******************************************************** DC.Title = LE MARQUIS RIDICULE, OU LA COMTESSE faite à la hâte. COMÉDIE. DC.Author = SCARRON, Paul DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:21. DC.Coverage = Espagne DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/SCARRON_MARQUISRIDICULE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k84186d DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE MARQUIS RIDICULE OU LA COMTESSE FAITE À LA HÂTE. COMÉDIE M DC LVI. Avec Privilège du Roi. PAR Mr SCARRON. À PARIS, Chez Antoine de Sommaville, dans la Galerie des Merciers, à l'Écu de France.Achevé d'imprimer le 8. Février 1656. Représenté pour le première fois en 1646. Monsieur, Une personne, qui vous entendant nommer, demanderait qui vous seriez ; passerait bien pour un Campagnard très ignorant des affaires du monde : vous y êtes en telle réputation, qu'enfin, lorsque l'on parlera de vous, on en viendra à ne dire que, MONSIEUR L'ABBÉ, comme on dit aujourd'hui Monsieur le Cardinal, comme on a dit autrefois du dernier grand Ministre, et comme on a dit toujours de tous ceux, qui se sont rendus importants par leur mérite. Ce vous est une gloire, d'être à votre âge, un des plus considérables hommes de l'État ; mais ne vous est-ce point une grande fatigue ? Votre grand crédit ne vous accable-t-il point de prières inciviles ? Et ne vous fait-il point trouver quelquefois dans votre antichambre, une haie d'importuns, qui vous attendent au passage ? Je pense même que quelqu'un s'imaginera que c'est ce qui vous a attiré le livre que je vous dédie : mais que tous faiseurs de jugements téméraires sachent que j'ai pris mes sûretés de ce côté-là, et que devant que de vous destiner une manière de présent, qui plaît souvent moins à celui qui le reçoit, qu'à celui qui le fait ; j'ai voulu savoir, si vous trouveriez bon que je vous le fisse. Vous m'avez fait dire que vous ne l'aviez pas désagréable : et en vérité, MONSIEUR, vous ne deviez pas recevoir moins obligeamment, l'envie que j'ai d'être votre serviteur : mais ce n'est pas assez que je le veuille, il faut que vous le vouliez aussi ; et après que vous l'aurez bien voulu, il faudra peut-être encore savoir, si je mérite de l'être. Si vous m'en voulez croire, vous n'y regarderez pas de trop près, et vous m'accorderez l'honneur de votre bienveillance, comme a fait Monsieur le Procureur Général votre frère. En attendant que vous ayez pris votre résolution sur une affaire, qui m'est aussi importante, que sont importants à l'État, les services que vous lui rendez, tous les jours, je vous supplie de lire ma Comédie : c'est à mon gré la mieux écrite de toutes celles que j'ai données au Public, depuis que mon malheur m'a réduit à n'avoir rien de meilleur à faire, et ce sera celle qui m'aura le mieux réussi, si elle a votre approbation, que je préfère à tous les applaudissements des Théâtres, comme je fais tout ce qui me pourrait arriver de plus heureux, à la qualité de MONSIEUR, Votre très humble et très obéissant serviteur. SCARRON. ACTEURS. DON BLAIZE-POL, Marquis de la Victoire. . DON SANCHE, son frère. DON COSME de Vargas. BLANCHE, fille de Don Cosme. LIZETTE, suivante de Blanche. STÉFANIE, Dame Portugaise. LOUISE, suivante de Stéfanie. OLIVARES, Écuyer de Stéfanie. ORDUGNO, Écuyer de Don Blaize. MERLIN, valet de Don Blaize, servant Don Sanche. La Scène est à Tolède. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Stéfanie, Louize. LOUISE. Madame excusez-moi, si je vous interromps ;Mais le soleil ici donne sur nous à plomb,Sans parasol, sans mante, au Soleil, à telle heure,Être au cours, c'est jouer à se perdre, ou je meure,Voulez-vous faire ici de l'astre radieux, [Note : Morguer : Regarder fixement un prisonnier, afin de le reconnaître. Signifie aussi, braver par des regards fiers, fixes et mesprisants. [F]]Et de votre bel oeil morguer celui des cieux ?Sauf l'honneur que je dois à votre noble essence,Ce dessein romanesque a de l'extravagance. STÉFANIE. Tu me parles toujours avecque liberté. LOUISE. Mais Madame après tout, je dis la vérité ; Car au cours, à midi, que voulez-vous donc faire ? STÉFANIE. Ignorant mon dessein, tu n'as rien qu'à te taire. LOUISE. Au moins m'avouerez-vous que l'on y vient que tard,Et qu'on n'y laisse point son carrosse à l'écart. STÉFANIE. Tais-toi. Je te disais tout à l'heure Louise  ! Qu'à moins que d'un Seigneur, je ne puis être éprise.Je hais le petit noble à l'égal du bourgeois ;L'écu seul à couronne est l'objet de mon choix :Enfin, nul, quel qu'il soit, n'aura sur moi d'empire,Si dans ses qualités il n'entre du Messire. LOUISE. Et Don Sanche, Madame, est-il un grand Seigneur,À qui si franchement vous donnez votre coeur ?Ma foi ; d'un grand Seigneur, il n'a pas l'équipage,Et son train jusqu'ici, ne pèche pas en page. STÉFANIE. Si tu voyais bien clair, tu connaîtrais qu'il est, Quoique avec peu de train, autre qu'il ne paraît. LOUISE. Et sur quoi fondez-vous pareille conjecture ? STÉFANIE. Sur ce qu'il a l'air grand, et de fort bon augure ;Sur ce qu'en l'approchant mon âme m'avertitQu'il est né grand Seigneur ; mais qu'il se travestit. Je ne me suis jamais d'un Seigneur approchée,Que d'un instinct secret je n'aie été touchée ;Mais je me pique aussi d'être de mon côté,Le véritable aimant des gens de qualité,Titre, que je préfère au beau titre de Reine. LOUISE. Vous êtes Portugaise ? STÉFANIE. Il est vrai, je suis vaine. LOUISE. Mais par l'ordre du ciel à qui tout est sujet,Si Don Sanche n'est pas un Seigneur contrefait,Lui ferez-vous encor, de l'humeur dont vous êtes,La mine, et les doux yeux, que partout vous lui faites ? STÉFANIE. Il est vrai que je dis ce que je ne fais pas ;Il est vrai qu'à le voir, je trouve trop d'appas ;Et bien qu'il ne m'ait pas par mon faible attaquée,Qu'il m'a pourtant vaincue. LOUISE. Ou du moins détraquée.Pour moi, si je brûlais, je cacherais mon feu, Ou je n'en ferais voir que quelquefois un peu :Car s'il voit, fin qu'il est, en pareille matière,Que vous en ayez tant, il n'en recevra guère.Il est doux, complaisant, fort civil, grand flatteur,Avec ces qualités, on peut être imposteur ; Avec ces qualités, on trompe dans le monde,Et si c'est là-dessus que votre esprit se fonde,Pour croire que le sien vous est assujetti,J'ai peur que votre amour n'en est le démenti.Ou je sais peu de chose en l'amoureux martyre, Ou c'est modestement que pour vous il soupire,Et je n'ai pas grand peur que sa famille un jour,Vous plaide à son sujet pour un meurtre d'amour.Fût-il Comte, ou Marquis, étant ce que vous êtes,Il ferait pour le moins le chemin que vous faites, Votre rare beauté fait tout pour l'acquérir,Voit-on sur votre amour, son amour enchérir ? STÉFANIE. Oui, même avec excès. LOUISE. Chacun en croit de même,Chacun croit aisément qu'on l'aime autant qu'il aime,Vous autres déités, vous avez l'esprit vain : Ha ! Sortez vitement de ce doute incertain ;Qu'il décline son nom, son pays, sa naissance ;Il est temps qu'à son tour, il fasse quelque avance.S'il a ce qu'il vous faut, un Notaire, un Curé ;S'il n'est pas ce qu'on croit, fît-il bien l'éploré, Fermez-lui votre porte, et m'en cherchez un autre,[Note : Fait : Ce qui est convenable à quelqu'un. [L]]Dont vous serez le fait, comme il sera le vôtre. STÉFANIE. Je sais que bien souvent, il se promène ici.Et c'est pour ce sujet, que je m'y trouve aussi.Afin qu'en m'y voyant, seule, à pied, sans livrée, Il s'aille figurer ma conquête assurée,Et que pour me connaître, il vienne m'approcher. LOUISE. Qu'espérez-vous par là ? STÉFANIE. Je lui veux reprocher,[Note : Donner à tout : pour dire, Embrasse toutes sortes d'affaires. [T]]Qu'il donne à tout. LOUISE. Ma foi, ce n'est pas gain de cause,Pour vos nobles desseins, il faut bien autre chose. STÉFANIE. Cela me peut servir à le faire expliquer ;À connaître s'il m'aime, ou s'il se veut moquer,Car puisque tout mon bien est ma seule industrie,Je redoute surtout la contrefourberie. LOUISE. Par ma foi, je le tiens aussi fourbe que nous. STÉFANIE. Mais il n'est pas aussi le seul but de mes coups. LOUISE. [Note : En joue : fig. Coucher en joue, ne pas perdre de vue une personne ou une chose sur laquelle on a quelque dessein. [L]]Ce financier coquet, que vous couchiez en joue,Et qui ne vous hait pas, le valait bien. STÉFANIE. Il joue ;Son humeur m'est suspecte ; on croit qu'il doit au Roi,Et n'est pas dans Madrid cru pour homme de foi. LOUISE. Et ce beau courtisan, qui vous suit à la piste ? STÉFANIE. Le madré veut savoir en quoi mon bien consiste,Ne t'imagine pas à voir ma vanité,Que je m'attache tant aux gens de qualité :Si je trouve ou Bourgeois, ou vieillard qui soit riche, Par d'honnêtes faveurs dont je ne suis pas chiche,Je saurai le gagner ; lors ma conditionSe pourra bien passer de mon invention,Et lors avec honneur, sans faire de bassesse,Je pourrai soutenir l'éclat de ma noblesse : Pour cet effet, je vole aux oiseaux passagers,Et notre politique en veut aux étrangers.J'ai de bons espions dans les hôtelleries,Dans les postes, bureaux, coches, messageries,Tu m'es un bon second, et notre Olivares, Pour nos nobles desseins est comme fait exprès,Aux yeux de cent jaloux, il sait faire un message. LOUISE. Bref votre Olivares est un grand personnage. STÉFANIE. Il a su découvrir, qu'un certain vrai Marquis,Arrive dans Madrid, et sait bien son logis. Ce Seigneur étranger, si j'ai bonne mémoire,A nom Don Blaize Pol marquis de la Victoire ? LOUISE. La peste que de noms ! STÉFANIE. Cela sent son Seigneur. LOUISE. Madame j'aperçois votre écuyer d'honneur. STÉFANIE. Il nous apprendra quelques bonnes nouvelles. LOUISE. C'est le Phénix, l'extrait, des écuyers fidèles. STÉFANIE. Dis-moi la vérité que tu ne le hais pas ? LOUISE. Je pense aussi pour lui ne manquer pas d'appas.Hé bien ! Surintendant des dépêches secrètes !Qu'as-tu de bon ? SCÈNE II. Olivares, Stéfanie, Louise. OLIVARES. Tais-toi, Sultane des coquettes ! Je me suis informé comme vous m'aviez ditDu logis de Don Sanche, et je sais comme il vit,Et que pour le servir, il n'a qu'une personne.Mais on m'a dit de plus, et c'est ce qui m'étonne,Que son appartement, dont je me suis enquis, Était l'appartement de même Marquis,De ce Don Blaize Pol qu'on attend de Castille, STÉFANIE. Hé bien ! C'est un Matois, un petit noble, un drille,Vois-tu ! Je me connais en gens de qualité. OLIVARES. En sortant de chez lui, je l'ai trouvé botté. LOUISE. Et moi je l'aperçois. STÉFANIE. Mon bonheur me l'amène. LOUISE. Où vient-il si matin ? STÉFANIE. Il faut que je l'apprenne,Cachons-nous. SCÈNE III. Don Sanche, Merlin. DON SANCHE. Tu dis donc, que mon frère est venu ? MERLIN. Oui Monsieur, craignant fort d'être un animal cornu,Et que cette beauté qu'ici l'on lui destine, Ne sois pour son repos trop aimable, et trop fine. DON SANCHE. Comment se porte-t-il ? MERLIN. Ma foi, trop bien pour vous,Au reste, avant l'hymen le Seigneur est jaloux,Sa lettre qu'il m'a lue, et que je vous apporte,Vous fera voir comment son Marquisat se porte, Il prétend se cacher quelque temps dans Madrid,[Note : Guerre à l'oeil : observer avec soin ce qui se fait afin de profiter des conjonctures. [L]]Faisant la guerre à l'oeil, s'éclaircissant l'espritDu renom, et des moeurs de l'épouse promise,Qui payera bien cher le titre de Marquise. DON SANCHE. La femme qu'il prendra, doit bien se préparer À mal passer son temps, et beaucoup endurer.J'avais comme tu vois aujourd'hui pris la botte,[Note : L'original porte Don Quixotte.]Pour aller au-devant de ce franc Don Quichotte. MERLIN. Vous l'avez mieux nommé que vous n'avez pensé.Il n'est pas dans le monde un homme moins sensé, Vous ne croiriez jamais le chagrin, et la peine,Que je souffre à servir une tête mal saine. DON SANCHE. Que les Pères ont tort de tenir leurs enfants,Éloignés de la Cour, à se rouiller aux champs. MERLIN. Et vos lettres Monsieur ? DON SANCHE. Gardez-les ; qu'ai-je à faire, De lire les fatras d'un impertinent frère ?Puisqu'il est dans Madrid, et que je le vais voir ;Mais dis-tu vrai Merlin, que tu n'as pu savoirLe nom, ni le logis de sa femme future ? MERLIN. Vous savez comme il est défiant de nature, Qu'il fait secret de tout, et de rien bien souvent,Et qu'il n'a pour conseil que son chef plein de vent :Mais vous, mon cher Seigneur, qu'il ne vous en déplaise,Comment vont vos amours avec la Portugaise ? DON SANCHE. Stéfanie ? MERLIN. Elle-même. DON SANCHE. Elles vont assez bien ; Car elle me caresse, et ne demande rien. MERLIN. Tant mieux. DON SANCHE. Je la vais voir, parce que sa demeureEst proche de la mienne, et qu'on m'ouvre à toute heure ;Et l'on m'y voit souvent n'ayant que faire ailleurs,Et manque aussi d'avoir des passe-temps meilleurs ; J'y demeure parfois pour changer moins de place ;J'en sors pour en changer, quand la mienne me lasse ;J'y rêvai par coutume, et jamais par amour ;Ma paresse souvent m'y retient tout un jour.Quand j'y rêve, elle croit, comme elle est vaine et belle, Que je ne puis rêver pour autre que pour elle,Et lorsque je me tais par taciturnité,Que c'est par le respect que j'ai pour sa beauté.Je lui dis des douceurs, qui ne me coûtent guère,[Note : Rompre en visière : Rompre en visière, rompre sa lance dans la visière de son adversaire ; et fig. attaquer, contredire quelqu'un en face, brusquement. [L]]Et souvent je me plais de lui rompre en visière Pour diversifier la conversation,Ou faisant le jaloux par ostentation,J'ai le plaisir de voir comment elle s'efforce,D'apaiser un amant, qui parle de divorce.Je paye ses faveurs de vers bien ou mal faits Et nous aimons ainsi tous deux à peu de frais.Juge si mon amour me rend fort misérable. MERLIN. Votre relation me la rend toute aimable,N'avez-vous point appris à sa rare beautéVotre nom ? DON SANCHE. Oui Merlin, non pas ma qualité, Non plus que mon pays : mais elle s'imagineQue je suis pour le moins de Royale origine.Un infant d'Aragon, ou bien de Portugal ;Car cette Portugaise, un franc original,Ne reçoit dans ses fers que des gens de la sorte, À tous autres galants elle ferme la porte,Elle en souffre parfois par maxime d'État,Ou pour rendre jaloux quelque gros Potentat,Ou bien pour faire voir qu'à ses yeux rien n'échappeEt qu'indifféremment tout le monde elle attrape. MERLIN. La Dame, ou je me trompe, est faible de cerveau. DON SANCHE. À cela près, elle est aimable ; a l'esprit beau,Et mille en cette Cour avecque moins de charmes,Se font rendre tribut de soupirs, et de larmes. MERLIN. [Note : Mal en meuble : Être bien meublé, être bien en meubles. Être mal meublé, être mal en meubles. [L]]Elle est fort mal en meuble, et je gagerais bien Qu'elle est franche friponne, et qu'elle ne vaut rien,L'autre jour sa suivante, en colère contre elle,Disait tout haut qu'à peine elle était Damoiselle. STÉFANIE, cachée. Nous ne pouvons ouïr ce qu'ils disent d'ici. DON SANCHE. Mais, nous avons manqué, dont j'ai bien du souci, Cette jeune beauté que nous avions suivie,Pour la revoir encor, si tu chéris ma vie,Avançons jusqu'au pont. MERLIN. C'est autant de perdu, DON SANCHE. Viens. Qu'importe ? LOUISE. Il s'en va le Marquis prétendu. STÉFANIE. Appelle son valet, si tu m'aimes, Louise. LOUISE. Cavalier ? MERLIN. Que me veut l'écueil de ma franchise ? LOUISE. Converser un moment. MERLIN. Beau magasin d'attraits,Mon Maître est déjà loin, il faut que j'aille après,Sans cela, croyez-moi, ma chère Impératrice,Qu'il n'est rien ici-bas pour vous que je ne fisse. LOUISE. Demeure ici, Merlin. MERLIN. Je n'en n'ai pas le temps,Adieu, moule adorable à faire des enfants. STÉFANIE. Je l'arrêterai bien. Dis-moi mon cher de grâce,Le pays de Don Sanche, et son bien et sa race,Et quelle est la beauté qu'il adore à la cour ? MERLIN. On vous a donc appris l'objet de son amour ? À part.[Note : Martel : Inquiétude [SP]]Je viens de lui donner du martel. STÉFANIE, à part. Ha le traître ! MERLIN. Mon Maître n'est pas tel qu'il tâche de paraître. STÉFANIE. Dis-moi donc son pays, sa qualité, son bien.Tiens. MERLIN. Vous m'avez charmé par ce doux mot de Tiens, Le diamant est bon ? STÉFANIE. Fort bon. MERLIN. Un peu jaunâtre.[Note : Le terme exact pour bizot serait biseau : en pointe.]Bas de Bizot ? LOUISE. Vois-tu, l'on te bat comme plâtre,Si tu ne parles vite. MERLIN. Encore faut-il bienSavoir, si ce qu'on donne est quelque chose ou rien. STÉFANIE. Dis-moi donc son pays, son bien et sa naissance. MERLIN. Vous me demandez-là des choses d'importance.Et dont jusques ici, mon Maître homme discret,Et sage au dernier point m'a toujours fait secret ;Mais comme les Valets ont l'âme curieuse,Et que je vous connais Dame très généreuse, Je veux vous avouer avec sincérité,Que quant à son pays, son bien, sa qualité,[Note : Le mot aye est considéré comme ayant 2 pieds, je ne remplace pas par aie.]Quoique votre présent j'aie bien voulu prendre. Il s'enfuit. Je n'en sais rien du tout, et n'en puis rien apprendre. STÉFANIE. Le coquin m'a jouée, il faut aller après. OLIVARES. Mon bras est impuissant, où le sont vos attraits. STÉFANIE. Il a laissé tomber en fuyant quelque chose,Va-t'en le ramasser. OLIVARES. C'est une lettre close. STÉFANIE. Apporte. OLIVARES. Ou c'en sont deux en un même paquet. STÉFANIE. Il faut voir ce que c'est, romps vite le cachet, La date est d'aujourd'hui, la lettre est fraîche faite,Nous allons découvrir quelque affaire secrète, LETTRE.Mon frère,Je suis dans Madrid, et qui pis est, j'y suis pour me marier. J'ai grand peur, qu'un bourreau de beau-père ne m'aille tromper, et ne m'est promis plus de beurre que de pain. Je ne me mouche pas sur ma manche, comme vous savez, et il en faudrait venir au coupe-gorge. Je vais donc faire la guerre à l'oeil ; car de deux accidents il faut éviter le pire. Informez-vous de ses vie et moeurs de votre côté, comme je ferai du mien, et me sachez bon gré de la confidence. Je vous adresse une lettre que j'écris à ma future épouse, afin qu'elle ne me soupçonne pas d'être à Madrid. Le dessus de la lettre vous apprendra sa demeure. LOUISE. A-t-on jamais écrit plus extravagamment ;En des termes plus bas, avec moins d'agrément ?Le style répond mal à l'esprit de Don Sanche. [Note : Il se mouche sur sa manche, i.e. "Il est niais." [O]]Avez-vous remarqué CE MOUCHE SUR LA MANCHE ? STÉFANIE. On écrit mal parfois, quoique l'on parle bien. LOUISE. Et tous ces quolibets qui ne servent de rien ? STÉFANIE. Qu'importe. Mais hélas ! Il importe qu'un traîtreM'ait donné de l'amour sans se faire connaître, Il est Marquis le Fourbe, et d'une qualité,Qui peut à mon souhait borner ma vanité,Il traite cependant d'un autre mariage,Et me fait le jouet de son esprit volage. LOUISE. Je n'eusse jamais cru qu'il eût écrit si mal, Il nous déguisait bien son esprit de cheval, STÉFANIE. Personne n'est exempt d'avoir quelque faiblesse,Quelque tendre, où d'abord qu'on le touche, on le blesse,Il est jaloux sans doute, et quand son mal le prendD'agréable qu'il est ridicule il se rend. Il verra si je suis de mon côté jalouse.Voyons comment il parle à sa divine Épouse.L'adresse est À MADRID POUR BLANCHE DE VARGASDONT LA MAISON CONTIENT UN APPARTEMENT BAS,PEINT DE NEUF, ET GRILLÉ, QUI DONNE EN LA GRAND RUE. LOUISE. Vraiment l'adresse est rare, et de grande étendue. OLIVARES. J'irais les yeux bandés. Je connais la maison. STÉFANIE. Tant mieux. Vérifions sa noire trahison. LETTRE.Ma chère Épouse, Quelques affaires m'empêchent de vous appeler de plus près de ce doux nom. Recevez-le d'où vous êtes, je vous le donne d'où je puis, et cependant je consens, et ma volonté est que cette lettre ait la force d'une promesse de mariage, en attendant que nous le consommions dans Madrid après la bénédiction du Prêtre. Don BLAIZE POL, Marquis de la Victoire. LOUISE. Il entre, ce me semble, ici quelque mystère ;Car Madame il écrit de Madrid à son frère, Son frère apparemment est aussi dans Madrid, STÉFANIE. Il n'est pas question de se lasser l'esprit,À deviner le sens, dont la lettre est écrite :Mais il est question que mon âme s'irrite ;Qu'on se moque de moi ; qu'on me fait enrager, Et que je veux tout faire, afin de me venger.Oui perfide, oui méchant, j'irai chez ta Maîtresse,Lui faire le récit de ta fausse finesse.Louise, Olivares, il faut me seconder,À rompre cet hymen, ou bien le retarder : Mais ce n'est pas assez de rompre un hyménéeIl faut bien davantage à ma rage obstinée,Je veux après avoir fait manquer cet hymen,Qu'il en meure le traître. LOUISE. Oui qu'il meure. OLIVARES. Amen. STÉFANIE. Perdons le scélérat qui s'attaque à ma gloire. OLIVARES. Soyons victorieux de la même victoire. STÉFANIE. L'allusion me plaît, elle est pleine d'esprit.Tantôt pour cela seul, je te donne un habit. LOUISE. À moi Madame ? STÉFANIE. À toi ! Je te donne une jupe. LOUISE. Malheur sur le Marquis qui nous a pris pour dupe. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Blanche, Lizette. LISETTE. Pour moi quand vos chevaux s'emporteront si fort,[Note : In manus : Ceci est tiré des dernières paroles de Jésus sur la croix avant de mourir : in manus tuas commendo spiritunm meum, entre tes mains je me remets mon esprit. Dire son in manus signifie que l'on va mourir.]Je dis mon in manus, et j'attendis la mort.Si je ne l'avais vu, je croirais impossibleQue la peur fît en nous un effet si terrible ;[Note : L'original porte : "sans poux".]Car vous chutes sur moi, sans pouls, sans sentiment, Et j'en suis pâle encor d'y songer seulement. BLANCHE. Notre libérateur me vit-il de la sorte ? LISETTE. Et craignit comme moi que vous ne fussiez morte.Pourquoi garder aussi des chevaux si fringants ?Et des chiens de cochers tous les jours s'enivrant ? BLANCHE. Comment se trouva-t-il en ce lieu solitaire,Ce jeune cavalier, cet ange tutélaire ? LISETTE. Je ne sais pas comment, mais je bénirai Dieu,Qui nous le fit trouver à telle heure, en tel lieu. BLANCHE. Qu'il me parut civil ! Qu'il est bien fait, Lizette ? LISETTE. Je croirais bien aussi qu'il vous trouva bien faite. BLANCHE. Comme j'étais Lizette ? LISETTE. Oui, comme vous étiezToute pâle, à ses yeux autant vous éclatiez,Qu'il éclatait alors aux vôtres par sa mine. BLANCHE. Mais de cet accident, qui fut donc l'origine ? LISETTE. Votre malheur, le mien, un bourreau de cocherToujours saoul, des laquais qu'il faudrait écorcher,Écoutez comme quoi nous l'échappâmes belle,Dont, ma foi, nous devons une belle chandelle.Nous passions sur le pont, sans beaucoup nous hâter, Et sans avoir dessein de nous précipiter.Votre cocher était comme vous savez ivre,Et vos laquais s'étaient dispensés de vous suivre.Nous regardions les eaux du clair Mansanarez,Quand un chien, l'on eût dit qu'il l'eût fait tout exprès, Fit peur à vos chevaux, dont l'ivrogne de guideAccablé de sommeil ne tenait plus la bride.Du chien effarouchés, ils galopaient fougueux,Vers où le bord du fleuve à voir même est affreux,Lorsque ce Cavalier, ou plutôt ce bon Ange Vola vers vos chevaux d'une vitesse étrange,Et coupa leur harnois de son acier tranchant,Sur le point qu'ils s'allaient jeter dans le penchant.Nous étions cependant, vous, dans mes bras pâmée,Moi, de vous voir ainsi toute à fait alarmée. Vous revîntes après votre pâmoison,Et lors vos yeux ingrats par grande trahison,Firent au Cavalier une amoureuse plaie.Voilà de l'accident la relation vraie. BLANCHE. Folle plains-moi plutôt, et ne me raille point. Le plaisir qu'on m'a fait, m'inquiète à tel point,Par la crainte que j'ai de ne le pouvoir rendre,Que de m'en attrister je ne me puis défendre. LISETTE. Je crois cette tristesse une naissante amour,Qui paraît dans vos yeux claire comme le jour. BLANCHE. Amour ? Moi ? LISETTE. Vous ? Amour ? Êtes-vous une souche ? BLANCHE. Non : mais j'ai de l'honneur. LISETTE. Qui vous rend bien farouche. BLANCHE. Quand j'aurais répugnance à vivre sous ses lois,Une fille prend-elle un Époux à son choix ?N'attends-je pas le mien aujourd'hui ? LISETTE. Mais Madame ! S'il est mal fait de corps aussi bien que de l'âme ? BLANCHE. Si mon père me donne un Époux odieux,Pour de mieux faits que lui je fermerai les yeux. LISETTE. Si quelque amour secret l'oblige à la dépense ? BLANCHE. Je réglerai la mienne, et prendrai patience. LISETTE. S'il est jaloux, avare, impertinent, railleur ?S'il est fâcheux, malpropre, ivrogne, ou grand parleur ?S'il est joueur, s'il perd ses terres et les vôtres ?Si cagot, pour et nuit il dit ses patenôtres ?S'il est chauve, gaucher, rousseau, louche, ou cagneux ? BLANCHE. Le Ciel ne sera pas pour moi si rigoureux :Mais quand il serait tel que le fait ta peinture,L'ennemi du bon sens, l'horreur de la nature,Un injuste tyran, de son ombre jaloux,Pour l'aimer, il suffit qu'il serait mon époux. LISETTE. Madame, si l'Époux que le ciel vous destine,A de ce Cavalier le visage et la mine,S'il est d'esprit, de biens et de vertus pourvu.On peut tout espérer devant que l'avoir vu.Que sait-on ? BLANCHE. Ha Lizette ! Il faudrait être heureuse. LISETTE. Ha ! Madame, ma foi vous êtes amoureuse. BLANCHE. Tais-toi, je vois mon père. SCÈNE II. Don Cosme, Blanche, Lizette. DON COSME. Hé bien ! Votre accident,De la faveur du Ciel est un signe évident. BLANCHE. Si vous saviez Monsieur, par quel bonheur étrangeSans le secours d'un homme, ou plutôt d'un bon Ange... DON COSME. L'on m'a de point en point conté ce grand malheur,Dont je vous voie sauvée, et quitte pour la peur.Comment vous portez-vous ? BLANCHE. De ma peur étourdie,Je me sens faible encor ; mais c'est sans maladie. SCÈNE III. Merlin, Don Cosme, Blanche, Lizette. MERLIN surpris de voir Don Cosme. Madame de la part. Mais... DON COSME. Que demandez-vous ? MERLIN, à part. Je suis pris. Un laquais était venu chez nous.[Note : Le mot juillep est inconnu. Le mot le plus voisin est Julep. ]Demander un juillep pour votre fille morte,Je suis apothicaire, et c'est ce que j'apporte. DON COSME. On n'en a pas besoin. LISETTE, à part. Peste de l'étourdi. BLANCHE. Mon ami ! Je vous trouve à mentir bien hardi. Vous feriez soupçonner surpris comme vous êtes,Qu'il se passe entre nous des affaires secrètes.Monsieur, c'est le valet, ou je me trompe fort,Du Cavalier sans qui vous pleureriez ma mort ? LISETTE. Je ne suis pas à lui ; mais je suis à son frère. DON COSME. Comment s'appelle-t-il ? MERLIN. À part.Ô le curieux Père !Puisqu'il vous faut parler dans feintise, et sans dol,Mon Maître est un Seigneur nommé Don Blaize Pol. DON COSME. Marquis de la Victoire ? MERLIN. Oui Monsieur. DON COSME. C'est mon gendre.Est-il ici ? MERLIN. Lui-même. DON COSME. Et me veut-il surprendre ? Que ne m'écrivait-il qu'il venait et pourquoi,A-t-il voulu descendre autre part que chez moi ? MERLIN. Il est d'un naturel surprenant. LISETTE. Ha Madame !Vous allez donc bientôt être Marquise, et femme ? DON COSME. Tu sais où le trouver ? MERLIN. Oui, Monsieur ? DON COSME. C'est assez. [Note : Ajuster : S'acommoder proprement, se parer. [R]]Ajustez-vous ma fille, et vous réjouissez,Je prétends dès ce soir achever votre noce.Qu'on mette vivement les chevaux au carrosse.Lizette, et vous ma fille obtenez dessus vous,De paraître plus gaie aux yeux de votre époux. Il sort. BLANCHE. Notre aventure hélas ! m'a bien moins étonnée,Que ne fait le penser de mon proche Hyménée. LISETTE. Passer de fille à femme est sans doute un grand saut ;Mais quelque grand qu'il soit, on le franchit bientôt. BLANCHE. Ô Dieu ! Que vois-je encore ? SCÈNE IV. Don Sanche, Blanche, Lizette. DON SANCHE. Après vous avoir vue, De tant de dons du Ciel si richement pourvue,Je ne puis m'empêcher de revoir vos beaux yeuxPour leur offrir encor mon coeur comme à mes Dieux.Déjà de leurs regards la menace sévèreFait craindre à mon amour leur injuste colère ; Leur dédain redoutable est prêt de châtier,Un crime que ma mort seule peut expier ;Mais que leur cruauté contre moi tout emploie ;Tout supplice m'est doux pourvu que je les voie. BLANCHE. Quand mon père m'amène un Époux que j'attends, Me venir voir encor, c'est mal prendre son temps. DON SANCHE. Je venais m'informer de l'état où vous êtes. BLANCHE. Si vous saviez Monsieur, la peur que vous me faites,Ou plutôt à quel mal vous m'exposez ici,Vous ne me viendriez pas rendre visite ainsi. Il est vrai, je vous dois la vie, et je le confesse,Que mon coeur généreux me le redit sans cesse ;Mais dans le même temps qu'il m'apprend mon devoir,Il m'avertit aussi que j'ai tort de vous voir. DON SANCHE. Vous ne m'avez rien du, dont vous ne soyez quitte, Mais j'ai cru vous devoir au moins une visite,Ou plutôt je l'ai cru devoir à mon repos,Puisque éloigné de vous j'endure mille maux. BLANCHE. [Note : Le mot aye est considéré comme ayant 2 pieds, je ne remplace pas par aie. ]Bien que j'aye pour vous toute sorte d'estime,Je ne puis plus longtemps vous écouter sans crime, Vous revoir, c'est manquer à ce que je me dois,Et peu faire pour vous ; mais beaucoup contre moi.Emmenez-le Lizette. LISETTE. Allons, allons, mon brave !Et si vous devenez notre amoureux esclave,Comme vous en avez tout à fait la façon, Sachez qu'un jeune coeur n'est pas toujours glaçon,Que Lizette vous peut servir, et que LizetteA pour vous dans son âme une estime parfaite. DON SANCHE. Si c'était l'offenser que l'aimer, ardemment,Elle m'aurait traité trop peu cruellement ; Mais si c'est de l'amour que les Dieux nous demandent,Si c'est par nos respects, qu'à nos voeux ils se rendentDoit elle recevoir d'un oeil si rigoureux,Et mes respects soumis, et mes soins amoureux ? BLANCHE. Lizette ! Hâte-toi, veux-tu donc que mon père Le trouve ? LISETTE. Allons Monsieur. DON SANCHE. Ô Dieu qu'elle est sévère ! LISETTE. J'entends Monsieur qui vient, vite cachez-vous là. BLANCHE. Lizette ! Quel malheur ! LISETTE. Ne craignez rien. SCÈNE V. Don Blaize et ses gens, Don Cosme, Blanche, Lizette. DON BLAIZE. Holà !Ne vous dispensez pas ma sotte valetaille,En un jour important comme un jour de bataille, En un temps où l'amour mon ennemi cruelContre un fier basilic me suscite un duel ;Car ma belle en est un, dont la mortelle vue,Fait d'un homme vivant un mort à l'imprévue.Ne vous dispensez pas, dis-je, mes sottes gens, D'être au moindre clin d'oeil, à ma voix diligents,Afin que la Déesse à qui mon coeur encenseJuge de mon esprit par votre obéissance.M'entendez-vous ? DON COSME. Monsieur, vous commandez iciComme Maître absolu. DON BLAIZE. Je l'entends bien ainsi. [Note : Le mot draitte désigne la droite et même la main droite.]Mon beau-père, notez, que vous avez la draitte,Notez de la façon qu'avecque vous je traite :Je ne la donne pas à tous, en bonne foi.Et ce rencontre ici ne fait pas une loi.Mais allons de plus près déployer la faconde, Devant cette merveille à nulle autre seconde.Mieux vaut un oisillon qu'on tient dessus le poingQu'un grand oiseau de prix volant dans l'air bien loin,Vous méritiez un Roi merveille sans égale,Vous n'aurez qu'un Marquis sous la loi conjugale. Ordugno ! Que dis-tu de l'application ? ORDUGNO. Qu'elle est digne de vous. DON BLAIZE. Elle est d'invention,Et sans doute elle aura la donzelle attendrie. ORDUGNO. Il n'en faut point douter. LISETTE. Quelle pédanterie !Madame ! BLANCHE. Ha tais-toi donc, Lizette ! DON COSME, à part. Avec le temps La Cour pourra changer le style, et l'air des champs. DON BLAIZE. Vous êtes un long temps, me semble, à me répondre,[Note : Semondre : Réprimander. [L]]Devrait-on là-dessus avoir à vous semondre ? BLANCHE. Quand bien on m'offrirait ce qui ne se peut pas,Un Époux plus que vous à mes yeux plein d'appas Et dont la qualité fût plus considérable,Ce qui n'est pas possible, encore moins croyable ;Quand au lieu de Marquis, vous seriez un grand Roi,Le pouvoir qu'a mon père a toujours eu sur moi,Qui n'ai jamais songé qu'à l'aimer, à lui plaire, M'aurait fait consentir au bon choix de mon père,Ainsi pour deux raisons j'aime un si digne Époux,Et parce qu'il le veut, et parce que c'est vous. DON BLAIZE. Ordugno ! Qu'ente dis-tu ? La Sibylle Gomée,M'eût moins par son discours l'âme enthousiasmée. Ordugno ! L'artisan qui peignit son portraitN'a pu le fat qu'il est la rendre trait pour trait.Ordugno ! J'ai grand peur qu'une femme si belleDe moi son papillon deviendra la chandelle,Ordugno ! ORDUGNO. Quoi, Monsieur ? DON BLAIZE. Elle en tient. ORDUGNO. Sûrement ! DON BLAIZE. Mais à bon chat bon rat, j'en tiens pareillement.Ordugno ! La maison me choque en sa structure,Il en faudrait changer toute l'architecture,[Note : Bicoin : Il semble que l'expression en bicoin correspondrait à en biais, de biais.]La chambre est en bicoin, tout au moins il faudraitAbattre l'angle aigu, pour en faire un droit. Ordugno ! ORDUGNO, d'un ton chagrin comme ennuyé d'être tant appelé. Monseigneur ! DON BLAIZE. Quelle façon mauditeDe répondre ! Est-ce point que le faquin s'irriteD'entendre si souvent Ordugno répéter.Sais-tu que c'est ainsi qu'on se fait maltraité ?Sais-tu que qui t'as fait, te pourra bien défaire ? ORDUGNO. Je crois n'avoir rien fait qui puisse vous déplaire. DON BLAIZE. Je l'ai fait favori de Page fort galeux,Dont un meilleur que lui se tiendrait fort heureux,Et le gredin qu'il est, se fait tirer l'oreille.À cause que parfois à lui je me conseille, Tous valets sont valets. ORDUGNO. Mais Seigneur... DON BLAIZE. Il suffit.Ne me va point chercher dans ton mauvais espritDe mauvaises raisons, ou nous aurons querelle,Viens à moi sans gronder alors que je t'appelle ;Ne me parle jamais qu'étant interrogé, Et jamais sans respect, ou bien prends ton congé. DON COSME. Ne trouvez-vous pas bon, Monsieur, que j'aille fairePréparer une chambre à Monsieur votre frère ?Car je ne prends pas qu'il loge hors de chez moi. DON BLAIZE. C'est fort mal prétendu, mon beau-père. DON COSME. Et pourquoi ? DON BLAIZE. Parce qu'en un logis où dormira ma femme,De mon consentement ne dormira corps d'âme ;Par corps d'âme, j'entends tous parents, tous amis,Tous valets, même aussi, s'il m'est ainsi permis,Tous chiens, chats, et chevaux mâles, toute peinture, Qui représente au vif masculine figure.Sans doute, vous direz, et vous dires bien vrai,Que je suis fort jaloux ; mais je m'en sait bon gré. DON COSME. On ne saurait faillir par trop de prévoyance. DON BLAIZE. Vous me parlez ainsi par pure complaisance. Vous êtes un adroit, Don Cosme, et je vois bienQue vous accordez tout, et ne contester rien.Ces maudits esprits doux sont personnes à craindre ;Mais jusqu'ici de vous je n'ai pas à me plaindre.Ordugno ! ORDUGNO. Monseigneur. DON BLAIZE. Dis-moi quelle heure il est ? ORDUGNO. Il est déjà bien tard. DON BLAIZE. Le dîner est-il prêt ? ORDUGNO. Il le sera bientôt. DON BLAIZE. Qu'om me mène à ma chambre ;Qu'on ne m'y brûle point de pastilles à l'ambre ;Que le repas aussi soit sobre, et limité ;Car je ne puis souffrir la superfluité. Ordugno ! ORDUGNO. Monseigneur. DON BLAIZE. Fais bien la sentinelle.Furette bien partout. ORDUGNO. Je vous serai fidèle. DON BLAIZE. Allons, Don Cosme, allons, montrez-moi le chemin. Il sort.Adieu jusqu'au souper belle au teint de jasmin ! BLANCHE. Ha Lizette ! LISETTE. Ha Madame ! À quelle destinée Vous réduit votre père avec son hyménée.Avait-il de bons yeux quand il vous a choisi[Note : Cramoisi : On dit figurément, qu'un homme est sot en cramoisi, pour dire, qu'il est sot au dernier degré, et que sa sottise est telle, qu'elle ne s'effacera point, quelque chose qui arrive. [F]]Ce Marquis campagnard, fantasque en cramoisi ? BLANCHE. Ha ! Ne m'en parle point qu'avec respect Lizette,Je te l'ai déjà dit, encor qu'il me maltraite, Quelques cruels tourments qu'il me fasse endurer,Il ne m'est pas permis même d'en murmurer.Fais vitement sortir ce cavalier. Je trembleQue quelqu'un du logis ne vous rencontre ensemble ;Dis-lui que je l'estime autant que je le dois, Et que de l'Action qu'il a faite pour moi,La mémoire en mon coeur par le devoir tracée,Par la longueur du temps ne peut être effacée ;Et que je n'aurais pas refusé de le voir,Si je l'avais pu faire, et suivre mon devoir. LISETTE. On va bientôt souper. Tous nos gens vont et viennent,Et ceux de ce Marquis tous les passages tiennent,Je crois qu'ils sont payés pour en user ainsi :Mais je prendrai mon temps, et pour vous hors d'ici,Allez dans votre chambre, et cependant Lizette Tirera le captif de sa noire cachette. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Lizette, Don Sanche. LISETTE. Les valets du Marquis à leur Maître fidèles,Avaient si bien partout placé leurs sentinelles,Que durant le souper même, je n'ai pas pu,Tirer hors de son trou notre amant morfondu. Il me fait grand pitié ; car il est fort aimable :Mais, ma foi, le Marquis ne sera pas traitable,Et je me trompe fort, s'il est moins diligent,À garder sa moitié qu'à garder son argent.Sortez mon Cavalier, sortez en diligence : Vous m'avez aujourd'hui coûté plus d'une transe,Nous avons un mari jaloux comme un damné. DON SANCHE. Hélas ! Il est mon frère, et de plus mon aîné. LISETTE. Dites-vous ? DON SANCHE. Et de plus, c'est le dernier des hommes. LISETTE. Nous sommes bien à plaindre en l'état où nous sommes ; Moi d'avoir un tel Maître, et vous un frère tel.J'en fais dès aujourd'hui mon ennemi mortel ;Il ne méritait pas une femme si belle. DON SANCHE. Ni moi de l'éprouver si fière, et si cruelle. LISETTE. Vous l'avez obligée, et vous êtes bien fait ; Espérez : son esprit est sensible au bienfait ;Et quoique par vertu sa peine il dissimule,Je sais qu'il est choqué d'un mari ridicule.Si peu qu'un sot Époux à nos yeux fasse malLe temps change en mépris le respect conjugal, Et si peu qu'un Mari de rende méprisable,Il ne manque au Galant qu'une heure favorable. SCÈNE II. Don Blaize, Lizette, Don Sanche, Ordugno. DON BLAIZE. Ordugno ! LISETTE. Le voici, mon Dieu, que ferons-nous ? DON BLAIZE. Et viens donc, Ordugno ? LISETTE. Vite, recachez-vous,Maudit soit, l'Ordugno, je tremble en chaque membre DON BLAIZE. Ordugno ! ORDUGNO. Pourquoi donc sortir de votre chambre ? DON BLAIZE. Mes amoureux soupirs en ont échauffé l'air,Et pourraient à la fin moi-même m'y brûler. ORDUGNO. Que ne reposez-vous votre personne lasse ? DON BLAIZE. Je ne puis demeurer longtemps en une place, Triste comme je suis. ORDUGNO. Pourquoi triste ? DON BLAIZE. Pourquoi ?Quel mortel ici-bas doit l'être plus que moi ?Je veux absolument me cacher d'un beau-père,Qui me trouve d'abord, grâce à mon sot de frère :Qui contre l'ordre exprès à lui par moi donné, À lui frère cadet par moi son frère aîné ;Qui contre l'ordre donc, porté dans ma missive,De ne révéler pas à personne qui viveQue je suis dans Madrid, a d'abord découvert[Note : Prendre sans vert : Fig. Prendre quelqu'un sans vert, le prendre au dépourvu. [L]]L'infaillible moyen de me prendre sans vert. ORDUGNO. Et qu'ordonniez-vous à Don Sanche ? DON BLAIZE. De faireInvestigation de Blanche, et de son père,Savoir ce qu'on en dit dans la Cour de Madrid,Car si quelqu'un de Blanche avait surpris l'esprit,Par conséquent le corps, je n'aurais que son reste, Et ma honte bientôt deviendrait manifeste,Ainsi Don Blaize Pol encorné plus qu'un boeuf,Aurait à souhaiter de se voir bientôt veuf ;Au lieu que si mon frère eût caché ma venue.Cette maison bientôt m'aurait été connue : Et, cela fait, suivant mon information,Ou bien j'aurais agi par consommation,Ou bien j'aurais d'abord rompu mon mariage ;Mais il n'en n'est plus temps, Ordugno, dont j'enrage,Qui pis est, le beau-père est de ces esprits doux, Qui sur tout, en tout temps sont d'accord avec vous ;Qui ne quittent jamais leur douce procédure,Et qui rient au nez quand on leur fait injure. DON SANCHE, à part d'où il est caché. Le fantasque qu'il est m'aurait pris en défaut,S'il n'eût ainsi parlé de sa lettre tout haut ; Mais je puis maintenant dire que je l'ai lue.Quoique à vrai dire son valet l'ait perdue. DON BLAIZE. Mais épluchons un peu la future moitié,Qu'en dis-tu ? ORDUGNO. Qu'elle est belle ! DON BLAIZE. Et trop de la moitié,Et de cette suivante un peu trop familière ? ORDUGNO. Qu'elle me plaît beaucoup. DON BLAIZE. Elle ne me plaît guère.Comment ! À sa maîtresse ; à la barbe des gens,Elle parle à l'oreille, à toute heure, en tout temps.Loin de moi, loin de moi soubrette qui conseille,On dispose du coeur de qui l'on a l'oreille ; On dispose du corps, de qui on a le coeur,Cela fait, un mari se trouve sans honneur.Va, va-t'en dans ma chambre, apporte une lumière ;Je ne veux pas laisser le moindre coin derrièreOù je n'ai porté mes regards, et mes mains, Si j'allais y trouver le malheur que je crains,Quelque Galant caché, je ferais rumeur telleQue mon maudit hymen se romprait par querelle. DON SANCHE, dans sa cachette. Si cet extravagant cherche partout ainsi,Il ne faut point douter qu'il ne me trouve ici, Mais je me puis sauver tandis qu'il ne voit goutte. DON BLAIZE. J'entends marcher quelqu'un auprès de moi sans doute,Qui va-là ? DON SANCHE. Qui va-là toi-même ! DON BLAIZE. Es-tu mortel,Ou fantôme ? DON SANCHE. Je suis homme vivant, et tel,Que pour avoir osé profaner la demeure Et l'honneur d'un Marquis, je t'étrangle sur l'heure. DON BLAIZE. Tu me serres la gorge homme trop ponctuel !Mais je t'étranglerai d'un effort mutuel.Démon ! Car tu ne peux être un homme ordinaireAprès le mal cruel que tu me viens de faire, Que cherches-tu céans ? DON SANCHE. J'y cherche à t'y punir. DON BLAIZE. Et d'où prends-tu l'audace, et le droit d'y venir ? Ordugno en entrant éteint sa chandelle contre le visage de son maître. Ordugno ! L'étourdi m'a brûlé le visage. ORDUGNO. Qui Diable vous croyait aussi dans mon passage ? DON SANCHE. Ha, mon frère ! Est-ce vous ? À la voix d'Ordugno, Je vous ai reconnu. DON BLAIZE. Frère ou plutôt bourreau,À quoi bon m'étrangler ? DON SANCHE. À dessein de vous plaire. DON BLAIZE. La belle invention pour hériter d'un frère ! DON SANCHE. Vous me l'aviez écrit. DON BLAIZE. Oui de vous informerDe Blanche, et de ses moeurs, non de vous enfermer Dans son logis de nuit : mon cadet ! C'est trop faire,C'est transgresser mon ordre, enfin c'est me déplaire. DON SANCHE. Je n'ai point eu dessein que de vous obéir. DON BLAIZE. Mais n'avez-vous point eu celui de me trahir. DON SANCHE. Votre lettre en mes mains, ne fut pas plutôt mise, Qu'afin d'exécuter vos ordres sans remise,J'entrai dans ce logis. DON BLAIZE. Où je vous vois caché.Qui vous y fit entrer ? DON SANCHE. Je suis bien empêché. DON BLAIZE. Parlez donc : Qu'avez-vous à vous gratter la tête ?Eûtes-vous pour cela quelque prétexte honnête ! Car on n'introduit pas pour rien, et sans sujetDans un logis d'honneur, un cavalier suspect. DON SANCHE. Je priai, je promis, je gagnai sa suivante,Feignant pour sa Maîtresse une amour violente, DON BLAIZE. N'avais-je pas bien dis ? La friponne qu'elle est À la fidélité préfère l'intérêt :Je m'en veux éclaircir, puisqu'il y va du nôtre.Prenez cette casaque, et me donnez la vôtre,Et cependant, allez dans ma chambre. Ordugno !Vous tiendrez compagnie à ce Godelureau. Je vais bien attraper la maudite soubrette :Elle croira venir tirer de sa cachetteMon frère, et me prendra pour ce larron d'honneur,Et je découvre ainsi ce qu'elle a sur le coeur. DON SANCHE. Il va tout découvrir, ô la sotte défaite Dont je me suis servi ! DON BLAIZE. La maudite soubretteSur la foi des manteaux truqués si prudemment,Pour Don Sanche aura pris dom Blaize assurément.Elle viendra bientôt le tirez de sa geôle,Et lors, je ne dis pas que sur sa tendre épaule Coups orbes, et pesants par moi ne soient donnés :Mais je lui veux devant tirer les vers du nez. LISETTE, croyant parler à Don Sanche. Le sot homme est sorti. DON BLAIZE, à part. Peste ! Comme on me nomme. LISETTE. Ha ! Que n'est-il déjà doublement un sot homme. DON BLAIZE, contrefaisant sa voix. Bon. Du plaisir reçu je me revancherai. LISETTE. Je n'ai rien fait au prix de ce que je ferai.Sortez donc. Ce Marquis nous fera de la peine,Fantasque comme il est. DON BLAIZE, à part. Ha ! La double vilaine. LISETTE, entend venir Don Sanche qu'elle croit Don Blaize. Dieu me veuille assister ! Ne le voilà-t-il pas ? Elle s'enfuit. Songez à vous, pour moi je me sauve à grand pas. DON BLAIZE. Ha ! C'est vous, pourquoi donc venir sitôt mon frère. DON SANCHE. Le désir de savoir le secret d'une affaire,Où notre honneur commun peut-être intéresséEn est cause. DON BLAIZE. Ma foi, vous étiez bien pressé. DON SANCHE. Qu'avez-vous donc appris ? DON BLAIZE. Trop. D'abord la traîtresse. M'a promis sa faveur auprès de sa maîtresse,Puis m'a donné du sot, et du fantasque aussi :Mais je lui veux apprendre à me traiter ainsi.Chaque chose a son temps, et quant à vous Don Sanche,Je veux que vous feigniez d'être amoureux de Blanche. Je veux par votre amour adroitement joué,Découvrir si son coeur vous peut être voué,Et je pourrai peut-être avec la même feinteDécouvrir, si ce coeur n'a point eu d'autre atteinte.Vous pouvez bien penser que je serais gâté, S'il fallait que la belle en eût déjà tâté.L'adresse à ce dessein n'est pas peu nécessaire,N'y faites pourtant pas tout ce qui s'y peut faire,Que votre feint amour n'ait rien d'incontinent. DON SANCHE. Ce Mari curieux, qu'on nomme impertinent, N'en a jamais tant fait. DON BLAIZE. Vous me voulez instruire,Vous malheureux cadet qu'un aîné peut détruire,Vous m'osez conseiller ; vous me traitez de sot,Moi tous sens, tout esprit, moi Don Blaize en un mot. DON SANCHE. Mais que peut-on penser d'un homme qui s'ingère D'aimer une beauté destinée à son frère ?Et quelle opinion aurait-elle de moi ?Qui ferait un tel crime. DON BLAIZE. Et n'est-ce pas de quoiDonner une couleur à pareille entreprise,Que feindre que votre âme est dès longtemps éprise ? DON SANCHE. Je ne l'ai jamais vue. DON BLAIZE. Et suis-je donc un fou ?Et n'avez-vous pas vu son portrait à mon cou ?N'est-il pas digne assez de votre idolâtrie ?Mais foin, je l'ai laissé dans notre hôtellerie,Je m'en vais le quérir. DON SANCHE. J'irai bien. DON BLAIZE. Volontiers, Vous iriez fureter ma male et mes papiers.Rengainez, rengainez votre offre officieuse,Que ces frères cadets ont l'âme curieuse !Je suis des curieux l'ennemi capital. DON SANCHE, à part. La belle occasion que m'offre ce brutal ! DON BLAIZE. Que dites-vous tout bas. DON SANCHE. Que je suis prêt de faireTout ce qu'il vous plaira. DON BLAIZE. M'obéir c'est me plaire.Ordugno ! ORDUGNO. Monseigneur ? DON BLAIZE. Ordugno ! ORDUGNO. Monseigneur ? DON BLAIZE. Faut-il pour mes péchés qu'un valet soit dormeur ?Ordugno ? ORDUGNO. Monseigneur ? DON BLAIZE. Dieu te puisse confondre, Monseigneur, Monseigneur, ce n'est là que répondre ;Mais ce n'est pas venir. ORDUGNO. Hé bien que voulez-vous ? DON BLAIZE. Sortir. ORDUGNO. Sortir si tard, c'est à faire à des fous. DON BLAIZE. Parle pour toi croquant. Sais-tu bien ce qu'engendreL'indulgence d'un Maître au valet bon à pendre ? Certaines libertés, qui lassent à la fin.[Note : Faquin : Crocheteur, homme de la lie du peuple, vil et méprisable. Il y a beaucoup de Grands Seigneurs qui ont des ames de faquins. [F]]Et qui font tôt ou tard qu'on le traite en faquin :Va quérir mon épée, et prends aussi la tienne,Et lanterne, et poignard. ORDUGNO. Faut-il que Merlin vienne ? DON BLAIZE. Non. Qu'on m'ouvre, aussitôt qu'on m'entendra siffler, Il sort. Je reviens à l'instant. MERLIN. Où veut-il donc allerSi tard ? DON SANCHE. Tu le sauras devant que la nuit passe,D'où viens-tu toi ? MERLIN. [Note : Tope : Sorte d'interjection. Terme du jeu de dés, dont se sert celui qui tient le dé, et qui veut bien jouer la poste qui lui est proposée par celui qui dit masse. (...) Tôpe, se dit aussi en débauche, lorsqu'on accepte un défi de boire (...) [T]]Je viens de perdre à tope et masseUn petit diamant, dont m'avait fait régalLa belle Stéfanie honneur de Portugal : Il n'en est pas au monde une plus folle qu'elle,[Note : Séquelle : Suite de personnes ou de choses qui vont ordinairement ensemble. [F]]Je la viens de trouver avec sa séquelle,C'est-à-dire Louise, et son Olivares,Assiégeant ce logis, et de loin et de près.Elle, ou quelqu'un des siens, n'en quitte pas la porte Guignant les gens au nez, soit qu'on entre ou qu'on sorte.Dans ses mains par malheur je suis tantôt tombé.Et sous ses questions j'ai quasi succombé.Elle m'a fait sur vous mille et mille demandes,Quand elle m'aurait fait autant de réprimandes, Je crois sur mon honneur, qu'elle m'eût moins pesé,Quelqu'un dans son esprit vous a démarquisé,Je l'en trouve pour vous un peu moins échauffée,[Note : Coiffé : Infatué. [L]]Et même je la tiens de Don Blaize coiffée,[Note : Battre le pavé : aller et venir sans but, sans occupation. [L]]Et que c'est pour lui seul qu'elle bat le pavé. DON SANCHE. Je voudrais de bon coeur qu'elle l'eut enlevé. MERLIN. Le Marquisat sans doute a donné dans son tendre,Un Marquisat aussi n'est pas mauvais à prendre. DON SANCHE. Plût à Dieu que ses yeux fissent un même effet[Note : Fait : signifie encore ce qui est propre et convenable à quelqu'un. [Ac. 1762]]Sur ce cher frère aîné, qui serait bien son fait, Et que d'elle amoureux, il me cédât mon ange. MERLIN. Qui ne pleurerait pas peut-être d'un tel change :Mais songez vous encore à la prise d'un coeurSi régulièrement retranché dans l'honneur,Un coeur, qu'on peut nommer la plus dure des roches, Qui ne peut pas souffrir seulement des approches.Vous m'allez alléguer ses yeux astres jumeaux.[Note : Moineau : On dit proverbialement d'une chose considérable que d'autres veulent avilir, Appellez-vous cela des moineaux ? On dit aussi, tirer sa poudre aux moineaux, pour dire, Faire de la dépense pour venir à bout d'une chose qui n'en vaut pas la peine, ou dont on ne vient pas à bout. [F]]D'accord ; mais c'est tirer votre poudre aux moineaux. DON SANCHE. À peine croiras-tu Merlin ! Par quelle voie,Un espoir surprenant ressuscite ma joie. MERLIN. Dites-la, vous verrez si je la crois ou non. DON SANCHE. Aussi jaloux que fou, mon frère tout de bon,Veut que... mais quelqu'un vient ; je te dirai le resteTantôt. SCÈNE III. Lizette, Don Sanche, Merlin. LISETTE. Mon cher Monsieur, notre Maîtresse pesteD'une étrange façon contre vous. DON SANCHE. Et pourquoi ? LISETTE. Que sait-elle ? Elle peste encore plus contre moi.Mais si près du Marquis vous êtes bien tranquille,Que fait-il donc ? Dort-il ? DON SANCHE. Le Marquis est en villeÀ l'heure que je parle. LISETTE. Et qu'y fait-il si tard,Cet ennemi commun ? DON SANCHE. C'est une affaire à part. Vous saurez seulement, que Don Blaize, et Don SancheSont fort bien. Que ne suis-je aussi bien avec Blanche ? LISETTE. Si vous étiez sorti, vous y seriez fort bien.Jamais esprit ne fut moins ferme que le sien.Ô le sot animal qu'une fille timide ! À force de pleurer, elle a la tête vide :Mais lorsque la pauvrette a su qui vous étiezD'aise elle m'a baisée, et fait cent amitiés. DON SANCHE. Sait-elle que je suis le déplorable frèreDu trop heureux Marquis ? LISETTE. Elle se désespère De n'avoir pas le choix de Don Blaize, et de vous,Et de se voir réduite à prendre un tel époux. DON SANCHE. On siffle. Merlin ! On a sifflé. C'est mon frère va viteOuvrir la porte. LISETTE. Et moi je regagne mon gîte. DON SANCHE. Ne m'abandonnez pas au besoin. LISETTE. Je ferai Des merveilles pour vous, ou bien j'y périrai :Parce que je crois faire une oeuvre charitable,En faisant réussir une amitié sortable ;Outre que j'ai pour vous autant d'affection Elle sortQue j'ai pour le Marquis de juste aversion. SCÈNE IV. Don Blaize, Don Sanche, Merlin, Ordugno. DON BLAIZE. Ordugno ! ORDUGNO. Monseigneur ? DON BLAIZE. Que je périsse infâme,Si le prend dans Madrid belle ni laide femme.Comment ! Un étranger y paraît-il, soudainLes femmes du pays le courent comme un daim.Mon frère, justement au sortir de la porte, Deux dames de qui l'une à l'autre sert d'escorte,[Note : Quinola : Terme du jeu de Reversis et de la petite Prime. C'est ainsi que les Espagnols ont nommé le valet de coeur qui donne avantage à ces jeux-là. [F]]Et certain Quinola qui sert à la mener,Comme un lièvre gîté me sont venu tourner ;Et celle qui des deux m'a paru la Maîtresse,D'une démarche fière, et d'un air de Princesse, M'est venu sottement, soit pour mal, soit pour bien,Regarder sous le nez, et m'a caché le sien.J'ai cru cette action d'abord une passade,Et l'inutile effet d'une folle boutade :Mais Maîtresse, suivante, et le vieil Écuyer, N'ont point abandonné leur prétendu gibier :Ils m'ont depuis céans jusqu'à l'HôtellerieToujours envisagé de la même furie :La Dame cheminant tantôt à mon côté,Tantôt me devançant d'un pas précipité, Et tantôt se faisant par moi laisser derrière.Le retour s'est passé de la même manière :Là-dessus j'ai sifflé, vous m'avez fait ouvrir.La Dame que mes yeux font sans doute mourir,(Et ce n'est pas ici le premier de leurs crimes, Ils ont bien fait ailleurs d'autres victimes)M'a fait comme j'entrais entendre un grand soupir,Très infaillible effet d'un amoureux désir,Et de là je conclus, que je serais peu sage,Si j'allais dans Madrid me joindre en mariage, Où d'abord que j'arrive, on me court nuit et jour,Où l'homme est le cruel ; la femme y fait l'amour,Où l'on obsède un homme au milieu d'une rue,Où l'on peut être pris pour une malotrue.Et que serais-ce donc, si séjournant ici, Quelque autre chaque jour m'entreprenait ainsi,Quoi ? Si je me trouvais au milieu de cent d'elles,Et qu'étant convoité de ces cent Demoiselles,Mon corps de cent côtés fût à la fois tiré,Don Blaize en cent morceaux se verrait déchiré ? Ordugno ! Notre noce, ou je me trompe, est faite,Je veux dès ce matin déloger sans trompette. ORDUGNO. Et tous vos beaux habits ? DON BLAIZE. Nous nous en servirons. ORDUGNO. Et ceux de votre train ? DON BLAIZE. Nous nous en déferons. ORDUGNO. On ne se défait pas de tels habits sans perte ? DON BLAIZE. Veux-tu que je me jette en une fosse ouverte ?[Note : Encornaillé : Terme burlesque, qui ne se dit qu'en cette phrase : Il s'est encornaillé, en parlant d'un homme qui s'est marié, qui s'est mis en danger d'avoir des cornes, et surtout si c'est à une femme de médiocre chasteté. [F]]Et qu'étant marié, je sois encornaillé ?Mais d'un bien plus grand soin je me sens travaillé,Il faudra que je trouve une excuse valableÀ Don Cosme, un vieillard d'une humeur détestable. Un bourreau d'esprit doux, qui vous accorde tout,Et vous fait compliment en vous poussant à bout ;Qui ne manquera pas de louer ma prudence ;Qui dira, quoiqu'il perde en ma chère alliance,Qu'il rompra mon Hymen tout comme il me plaira ; Et dans le même temps qu'il me le promettra,Le malheureux qu'il est, quoi que je puisse faire,[Note : Dents : On dit, Malgré lui, malgré ses dents, pour dire, Quelque empêchement qu'il y puisse mettre ou apporter. [F]]Malgré mes dents et moi se fera mon beau-père.Mortel, est-il jamais un embarras pareil ;Mais la nuit là-dessus nous donnera conseil. Vous ne laisserez pas de toute votre adresse,De dire des douceurs à ma jeune Maîtresse,À propos nous aurions besoin d'une clarté,Pour bien voir son portrait que j'avais apporté !Mais la Lune est fort claire, approchons la fenêtre, Ici comme en plein jour il ne saurait paraître,Mais... STÉFANIE, qui est dans la rue, passant la main à la fenêtre de la salle basse et arrachant le portrait, dit. Donne. DON BLAIZE. Hay ! Bon Dieu comme on me l'a ravi :C'est le même dragon qui m'a tantôt suivi. DON SANCHE. Qu'avez-vous ? DON BLAIZE. Ce que j'ai ? La demande est plaisante !Et n'avez-vous pas vu l'action violente Que l'on me vient de faire, et comme on m'a grippéMon portrait de la rue, après m'avoir frappé ? DON SANCHE. Vous me surprenez fort. DON BLAIZE. Ha par ma foi c'est elle. DON SANCHE. Et qui ? DON BLAIZE. La même Dame avec sa séquelle,Qui me courrait tantôt. Peste ! Qu'elle m'a fait Une grande écorchure en prenant mon portrait. DON SANCHE. On peut aller après. DON BLAIZE. Ma foi, la larronnesse,En vitesse de pieds surpasse une Tigresse,Aussi bien qu'un portrait, on y perdrait ses pas.Encore un coup ici l'on ne m'attrape pas : Mais allons nous coucher. À propos notre frèreCoucher avec quelqu'un n'est pas mon ordinaire,Passe pour une fois. Ô Don Cosme ! Ô Madrid !Ô maudit mariage ! Ô Marquis sans esprit ! Il sort. DON SANCHE. Ô destin ! Ô amour ! Ô toute aimable Blanche ! Pourrez-vous rendre heureux un autre que dom Sanche ! Il sort. MERLIN. Ô Don Blaize ! Ô Don Sanche ! Ô cher couple de fous !Que le pauvre Merlin va souffrir avec vous. Il sort. ORDUGNO. Ô cher ami Merlin ! Que les fièvres quartaines,Puissent serrer bien fort ces deux têtes malsaines. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Blanche, Lizette. BLANCHE. Il ne savait donc pas mon futur HyménéeEt qu'à son frère aîné l'on m'avait destinée ? LISETTE. Il ne le savait pas : vous n'auriez jamais cruQuelle fut sa douleur aussitôt qu'il l'a su.Si vous eussiez ouï ses amoureuses plaintes, Votre coeur en eût eu de sensibles atteintes.Jamais un malheureux au fort de son tourment,N'a maudit son destin plus pitoyablement.Je n'ai pas pour autrui le coeur autrement tendre :Mais quand je songe en lui, je sens le mien se fendre. Son frère est bienheureux. BLANCHE. Son frère est ce qu'il est,Puisqu'il est approuvé par mon père, il me plaît,Mais j'entends un carrosse. LISETTE, regarde par la fenêtre de la salle. Il est vrai, qui s'arrêteChez nous. BLANCHE. Est-ce pour moi ? LISETTE. Feignez un mal de tête,Si ce sont des fâcheux : je vais les recevoir, Et vous irai quérir si ce sont des gens à voir. Blanche sort. À part. Cette Dame ici viendrait-elle à la noce ? SCÈNE II. Stéfanie, Olivares, Louise, Lizette, Blanche. STÉFANIE. Olivares ! OLIVARES. Madame ? STÉFANIE. Envoyez le carrosse.Pourrais-je dire un mot à Blanche de Vargas ? LISETTE. Elle sort. Je m'en vais l'avertir de descendre ici bas. STÉFANIE. Il était de mon train, et de ma bonne mine,De ne pas faire ici ma visite en gredine :Quelque mauvais que soit un carrosse emprunté,Il nous donne toujours beaucoup d'autorité. OLIVARES. Mais quel noble dessein allez-vous entreprendre ? STÉFANIE. Digne de mon esprit. OLIVARES. J'ai peine à le comprendre. STÉFANIE. Tu me verras Marquise, ou bien je périrai. OLIVARES. Ma foi, vous le serez comme je volerai. STÉFANIE. N'ai-je pas plaisamment attrapé la peinture,[Note : Marmouset : Mignon, favori. [SP]]L'aimable marmouset de l'épouse future ? OLIVARES. Quel bien vous viendra-t-il d'avoir pris un portrait ? STÉFANIE. J'en aurai du plaisir. OLIVARES. [Note : Cotret : Menu bois court et relié avec des hares. Un bâton de cotret. Un cotret de hêtre. On dit, Châtrer des cotrets, pour dire, en ôter quelques bastons. Les cotrets soit de taillis, soit de quartier, doivent avoir deux pieds de longueur sur dix-sept ou dix-huit pouces de circonférence. [F]]J'en aurai du cotret. STÉFANIE. Homme de peu de foi ! OLIVARES. Sans beaucoup d'apparence,Je ne me flatte point d'une vaine espérance. STÉFANIE. Et je m'en flatte moi : mais n'as-tu pu savoir Où le Marquis allait si vite hier au soir ? OLIVARES. J'ai fait ce que j'ai pu pour le pouvoir apprendre. STÉFANIE. Il fut couru des mieux. OLIVARES. Courir, ce n'est pas prendre. SCÈNE I.I. Lizette, Stéfanie, Blanche, Olivares, Louise. LISETTE. Madame va venir dans un petit moment. STÉFANIE. N'aurais-je point troublé son divertissement ? Ne lui ferais-je point de visite importune ?Mais je la vois venir : sa beauté non communeEst encore au-dessus du grand bruit qu'on en fait,Et pour tout dire enfin, efface son portrait.Madame, trouvez bon devant que vous rien dire, Que je vous considère, et que je vous admireJe n'ai jamais rien vu de si charmant que vous. BLANCHE. Je n'attendais pas moins d'un visage si doux,Que des civilités et des cajoleries. STÉFANIE. Qui ne vous en ferait ? BLANCHE. Trêve de railleries. STÉFANIE. Je rends ce que je dois à ce que vous valez. BLANCHE. Apprenez-moi plutôt ce que vous me voulez.De vous pouvoir servir, je me tiendrais heureuse. STÉFANIE, à sa suivante. Louise ! Qu'en dis-tu ? LOUISE. J'en serais amoureuse. STÉFANIE. Et déjà je la suis, et j'en hais doublement Le méchant qui la veut, tromper si lâchement ! LOUISE. Comment peut-il tromper cette belle personne ? STÉFANIE. Comment me trompe-t-il ? BLANCHE. Ce langage m'étonne.Savez-vous qui je suis ? STÉFANIE. Non, je ne le sais pas !Ce n'est pas votre nom que Blanche de Vargas ? BLANCHE. Je l'avoue. STÉFANIE. Et j'ignore aussi qu'on vous marie !Mais vous savez-vous bien la noire perfidie,Qu'un Traître, qu'un Marquis Don Blaize... BLANCHE. Ha taisez-vous,Ne venez point ici décrier mon époux. STÉFANIE. Il est donc votre époux ? BLANCHE. Au moins il le doit être. STÉFANIE. Elle me fait pitié Louise ! LOUISE. Ô le grand traître ! BLANCHE. Ces discours surprenants, et pleins d'obscurité,M'empêchent de répondre à vos civilités. STÉFANIE. Je m'expliquerai mieux, quelque mal qu'il m'arrive ;Mais qu'on ne dise point à personne qui vive, Et surtout au Marquis, que l'on m'ait vu ici :Ce n'est pas sans raison que je vous parle ainsi.Je veux bien l'avouer : il y va de ma vie ;Mais pour avoir le bien de vous avoir servie,Je hasarderais tout, excepté mon honneur. Vous gagnez à tel point mon estime, et mon coeur,Que je ferais pour vous de même ardeur zélée,Quand dans vos intérêts je serais moins mêlée. BLANCHE. Mon estime et mon coeur ne sont pas moins à vous :Mais si vos intérêts sont communs, entre nous, Contentez le désir, que j'ai de les apprendre. STÉFANIE. J'ai toujours dans l'esprit que l'on nous peut surprendre.Madame encore un coup, suis-je ici sûrement. BLANCHE. Ne craignez rien Madame, et parler seulement. STÉFANIE. Faites donc s'il vous plaît sortir votre suivante. BLANCHE. Je ne lui cache rien. STÉFANIE. Elle est pourtant servante. BLANCHE. Oui : mais elle a le don de garder un secret. STÉFANIE. Vous reconnaissez bien cet aimable portrait ? BLANCHE. Et qui vous l'a donné ? STÉFANIE. C'est la personne mêmeÀ qui vous avez fait cette faveur extrême. BLANCHE. Mais pourquoi le Marquis l'a-t-il mis dans vos mains ? STÉFANIE. Don Blaize est, en un mot, le dernier des humains.Quand vous mariez-vous ? BLANCHE. Aujourd'hui. STÉFANIE, à part. L'infidèle ! LOUISE, à Olivares. Il n'est pas dans le monde une plus fourbe qu'elle. OLIVARES. Fourbissime. STÉFANIE. Et Don Blaize a signé le contrat ? BLANCHE. Dès longtemps. STÉFANIE. Ô bon Dieu ! Pardonne au scélérat,Il n'en peut accomplir la principale clause,Ni vous donner la main. BLANCHE. Puisque tout s'y dispose,Que mon père le veut, que j'en ai convenu ;Et que c'est pour cela que Don Blaize est venu. Qui l'en peut empêcher ? STÉFANIE. Hélas ! C'est moi Madame !Moi qui l'ai fait régner dès longtemps dans mon âme,Sa qualité, son bien, ses serments et ses pleurs,Son langage flatteur, et ses feintes douleurs.Ma jeunesse crédule, et mon âme trop tendre, Ma folle vanité trop aisée à surprendre.Enfin tout ce que peut d'ennemis assemblerLa rigueur d'un destin qui voulait m'accabler,Favorisa si bien les desseins de ce traître,[Note : l'haïr : Voltaire a deux fois manqué à aspirer l'h : Je meurs au moins sans être haï de vous, Enf. prod. IV, 3. Et : Aurait rendu comme eux leur dieu même haïssable, Alz. I, 2. C'est une grosse faute. [L]]Que je ne puis l'haïr quelque ingrat qu'il puisse être, Qu'il obtint... mais hélas ma rougeur, et mes pleursVous déclarent assez jusqu'où vont mes malheurs :Mais aussi, je vous suis encor si peu connue,Que vous pourriez douter, si je suis ingénue,Et sans me faire tort, mettre en doute ma foi, Si j'étais sans témoins qui parlassent pour moi,Deux enfants malheureux d'un infidèle père,Joindraient leur faible voix à celle de leur mère,Et ces deux innocents auront bien le créditDe vous persuader tout ce qu'elle vous dit. BLANCHE. Si mon coeur vous pouvait aussi bien que ma bouche,Témoigner à quel point votre malheur me touche,Vous ne douteriez pas de la juste douleur,Que me fait ressentir votre cruel malheur. LISETTE, entre toute effrayée. Tout est perdu. BLANCHE. Quoi donc ? LISETTE. Ils vont venir Madame. BLANCHE. Qui ? LISETTE. Don Blaize, et Don Cosme. STÉFANIE. Ô malheureuse femme !Et que ferai-je donc en cet accablement ? LISETTE. Vous pouvez vous cacher en son appartement ?La clef tient à la porte. DON SANCHE. Ouvre vite, Lizette. LISETTE. Sauvez-vous vite Dame, Écuyer, Soubrette ? Et vous défendez bien si l'on vous veut forcer. SCÈNE IV. Don Blaize, Don Cosme, Don Sanche, Blanche, Lizette, Merlin, Ordugno. DON BLAIZE. Et je soutiens encor qu'il ne faut rien presser. DON COSME. Et je soutiens aussi qu'une semblable affaireSe hasarde beaucoup, alors qu'on la diffère. DON BLAIZE. Et moi je resoutiens qu'on ne hasarde rien, Quand on diffère un peu ce qu'on retrouve bien.Si les grands de la Cour n'étaient pas ma noceSi j'allais emprunter, ou louer un carrosse,Pour aller à l'Église, au lieu d'en avoir unEn propre, et d'un ouvrage au-delà du commun : Si Blanche en pareil jour était si mal en ordre,Que le moindre bourgeois y pût trouver à mordre :[Note : Gredin : Gueux, miserable qui est de la lie du peuple. On le dit aussi des avares et de ceux qui vivent avec grande mesquinerie, qui font des actions de gredin. [F]]Enfin si j'épousait votre fille en gredin,[Note : Badin : Qui est folâtre, peu serieux, qui fait des plaisanteries. Les enfants sont naturellement badins. il n'y a rien plus agréable qu'un amour badin. [F]]Ne me croirait-on pas un fou, vous un badin ?Ne passerais-je pas, ô trop hâté Don Cosme ! Pour le plus grand vilain qui soit dans le Royaume,Ne serais-je pas fat, et même plus que vous ?(Ceci soit dit pourtant sans vous mettre en courroux)Si je ne rendais pas célèbre la journéeQui se pourra vanter de mon noble Hyménée. Je veux que bals, festins, musiques, et taureaux,[Note : Combat à la barrière : combat qui se livrait à la barrière du champ des tournois. [L]]Carrousels, et combats de barrière aux flambeaux,Fassent parler en Cour de ma magnificence :Je différerai donc avec votre licence. DON COSME. Il faut donc différer, je ne conteste plus ; Mais bals, festins, tournois sont des frais superflus,À la cour aujourd'hui, l'on ne s'en pique guère,Il n'est donc pas besoin pour cela qu'on diffère. DON BLAIZE. Cet homme me fera bientôt désespérer.Il ne conteste plus, il veut bien différer, Et dans le même temps qu'il accorde la chose,Le drôle la refuse, et même en dit la cause. DON COSME. Je ne refuse rien. DON BLAIZE. Nous différerons donc ? DON COSME. Ha non. DON BLAIZE. [Note : Onc : Jamais. C'est un mot vieux et burlesque, qui se disait du temps de Marot, Je ne le vis onc. Je n'y fus onques, je ne l'ai rencontré onques puis, depuis ce temps-là. [F]]Ô mal plaisant vieillard, s'il en fut onc ?Voulez-vous différer ou non ? DON COSME. Je ne veux faire Que ce que vous voudrez. DON BLAIZE. Hé bien donc qu'on diffère. DON COSME. Mais si nous différons, qu'est-ce que l'on dira ? DON BLAIZE. Rien, sauf, hormis, sinon, que l'on différera.Je veux absolument différer l'hyménée,Dussiez-vous enrager en votre âme obstinée. DON COSME. Je ne puis différer. DON BLAIZE. Et pour moi, je le puis. DON COSME. Je ne puis différer. DON BLAIZE. Étant ce que je suisIl faut que je diffère, et j'en ai dit la cause. DON COSME. Je ne puis différer. DON BLAIZE. Ha parlons d'autre chose,Ou nous nous brouillerons. DON COSME. Je ne puis différer. DON BLAIZE. Messieurs ! Sur mon honneur, il le faut séparer.Ne voyez-vous pas bien qu'il n'est déjà pas sage ?Et que sera-ce donc, si jamais il enrage ? BLANCHE, tout bas à son père. On peut bien différer les noces pour un temps,J'ai reçu là-dessus des avis importants. DON COSME. Je ne puis différer. DON BLAIZE. Quel détestable flegme ![Note : Apophtegme : Parole sententieuse ou remarquable qui est dite par quelque personne illustre en naissance, ou en savoir. [F]]Ha dites-moi plutôt quelque vieil apophtegme,De ceux dont vous m'avez tantôt assassiné. DON COSME. Je ne puis différer. DON BLAIZE. Maudit soit l'obstiné. DON SANCHE. Puisqu'il vous presse tant, c'est un fort mauvais signe. DON BLAIZE. C'en est un très certain qu'il est un fourbe insigne,Mais allons faire un tour, pour rafraîchir un peuMes esprits échauffés, et mon visage en feu. BLANCHE. Ce n'est pas sans raison que je vous dis, mon père,Que vous devez aussi souhaiter qu'on diffère. Je sais que le Marquis aime depuis deux ans,Une Dame, et de plus qu'il en a deux enfants. DON COSME. Tous les gens comme lui n'en font-ils pas de même ?Étant en Portugal, par un bonheur extrême,Je pus gagner le coeur d'une jeune beauté, Aimable pour l'esprit, riche, et de qualité.Je déguisé mon nom, à cause qu'en CastilleJ'avais l'inimitié de toute une famille,Pour avoir fait périr à mes pieds un Rival,Dont la mort me retint deux ans au Portugal. Cette belle avait nom Elvire de Pacheque,Moi, j'avais pris celui de Don Juan Palomeque,Nous nous aimions tous deux avecque passion,Mais ayant obtenu mon abolition,Je sortis de Lisbonne, et revins en Castille. Laissant vire en pleurs, et grosse d'une fille.Je devais retourner l'épouser ; mais la CourBannit de mon esprit Elvire et mon amour.À quelque temps de là, j'épousai votre mère. STÉFANIE, cachée. Dans la relation que je viens d'ouïr faire, Je trouve assurément l'infaillible moyen,D'obtenir si je veux, et Don Blaize, et son bien. DON COSME. Le voici qui revient. SCÈNE V. Don Blaize, Don Sanche, Ordugno, Don Cosme, Blanche. DON BLAIZE. Je vous croirai, Don Sanche ?Mais allez de ce pas parler d'amour à BlancheJ'entretiens cependant cet ennuyeux vieillard. Don Cosme ! Pourrait-on vous parler à l'écart ? DON COSME. Je suis à vous. DON BLAIZE. Hé bien ! Notre aimable beau-père ?Consentez-vous enfin que l'hymen se diffère ?Ou m'entendrai-je encor l'oreille pénétrerPar cet impertinent, je ne puis différer ? DON COSME. Je n'eusse pas usé de paroles pareilles,Pour peu que j'eusse cru vous blesser les oreilles.Je ne ferai jamais que ce que vous voudrez. DON BLAIZE. Ô que les hommes doux sont souples, et madrés ! DON COSME. Mais Monsieur, vous disiez tantôt, ou je me trompe, Que vous haïssiez fort le vain luxe, et la pompe,Et ce qui peut passer pour superfluité :À quelque bourgeois riche, et né sans qualité,On pourrait pardonner une folle dépense ;Mais elle est condamnée en l'homme de naissance. DON BLAIZE, à part. Ce qu'il me vient de dire, a quelque fondement. DON SANCHE, à l'autre bout du Théâtre. Je ne puis plus tenir contre tant de tourment.Ou vous serez bientôt de mes larmes fléchie,Ou bien votre orgueil verra finir ma vie. BLANCHE. Êtes-vous furieux, Don Sanche, et croyez-vous, Que je puisse longtemps retenir mon courroux ? DON SANCHE. Ne la retenez pas point cette juste colère,Perdez un misérable ; aimez son heureux frère.Avancez mon trépas par vos dédains cruels,J'en sortirai plutôt de mes maux éternels. DON BLAIZE. Mon frère ! À mon secours. Il me tourne, il me vire,Il me fait enrager, et ne fait que sourire. STÉFANIE, cachée. Le frère aîné m'échappe, et le cadet trompeurDe mon esprit jaloux augmente la fureur.Louise ! Olivares ! Écoutez... DON BLAIZE. Ô Don Cosme ! Dans Madrid, ou plutôt dans tout ce grand Royaume,Trouvez-vous quelquefois quelqu'un fait comme vous ?Croyez-vous que la paix soit longtemps entre nous ?Moi chaud comme le feu, vous froid comme la glace,Et quoi que l'on vous dise, et quoi que l'on vous fasse, Vous allez toujours droit où vous voulez aller :Vous me déplaisez fort, je vous veux quereller,Et vous m'assassiner à force de me plaire,Il n'est pas dans le monde un plus parfait beau-père.Mais que vois-je ? Stéfanie sort avec Louise toutes deux voilées, et Olivares la mine la tête cachée dans son manteau et elles se détournent pour choquer Don Blaize. Mes yeux ont vu sa trahison. Mais je sais le moyen d'en avoir la raison.Éloignons ce méchant. DON COSME. Et quelles gens peut-ce être,Qui se cachent chez moi sans se faire connaître ! DON BLAIZE. Quel escadron en deuil vient me choquer ici ?Pourquoi diable, à moi seul s'adresse-t-il ainsi ? Connaissez-vous quelqu'un de cette noire bande,Dites-le moi Don Cosme ? DON COSME. Et je vous le demande.Qui le sais mieux que vous ? DON BLAIZE. Je n'en sais rien ma foi :Je les ai d'abord pris pour les gens d'un convoi. BLANCHE, tout bas à son père. Monsieur, c'est cette Dame, Épouse de Don Blaize, Dont il a des enfants. DON COSME. Il en use à son aise.Je n'ai jamais été choqué si rudement,J'en suis quasi tombé par terre lourdement. Don Cosme tout bas à sa fille. Mais le savez-vous bien ? BLANCHE. Oui Monsieur, c'est la même. DON COSME. Ha ! C'est nous mépriser d'une insolence extrême, Je me plains justement de votre procédé,Don Blaize. DON BLAIZE. Et parbleu bon, je suis réprimandé,Je n'eusse jamais cru qu'un doux à triple étage,De se mettre en colère eût jamais le courage. DON COSME. Il n'entre point chez moi de semblable gibier, C'est me faire une offense, et c'est me décrier. DON BLAIZE. Mais que je sache donc, Don Cosme, je vous prie,Et ce qui vous offense, et ce qui me décrie ? DON COSME. Vous manquer de respect à ma fille. DON BLAIZE. Êtes-vousParfois capricieux, vous autres esprits doux ? BLANCHE. Mon père a grand sujet de trouver fort étrange. DON BLAIZE. Quand est du temps présent, vous vous tairez, bel ange !Et quand est du futur, bel ange, vous saurezQue vous me plairez fort, lorsque vous vous tairez,Mais enfin, sachons donc ce que vous voulez dire ? DON COSME. Que lorsque vous aurez un légitime empireSur Blanche, qu'elle aura bien souvent à souffrirDe pareils déplaisirs. DON BLAIZE. Que je puisse mourir,Si Don Cosme ne croit que j'ai fait entrer en cachetteEntrer dans sa maison quelque amitié secrète, Mon frère allez après. DON SANCHE. J'y cours. DON BLAIZE. Mais à grand pas. DON SANCHE, à part. Ô Amour ! Si l'hymen par là ne se fait pas. DON BLAIZE. Allez donc ! Qu'avez-vous à regarder les nues.Quand des cornes seraient à mes tempes venues,Je n'aurais pas été davantage étonné : C'est quelque Dame à qui j'ai de l'amour donné,Ordugno ! ORDUGNO. Monseigneur ? DON BLAIZE. En sais-tu quelque chose ? ORDUGNO. Rien du tout. DON BLAIZE. Avais-tu tenu ma chambre close ? ORDUGNO. À double tour. DON BLAIZE. Ma foi je n'y connais donc rien.Vous vous coulez, Don Cosme, allez vous faites bien. Don Cosme et Blanche sortent.Et vous l'astre d'amour qui suivez votre père,Empêchez l'esprit doux de se mettre en colère.Ordugno ! ORDUGNO. Monseigneur ? DON BLAIZE. Il faut assurément,Que le Ciel m'ait donné de ses biens largement.Ô les rares talents que je laisse détruire ! Je n'ai pas plutôt fait mon mérite reluireDans Madrid, et j'y suis, à grand peine arrivéQu'on m'y court, que j'y suis peu s'en faut enlevé.Il n'est ma foi rien tel que d'être né bel homme,J'eusse voulu donner une notable somme ; Afin que mon hymen pour un temps fût remis ;Mais sans ces gens masqués sans doute mes amis,Je n'eusse jamais pu différer l'hyménéeAvec un tel vieillard, de qui l'âme obstinéeN'eût jamais démordu de son premier projet, Et quoi que j'eusse dit, et quoi que j'eusse fait.Allons voir là-dessus ce qu'aura fait mon frère,Encore un coup, beauté, que tu m'es salutaire ! ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Don Sanche, Merlin. DON SANCHE. Tout est perdu pour moi, puisque Blanche est perdue,Ne m'en parlez donc plus, ma mort est résolue. MERLIN. Quand vous parlez de mort, parlez-vous tout de bon ?Si j'étais, comme vous, beau comme Cupidon ;Si j'avais, comme vous, un satyre pour frère ;Si j'avais, comme vous, des qualités à plaire ;Si Blanche, comme à vous, me faisait les doux yeux, Si l'amour, comme vous, me rendait furieux ;[Note : Pousuivre sa pointe : fig. et familièrement. Poursuivre, suivre, pousser sa pointe, poursuivre une résolution, une idée avec vigueur ou obstination. [L]]Je pousserais ma pointe, il n'est frère qui tienne,Tant que je verrais Blanche en espoir d'être mienne,Et lorsque je verrais la belle en d'autre bras,J'en serais bien fâché ; mais je n'en mourrais pas. DON SANCHE. Je suis ce que tu dis : mon frère est méprisable ;Mais mon frère est heureux, et je suis misérable,Et pour faire fortune en l'empire amoureux,Il faut être à la fois aimable, et bien heureux.Blanche m'a foudroyé des traits de sa colère ; Blanche sera bientôt dans les bras de mon frère.Quand d'un bien d'où dépend notre félicité,Par haine, ou par mépris l'espoir nous est ôté,Les timides conseils ne sont plus bons à suivre,Qui n'a pu plaire à Blanche, est indigne de vivre. Contentons sa rigueur, et délivrons ses yeuxD'un Esclave inutile aussi bien qu'odieux. MERLIN. Mais Monsieur, sauf l'honneur de votre noble envie,Savez-vous ce que c'est que de perdre la vie ?Il n'est rien tel que vivre. DON SANCHE. Il n'est rien tel pour toi ? Mais la vie est à charge aux amants comme à moi,Que l'amour n'a flatté d'une vaine espérance,N'a trompé par l'éclat d'une belle apparence,Qu'afin que le penser d'avoir pu vivre heureux,Accrût le désespoir de son coeur amoureux. Don Blaize paraît au bout du Théâtre. Mais ce frère odieux à mon repos funeste,Ne vient-il pas m'ôter le seul bien qui me reste ?Ne vient-il pas encor mon trépas empêcher,Après m'avoir ravi ce qui me fut plus cher ?Hélas ! Si je lui dis que Blanche est vertueuse, N'est-ce pas augmenter son ardeur amoureuse ?Si je lui dis que Blanche ne l'est pas,N'est-ce pas offenser un Ange plein d'appas ?Et ne sera-ce point par une action lâche,À l'honnêteté même avoir fait une tache ? Ha ! N'offensons jamais cette Divinité,Et jusqu'au dernier jour disons la vérité. SCÈNE II. Don Blaize, Don Sanche, Ordugno, Merlin. DON BLAIZE. Que disiez-vous tout seul mon frère ? DON SANCHE. Que vous êtesLe plus heureux du monde en tout ce que vous faites.Et que le Ciel vous donne une chère moitié, Digne de votre choix, et de votre amitié.Mes plaintes, mes serments, mes prières, mes larmesContre elle n'ont été que d'inutiles armes,N'ont fait que m'attirer les traits de son courroux.Et je n'espère pas de l'apaiser sans vous. Va-t'en m'a-t-elle dit de colère embrasée ;Va-t-en chercher ailleurs une conquête aisée ;Va-t'en corrompre ailleurs les innocents esprits,Et n'attend plus de moi que haine, et que mépris. DON BLAIZE. Ne me trompez-vous point mon dissimulé frère ? DON SANCHE. Envoyez-la quérir de la part de son père,Et vous tenez caché quand elle passera,Vous verrez de quel air elle me parlera. DON BLAIZE. L'invention me plaît : ça, ça, que je me gîte.Ordugno ! ORDUGNO. Monseigneur ? DON BLAIZE. Va la quérir, va vite. Ordugno s'en va. J'y vais. DON SANCHE. Mortel eut-il jamais pire destin ? DON BLAIZE. À qui parlez-vous là ? DON SANCHE. Je parlais à Merlin. DON BLAIZE. Mais s'il arrive aussi que la Donzelle tarde ;Si Lizette hardie autant que babillardeDe discours superflus me la va retenir, Je pourrai m'ennuyer. DON SANCHE. Je l'aperçois venir,Retire-toi Merlin ! SCÈNE III. Blanche, Don Sanche. BLANCHE. Ô Dieu ! Je vois Don Sanche. DON SANCHE. Je vous obéirai, trop inhumaine Blanche !Vous n'aurez pas plutôt rendu mon frère heureux,Que j'exécuterai votre arrêt rigoureux : Oui, je contenterai votre cruelle envie,J'irai loin de vos yeux, les astres de ma vie :Mes véritables Dieux, mais des Dieux ennemis.Qui me vont tout ôter, et m'avaient tout promis. DON BLAIZE, caché. Il la presse un peu trop le fripon, et je gage, Qu'après un autre assaut, la Dame n'est plus sage. BLANCHE. Don Sanche ! Ô ma vertu que vais-je dire ici ?Qui vous oblige donc à nous quitter ainsi ? DON SANCHE. Qui le sais mieux que vous trop cruelle personne !Qui le peut mieux savoir que celle qui l'ordonne ? BLANCHE. Celle dont la rigueur vous afflige si fort,N'a guère moins que vous à se plaindre du sort.Elle n'empêche point, que Don Sanche n'espère,Elle le saura bien distinguer de son frère,Quand par un juste choix, d'où dépend son honneur, Sa bouche publiera ce que cache son coeur,Elle veut bien encor qu'il sache qu'une absencePeut nuire à ses desseins beaucoup plus qu'il ne pense,Nous nous verrons Don Sanche. DON SANCHE. Ô Dieu ! Tout est perdu.Blanche m'aime, et Don Blaize aura tout entendu. DON BLAIZE sortant de sa cachette. Ha, ha petit cadet, vous l'avez débauchée,Cette jeune beauté de vertu non tachée,Ce riche don du Ciel, cette chère moitié,Et digne de mon choix et de mon amitié ;Contre qui vos serments, vos prières, vos larmes N'ont été, dites-vous, que d'inutiles armes ;Qui vous a fait sentir les traits de son courroux ;[Note : Rapaiser : Adoucir quelqu'un, faire passer sa colère. [F]]Que vous n'espérez pas de rapaiser sans nous.[Note : Courir le marché : Aller, courir sur le marché d'un autre, enchérir sur les offres d'un acheteur. [L]]Vous courez donc ainsi sur le marché d'un frère ? DON SANCHE. Et ne m'avez-vous pas commandé de le faire ? De lui porter dans l'âme un sentiment d'amour ? DON BLAIZE. [Note : Godelureau : Jeune fanfaron, glorieux, pimpant et coquet qui se pique de galanterie, de bonne fortune auprés des femmes, qui est toûjours bien propre et bien mis sans avoir d'autres perfections. [F]]Et c'est dont je me plains, Godelureau de Cour !Je vous avais bien dit, de lui parler de flamme,Afin de découvrir ce qu'elle avait dans l'âme ;[Note : Coqueter : Se plaire à cageoller, ou à être cageollée, faire l'amour [sens vieilli de s'aimer Ndr] en divers endroits. Les jeunes fainéants, les femmes galantes ne font autre chose que coqueter. [F]]Mais de la coqueter, comme vous l'avez fait, Ha ! C'est une action d'infidèle cadet.[Note : Mugueter : Faire le galant, le cajolleur, tâcher de se rendre agréable à une Dame. [F]]Ma foi, de la façon qu'il me l'a muguetée,De la place où j'étais, j'avais l'âme tentée.Le fripon lui tirait ses coups à bout portant,La plus laide guenon qui m'en dirait autant, Triompherait bientôt de notre continence.Ordugno ! ORDUGNO. Monseigneur ? DON BLAIZE. Va-t'en en diligence,Arrêter des chevaux, et les tiens prêts sans bruit,Je ne veux pas coucher à Madrid cette nuit :Tâche de me trouver aussi ce vieil Don Cosme, L'homme le plus fâcheux qui soit dans le RoyaumeJe lui rends sa parole, et je reprends aussiLa mienne, et cela fait, éloignons-nous d'ici. DON SANCHE. Je suis bien malheureux d'avoir fait pour vous plaire,Ce qu'un autre que vous ne m'eût jamais fait faire ; Et d'avoir réussi dans mon dessein si mal,Que vous me soupçonnez d'être votre Rival. DON BLAIZE. Si vous me dites vrai, la chose est pardonnable ;Mais vous l'avez rendue un peu trop vraisemblable.Car vous la cajoliez de si bonne façon, Que la Dame a d'abord mordu à l'hameçon :Puisqu'elle est si facile en pareille matière,Et qu'elle est en un mot de coquette manière,Nous n'avons qu'à songer à des partis meilleurs,Et Don Cosme n'aura qu'à se pourvoir ailleurs. Je lui donne s'il veut signer devant Notaire,Que je lui remets Blanche en faveur de mon frère ;Car quant à l'épouser je n'ai pas le loisir,Il s'en fâchera ; mais : tel est notre plaisir,Tout le regret que j'ai n'est que de mes livrées ; Un faquin de Tailleur me les a chamarréesComme si le galon ne m'avait rien coûté ;Tu me l'as conseillé, confident éventé !Et de charger mon train de laquais et de pages,Mais je me vengerai sur l'argent de tes gages. Allons chercher Don Cosme et cependant, cadet,[Note : Bidet : Cheval ordinairement de petite taille, spécialement destiné à porter un cavalier dans les voyages. Bidet de poste, bidet pour les courriers. [L]]Puisque je le permets, poussez votre bidet. À part.J'ai d'étranges soupçons de ce cher petit frère. Il sort. DON SANCHE. Blanche approuve ma flamme, et veut bien que j'espère.Quel plaisir est pareil à celui d'un amant Qui reçoit de son Ange un tel consentement ?Ô mon coeur ! Modérez vos transports d'allégresse,Réservez-les, mon coeur, aux yeux de ma Déesse,Mais je la vois venir avec tous ses appas. Blanche paraît.Vous voulez donc encor différer mon trépas ? Et satisfaire enfin d'une injuste souffrance,Vous me permettez donc d'avoir de l'espérance, SCÈNE IV. Blanche, Don Sanche, Don Blaize. BLANCHE. Oses-tu bien tenir de semblables discoursÀ qui te voudrait voir à la fin de tes jours ?Oses-tu m'éprouver par de lâches atteintes, Et me choisir encor pour l'objet de tes feintes ?J'avais d'abord puni, comme tout autre eût fait,D'une juste colère un amour indiscret ;Mais depuis soupçonnant que tu feignais ta flamme,Pour tenter ma vertu, pour éprouver mon âme : Car qui jamais eût cru qu'un amour criminel,Eût banni de ton coeur le respect fraternel ?J'ai feint de compatir à ta peine insensée ;J'ai feint que ton amour m'avait l'âme blessée :Tes yeux m'ont vu rougir, et m'ont vu soupirer, Et ma feinte bonté t'a permis d'espérer ;Mais maintenant je sais que ton coeur est capableDu crime le plus noir et le plus détestable :Sache aussi que le mien est aussi vertueux ;Que le tien est ingrat, lâche, et présomptueux, Et quand il deviendrait d'un crime susceptible,Qu'il ne serait jamais à ton amour sensible.Sache qu'il chérira ton frère tendrement,Et qu'il te haïra toujours mortellement. Elle s'en va. DON BLAIZE, pensif. Qu'en dites-vous cadet ? Blanche et vous, ce me semble Quoi qu'aimable tous deux, n'êtes pas bien ensemble.Ordugno ! ORDUGNO. Monseigneur ? DON BLAIZE. Et c'est parler cela ;C'est comme il faut traiter un coquet Quinola,Ô la Maîtresse fille ! Et Porcie, et Lucrèce,Ne l'ont jamais value avecque leur prouesse : Lucrèce avec Tarquin se donna du bon temps,Et l'autre se brûla la gorge à contretemps.Dieu ! Qu'elle est raisonnable et qu'elle est forte en bouche,Celle que je croyais une sainte N'y touche.[Note : Rebec : Vieux mot qui signifiait autrefois violon à trois cordes, et qui est, à vrai dire, un violon imparfait. Ses cordes sont accordées de quinte en quinte. On menait autrefois les épousées à l'église avec le rebec et le tabourin. [F]]Ma foi je me marie au son de maint rebec, [Note : Torcher : Frotter, comme on fait avec un torchon, pour nettoyer, pour essuyer. Fig. et populairement. Il n'a qu'à s'en torcher le bec, il ne doit pas compter sur ce qu'il désire. [L]]Et Don Sanche n'aura qu'à s'en torcher le bec,Je veux dès cette nuit avec grande énergie,Ébaucher en draps blancs ma généalogie ;Et cependant cadet, vous ferez là-dessus, Il sort. Des stances, ou du moins des regrets superflus. MERLIN, par ironie. Que Don Sanche est heureux ! Sa Maîtresse l'adore. DON SANCHE. Ce froid bouffon vient-il m'importuner encore ?Ô Blanche ! Vous aimer, est-ce un juste sujetDe me désespérer, comme vous avez fait ?Et que puis-je penser d'une fille inconstante ? Qui tantôt rigoureuse, et tantôt obligeante,Prend en moins d'un moment deux sentiments divers,M'élève sur le trône, et me met dans les fers.Ha Lizette... SCÈNE V. Lizette, Don Sanche. LISETTE. Je sais ce que vous m'allez dire :Mais quand bien on aurait d'un plus cruel martyre Punit votre malice, et votre trahison,Vous auriez toujours tort, et Blanche aurait raison. DON SANCHE. Vous m'abandonnez donc ô fille trop cruelle ? LISETTE. J'abandonne un amant que je crois infidèle. DON SANCHE. Moi Lizette ? LISETTE. Oui vous ; car mon beau cavalier ! Puisqu'il vous faut convaincre, oserez-vous nierQue par un feint amour, une lâche finesse,Vous n'ayez attenté d'éprouver ma Maîtresse ;Elle s'en douta bien, et pour s'en assurer,Elle feignit aussi, vous permit d'espérer ; Don Sanche y fut trompé ; car l'amour de soi-même ;Persuade aisément un jeune homme qu'on l'aime :Mais il ne savait pas que Blanche l'écoutait,Lorsqu'au Marquis jaloux jurant il protestait !Que c'était seulement à dessein de lui plaire. Qu'il s'était déclaré de Blanche tributaire. Elle le contrefait. Vous m'avez commandé de feindre, je feignais ;Mais mon coeur n'était pas d'accord avec ma voix.Ce sont vos mêmes mots, on me les vient d'apprendre. DON SANCHE. Il est vrai, ce les sont ; mais voulez-vous m'entendre ? LISETTE. De bon coeur. DON SANCHE. Si je crois les avoir offensésCes yeux injustement contre moi courroucés ;Que puissé-je à jamais leur être détestable,Si je ne vous fais pas un récit véritable,Et si vous n'avouez que je n'ai point de tort, Que puissé-je tomber à vos pieds raide mort. LISETTE. Il, faut que Dieu m'ait fait le naturel bien tendre,Quand je vois quelque amant qui parle de se pendre,Ou bien de se donner un grand coup de poignard.C'est comme s'il perçait mon coeur de part en part. J'ai brûlé comme un autre, et sait combien vaut l'auneDe cette passion qui fait devenir jaune.Pour revenir à vous, si vous me faites voirQue vous n'avez rien fait que votre devoir,J'espère d'être utile au bien de vos affaires : Mais monsieur, si l'amour aime les téméraires,Allons tout droit à Blanche, embrassez ses genoux,Pleurez, et soupirez, et laissez faire à nous,Aussi bien, il nous faut déguerpir de la place ;Voici notre vieillard. SCÈNE VI. Don Cosme, Stéfanie, Louise, Olivares. DON COSME. J'ai de votre disgrâce Beaucoup de déplaisir, et suis fort étonné,De l'important avis que vous m'avez donné. STÉFANIE. Je vous apporte ici sa trompeuse promesse :Dans l'oubli de moi-même, où me met ma tristesse,Je ne m'avisais pas de vous la faire voir. DON COSME. Donnez. LOUISE à Olivares tout bas. C'est le papier que Merlin laissa choir.Le valet de Don Sanche. STÉFANIE, qui l'entend, lui dit aussi tout bas. Et c'est par là, Louise ,Que tu verras bientôt ta Maîtresse Marquise. LOUISE. Don Cosme lit.Mais si l'on va savoir que vous ne soyez pas[Note : Machine : Fig. invention, rûse, adresse d'esprit, dont on se sert dans quelque affaire. [FC]]La fille du vieillard, la machine est à bas ; C'est à vous d'y penser. STÉFANIE. Mon Dieu, laisse-moi faire. OLIVARES. Elle va s'attirer quelque méchante affaire,Et nous faire donner quelques mauvais présents. DON COSME. C'est une lettre écrite en termes fort plaisants.Il veut qu'elle ait, dit-il, force d'une promesse, J'y reconnais sa main partout, fors dans l'adresse.Vous vous appelez donc Comtesse d'Alcalca ? STÉFANIE. C'est le nom d'une ville auprès de Malacca :Quand le Mars Portugais, Albuquerque en fût Maître,De cette récompense il daigna reconnaître Les services rendus par défunt mon Mari.Hélas ! Son souvenir m'a le coeur attendri.Je ne puis retenir mes pleurs, quand je le nomme. DON COSME. Il faut que le Marquis soit un très méchant homme,Oui bien que vous soyez plus méchante que lui : Quant à sa lettre, elle est pour vous de peu d'appui,J'y vois des nullités qui sont peu recevables.Vous avez deux enfants ? STÉFANIE. Deux petits misérables.Tous deux des plus jolis, et les vivants portraitsDu père. DON COSME. Vous aurez à faire de grands frais Contre un homme puissant. STÉFANIE. Quoique pauvre étrangère,Mon père fait ici sa demeure ordinaire ;Il ne laissera pas une fille au besoin :De lui, jusqu'à ce jour, je me cache avec soin,Redoutant son courroux, de ma faute honteuse, Mais je sais bien qu'il a l'âme fort généreuse,Je suis pour vous parler avec sincérité,Fille d'un Castillan homme de qualité :Il devint de Lisbonne amoureux de ma mère,Qui n'a point eu depuis nouvelles de mon père. DON COSME. Homme de qualité ? STÉFANIE. Noble comme le Roi. DON COSME. Et s'appelle ? STÉFANIE. Don Juan Palomeque. DON COSME. Est-ce moi ?Bons Dieux ! Et votre mère ? STÉFANIE. Elvire de Pacheque. DON COSME. Ha ma fille ! Je suis ce Don Juan Palomeque.Qui déguisais mon nom dans Lisbonne, ô bon Dieu ! Que je reçois de joie à vous voir en ce lieu,Et que je suis fâché, de vous voir de la sorte :Mais apprenez-moi donc, comment elle se porte,Cette aimable beauté, de qui l'oeil mon vainqueur,Malgré l'éloignement, règne encor dans mon coeur. STÉFANIE. Hélas ! Un sort cruel me l'a trop rôt ravie,Et depuis, le malheur m'a toujours poursuivie. DON COSME. Sa perte m'est sensible avec juste raison ;Mais ici les regrets ne sont pas de saison.Travaillons maintenant comme au plus nécessaire, À vous tirer de peine, aussi bien que d'affaire. STÉFANIE. Vous avez dans vos mains mon honneur, et mon bien. DON COSME. Mettez-vous en repos, votre honneur est le mien,Je ne suis pas d'avis qu'on vous fasse paraître,Qu'on ne soit éclairci du dessein de ce traître ; Entrez donc dans ma chambre. SCÈNE VII. Don Blaize, Ordugno, Don Cosme, Stéfanie, Louise, Olivares, etc. DON BLAIZE. Ordugno ! ORDUGNO. Monseigneur ? DON BLAIZE. Je veux absolument qu'on batte mon tailleur,Mon habit est mal fait. Hé bien mon cher beau-père,Je ne suis plus d'avis que l'hymen se diffère. DON COSME. Et moi j'en suis d'avis. DON BLAIZE. Ceci serait plaisant. DON COSME. Il est pourtant ainsi. DON BLAIZE. Cet esprit malfaisantSait parfaitement bien faire enrager le monde.Civil beau-père en qui toute douceur abonde,Expliquez-nous un peu vos desseins ambigus !Vous voulez une chose, et ne la voulez plus. Savez-vous, si l'hymen ne se fait dans une heure,Il ne sera pas de six mois, ou je meurs ? DON COSME. Si vous disiez jamais, je vous en croirais mieux. DON BLAIZE. J'avais toujours bien dit que son grand sérieuxPourrait dégénérer à la fin en folie, Et je répète encor qu'il faudra qu'on le lie. DON COSME. Don Blaize il n'est plus temps de vous rien déguiser,Vous êtes découvert ; c'est pourquoi sans ruser,Achever votre hymen avecque StéfanieComtesse d'Alcalca. DON BLAIZE. Sa nouvelle manie Me fait peur, où prend-il cet étrange Comté,Dont le nom sent si fort son esprit démonté ? DON COSME. Ma fille est votre femme, elle a votre promesse,Et de plus, deux enfants, de plus elle est Comtesse. DON BLAIZE. Vous êtes fou Don Cosme, et de plus, fou fâcheux, Et de plus, incurable, et nous en serions deux,Si j'allais me fâcher de vos folles boutades,Que je veux désormais recevoir en gambades. Il saute. DON COSME. Reconnaissez-vous bien cette écriture ? DON BLAIZE. Oui-da :Mais je ne connais point la dame d'Alcalca. J'écrivis cette lettre à votre fille Blanche,Je l'avais adressée à mon frère Don Sanche.C'est toi qui la portas Merlin ? MERLIN. Je n'en sais rien,Je n'ai point de mémoire, et vous le savez bien. DON BLAIZE. Ha voici ma Maîtresse, et mon cadet. Mon frère ! Et vous Blanche, venez songez à votre père. DON COSME à la porte de la chambre, où Stéfanie est cachée. Sortez, sortez, Madame ; il n'est plus de saisonDe ménager l'esprit d'un homme sans raison. DON BLAIZE. La Dame est assez belle. DON SANCHE. Et c'est la Portugaise.Merlin ! MERLIN. Sur mon honneur, on en veut à Don Blaize. DON SANCHE. Tant mieux ami Merlin ? DON COSME. Don Blaize, vous voyez,Que je ne suis pas fou, comme vous le croyez.Pouvez-vous bien trahir cet objet plein de charmes ? STÉFANIE, pleurant. Je ne puis retenir mes sanglots et mes larmes. OLIVARES, pleurant. Madame ! Voulez-vous incessamment pleurer ? LOUISE, pleurant. Quel plaisir prenez-vous à vous désespérer ? STÉFANIE, pleurant. Ha mes amis pleurons un malheur sans remède ;Ayons recours aux pleurs, quand la constance cède. DON BLAIZE. Et qu'est-ce qu'elle a donc à s'affliger ainsi ?Et celui qui la mène, et sa suivante aussi. DON COSME, pleurant. Ils me font grand pitié. DON BLAIZE, pleurant. S'ils pleurent davantage,Il faudra bien aussi humecter son visage.Peste soit des pleureurs. DON COSME. Ha ma fille ! Vos pleurs,Au lieu de vous servir, aigrissent vos douleurs. STÉFANIE. Adorable ennemi ! Que je hais ; que j'adore, Tes injustes rigueurs durent-elles encore ? DON BLAIZE. Belle qui pleureux tant, inconnue à mes yeux,Voudriez-vous pleurer moins, ou vous expliquer mieux ? STÉFANIE, lui sautant aux yeux. [Note : Sauter : signifie aussi, assaillir, se jetter sur quelqu'un. [F]]Tu ne me connais pas ingrat ? Ha ! Tout à l'heure.Il faut que je t'étrangle, ou qu'un de nous deux meure. DON BLAIZE. Haye, Haye, Haye, Ordugno ! Mon cher frère ! MerlinVenez me délivrer de cet esprit malin. STÉFANIE. Perfide ! Scélérat ! DON BLAIZE. Seigneur en qui j'espère ?N'était-ce pas assez de ce maudit beau-père,Sans lâcher contre moi la Dame d'Angola ? STÉFANIE. Dis d'Alcalca, méchant, auprès de Malacca. DON BLAIZE. D'Angola, d'Alcalca, Malacca, que m'importeDe bien dire son nom, que le Diable m'emporte,Si je t'ai jamais vue, et si je crois jamaisTe voir. DON COSME. Vous ne pouvez refuser désormais D'épouser en public ma fille. DON BLAIZE. Ha cher beau-père !De bon coeur. Venez donc ma belle. En s'adressant à Blanche. DON SANCHE. Non mon frère,Blanche n'est plus à vous, Blanche n'est plus qu'à moi,En matière d'amour nul ne me fait la loi. DON BLAIZE, à Blanche. Et vous y consentez ? BLANCHE. Que mon père y consente, Et je m'estime heureuse, honorée et contente. DON BLAIZE. Et vous Don Cosme ? DON COSME. Et moi je vous dirai qu'il fautQue vous donniez la main à ma fille au plutôt. DON BLAIZE. Je le veux. DON COSME. Mais ma fille est cette belle DameComtesse d'Alcalca. DON BLAIZE. Grand dieu que je réclame, Est-ce pour mes péchés, que je suis à Madrid ! DON COSME. Mais peut-on contester contre son propre écrit,Ma fille étant bien faite ? DON BLAIZE. Ha diantre ! Elle est trop belle,Et c'est pour cela seul que je ne veux point d'elle.Mon front serait gâté s'il devenait cornu, Et je n'épouse point de visage inconnu.Don Blaize, il faut quitter cette maudite terre,Où tout le genre humain me déclare la guerre ;Où l'on voit tant de fous ; où l'on force les gens[Note : Dents : On dit, Malgré lui, malgré ses dents, pour dire, Quelque empêchement qu'il y puisse mettre ou apporter. [F]]Au fâcheux joug d'hymen, même malgré leurs dents. Don Cosme pour t'avoir ma maudite promesse,Et pour n'épouser pas ta fille, ou ta Comtesse,Un dangereux dragon, qui m'a pris au gosier,Et qui me dérobant certain portrait hier,M'égratigna les mains (je reconnais sa taille,) Et je gagerais bien, que ce n'est rien qui vaille :Pour m'en délivrer donc, et partir à l'instant,[Note : L'original porte "argent contant". Nous corrigeons;][Note : Au figuré, "prendre une chose pour argent compté ou pour argent comptant," c'est croire à la réalité de cette chose, la regarder comme argent compté ou comptant qui est chose très réelle. [SP]]Je veux bien qu'il m'en coûte un peu d'argent comptant. DON COSME, à Stéfanie. Il le faut prendre au mot, vous ne sauriez mieux faire. DON BLAIZE. Et pour me délivrer de mon faquin de frère, Je veux le partager, même grossir son fait,Ainsi je me verrai sans femme et sans cadet. DON COSME. Je veux savoir quel bien, vous donnez à Don Sanche. DON BLAIZE. Plus que vous n'en donnez à votre fille Blanche,Et pour ne vous voir plus, Comtesse d'Alcalca, Apprenez que j'irais plus loin que Malacca. ==================================================