rompre son mariage, et reculer le mien. Et le petit Janos et cette Dorothée, Est une Histoire feinte à dessein inventée, Et l'une et l'autre Lettre est une invention Qui vous doit faire voir ma bonne intention, Bien mieux que les desseins intéressés d'un traître, Comme on a cru les miens, devant que les connaître ; Recevez donc, Monsieur, pour ce gendre perdu, Mon Cousin Don Gaspard qui s'est ici rendu, Afin de vous offrir son humble obéissance, Et recevoir l'honneur d'être en votre alliance. Par la Poste il a su ce matin seulement Que le Marquis son frère est dans le monument, Aîné de la sa maison, il a droit de prétendre Aux plus riches partis. DON PEDRO. Refuser un tel gendre, Et l'accepter aussi sans y bien regarder, C'est achever bientôt, mais c'est bien hasarder. DON DIÈGUE. L'on peut gagner Madrid en petites journées, Où l'on peut aisément finir nos Hyménées, Chez le Marquis mon père, encor mieux que chez vous, Puisque là vous pourrez vous informer de nous. DON PEDRO. Ce n'est pas mal parlé. DON GASPARD. Le bonheur où j'aspire, (Que je préfèrerais à l'honneur d'un Empire) Est un bien d'un tel prix, qu'on ne la doit donner À ceux qu'on n'a pas eu le temps d'examiner. DON PEDRO. Il ne reste donc plus qu'à guérir ma Lucie ; Vraiment son accident tout de bon me soucie. DON GASPARD. Qu'a-t-elle donc ? DON PEDRO. Elle est sourde depuis hier, Si fort, qu'en lui parlant il faut toujours crier. DON GASPARD. Le Ciel en lui donnant les qualités d'un Ange, Comment l'a-t-il soumise à ce malheur étrange ? Et comment, pense-t-il que sans impiété On puisse voir souffrir une telle Beauté ? DON PEDRO. N'irritons point le Ciel, qu'il ne nous en punisse ; Ma Fille guérira, s'il faut qu'elle guérisse : Haussant la voix. Et bien que dites-vous de ce nouvel Époux ? LUCIE faisant semblant de ne l'entendre. Il n'est pas à propos de me tâter le pouls, Bon si j'avais la fièvre. DON PEDRO. Elle est tout à fait sourde. LUCIE. Je sens certaine humeur aussi froide que lourde, Qui me tombe en l'oreille avec mille douleurs. DON PEDRO. Je suis père, excusez si je verse des pleurs. Ma Fille ? LUCIE, faisant un cri perçant, qui fait tressaillir tout le monde. Haussant la voix. Haye, haye, haye, haye. DON PEDRO. Peste comme elle crie, J'en ai tout tressailli. LUCIE. Moins de bruit, je vous prie ; Je ressens dans l'oreille un si cruel tourment, Que je ne pense pas pouvoir vivre un moment. BÉATRIX. Vous dormez bien souvent la tête découverte, Tous vos rideaux levés, et la fenêtre ouverte. C'est avoir de l'esprit un peu moins qu'un Oison ; Mais je crois vous guérir avec une Oraison ; Elle vient d'un Cousin qui fut homme d'Église, Qui l'apprit à mon oncle ; et qui l'ayant apprise, En fit part à ma Mère : elle qui savait tout, En me la récitant souvent de bout en bout, Me la fit à la fin entrer dans la mémoire ; Mais il faudra jeûner sans manger et sans boire Le jour qu'on la dira, puis cacher dans son lit Quatre brins de fougère. DON PEDRO. Et bien, as-tu tout dit ? LUCIE en sourit, et se cache d'un linge. Si je prends un bâton, Madame l'idiote, Je te ferai bien taire ; au diable soit la sotte. J'en aurais pourtant ri dans une autre saison. HÉLÈNE. Vous en riez, ma Soeur, sans doute l'oraison Aura fait son effet. LUCIE. Mon Dieu, venez-moi prendre, J'entre en convulsion. HÉLÈNE. Ce qu'elle veut entendre, Elle l'entend fort bien ; et vous l'allez bien voir. Ma Soeur, mon mariage est en votre pouvoir ; Mon Père ne veut pas qu'on fasse l'un sans l'autre, Pour achever le mien, consentez donc au vôtre. Ne m'entendez-vous pas ? LUCIE haussant la voix. C'est pour avoir été Tous les jours au serain, tant qu'a duré l'été. HÉLÈNE. Je ne dis pas cela. LUCIE. Que faut-il que je fasse ? HÉLÈNE. Ce brave Cavalier se présente à la place Du méchant Don Félix, donnez-lui donc la main ? DON PEDRO. Il est plein de mérite. DON DIÈGUE. Et mon cousin germain. LUCIE. Hay, hay, je n'en puis plus, ma douleur se réveille ; Tous les élancements que je sens dans l'oreille Se viennent d'augmenter. HÉLÈNE. Ma Soeur, guérissez-vous, Mon père le veut bien, vous aurez pour Époux Le Seigneur Don Diègue. LUCIE. En vérité ? HÉLÈNE. Moi-même Je vous le céderai, car je sais qu'il vous aime. LUCIE. Vous me le céderez ? HÉLÈNE. Oui, je vous le promets. LUCIE. Je ne suis plus sourde, et ne le fus jamais. DON PEDRO. Dieu soit loué, la fourbe est enfin découverte. HÉLÈNE. Hé bien, ne suis-je pas à guérir très experte ? DON DIÈGUE se mettant à genoux avec Lucie. Vous pouvez bien, Monsieur, nous rendre malheureux, Mais vous pouvez aussi par un trait généreux Suspendre les effets d'une juste colère, En faveur des bontés que doit avoir un père. Je n'aime que Lucie, elle n'aime que moi ; Nous nous sommes donnés l'un et l'autre la foi ; Et nous sommes, Monsieur, si bien unis ensemble, Qu'on nous fera mourir, si l'on nous désassemble. LUCIE. Pour moi si je n'obtiens l'Époux que je prétends, Je redeviendrai sourde, et sourde pour longtemps. HÉLÈNE. Mon père, voulez-vous que l'affront m'en demeure ? LUCIE. Mon Père, voulez-vous à l'instant que je meure ? DON PEDRO. Vous me causez ici d'étranges passions, Mais pourtant je déferre aux inclinations ; Puisqu'il aime Lucie au mépris de l'aînée, Il faut bien que le Ciel ait la chose ordonnée ; Et que la passion qui le moins me revient, L'avarice s'entend, n'est pas ce qui le tient. DON DIÈGUE. Recevant, mon cousin, mademoiselle Hélène Gagne aussi bien qu lui, car outre que sa haine M'est justement acquise, ayant si mal usé Du bien qu'elle m'offrait, et que j'ai refusé, En richesse, en crédit, en esprit et courage, Je confesse qu'il a sur moi grand avantage. HÉLÈNE. Monsieur est très aimable, et je vous en crois bien ; Mais vous paraissez tel, et vous ne valez rien. DON GASPARD. Ne m'attribuez rien digne de cette belle, Qu'un amour violent dont je brûle pour elle. DON PEDRO. Je passerais pourtant pour un sot bien aisé, Si je m'adoucissais, étant si méprisé, Dois-je donc châtiez sa désobéissance ? Ou dois-je déférer à l'humaine impuissance ? LUCIE. Ah ! Mon Père, pardon. DON DIÈGUE. Prenez pitié de nous, De deux pauvres Amants qui sont à vos genoux. DON GASPARD. Ne m'accusez pas d'espérance trop vaine, De demander leur grâce ? Et votre Fille Hélène ? u?: PEDRO. Et bien que dites-vous, ma Fille, là-dessus. HÉLÈNE. Devant vous je n'ai point de choix ni de refus ; J'espère que ma Soeur, et son cher infidèle, Me vengerons l'un l'autre, elle de lui, lui d'elle ; Et je pense acceptant le parti présenté, Que je reçois bien plus, qu'on ne m'avait ôté. DON PEDRO. Qu'on tienne donc demain toute chose apprêtée ; Tandis que Don Félix contre sa Dorothée Demain l'Official se défendra, s'il peut, Nous irons à Madrid, puisque ainsi Dieu le veut ; Et là gaillardement mettre fin à nos Noces. Je vais pour cet effet donner ordre aux Carrosses. DON GASPARD. Monsieur, si vous avez quelqu'un à quereller, Vous savez qui je suis, vous n'avez qu'à parler ; Je me bats quelquefois sans qu'il soit nécessaire, Jugez si je ferai des combats pour vous plaire ; Il coûtera du sang à qui vous fâchera, Et pour un seul regard on vous satisfera ; Faites des ennemis autant que bon vous semble, Vous me verrez tout seul les battre tous ensemble, Ou si vous aimez mieux les battre séparés, Je ferai tout selon que vous désirerez ; Il est vrai qu'on dépense en gardes, mais n'importe, L'honneur seul est le bien des hommes de ma sorte. DON PEDRO. Laissons-là le duel, puisqu'il est défendu. DON GASPARD. Dites-vous ? Sans duel un État est perdu, C'est le seul métier Noble où la vertu s'exerce ? Et rien n'est comparable à la quarte ou la tierce. ==================================================