******************************************************** DC.Title = SYLVANIRE ou la MORTE VIVE, FABLE BOCAGÈRE DC.Author = URFE, Honore d' DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Pastorale héroïque DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 12:32:39. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/URFE_SYLVANIRE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** SYLVANIRE ou la MORTE VIVE FABLE BOCAGÈRE M. DC. XXVII. De messire HONORÉ d'URFÉ, Marquis de Bagé et Verromé, Comte de Chasteau-neuf, Baron de Chasteau-Morand, et Chevalier de l'Ordre de Savoye, etc. À Paris, chez Robert FOUET, rue Saint Jacques. Au Temps, et à l'Occasion. Représenté pour la première fois le 16 janvier 1617. PERSONNAGES FORTUNE, prologue. AGLANTE, berger. ALCIRON, berger. HYLAS, berger. TIRINTE, berger. ADRASTE, berger fol. SYLVANIRE, bergère. FOSSINDE, bergère. MÉNANDRE, père de Sylvanire. LERICE, mère de Sylvanire. UN MESSAGER. SATYRE. ÉCHO. LE CHOEUR DE BERGERS. La scène est à Lille. PROLOGUE FORTUNE en habit de Bergère Peut-être dans ces lieux solitairesDans ces bois reculésDu commerce des hommes,Dans ces replis tortusDes rochers caverneux, Dans ces antres cachés,Ainsi qu'on jugeraitMême aux yeux du soleil,Je me déroberaiÀ l'importunité De ces fâcheuses filles,Électre, Ocyroé,Melobasis, Yanthe,Et Leucipe, et Phoenon,Et mes autres compagnes, Filles de l'Océan,Et que l'on croit mes soeurs,Me vont cherchant et demandant à tousAux marques ordinairesQue je voulais porter, Pour savoir où je suis,Et pour me découvrirVont promettant des perles, des coquilles,De branches de corail,À qui leur voudra dire Où je me suis cachée.Voire elle sont bien fines,Elles sont si plaisantesDe promettre des chosesÀ qui me montrera, Comme si je ne puisDonner comme je voudraiDes perles bien plus belles,Des nacres, des coquillesDes branches de corail À qui me cachera ?Il en manque peut-êtreÀ la Fortune, à qui tout l'UniversEn partage est donné :Car vous ne vous trompez pas, Encor que maintenantVous ne me voyez pas,Comme je voulais être,D'une grandeur extrême ;Ni ne porter en l'une de mes mains La corne d'Amalthée,Ni dans l'autre un timon,Si le fils de VénusN'est point à mon côté,Si d'un bandeau mes yeux ne sont voilés, Si sous mes pieds je ne presse une boule,Si sur ma tête une sphère on ne voit,Et si mon dos n'est chargé de deux ailesPeintes de cent couleurs,Si l'on ne voit ma voile Au vent abandonnéeNi que je me joueÀ ma volage roue,Comme c'est ma coutume ;En bref je ne tiens Entre mes bras le jeune enfant Plutus,Qu'on dit dieu des richesses,Lui donnant le tétinComme mère et nourrice.Ce n'est pas pour cela Que je ne sois Fortune,Fortune qui commandeÀ tout ce qui s'enserreDepuis la Lune au centre de la Terre.Que je ne sois cette même déesse, Par qui le grand SénatDans la grandeur de RomeEnferma tout le monde,Sans que le monde entierPeut enfermer Rome qu'en Rome même. Mais ne vous étonnésDe me voir maintenantSous mes habits, la houlette en la main,Au dos la panetièreAinsi qu'une bergère, Je me cache à ces nymphesFilles de l'OcéanQui me vont poursuivant ;Et qui par leurs prièresSans cesse m'importunent De satisfaire à leur ambition.Je ne saurais me plaireDe donner mes faveursÀ qui trop m'importune.je suis semblable à l'ombre, Je fuis qui me poursuis,Et je suis qui me fuit.Elle voudraient les fines,Que je leur fisse partDe pouvoir absolu Que j'ai sur l'Océan,Quoiqu'à leur père il échut en partage.Tiché, me disent-elles,Car Tiché c'est son nomQuand nous sommes ensemble, Laisse nous avoir partAu règne paternel,Et nous soulageonsAvec notre peineLa peine qu'il te donne. Il est vrai, je les aime,Ces gentilles naïades,J'aime bien leurs vertus,J'aime leurs exercices ;Mais je ne veux pourtant Partager mon Empire,Que de régner tout seulEst une douce peine :Je veux bien quelquefoisLeur donner le pouvoir D'y commander, mis que ce soit moi sous moi,Et tant qu'il me plaira.Or pour fuir leur importunité,Sous ces habits je me suis déguisée,Et m'en viens dans ces bois Me dérober aux yeux ambitieuxDes nymphes qui me cherchentParmi les plus grands rois,Et les plus grands monarques,Comme si je devais Toujours rompre des sceptres,Et fouler des couronnes,Renverser des royaumes,Bâtir des républiques,Ou fonder des cités. Folles qui s'imaginentQue moi qui paye chacunDe cette ambitionJe doive de même m'en repaîtreElles ne savent pas Que je me plais souventAvec ces bergers,Et ces simples bergères,Hôtesses innocentesDe ces bois innocents, Plus que dedans les cours,Où qui mieux se déguiseVend mieux sa marchandisePeut être du travailElles se lasseront, Ces filles importunes,Et cependant dessous ses doux ombragesJe passerai le temps,Et parmi ces rivagesJ'irai folâtrement, Tournant ma roue aux dépend des bergèresEt des bergers mignards :Mais j'entends aux dépensSeulement de leurs plaintes,Seulement de leurs craintes Seulement de leurs larmes,Je ne veux qu'aujourd'huiSur mes autels du sang ou sacrifice.Cupidon m'en priaQuelques jours sont passés : Je l'aime cet enfant,Encore que bien souventIl dépende ses coupsOù le moins il devraitMais qu'importe cela, Je l'en aime tant mieux,Car c'est peut-être en quoi,Comme disent les hommes,Plus semblables nous sommes.Il me dit, en Forez [Note : Lignon : Rivière du Forez en France rendu célèbre par Honoré d'Urfé, dans sa pastorale L'Astrée.]Sur les bords de Lignon,Aglante le bergerAdore Sylvanire,Et Fossinte TirinteIl n'y faut qu'un seul tour de roue. Voici bien le ForezMa plus chère contrée,Où je fis naître AstréeL'honneur de l'univers ;Et voici bien Lignon, Je le connais à ces belles prairiesQui suivent son rivage.Voici le bois d'Isoure,Et voici Mont-Verdun,[Note : Marcilly le Pavé : Commune de la Loire dans le Forez, entre Thiers et Saint-Etienne, à l'ouest de Lyon.]Plus en là Marcilly, L'un semblable l'écueilDans le sein de la mer,L'autre comme un rocheLe rempart du rivage.Je me résous pour complaire à l'Amour De lui donner ce jour,Et qu'aujourd'hui ces forêts et ces plainesRessentent mon pouvoir.Ici ma déitéJointe à celle de l'Amour Des deux n'en faisant qu'une,Produira les effetsD'Amour et de Fortune.Je me plais et me pais,Aussi bien que l'amour, Des larmes innocentes ;Je veux donc ouïrLes plaintes et le deuilDe ces bergers fidèles,Et si le désespoir Ne prévaut sur l'Amour,Ils connaîtront en leur plus grand ennuiQu'à la fin toute choseSagement je dispose.Les voilà qui s'en viennent, Entre eux je me mettrai,Sans qu'ils me reconnaissent :Mais les effets diversQui les agiteront,Leur feront bien connaître Que le Fortune et l'Amour sont ici :Mais Amour fortunéEt Fortune amoureuse. ACTE I SCÈNE I. Aglante, Hylas. AGLANTE Le prix d'amour, c'est seulement amour,Et sois certain Hylas, Qu'on ne peut acheterSi belle marchandiseQu'avec cette monnaie ;Il faut aimer si l'on veut être aimé. HYLAS Et qui peut accuser Hylas de n'aimer point ?Hylas de qui la vieFut toujours employéeAu service d'amour :J'aime, mais j'aime, Aglante, Non pas comme je voisCes ignorants d'amour,Et ces jeunes novices,Qui pensent n'aimer pas,Si telle amour ne les porte au trépas, Si quelquefois ces belles qu'ils adorentLeur font la mine froide,Ils perdent tout repos :Si d'autrefois avec quelque dédainElles tournent la tête, Ils sont désespérés ;Et si par ruse elles leur font semblantD'en mieux aimer quelqu'autre,Ils ne veulent plus vivre ;Et bref, ainsi qu'il plaît À ces petites folles,Ces constants amoureuxSont contraints de geler,De brûler, de transir,De rire et de pleurer, D'humeur et de visageChangeant à tous les coupsComme s'ils étaient fous :Si bien que l'on peut direÀ voir leurs changements, Ce sont des girouettesAu faîte d'une tourOù les attache Amour.Ah ! Quant à moi, je les veux bien aimerCes gentilles bergères, Mais avec raison,Et non pas insenséDe sotte passion,M'emporter tellement,Que je sois un esclave, Et non pas un amant.Cent et cent fois ne m'a-t-on ouï direParmi ces bois, et parmi ces campagnes ;Si l'on me dédaigne, je laisseLa cruelle avec son dédain, Sans que j'attende au lendemainDe faire nouvelle maîtresse.C'est erreur de se consumerÀ se faire par force aimer. AGLANTE Que je te plains, Hylas ! Et qu'avec raisonDe ton erreur l'opinion j'abhorre ;Puisque si les grands dieuxNe donnent aux mortelsRien, qui puisse approcher Aux bonheurs dont amourRend l'homme bienheureux ;N'est-ce avec raisonQue je crois misérableCet Hylas inconstant, Qui ne sachant aimer,De nul aussi ne saurait être aimé. HYLAS Aglante que dis tu ?Qu'Hylas ne sait aimer ? AGLANTE Qu'Hylas ne sait aimer. HYLAS J'ai plus aimé tout seulQue n'ont pas fait, mais je dis tous ensemble,Vos bergers de Lignon,Carlis, et Stiliane,Aimée et Floriante, Cloris, Circeine, et Florice et Dorinde,Chryseide, Madonte,Laonice, Phillis,Alexis, et tant d'autresQue pour la brièveté Je ne veux pas nommer,En rendront témoignage. AGLANTE Hylas tu n'aimes point,Mais tu penses d'aimer ;Car c'est chose certaine Que personne ne peutSe l'acheter cette amour que je dis,Qu'avec une autre amour :Ce n'est point au marchéQue telle marchandise Se trouve avec argent :Le prix et la monnaieDe l'amour c'est amour,Et tu ne peux aimer,Au moins si tu ne cesses De n'être plus Hylas,C'est à dire inconstant,Ainsi que je l'entends. HYLAS C'est l'entendre bien mal,Aglante ce me semble, Et ton opinionAux plus sages contraire,Pour fondement n'a qu'une vieille erreur,Dont les femmes plus finesOnt abusé les esprits des peu fins : Jusqu'au trépas, nous vont elles disant,Il n'en faut aimer qu'une,Voire il ne faut donc pointQue l'univers par la diversitéSe change et s'embelisse. Il ne faut que l'abeilleSuce donc qu'une fleur,Que notre oeil ne se plaiseQu'à voir un seul objet,Que notre esprit jamais Ne pense qu'une chose,Et que tous nos jardinsQu'une herbe ne produisent.Ô la grande folie,Pour ne dire sottise, Qui ne dira que l'homme ainsi contraint[Note : Prométhée : Titan qui offrit le feu aux hommes et qui fut enchaîné au sommet du Caucase par Jupiter : un aigle dévorait son foie qui se régénérait sans cesse.]Est un vrai Promethée,Par l'exprès jugement[Note : Rhadamante : Fils de Jupiter et d'Europe et frère de Minos, est un des juges des Enfers. Il avait épousé Alcmène, veuve de d'Amphitryon. [B]]D'un cruel Radamante,Sur un même rocher À jamais attaché ?La nature se plaîtÀ la variété ;La nature et l'amourSont une même chose. AGLANTE L'inconstance et l'amourSont deux fiers ennemis,Qui ne peuvent jamaisAvoir trouve ni paix,Et t'assure, berger, Que lorsque tu pensaisD'aimer bien ces bergères,Tu te moquais et d'elles et d'amour ;Car nul ne peut aimerQu'il n'aime infiniment : Mais l'amour infinieNe peut jamais finir. HYLAS Si nul ne peut acheter cet amourDont tu fais tant de casQu'avec la constance, Pour moi je m'en dispense,Et je veux bien qu'on raconte partout,Parlant d'Hylas, qu'il n'aime point du tout.Mais à t'ouïr AglanteL'on dirait que Tircis, Ou le berger Sylvandre,T'aient de leur erreurEnseigné la folie :Es-tu point leur disciple ? AGLANTE Et Sylvandre et Tyrcis Sont remplis de raison ;Si parlant de l'amourIls enseignent, Hylas,Qu'amour et la constanceDoivent être en l'amant Inséparablement.Mais, ô berger ! J'ai bien eu ces leçonsD'un maître plus savantQue Tircis ni Sylvandre. HYLAS Malaisément croirai-je Qu'on puisse voir le long de ce rivageDeux bergers, mais plutôtDeux rêveurs plus semblables,Et si tu continues,Aglante mon ami, Je te vois le troisième,Et peut-être des trois,Tant tu commences bien,Te mettra-t-on bientôtPar honneur le premier. AGLANTE Je reçois, ô berger !Avec contentementLe lieu que tu me donnes,Si ce n'est qu'accepterCe rang trop honorable Soit une outrecuidance :Mais toutes fois ce ne sont pas, crois moi,Ces bergers que tu dis,Qui m'ont rendu savantEn l'école d'amour : J'ai bien eu d'autres maîtres,Et qui m'ont fait payerAvec un plus cher gageUn tel apprentissage.Amour dedans le coeur M'a ces leçons écrites,Mais non pas, ô berger !Comme aux autres amantsD'une plume ordinaire ;Il a fait l'écriture Qu'au coeur il m'a gravéeDu plus beau trait qui fut dedans sa trousse,Et de cette écriture[Note : Le vers 418 est absent de l'édition Champion]J'ai les leçons apprisesQue je vais t'enseignant. HYLAS Que ce soit le plus beauDe tous les traits d'amour,Qui dans ton coeur a misLes leçons que tu dis :Ajoute au moins que c'est, Ainsi que tu le penses,Et lors pour te complaireJe le croirai, peut-être :Car depuis que l'on aimeL'on a ce privilège De jurer sans parjureContre la vérité,Soutenant la beautéDe celle qu'on adore. AGLANTE Berger je ne crois pas, Pour grande que puisse êtreL'erreur qui te séduit,Quand tu sauras celle qui m'a blessé,Que vaincu tu ne dis,Toute beauté suprême Cède à celle qu'il aime. HYLAS Ce blasphème est trop grand. AGLANTE Jamais la véritéBlasphème ne se rend. HYLAS Souvent l'opinion En prend bien le visage. AGLANTE Celui qui s'y déçoitNe doit pas être sage. HYLAS Pour soi-même chacunEst juge intéressé. AGLANTE Le jugement de tousDoit être confessé. HYLAS De tous, tu te déçois,Car le mien n'en est pas. AGLANTE Le tien même en serait Si tu n'étais Hylas. HYLAS Ô le plaisant discours,Si je n'étais Hylas,Le jugement d'HylasSerait contraire au jugement d'Hylas. Quel voudrais-tu que je fusse, berger,Si je n'étais moi-même ? AGLANTE Constant. HYLAS Constant ?Eh, ne le suis-je pas ?Puisqu'en effet si j'aime Je n'aime rien que la seule beauté,Et partout où je voyaisCette beauté suprême,Aglante par ma foiJe le confesse, incontinent je l'aime. AGLANTE S'il était vrai comme tu dis, Hylas,Tu n'aimerais pas Stelle,Mais celle que j'adore,Comme la beauté seuleQu'on peut dire beauté. HYLAS Aglante mon ami,Ta passion trop forteTe trompe de la sorte ;Une amour violenteC'est un verre qui rend Tout ce qu'on voit par luiBeaucoup plus grand qu'il n'est pas en effet.Cette beauté dont amour t'a blesséSemble d'être plus grandeÀ tes yeux abusés, Que toutes les beautésQue la nature a faites,Et moi de mon côtéJe te jure au contraireQue rien n'est de plus beau Que les beaux yeux de Stelle.Comme accorderons-nousUn si grand différent ?Un seul moyen ce me semble nous reste,C'est que d'Aglante Hylas prenne le coeur, Et tout soudain ses yeux intéressésRapporteront avec même avantage,Au jugement d'Hylas,La beauté que tu dis.Et celui-ci n'est pas Du puissant dieu d'amourL'un des moindres miracles,Nous faisant voir, ainsi comme il lui plaît,Différemment à tous un même objet. AGLANTE Je le sais bien, Hylas, Qu'amour comme il lui plaîtNous fait voir ce qu'il veut :Mais je sais beaucoup mieuxQu'amour ni tous les dieuxNe sauraient jamais faire Qu'une beauté parfaite,Tant qu'elle sera telle,Ne soit vraiment beauté,Et celle que j'adoreAyant atteint à la perfection, Doit quoiqu'on puisse direÊtre telle estiméePar tous les yeux dont elle sera vue,Si toutefois leur raison n'est perdue.Mais que sert-il d'en aller disputant ? Je suis certain qu'aussitôt que son nomFrappera tes oreilles,Tu diras avec moi,Je lui donne le prixDe toutes les plus belles. HYLAS J'attends d'ouïr ce nomAvec impatience,Pour te dire soudainCe que d'elle je pense. AGLANTE C'est, ô berger ! La belle, et plus que belle : La belle. Mais voiciEt Ménandre et Lerice,Retirons nous un peu,Et puis nous reviendrons :Je ne veux pas que ce vieillard me voit. SCÈNE II. Ménandre, Lerice. MÉNANDRE C'est un grand cas que je ne puis trouver,En quelque lieu que j'aille,Cette imprudente fille :Si faut-il que le soir,Quoiqu'elle sache faire, Elle vienne au logis :Qu'en pensez vous Lerice ? LERICE Je ne croirai jamaisQue Sylvanire fuitDe parler à son père ; Elle est trop bien apprise,Et soyez sûr, Ménandre,Que quoiqu'elle soit jeuneJe ne connais bergère de son âge,Qui puisse être plus sage. MÉNANDRE Vous l'aimez trop Lerice, croyez moi. LERICE Je l'aime, il est certain,Mais c'est comme je dois. MÉNANDRE Vous l'aimez comme mère. LERICE Et ne l'aimez vous pas, Ménandre, comme père ? MÉNANDRE Comme père il est vrai ;Mais non pas tendre père. LERICE Moi je lui suis trop douce,Vous un peu trop sévère. MÉNANDRE Croyez moi la jeunesseSe perd par l'indulgence. LERICE Sylvanire a déjàBeaucoup de connaissance. MÉNANDRE Elle en pense avoir trop, C'est une suffisante. LERICE L'avez vous reconnuePour désobéissante ? MÉNANDRE Quand elle voit Théante,Quelle mine fait-elle ? LERICE Elle est toujours fort belle. MÉNANDRE Il faut dire à vos yeux ;Mais lorsque je lui dis :« Sylvanire je veuxQue Théante t'épouse. » Qu'est-ce qu'elle répond ? LERICE Il ne faut pas le trouver tant étrange,C'est une jeune fille,Qui ne sait point encoreQue c'est de mariage. À ces petits enfantsQui sortent du berceauOn leur fait peur du loup :À ceux qui sont plus grands,Des fantômes qu'on voit En divers lieux paraître :Mais à celles qui sontD'âge de marier,Que pensez-vous, Ménandre, qu'on leur dit,Des extrêmes contraintes, Des ennuis, des travaux,Et des inquiétudes,Qui sont inséparablesDe tous les mariages ?Le moins que l'on leur dit, C'est qu'il ne leur faut plusAvoir de volonté,Qu'il se faut résignerÀ celle d'un mari,Qui peut-être sera D'humeur insupportable :Et trouvez-vous étrange,Que Sylvanire ait peur de ce Théante ?Qu'elle n'a jamais vu,Sinon comme l'on voit Un autre homme étranger ?Je ne sais quant à moi,Quoique vous soyez homme,Si vous eussiez voulu,Sans me connaître, autrefois m'épouser. Mais je ne doute pointQue lui laissant du temps à se résoudre,Elle ne fasse enfinTout ce qu'il vous plaira. MÉNANDRE Ainsi je le veux croire, Et s'il advient qu'elle fasse autrement,Je saurai bien la rendre obéissante ;Car je suis résoluQu'elle l'épouse : et peut-elle avoir mieux ?Mais allons la chercher, Peut-être enfin la rencontrerons-nous. SCÈNE III. Aglante, Hylas. AGLANTE Ô dieux ! Qu'ai-je entendu,Hylas je suis perdu ;Car c'est de SylvanireQue je brûle d'amour : Sylvanire l'honneurDes rives de Lignon,La plus belle bergèreQui jamais ait conduitLes troupeaux en forêts : Forêts heureux, certes l'on te peut dire,Mais seulement pour avoir Sylvanire. HYLAS Je la connais, Aglante,Cette belle bergère,Fille de ce Ménandre Qui ne fait que partir,De qui les gras troupeaux,Et les beaux pâturages,Ne sont point égalésD'autres de la contrée. Bien souvent je l'ai vueConduire ses brebisEnsemble avec les autres :Mais certes je te plains,Car d'autant qu'elle est belle C'est la plus orgueilleuseDe toute la contrée :Il ne s'en peut trouverUne autre qui l'égale. AGLANTE Non pas en sa beauté. HYLAS Je dis en cruauté ;Car regarde, berger,Combien déjà de bergers l'ont aimée,Et nomme m'en un seulQui se puisse vanter D'en avoir eu tant soit peu de faveur.Il est vrai, je confesseQue Sylvanire est belle,Mais non pas plus que Stelle ;Et tu m'avoueras, Si tu veux dire vrai,Que Stelle est moins cruelle,Et par ainsi que Sylvanire cèdeÀ la beauté dont mon amour procède. AGLANTE Il ne faut pas conclure de la sorte, Quoiqu'elle soit cruelleLa belle que j'adore ;Mais il faut dire avec la raison,Stelle a moins de beauté,Et Sylvanire a plus de cruauté, HYLAS Soit que ta SylvanirePuisse avoir quelques traitsPlus beaux que non pas Stelle,Elle est plus jeune aussi :Mais pour moi j'aime mieux Qu'elle ait moins beaux les yeux,Pourvu qu'elle ait le coeurPlus rempli de douceur.Mais cher ami dis-moi,Puisqu'elle est si cruelle Comment ton coeur s'en laissa-t-il surprendre ? AGLANTE Que puis-je dire à ce que tu demandes,Il eût été beaucoup plus malaisé,Voyant tant de beautés,De n'en être surpris. HYLAS Je demande commentCet amour prit naissance ? AGLANTE Hylas ce fut d'enfance :À peine avais-je atteint deux fois sept ans,Et Sylvanire à peine six fois deux, Lorsque l'amour, mais un amour enfant,Nous retenait presque toujours ensemble :Si nous sortions aux champs,Nous y sortions tous deux :Si nous y demeurions, C'était l'un près de l'autre :Si nous en revenions,C'était de compagnie.Mille petits plaisirsQue prennent les enfants N'étaient plaisirs pour nous,Si nous n'étions ensemble,Si quelquefois nous étions séparés,Et c'était peu souvent,Nous n'avions nul repos Que nous ne revinssionsNous trouver promptement :Et quand nous-nous trouvions,Te pourrais-je redire,Ô cher ami ! Notre contentement ? Tous ceux qui nous voyaient,Jugeaient dès ce temps-la,Que cette affectionQue ces tendres annéesProduisaient entre nous, Serait un jour le plus parfait miroirDu plus parfait amour.Ah ! Qu'ils dirent bien vrai :Mais, ô berger ! Seulement pour Aglante ;Car il est tout certain Que sous le ciel amour ne vit jamaisUne amour plus parfaiteQue celle dont AglanteAdore Sylvanire.Mais que leur prophétie, Ô grands dieux ! Fut bien faussePour cette belle fille ;Car dès le jour que je lui dis : « BergèreAglante vous adore. »Écoute bien Hylas, Jusqu'au moment que je parle avec toi,Jamais Aglante, avec tous ses services,N'a remarqué qu'un seul trait de pitiéAit pu toucher le coeur de cette belle. HYLAS Et toutefois tu l'aimes, Toutefois tu la sers ;Toutefois SylvanireEst l'idole où ton coeurAdresse tous ses voeux.Ô misérable Aglante ! As-tu point de pitiéDe ta condition ?Te laisser dévorerÀ ce tigre inhumain,Qui ne se paît que des pleurs et du sang De celui qui l'adore ;Qu'appelles-tu celaQu'une pure folie ?Or loue Aglante, or louée maintenantCette sainte constance, Dresse lui des autels,Charge les de tes voeux,Et saoule si tu peuxDe larmes et de sangCe farouche animal, Qu'on nomme Sylvanire ;Et puis sache moi dire,Quel bien tu recevras,Et quel contentementDe ta sotte constance. AGLANTE Amour dedans ma perteA mis ma récompense. SCÈNE IV. Aglante Hylas Sylvanire AGLANTE Mais la voici, la belle Sylvanire,Regarde Hylas, si les yeux l'ayant vueLe coeur a le pouvoir De ne la point aimer. HYLAS Elle est belle, il est vrai,Mais telle est mon humeur,Qu'enfin si l'on ne m'aimeJe ne saurais aimer. AGLANTE Ah ! Ce n'est rien que de voir sa beauté,Il faut l'ouïr parler,Son oeil appelle, et son esprit arrêteDe liens si serrés,Et d'étreinte si belle, Que la prison n'en peut qu'être éternelle.Approchons-nous, Hylas,Si tu n'en crains toutefois le trépas. HYLAS Mes remèdes sont bons,Je n'ai pas peur pour ce coup d'en mourir : Si mes yeux font le mal,Mes yeux me font guérir. SYLVANIRE Bergers, pourriez-vous pointMe donner des nouvellesDe mes chères compagnes ? Tout aujourd'hui je cours par ces bocagesSans les pouvoir trouver,Et toutefois, à ce qu'elles m'ont dit,Elles devaient m'attendreAu carrefour qu'on nomme de Mercure, Et de là nous devionsAller toutes ensembleFaire mourir un cerf. AGLANTE Nous ne vous dirons pointDe plus fraîches nouvelles De vos chères compagnes,Ô belle Sylvanire !Que celles que vous dites ;Car nos yeux ne s'amusentÀ voir d'autres beautés Ne pouvant voir les vôtres. HYLAS Parle des tiens Aglante. AGLANTE Et toutefois nous trouvons bien étrangeQue vous que chacun chercheAlliez cherchant quelque autre ; Mais peut-être le cielDe la sorte l'ordonne,Pour vous faire sentirLe mal que tous les coeursOnt pour vous d'ordinaire. SYLVANIRE Les coeurs n'ont rien à faireAvec Sylvanire. AGLANTE Le mien sait bien qu'en dire. SYLVANIRE Ou Sylvanire au moins n'a rien à faireAvec les coeurs. AGLANTE Ah ! C'est trop de rigueur : La mère est bien cruelleQui ne veut reconnaîtreL'enfant qu'elle a fait naître. SYLVANIRE Toujours, berger, une même chanson :Ne te suffit-il pas Que cent fois de ta boucheJ'ai ouï ces propos ?Tu t'en devrais lasser :Laisse moi quelquefoisJe te supplie en paix. AGLANTE C'est à vous Sylvanire,Non pas à moi, d'établir cette paix.Si la vôtre de moiDépendait, ô bergère !Combien serait heureux Mon coeur qui ne l'est pas. SYLVANIRE J'aimerais mieux être toujours en guerre,Que si ma paix d'un homme dépendait. AGLANTE Mais je ne suis pas homme. SYLVANIRE Et qu'es-tu donc pasteur ? AGLANTE Je ne suis rien que votre serviteur. SYLVANIRE Mon serviteur, berger,Et n'es-tu pas Aglante ?Aglante est-il pas homme ? AGLANTE Aglante homme eut été S'il n'eût vu la beautéDe cette Sylvanire. SYLVANIRE Et comment la beautéSaurait-elle empêcherQu'un homme ne soit homme ? Ô la belle pensée ! AGLANTE J'étais encore enfantAlors que je la vis,Cette beauté suprême :Beauté qu'on ne peut voir Qu'aussitôt on ne l'aime :J'en fis la preuve alors,Car la voir et l'aimerFut un même moment :Mais d'autant qu'on ne peut L'aimer qu'infiniment,Infiniment aussitôt je l'aimai,Et l'ai toujours aimée,Et jusques au tombeau,Et dans le tombeau même Encor je l'aimeraiD'une amour infinie. SYLVANIRE Quand il serait ainsi,Ce que je ne crois pas,Je ne vois pas pourtant Que tu ne sois Aglante ;Qu'Aglante ne soit homme. AGLANTE J'étais encor enfantQuand cet heurt m'arriva,Et de voir et d'aimer La belle Sylvanire. HYLAS Cette histoire te plaît,Tu la redis souvent. AGLANTE J'abrégerai. Lorsque l'âge devaitD'Aglante faire un homme, Amour plus fin, ô belle Sylvanire,Amour pour vous en fit un serviteur. SYLVANIRE Mais plutôt un menteur,Un menteur qu'il ne fautÉcouter ni ne croire, Si l'on veut pour le moinsN'en être point trompée.Mais cependant qu'en ce lieu je m'arrêteMes compagnes iront,Et forceront la bête. AGLANTE Ah ! Qu'allez vous cherchantÀ travers ces forêts ?Quelle plus belle chasseQue celle de nos coeurs ?Mais Dieu, votre oeil méprise, Je le vois bien, la chasse qu'il a prise. SCÈNE V. Aglante Hylas AGLANTE Elle s'en va, la cruelle qu'elle est,Sans souci de mes peines :Amour jusques à quandOrdonnes tu que dure Cette extrême rigueur ? HYLAS Je te proteste Aglante,Que de tous les ennuis,Et de toutes les peinesDes bergers de Lignon, Un seul Sylvandre en doit être taxé. AGLANTE Sylvandre ce berger,Si rempli de vertu ? HYLAS C'est ce même Sylvandre ;Car ce berger subtil en ses discours, Pour obliger DianeQu'il aime et qu'il adore,La va flattant, du côté qu'il connaîtQu'elle est la plus sensible.Or tient ceci de moi ; Toute femme est altière :Mais plus la femme est belle,Plus glorieuse elle est ;Car la présomptionVa suivant la beauté Comme l'ombre le corps.Sylvandre donc pour seconder l'humeurDe la belle Diane,Va publiant partoutQu'il les faut adorer, Ces belles que l'on aime,Et que comme on ne doit,Pour quoi qui nous arrive,N'adorer pas ce qu'on doit adorer,De même il ne faut croire Que quelque cruauté,Que quelque ingratitudeDe celle qu'on adore,Puisse nous exempterDe honte ni de blâme, Si nous cherchons ailleursUne beauté, qui nous soit moins cruelle,Faisant ainsi d'un homme un dur rocher,Qui pour fuir l'outrageDes vents, et de l'orage, Ne peut changer de lieu. AGLANTE N'en crois-tu pas de même ? HYLAS Folie trop extrême ;Car ces bergères pensentQu'attachés de la sorte Nous n'oserions d'un pas nous éloigner,Pour quelque cruautéQue nous trouvions en elles,Sachant bien que la honteEst un lien trop fort En des coeurs généreux,Pour être détaché ;Et de là se produitLa sotte nonchalance,Que nous voyons quand nous aimons ces belles, Étant trop assuréesDe notre patience,Leur semblant qu'aussitôtQue l'on se dit amant,On perd tout sentiment, Et qu'on est obligéDe souffrir, d'endurer,Sans oser murmurer,Voire comme en effetSi les lois de Sylvandre Avaient bien le pouvoirD'insensibles nous rendre. AGLANTE Insensibles, non pas,Mais fermes et constants. HYLAS Ou plutôt malcontents, Aglante est-il pas vraiQue si pleins de courageNous nous fâchions un jourDe ce honteux servage,Nous les verrions, ces belles, Nous combler à l'enviDe cent et cent faveurs,Inventant tous les joursDes caresses nouvellesPour nous pouvoir retenir auprès d'elles ? Prends donc courage, Aglante,Romps-moi tous ces liens,Liens honteux qui te serrent les mains,Ou bien le coeur plutôtDessous la tyrannie D'une ingrate bergère,Et crois moi cette fois,J'ai plus d'expérience,Ami, que tu n'as pas ;L'âge que j'ai me permet de le dire, Laisse là cette belle,Laisse cette cruelleAvec sa cruauté,Et va chercher ailleursQuelqu'autre, qui te soit Maîtresse, mais amante,Et non pas un rocher,Qui croit que sa beautéSe rendrait beaucoup moindre,Si de sa cruauté Elle se démentait,Et tu verras que par ce changementTu t'acquerras le bien que tu mérites. AGLANTE Ah ! Berger que dis-tu ? HYLAS Je dis la vérité. Il en manque peut êtreDes femmes par le monde,Pour une que j'en perdsDeux soudain j'en recouvre :Il en est plus épais Que de mouches fâcheusesAu plus chaud de l'automne :Voire, c'est bien marchandise si rare,Et crois moi pour ce coup,Il est ainsi des maîtresses nouvelles, Que des valets nouveaux. AGLANTE Belle comparaison ! HYLAS Elle n'est pas pour le moins sans raison,Car ces nouveaux venus,Je parle des valets, Sont toujours si soigneuxLes premiers jours de bien servir leurs maîtres,Que le plus paresseuxSurpasse en ce temps-laTous ceux d'une maison. Tout ainsi font ces belles,Les premiers jours que nous les enrôlonsDans le nombre de cellesQue nous voulons aimer,Ce ne sont que douceurs, Qu'oeillades, que faveurs,Que toute courtoisie ;Nous sommes écoutés,Nous sommes préférés ;Mais sais-tu bien, Aglante, Quelle en est la raison ?C'est pour nous attraper,C'est pour nous attacherAvec des liensPlus forts et plus serrés ; C'est pour faire allumerPlus ardemment les flammes,Qui déjà sont éprisesDans nos coeurs innocents :Car aussitôt, hélas ! Aussitôt qu'elles pensentDe nous avoir bien pris,Et que cette constance,Que va prêchant Sylvandre,Ne permet plus sans blâme et déshonneur Qu'on les puisse quitter,Adieu faveurs, adieu trompeurs appas,La cruauté commence de paraître,Nous voilà mis dedans le rang des autres,Nous ne sommes plus rien, Et faut qu'à notre tourNous souffrions pour quelque autreCe que déjà l'on a souffert pour nous. AGLANTE Cesse Hylas mon ami,Tu sèmes sur l'arène, Tu parles aux rochers,Personne ne t'écoute,Vaines sont tes paroles,Rien ne peut divertirMon coeur de la servir, Cette belle cruelle.Lorsque je cesseraiD'adorer sa beauté,Je veux cesser de vivre,Et qu'elle aille augmentant, Autant en ses rigueursSur toutes les cruelles,Que sa beauté surpasse les plus belles :Toujours, toujours, Aglante, l'on verraAdorer Sylvanire : Et vois-tu bien, Hylas,Si je suis éloignéDe ton avis, j'aimerais beaucoup mieuxÊtre privé des yeux,Que de les employer À voir avec amourQuelque beauté nouvelle. HYLAS Et telle est ton humeur. AGLANTE Je te l'ai dite, Hylas. HYLAS Fais donc, si tu m'en crois, De bonne heure, berger,Bonne provisionDe longue patienceEt de bonnes lunettes ;Je dis de patience, Afin de supporter,Sans plaindre ou murmurer,Tous les tourments si longs et si fâcheuxQui te sont préparés. AGLANTE Et pourquoi des lunettes ? HYLAS Afin que s'il advientQu'après un long service,Ce que je ne crois pas,Elle et toi parvenusAux vieux ans de Nestor Par le cours d'un long âge,Tu la puisses gagner,Cette vieille cruelle,Ces lunettes au moinsTe puissent faire voir De ces rances beautésLes dépouilles ridées,Car autrement tes yeux,En un âge si vieux,Pourront malaisément Te faire voir cette blanche toison,De qui ta foi t'aura fait le Jason. AGLANTE Ah ! Berger tu te risDu malheur où je suis,Au lieu de plaindre en ami ma fortune. HYLAS Celui n'est pas à plaindreQui chérit son malheur. AGLANTE L'ami de son amiSent au moins la douleur. HYLAS À quoi te peut servir Que ton mal je ressente ? AGLANTE La bonne volontéPour le moins nous contente. HYLAS Mais s'il ne te plaît pasDe sortir de ta peine, La mienne y serait vaine :À quoi sert au maladeDu médecin l'extrême vigilance,S'il ne veut pas suivre son ordonnance ?Et pour te faire voir Que je ne suis menteur,Or sus dis moi, veux tu trouver remèdeÀ ton malheur extrême ? AGLANTE N'en doute pas. HYLAS N'aime qu'autant qu'on t'aime. AGLANTE Mais je ne puis. HYLAS Si tu veux tu le peux. AGLANTE Mais je ne veux. HYLAS Va t'en donc dans Lignon. AGLANTE Que veux tu que j'y fasse. HYLAS Vas y noyer et ta vie et tes feux :Ainsi fit CéladonÉtant atteint d'un mal semblable au tien, Céladon le berger,Qui ne voulant changer, dans les eaux de LignonChercha remède à son mal, ce dit-on. AGLANTE Tu te déçois, Hylas,Lignon malaisément Peut éteindre d'amourL'extrême embrasement,Puisque tout l'océanDes flammes de Neptune,Jamais, jamais, ne peut en éteindre une. HYLAS En quoi pourrais-je donc,Aglante mon ami,Te rendre du service,Si mes conseils ne te semblent pas bons ? AGLANTE Tu peux, si tu le veux, Parler à cette belle ;Je sais qu'elle te croit,Et que le parentageDe Ménandre, et de Stelle,Te donne du crédit Envers Ménandre, et Sylvanire encore,Et parlant à MénandreFais lui honte, berger,De la sacrifier,La belle Sylvanire, À ce veau d'or qui s'appelle Théante,C'est ainsi que se nommeLe bienheureux berger,À qui l'on veut donnerCette belle bergère. Qu'il ne manque pas d'hommesPour donner à sa fille,Qui pourraient bien avoirPeut-être moins de bienQue Théante n'a pas, Mais qui d'autre côtéSeraient plus convenablesÀ l'âge de sa fille,Et peut-être à l'humeurEncor plus agréables : Dis lui que les richessesSont tellement aveugles,Qu'aveugles elles rendentTous ceux qui les regardent :Dis lui que la fortune Peut en un jour ôter quand elle veutLes sceptres, les couronnes,Les trésors les plus grands,Et que jamais les sages,D'eux ni de leurs enfants, Ne doivent assurer,Sur de tels fondements,Tous les contentements.Et puis parlant à elle,Ne peux-tu pas, berger, Lui dire que ses yeuxBrûlent de leurs beautésLes hommes et les dieux,Et que tous ceux qui voient Sylvanire,Ou meurent du plaisir, Ou meurent du martyre.Lui dire que je l'aime,Ou plutôt je l'adore,Et qu'elle ne doit pasAvec tant de douceur Nous promettre la vie,Et donner le trépas.Et bref, lui remontrerSi de quelque pitiéLe secours je ne sens, Que ma mort elle attende ;Mais avec ma mortQu'elle attende de mêmeD'un juste amour la certaine vengeance :Car les dieux ne sont pas, Ni fauteurs ni complicesDe telles injustices.Là tu peux ajouterTant et tant de raisons,Pour lui montrer qu'elle doit amollir Ce coeur, mais ce rocherQue pour coeur elle porte,Que peut-être à la finTu la pourras changer,Et la changeant, Hylas, Éloigner mon trépas,Me prolonger la vie,Qu'Hylas je ne désireQue pour servir plus longtemps Sylvanire.Hylas mon cher ami Je te prie et supplie,Je t'adjure et conjure,Et par notre amitié,Et par celle de Stelle,Voire encor si tu veux Par toutes les plus bellesQue tu servis jamais,Ou que tu serviras,De m'assister en ce que tu pourras. HYLAS Tends moi la main, Aglante, Et reçois le sermentQue ton ami te fait :Je te jure, berger,Par le gui de l'an neuf,Et par la serpe d'or, Dont ce présent des cieuxDétaché de son troncTombe dedans le lingeSoutenu par les mainsDe nos sacrés druides, Que tu ressentirasCombien Hylas, et te chérit et t'aime,Et combien de créditIl peut avoir envers ta Sylvanire :Espère, car enfin Par raison il faut croireQu'elle se changera.On dit que l'inconstanceAux coeurs des femmes tientLe propre lieu de l'âme, Et Sylvanire est femme. AGLANTE Que veux-tu que j'espère,L'espoir et la raisonDoivent avoir quelque correspondance.Mais quand je me regarde Et cette belle aussi,Je me vois, ô berger,Pauvre en mérite, et très riche en amour,Et ma belle au contrairePauvre en amour, et très riche en mérite. HYLAS Espère, Aglante, espère,Et te souviens ami,Que la femme et la mortOnt quelque ressemblance,On les a bien souvent Lorsque moins on le pense. AGLANTE Soit ainsi que tu dis ;Veuille amour me donnerBientôt ou l'une ou l'autre. SCÈNE VI. HYLAS Or va pauvre berger, Va t'en et continueLe chemin que tu tiens,Et sois certain, que tu ne peux faillirD'être bientôt exemple mémorableDes maux que la constance Peut produire en amour :L'opiniâtreté en ce qui ne se doitEst chose autant blâmable,Que la persévéranceAu bien est estimable. Nous avons vu deux puissants témoignages,Depuis fort peu de temps,Du mal que nous rapporteLa sotte loi que Sylvandre nous prêche :Celadon le berger De toute la contréeLe plus aimable, et le plus estimé,Après avoir longuement adoréUne jeune bergère,Une imprudente fille, Ne voilà pas, quoique l'on nous déguiseDe sa cruelle fin,Ne voilà pas qu'un désespoir l'emporteDans le profond des ondes de Lignon ?Mais le gentil Adraste Pour l'amour de Doris,Qu'est-ce qu'enfin le pauvre est devenu ?Après l'avoir aiméePresque dans le berceau,Et qu'il voit Palemon Le possesseur du bien qu'il désirait,Que fait cette constance ?Amour lui prend le coeur,Mais elle lui dérobeL'usage de raison. Le voila fol, comme jà dès longtempsIl avait bien été :Car vraiment je les crois,Tous ces opiniâtres,Être aussi fols qu'Adraste : Mais sa folie, alors autoriséePar l'exemple de tous,Hormis d'Hylas, de blâme l'exemptait.Or je vois que bientôtAglante pour troisième, De ces deux insensésLe nombre augmentera.Ne vaudrait-il pas mieuxChanger et rechangerMille fois tous les jours D'amour et de maîtresse,Que de perdre un momentL'usage de raisonPour aimer constamment ?Qu'elles viennent vers moi, Ces belles rigoureuses,Avec tous leurs dédains,Et toutes leur rigueurs,N'ayez peur que jamaisElles puissent réduire Mon courage à ce point,Qu'un désespoir soit mon dernier remède,Ou qu'un regret d'y voir un autre amantM'ôte l'entendement.Contre tous ces malheurs J'ai des armes si bonnes,Que leurs tranchants ne peuvent m'offenser.Sont elles dédaigneuses ?Je les dédaigne aussi.En aiment-elles d'autres ? J'en fais bien autant qu'elles.Me vont elles changeant ?Croyez que sur ce point,Si l'une d'entre toutesD'un seul moment a pu me devancer, Il faut que pour certainElle s'y soit prise de bon matin.Mais la voici,La belle Sylvanire,Parlons lui pour Aglante. SCÈNE VII. Sylvanire Fossinde Hylas SYLVANIRE Ô dieux, qu'il me déplaîtQue ce matin j'ai été paresseusePlus que toutes les autres,Ayant perdu le plaisir de ce cerfQue vous avez forcé : Car dites-moi n'est-il pas vrai, Fossinde,Qu'entre tous les plaisirsQue nous pouvons avoir,Rien ne peut égalerLe doux contentement Que la chasse nous donne ?Quel plus beau passe-tempsSaurait-on inventerPour s'éloigner du vice,Que ce bel exercice ? FOSSINDE Je le veux bien, puisque vous le voulez,Je ne contrediraiJamais à Sylvanire,Encore que mon humeurSerait, je le confesse, De passer une vieUn peu plus reposéeQue celle de la chasse. SYLVANIRE Mais pouvions-nousAvoir plus de plaisir, Que celui qu'avant-hierNous eûmes à la chasse,Je jure quant à moiQue je ne puis avec la penséeM'en figurer quelque autre de plus grand. HYLAS Maigres plaisirs, bergères,Sont ceux que vous prenez,Et vous laissez, croyez-moi, les plus grands :Mais c'est ainsi qu'il en advient toujours,Lorsque l'élection N'est point guidée avec l'expérience. SYLVANIRE Que voudrais-tu, berger,En cet âge où nous sommes,Après avoir conduitNos troupeaux au matin Paître sans nul danger,Et le trèfle et le thym,Que nous puissions mieux faire,Que de passer le tempsAinsi que nous faisons, À la pénible chasse ?Pénible, mais plaisante,Tantôt de mille oiseaux,Par des filets cachés,Faisant un doux butin, Tantôt par des gluaux,Ou par un fin ramage,En repeuplant nos cages ?Et quelquefois, berger,Allant au bois dès le plus grand matin, Le dard au poing, ou bien l'arc et la flèche,La robe retroussée,Telles comme les nymphesQui vont suivant DianePoursuivre vivement La bête mal menéeJusqu'aux derniers abois ? HYLAS Ce sont maigres plaisirs,Et m'en crois, Sylvanire,Que ceux que tu racontes, Que s'ils te semblent tels,Ô folle, c'est d'autantQue tu n'as point goûtéCeux qui sont en effetLes vrais plaisirs du monde. Les glands jadis avec l'eau toute pureD'une vive fontaineDedans la main puisée,Furent de nos aïeulsLa chère nourriture, Et les chères délices :Mais depuis que le grainDe Ceres retrouvé,Et de Bacchus la vigne cultivéeVint à leur connaissance, Les glands et l'eau furent tous deux laissésPour pâture au bétail,Comme chose trop vile ;De même en feras-tu,Et crois-le Sylvanire, Lorsque l'expérienceT'aura des vrais plaisirsDonné la connaissance. FOSSINDE Quant à moi je le croisAinsi comme il le dit. HYLAS Tu n'as que trop longtempsDéjà dedans les boisCette chasse suivie,Où le travail surmonte le plaisir ;Il t'en faut maintenant Un autre commencer,Où le plaisir surmontera la peine.À quoi dedans tes mainsCes flèches et ces dards ?Puisque dedans tes yeux Tu portes plus de flèches et de traits,Que toutes les bergèresDes rives de Lignon :Ni que toutes les nymphes,Qui vont suivant Diane dans ces bois, N'en ont dans leur carquois.Avec ces traits, ô belle Sylvanire,Ces traits remplis d'amour,Il faut que tu t'apprêtesÀ faire tes conquêtes Dedans les coeurs qui méritent tes coups,Et non pas vainement,Suivant dedans les boisUne bête sauvage,Passer ainsi ton âge. FOSSINDE Ce berger a raison. HYLAS Dedans les bois que les bêtes demeurentAvec les autres bêtes,Et qu'ensemble elles fassent,Ainsi qu'il leur plaira, Ou la guerre ou la paix.Mais nous que la raisonA séparés d'entre elles,Vivons et nous plaisonsParmi les animaux Que la nature a voulu rendre égaux.Quel commerce faut-ilQue nous ayons, bergère,Avec des ours et des bêtes sauvages ?Celui qui tout disposé, S'il eut jugé qu'il le fallut ainsi,Nous eut fait ou des ours,Ou des bêtes sauvages,Et au lieu de parler,Avec les loups il nous eut fait hurler. SYLVANIRE Et la chasse et les boisSont mes chères délices,Et quant à moi, quoique tu saches dire,Je ne changerais pointLa prise d'un chevreuil À toutes les conquêtesDes coeurs que tu me dis.Et qu'ai-je affaire, Hylas,De ces coeurs, qui me sontPlus cruels ennemis Que ne sont pas les bêtes plus farouches ?Ne sais-je point que ce fier animalQue l'on nomme un amant,Est le plus dangereuxQui nous puisse approcher. Mais dis-moi je te prie,Qu'est-ce que veut de nousL'amant qui nous recherche ? HYLAS L'honneur de vous servir SYLVANIRE Mais plutôt cet honneur Il nous voudrait ravir.Crois-tu que je ne sacheQue de tant de soupirs,Que de tant de services,Et que de tant de voeux Le dessein principalNe soit pour notre mal ?Les ours, il est certain,Sont privés de raison,Et quelquefois les loups Se repaissent de nous :Mais les loups ni les ours,Pour grand nombre qu'ils soient,Ne sont si dangereuxQu'un homme seul, qui sous titre d'amant Nous hante finement. FOSSINDE Tous ne sont pas ainsi,L'homme à l'homme est un loup :L'homme à l'homme est un dieu. SYLVANIRE Et c'est pourquoi nous fuyons par raison Dedans les bois ces cruels ennemis,Où nous trouvons, à la honte des hommes,À notre honnêtetéBeaucoup plus de sûreté. HYLAS S'il était vrai comme tu dis, bergère, Que les amants fussent vos ennemis,Hélas que d'ennemisT'aurait acquis ta beauté, Sylvanire ;Car je ne vois personneQui ne meure d'amour En voyant tes beaux yeux. SYLVANIRE Qu'il soit, ou ne soit pas,Cela m'importe peu,Car j'aime beaucoup mieuxQu'ils meurent par mes yeux, Que si mon coeur devenait si peu sageQu'il crût à leur langage. HYLAS Ô farouche penséeD'un esprit insensible,Le ciel te punira, Si bientôt, Sylvanire,Tu ne changes ce coeurQue tu retiens d'une ourse bocagèreEn celui de bergère.Orgueilleuse beauté Pourquoi peux-tu penserQue le ciel t'ait donnéCette extrême beauté,Qui te rend tant aimable,Et tant aimée aussi ? Quoi ? Pour faire mourir,Par des rigueurs extrêmes,Tous ceux qui te verront,Le ciel eût bien étéInjuste autant que toi, De te pourvoir au dommage de tousD'une beauté si rare,Et tous les yeux qui te verront jamaisAvec raison se plaindraient bien du ciel,Et du cruel destin. Mais au rebours, bergère,Ce puissant dieu qui t'a faite si belle,Quand tu naquis prononça par tes yeuxCet oracle infaillible :Cette beauté rendra Les hommes plus heureuxQue ne sont pas les dieux,Et dès lors le génieQue le ciel a donné,Comme pour conducteur, Au beau berger Aglante,À t'aimer le poussaDe telle passion,Que ta seule beautéPeut être égale à son affection. SYLVANIRE Parles-tu pas d'Aglante ?Aglante le berger,Le seul fils de Cléandre ? HYLAS C'est de lui, Sylvanire. SYLVANIRE Ce n'est donc que de lui Dont tu me veux parler ;C'est assez, je t'entends,C'est le berger Aglante,C'est le fils de Cléandre :Mais ma chère Fossinde N'est-il pas gracieuxDe me parler d'Aglante ? HYLAS Mais voyez cet orgueil,Voyez la dédaigneuse,On lui fait un grand tort De lui parler d'Aglante. SYLVANIRE Mais c'est donc d'AglanteLe seul fils de Cléandre,Duquel tu veux parler.Ô je t'entends, ô je t'entends, Hylas, C'est le berger Aglante,Le seul fils de Cléandre,Aglante le berger. HYLAS Va cruelle beauté,Va jeunesse peu sage, Trop orgueilleux esprit,Va courage indompté,Si le ciel ne punitSi grande cruauté,Il ne sera pas juste. SYLVANIRE Parles-tu pas d'Aglante,D'Aglante le berger,Le seul fils de Cléandre ?Qu'Hylas est en colère,Il s'en va bien fâché. SCÈNE VIII. Fossinde Sylvanire FOSSINDE Vous plaît-il, Sylvanire,Que le vrai je vous dise,Je ne crois pas, que ce qu'Hylas vous ditSoit tant hors de raison. SYLVANIRE Soit tant hors de raison, Comment l'entendez-vous ? FOSSINDE Ma soeur je l'entends bien :Dites-moi je vous prie,Quand nous aurions forcéTous les cerfs de ces bois, Pour cela que serait-ce,Et quel grand avantageNous en reviendrait-il ?Seulement de la peine,Et de la peine encore Que je trouve bien vaine.Aller parmi les boisSe déchirer la chairAvec les habits,Laisser contre une ronce La toison attachéeDe nos cheveux, comme font nos brebis,Se planter quelquefoisBien avant dans les piedsUne tranchante épine, Suivre par les rochers,À travers les montagnes,Aux soleils plus ardents,Et courre tout un jourLa bête qui s'enfuit, De la chasse, ô ma soeur,N'est-ce pas tout le fruit ?J'aime bien mieux, pour moi je le confesse,Passer sans tant de peinePlus doucement la vie, Entre les jeux mignardsDes bergers et bergères,Les voir, ces beaux bergers,Courre, sauter, lutter,Et les voir, ces bergères, Filer, danser, chanter,Les uns mourants d'amourEssayer de fléchirAvec milles prièresCes âmes trop altières ; Les autres au reboursNe se souciant guèreD'eux ni de leurs prières :De petites rigueurs,Qui tiennent lieu quelquefois de faveur ; Se montrer plus cruellesQu'elles ne le sont pas,Mais non pas toutefoisAutant qu'elles sont belles :Et lors entre eux par des douces disputes, Par des petites guerres,Par des petites paix,Rompre, nouer, et dénouer encore,Puis rattacher par des noeuds plus serrésLeurs amours innocentes. Je me plais, il est vrai,À voir ce que je dis,Plus qu'aux durs exercicesD'une pénible chasse,Où l'on n'entend sinon Que des chiens clabauderAvec confusion,Où tout ce que l'on voitSont des ronces sauvages,Ou des plaines brûlées, Ou des âpres montagnes,Ou des rochers rompus en précipicesPar où s'enfuit une bête suivieDe plusieurs autres bêtes.Dites moi Sylvanire, À nous voir courre ainsi,Qui ne nous jugeraitDes bacchantes plutôt,Que non pas des bergères ? SYLVANIRE L'oisiveté c'est la mère du vice ; C'est pourquoi l'exerciceÀ celles de notre âgeApporte, croyez-moi,Un très grand avantage.Amour qui suit, et sans cesse poursuit Une molle jeunesse,Aisément dans ces jeuxEt dans ces passe-tempsEn rencontre le temps,Au lieu qu'il ne peut pas, Quoiqu'il soit fin, et quoiqu'il soit léger,Nous atteindre si fortDans les durs exercices.Et par ainsi, ce travail bien petitNous exempte des coups, Dont il blesse les coeursQui sont oisifs avec tant de rigueurs. SCÈNE IX. Adraste fol, Sylvanire, Fossinde. ADRASTE Amour, gente fillette,Ne va pas au marché,Il se tient mieux caché, La fine bête,Bête, non, mais un dieu[Note : Moyeu : Jaune d'oeuf. [F]]Qui naît dans le moyeuD'un oeuf d'autruche,Doris le fait éclore avec ses beaux yeux, Et le malicieuxDe la coque qui resteIl en fait une cruche ;Car il est bien subtil.Dites-moi qu'en fait-il ? Il l'emplit de son fiel,[Note : Avette : ou apelle. Un des noms vulgaires de l'abeille domestique. [L]]Et du miel d'une avette,Le miel sur PalemonSon mignon,Le fiel sur Adraste il jette. SYLVANIRE Fuyons ma soeur, c'est le berger Adraste,À qui l'amour a fait perdre le sens. FOSSINDE Plusieurs sont comme luiQui ne s'en vantent pas,Et que l'on ne fuit pas : Mais n'ayez point de peur,Il n'est pas malfaisant,Je l'ai vu, Sylvanire,L'un des gentils bergersDe toute la contrée, Et n'est-ce pas pitiéQue l'amour l'ait réduitÀ ce point déplorable ? SYLVANIRE Je l'ai vu tel, ma soeur, que vous le dites,Puis l'amour de Doris L'a mis en cet état :Mais à quoi pense-t-il ?Voyez un peu la mine qu'il nous fait :Ô dieux qu'il est affreux !Allons-nous en Fossinde, Vous verrez qu'à la finIl nous fera du mal. FOSSINDE Ne fuyez point, il vous courrait après,Mais tenons bonne mine,Quelque berger peut-être surviendra. SYLVANIRE Dieux ! Qu'est ce que l'amour ? ADRASTE Ce que c'est que l'amour,Je m'en vais le vous dire.[Note : Jeu coquimbert : Jeu à qui perd gagne. Cité par Rabelais.]Amour, fillette, est le jeu coquimbert,Qui gagne perd. Amour est au contraireD'une châtaigne en goussePiquante par dehors,Et par dedans fort douce.Amour est la lanterne, Mais lanterne allumée,Au dedans est le feu,Dehors quelque clarté,Mais beaucoup de fumée. SYLVANIRE Mon Dieu qu'il est plaisant. FOSSINDE Je trouve qu'il dit bien :Mais faisons le parler.Berger qu'est-ce qu'amour ? ADRASTE Amour c'est un vieux singeQui fait à tous la moue, Et mord souvent celui qui trop s'y joue. SYLVANIRE Ah ! Sur ma foi ma soeurÀ ce coup il dit vrai. FOSSINDE Or sus qu'est ce qu'amour ? ADRASTE Qu'est-ce qu'amour, c'est un gros escargot. FOSSINDE Escargot, et pourquoi ? ADRASTE Ah c'est d'autant, que pour peu qu'il séjourneSoudain il fait les cornes :Mais croyez, belle fille,Que de cet escargot Vous êtes la coquille. FOSSINDE N'est-il pas bien plaisant ?Or sus qu'est-ce qu'amour ? ADRASTE Amour c'est la quenouilleQue plus l'on veut filer, Et que plus on embrouille. FOSSINDE Non, non, tu te déçois. ADRASTE C'est donc une marmiteEt du feu par dessous :Le feu, filles, c'est vous, Et nous les pois que le bouillon agite. SYLVANIRE Mais n'en faut-il pas rire ? FOSSINDE Dis donc qu'est-ce qu'amour ? ADRASTE Amour c'est un pourceau,L'ordure il aime fort, Et ne vaut jamais rienSinon quand il est mort. SYLVANIRE Je crois bien qu'il dit vrai. ADRASTE Et bref amour ressemble à la sourisQu'un chat poursuit, Et qui s'enfuitDeçà, delà ;Enfin voilaQu'elle rencontre un trou,Monsieur le chat trompé En peut chercher une autre à son souper.Adraste il est bien vrai,Doris te fît ainsi,Trop injuste Doris,Trop ingrate Doris, Lorsque pour PalemonAdraste elle laissa,Adraste elle trompa,Adraste elle trahit,La perfide qu'elle est. FOSSINDE Il entre en sa furie. ADRASTE Où s'en est-elle alléeAvec son Palemon ?La trouverai-je pointPour me venger quelquefois en ma vie ? Oui je l'étrangleraiAvec mes propres mains,Et son petit mignon,Son aimé Palemon :Mais la voici. SYLVANIRE Ma soeur je meurs de peur. FOSSINDE Non, non, ce n'est point elle. SYLVANIRE Vous vous riez Fossinde,Je vous jure ma soeurQue je tremble de crainte. ADRASTE Ce n'est pas celle-ci ? FOSSINDE Non, non, ce ne l'est pas. ADRASTE Ne serait-ce point toi,Qui pensant me tromperAs changé de visage ? FOSSINDE Non, non, la veux-tu voir,La voilà ta Doris,La voilà qui s'en vaAvec son Palemon. À Doris.Bonjour belle Doris Où courez vous si vite ?Venez vers nous Doris. ADRASTE Venez vers nous Doris,Doris venez vers nous. FOSSINDE Ô comme elle s'enfuit ! ADRASTE Elle s'enfuit, je l'atteindrai bientôt FOSSINDE Je savais bien qu'avec cet artificeNous nous en déferions. SYLVANIRE Dieu soit loué Fossinde :Mais avant qu'il revienne Allons-nous en aussi :Mais ô dieux il revient,Fuyons, ma soeur, fuyons. LE CHOEUR Ceux qui d'amour font la peinture,Enfant ailé nous le feignant, Sans savoir quelle est sa figureVont à l'aventure peignant.Car il n'est mâle ni femelle,Homme ni Dieu, jeune ni vieux,Mais plusieurs choses pêle-mêle Dont il nous abuse les yeux.Des dieux il a bien la puissance,Mais des mortels l'infirmité,Des femmes il a l'inconstance,Et des hommes la fermeté. Du jeune il a la hardiesse,Du vieux déjà le sang glacé,Du sage il retient la sagesse,Et la fureur de l'insensé.Lion de force et de courage, Brebis de faiblesse et de peur,Ferme rocher, plume volage,Autant trompé comme trompeur.Et bref, amour c'est un mélangeDe toutes choses en un point, Dont la nature est tant étrange,Qu'enfin je ne la connais point.Je sais toutefois qu'on appelleComme je dis ce grand démon,Mais sa nature quelle est elle ? Pour moi je n'en sais que le nom. ACTE II SCÈNE I. SATYRE Injuste amour, pourquoi si rarementUnis tu les desseinsDes fidèles amants ?Pourquoi perfide as-tu tant de plaisir De voir dedans deux coeursUn différent désir ?Je brûle et meurs d'amourPour Fossinde la belle,Fossinde aime Tirinte, Tirinte Sylvanire :Et Sylvanire, ô dieux !Ne daigne voir Tirinte,Ni Tirinte Fossinde,Ni Fossinde cruelle Me regarder, et si je meurs pour elle.L'abeille aime les fleurs,Mais le cruel amourSe repaît de nos pleurs.Il aime, le cruel, De voir languir, souffrir,Puis à la fin mourirNoyé dedans les larmes,Sans que nulle douleurQue l'amant puisse avoir L'émeuve à la pitiéQu'il doit avoir de lui.Vraiment tu montres bienQue ta mère naquitDans les flots de la mer ; Et qu'on te doit nommer,Au lieu d'amour amer :Amer vraiment amour,Puisqu'à ceux qui te suiventTu ne donnes jamais, Et telle est ta coutume,Sinon de l'amertume.Amers sont nos espoirs,Amers sont nos désirs,[Note : Abshtinthe : Plante aromatique et très amère. Espèce de liqueur faite avec l'absinthe. Fig. Amertume. [L]]Et d'absinthes amers Sont mêlés nos plaisirs,Si des plaisirs toutefois tu nous donnes.Je sais bien que les dieuxVeulent que les mortelsCueillent toujours la rose Au danger de l'épine,Et que le miel si douxNe se prend dans la rucheSans courre le dangerDes piquantes abeilles. Mais ton rosier, amour,Sans rose ne produitQue des pointes tranchantes,Et tes ruches sans mielQue des mouches piquantes ; De sorte que la mainQui veut cueillir tes fleurs,Ou le miel que tu donnes,Ne rencontre jamaisQue des égratignures, Ou bien, hélas ! Des cuisantes piqûres.Tu sentis autrefois,À ce que l'on nous dit,Quelles sont de tes flèchesLes blessures amères, Quand pour une PsychéDessus toi même il te plut d'essayerLa force de tes coups ;Et cela toutefoisNe t'a rendu plus doux Envers ceux que tu blesses.Mais je crois au contraireQue cet essai t'a rendu plus cruel,Comme si tu voulaisDessus autrui te venger de toi-même. Et ne voyons-nous pasLa même cruautéDans le coeur de Fossinde ?Car autrement, ô Fossinde cruelle,Qui pour Tirinte as ressenti le mal Que tu me fais souffrir,Comment ne changes-tuCette extrême rigueur,Puisque tu sais quel tourment elle donne ?Ne vois-tu pas, bergère, Qu'en cette cruautéQue tu me fais sentir,Très justement amourFait que Tirinte aussiTe dédaignant me venge ? Mais faut-il que longtempsCe mépris je supporte ?Moi, dis-je, qui ne cèdeEn noblesse de sang,Non pas même au dieu Pan : Qui voit de mes troupeauxLes campagnes couvertes ;Troupeaux de qui le laitPresque en toute saisonInonde ma maison : [Note : Cérès : Dans le polythéisme gréco-romain, déesse qui présidait aux moissons. [L]]Qui des biens de Cérès[Note : Pomone : Nymphe et fausse divinité des Anciens, qu'ils croyaient présider aux jardins ; ils feignent qu'ils fut mariée à Vertumne, qu'ils avaient pour ce sujet en grande vénération. [F]]Et de ceux de PommoneVois mes toits regorger,Soit l'été, soit l'automne.Moi, dis-je, qui de force [Note : Briarée : personnage de la mythologie grecque, Géant, frère des Titans et des cyclopes, qui a cinquante têtes et cent bras]Surpasse un Briarée,Un Hercule en courage,Et bref qui ne vois pointUn mortel qui m'égale,En tout ce qu'un mortel Peut avoir d'estimable :Supporterai-je encore longuementQu'une affectée, une imprudente fille,Aille estimant un berger plus que moi ?Un berger qui n'a rien Qui puisse être estimable,Sinon qu'il a la peau tendre et douillette,Le teint uni comme du lait caillé,[Note : Affeté : Qui a de l'affetterie [c'est à dire une] Recherche mignarde dans les manières ou dans le langage. [L]]L'oeil affetté, le visage sans rides,[Note : Recrêper : Crêper de nouveau. [c'est à dire] Friser en manière de crêpe. [L]]Et les cheveux en ondes recrêpés, Ressemblant mieux en sommeUne fille qu'un homme.Ignorante bergère,Si tu savais combien se doit fuirL'homme qui fait la femme, Tu chérirais beaucoup plus mon visage,Puisqu'étant hommeUn homme je ressemble,Et non pas une filleComme Tirinte fait. Mais réponds-moi Fossinde,Croirais-tu d'être aimable,Si fille étant on voyait ton visageSe revêtir de poilComme celui des hommes ? Comment trouves-tu beauEn ce tendre bergerDe n'y remarquer rienDe l'homme que le nom ?Mais je prêche aux déserts, Je parle aux vents, et je perds mes paroles :Fossinde la cruelleNe m'entend point, et quand ma voix encoreAtteindrait ses oreilles,Je sais qu'en vain elle les entendrait, Tant elle est affoléeDe ce teint damoiseau,De ces cheveux frisés,De ces roses nouvellesQu'un hiver flétrira, Ou le moindre soleilDont il se hâtera :Et c'est pourquoi je veux sans plus attendreLui montrer en effetQuel je suis, quel il est ; Je ne veux plus recoure à ces prières,Que jusqu'ici si vaines j'ai trouvées,Je me veux désormaisServir des avantagesQue j'ai de la nature. Tu m'enseignes, Tirinte,Ce que je devrais faire,Et jusqu'à ce momentJe ne l'ai su connaître.Tu te prévaux des grâces que Nature En ton visage a mises,Et n'est-ce pas me dire,Qu'il faut que je me serveDe ce que j'ai de mêmeDe plus avantageux ? La force et le courageOnt été mon partage ;Donc par cette force,Donc par courageSaisissons-nous de cette dédaigneuse, Et montrons lui le courage et la forceQue nous avons, peut-être se voyantRéduite à la merciQue nous voudrons lui faire,Se repentira-t-elle D'avoir été cruelle.Qu'elle crie au secours,Qu'elle appelle Tirinte,Nous le verrons venir,Ce tendre jouvenceau, Cette douce pucelleSous l'habit déguisée,Et sous le nom d'un homme :Si toutefois, ce que je ne crois pas,Il en a le courage, Je jure Pan le grand dieu bocager,Je jure de Lignon l'un et l'autre rivage,Je jure par les bois[Note : Isoure : Il doit s'agir d'Issoire, ville au sud de Clermont-Ferrand en Auvergne.]Dont Isoure s'honore ;Et bref je jure et je proteste ici Par mon bras invincible,Que s'il y vient au secours de la belle,Je veux de cette masseRavir d'un coup vainqueur,Et l'âme de son corps, Et l'amour de son coeur.Je sais que bien souventElle vient par ces bois,Cette imprudente fille,Je m'en vais me cacher Dans ce buisson touffu,Attendant qu'elle vienne :Si je puis l'attraper,Elle aura beau crierAvant qu'elle m'échappe : Aussi bien m'a-t-on ditQue bien souvent ces bellesVeulent que leurs faveursOn prenne en dépit d'elles,Et que par force on semble être vainqueur D'un combat, où vaincuesElles sont de bon coeur. SCÈNE II. SYLVANIRE Le ciel jamais ne fait rien d'inutile,À ce que l'on nous dit ?Mais pourquoi donne-t-il, S'il est ainsi, la franche volontéAu sexe dont je suis,Puisque jamais on ne voit que la femmeSe puisse prévaloirDe son propre vouloir : Tant que nous sommes fillesSe peut-il voir esclavePlus sujet que nous sommesAux volontés du père et de la mère ?Et si nous espérons De rompre ces liensAvec le mariage,Que nous sommes déçues,Puisque d'autres liensMille fois plus serrés Mettent en servitudeEncor nos volontés :Car les maris (enfin ce sont les hommesQui firent cette loi)Les maris, dis-je, avec tyrannie Vont s'usurpant toute l'autoritéSur notre volonté.Que si le ciel enfin,Rompt encor ces liensQu'un mariage étreint, Nous séparant par la mort d'un mari,Nous voila rattachéesEncore de nouveauPar d'autres noeuds plus forts que les premiers.Le père s'il survit, Ou bien à son défautLe plus proche parent,Nous prive incontinentDe pouvoir disposer,Ainsi que nous voudrions, Du reste de nos jours.S'il est ainsi (comme il n'est que trop vrai)Qu'on me dise en quel tempsNous peut jamais servirLa libre volonté Que du ciel nous avons.Ô misérable état !Que celui de la femme,De qui la volontéN'est jamais de saison, Et de qui la raisonEst sans autorité :Et toutefois il ne faut pas se plaindreDe ce grand dieu sous telle servitude ;Car ce n'est pas de lui Dont procède ce mal,Les hommes seuls, ah ! Ce sont les seuls hommes,Qui par la force ont ces lois établies :Lois injustes sans doute,Puisqu'à notre dommage Elles ne sont qu'à leur seul avantage.Ne voilà pas, dois-je dire mon père,Ou Ménandre plutôtSans ce doux nom de père,Puisque le père à son enfant jamais Ne doit ravir la vie,Et qu'il ravit la miennePar la force qu'il fait,Ou qu'au moins il veut faireContre ma volonté. Ne voila pas cet avare Ménandre,Ainsi le nommerai-je ;Ô dieu ne voilà pasQu'avec mille rigueursIl veut sacrifier La pauvre SylvanireÀ ce fâcheux Théante,Qui m'est plus en horreurQue l'horreur ne peut être.Ah ! J'aime mieux, j'aime bien mieux cent fois Épouser un tombeau.Fasse le ciel ce qu'il voudra de moi,Jamais, quoiqu'on m'en die,Je n'y consentirai.Et lorsque par la force On m'y voudra contraindre,La mort plus douce avec son secoursAbrégera mes jours :Tout le regret qu'alorsDans le cercueil je pourrai ressentir, Sera sans plus de te laisser, Aglante,Avec l'opinionQue Sylvanire est ingrate envers toi :Car je confesse, et je l'avoue ici,Où pour témoins j'ai seulement ces arbres, Que tes vertus, Aglante,Que ta discrétion, que ton affection,Et que tes longs servicesMéritaient de trouverQuelque autre plus heureuse Que Sylvanire à ton dam ne l'est pas.Mais que saurais-je faire,Puisque si je t'aimaisIl faudrait bien aussi(Ainsi le veut ma cruelle misère) Et souffrir, et me taire.Ménandre qui desseigneDe m'allier à ce riche berger,Ô damnable avarice !Ne tourne pas les yeux Sur ce qui vaut le mieux,J'entends sur ta vertu,Et dessus tes mérites :Mais l'éclat seulementD'un métal qui reluit À l'oeil avare, également nous nuit.Ne trouve donc étrange,Aglante que j'estimePlus que tous les bergersDes rives de Lignon, Si dedans les liensDu devoir retenueConnaître tu ne peuxLe bien que je te veux.J'aime mieux que la mort Mette fin à ma vie,Que si l'on pouvait dire,Amour enfin a vaincu Sylvanire. SCÈNE III. Tirinte, Sylvanire. TIRINTE Quelle heureuse rencontreEst celle que je fais, Vous trouvant Sylvanire. SYLVANIRE Tirinte je ne saisPourquoi tu veux nommerHeureuse ma rencontre,Puisque si nul ne peut Donner ce qu'il n'a pas,Comment te donnerai-jeCe bonheur que tu dis,Si le bonheur jamaisAvec moi n'habita ? TIRINTE Heureuse avec raison,Ô belle Sylvanire !Mon coeur vous peut bien dire,Puisque non seulementOn vous doit estimer Pour vos perfections,Et pour votre beauté,Sur toutes bien heureuse ;Mais plus encor pour pouvoir, s'il vous plaîtRendre heureux un amant D'un clin d'oeil seulement. SYLVANIRE Malaisément celuiPeut rendre heureux autrui,Dont le pouvoir en son malheur extrêmeEst faible pour soi-même. TIRINTE Ne dois-je pas heureux dire celui,Qui (s'il le veut) peut rendre heureux autrui,En chassant de soi mêmeLe mal qu'il croit extrême. SYLVANIRE Ce sont discours dont Tirinte repaît Ceux qui veulent le croire ;Mais, ô berger, je sais pour mon malheurQue ces propos ne sont que flatterie,Et que mon mal est chose véritable. TIRINTE Aimer et vous flatter Sont deux choses contraires,Si bien que quand vous ditesQue Tirinte vous flatte,Vous lui dites de mêmeQue son coeur ne vous aime. SYLVANIRE Si nous flatter et nous aimer ensembleSont tant incompatibles,Il est certain, Tirinte,Que toutes nous pouvonsJurer assurément, Que nul homme jamaisNe se peut dire amant. TIRINTE Blasphème insupportable ! SYLVANIRE Toutefois véritable. TIRINTE Mais la fausseté même. SYLVANIRE Que sans flatter quelqu'homme puisse aimer ?Et réponds-moi Tirinte,N'est-ce pas bien flatterDe dire une beautéÊtre toute parfaite, Où d'autres yeux remarquent cent défauts ? TIRINTE Ce mystère d'amour,Ô belle Sylvanire,Se peut mieux ressentirQu'il ne se peut pas dire ; Et toutefois pour vous ôter d'erreurJe vous dirai, qu'il est vrai que l'amantEstime la beautéQu'il aime et qu'il adore,Plus parfaite et plus grande Que toutes les beautésQui sont en l'univers ;Et s'il l'estime telleVous êtes bien cruelle,Vous disant ce qu'il croit, De l'estimer flatteur. SYLVANIRE Il est donc un menteur. TIRINTE Mentir, c'est quand on parleContre la véritéQui nous est bien connue, Et qu'en soi-mêmeOn sait bien que l'on ment :Mais l'amant n'est pas tel,Parce qu'en véritéIl croit celle qu'il aime Unique en sa beauté,Et toutefois peut-être il se méprend. SYLVANIRE Il est donc ignorant. TIRINTE Ignorant, je l'avoue :Mais de cette ignorance On ne le peut blâmer,Ayant pour précepteurDes dieux le dieu plus grand,Le puissant dieu d'amour,Amour de qui les lois Sans châtiment ne se peuvent enfreindrePar le fidèle amant.Car sachez, Sylvanire,Qu'aussitôt que l'amourSe rend maître de nous, Incontinent d'un art industrieuxNos yeux il change avec ses propres yeux ;De sorte qu'aussitôtQue nous sommes amantsNotre oeil ne nous sert plus, Et nous ne voyons rienQu'autant qu'il plaît au sien :Et cela c'est d'autantQue nul ne peut aimerQue ce qu'il juge beau ; Mais un tel jugementJamais ne se produitSinon par le rapportQue les yeux nous en font.Or ce grand dieu d'amour Qui veut que chacun aime,Sans changer le visage,Avec ses propres yeuxTrompe le jugementQue peut avoir l'amant : Et de là vient qu'on ditPar un commun discours,Jamais laides amours. SYLVANIRE Et par ainsi TirinteSans offense on peut dire, Qu'amour est un trompeur ;Et que tous les amantsFont de faux jugements. TIRINTE Vous pourriez bien mieux dire,Bergère, s'il vous plaît. SYLVANIRE Et que pourrais-je dire ? TIRINTE Que tout amant adoreLa personne qu'il aime,Et que n'ayant des yeuxQue pour voir ses beautés, Il ne saurait jugerRien qui soit plus aimable :De là vient que son coeurEst plein de passion,Quand l'ingrate beauté Qu'il aime et qu'il adore,Ne correspond à son affection.Par là vous jugerezQuel est le mal que supporte TirinteAdorant Sylvanire, Sylvanire la belle,La belle, mais cruelle,Cruelle, ô dieux, mais toutefois aiméePlus encor mille foisQu'elle n'est pas cruelle. SYLVANIRE De quelle cruautéTirinte te plains-tu ;Et qu'est-ce que tu veuxQue Sylvanire fasseAvec la raison ? TIRINTE Avec la raisonVous devez, Sylvanire,Aimer celui qui n'adore que vous :Amour l'amour demande,Et la moisson de l'amour c'est amour. SYLVANIRE Et cette loi dis-moiSe doit-elle observerPar les bergers comme par les bergères ? TIRINTE D'une loi généralePersonne n'est exempt, Et cette loi, bergère,Aime celui qui t'aime,Est une loi que la nature a faite,Que la raison approuve,Que l'amour autorise, Et que chacun observe,Si ce n'est vous cruelle Sylvanire. SYLVANIRE Pour moi j'en suis exempte,Parce que dans mon coeur,Et la nature, et la raison aussi, Ont empreint une loiD'un chaste caractèreÀ celle-ci contraire,Qui dit ainsi : sage n'aime jamaisSi tu veux vivre en paix. Et quand aux ordonnancesDe l'amour que tu dis,Je fais gloire, Tirinte,De ne rien observerDe tout ce qu'il commande. Mais toi, berger, pourquoi n'observes tuLa loi que tu confessesÊtre si juste et bonne ? TIRINTE Je fais bien davantageQue d'observer la loi : Car, Sylvanire, j'aimeAutrui plus que moi-même,Et de plus j'aime, hélas !Ce qui ne m'aime pas. SYLVANIRE Non ce n'est pas cela, Berger, que je veux dire,Aime, aime seulementLa personne qui t'aime,Observe bien la loiSans y rien ajouter. TIRINTE Si je ne dois aimerSinon celui qui m'aime,Qui puis-je aimer si Tirinte je n'aime ? SYLVANIRE Berger menteur que n'aimes-tu Fossinde,Fossinde qui t'estime, Fossinde qui méritePour ses vertus d'être de tous aimée,Et qui par ses beautés,Et ses perfections,Pourrait bien acquérir Le plus parfait bergerDe toute la contrée,Si seulement son coeur y consentait.Tu ne me réponds rien,Es-tu muet ? As-tu perdu la langue ? TIRINTE Cruelle Sylvanire,Injuste Sylvanire,Ingrate Sylvanire,Il ne te suffit pasDe tes dédains et de tes cruautés, Pour tourmenter ce coeurDont ton oeil est vainqueur,Si de plus tu n'ajoutesÀ tant de cruautés,Quoiqu'elles soient extrêmes, Encore ce tourmentD'une importune fille,Que plutôt que d'aimerDedans Lignon je voudrais m'abîmer.Ah bergère ! Ah bergère ! Si toutefois bergèreUne cruelle, une injuste, une ingrate,On peut nommer sans offenser ce nom :Cruelle, injuste, ingrate,Si tu savais quelle est l'affection Que Tirinte te porte,Tu parlerais pour certain d'autre sorte.Amour ne peut sur une vraie amourAnter une autre amour,Il faut que l'une meure, Et pour moi je te jureQue mille morts je m'élirais plutôtQue l'amour de Fossinde,Fossinde l'importune,Fossinde que je hais, Si ce que tu me disEst chose véritable,Autant comme elle m'aime.Dis-le lui, Sylvanire,Si pourtant il te reste, Cruelle, injuste, ingrate,Encor quelque pitié :Dis-le lui seulement ;Dis-le lui hardiment,Et que jamais, jamais Elle n'espère en moi,Ni plus d'amour,Ni moins de haine aussi. SYLVANIRE Tirinte c'est à tortQue tu me vas blâmant, Écoute mes raisons.Mais dieu voici mon pèreJe ne veux pas l'attendre. SCÈNE IV. Ménandre, Tirinte, Alciron MÉNANDRE Mais ne l'ai-je pas vue,Cette imprudente fille Que je vais recherchant ?Tirinte dis-le moiN'est-ce pas SylvanireCelle-là qui s'enfuit ? TIRINTE Tes yeux, ô bon Ménandre Cette fois t'ont déçu. ALCIRON Que c'est bien Sylvanire.Tyr parce que la bergèreQue tu prends pour ta filleC'est la jeune Almerine, Almerine qui cherchePar ces buissons touffus,Et parmi ces rivages,La brebis la plus chèreQu'elle ait dans son troupeau. MÉNANDRE Almerine dis-tu,Et non pas Sylvanire ? TIRINTE Almerine, il est vrai. MÉNANDRE Je confesse, berger,Que mes yeux à ce coup Ont été mensongers. ALCIRON Ou bien plutôt Tirinte. MÉNANDRE Mon Dieu que la jeunesseTout à coup se fait grande ;Je la vis, cette fille, Chez son père Andronire,Si j'ai bonne mémoire,Six lunes ne sont pasEncore bien passées,Mais certes si petite, Que c'est avec raisonSi mes yeux m'ont trompéS'étant faite si grandeDepuis si peu de temps.Il est vrai que les filles, Ainsi comme l'on dit,Croissent en une nuit ;Il faut bien qu'AndronireCommence d'avoir soinDe lui trouver mari, Et surtout de l'argent :Car aujourd'hui c'est l'argent qui fait tout.Tant de beauté qu'on veut,Tant d'attraits agréables,Tant de nobles aïeuls, Tout cela ce n'est rien,Si pour enseigne il ne pend au logisOr et argent, personne ne la veut,Cette extrême beauté,Ces attraits agréables, Sinon peut-être un autre encor plus pauvreMais aussi n'est-ce pasUne grande folieQue de se marier,Si l'argent comme guide Ne marche le premier ?Personne ne se paîtTrois jours entiers de la seule beauté,Depuis qu'il faut mettre couteaux sur table,Il faut bien d'autres choses Que ces afféteries,Que ces attraits aimables,Ni que tant de beautés ;Cent quintaux assemblésDe telle marchandise, Ne saouleraient le moindre de tous ceuxQui sont dans un logis.Ah ! Si ces jeunes filles,Je parle pour la mienne,Savaient combien est grande La peine que l'on aPour conduire un ménage,Pour éviter la pauvreté honteuse,Et combien peu se trouvent aujourd'huiDe partis convenables, Je sais bien pour certainQu'elles ne seraient pasSi peu reconnaissantes,Qu'elles ne les reçussent,Ces partis quand ils viennent. Mais pour notre malheurCette inexperte et peu sage jeunesseNe reconnaît jamaisSon bien, que quand il est outrepassé :Mais lors il n'est plus temps, Ô jeunesse imprudente,Tu l'as beau rappelerPar les regrets d'un trop tard repentir,N'espère plus qu'il doive revenir.Le propre de ce point, Qu'en toute affaire il faut savoir connaître,Est de telle nature,Que jamais plus, jamais il ne rappelle[Note : Fuitif : Celui qui prend la fuite. Qui s'échappe, qui fuit.]Ces pas fuitifs pour retourner vers nous.Quand il nous vient trouver Sachons le prendre, ou bien n'espérons plusDe le revoir une seconde fois :Mais c'est grand cas de l'extrême imprudenceQui suit cette jeunesse,Inexperte jeunesse, Et jeunesse peu sage,La mère très fécondeDes incommoditésQu'en vieillesse on ressent.Encor serait-ce peu ; On les pourrait conduire,Ces ignorantes filles,Pourvu qu'avec toute leur ignoranceElles crussent à ceuxQui sont plus sages qu'elles. Mais tant s'en faut elles ont un vouloir,Et puis Dieu sait comme il est bien fondé,Qu'à faute de raisonElles vont soutenantD'opiniâtreté. Ô de mon temps qu'une fille eut oséDire sa volonté,Et celui-ci me plaîtPlus que non pas cet autre,Elle eut été tenue Pour montre entre les filles,Et chacun dans la rue,En la voyant passer,Vous l'eut montrée au doigt,Disant, c'est celle-la. ALCIRON Mais d'où viennent ces plaintes,D'où viennent ces censuresQue tu fais, ô Ménandre ? MÉNANDRE Alciron elles viennentD'une juste douleur Qui me presse et m'oppresseEn ma faible vieillesse. ALCIRON Ménandre bien souventNous nous représentonsLes maux plus grands qu'en effet ils ne sont. MÉNANDRE Qu'ils ne sont que trop grandsCeux desquels je me plains,Et je te les veux dire,Et t'en faire le juge,Si je te dis que j'aime Ma fille Sylvanire. TIRINTE Aussi fait bien quelque autre. MÉNANDRE Autant qu'on puisse aimerL'enfant qu'on a fait naître,C'est chose superflue ; Car outre les raisonsQue tous les pères ont,Encor s'il m'est permis,Quoiqu'elle soit ma fille,De le dire, berger, Encore ses vertusM'obligent à l'aimer. TIRINTE Et d'autres sa beauté. MÉNANDRE Car certes je puis direDe n'avoir jamais vu En cette jeune filleUne seule actionQui ne soit à louer,Sinon pour le sujet dont je te veux parler :Et c'est pourquoi chargé d'âge et de peine, Ainsi que tu me vois,Je vais toujours rêvant à son profit,Sans pardonner à ces jambes tremblantes,Et sans flatter ces brasÀ moitié décharnés ; Je vais sans cesse, et sans cesse je cherche,Et me travaille, afin de voir un jourQu'elle soit bien à son contentement.Or j'ai tant fait avec mes amisQue le berger Théante, Théante à qui le cielD'une main libéraleA donné tant de biens,Veut contracter alliance avec elle. TIRINTE J'en ferais bien autant. MÉNANDRE Dieu sait combien heureuseUne fille sera parmi tant de richesses ;Car rien ne défaut làQu'elle puisse vouloir. TIRINTE Elle voudrait un homme, Et non pas une bête. MÉNANDRE Et toutefois cette jeunesse folle,Cette imprudente fille,Quand je lui dis que Théante la veut. TIRINTE Aussi feraient bien d'autres. MÉNANDRE Théante l'héritierDu plus riche bergerDe toute la contrée,Elle tourne la tête,Comme si cette offense Était insupportable,Elle demeure muetteÀ ce que je lui dis,Comme si ce partiSe devait dédaigner. Que si lors je la presseDe me faire réponse,Les soupirs la devancentSuivis de tant de pleursQu'elle ne peut parler, Et si je la contrainsEnfin de me répondre,Parmi les pleurs et les sanglots menus,Toujours un non s'échappe de sa bouche,Et puis après ce non, Cent protestationsQu'elle veut être ou vestale ou druide. TIRINTE Quelle dévotion ! MÉNANDRE Dieux, que ferais-je là ?Je me vois vieux, et désormais plutôt Je dois songer au départ qu'il faut faire,Que de penser aux affaires d'autrui,Que si je meurs, ah ! Que deviendra-t-elle ? TIRINTE Qu'elle vienne vers moi. MÉNANDRE Ah, qui ne sait combien est misérable Une jeune orpheline,Entre les mains de ceuxQui n'ont que le souciDe leurs propres enfants :Si dedans le cercueil On a le souvenirDes choses des vivants,Dieu quel serait l'ennui,Quel serait le regretDe voir ce jeune enfant Qui n'a point de malice,Entre les mains de telQui la dédaignerait,Et la ferait servirAinsi comme une esclave Aux choses les plus viles. ALCIRON Ô Ménandre, ô Ménandre,Je n'eusse jamais cruQu'il sortit de ta boucheDe semblables paroles : Toi dont le nom par réputationPorte avec soi le titre de prudence. TIRINTE Voilà comme on se trompe. ALCIRON Comment ? Tu veux marier une filleContre sa volonté ? MÉNANDRE Et quelle volontéDoit avoir une fille ? ALCIRON Celle de sa raison.Crois-tu qu'elle soit folle ?Que si cela n'est pas, Pourquoi sa volontéNe se réglera-t-elleAux lois de la raison ?Et pourquoi dois-tu croireQu'aussi cette raison Ne lui fasse vouloirCe qu'elle doit vouloir ?Aux bêtes plus grossières,Les voulant conserver,Ne suivons-nous, Ménandre, leur vouloir ? Et nos brebis quand elles veulent boireLes faisons-nous au contraire manger ? MÉNANDRE Nature leur apprendD'une soigneuse cure. ALCIRON Crois-tu que plus avare Soit pour nous la nature ? MÉNANDRE Quoi donc l'expérienceNe servira de rien ? ALCIRON L'expérience est bonne,Mais chacun sait son bien. MÉNANDRE Par ainsi les plus vieuxN'auront point d'avantage. ALCIRON Ils l'auront bien, Ménandre,Mais qu'ils soient les plus sages. MÉNANDRE Et leur expérience ? ALCIRON Jointe avec la prudence,Autrement sois certainQue cette expérienceSert de si peu de chose,Que c'est grande imprudence De mettre entièrementTout son bonheur sur chose si douteuse.J'ai vu des mêmes causesProduire bien souventDes effets différents. MÉNANDRE Rien donc, berger, au monde n'est certain,Puisque l'expérience est encore douteuse. ALCIRON Qu'il soit ainsi, Ménandre,Que rien dedans le mondeNe puisse être certain, Faut-il pourtant conclureQue cette Sylvanire,Ô dieux ! Qui n'en peut mais,Soit pour cela malheureuse à jamais ? MÉNANDRE Au contraire, berger, Heureuse elle sera,Pourvu qu'elle me croie :Alciron mon amiQu'elle aura de troupeaux ? TIRINTE Mais qu'elle aura de maux. MÉNANDRE Que de grands héritages ? ALCIRON Que de cruels servages. MÉNANDRE Que de belles maisons ? TIRINTE Que de tristes prisons. MÉNANDRE Que de riches habits ? ALCIRON Que de mortels ennuis. MÉNANDRE Que lui défaudra-t-ilAyant tant de richesses ? ALCIRON Sans le contentementCe ne sont que tristesses. MÉNANDRE Avec la pauvretéToute chose déplaît. ALCIRON Riche est la pauvretéLorsque contente elle est. MÉNANDRE D'être contente et riche Qui l'en empêchera ? ALCIRON Le choix que tu feras. MÉNANDRE Théante l'aime tant : ALCIRON Elle le hait autant. MÉNANDRE Enfin il la vaincra. ALCIRON Peut-être il la vaincra,Mais elle est très certaineQue maintenant elle ne l'aime point ;De sorte que ton choix,Sous la faible espérance De ce bien incertain,Lui donne un mal certain. MÉNANDRE Il est beau sans mentirQu'une fille ait un choix. ALCIRON Et sans choix n'est-ce pas Une pièce de bois ? MÉNANDRE Quoi choisir un mari ? ALCIRON Et quoi donc un fuseau ?Ô trop insupportableDes pères l'ignorance, Ou plutôt cruautéQu'on peut avec raisonAppeler tyrannie.Si pour filer une pauvre quenouilleLeurs filles vont choisir Entre cent un fuseau,Ils ne l'empêchent pas,Et leur laissent le choixDe celui qu'elles veulent :Mais s'il leur faut un mari pour jamais, Non, non, il ne faut pasQu'elles le puissent faire,Dit aussitôt le père.Ô pauvres vieux rêveursQui pensez sous vos lois, Étant dans le tombeau,Retenir vos enfants,Qui pensez imprudentsQu'ils aient même goûtEn leurs tendres jeunesses, Que vous avez en vos rances vieillesses :Que vous êtes déçus,Que vous êtes trompés ;Ceux que vous leurs donnésPour être leur maris, Deviennent, croyez-moi,Les plus fiers ennemisQu'elles puissent avoir :Et faites par ainsiQu'hélas ! Ces mariages, Au lieu d'être en effetDes champs élysiens,Des paradis d'amour,Ainsi qu'ils doivent être,Se trouvent des prisons, Ou plutôt des enfers,Pour tourmenter vos filles.Car juge un peu quel plaisir leur doit êtreDe se voir à jamaisEntre les bras des maris qu'elles ont Plus mille fois en horreur que la mort :Leurs baisers ne leur sontQue des cruels supplices,Leurs plus douces caressesDes absinthes mortels, Leurs honneurs des méprisQui blessent leur courage,Et leurs dons des outrages.Et quelques uns s'étonnentQu'on remarque si peu De contents mariages,C'est vous autres sans plus,C'est votre cruauté,C'est votre tyrannie,Qui cause ces désordres : Si vous laissiez choisirAux filles leurs époux,Chacune choisiraitCelui qu'elle aimerait :Mais votre autorité Leur donne des marisQu'elles voudraient pleurerPlutôt dans le tombeauUn siècle entier, que non pas un momentCaresser en amant. Que si comme tu disOn a dans le cercueilDes vivants la mémoire,Quel regret auras tu,Étant chez Radhamanthe, Réponds, réponds, Ménandre,De savoir par ton choixTa fille misérable,Par dessus la misèreDe tous les malheureux Qui vivent dans le monde ?De savoir qu'à toute heure,Pour son bonheur plus grandElle ne requerraQu'une hâtive mort ? Les imprécations,Les malédictionsQue tu peux bien prévoir,Ne te font-elles pointEt frémir et trembler ? Quel repos auras-tuDans ce triste tombeau,Où chaque jour cette pauvrette iraPour te maudire,Et tes cendres aussi, Comme l'auteur de toutes ses misères ?Ô vieillards abusésLaissez à vos enfants,Laissez, laissez choisir,Selon leur volonté, Les maris qu'elles veulent,Ou pour le moins nul de vous ne les forceAvec violenceD'épouser les personnesQu'elles aiment, ainsi Qu'on aime le trépas.C'est la sage nature,Qui vous ordonne avec moi cette loi,Jamais elle ne faitUne union de deux choses contraires, Sinon par un milieuQui sympathise aux deux. MÉNANDRE Pourquoi n'aimeront-ellesDes maris dignes d'elles ? ALCIRON Ô vieillard peu savant, Ne sais-tu pas que le mérite seulEst le plus grand empêchement de tousPour obtenir le bien que l'on désire ?Ne sais-tu pas que l'amour a pour soiD'autres raisons que n'ont pas tous les dieux ? Sache, sache, Ménandre,Que la raison d'amour,Et je dis la meilleure,C'est de dire, il me plaît,Ou bien ne me plaît pas, Chercher dedans ces loisOu dans ces volontésQuelque meilleur pourquoi,C'est bien être ignorantDu pouvoir de l'amour. MÉNANDRE Alciron mon ami,Coupons là ce discours,C'est assez pour ce coup,Lorsque tu seras pèreFais comme tu voudras, Et s'il te semble bon,Permets non seulementÀ ta fille de prendreÀ son choix un mari,Mais trente si tu veux ; Et si ce n'est assez,Donne lui, mon ami,Tous ceux qu'elle voudra,Ou bien tous ceux encoreQui la voudront avoir ; Ce n'est pas ce souciQui le plus me travaille,Chacun fasse à son gréDu sien comme il l'entend.Mais quant à Sylvanire Je veux qu'elle l'épouse,Ce berger que je dis,Je sais mieux qu'elle mêmeCe qu'il lui faut : mais avec toi, berger,Je n'en veux plus parler, Tu causes trop pour moi :Quel précepteur de filles,Je t'en ferai donnerPar nos voisins afin de les instruire ;Prépare ton logis pour les bien recevoir. Je vous laisse à penserLe gentil discoureur que nous avons trouvé,Et les belles leçonsQu'il leur enseignerait. ALCIRON Adieu, Ménandre, adieu, Au moins ressouviens-toiQu'Alciron aujourd'huiT'a dit la vérité :Un jour, je le sais bien,Un jour il adviendra, Que tu regretterasDe n'avoir pas suiviUn si sage conseil. SCÈNE V. Alciron, Tirinte. ALCIRON Le voila bien fâché :Pourquoi n'a-t-il encore Avec ses déplaisirs,Tous ceux que la fortuneMe prépare à jamais. TIRINTE Ah ! Cher ami, les déplaisirs qu'il a,Ou tous ceux que quelque autre Pourra jamais souffrir,Ne sauraient égalerCeux que mon coeur endure. ALCIRON Chacun prétend tout de la même sorte,Qu'il n'est nul mal que le mal qu'il supporte. TIRINTE Ami, si tu savaisQuel est le mien, tu dirais avec moiQu'où la mort ne suffitÀ plaindre des malheurs,Trop faibles sont les pleurs. ALCIRON Plus on redoute un mal,Et plus aussi se fait-il ressentir :Mais tiens ceci de moiL'effet est toujours moindre,Et du bien et du mal, Que n'est l'opinion.Mais quel mal, ô TirinteEst celui qui t'afflige ? TIRINTE À quoi sert-il de découvrir la plaie,Que la grandeur a rendue incurable ? ALCIRON Un bon ami souventNous donne des conseilsContre nos déplaisirs,Que de nous seuls nous n'eussions su choisir. TIRINTE Il est vrai, je l'avoue, Mais c'est aux maux qui se peuvent guérir,Et non en ceux qui n'ont point de remède. ALCIRON L'essai n'en coûte rien. TIRINTE Ah ! Combien, Alciron,Est arrogant l'essai Qui pense atteindre au dessus de l'espoir. ALCIRON Encor le faut-il voir,Jamais d'un mal l'on ne sait la grandeurQu'on ne l'ait mesurée,Et faible est le courage Qui ne se hausse avec l'espérance,Autant que lui permettentLes lois de la raison. TIRINTE C'est la raison, Alciron, qui m'empêcheDe pouvoir espérer quelque remède Au mal qui me possède :Et toutefois puisqu'ainsi tu le veux,Je le veux bien de même ;Je le veux bien te le dire, berger :Non pas pour soulager Un mal que je connaisSans nul soulagement ;Mais seulement afin de satisfaireAux lois de l'amitiéEntre nous contractée. Saches donc, Alciron,Que j'aime et que j'adorePlus que je ne puis dire,La belle Sylvanire.Cent fois elle m'a vu Prêt à mourir pour elle,Sans que ce coeur cruel,Ce coeur de diamant,Ait jamais fait paraîtreD'être sensible aux traits de la pitié. Elle m'a vu sur l'excès de mon malPresque dissoudre en pleurs,Noyer ces mains de larmes inutiles,Sans que jamais elle ait fait actionQui peut faire juger Que de mon mal elle eut compassion. ALCIRON Donc l'amour d'une bergère ingrateTe tourmente si fort,Et tu ne peux ravoir ta libertéDes mains de cette fille ? Vois-tu Tirinte, et tiens cela de moi,On ne se doit jamaisTellement enfoncerAux bourbiers de l'amour,Que quand on le voudra Les pieds l'on n'en retire. TIRINTE Aussi bien comme toiJe sais ce qu'il faut faire :Mais de le pouvoir faire,Ô cher ami, cela m'est défendu. ALCIRON Si sais-je bien que de ces passions,Et que de ces transports,Dont les amants remplissent les oreillesDe ces jeunes beautés,Qui les vont écoutant, Il en reste toujoursBien moins dedans leurs coeursQue dedans leurs discours,Et je sais bien encore beaucoup mieux,Que l'amour n'a de vie Qu'autant qu'il plaît au coeur qui veut aimer ;Et que ce dieu, ce dieu que nous feignonsVaincre avec des yeuxLes hommes et les dieux,N'a sur nous nul pouvoir Que par notre vouloir :Et de là je conclus,Quoi que tu saches dire,Que de ce mal ton âme guériraAlors qu'il lui plaira. L'on dit qu'amour est un puissant désirDe sa perfection,Par l'union du bien qui nous défaut :Crois moi, Tirinte, amour est au contraireUn défaut de raison, Un accès violent,Qu'un désir mal régléAvec l'oisivetéConçoit dedans notre âme,Et qui n'est maintenu Que par l'espoir véritable ou menteurD'un plaisir prétendu.Donc, berger, pour guérir de ce malLe plus certain remèdeC'est de vouloir guérir ; Car tout le mal que l'amour nous peut faireGit en la volonté :Mais rien n'est de si libreQue cette volonté :Car tous les fers et toutes les prisons, Toutes les dures chaînesDes plus cruels tyrans,Ne sauraient asservirLa liberté du moindre des humains,Au moins s'il ne le veut. TIRINTE Alciron mon ami,Savoir que c'est que le mal qui me blesse,À ma douleur ne sert pas de remède,Que ce soit un désir,Ou le défaut d'une raison malsaine, Ou l'accès violentD'un espoir prétendu,Cela me sert de peu :Tant y a qu'il est vrai,Quoi que ce mal puisse être, Qu'enfin, ami, c'est le plus violent,C'est le plus incurable,Que jamais un amantAit souffert en aimant.Incurable, ô berger, D'autant que ma blessureN'espère guérisonQue du fer qui l'a faite,Et l'inhumaine et sauvage beautéDe ma bergère à tel point est venue, Que l'insensible et cruelle qu'elle estNe daigne voir le mal qu'elle m'a fait,Ou le voyant les coups en désavoue,Encore que chacunConnaisse bien, que sans plus de ses mains Peuvent venir de si profondes plaies,Et que nul ne sauraitTant de flammes produireQue l'oeil de Sylvanire. ALCIRON Et qu'est-ce qu'elle dit Quand ton mal tu lui contes ? TIRINTE Mais en fait-elle conte ? ALCIRON Elle ne répond rien ? TIRINTE Si fait, mais jamais bien. ALCIRON Peut-être un autre elle aime ? TIRINTE Ce n'est donc qu'elle-même. ALCIRON Mais comment se peut-ilQue l'amour ne la touche ? TIRINTE Non plus que si c'étaitUne insensible souche. ALCIRON Prends courage, Tirinte,Puisque nul jusqu'iciNe possède son âme,L'on prend plus aisémentLa place qui n'est point Par un autre occupée. TIRINTE Tout au rebours ce point me désespère,Car si son coeur avait été blesséJe le croirais sensible,Et pourrais espérer En la servant d'en pouvoir autant faire :Mais quel espoir puis-je avoir, Alciron,D'aimer cette sauvage,Qu'amour jamais ne peut apprivoiser ?Aussi de telle sorte Ce penser me travaille,Qu'il faut, ami, que je prenne à la finLa résolutionQu'aux plus irrésolusLe désespoir apporte. Je me résous, puisque le ciel le veut,Non seulement d'éloigner la cruellePar un lointain voyage,Mais d'un courage d'hommeSortir enfin, oui sortir à la fin De ce honteux servage,Rompre les noeuds, éteindre tous les feuxD'amour et d'elle. ALCIRON Ah ! RésolutionVraiment digne de toi. TIRINTE Oui pour certain je veux enfin sortirDes mains de la cruelle,J'ai de ma patienceRompu toutes les chaînes,Je veux ravoir ma chère liberté : Mais sais-tu bien, Alciron mon ami,Comment ? Et quel cheminJe me résous de prendre ?Des cendres du tombeauJe veux les feux éteindre D'une telle chimère,Et par le seul trépasJe me veux éloignerDe cette servitude,Et je crois bien qu'aujourd'hui le destin N'a tes pas adressésPar où les miens devaient prendre leur route,Qu'avec prévoyance,Parce qu'il ne veut pas,Ce très juste destin, que par ma mort Meure aussi la mémoireDu beau feu qui me brûle,Sachant bien que jamaisPour un plus beau sujetUne plus belle flamme Ne s'éprit dans une âme :Il nous a fait rencontrer en ce lieu,Afin, berger, qu'en ton sein je remisseL'histoire pitoyableDe mes tristes amours, Et que toi, cher ami,Fidèle secrétaire,Lorsque je serai mort,Pour mémoire éternelle,Tu mettes sur ma tombe ; Voila l'effet des plus beaux yeux du monde :Peut-être un jour ces mêmes yeux lisantEn ton écrit leurs dédains et ma peine,Quelque pitié, quoique tardive et vaine,Leur ira dérobant Des soupirs et des larmes :Que si dedans le seinDe cette belle il en tombe une seule,Ou bien parmi mes cendres,Je tiens déjà les peines que j'endure Pour ma plus belle gloire,Et ma mort pour victoire. ALCIRON Que parles-tu de larmes,De cercueil et de mort ?Amour donne la vie À tout cet univers,Et tu penses, Tirinte,Que pour un seul TirinteIl cesse d'être amour :Non, non, ce ne sont pas Effets d'amour ceux desquels tu te plains,Tous ces désirs de mort,Et tous ces désespoirsNe viennent pas d'amour,Mais d'un démon contraire Qui le veut contrefaire.Lorsque tu seras mortQuel bien recevras-tu,Et quel allègement[Note : Relent : Qui a une odeur de renfermé. [L]]Dans la tombe relente Au mal qui te tourmente ?Il faut chasser de toiCette vaine folie,Et te ressouvenirQue tout amant est obligé de vivre, Pour ne priver celle qu'il aime tant,Quoiqu'elle soit cruelle,D'un serviteur fidèle. TIRINTE Mais Alciron, ne faut-il pas mourirAyant perdu tout espoir de guérir ? ALCIRON L'homme vivant peut toujours espérer. TIRINTE Sans espoir espérerN'est pas d'homme d'esprit. ALCIRON C'est d'homme de courage. TIRINTE Non pas prudent ni sage. ALCIRON Le désespoir nous témoigne bien mieuxUn esprit imprudent. TIRINTE Mais la raison quelquefois nous l'apprend,Et puis du mal l'extrême violenceDe la raison bien souvent nous dispense ; Enfin quoi que ç'en soit,Vois-tu bien, Alciron,Ma résolutionEst telle que je dis,Car je veux à ce coup avec sa cruauté Mettre fin à ma peine. ALCIRON Arrête, attends un peu,Tirinte écoute moi. TIRINTE Ô le cruel ami ! ALCIRON Attends un peu Tirinte, Et tu verras peut êtreQue cette cruautéQue tu blâmes en moiTe donnera la vie.Vois-tu, berger, j'eusse bien désiré De voir ton coeur libre des passionsDont amour te tourmente :Mais puisqu'il ne se peut,Et que je vois que ta raison trop faibleCède à la violence Dont cet amour t'offense :Je te promets par le gui de l'an neuf,Pourvu que tu me crois,De mettre entre tes mainsCette belle cruelle Avant qu'il soit demain. TIRINTE Avant qu'il soit demainCette belle cruelleTu mettras en mes mains ?Ô cher ami ! Qu'est-ce que tu promets ? ALCIRON Je ne te promets rienQu'en effet je ne fasse. TIRINTE Puis-je espérer une si grande grâce ? ALCIRON Espère si tu crois,Tirinte, que je t'aime. TIRINTE Mon malheur est trop grand,Et ce bien trop extrême. ALCIRON Plus grande est l'amitiéQue te porte Alciron. TIRINTE Je le crois ; mais... ALCIRON Mais qu'est-ce que ce mais ? TIRINTE Mais, ô berger, tu prends un pesant faix,Quand tu prétends supporter mon malheur. ALCIRON Non, je ne prétends rienQue je ne parachève,Je te la remettrai Dans demain, cette belle,Si bien en ta puissance,Que nul que nous n'en aura connaissance,Et seulement, Tirinte, résous-toiDe ne point perdre alors L'occasion qui se présentera. TIRINTE Mais Alciron, et pour qui te tiendrai-je,Si de tes mains je reçois ce bonheur. ALCIRON Tiens moi pour ton ami,Et pour ton serviteur. TIRINTE Mais plutôt pour mon Dieu,Pour mon Dieu puis-je dire,Puisque tu me rendrasUne seconde vie,Que je suis obligé D'employer à jamaisPour te faire service. ALCIRON Ces beaux discours ne conviennent pas bienÀ notre affection :Aime moi seulement Autant comme je t'aime,Et je m'estimeraiMieux que récompensé :Mais sans plus retarder,Allons, berger, mettre la main à l'oeuvre. SCÈNE VI. Sylvanire, Fossinde. SYLVANIRE Ne croyez pas, Fossinde,Que je sois oublieuseDe ce que j'ai promis,Pour le souffrir l'amour que je vous porte,Ô ma soeur, est trop forte. J'ai fait envers TirinteL'office que j'ai dû :Mais... FOSSINDE J'entends ce langage,N'en dites davantage :Mais le cruel berger, N'est-il pas vrai, bergère,Ne s'en soucie guère ?Je l'avais toujours cruQue cette âme insensibleEn userait ainsi, Je ne suis point trompée,Et contre mon espoirRien ne m'est advenu.Que pouvais-je prétendreDe ce coeur de rocher, Sinon toute dureté ?J'ai honte seulementQue Sylvanire ait su de ma folieL'accès trop véhément :Mais, ma soeur, excusez En votre chère soeurCe mal qui ne pardonne,Ce dit-on, à personne,Et ne laissez d'aimerCette triste Fossinde Autant que vous faisiez. SYLVANIRE Je plains, Fossinde, et ne le puis nier,Le mal qui vous tourmente :Mais je le plains, d'autantQue je le vois sans espoir de remède : Et croyez moi que si je connaissaisQue ce coeur arrogantPeut être surmonté,Je ne vous dirais pasCe que je vous en dis : Mais soyez sûre, et n'en doutez jamais,Entre tous les bergersDes rives de Lignon,Tirinte est le moins digneD'avoir votre amitié. Si vous saviez avec quelles parolesL'indiscret m'en parla,Vous diriez avec moi,Que de tous les humainsIl mérite le moins Que vous le regardiez.Et c'est pourquoi, si vous m'en voulez croire,Laissez-le là, ma soeur,L'impertinent qu'il est,Et faites lui paraître Qu'il ne méritait pasL'honneur qu'on lui faisait.Pour moi, je le confesse,Si ce malheur m'arrivait comme à vous,Je veux dire d'aimer Ainsi comme vous faites,Je pourrais supporterTout, sinon le dédain :Mais du mépris les coups sont si sensibles,Que je ne puis penser Que les liens d'amour,Pour forts qu'ils puissent être,Un seul moment me sussent arrêter.Considérez, Fossinde,Ce que Fossinde vaut, Et ce que peut valoirL'ingrat Tirinte avec son arrogance.Considérez, ma soeur,Que ce jeune bergerFera toute sa gloire De votre déshonneur ;Et comment pouvez-vous,Ayant tant de mérite,Aimer qui ne vous aime ?Mais quel berger encore ? Le plus méconnaissant,Le plus ingrat berger,Et le plus insolentQui jamais eut la houlette en la main.Laissons-le là, Fossinde, Laissons-le, et m'en croyez,Il ne manquera pasD'autres bergers au mondeMieux faits encor que lui,Qui sauront reconnaître L'honneur que celui-ciImprudemment dédaigne. FOSSINDE Ah Sylvanire ! Ah dieu qu'il est aiséDe parler sagement,Quand on n'est pas amant. SCÈNE VII. Fossinde, Echo. FOSSINDE À qui faut-il que mon mal je raconte,Puisque déjà de moi-même j'ai honte,Et qu'il ne faut jamais plus espérerCe que l'amour m'a tant fait désirer.Nymphe des bois qui te plais à redire Le triste accent de celui qui soupire,C'est à toi seule à qui je veux conterLe mal cruel qui me fait lamenter.Réponds-moi donc pour soulager ma peine :Que m'acquerra cet amour inhumaine ? ECHO Haine. FOSSINDE Que deviendra cet espoir décevantQui m'a promis tant de bien ci-devant ? ECHO De vent. FOSSINDE Et que faut-il que fasse de bonne heureL'ardente amour qui dans mon coeur demeure ? ECHO Meure. FOSSINDE Et quels seront, si l'amour ne vit plus, Les beaux desseins que j'avais faits dessus ? ECHO Déçus. FOSSINDE Que dois-je croire en ma peine présente ?Que fait l'espoir qui quelquefois augmente ? ECHO Mente. FOSSINDE Et quel loyer dois-je donc présumerD'avoir, de l'oeil qui me vient enflammer ? ECHO Amer. FOSSINDE Amour cruel sont-ce donc là tes charmes ?Que deviendront à la fin tant d'alarmes ? ECHO Larmes. FOSSINDE Ô vous amants qui lui gardez la foi,Voyez à quoi m'a réduit cet émoi. ECHO Et moi ? FOSSINDE Malheureuse fortune, Impitoyable amour,Ô destin rigoureux !Que sera-ce de moi ?Et quelle fin mettrez vous à mes peines ?Insensible berger, Dénaturé berger,Ô berger imprudent,Cesseras-tu jamaisDe suivre qui te fuit,Et fuir qui te suit ? Mais comment puis-je croireQue ce destin, ce destin tant injusteDans le ciel soit écrit ?Dans le ciel où jamaisL'injustice ne fut ? Peut-être Écho de mon tourment se moque :Retentons de nouveauL'oracle de la nymphe.[Note : Semondre : convier à une cérémonie, à un acte public, à une réunion, à un rendez-vous. Réprimander. [L]]Ma voix encore un coup à parler te semond :Que ferons-nous Écho contre ce grand démon ? ECHO Aimons. FOSSINDE Aimer, mais qui pourrait aimer quand on ne l'aime ?Echo c'est ce me semble une folie extrême : ECHO Aime. FOSSINDE De ce conseil nouveau nymphe je m'ébahis :Mais le suivant mon coeur sera-t-il réjoui ? ECHO Oui. FOSSINDE Est-il vrai que le ciel à mon désir consente, Et que je puisse enfin obtenir mon attente ? ECHO Tente. FOSSINDE Et ce coeur de rocher cause de mon tourment,Quel le verrai-je enfin si j'aime constamment ? ECHO Amant. FOSSINDE Ne te moques-tu point du tourment que j'endure ?Et quelle guérison aurai-je à ma blessure ? ECHO Sûre. FOSSINDE Heureux trois fois mon coeur tu te peux estimer :Mais pour cueillir ce fruit comment faut il semer ? ECHO Aimer. FOSSINDE En cet art je ne suis, nymphe, que trop savante :Mais quelle récompense à l'amour violente ? ECHO Lente. FOSSINDE Lente il n'importe pas, Pourvu que d'un momentElle devance au moinsL'heure de mon trépas. SCÈNE VIII. Satyre, Fossinde. SATYRE Elle s'en veut aller,Gardons qu'elle n'échappe, Jamais occasionNe se trouva plus belle,Personne n'est ici :Amour à mes desseinsSois ce coup favorable. FOSSINDE Dieu voici le satyre,Sois Diane à mon aide. SATYRE Avant qu'user avec elle de forceIl nous faut essayerCelle de la prière, Les faveurs sont plus doucesQue ces belles nous donnentDe leur bon gré, que celles qu'on ravitContre leur volonté. FOSSINDE Il s'approche de moi, Dois-je fuir, ou dois-je demeurer ?Fuir, il est plus vite :De demeurer aussi,Le séjour en ce lieuN'est pas peu dangereux : Ah fâcheuse rencontre ! SATYRE Quel bon démon conduit ici mes pasOù je te vois Fossinde,Fossinde que j'adore,Fossinde de mon coeur Le plus ardent désir ?Il faut bien que ce jourMarqué de blanc me soit saint et sacré,Et que le souvenir à jamais m'en demeure. FOSSINDE Il parle doucement, Il faut que je m'essayeAvec la douceurDe tromper ses desseins :Car tromper le trompeurAvec son artifice, C'est un effet propre de la justice. SATYRE Tu parles seule, et tu ne réponds pointÀ cet amant qui n'aime que tes yeux,Qui consumé par eux,Comme au soleil ardent L'on voit fondre la neige,Et tu ne l'aimes point ?Mais comment se peut-ilQue tu brûles mon coeur,Et gèles de froideur ? Car si, comme l'on dit,Nul ne saurait donnerCe qu'il n'a pas, ô dieu ! Comment, Fossinde,Me peux-tu bien donnerUne si grande amour, Puisque tu n'en as point ? FOSSINDE Ah ! Je n'en ai que trop. SATYRE Sont-ce pas des miraclesEt d'amour et de toi ?D'amour qui m'a pu vaincre, Moi qui suis invincible,Et de toi belle à qui j'offre mon coeur,Et de qui l'oeil cruelÉtant vainqueur ne daigne être vainqueur ?Je ne suis pas, ô nymphe impitoyable, À dédaigner comme tu peux penser,Et quelquefois si tu tournes les yeuxSur mon affection,Et sur ce que je vaux,Je ne crois pas qu'enfin ton jugement Ne soit en ma faveur. FOSSINDE Ô le beau serviteur !Jamais de ton mérite,Gentil Satyre, et crois qu'il est ainsi,Je n'ai douté, ni de l'affection Que tu m'as fait paraître ;Mais seulement, vois-tu, je le confesse,L'erreur commune où mes compagnes sontDe fuir les satyres,Est cause que comme elles Aussi je t'ai fui. SATYRE Tes compagnes, Fossinde,Sont des petites folles,Qui ne savent connaîtreCeux qui valent le mieux, Qui ne vont estimantLe prix de toute choseQu'à leur opinion.Mais si comme elles doivent,Sans s'arrêter à quelques apparences De ces délicatessesQui ne sont plus en nous,Elles voulaient juger de nos mérites ;Crois moi, Fossinde, elles nous aimeraientAutant qu'elles nous fuient, Ces délicates filles,Ces jeunes affectées,Qui ne savent encoreQue c'est que vivre, et se vont figurantD'être les plus prudentes Et les plus entendues,De toute la contrée.Mais toi, Fossinde, en qui le ciel a misNon seulement la beauté du visage,Mais de l'esprit les qualités plus belles, Sois juge de ma cause,Et vois si j'ai raisonDe les dire ignorantes,Alors qu'elles choisissentCes petits pastoureaux, Qui semblent à des fillesEn garçons revêtues,Et s'en vont nous fuyant,Non pour autre raison,Tu le sais bien, bergère, Sinon d'autant qu'on nous voit au visageLes signes très certainsD'un généreux courage,Parce que nous avonsDes bras forts et nerveux, Des rides sur le front,Du poil partout le corps,Et que dessous nos pasOn voit trembler la terre,Ces petites fillettes, Que vous nommez bergers,Vous font entendre, ô dieu quelle folie !Que nous sommes grossiers,Incapables d'amour,Ou pour le moins de ses délicatesses. Que nous n'entendons pasComme il vous faut servir,Et disent que l'amourÉtant enfant n'aime rien que l'enfance,Étant petit n'aime que la douceur, Et qu'on ne voit en nousQue des choses contrairesAux humeurs de l'amour.Mais dites-moi, sont-ce des jeux d'enfants,Ah petites follettes ! Que les jeux dont amourEnseigne les leçons ?Ce sont des jeux d'enfantsCeux que l'on voit que la nourrice faitAvec le petit, Qu'elle tient attaché[Note : Tétin : Le bout de la mamelle des femmes par où sort le lait, et que les enfants sucent pour se nourrir. Il se dit aussi pour téton, mais dans le style bas et comique. [F].]Au bout de son tétin.Ce sont des jeux d'enfantsDe jouer aux épingles,De jouer aux noisettes Au jeu de la fossette :Mais croyez-moi, mes filles croyez-moiCe n'est pas jeu d'enfantQue celui de l'amour.Amour enseigne bien Un plus beau jeu que celui des enfants,Ne vous y trompez pas ;Et si vous le saviezVous diriez avec moiQue ces jeunes puceaux, Ces tendres jouvenceaux,Ces petites fillettes,Et j'entends vos bergersEnjolivés comme des jeunes filles,S'ils se veulent jouer Qu'ils aillent au tétin,Qu'ils caressent, s'ils veulent,Comme au berceau les nourrices qu'ils ont,Qu'ils jouent aux épingles,Qu'ils jouent aux noisettes Au jeu de la fossette,Et qu'ils laissent aux hommes,Aux hommes courageux,Et tels comme nous sommes,Le propre jeu des hommes. FOSSINDE Je vois que tu dis vrai,[Note : Satyre : C'était chez les païens une Demi-Dieu fabuleux, qui présidait aux forêts avec les faunes et les sylvains. Il les peignaient moitié homme, et moitié boucs. Hommes par en haut avec des cornes sur la tête ; et en bas une queue, des pieds de boucs et tout velus par le corps. [L]]Gentil Satyre, et que par tes raisonsMes compagnes ont tort :Mais réponds-moi, n'est-il pas vrai qu'amourSe plaît en la beauté ? À part.Je veux de cette sorteL'entretenant pousser toujours le temps,Qui sait, quelqu'un viendraQui m'ôtera des mains de cette bête. SATYRE En la beauté, dis-tu, Je ne le nie pas ;Mais que voit-on en nousOù la beauté ne soit très apparente ? FOSSINDE La belle opinion ! SATYRE La taille droite et de belle hauteur, Les jambes bien plantées,L'estomac relevé,La carrure bien faite ;Que nous faut-il que doit avoir un homme ? FOSSINDE Il est certain, mais que répondrons-nous À ceux qui nous diront,Tout ainsi que des chèvresIls ont les pieds fendus. SATYRE Et la belle VénusN'a-t'elle pas choisi [Note : Vulcain : le nom romains du dieu grec Héphaïstos, dieu du feu, de la forge et des volcans.]Pour son mari ce boiteux de Vulcain ? FOSSINDE Mais si l'on te reprocheQue l'estomac que tu portes veluRessemble au bois touffu,Où l'on ne voit que des ronces piquantes, Que leur répondras-tu ? SATYRE Je leur dirai que MarsL'avait fait tout de même,[Note : Cypris : Qui signifie proprement une femme de Cypre, mais qui ne se dit que de Vénus, à qui cette île était consacrée. [T]]Et toutefois que la belle CyprisNe l'eut point à mépris. FOSSINDE Et cette barbe encore tant épaisse ? SATYRE Telle l'avait cet invincible Hercule,Hercule le dompteurDes monstres de la terre,[Note : Déjanire : Fille d'OEnée, roi de Calydon, en Étolie, fut épousée par Hercule qui en eu Hyllus. [B]]Et toutefois Déjanire l'aima. FOSSINDE Et ces petites cornes ? SATYRE Ah folâtre bergère,Et vous et vos compagnesLes devez bien aimer,Si chacun pour le moins Aime bien ce qu'il fait. FOSSINDE Jamais, jamais, au moins que je le sache,Des cornes je ne fis. SATYRE Ce que par le passéTu n'as pas fait encore, À l'avenir tu les feras peut-être,Ne les dédaigne pas,C'est quelquefois le meuble plus certainQui soit au mariage.Mais outre tout cela Il ne faut pas, Fossinde,Les cornes dédaigner,La lune est bien cornue,Et le mont de Lathmie[Note : Endymion : Berger de Carie ou d'Elide (Grèce antique) d'une grande beauté, avait été, selon la Fable, placé dans le ciel par Jupiter, qui l'en chassa parce qu'il avait voulu attenter à l'honneur de Junon, et le condamna à un sommeil perpétuel. Diane s'éprit d'une vive passion pendant qu'il dormait. pour lui et le transporta dans une caverne [B]]Est bien témoin qu'un jeune Endymion Ne l'a pas dédaignée.Bacchus eut bien des cornes,Et toutefois la belle CadienneNe fut-elle pas sienne ? FOSSINDE Il est vrai, je l'avoue, Jusques ici mes compagnes et moiAvons eu tort de ne vous aimer pas,Puisque tant de beautéSe voit en vos visages.Et pour ce à l'avenir, Satyre, je le veux,Je veux que tu te nommesServiteur de Fossinde. SATYRE Ah dès longtemps déjà je le suis bien. FOSSINDE Mais je dis serviteur Que Fossinde aimeraAutant comme il mérite. SATYRE Mais dis que je désire. FOSSINDE Autant que tu désires. SATYRE Ô bienheureux Satyre ! FOSSINDE Mais sois modeste, et ne me touche point. SATYRE Donc de ton amourDonne moi quelque gage. FOSSINDE Et qu'est-ce que tu veux,Regarde bien ce que tu me demandes, Car un amant se doit sur toute choseToujours montrer discret. SATYRE Permets, belle bergère,Qu'en te baisant je toucheTon beau sein et ta bouche. FOSSINDE Le délicat baiser ;Cela ne se peut pas. SATYRE Il se peut si tu veux,Et rien que ton vouloirNe me peut retarder Le bien que je désire. FOSSINDE Non, Satyre, non, non,Cela ne se peut pas,Nous sommes ignorantes,Nous autres jeunes filles, Nous ne savons comment il faut baiser. SATYRE Je te le veux apprendre,Et si je ne veux rienPour ton apprentissage. FOSSINDE Retire-toi Satyre, Ou bien je m'en irai :Dieu ! Nul ne viendra-t-ilPour m'ôter de ses mains ? SATYRE Je prends bien à la courseLes chevreuils et les daims, Ne t'atteindrai-je pas ? FOSSINDE Satyre laisse-moi,Ou de ce fer bientôt je puniraiTa lâcheté. SATYRE Ce serait bien plutôtExtrême lâcheté, Pour crainte de la mort ;De perdre le profitD'une telle rencontre. FOSSINDE Puisque la force est inutile iciRecourons à l'astuce. SATYRE Qu'est-ce que tu me dis ? FOSSINDE J'ai dit, Satyre, et je le dis encoreQue je veux bien faire l'apprentissageDe ce que tu me dis :Mais connaissant l'extrême affection Qui te transporte, et la très grande forceQue la nature a voulu mettre en toi,Je l'avoue, il est vrai,Je crains. SATYRE Et que crains-tu ? FOSSINDE Je crains que transporté De cette amour trop grande,Me tenant en tes bras,Tu n'étreignes si fortCes liens amoureux,Sans penser de le faire, Que j'en étouffe. SATYRE [Note : Folâtre : Qui aime à faire gaiement de petites folies. [L]]Ah petite folâtre,Non, non, ne le crains pas. FOSSINDE J'en ai peur toutefois. SATYRE Il est bien vrai, bergère, que je t'aime,Et d'une amour extrême. FOSSINDE Et que ta force est grande. SATYRE Elle l'est, il est vrai,Plus qu'on ne saurait dire. FOSSINDE N'ai-je donc pas raisonD'en avoir peur ? SATYRE Ne crains point, ma mignonne. FOSSINDE Et quand je serai morteTe fâchera-t-il pas ? SATYRE J'aimerais mieux la mort :Mais pour si sotte crainteJe ne veux pas aussi Que nous perdions si belle occasion. FOSSINDE Ni moi non plus, je te veux bien complaire :Mais sais-tu bien pour m'ôter toute crainteCe qu'il nous faudrait faire ? SATYRE Dis-le Fossinde. FOSSINDE Il faudrait attacher Tes fortes mains de sorteQu'en ce transport où tu te trouverasTu ne me puisses nuire. SATYRE Vois-tu, Fossinde, afin de t'assurerJe le veux bien, tiens, mes bras sont à toi, Attache les ainsi qu'il te plaira. FOSSINDE Je vois bien que tu m'aimes,Aussi te veux-je aimer,Gentil Satyre, ainsi qu'il te plaira,Et pour plus de faveur, Je veux que de mon arcLa corde nous prenionsPour servir de liens. SATYRE Ô doux liens combien vous tiens-je chers,Étant nouées de la plus belle main Qui fut jamais au monde.Nouez, serrez autant qu'il vous plaira,Déjà d'autres liensBien plus forts que ceux-ciM'étreignent beaucoup mieux. FOSSINDE Ces noeuds ne rompront pas,Quelque force qu'il ait. SATYRE Encor que ces liensFussent beaucoup plus faibles,Je ne les romprais pas : Car jamais, ô Fossinde,De ton vouloir je ne m'éloignerai :Mais qu'est-ce que tu fais ? FOSSINDE Je veux lier, Satyre,Comme tes mains, tes jambes trop légères ; Car je crains que l'ardeurDe ton affectionEncor avec les jambesNe me fît quelque outrage. SATYRE Qui le coeur m'a lié Peut bien comme il voudraMe lier tout le corps :Fais donc ce que tu veux,Et prends ce témoignageDe ton pouvoir sur moi, Afin qu'à l'avenirTu ne redoutes plusDe ma force trop grandeL'extrême violence.Or sus voilà le satyre lié Ainsi comme il t'a plu.Or ma belle bergèreIl ne reste donc plusSinon que tu t'approches,Pour prendre les leçons Que je t'avais promises. FOSSINDE Il n'est pas beau, Satyre, ce me semble,De voir qu'une bergère,Pour baiser son amantS'en aille le chercher ; C'est pourquoi je te prieDe t'en venir ici. SATYRE Je le veux bien ; mais tu t'enfuis de moi. FOSSINDE Non, non, je ne fuis pas,Je me promène un peu ; Et puis je te confesseQue je me plais de te voir si léger.Ô comme il saute bien,Tu sembles à ces piesQui vont de branche en branche Sautant comme tu fais.Or saute donc, Satyre,Saute encore plus haut,Un peu plus haut encore. SATYRE Mais où vas-tu ? FOSSINDE Je reviens, attends-moi. SATYRE Elle s'en est allée,Elle ne revient plus,Ô trompeuse Fossinde,Ô Fossinde perfide ; Tu t'en vas donc, ô bergère cruelle,Et te moques de moi,Après avoir connuL'extrême affectionQue je te porte ; et bien je suis appris Je suis appris à jamais plus ne croireLes feintes apparencesDe ces trompeurs visages,Qui ne portent aux yeuxSinon toute douceur, Et n'ont dedans le coeurQue toute cruauté.Soyez appris, amants qui vous fiezAux discours de ces belles.Dessous la belle fleur Le serpent est caché,Et sous ces beaux visagesDes perfides courages. LE CHOEUR Heureux hommes qui fûtesEn ce temps où vous eûtes La nature pour loi, non pas pour tant de fruitsDe la terre produits,Mais seulement heureux pour n'avoir eu le viceD'exécrable avarice.En saison tant heureuse La bergère amoureuseAu berger amoureux, sans nul déguisement,Donnait contentement ;Et lors à toute amour, amour était rendue,Non comme ores vendue. Ce fut toi vaine idoleQui fis dans ton écoleCe qui fut don d'amour, et faveur de Cypris,Vendre pour certain prix,Et qu'en ces paiements l'amoureuse monnaie Sans mise se renvoie.C'est toi vice exécrableQui rends insatiableEn l'avare faim d'or le coeur de ce berger,Et qu'il ne veut changer Ni permettre qu'Aglante épouse Sylvanire,Quoi qu'elle le désire.Mais si les sacrificesRendent les dieux propices,Et si près du destin la raison fait séjour, Nous verrons vaincre amour :Il vaincra, cet amour, et de si belles âmesIl unira les flammes. ACTE III SCÈNE I. Hylas, Aglante. HYLAS Enfin berger que te saurais-je dire ?Ta Sylvanire est bien la plus ingrate De toutes les bergères ;C'est la plus arrogante,La plus méconnaissanteQui fut jamais, ni qui jamais sera.Vois-tu, berger, ne te figure point Que quand toutes les femmes,Mais je te dis les femmes, les plus femmes,Ensemble seraient mises,L'on en peut faire une femme plus femmeQue cette Sylvanire. AGLANTE Ô dieu que me dis-tu ? HYLAS Je te dis, mon ami,La pure vérité.Si je voulais avec des flatteriesTe retenir toujours en ton erreur, Je te dirais que tu peux espérerQu'elle se changera :Mais je ne veux qu'un Aglante que j'aime,Et que je tiens pour un autre moi-même,Se paisse d'espérance, D'espérance trompeuse,Et d'espérance enfin,Qui ne sera jamaisQu'à son désavantage. AGLANTE La rude main que la tienne, berger, Pour penser une plaieSi sensible et cuisante. HYLAS La main trop pitoyable,Le mal qu'on peut guérirRend souvent incurable. Mais quoi ! Berger, veux-tu que je te flatte ?Je le veux comme toi,Mais appris ne te plainsSi tu te vois déçu :Il m'est aisé de te feindre des fables, Et de te les donnerPour choses véritables.Il m'est aisé de direQue j'ai vu SylvanireTressaillir d'aise et de contentement Oyant le nom d'Aglante,Que j'ai vu son bel oeilComme un soleil découvert de nuage,Qu'un doux souris a mignardé sa bouche,Et que son coeur a rendu témoignage Par des soupirs qu'il n'a peu retenirDe son amour trop forte. AGLANTE Ah trop heureux ! Ah trop heureux berger. HYLAS Je te puis dire, Aglante,Qu'après tant de soupirs D'une voix douce et tremblante d'amourElle m'a dit, HylasAssure mon AglanteQue je suis son amante. AGLANTE Quelle douce parole ! HYLAS Qu'après étant partiElle accourut en me disant, Hylas,Hylas, Hylas, écoute encor, Hylas ;Et qu'étant près de moiElle me dit avec un doux sourire, Dis-lui que SylvanireN'aime qu'Aglante, et qu'Aglante seraCelui que SylvanireÀ jamais aimera. AGLANTE Ô dieux ! ô dieux ! HYLAS Et pour lui rendre preuve De ce que de ma partTu lui diras, porte lui, me dit-elle,Ce noeud que je te donne,Qu'il le prenne pour gageDe ce noeud gordien Qui retient mon courageAvec le sien. AGLANTE Ah berger mon ami,Que ne me donnes-tuCe cher présent que ma belle m'envoie ?Pourquoi retardes-tu Un tel contentementÀ ce berger qui t'aime ? HYLAS Comment, Aglante, es-tu sorti du sens ?Penses-tu que je l'aie,Ce noeud que je te dis ; Ni que cette cruelleM'ait tenu les discours,Que je te fais ? Ah désabuse toi,Jamais elle n'en eutLa moindre intention. Voyez, ô dieux ! Comme on croit aisémentTout ce que l'on désire :Je t'ai dit, ô berger,Que si je le voulais,Afin de te complaire, Pour choses véritablesJe te dirais des fables. AGLANTE Il n'est donc pas vrai ? HYLAS Mais comment vrai, berger ?Ah tant s'en faut qu'elle ait eu quelque envie D'user de ces paroles,Qu'au contraire, vois-tu,D'un propos dédaigneux,Quand j'ai pensé lui direL'amour que tu lui portes, Elle en a fait risée,Elle s'en est moquée,Comme si ton serviceEt ton affection,L'orgueilleuse qu'elle est, Étaient trop peu de chose.Le cruel animal,Le superbe animal,Qu'une femme qui saitQu'à quelqu'un elle plaît. AGLANTE Il n'est donc pas vrai ? HYLAS Il est certain, berger, qu'il n'est pas vrayi,Et si certain, te dis-je,Que jamais, mais jamaisTu ne dois espérer Que ce coeur glorieux,Cette âme outrecuidée,Pour toi puisse changer. AGLANTE Ah pauvre et triste Aglante !Que sera-ce de toi ? HYLAS Laisse, laisse les plaintes,Et te souviens, berger,Qu'il est honteux à l'homme de courageDe pleurer pour un malAuquel, s'il veut, il peut donner remède. AGLANTE Et quel remède, Hylas, y trouves-tu ? HYLAS Celui de ta vertu.Ressouviens-toi, berger,Qu'Aglante est homme, et Sylvanire femme,Et qu'homme, c'est à dire Celui qui doit la terre dominer,Et que femme au contraire,C'est à dire l'esclaveDes volontés de l'homme,Et que cette vertu Qu'au coeur de l'homme a mise la nature,Ne se doit pas soumettre,En renversant les lois,Au pouvoir de la femme. AGLANTE Ah berger ! Ah berger ! Si pour ma guérisonTu n'as autre raison,Je vois mon mal d'éternelle durée :Car tant s'en fautQue l'homme soit au monde Pour commander, qu'au contraire tout hommeQui se veut acquitterDu nom d'homme qu'il porte,Ne doit jamais penser,Sinon qu'à la servir, Sinon qu'à l'adorer,La femme que tu dis,Et pour qui nous devons,Pour dignement la pouvoir bien nommer,Inventer quelque nom Digne de ses mérites,Celui de femme étant peu digne d'elle,Et qu'au défaut de quelqu'autre meilleur,On peut dire déesse,Déesse vraiment En ses perfections,Déesse en ses beautés,Déesse en ses vertus,Déesse en fin que seulement aimerCe serait profaner D'irrévérence une chose sacrée.Mais que plutôt on doit pour ne faillirAdorer et servir,Comme la vraie idéeOù toutes les vertus, Où toutes les beautés,Et les perfectionsDe la nature humaineSont en perfection. HYLAS Et telle est ta créance. AGLANTE Et telle est ma créance,Et telle aussi doit êtreCelle de tous les hommes,Sur lesquels la raisonEncore a quelque force. HYLAS L'homme que la natureA rendu si puissant,Ne doit-il avoir honteDe se soumettre à quelqu'autre plus faible ? AGLANTE Si l'homme est le plus fort, C'est pour lui faire entendreQu'il a la force afin de la servir,Cette femme plus faible :Et ne vois-tu, berger,Cette même ordonnance En toute la nature ?Le cheval n'est-il pasBeaucoup plus fort que l'homme ?Et voudrais-tu que l'homme se soumîtÀ porter le cheval ? Et le boeuf n'est-il pasPlus fort encor que l'homme ?Et voudrais-tu que le boeuf pour celaMit l'homme à la charrue ?Non, non, berger, crois-moi, Si l'homme a cette force,C'est pour le servir mieux,Ainsi que je t'ai dit,Ce cher présent des cieux,Cette femme admirable, Cette femme adorable,Si parmi les mortelsQuelque chose admirable,Quelque chose adorableEst digne des autels. HYLAS Que je te plains, Aglante,D'avoir cette pensée. AGLANTE Mais que je me plaindraisSi j'avais eu jamais autre pensée. HYLAS Qu'il les faille adorer ? AGLANTE Qu'il les faille adorer. HYLAS Ces femmes imparfaites ? AGLANTE Ces femmes si bien faites. HYLAS Et nous soumettre à elles ? AGLANTE Et nous soumettre à elles. HYLAS Quoi qu'elles soient cruelles ? AGLANTE Cruelles comme belles. HYLAS Ô pauvre Aglante, ou plutôt pauvre Adraste,Adraste le plus folD'entre les plus grands fous ! Apprends de moi ceci,La femme plus modesteEst un fier animal,Qui tant plus est aiméEt tant plus fait de mal. AGLANTE Au contraire la femmeEst un bien si parfait,Que plus on l'aime et plus aimable elle est. HYLAS Tu la veux donc aimerQuoi que j'en sache dire. AGLANTE Mon vouloir n'est-il pasDu tout à Sylvanire ? HYLAS Mais elle ne veut pasQue tu l'aimes, berger. AGLANTE Mon coeur est immuable, Il ne saurait changer. HYLAS Tu ne veux donc pointFaire ce qu'elle veut. AGLANTE Voudrait-elle d'AglantePlus qu'Aglante ne peut ? Tu perds le temps, tu travailles en vain,Hylas, assure-toiQu'amour n'est pas semblable à la chemiseQu'on peut laisser pour en vêtir un autre,Et toutefois semblable à la chemise Peut-être est-elle bien ;Mais à celle, berger,Dont la dernière foisHercule se vêtit,Et de qui sans mourir Il ne put se défaire.Amour dedans un coeurVient volontairement,Mais par la volontéD'un coeur fidèle il ne sort nullement. HYLAS Ah misérable Aglante ! AGLANTE Mais bienheureux Aglante ! HYLAS N'est-tu pas malheureuxD'aimer sans être aimé ? AGLANTE Mais bienheureux Phoenix Aux rayons d'un soleilJe me vois consumé. HYLAS Et quand tu seras mortQue servira ta flamme ? AGLANTE Je la conserverai Toujours dedans mon âme. HYLAS Te voila bien, tiens-toi bien chaud, Aglante. AGLANTE J'aurai l'âme contente. HYLAS S'il est ainsi de peu tu te contentes :Comment, berger, perdre l'âge et la peine, Tant de soupirs, tant de pleurs épandus,Tant de soins employés,Et vainement pour une fille ingrate ?Et puis, ô dieux ! Pour toute récompenseIl te suffit d'en avoir au cercueil La vaine souvenance :J'aimerais mieux en perdre tellementTous les ressouvenirs,Que je n'eusse mémoire,Non seulement d'elle ou de ses rigueurs, Mais de personne encoreQui l'eût jamais connue. AGLANTE J'aimerais mieux, Hylas,Et cela te suffise,N'avoir jamais été Du nombre des vivants,Que si j'avais vécuSans avoir vu la belle Sylvanire.Et j'élirais plutôtN'avoir jamais rien vu, Que si dès la même heureQue mes yeux l'aperçurentMon coeur ne l'eût aimée.Et je voudrais plutôtN'avoir jamais aimé, Et si je tiens l'amourTout le bonheur du monde,Que si l'ayant aimée,Cette belle cruelle,Mon amour à jamais Ne vivait éternelle. HYLAS Qu'est-ce que tu prétends ? AGLANTE De la servir. HYLAS Mais servir sans loyerC'est ce me semble une grande imprudence. AGLANTE Ce m'est un heurt si grand D'aimer cette bergère,Qu'amour m'a surpayéMe la faisant aimer :Il ne la faut aimer, cette belle cruelle,Sinon que pour l'aimer, Et pour payer le tribut que tout hommeEst obligé de rendreÀ ses perfections,Et non pour les faveursQu'un amant comme toi En pourrait désirer.Trop vile, Hylas, est cette récompensePour mon affection,À des amours vulgairesLes faveurs ordinaires : Mais à la mienne il fautQuelque chose de plus,Et ce plus, ô berger,C'est aimer pour aimer.L'amour est de l'amour La seule récompense :Et par ainsi, pour me la faire aimer,Il me suffit qu'elle soit elle-même. HYLAS Or va berger,Pour moi je te le quitte, Je n'en dispute plus,Je n'eusse jamais cruDedans l'esprit d'un hommeUne folie telle :Aime à ton gré, mais le tout sans envie, Et ne crains point que ce loyer d'amourQue tu prises si fortTe soit jamais ôté,Sinon que la folieQui te tient abusé Finisse par ta mort. SCÈNE II. Hylas, Sylvanire, Fossinde, Aglante. HYLAS Mais la voiciLa belle Sylvanire,La voici ta déesse,Si tu n'as cru, berger, à mes paroles Tu sauras de sa bouche,S'il n'est pas vrai qu'elle soit une souche. SYLVANIRE Mon Dieu, ma soeur, tournons nos pas ailleurs. FOSSINDE Est-ce un serpent que vous avez trouvé ?Venez, venez, il n'est pas venimeux. AGLANTE Ô courtoise Fossinde,Serpent se peut bien direCe malheureux berger,Si le serpent est haï de la femme.Mais au rebours, serpent je ne suis pas, Si le serpent est de nature froide,Car je suis tout de feu :Et s'il est vrai qu'à certaine saisonIl dépouille sa peau,Car je n'ai jamais peu Me dépouiller de l'amour que je porteÀ cette belle et cruelle bergère,Qui pour ne me voir pasAilleurs tourne ses pas.Mais, belle Sylvanire, Quelle raison vous peut faire en aller,Si c'est pour me fuirVous ne le sauriez faire,Car vous êtes toujoursAu milieu de mon coeur, Et si vous ne pouvezFuir si vitement,Qu'Aglante ne vous suiveEncor plus promptement ;Que si ce n'est du corps Au moins de la pensée.Arrêtez donc puisqu'il est impossibleVous éloigner de moi :Arrêtez Sylvanire,Pour voir au moins dans ce coeur que je porte Les coups plus glorieuxQui soient jamais procédés de vos yeux :Quelquefois le vainqueurSe plaît d'ouïr redireL'histoire de ses faits, Se plaît de voir les coupsQu'en la chaleur du combat il donna.Et pourquoi mon vainqueurVous plaît-il pas de voir,Puisque c'est votre gloire En moi votre victoire ? FOSSINDE Vraiment il sait aimer. HYLAS Voyez la dédaigneuse,Elle ne daigne pasTourner les yeux vers lui. AGLANTE Vous détournez ailleursVos beaux yeux que j'adore,Cruelle je vois bien,Je le vois bien que vos yeux ne sont pasÉgaux en cruauté Au coeur que vous portez :Car ils ne peuvent voirLes profondes blessuresDont votre âme cruelle,Ni votre coeur aussi dur qu'un rocher N'ont jamais eu pitié.Serez-vous jamais lasseDe me voir tant souffrir ? HYLAS Le voilà le bonheurDe ces amants fidèles. FOSSINDE Mais toutes ne sont pasD'une humeur si cruelle. AGLANTE Au moins avant ma mortFaites-moi cette grâce,Qu'hélas je puisse dire, Je les vis sans rigueurUn moment, ces beaux yeux,Ces yeux de Sylvanire. HYLAS Ô belle récompense. AGLANTE Vous ne répondez point, Ô ma belle bergère !Dieu voulut que celuiQui m'a lié le coeurVous eût lié la langue. SYLVANIRE Que cherches-tu de moi ? Aglante que veux-tu ? AGLANTE Amour ! Amour ! SYLVANIRE Amour, il ne se peut,Amour et mon honneur ne peuvent être ensemble. FOSSINDE Amour et votre honneurNe peuvent être ensemble ; Car l'amour et l'honneurNe sont pas ennemisSinon dans votre coeur. SYLVANIRE Je veux bien que l'on croitQue dans mon coeur l'amour Ne peut faire séjour,Pourvu que de l'honneurL'on n'en soit point en doute. HYLAS Honneur vraiment humeurEt pure opinion, Un idole impuissantQui jamais ne se sent,Une feinte chimère,Dont aujourd'hui les fillesSe laissent abuser Par leurs mères plus fines. SYLVANIRE Soit ainsi que tu dis,Ce que je ne crois pas,Qu'en puis-je-mais, Hylas ?Je ne veux tant y a Me faire d'autres lois,Que les lois ordinairesQue nous donnent nos mères. HYLAS Ta mère quelquefois,Et n'en sois point en doute, Fut jeune comme toi. AGLANTE Mais non pas aussi belle. HYLAS Peut-être moins cruelle. SYLVANIRE Et qu'est-ce pour cela ? HYLAS Pour cela je veux dire Que maintenant ta mèreTe porte envie, ô folle,Et qu'elle ne veut pasQue tu goûtes les biensQue l'âge lui dénie. Elle s'en ressouvient,De ces biens que je dis,Et sans cesse ils reviennentDevant ses yeux, en te voyant si belle,Et de chacun aimée, Et l'envieuse en sa fille elle blâmeCe qu'elle eut autrefoisDe plus cher en son âme. FOSSINDE Hylas toujours est Hylas en effet. AGLANTE Non, non, belle bergère, Et sage autant que belle,N'écoutez point Hylas,Votre beauté fait que chacun vous aime,Votre vertu doit en faire de même.Je vous aime, il est vrai, Plus que jamais amantAutre beauté n'aima :Mais croyez-moi, j'aimerais mieux la mortQue de voir, Sylvanire,La moindre tache en vous, L'amour que je vous porteParfaite en toute sorteNe demande sinonCe que l'honneur justement vous commande :Mais cet honneur dont vous êtes soigneuse Comme vous le devez,Ne vous y trompez pas,N'est pas d'être cruelle,N'est pas d'être insensible,N'est pas d'être une tigre, N'est pas d'être un rocher ;Car autrement l'honneur et la natureSe diraient ennemis.Nature qui commandeD'aimer, non pas peut-être Comme l'on va disant,Tous ceux belle bergèreDont nous sommes aimés,Mais tous ceux qui nous aimentComme l'on doit aimer, Et cet honneur, ô sage Sylvanire,Gît à ne faire rienQui puisse être contraireÀ la vertu dont cet honneur procède.Et par ainsi l'amour, J'entends l'amour que le berger AglanteA pour vous dans le coeur,Naissant de la vertu,Aussi bien que l'honneurN'est pas son ennemi, Mais son frère plutôt. HYLAS Belle philosophie. AGLANTE Et pour montrer que cet amour est né,Et cet honneur tous deux de même mère,Avez-vous jamais vu En moi quelque actionDe l'amour que je disQui soit contraire aux lois de cet honneur ? SYLVANIRE Aglante il est bien vrai,Mais l'amour que tu dis Est si semblable à l'autre,Que bien souvent ils sont pris l'un pour l'autre. AGLANTE L'oeil qui s'y trompe a bien mauvaise vue. SYLVANIRE Je le veux croire ainsi[Note : Le vers 4494 est absent de l'édition Honoré Champion.]Pour ton contentement : Ne sais tu pas, Aglante,Qu'entre nous il y aDe ces mauvaises vuesPlus grande quantité,Que non pas de bien bonnes ? Ne sais-tu pas que l'oeilDe ces choses cachéesN'en voit qu'autant que le soupçon le veut ?Retiens ceci de moi,Puisque l'honneur gît en l'opinion, Il ne faut pas donner occasionDe soupçonner chose que l'on ne voie :Donc n'en parlons plus,N'en parlons plus, je ne veux point d'amour,Je ne veux point de commerce avec lui, Et quand ce ne seraitQue ces amours ont un semblable nom,Je ne veux point d'amour. HYLAS Le voila bien payé. AGLANTE Ô quelle cruauté, Parce qu'on nomme amour du nom d'amourElle rejette amour. FOSSINDE Puisque le nom vous fait haïr la chose,Changeons ce nom d'amour,Nommons le d'autre sorte. SYLVANIRE Non ma soeur je ne veuxNi l'effet ni le nomDe l'amour que vous dites ;Au contraire je veuxLe fuir, le haïr, Et tous ceux qui le suiventComme fiers ennemis. AGLANTE Ennemi, Sylvanire,Pouvez-vous bien nommerCelui qui vous honore, Celui qui vous révère,Celui qui vous adore :Et quels seront ceux-làQue vous honorerezDu nom de vos amis, Et de vos serviteurs ? SYLVANIRE Je donnerai ce nomDe cruel ennemiÀ tous les ennemisDe mon honnêteté. Crois-tu que je ne sacheQue le miel est toujoursDans la bouche au trompeur,Et le fiel dans le coeur ?N'en parlons plus, Aglante, Mets ton coeur en repos,Jamais je n'aimeraiQue qui j'épouserai.J'ai de ma mère apprisQu'il faut vaincre en fuyant Cet enfant de Cypris :Fuyons le donc, berger,Pour vaincre ce vainqueur.Et si tu ne veux pasLe fuir avec moi, Ne trouve point étrangeQu'avec toi je ne le veuille suivre. AGLANTE Ô cruelle bergère !Est-ce donc là toute ma récompense ? HYLAS Tantôt, ce disait-il, Il n'en demandait point. AGLANTE Devais-je point attendreD'une amour si fidèleUne fin moins cruelle ?Le ciel m'en vengera, Le ciel qui n'aime pasLa cruauté, ni l'injustice aussi.Mais va, cruelle, va,Va de toutes les âmesL'âme la plus sauvage, Va la plus insensibleQui fut jamais au monde,Augmente ta rigueur,Si tu le peux, par dessus ta beauté,Tu ne feras jamais Que cette amour que dans le coeur je porte,Jamais, jamais en sorte. HYLAS Nyi toi tu ne ferasPar ta sotte constance,Que jamais, que jamais À te plaire elle pense.Il est hors de lui même :Mais pour dire le vraiSylvanire est cruelle.Nous n'avions qu'un Adraste, J'ai peur s'il continue,Comme j'ai déjà dit,Que bientôt ils soient deux.Mais je m'en vais le suivrePour essayer s'il se peut consoler. SYLVANIRE Ô quelle force il faut que je me fasse,Nul ne le sait que mon coeur seulement. SCÈNE III. Ménandre, Lerice, Sylvanire, Fossinde. SYLVANIRE Mais dieu voicI mon père,Quelle importune et fâcheuse rencontre,Je ne m'en puis aller Sans qu'il s'en aperçoive. MÉNANDRE Enfin, enfin peut-être en quelque lieuElle se trouvera,Cette coureuse. LERICE Il le faut pour certain, Car nous l'avons cherchéePartout où par raisonNous la pouvions trouver :Mais la voilà, Ménandre. MÉNANDRE Dieu soit loué, je ne veux plus, Lerice, Remettre cette affaire,[Note : Dilayer : Renvoyer à un temps plus éloigné. User de remise. [L]]Ni l'aller dilayant,Je veux avoir sa résolution,Et qu'elle parle clair,Il faut qu'elle l'épouse, Quoi qu'elle sache dire. LERICE Je crois bien que jamaisElle ne sortiraDe vos commandements. MÉNANDRE Je l'entends bien ainsi, Ou bientôt, ou bientôt,Elle ressentiraLa puissance d'un pèreJustement courroucé.Il faut parler à elle : Écoute Sylvanire ? SYLVANIRE Que vous plaît-il mon père ? MÉNANDRE Je veux que tu sois sage. FOSSINDE Sage, Ménandre, et ne l'est-elle pas ? MÉNANDRE Je veux qu'à mon vouloir Ton vouloir tu réduises,Si tu fais autrementJe te ferai sentirD'un père le pouvoir. FOSSINDE Jamais, sage Ménandre, La charge n'est bien faiteDe qui le faix penche tout d'un côté.Il faut que Sylvanire,Et c'est bien la raison,Obéisse à Ménandre, De son côté commande comme il faut. MÉNANDRE Je veux, et je le veux,Qu'elle épouse Théante,Et de plus qu'elle l'aime. FOSSINDE Ménandre tu peux bien La donner à Théante,Parce qu'elle est ta fille,Mais faire qu'elle l'aimeTu ne saurais, et ne t'y trompe pas,La volonté dont amour prend naissance N'est point sujette à quelque autre puissance,Même les dieux, et prends exemple d'eux,Laissent libre à chacunSa propre volonté. MÉNANDRE Je ne crois pas, Fossinde, Quoi que tu saches dire,Que si ton père Alcas,Et ta mère Alderine,Te proposaient Théante,Ta résolution fut de le refuser : Une fille bien née,Une fille bien sage,Comme tu sais, doit toujours se remettreAu vouloir de son père.Il est, crois-moi, presque plus excusable À son sexe, bergère,De faillir, et de suivreLe conseil de son père,Qu'il n'est pas honorableDe faire bien, et suivre seulement Sa propre opinion. FOSSINDE Ménandre, il est bien vraiQue j'élirais plutôtDe n'être pas, que de désobéirMon père ni ma mère, Mais je sais bien aussiQu'ils ne m'ordonnerontJamais chose qu'ils sachentQue j'aie à contrecoeur. MÉNANDRE Chacun fait comme il veut Des choses qui le touchent :Pour moi je veux que Sylvanire épouseCe berger que je dis.Mais tu ne réponds point,Peut-être es-tu muette ; Parle un peu Sylvanire ? SYLVANIRE Je ne suis pas muette,Pardonnez-moi mon père,Mais comment répondrai-je ?Vous ne me dites rien. MÉNANDRE Celui, comme l'on dit,Est le plus sourd, qui ne veut pas entendre :Je te dis, Sylvanire,Que Théante te veut,Théante le plus riche Des bergers de Lignon,Que son père déjàM'en a fait la demande,Que ta mère y consent,Que je te le commande, Et qu'il ne tient qu'à toiQue les liens d'un heureux hyménéeTous deux ne vous étreignentD'indissolubles noeuds :Qu'est-ce que tu réponds ? N'as-tu point de parole ?Tu te caches les yeux :Et d'où vient cette honte ?Ne veux-tu point parler ? LERICE Est-ce ainsi, Sylvanire, Quand quelqu'un parle à toi,Même quand c'est ton père,Qu'il faut être muette :T'ai-je enseigné cette civilité ? SYLVANIRE Pardonnez-moi, mon père, Et vous ma mère aussi,Si je ne vous répondsComme vous le voulez,L'affection que je porte à tous deux,Ainsi que la nature Et mon devoir me tiennent obligée,M'empêche la parole,Et la voix me dérobe. MÉNANDRE Pourquoi l'affectionEt le devoir, font-ils un tel effet ? SYLVANIRE Parce que je sais bienQue cette servitude,Qu'on nomme mariage,Loin de tous deux à jamais me tiendra. FOSSINDE Elle a raison. MÉNANDRE Elle a raison, bergère ; Mais tant s'en faut, si Théante la prend :Des deux maisons je n'en veux faire qu'une. LERICE Non, non, mon cher enfantEfface cette doute,C'est la première chose Qu'on leur a protestée. FOSSINDE L'amant promet, et promet ce qu'on veutPour obtenir la chose désirée,Mais l'ayant obtenue,De toutes ses promesses Il n'en tient qu'une seule,Et c'est d'être mari,C'est à dire le maîtreAu langage communDes hommes de ce temps, De tout le reste il n'en fait point de compte. SYLVANIRE Ô dieux ! Mon père, et qu'est-ce que j'ai fait,Que vous veuillez, et vous ma mère aussi,Vous défaire de moi ?Me chasser de chez vous ? Me bannir de chez vous ?Et me priver de l'heur de votre vue ?Si je ne suis pas digneDe vivre auprès de vousAvec le nom de fille, Ah donnez-moi celuiDe servante et d'esclave,Tous noms me seront doux,Toutes conditionsMe seront agréables, Pourvu, mon père, hélas ! Pourvu ma mèreQue je sois près de vous,Et que je puisse, ainsi que je le dois,Jusqu'à ma mort vous servir l'un et l'autre. LERICE Elle me fend le coeur Voyez le naturelDe cette pauvre fille.Mais penses-tu m'amie,Penses-tu que ton père,Ni que ta mère aussi Puissent t'aimer si peu,Qu'ils veulent consentirÀ ton éloignement ?Perds cette opinion,Et sois très assurée Qu'à jamais près de nousSylvanire vivra.Et lorsque du destinLes parques éternellesFiniront de nos jours La dernière fusée :Ce sera toi, ma fille,Ainsi les dieux le veuillent,Qui nous rendras ce pitoyable officeDe nous clore les yeux. Mais résous-toi d'obéir à ton père,Il te veut voir bientôt mère d'enfants,Le support agréableDe nos vieilles années.Il veut revivre en eux D'une seconde vie,Comme en toi, Sylvanire,Déjà nous revivons.Oui, oui, Ménandre, il n'en faut point douter,Sylvanire est trop sage, Elle le veut, puisqu'il vous plaît ainsi. SYLVANIRE Ah ! Ma mère pour dieuNe me procurez pointUn désastre si grand.J'ai promis à Diane De suivre dans les boisSes chastes exercices :Et de fuir d'hymenLes impures délices.Je serai, s'il vous plaît, Et s'il plaît à mon père,Ou vestale ou druide,Ou si mieux vous l'aimez,Je suivrai dans les bois,Avec le choeur des nymphes, Cette chaste Diane,Comme je suis par mes voeux obligée,Vous savez bien comme saints et sacrésDoivent être les voeux. MÉNANDRE Belle dévotion, Pour ne point obéirÀ ce que je commande :Ne sais-tu point encoreQue par les lois les enfants ne sauraientDisposer d'eux sans le consentement Du père et de la mère ? FOSSINDE Ces lois sont lois des hommes,Les voeux sont faits aux dieux,Où les lois des mortelsNe peuvent arriver. MÉNANDRE Ces lois dont je lui parle,Quoi que faites des hommes,Sont aussi lois des dieux ;Ce sont lois de nature,Et la nature et Dieu Sont une même chose.Mais je vois bien d'où procèdent ces voeux :Tu prétends, Sylvanire,Dessous le voile feintDe cette piété Couvrir tes beaux desseins,Et d'abuser les miens,Pensant ainsi de rompre par souplesse,Ou par longueur de tempsL'hymen que je désire : Mais tu te trompes fort,Je suis plus fin que toi,Je vois jusqu'en ton coeur. SYLVANIRE Plut à dieu ! MÉNANDRE Les desseins que tu fais. Que défaut-il à ce gentil Théante,Que puisse avoir un berger accompli ?Et toutefois, fille malavisée,Théante te déplaît,En voudrais-tu quelque autre Ou plus noble, ou plus riche ?Mais je vois bien que c'est ;Ces petits affettés[Note : Muguetter : Courtiser, comme fait le muguet. Fig. Rechercher, désirer d'obtenir. [L]]Qui te vont muguettant,De ta beauté t'ont conté des merveilles. T'ont-ils pas dit que rien n'est de si beauQue Sylvanire est belle ?Que c'est un grand dommageDe la mettre si tôtDans le tombeau d'hymen : Car c'est ainsi qu'ils vont nommant entre eux,Ces têtes éventées,Les saints liens du sacré mariage ;Qu'il faut que tes beautésLongtemps soient admirées, Longuement soient servies,Et de tous adorées,Avant que se soumettreÀ la sévéritéDes tyranniques lois De quelque mariage,Qu'il sera toujours tempsD'entrer en servitude,Que cependant il faut,Puisque le ciel t'a voulu faire belle, User de ta beauté,Te faisant désirerPar tous les coeursDe ceux qui te verront.Voilà sans doute, ô folle, de tes voeux La source et l'origine,Tu veux être servie,Tu veux être admiréePar ces jeunes garçons,Qui te vont abusant De vaine flatterie :Car tu sais qu'un mariNe le souffrirait pas.Mais imprudente, imprudente et peu sage,Si tu savais combien cette beauté Est peu de chose, et combien aisémentElle se change en extrême laideur,Tu dirais avec moiQue c'est une folie,Que celle qui t'abuse. La beauté c'est un verreQui reluit au soleil ;Mais aussi qui se casseAu moindre coup qu'il a.Au soleil des beaux ans, Et les beaux ans j'appelleLes ans de la jeunesse :Il est vrai, la beautéJette bien quelque fleur ;Et cette fleur sans doute S'admire en son printemps :Mais combien aisémentSe flétrit-elle aussi ?On voit souvent que le même soleilQui l'adorait au point de son réveil À son coucher la pleure.Ces beaux cheveux qui recrépés et longsFont par leurs filets d'orHonte à l'or même, ô jeunesse imprudente,Bientôt, bientôt, changeront en argent ; Et tous ces rets où les coeurs sont surprisSeront filets d'araigneSans force et sans puissance.Ce front poli qui semble un lait caillé,Dont la blancheur dispute avec le lys, Bientôt perdant l'éclat de cette neigeSe ridera par autant de sillonsQue nos riches campagnes,Lorsque du coultre aiguL'outrage elles ressentent : Et ces yeux où l'amourSemble prendre les feuxPour allumer ses flambeaux plus ardents,Bientôt changés par le cours des années,Au lieu de feux n'auront plus que la cire De ces mêmes flambeaux.Ô dieu quel changement !Car alors, Sylvanire,Au lieu de ces ardeursDont ces beaux yeux sont pleins, Si beaux on les peut dire,Faits chassieux par l'usage du temps,Ils ne produiront plusQue de l'eau pour éteindreL'embrasement qu'ils auront allumé. Mais cette belle boucheOù de rougeur, ainsi que l'on te dit,Le corail est vaincu,Où le désir quoique l'on puisse faire,Par les baisers n'est jamais contenté, Bientôt sera ternie,Et bientôt par les ansLes ris mignards en seront déchassés,Les baisers s'enfuiront,Et les désirs même s'étonneront De l'avoir désiré.Quelle crois-tu que deviendra ta joueDes roses et des lysLa beauté ternissant ?Et ce beau teint l'honneur de ton visage ? L'hiver bientôt par les ans redoubléDe cette fleur la beauté flétrira,N'en doute point, et lors au lieu de fleurIl ne t'en resteraSeulement que l'épine. Cette taille si droiteEn arc se voûtera,Et la tête arroganteQue tu vas élevantAltière et glorieuse, Bientôt, bientôt, contre terre abaisséeSemblera de chercherCette beauté perdueParmi la terre, et dès lors montreraQue toutes tes beautés N'ont rien été que poussière et que terre,Et que tu vas aussiEn terre les cherchant.Dis-moi, dis-moi, peu prudente jeunesse,Lorsque tu seras telle, Que te vaudra l'orgueilleuse beauté,Qui te fait dédaigner,Et mes commandements,Et le berger ThéanteAvec tant d'avantages ? Réponds, où t'en vas-tu ?Où vas-tu Sylvanire ?Voyez être arrogante,Voyez cette imprudente,Voyez l'outrecuidée, Elle s'en va sans répondre un seul mot. SCÈNE IV. Fossinde, Ménandre, Lerice. FOSSINDE Jamais de tous les pèresIl n'en fut un plus cruel que le tien,Ô pauvre Sylvanire. MÉNANDRE Il est bon là, le battu cette fois L'amende payera :Encore ai-je le tort.Ô siècle dépravé !Ô siècle monstrueux !Ô siècle où la vertu A perdu son crédit !Ou bien siècle plutôtQui ne la connais plus,Cette vertu que les enfants jadisEstimaient tant, et qui faisaient aussi Qu'ils étaient estimésDe ceux qui les voyaientObservateurs des lois d'obéissance.Qu'un enfant eut oséDésobéir, je ne dis pas au père, Mais au moindre de ceuxSous qui l'âge et le sangLes soumettait ; ô dieu combien étrangeChacun l'eut-il trouvé.Je crois, oui je le crois Que par décret communDe toute la contrée,Il eut été puni,Il eut été banniDu commerce des hommes : Et maintenant ce n'est que l'ordinaireDésobéir et son père et sa mère,C'est avoir de l'esprit,C'est avoir du courage,C'est, ce dit-on, avoir du sentiment : Ô ciel ! Ô terre ! Ô dieux je vous appelle,Venez, voyez, jugez, et punissez,Punissez-la, grands dieux,Cette malavisée,D'une si grande faute. On dit que les enfants,Ainsi du ciel l'ordonne la justice,Punissent bien souventLes désobéissancesQue leurs pères ont faites À leurs aïeuls, par des autres semblables.Mais de moi je sais bienQu'il ne m'advint jamaisD'avoir fait cette faute,Même de la pensée. Et toutefois vous l'ordonnez ainsi,Vous l'ordonnez, ô grands dieux ! Que je sacheCombien telle blessureEst cuisante et sensibleAu père qui l'endure ; Que votre volontéSoit en tout accomplie :Seulement je requiersAvoir assez de forcePour la bien supporter. Mais bien, mais bien, et qu'elle s'en assure,Elle n'en rira pas,Cette peu sage fille,Je lui ferai sentir,Et bientôt, et bientôt, D'un père le courroux :Je dis d'un père à qui toute raisonDonne l'autoritéDe châtier une fille insolente.Tu ne l'eusses pas cru, N'est-il pas vrai, Lerice ?Si tu ne l'eusses vu :Tu me disais toujours,Pour certain notre filleNe sortira jamais Du respect qu'un enfantDoit à son père. Or dis-le maintenant,Et sois sa cautionComme tu voulais être. LERICE Je la blâme à cette heure Aussi bien comme toi,Cette inconsidérée,Je le confesse, elle m'a bien deçue. FOSSINDE Et moi je crois qu'elle n'a point de tort,Et que c'est vous, vous Ménandre et Lerice Qui l'avez tout entier,Et qu'elle seule en fait la pénitence. LERICE Que nous avons le tort ? FOSSINDE Que vous avez le tort. MÉNANDRE Que Ménandre a le tort ? FOSSINDE Oui toi plus que Lerice.Et qu'a dit SylvanireQu'avec raison quelqu'un puisse blâmer ? MÉNANDRE Que n'a-t-elle pas dit ?Que n'a-t-elle pas fait ? FOSSINDE Elle a dit des parolesPour émouvoir des rochers insensibles :Elle a pleuré, mais des pleurs qui pouvaientFaire pleurer par la compassionEt des ours et des tigres. MÉNANDRE Elle s'en est allée ? FOSSINDE Elle s'en est allée :Mais pleine de respectElle a fait à tous deuxUne humble révérence Avant que de partir. MÉNANDRE Donc, Fossinde, à ton opinionOn peut payer un père et une mèrePar une révérence ?Il faut qu'en ton pays Il en soit cette annéeUne grande chertéDe telles révérences,Puisque l'on paye ainsiLes devoirs qui sont dûs Au père et à la mère. FOSSINDE Je vois bien qu'il est vrai,Quoi que jusques iciJ'aie eu peine à le croire. MÉNANDRE Qu'est-ce que tu veux dire ? FOSSINDE Je veux dire, Ménandre,Que le gentil Sylvandre,Sylvandre ce bergerQui de tous les bergersEst estimé le plus sage et prudent, Peu de jours sont passésDisait avec raison,Qu'il s'estimait le plus heureux bergerDe toute la contrée,En ce que tous l'estimaient malheureux. Car chacun, disait-il,Me croit infortunéDe ne connaître pointMon père ni ma mère.Et certes il est vrai Que j'eusse bien vouluLes connaître tous deux,Afin de les servirComme les dieux m'obligent.Mais que mon heur est grand, Quand je vois au reboursDes pères et des mèresL'humeur insupportable,Qui traitent leurs enfants,Non comme leurs enfants, Mais comme leurs esclaves,Ne leur demandant pasDes devoirs, des respects,Mais bien des servitudes.Telles se peuvent dire Les dures tyrannies,Que souffrent les enfantsSous le titre menteurDe cette obéissanceQue les pères demandent. Car réponds-moi, Ménandre, je te prie.Qu'a commis Sylvanire,Qui puisse ainsi te faire plaindre d'elle ?T'a-t-elle répondu,Avec peu de respect ? N'a-t-elle pas avec patienceEnduré les injuresQu'il t'a plu de lui dire ! MÉNANDRE Que voulais-tu qu'elle fît davantage ?Ne m'a-t'elle pas dit Qu'elle ne voulait pointDe ce riche Théante ? FOSSINDE Peut-être qu'en son âmeElle l'a bien pensé :Mais de te l'avoir dit, Ménandre, tu te trompes,Elle a bien dit vouloir suivre Diane,Ou bien être druide,Ou vestale sacrée. MÉNANDRE Mais je ne le veux pas. FOSSINDE Et si les dieux le veulent ? MÉNANDRE Les dieux ne veulent rienContre raison de nous. FOSSINDE C'est raison qu'elle soitÀ qui nous sommes tous. MÉNANDRE Et toi voudrais-tu bienSuivre Diane aussi ? FOSSINDE Si pour père j'avaisUn Ménandre, je pense,Je le dirais ainsi. MÉNANDRE Que je t'estime au moins,Fossinde, de le dire. FOSSINDE Et pourquoi le disant,Blâmes-tu Sylvanire ? MÉNANDRE Sylvanire est ma fille, En toi qu'ai-je à connaître ? FOSSINDE Dieu me garde de l'être,Puisque par force il se faut marierÀ celui qu'à ton gréIl te plaît de choisir. MÉNANDRE Tu te choisiras doncToute seule un mari ? FOSSINDE Mon père comme toiN'en sera pas marri. MÉNANDRE Je ne saurais penser Qu'Alcas le trouve bon,Ni qu'il le doive faire :Mais chacun toutefoisFasse ce qu'il lui plaît. FOSSINDE Quoi ? Que pour moi mon père En choisit un si laid ? MÉNANDRE Pourvu qu'il eût du bien. FOSSINDE Jamais, jamais, un mari pour le bienNe sera mien. MÉNANDRE Que faut-il davantage ? FOSSINDE Qu'il ait un beau visage,Et qu'il soit honnête homme. MÉNANDRE L'homme jamais ne se peut dire laid,Pourvu qu'il le soit moinsQu'un démon ne l'est pas. FOSSINDE Proverbe remarquable :Pour moi je le veux beau,Ou bien je n'en veux point,Si je rencontre au milieu de la rueDe ces visages faits En dépit des visages,Et d'horreur et de peurIls me font tressaillir,Et que ferais-je, ô dieux,Si je les rencontrais Dans un lit toute seule ?Qu'on ne m'en parle point,Pour moi j'aime les beaux,Et je vois que les hommesAiment aussi les belles. LERICE Et bien, Fossinde, étant ton humeur telle,Quand on voudra te donner un mari,Nous te le ferons faireExpressément ; car comme tu le veuxIl ne s'en trouve point Si l'on ne les commande. SCÈNE V. Tirinte, Alciron. TIRINTE Mais est-il bien possibleQue ce miroir ait si grande vertu ? ALCIRON N'en doute point, Tirinte,Fais seulement qu'elle y jette les yeux, Et tu verras un effet admirable. TIRINTE Quel effet fera-t-il ? ALCIRON Contente toi, berger,Que tel sera l'effetQue ton coeur le désire. TIRINTE Crois-tu qu'il puisse faireQue Sylvanire m'aime ? ALCIRON Que vas-tu recherchant ?Contente toi que je la remettraiEntre tes mains, cette belle cruelle. TIRINTE Du consentement d'elle. ALCIRON Ô la plaisante humeur !Tirinte je te disQue si dans ce miroirSylvanire regarde, Rien ne peut empêcherQu'elle ne soit à toi :Et n'es-tu pas contentSi tienne elle peut être ? TIRINTE Je le suis pour certain. ALCIRON Mais écoute bergerGarde-toi bien toi-mêmeD'y regarder dedans. TIRINTE Est-ce un enchantement ? ALCIRON Je ne suis pas, Tirinte, De ceux qui par leurs versEnsanglantent la lune,Ou qui de leurs regardsLes troupeaux ensorcellent :Mais ce miroir de sorte est composé De choses naturelles,Que dès que SylvanireLes yeux y jettera,Assure-toi que tienne elle sera :Mais vois-tu bien de crainte qu'en quelque autre Même effet il ne fasseRessouviens-toi, berger,De l'ôter de ses mains,Sans qu'elle prenne garde,Que ce soit à dessein : Que si tu ne peux mieuxFais semblant de le rompre,Ou le romps en effet,Quoi qu'il vaille beaucoup,J'aime mieux toutefois Qu'il te serve à ce coup,Ainsi que tu désires,Et qu'il se rompe après t'avoir servi.Que s'il t'advient, écoute bien, berger,D'y regarder peut-être par mégarde : Ne sois point paresseuxDe me venir trouver,Afin que je te donneLe remède qu'il fautContre le mal qui t'en arriverait. TIRINTE Que ne devrai-je pointÀ mon cher Alciron,Si par un tel moyenJ'obtiens le bien que mon âme désire ? ALCIRON Aime-moi seulement. TIRINTE Je t'aimerai, mais éternellement. ALCIRON Surtout ressouviens-toiDe ne point t'étonner,Pour chose que tu vois :Car je t'assure, et cela sur ma vie Que tout réussiraÀ ton contentement. SCÈNE VI. TIRINTE Or cessez mes soupirs,Tarissez-vous mes pleurs,Adieu tristes pensées, Désespoirs qui vouliezToujours m'accompagner,Je vous bannis de moi,Votre temps est passé,Vous n'avez plus de commerce en mon âme, Ni mon âme avec vous,Trop longuement mon coeur vous a permisDe loger avec lui,Le bonheur maintenantOccupe votre place, Et le destin se plaît même de voirQue ma fidélitéSurmonte son pouvoir.Des grands dieux je n'envie,[Note : Ambrosie : ou ambroisie. Mets des divinités de l'Olympe. [L]]Ni le nectar, ni la douce ambrosie, Ni de tous les humainsLe bonheur le plus grand :Rien de mortel ne saurait égaler,Ni même la pensée,L'heur que j'attends de cet heureux miroir. Ô cher miroir sois ministre fidèle,Ne déçois point l'espoir que j'ai de toi ;Et si les dieux dans les cieux ont bien misUne balance, un navire, un autel,Un dard, une couronne ; Pourquoi miroir plus digne mille foisD'être mis dans les cieuxNe t'y mettront-ils pas ?Dès ici je consacre,Si tu me fais ce bien, Un saint autel à ta divinité,Et par raison ne te devrai-je pasEstimer comme un dieu,Si tu me fais le bienQue tous les dieux tant de fois invoqués, Mais invoqués en vain,Jamais ne m'ont pu faire ?Mais dieu quelle fortune !Tout rit à mon dessein,Voici venir la belle Sylvanire. Ô déité qu'en ce miroir j'adoreSois propice à mes voeux,Dénoue en moi la langueEt lui serre le coeur. SCÈNE VII. Sylvanire, Fossinde, Tirinte. SYLVANIRE Faut-il toujours que quelqu'un je rencontre Qui trouble mon repos ? FOSSINDE Cette rencontre est peu désagreéable,Elle se peut souffrirSans danger de mourir. SYLVANIRE Je sais fort bien, Fossinde, Que ce n'est pas celle d'un basilic,Pour le moins que sa vueNe blesse ni ne tue. FOSSINDE Elle blesse, elle tue,Sylvanire, sa vue, Les coeurs le savent bien,Et si ce n'est le tienPour cela ne crois pasQu'un autre ne l'épreuve.Mais berger Dieu te garde. TIRINTE Dieu garde Sylvanire. SYLVANIRE Et toi gentil berger. FOSSINDE Et moi, Tirinte, ô dieux,Ne dois-je point avoirDe part en ton salut ? TIRINTE Malaisément t'en puis-je faire part,Puisque moi-même, hélas,Pour moi je ne l'ai pas. FOSSINDE Si tu voulais, Tirinte,Aimer celle qui t'aime, En me rendant heureuseTon heur serait extrême. TIRINTE Vous belle Sylvanire,Si vous vouliez aussiBien aimer qui vous aime, En me rendant heureuxVotre heur serait extrême. SYLVANIRE Tirinte je t'ai ditEt mille et mille fois,Mets fin à tes ennuis, Car t'aimer je ne puis. TIRINTE Fossinde je t'ai ditEt mille et mille fois,Mets fin à tes ennuis,Car t'aimer je ne puis. FOSSINDE Tu ne me peux aimer,Ô Tirinte cruel ! TIRINTE Vous ne pouvez m'aimer,Cruelle Sylvanire. SYLVANIRE Ce que j'ai dit, berger, te doit suffire. TIRINTE Ce que j'ai dit ne doit-il te suffire ? FOSSINDE Mais quoi mon amitié ? TIRINTE Mais quoi mon amitié ? SYLVANIRE Quelqu'autre en ait pitié. TIRINTE Quelqu'autre en ait pitié. FOSSINDE Ô cruelle parole ! TIRINTE Ô cruelle parole ! SYLVANIRE Que le ciel te console. TIRINTE Que le ciel te console. FOSSINDE D'autre salut, berger, N'en dois-je espérer point ? TIRINTE D'autre salut, bergère,N'en dois-je espérer point ? SYLVANIRE Point. TIRINTE Point. FOSSINDE Ô cruauté ! TIRINTE Ô cruauté ! SYLVANIRE Que veux-tu que j'y fasse, Si telle est la disgrâceDe ton cruel destin ? TIRINTE Que veux-tu que j'y fasse,Si telle est la disgrâceDe ton cruel destin ? FOSSINDE Ce n'est pas le destin,Mais c'est ta volontéQui t'endurcit en cette cruauté. TIRINTE Ce n'est pas le destin,Mais c'est ta cruauté Qui t'endurcit en cette cruauté. SYLVANIRE Non, non, crois-moi, Tirinte,Ce n'est point cruautéQui me contraint d'en user de la sorte. TIRINTE C'est donc dédain. SYLVANIRE Ce n'est dédain non plus,Je ne vois en TirinteChose dont puisse naîtreNi dédain ni mépris. FOSSINDE Que ne me réponds-tu Pour le moins ces paroles,Malicieuse Echo ? TIRINTE Laisse-moi je te prie,J'ai bien la tête ailleurs :Mais, belle Sylvanire, Est-il bien vrai que dédain ni méprisPour mon sujet ne soit dans votre coeur ?Rendez m'en témoignage. SYLVANIRE Et quel le voudrais-tu ? TIRINTE Recevez, Sylvanire, Mon coeur que je vous donne. FOSSINDE Je le reçois. TIRINTE Ô l'importune fille ! SYLVANIRE Donne le lui, Tirinte. FOSSINDE Elle dit bien, Tirinte, Fais ce qu'elle te dit. TIRINTE Eh laisse-moi, Fossinde,Quelle mouche importune ?Mais vous, belle bergère,Voulez-vous recevoir Le coeur que je vous offre ? SYLVANIRE Tirinte je ne puis :Une fille bien sage,Au moins de mon humeur,Se contente d'avoir Puissance sur son coeur. FOSSINDE Et bien, bien, Sylvanire,Un jour, un jour, vous saurez que m'en dire. SYLVANIRE Lors comme alors, mais maintenant je suisDe l'humeur que je dis. TIRINTE Aussi je vous confesseQue vainement je vous faisais cette offre :Car dès longtempsJe ne l'ai plus ce coeur,Je le vous ai donné Dès que je vous ai vue ;Et toutefois, s'il est vrai qu'un méprisNe soit point le sujetDu refus que vous faites,Recevez pour le moins Ce fidèle miroirQue je vous offre, il vous dira pour moiDe mon affectionLa cause légitime,En vous représentant Par une vraie imageLa beauté qu'il verra,Lorsque vous le verrez.Dieux ! Vous le refusez. SYLVANIRE Je ne refuse pas Ce que tu me présentes :Mais je consulte en moiSi je le puis sans blâme recevoir. TIRINTE Et pourquoi, Sylvanire,Le refuseriez vous ? SYLVANIRE Les dons des ennemisSont suspects en tout temps. TIRINTE Je suis votre ennemi ?Je suis donc le mien même. SYLVANIRE L'amant est ennemi, Si sans raison il aime. TIRINTE Est-ce aimer sans raisonQu'aimer votre beauté ? SYLVANIRE Quel amant n'aime pointContre l'honnêteté ? TIRINTE Tirinte pour le moins. SYLVANIRE Ils disent tous ainsi :Qui m'en sera témoin ? TIRINTE J'en demande du ciel,Qui contient et voit tout, L'assuré témoignage.J'appelle du soleilLa lumière éternelle,Qui ne voit seulementL'univers tout entier ; Mais sans qui l'on ne peutRien voir en l'univers.Je l'appelle à témoin,Et tous les dieux ensemble,Ceux du ciel, ceux de l'air, De la terre et de l'onde,Et des abîmes creuxOù commande Pluton,Qu'ils reprochent en moiL'amour que je vous porte, Et punissent mon coeur,Si mon affectionNe s'est toujours tenueDedans les lois du plus étroit honneur. SYLVANIRE Oh ! Les dieux ne punissent, Comme on dit, les sermentsDes parjures amants :Mais toutefois je crois ce que tu dis,Et sous cette assuranceTirinte je reçois Ce que tu me présentes :Mais à conditionDe ne le retenirQu'autant qu'il me plaira. TIRINTE Et moi, bergère, et tout ce qui de moi Sera jamais, de votre volontéRecevra l'ordonnance,Sans s'y point opposer,Hormis mon coeur : mais celui-là jamaisNe vous éloignera, Quoi que vous puissiez dire.Heureux miroir, heureux je te puis dire,Et plus heureux que celui qui te donneAu mystère d'amour,Élu par l'amour même : Souviens-toi que je l'aime,Et l'en fais souvenirJusqu'à ce qu'elle senteEn sa propre personne,Qu'amour jamais l'aimer À l'aimé ne pardonne. SYLVANIRE Sans mentir il est beau,Et je le crois plus fidèle peut-êtreQue n'était pas son maître.Mais qu'est-ce que je sens, Je suis toute étourdie. TIRINTE Ô bon commencement ! FOSSINDE Je le veux voir aussi,Donnez-le moi ma soeur. TIRINTE Non, belle Sylvanire, Ne le lui donnez pas ;Ce qu'aux dieux on consacre,D'une main si profaneNe doit être touché. FOSSINDE Voyez le dédaigneux : Ce qu'aux dieux on consacre,D'une main si profaneNe doit être touché :Mais, discourtois berger,Je le verrai, quoi que tu saches faire. TIRINTE Tu ne le verras pas,Quand je le devrais rompre. SYLVANIRE Tiens, berger, ton miroir,Je suis tant hors de moiQue presque je ne sais En quel monde je suis. FOSSINDE Donne le moi, berger,Me veux-tu refuserLe refus de quelque autre ? TIRINTE Importune bergère, Cesseras-tu jamais ?En cent pièces plutôt,Que de te le donner,Sous les pieds je le foule.Voyez cette importune ! SCÈNE VIII. FOSSINDE Donc sera-t-il vraiQue je prie et supplieCelui qui me dédaigne,Et qui plein de mépris,Plus je le vais suivant, Et plus s'enfuit de moi ?Sera-t-il vrai que par des vaines plaintesDe ce cruel j'aiguise la rigueur ?Et pourrai-je souffrirDe me voir dédaignée De celui qu'on dédaigne ?De ce double méprisTirons, Fossinde, ah ! Tirons un remèdeQui nous puisse guérir,C'est honte de souffrir Pour un amant qui souffre pour un autre,Et qui quand il voudraitNe saurait être notre.Rompons-les donc, ces chaînes trop honteuses,Rompons-les ces liens Dont mon coeur fut étreint,Et d'un libre courageSortons de ce servage :Et disons en sortant,Inutile constance, Honteuse patience,Mon coeur est allégé.Adieu triste penséeD'une amour insensée,Je vous donne congé. Mais dieu qu'il est aiséD'avoir un tel dessein,Et qu'il est malaiséDe le mettre en effet.Je pourrai donc n'être plus à Tirinte, J'en dénouerai les noeuds,Ou bien je les romprai :Mais comment peut-il être,Que sans être à TirinteFossinde je puisse être ? SCÈNE IX. Fossinde, Satyre. FOSSINDE Mais qu'est-ce qui me tientÔ dieux ! C'est le satyre.À l'aide, à l'aide, accourez mes compagnes :Bergers à l'aide, hélas secourez-moi ! SATYRE Crie et crie à ton gré, Nous les verrons venir,Ces filles déguiséesEn tendres jouvenceaux :Nous verrons leur courage,Leur force et leur adresse : Que s'ils te peuvent mettreHors de mes mains, aime-les plus que moi,Tu n'auras point de tort. FOSSINDE Gentil Satyre, honneur de ces forêts ? SATYRE Me suis-je pas en peu d'heure rendu Gentil Satyre honneur de ces forêts ?Mais ce n'est que depuisQue je te tiens liée. FOSSINDE Détache-moi, Satyre. SATYRE Non, non, trompeuse, il faut que plus longtemps Je sois gentil Satyre,Honneur de ces forêts. FOSSINDE Détache-moi, Satyre,Et crois qu'en liberté Je te ferai paraîtreL'amour que je te porte. SATYRE Je ne veux pas, je ne veux pas, finette,De l'amour que tu disAvoir plus d'assuranceQue celle que j'en ai,Je sais bien que tu m'aimes Comme l'agneau le loup,Je n'en suis point en doute. FOSSINDE Satyre tu te trompes,Je t'aime, il est certain,Pourquoi ne t'aimerais-je ? Que peut-on voir en toiQui ne se doive aimer ?Mais tu sais que les fillesN'osent le plus souventDéclarer leur amour. SATYRE Puisqu'il est vrai, Fossinde,Que tu m'aimes si fort,Et comme je le crois,Tu dois être bien aiseDe venir avec moi Dans l'antre où je demeure. FOSSINDE Je le veux bien : mais détache ces noeuds. SATYRE Les dénouer, ô folle, il ne faut pas,Car ton amour dépendDe cet enchantement. Je veux dire, Fossinde,Qu'aussitôt que ces noeudsSe verront détachés,Encore plus soudainSe dénouera l'amour que tu me portes. Mais c'est assez parler,Allons, Fossinde, allons,Si tu ne viens de bonne volontéJ'userai de la force,Tu sais bien si j'en ai. FOSSINDE Moi te suivre brutalHonte de la nature,Qui ne tiens rien de l'hommeQu'un peu de la figure ?Ah j'aime mieux la mort ! Ô bergers, au secours,Au secours mes compagnes,Ô dieux secourez-moi ! SATYRE Vains sont tous tes effortsEt tes injures vaines, Enfin il faut venir. SCÈNE X. Adraste, Fossinde, Satyre. ADRASTE La femme, il est certain,Ressemble au médecin,Elle en fait plus mourirPar ses trompeurs appas Qu'elle n'en guérit pas. FOSSINDE Adraste, Adraste, Adraste ? ADRASTE Adraste, et qui l'appelle ? SATYRE Appelle Adraste autant qu'il te plaira ;Appelle encor Tirinte, Pour t'ôter de mes mains :Autant vaut l'un que l'autre :Allons, allons, te dis-je. FOSSINDE Au secours, au secours,Adraste vois Doris Que Palemon emmène. ADRASTE Que Palemon emmène ?Laisse-la Palemon,Laisse-la ma Doris,Tu l'as assez gardée : En dépit de l'amour,Je la veux à mon tour :Laisse-la ma Doris,Elle est à moi, c'est mon chien qui l'a pris. SATYRE Adraste vois-tu pas Que ce n'est pas Doris ? FOSSINDE C'est Doris, vois-tu pasQue Palemon l'emmène ? ADRASTE Ô que c'est bien Doris ;Tu me voudrais tromper, Je la veux à mon tour,Tu l'as assez gardée,En dépit de l'amour. SATYRE Non, tu ne l'auras pas. ADRASTE Donc je ne l'aurai pas ? Tu la veux, je la veux,Nous verrons qui des deuxSera le maître. FOSSINDE Sois Hesus à mon aide ! SATYRE Ô dieux, ô dieux, comme elle m'a surpris ! Ô la malicieuse,Comme elle a pris son tempsPour me croiser la jambe. FOSSINDE Ô que dieu soit loué,Me voila démêlée Des mains de cette bête. SATYRE Ah je suis tout froissé !Le méchant animalQu'une femme en effet,Qui ne fait jamais mal, Quand le dépit l'émeut,Sinon quand elle peut. FOSSINDE Tu mens, vilain Satyre,Fils de cornu, cornard,[Note : Encorné : Qui porte des cornes.]Et père d'encorné. Ô le bel amoureux !N'en a-t-il pas la mine ?Il t'en faut donc des Nymphes ;Il te faut des Fossindes ;Il te faut une hart Pour t'attacher au sommet de cet arbre. SATYRE Va que jamais puisses-tu revenir.Ô dieu les bras ! ô dieu la tête ! ô dieuLa hanche, et tout le corps ! ADRASTE Ô pauvre Palemon L'amour te coûte cher.Il est tombé il le faut secourir :Mais ô grands dieux le vilain Palemon !Dieux ! Il est tout velu.Dieux ! Qu'est-il devenu ? Ne sont-ce pas des cornesQu'il porte sur la tête ?Ô ce sont bien des cornes,Mais de parfaites cornes.Ô Palemon, et qui l'eût jamais cru ? Aussitôt mariéTout aussitôt cornu ?Mais dieux ! Quels sont tes pieds ?Ce n'est donc pas assezD'avoir au front des cornes bien plantées ; Tu veux encor de plusAvoir les pieds cornus,Sont-ce du mariageLes plus beaux avantages ?Si tous ceux qui s'épousent En ont autant que toi,Fi, fi, du mariageEt de ses avantages,Garde les PalemonJe n'en veux point pour moi : Ô dieu le mariageA fait d'un PalemonUne bête sauvage. SATYRE Le grand saut que j'ai pris,Je ne puis plus marcher : Que maudit soit la femme !Que maudit soit l'amour !Maudit qui l'engendra,Maudit qui l'allaita,Et maudit soit qui jamais le suivra. LE CHOEUR Les mortels sont toujours en guerre,Nul n'a repos dessus la terre :Si la fortune est dans la cour,Dedans nos bois aussi nous trouble amour.Dans les grandes cours la fortune Fait sa demeure plus commune,Comme le foudre tournoyantLes hautes tours va plutôt foudroyant.Nous dans l'épais de nos bocages,Bien qu'exempts de si grands orages, D'amour nous ressentons les coupsNon moins cruels, quoi qu'ils semblent plus doux.Mais bien qu'autrement on le pense,Amour plus aigrement offenseCeux desquels il est le vainqueur ; Car tous ses coups ne s'adressent qu'au coeur.Ainsi d'une guerre ordinaireCe que fortune ne peut faire,Amour le fait plus finement,Afin que nul ne vive sans tourment. ACTE IV SCÈNE I. Aglante, Tirinte, Hylas. AGLANTE Tirinte il est certainQue j'aime et que j'adoreUne beauté, que rien du tout n'égaleEn son extrémitéQue ma fidélité. TIRINTE Celle de qui mon coeurHonore le mérite,Aglante, est un soleil,Et je suis le phoenixEn ma fidélité, Qui brûle à son bel oeil. HYLAS Et moi j'en adore uneFaite comme la lune,C'est à dire inconstante,Et si je m'en contente. AGLANTE Celle de qui les beaux yeux m'ont surpris,Tirinte, en sa beautéEst vraiment un soleil :Mais un soleil, ô dieux,Si glorieux qu'il ne veut pas permettre Que son phoenix en mourant je puisse être. TIRINTE Et celle que j'adoreEst si bien sans égale,Qu'encore que ma foiEt mon affection Soient enfin parvenuesÀ toute extrémité,Si sont-elles, Aglante,Moindres que sa beauté. HYLAS La mienne est toute telle Que la tienne, Tirinte,Quoi qu'elle ne soit pasDes plus belles du monde,Parce que sa beautéEst plus grande beaucoup Que ma fidélité.Et telle que tu dis,Aglante, qu'est la tienne,Toute telle est la mienne ;Car je ne puis, quoi que je sache faire, Être son seul phoenix,Parce que la folâtreEn veut toujours pour le moins trois ou quatre.Mais, Aglante, dis-moi,Et dis-le aussi, Tirinte, Dites-le moi tous deuxQuelles sont ces deux belles ? AGLANTE, TIRINTE Belles. HYLAS Belles aux yeuxQui comme vous les voient. AGLANTE Qui la voit autrement, Celle pour qui mon coeurEst tout rempli de flamme,Est bien aveugle, Hylas,Et s'il ne le sait pas. TIRINTE Qui dirait le soleil N'avoir point de lumière,On dirait par raisonQue son oeil n'y voit guère ;Mais de celle que j'aimeQui ne voit la beauté Extrême comme elle est,On peut assurémentDire qu'extrême est son aveuglement. HYLAS Soit ainsi que vous dites,Je m'en remets à vous, Si tous deux vous croyezÀ vos mêmes paroles :Mais ce que je demande,C'est de savoir enfinQuel fut le trait Dont amour se servitPour faire vos conquêtes. AGLANTE, TIRINTE Beau. HYLAS Beau vous l'avez dit,Je ne demande pasSi vous le trouvez beau : Mais qui sont ces beaux yeux ? AGLANTE Hylas, c'est l'oeil qui d'un clin de paupière,La haussant ou baissant,Peut, s'il lui plaît, enflammer tous les coeursD'amour et de désir, Quoi qu'ils eussent en euxTous les glaçons et les neiges plus froides,Dont en tout temps blanchissent du mont d'orLes sommets plus chenus,Et les rochers plus nus. HYLAS Dis-le plus clairement. TIRINTE C'est l'oeil qui désarmantPour un moment sa beauté de dédain,Peut désarmer l'âme la plus barbare,Contre sa volonté, De toute liberté. HYLAS Ce n'est encor assez. AGLANTE C'est l'oeil, Hylas, c'est le bel oeil qui peut,Toutes les fois qu'il veut,Écrire d'un seul trait Dans le coeur des humainsLes lois plus rigoureuses,Qui se puissent trouverDans le règne d'amour,Sans qu'un seul coeur Ose ou puisse espérerDe ravoir sa franchiseÀ telles lois soumise. HYLAS Dis-le moi d'autre sorte. TIRINTE C'est l'oeil, Hylas, c'est l'oeil qui doucement Brûlant d'amour tout autre,N'élance dans mon coeurQue foudre et que rigueur. HYLAS Ni même encor ne le connais-je pas,Cet oeil dont vous parlez. AGLANTE Si quand on dit, que la terre, ô berger,De ce germe fécondQu'elle reçoit du ciel,D'agréable parureS'embellit de nouveau : Si quand on dit, qu'amour va rallumantAu coeur de la natureSes flambeaux à moitiéSous la neige assoupisD'un rigoureux hiver : Si quand on dit, que mille fleurs nouvellesÉmaillent à l'enviLe beau sein de nos prés,Et qu'on voit par les champsLa douce tourterelle, [Note : Colombelle : Petite colombe, au propre et au figuré. [L]]La simple colombelle,Avec leurs compagnesRedoubler leurs baisers,Et montrer le transportQu'amour fait naître en elles D'un trémoussement d'ailes ;Et que tout amoureuxLe rossignol mignardVole de branche en branche,De bocage en bocage, Invitant sa compagnePar sa douce harmonieÀ l'amour qui le lie,Nous entendons sans doute le printemps :Pourquoi de même aux effets que je dis, Ne reconnais-tu l'oeilQui cause mon trépas ? HYLAS Je ne le connais pas. TIRINTE Si quand on dit, que la terre altéréeBéante en mille lieux D'extrême sécheresse,Désire l'eau pour alléger l'ardeurQui la sèche et la cuit :Si quand on dit, que le dieu de LignonDécouvre de son lit En divers lieux les humides cachettes,Faute de l'eau qu'un soleil trop ardentLui sèche et lui consume ;Nous entendons incontinent l'été :Pourquoi de même aux effets que je dis, Ne reconnais-tu pasLe bel oeil que j'adore ? HYLAS Je ne le puis encore. AGLANTE Si quand on dit, que les fruits sur la brancheVont jaunissant Des feuilles dépouillés,Que nos fertiles champsOù Cerès ondoyaitSur des épis dorés,Veufs des riches moissons Qu'ils avaient autrefois,N'ont pour toute parureDe leurs sillons, que le chaume restéTémoin des doux larcinsDu courbé moissonneur : Si quand on dit, que les dons de BacchusRougissent sous le pampre,Retortillé de cent plis l'un sur l'autre ;L'on sait que c'est l'automne :Pourquoi de même aux effets que je dis, Ne reconnais-tu l'oeilDont la beauté me poingt ? HYLAS Je ne la connais point. TIRINTE Si quand on dit, que les vents courroucésL'un contre l'autre Animent la fureurD'un dangereux orage :Si quand on dit, que nos plaisants ruisseauxVont arrêtant leur pasSous la croûte endurcie De leur cristal, pour avoir vu peut-être,Non pas d'une méduse,Mais des froideurs le visage effroyable ;Nous entendons l'hiver :Pourquoi de même aux effets que je dis, Ne reconnais-tu l'oeilQui me met au cercueil ? HYLAS Or sus je le connais,Je le connais enfinCet oeil dont vous parlez, C'est le bel oeil de Stelle,De Stelle la bergère,De toutes les bergèresCelle que j'aime mieux. AGLANTE Nous amoureux de Stelle ? TIRINTE Elle n'est pas, ce me semble, assez belle. HYLAS C'est elle toutefois,Qui peut d'un seul clin d'oeilMe surprendre le coeurQu'elle retient encore. Et c'est elle qui peutM'écrire avec cet oeilLes pures lois d'amourDans le plus sain de l'âme ;Ainsi faisant en moi Les effets que vous dites,N'ai-je raison de dire que c'est elle ? AGLANTE Tu te trompes, berger,Non, non, ce n'est pas elle,Stelle est belle, il est vrai : Mais combien s'en faut-ilQu'elle n'arrive à la beauté de celleQue j'adore en mon coeur ?Figure toi que toutes les beautésQue la nature a faites, Étant jointes ensemble,Pour embellir un sujet de tout point,Auprès de celle-ciResteraient imparfaites. TIRINTE Figure toi, berger, Que celle que j'adore,Comme un soleil surpasseToutes autres clartés,Elle surpasse aussi toutes beautés. HYLAS Vous le dites ainsi : Mais voyez vous, bergers,J'en jurerais de mêmeDe celle aussi que j'aime :Mais je dis tout autantQue vous sauriez tous deux Jurer et rejurer,Et parjurer encore :Je sais bien toutefoisQue vous n'en croyez rien,Aussi ne fais-je pas De ce que vous me dites.Donc pour savoir qui de nous a raisonPrenons un juge, et ce qu'il en dira,Soit banni de l'amourQui ne l'avouera. SCÈNE II. Hylas, Aglante, Tirinte, Fossinde. HYLAS Tout à propos, bergers,Ne voici pas le juge qu'il nous faut ? AGLANTE Je la veux bien pour telle. HYLAS Et moi je la veux bienPour juge et pour maîtresse, Je n'en refuse pointQui soient faites comme elle. FOSSINDE Tirinte, et toi pour quelle veux-tu ? TIRINTE Je ne te veux pour rienQue pour une importune. AGLANTE Il semble que Tirinte,Pour ne sortir du devoir de bergerEnvers si belle fille,Soit obligé de parler d'autre sorte. TIRINTE Aglante, te plaît-elle ? AGLANTE Elle me plaît comme elle me doit plaire.Je veux dire, Tirinte,Que sa beauté, sa vertu, son mériteObligent tout bergerÀ l'honorer, à l'aimer et servir. TIRINTE Or s'il est vrai qu'elle te plaise tant,Prends-la, je te la donne,Et ne m'en parle plus. HYLAS Oui-da je la prendrai,Et de bon coeur encore. FOSSINDE Laisse, Hylas, laisse-moi,Tu n'es pas pour Fossinde,Ni Fossinde pour toi,Stelle en appellerait.Mais voyez je vous prie, Voyez le dédaigneux,Je suis son importune :Aglante, ce dit-il,Prends-la, je te la donne,Et ne m'en parle plus. Oui, oui, je te la donne :Comme si tu pouvaisMe donner à quelqu'un :Et quel pouvoir crois-tu d'avoir, Tirinte,Dessus Fossinde afin de la donner ? Impertinent berger,Penses-tu bien, peut-être,Que Fossinde soit tienne,Ou qu'elle la veuille être ?Non désabuse-toi, Personne n'eut jamaisDu pouvoir sur Fossinde,Ni nul jamais l'auraQui ressemble à Tirinte.Malgracieux berger, Vraiment il est joliEn cette opinion :Je suis son importune :Prends-la, je te la donne :Le libéral berger, N'est-il pas bien plaisantDe donner de la sorteCe qui n'est pas à lui ?Attends, attends, Tirinte,Attends à me donner Lorsque je serai tienne,Et si jusques alorsTu veux attendre à faire tes présentsTu n'en feras jamais.Mais, Aglante, sais-tu, Sais-tu point la raison,Pourquoi Tirinte est si fort libéralEnvers Aglante, il faut que tu le saches,C'est qu'il voudrait, le cauteleux qu'il est,Le change te donner, Pour être seul à suivre Sylvanire :Car il en meurt d'amour.Mais sois certain, Aglante,Qu'elle ne l'aime point,Et que si quelque chose Elle a jamais aimée,C'est Aglante sans plus.Or va, Tirinte, aime bien Sylvanire,Elle me vengeraDe tes impertinences. SCÈNE III. Le messager, Aglante, Tirinte, Hylas. LE MESSAGER Ô dieu quelle pitié !Quelle compassion ! AGLANTE Qu'est-ce qu'a ce berger ? LE MESSAGER Voir cette belle filleEn cet état ; car c'est bien la plus belle, La plus discrète,Et pleine de mériteQui soit en la contrée. AGLANTE Qu'est-ce qu'il dit de belle ? LE MESSAGER Mais voir son père et sa mère affligés Comme je les ai vus,Je confesse pour moiQue je n'en ai ni le coeur ni la force.Ô dieux ! ô dieux quelle extrême pitié ! TIRINTE Mais de qui parle-t-il ? AGLANTE De Sylvanire, il n'en faut point douter,Et le coeur me le dit :Hylas saches-le un peu,Je n'ai pas le courageDe le lui demander. HYLAS S'il ne parlait de père et de mère,J'aurais opinionQue ce serait de Stelle,Comme étant la plus belle. LE MESSAGER Mais ils ont bien raison, Ce père et cette mère,De plaindre et de pleurer. TIRINTE Gentil berger, Pan te soit favorable.D'où procèdent tes plaintes ? LE MESSAGER Quand mes plaintes seraient Plus grandes mille foisQu'elles ne le sont pas,Encor ne sauraient-ellesAtteindre à la grandeurDu sujet que j'en ai, Ou bien pour dire mieuxQue nous en avons tous. AGLANTE Que nous en avons tous ? LE MESSAGER Que nous en avons tous :Car la perte est commune À toute la contrée ;Et par ainsi la plainteEn doit être commune :Car sachez, ô berger !Sachez que Sylvanire. AGLANTE Ah ne l'ai-je pas dit ? LE MESSAGER L'honneur de ces forêts,Où la beauté s'admire,Où la vertu s'estime,Où la perfection Est en perfection,Est proche du trépas,Si morte elle n'est pas. AGLANTE Ah ! Sylvanire est morte,Et toi tu vis encore, Ô misérable Aglante ? LE MESSAGER Elle n'était pas morteQuand la compassionM'a contraint de partir :Mais je crois qu'à cette heure Elle est morte sans doute :Ces roses et ces lys,La beauté de sa joue,Étaient déjà tous pâles et ternis,Et le corail vivant De cette belle boucheEn neige était changé.Les feux qu'en ses beaux yeuxElle voulait avoir,Comme un soleil couvert d'épaisse nue, Avaient déjà leur lumière perdue,Et partout le visageOn ne voyait qu'une pâleur mortelle :Encor elle était belle. TIRINTE D'où procède son mal ? LE MESSAGER Personne ne le sait :Mais on croit toutefoisQu'elle est empoisonnée. TIRINTE Qu'elle est empoisonnée ? LE MESSAGER Chacun le dit ainsi. AGLANTE Or va, berger, et raconte partoutQu'Aglante ne vit plus,Et qu'en sa mort, tout son plus grand martyreC'est n'avoir d'un momentDevancé Sylvanire. LE MESSAGER Secourez-le, bergers, car il évanouit.Il aimait Sylvanire :Quelle force d'amour !Et puis elles n'ont pointDe pitié des amants, Ces cruelles beautés ;S'il n'a secours il est perdu sans doute,Je vais quérir de l'eau,Criez lui cependant,Mais criez fort, qu'elle est encore en vie, Et que son père et que sa mère aussiLa vont conduire au temple d'EsculapePour ravoir sa santé.Eh ! Laissez que je courrePour apporter de l'eau. TIRINTE Mais avant que partir,Dis-moi je te supplieOù Sylvanire était. LE MESSAGER Auprès du carrefourQu'on nomme de Mercure. HYLAS Laisse l'aller, Tirinte,Le mal nous presse. TIRINTE Ô malheureux Tirinte !Ô faux et déloyal !Il en mourra le traître, Et mon coeur trop crédule. SCÈNE IV. HYLAS L'homme n'a point de bienDu tout exempt du mal,Et quant à moi,De tous les animaux, Je crois qu'il est le plus infortuné,Et je le crois de sorte,Que si des dieux le plus puissant de tousMe venait dire, HylasChoisis des animaux, Dont par l'expérienceTu connais la nature,Lequel de tous plutôt tu voudrais être,[Note : Styx : Fleuve qui, selon la mythologie, coulait aux enfers ; les dieux juraient par le Styx, et ce serment ne pouvait être violé. [L]]Et par Styx je te jureDe te donner à ton élection L'être que tu voudras,Je choisirais tous les autres plutôtQue celui d'homme, estimant que de tousC'est le plus misérable :Car si nous voulons prendre Celui qui de chacunEst nommé malheureux,N'en cherchons point que l'âne,La pauvre bête a le plus dur destin,À ce qu'on dit, de tous les animaux, Et semble n'être néQue pour la peine et que pour le bâton ;Et toutefois il n'a que les seuls mauxQu'il a de sa nature :Nous au contraire, outre ceux qu'en naissant La nature nous donne,De bien plus grands avec notre imprudenceNous-nous en imposons.Si quelqu'un parle malNous sommes en colère : Si quelque chien hurle à l'entour de nous,Si le sel tombe alors que nous soupons,Si nous éternuonsÀ de certaines heures,Si nous voyons à gauche le croissant, Si nous choppons au sortir d'une porte,C'est un mauvais présage,Et commençons dès lorsÀ ressentir le malDont nous vont menaçant Ces mal fondés augures.Mais ces opinions,Mais ces ambitions,Mais ces ardents désirsDont amour nous consume, Dieux ! Que sont-ce autre choseQue des maux ajoutésAux maux de la nature ?Et c'est pourquoi nul entre tous les hommesN'a vécu, qui ne vit, Ni ne vivra jamais,Pour heureux qu'il puisse être,Du tout exempt du mal ;Si bien que l'on peut direAvec verité, Qu'être homme, c'est à dire,N'être jamais sans mal.Que ce pauvre bergerQue je tiens en mes brasEn saurait bien que dire. Pauvre berger, qui dés l'heure qu'il vitL'ingrate Sylvanire,N'a jamais eu que peine et que martyre.Ô folle et des humainsInhumaine constance, Quelle erreur insenséeDedans le coeur de l'homme t'a produite,Pour le combler entièrement de maux ?N'était-ce pas assezQu'Aglante eut de l'amour, Les espoirs impossibles,Les desseins mal fondés,Les désirs insensés,Les tourments inhumains,Les passions ardentes ? N'était-ce pas assezQu'il ressentit ensembleLes feux d'amour, les glaces du dédain,Les coups de la beautéDe cette Sylvanire, Et ceux de son empire ?Sans que cette folie,Qu'on appelle constance,Par des noeuds tyranniquesL'attachât à jamais À cette servitude,Comme un Sysiphe au tourment de la roue ?Or le voici surpayé de ses peines,Le voici presque mort,Et cet erreur est tellement encore Dedans son coeur ancrée,Que s'il revit sans doute il choisiraDe remourir cent fois,Cent et cent fois plutôt,Que de rompre les noeuds Qui le font malheureux. SCÈNE V. Ménandre, Lerice, Hylas, Sylvanire, Le messager, Aglante. MÉNANDRE Prends courage ma fille,Allons jusques au temple[Note : Esculape : dieu romain de la médecine (Asclepios en grec). Selon le mythe grec, il est le fils d'Apollon et de Coronis.]De ce grand Esculape. SYLVANIRE Ah ! Mon père je meurs. LERICE Soutenez-la, Ménandre,Pour moi je n'en puis plus. SYLVANIRE Hélas ! Je meurs, ma mère. MÉNANDRE Or sus efforce-toi,Esculape sans doute Te donnera ta première santé :Allons au temple, allons. SYLVANIRE Ô dieux ! Je n'en puis plus. LE MESSAGER Enfin j'en ai trouvé,Voici de l'eau, berger, Mais je ne sais si ce n'est point trop tard. HYLAS Apporte, apporte vite,Le coeur lui bat encore. SYLVANIRE Mais qu'est-ce que je vois ?Eh ! N'est-ce point Aglante ? C'est lui sans doute : ô le pauvre berger,Qui l'a mis en ce point ? HYLAS C'est Sylvanire. Et toi, berger, apporte,Donne moi l'eau, pour voir si nous pourronsRappeler ses esprits. SYLVANIRE C'est Sylvanire. Et comment ce peut-il,Que sans le vouloir faireJe l'aie ainsi traité ? HYLAS C'est le bruit de ta mort :Mais, berger, je te prie Jette lui bien de l'eau,Cependant à l'oreilleJe m'en vais l'appeler.Aglante, Aglante, ah prends courage Aglante,Aglante, Aglante. SYLVANIRE Il est mort pour certain,Hélas c'est grand dommage !Mon père, s'il vous plaît,Laissez que je me baisseAuprès de son oreille, Ma voix peut-êtreAura plus de vertu. MÉNANDRE Je le veux bien, ma fille. LERICE Dieu qu'elle est charitable,À moitié morte encore elle a pitié Du mal d'autrui. HYLAS Mais voyez la finesseElle le baise : ingénieux amour. SYLVANIRE Aglante, Aglante. Écoute Sylvanire,Sylvanire t'appelle, Réponds à Sylvanire. HYLAS Ô puissance d'amour,Au nom de SylvanireVoyez comme il revient. SYLVANIRE Courage, Aglante, ouvre les yeux, et vois Que voici Sylvanire. AGLANTE Quel Mercure puissantMon âme a rappeléeDes Champs Élysiens ? HYLAS Ce n'est pas un Mercure, Regarde bien, Aglante,C'est Sylvanire. AGLANTE Ô dieux ! C'est Sylvanire,Et je n'adore pointEncor cette beautéQui m'a donné la vie ? LE MESSAGER Quel miracle d'amour !À sa voix seulementIl a repris la vie :Si je ne l'eusse vu,J'avoue et je confesse, Que je ne l'eusse cru.Je m'en vais le conterAux bergers d'alentour,Afin que plus encoreChacun l'amour honore. HYLAS J'en veux faire de même,Avec toi je m'en vais,Pour à chacun redire,Toi la force d'amour,Et moi de Sylvanire. SCÈNE VI. Aglante, Sylvanire, Ménandre, Lerice. AGLANTE Dieux ! Que ne dois-je pasÀ cette belle, et très belle bergère,Pour m'avoir rappeléDe la mort à la vie ? SYLVANIRE Je n'ai rien fait pour toi Que je ne dusse faire,Chacun est obligéDe servir ton mérite.Mais ne vous plaît-il pasQue nous allions, mon père, Rendre nos voeux au temple d'Esculape ? MÉNANDRE Allons ma fille, il est bien raisonnableDe le remercierDu bien qu'il nous a fait,Te redonnant ta première santé. SYLVANIRE Dieux ! Qu'est-ceci, dieu qu'est-ce que je sens ?Quel mal nouveau, et quelle défaillanceMe prend encore un coup ?Ah ! Ma mère je meurs. LERICE Mais que sera-ce enfin ? Nous pensions que ton malFut un peu soulagé,Tout au contraire, au lieu d'allègement,[Note : Rengrégement : Augmentation. [L]]C'est un rengrégement.Mais, Aglante, aide-nous : Elle se meurt, ô dieux !Elle n'a plus de force. AGLANTE Quel étrange accident ? MÉNANDRE Il ne faut plus espérer en sa vie. LERICE Ah mère désolée ! MÉNANDRE Ah père, non plus père,Ou père sans enfant ! AGLANTE Mais fallait-il, hélas !Eh ! Fallait-il qu'AglanteRevint en vie, afin de voir mourir Celle qui fut sa vie,Pour remourir encoreD'une seconde et plus sensible mort ? LERICE Destin qui me ravisCe que jadis le ciel m'avait donné, Combien en me l'ôtantMe fais-tu plus de mal,Qu'en l'octroyant on ne me fit de bien ? AGLANTE Il fallait donc qu'avec les mêmes yeuxQue j'avais vu tant de rares merveilles, J'en visse, et j'en pleurasseLa déplorable perte.À quoi destins me réservez-vous plus ?À quels malheurs m'ordonnez vous encore,Pour rendre cet Aglante, Des malheureux en somme,Le plus malheureux homme ? MÉNANDRE Ah chère fille ! Ah fille que je n'oseAppeler plus ma fille !Ah chère Sylvanire ! Est-ce ainsi que le cielTrompe nos espérances ?Est-ce ainsi qu'il lui plaîtSe moquer des desseinsDes hommes malheureux ? Hélas j'avais pensé,Et non point sans raisonJe l'avais esperé,Puisqu'aux lois de natureCet espoir se fondait, Qu'après avoir étéDe mes faibles annéesLe support charitable,Lorsque la mort finirait ma journéeTu me clorais les yeux Avec tes propres mains,Et dedans le cercueil,M'arrosant de tes larmes,D'un doux baiser de fille,Tu me dirais enfin, Va t'en, va t'en, mon père,Va t'en en paix pour la dernière fois.Combien hélas ! Combien sont-ils changés,Par un destin contraire,Tous ces justes desseins, Puisqu'il faut que ton pèreTe rende les devoirsQu'il espérait de recevoir de toi. AGLANTE Ô ciel ! Que la douleurMe contraint de nommer Injuste, ou bien aveugle :Injuste en m'éloignantDe celle à qui le destin m'a donné ;Aveugle en me voyant,Qu'aussi bien je ne puis Vivre éloigné de cellePour qui je vis, et pour qui je veux vivre ;Que penses-tu de faire ?Quoi ? Me tenir en vieEt lui donner la mort ? Ah ! Nul vivre ne peut,Lorsqu'il n'a point de coeur,Et tu me le ravisRavissant Sylvanire. LERICE Sera-t-il donc vrai, Ô mon très cher enfant,Que tu nous sois ôtée,Sans avoir le loisirDe nous dire un adieu ?Ah ! Ne le souffrez pas, Destins rendez-la moi,Rendez-la moi, ma chère Sylvanire. AGLANTE Que si le ciel veut avoir pour rançonDe quelque autre la vie,Reçois, destin, la mienne, je te prie. MÉNANDRE Mais la mienne plutôt,La mienne surannée. AGLANTE Mais la mienne déjàParvenue à tel point,Que quoi qu'à l'avenir S'avance mon trépas,Je ne puis perdre, au malheur où je suis,Pour chaque jour que des siècles d'ennuis. LERICE Ô Sylvanire ? AGLANTE Ô belle Sylvanire ? MÉNANDRE Sylvanire, ma fille ? AGLANTE Ah Sylvanire ! Hélas n'oyez-vous point ?Oyez Lerice, oyez Ménandre aussi,Oyez, oyez Aglante,Aglante oyez, Aglante. MÉNANDRE Ô dieux ! Elle revient. AGLANTE Elle revient, ô dieux ! LERICE Sois à notre aide, ô puissant Esculape. AGLANTE Courage, Sylvanire,Ouvrez les yeux, et voyez qu'en vivantVous donnez vie à quatre. MÉNANDRE Prends courage, ma fille. LERICE Vois la douleur amèreQue pour toi souffre, et ton père et ta mère. SYLVANIRE Ô puissants dieux, qui tenez en vos mainsLes jours comptez de notre frêle vie, Permettez m'en autantQu'il m'en faut seulementPour décharger mon coeurD'un blâme qui l'oppresse.Séchez vos pleurs, mon père, je vous prie, Et vous ma mère aussi,Souvenez-vous que les dieux ne font rienSinon pour notre bien,Et s'il leur plaît de mes tendres annéesAchever ma journée, Ils le font pour mon mieux,Pour éviter, peut-être,Ou pour vous, ou pour moi,Quelque plus grand malheur. LERICE Mais quel malheur plus grand ? MÉNANDRE Où s'en peut-il trouver ? AGLANTE Ah le ciel n'en a point ! SYLVANIRE Le ciel, Aglante, a tout ce qu'il lui plaît,Et souviens-toi qu'il peut tout dessus nous,Car il est tout puissant, Et qu'il fait toujours bien,Parce qu'il est tout bon :Je vous conjure doncQue je ne sois point causeQu'il jette dessus vous Les traits de son courroux,Ô mon père et ma mère :Que s'il vous ôte à cette heure une fille,Il peut, s'il veut, égaler vos enfantsAu nombre des cheveux Qui sont sur votre tête,Encor qu'il semble bienQue vos vieilles annéesY puissent contredire :Mais au grand dieu tout est facile à faire. Séchez donc vos pleurs,Je vous supplie encore,Et croyez que je parsDu nombre des vivants,Sans emporter nul regret de ma vie. Deux choses seulementMe pressent, je l'avoue :L'une de n'avoir puJusqu'ici satisfaireÀ ce que je vous dois, Ô mon père et ma mère :Mais recevez ma bonne volonté. LERICE Dieu quel bon naturel ! MÉNANDRE Ta volonté, ma fille,Nous est tant agréable, Que nous la recevonsPour plus encor que tu ne nous dois pas. SYLVANIRE Le ciel en soit loué,Et cette amour de pèreQu'outre tous mes mérites Le ciel a mise en vous :Mais oserai-je à la fin de ma vie,Car je sens bien qu'elle me va laisser,Oserai-je mon père,Oserai-je ma mère, Avec votre congé,Avant que de partir,Me décharger de cet autre fardeauQui me presse et m'oppresse ? LERICE Ton père le veut bien. SYLVANIRE Le voulez-vous mon père ? MÉNANDRE Je le veux, Sylvanire,Et dis et fais tout ce que tu voudras,Je t'en remets tout le pouvoir que j'ai. SYLVANIRE Le ciel vous rende à tous deux le loyer D'une telle bonté,Puisqu'il ne m'est permis.L'ingratitude, à ce que bien souventVous m'avez dit, mon père,Est un faix si pesant, Que la terre sur quiTout l'univers s'appuie,Sans se lasser ne la peut supporter,Et c'est pourquoi surchargée en mon âmeD'un faix tant malaisé, Puisque tous deux vous me le permettez,Je m'en déchargerai.Voyez vous ce berger,Dont le visage est tout couvert de pleurs,Sachez mon père, et vous ma mère aussi, Que quatre ans sont passésQu'il aime Sylvanire,Mais d'une telle amourQue je puis dire en quatre ans qu'elle dureN'avoir jamais remarqué chose en lui, Ni dans ses actions,Ni parmi ses paroles,Dont une honnête filleSe peut croire offensée.Or les dieux soient témoins, Il le sait bien lui-même,Si durant ces quatre ansJamais mes actions,Ni jamais mes paroles,Ont rendu connaissance, Ni que je reconnusse,Ni que j'eusse agréable,Cette amour estimable.Mais ne crois pas, Aglante,Que nul mépris en ait été la cause, Je sais que tu vaux mieuxQue ce que tu recherches :Le seul devoir d'une fille bien néeMe contraignait d'en user de la sorte :N'en doute point, Aglante, Car encor que je soisDans ces bois d'ordinaire,Je ne suis pas pourtantInsensible comme eux :Ta vertu, ton amour, Et ta discrétionFirent sur moi le coup que tu voulais.Ô mort ! Attends, attends encor un peu,Que je puisse finirAvant que tu finisses. Mais sachant bien que mon père et ma mèreFaisaient dessein de m'allier ailleurs,Je fis dessein aussiDe faire à cette amourUn tombeau de silence, Voulant plutôt mourirQue de contrevenirAu respect que je doisÀ ceux qui m'ont fait naître.Mais maintenant que les dieux ont voulu, Les dieux tous bons et sages,Par ma fin avancée,Tous les noeuds dénouer,Avant qu'être nouées,Du futur mariage, Et que ceux qui sur moiOnt tout pouvoir m'en donnent le congé :Saches, ami, qu'amour jamais plus grandeNe s'éprit dans un coeur,Que celle que pour toi Sylvanire a conçu,Et pour enfin partirDu tout exempte et du tout déchargéeDe cette ingratitude,Le voulez-vous tous deux ? MÉNANDRE Nous le voulons ma fille. SYLVANIRE Hélas, je n'en puis plus !Tends-moi la main, Aglante,Et la mienne reçois :Si je n'ai pu vivre femme d'Aglante, Je meurs femme d'Aglante :Le veux-tu bien berger ? AGLANTE Ô dieux ! Si je le veux ? SYLVANIRE Et vous mon père, et vous ma mère aussi,Ne le voulez vous pas ? MÉNANDRE Nous le voulons, ma fille.À quoi sert-il de le lui refuser ;Aussi bien elle est morte.Voici le dieu, Lerice,Dont jadis Sylvanire Voulait être druide,Et servir les autels. SYLVANIRE Ô dieu je meurs ! Mais je meurs bien contenteDe mourir tienne, Aglante. AGLANTE Dieux ! Elle est morte. LERICE Hélas ! Hélas ! Ma fille. MÉNANDRE Elle est morte à ce coup. AGLANTE Elle est donc morte, ô dieux !Et moi je vis encore ?Je vis encore, et j'ai devant mes yeuxLa belle qui m'appelle, Sans que j'aille après elle ? LERICE Ô dieux ! Elle est bien morte. AGLANTE Ah Sylvanire ! Hélas est-il possibleQue tu me sois ravie,Sans qu'on m'ôte la vie ? Faut-il que le momentQue mienne il te plût d'être,Ait été le momentQue mienne, hélas ! Tu ne puisses plus être ?Injuste ciel ! Injuste destinée ! Injuste amour ! Injuste mort, hélas !Hélas qui ne dira,Que dans le ciel il n'est point de justice ;Que le destin injustement ordonne ;Que sans justice amour conduit les siens, Et que la mort est injuste envers moi ?Puisque le ciel, et l'inique destin,Et l'amour, et la mort,Consentent que je perde,Sans toutefois mourir, Celle que sans mourirMon coeur jamais, jamais ne devait perdre.Ô ciel rendez-la moi,Rendez-la moi destins ;Amour, si toutefois Sylvanire étant morteQuelque amour reste encore,Rends-la moi, cette belleQue la mort m'a ravie :Et toi mort rends-la moi, Ou me reçois pour elle.Ah Sylvanire ! Écoute ton berger,Et reviens-t-en vers moi,Ma chère Sylvanire,Ou m'emmène avec toi. MÉNANDRE Ô dieux ! Elle revient,Les dieux auraient-ils bienTa juste voix ouïe ? LERICE Elle revient sans doute. AGLANTE Finissez, ô grands dieux ! La grâce commencée. MÉNANDRE Cessons les pleurs, et puisqu'il plaît au cielLui redonner quelque signe de vie,Emportons-la dedans notre cabane,Plus aisément nous pourrons soulager La grandeur de son mal :Aglante donne moiTes mains, et les attache,Je te supplie, aux miennes,Nous en ferons un siège Afin de l'emporter,Cependant que Lerice,Accompagnant nos pas,Gardera par hasardQu'elle ne tombe pas. SYLVANIRE Hélas mon père ! Hélas mon cher Aglante,Que de peine je donneÀ qui je dois rendre tant de service. AGLANTE Ô douce peine ! Ô glorieux travail !Ô cher fardeau, qui rends Aglante heureux ! Heureux trois fois Aglante,Qu'amour a destinéÀ ce mystère saint,De porter en ces brasTout ce que le flambeau Du soleil vit jamaisDe plus rare et plus beau. SCÈNE VII. FOSSINDE Vraiment grand est son mal,Je crois qu'elle en mourra :Combien elle est changée, Que la beauté dont on fait tant de casEnfin est peu de chose,Un bouton le matinQui s'éclot au midi,Et qui le soir se fane, Et c'est bien pour celaQue j'estime peu sagesCelles à qui le cielA fait un tel présent,Et qui le laissent perdre, Puisqu'il dure si peu,Sans s'en vouloir servir.Voyez vous Sylvanire,C'est de Lignon la plus belle bergère,Mais la plus insensible Aux traits d'amour de toutes les bergères,Elle n'aima jamais,À ce que chacun dit ;Et n'est-ce pas dommageQu'elle ait eu ce visage, N'ayant su, l'imprudente,Ou n'ayant pas vouluS'en servir à l'usagePour lequel il est fait ?Or la voilà maintenant bien payée, Elle a vécu, mais telle que l'avare,Qui pour ne s'en servirAux entrailles profondesDes lieux moins fréquentés,Idolâtre de l'or Va cachant son trésor :Idolâtre de mêmeDe ta beauté, cache-la maintenantDans la tombe relante,Garde-la pour Pluton, Ou pour ces vains fantômesQui courent toute nuitÀ l'entour des tombeaux.Ô folle ! Les grands dieuxOnt la beauté faite pour les vivants, Et les os pour les morts :Et c'est pourquoi leur justice est très grandeDe te l'ôter, comme ils font maintenant,Ne voulant pas en user comme il faut.Ô ! Si les dieux d'une main libérale M'avaient rendue aussi belle que toi,Et que Tirinte eut de l'amour pour moi,Je jure qu'aujourd'hui,S'il était tout à moi,Je serais toute à lui. SCÈNE VIII. Tirinte, Fossinde. TIRINTE Mais où le trouverai-je ?Ce traître, ce perfide,Où le rencontrerai-je ?Il a beau se cacher :Quand les profonds abîmes Du centre de la terreL'auraient couvert, je le découvrirai,Et je le punirai,Sans que l'enfer, ni le ciel, ni la terreLe sauve de mes mains. FOSSINDE Il est bien en colère. TIRINTE Ah ! Le cruel qu'il estD'un même coup il en fait mourir deux,Deux innocents qui ne crurent jamaisLui faire déplaisir : Mais qu'il s'assure, et je le lui promets,Qu'avec ces deux, que traître il fait mourir,Il sera le troisième,Si Tirinte le trouve,Ou ce fer ne voudra, Du sang abominableAyant horreur, se teindre par mes mains. FOSSINDE Il est tout vrayi que sa colère est grande,Il le faut divertir,Je ne puis m'empêcher, Quoi qu'il me sache faire,De le chérir toujours.Ô qu'il est difficileDe se désembrouillerDe ce brouillon d'amour ! Holà Tirinte, et d'où vient ce courroux ?D'où vient cette furie ?Veux-tu mal à quelqu'un ?Dis-le moi, tu verrasSi je suis prête à faire tes vengeances. TIRINTE Eh laisse moi ! Te voici revenue. FOSSINDE Oui je suis revenue,Mais c'est pour te servir. TIRINTE Va si loin que jamaisTu ne puisses venir. FOSSINDE Long serait le voyage :Mais je vois bien que le courroux t'emporte ;Quelqu'un t'a-t-il fâché ?Dis-le moi, je te prie. TIRINTE Oui quelqu'un m'a fâché, Me fâche, et fâchera,Tant que Fossinde ici demeurera. FOSSINDE Est-ce donc FossindeQui te fâche si fort ? TIRINTE Plus cent fois que la mort. FOSSINDE Ô qu'elle est malheureuse ! TIRINTE Malheureuse à son dam,Mais au mien très fâcheuse. FOSSINDE Tu ne l'aime donc pas ? TIRINTE Ainsi que le trépas. FOSSINDE Et cette inimitiéToujours durera-t-elle ? TIRINTE Je la tiens immortelle. FOSSINDE Et cela, mais pourquoi ? TIRINTE C'est pour l'amour de toi. FOSSINDE Ah Tirinte ! TIRINTE Ah Fossinde ! FOSSINDE Tu ne m'aimeras point ? TIRINTE Point. FOSSINDE Point, mais du tout point ? TIRINTE Point, point, et du tout point,Et crois-le si tu veux. FOSSINDE Qui telle inimitiéA mise entre nous deux ?Entre nous deux, je faux,Tu sais bien que je t'aime.Mais qui te peut tant éloigner de moi ? TIRINTE Toi. FOSSINDE Moi, comment ? TIRINTE Qui le peut, sinon toi ?Toi de toutes les fillesLa fille plus fâcheuse,Et la plus importune ? Ne vois-tu pas, Fossinde,Que j'ai l'esprit ailleurs,Que j'ai d'autres desseins,Laisse-moi je te prie.Dieux ! Faut-il que le ciel, Avec tous mes ennuis,Encore me surchargeD'un faix insupportable.Va-t-en, je te supplie,Va-t-en, je te conjure Par la plus importuneQui fût jamais, et ce sera par toi. FOSSINDE Et bien je m'en irai,Insensible berger,Oui, oui, je m'en irai, Et peut-être de sorteQu'avant que je revienneAmour m'aura vengée.Va cruel, va sauvage,Va barbare, va tigre, Va-t-en âme de fer,Va coeur de diamant :Aime, aime, qui ne t'aime,La haine enfin, puisque l'amour ne veut,Me vengera de toi : Mais très juste est la loi,Qui venge l'innocentSur la coupable tête,Avec le même ferDuquel l'offense est faite. SCÈNE IX. TIRINTE Que les dieux soient loués !Enfin elle s'en va,Peut-être qu'à ce coupJ'en serai déchargé,De cette babillarde, Ce n'est pas sans raisonQu'on dit heureux celuiQui rencontre pour femmeUne cigale. On dit que la femelleDe nature est muette : Que plût à Dieu que Fossinde fut telle :Ô l'importune fille !Et puis encor par forceElle veut être aimée.Mais à quoi pensons-nous ? Que faisons nous ici ?Que n'allons-nous chercherCe traître et ce perfide,Qui sous le nom d'amiM'a fait dedans le coeur La plus cruelle et profonde blessure,Qu'ennemi saurait faire ?À quoi retardons-nous ?Allons sacrifierSon sang à la vengeance. SCÈNE X. Le messager, Tirinte. LE MESSAGER C'en est fait, je l'ai vueAvec mes propres yeuxMettre dans le tombeau. TIRINTE Dans le tombeau, dit-il,De Sylvanire il parle ; Puisqu'elle est morte, ô dieux ! Il faut mourir :Mais avant que mourirIl nous la faut venger,Cette belle innocente,Et porter aux enfers Le sang de ce perfide,[Note : Mânes : terme poétique qui signifie l'ombre ou l'âme des morts. [F]]Pour apaiser ses mânes offensées. LE MESSAGER Elle est morte, il est vrai,Cette belle bergère :Qui jamais eut pensé Qu'une beauté si grandeSe fut si tôt perdue ? TIRINTE Avant ma mort encore veux-je entendreLa cause de ma mort,Et savoir misérable, Puisque j'ai fait le mal,Comment il s'est passé.[Note : Rengréger : Augmenter, en parlant du mal des maladies. [L]]Ce sera rengrégerMa douleur davantage :Or sus prenons courage, Apprenons de sa mort,Ou bien plutôt de notre propre mortL'accident déplorable.Berger, dis-moi, de qui plains-tu la perte ? LE MESSAGER De Sylvanire, et cela te suffise. TIRINTE Donc Sylvanire est morte ? LE MESSAGER Au tombeau on l'emporte,N'en doute nullement. TIRINTE Hélas ! Berger, raconte-moi comment. LE MESSAGER Je le ferai : mais si d'un dur rocher, Ami, tu n'as le coeur,De bonne heure prépareTes yeux aux pleurs, ta poitrine aux sanglots,Et ta voix à la plainte.Soudain qu'au lit cette fille fut mise, Belle comme un soleil,Mais un soleil dont les rays affaiblisPassent à peine à travers de la nue,Son mal lui redoubla.Autour du lit à grands ruisseaux de larmes Et Ménandre et LericeAccompagnaient son mal :Mais un berger qu'Aglante l'on appelle. TIRINTE Ah ! Je le connais bien. LE MESSAGER Toujours au plus près d'elle, Ne jetait pas une source de pleursComme faisaient les autres,Mais bien plutôt un océan de larmes,Dont il noyait les mains de Sylvanire :Mais si ses yeux à tous faisaient pitié, Ses regrets et ses plaintesDoublement arrachaientDes regrets et des plaintesDe la bouche et du coeurDe ceux qui l'écoutaient ; Hélas ! Ce disait-il,Ô parques inhumainesPourquoi m'épargnez-vousLa faveur de vos coups ?Qu'est-ce parques, hélas ! Qu'est-ce que j'ai commis,Et ma foi si fidèle,Que votre ardent courrouxNe me prenne avec elle ?Hélas ! Vous savez bien Que nous sommes unis,Et pourquoi désunirCe qu'un vouloir assemble ?Ah ! Prenez-nous ensemble,La victoire en sera Plus belle et plus entière,Et vous ferez qu'avec un coup si beau,Ce que ne peut la vieL'aura pu le tombeau.Que si vous ne le faites, Aussi bien cette mainM'octroiera cette juste requête.Ainsi disait le désolé berger,Et d'un oeil égaré,Jetant autour sa vue, Semblait déjà de regarder la mort.Elle de qui la mainÉtait entre les siennes,Faisant effort un peu la releva,Et la posant dessus les yeux d'Aglante, Comme ne voulant voirCes yeux pleins de fureur,Qui jadis voulaient êtreSi remplis de douceur,À toute force ouvrit sa belle bouche. "Vis, ami, lui dit-elle,Le ciel l'ordonne ainsi ;Ainsi le veut aussiTa chère Sylvanire :Que si mourant encore auprès de toi Du crédit il me reste,Je te commande, Aglante,De ne jamais attenter sur ta vie,Car ta vie est aux dieux,Aux dieux tu la dois rendre Alors qu'ils la voudront,Et non à ta douleur.Contente toi, que Sylvanire est tienne,Et que jamais autre elle ne sera :Conserve toi l'amour que je te porte, Et je conserveraiLa tienne dans mon âme.Ainsi dedans ton coeurJe vivrai sur la terre,Et dans le mien tu vivras dans les cieux. Avec ce penserAmi console-toi,Et surtout aime-moi,Car je meurs tienne, Aglante." TIRINTE Ah fortuné berger, Heureux en ton malheur ! LE MESSAGER En ce point un soupirQui lui ravit la voixAvec le nom d'Aglante,Ravit aussi sa vie. TIRINTE Sylvanire est donc morte ? LE MESSAGER Elle est morte, berger. TIRINTE C'est honte que de vivreAprès un tel malheur :Allons, allons mourir : Mais avant que mourirFaisons-en la vengeance. LE MESSAGER Ô dieux ! Que fera-t-il ?Il s'en va transportéOù la rage l'emmène. Conduisez-le grands dieux.Il aimait cette fille,Mais qui ne l'aimait pas ?Quant à moi je m'en vaisSon deuil accompagner, Chacun lui doit ce pitoyable office.Combien de jeunes coeursIront suivant ce deuil,Puis avec elle entreront au cercueil. LE CHOEUR Plus je cherche en moi-même Que c'est qu'amour, et moins je le connais :Qu'il soit dieu je le crois,Sa force est trop extrême :Mais s'il est dieu, commentSouffre-t-il que l'amant Dont l'âme est sa sujetteÀ l'honneur se soumette ?Non, il est sans puissance,Ou pour le moins sans nul ressentiment :Mais s'il est vrai, comment Sous son obéissanceVoit-on les plus grands dieuxSe rendre, pour les yeuxDe nos simples bergères,Déités bocagères ? Comment peut-il produire,S'il n'est pas dieu, des miracles si grands,Que tous les jours j'apprends ?Il fait ce qu'il désire,D'un changement divers, Dans tout cet univers,En dépit de nature,Et faut qu'elle l'endure.Il va changeant les âgesComme il lui plaît, les vieux il rajeunit, Des jeunes il ternitEt ride les visages :S'il veut tout ce qu'il peutIl peut tout ce qu'il veut,Et nulle résistance N'égale sa puissance.Que s'il semble au contraire,Mais rarement, que l'amant quelquefoisObserve d'autres loisQue la sienne ordinaire ; C'est pour faire mieux voirUn plus entier pouvoir :Car quoi qu'il en puisse êtreIl est enfin le maître. ACTE V SCÈNE I. AGLANTE Pleurer, mais que sert-il De pleurer un malheurQui n'a point de remède,Et dont la guérisonEn la mort est remise ?Car telle est la grandeur Du mal qui me travaille,Que quand tout l'océanSe changerait en larmes,Et que j'aurais au frontAutant d'yeux, que le ciel A de feux qui l'éclairent,Mes larmes ne sauraientÉgaler ma douleur,Ni ma douleur encoreÉgaler mon malheur. On dit que la natureProduit de certains fruits,Dont qui goûte une foisNe voit jamais tarirLa source de ses pleurs : Hélas ! Puisque le cielEt mon cruel destinL'ordonnent de la sorte,Et qu'il faut que je pleureJusques dans le cercueil La perte que j'ai faite :Plut-il au ciel, plut-il à mon destin,Que j'eusse de ces fruits,Pour ne manquer non plusDe larmes et de pleurs Tout le temps de ma vie,Que tant que je vivraiJamais ne manqueraLe sujet misérable,Que mes yeux ont de sans cesse pleurer. L'impitoyable ParqueA donc fermé tes yeux,Et tes beautés n'ont peuEmpêcher le destinDe finir ta journée Dès son plus beau matin ?Est-il donc, bien vrai,Que celle qui donnaitÀ mille coeurs la vieSoit morte, ou pour le moins Ne vive plus, si ce n'est en mon coeur ?Je ne l'eusse pas cru ;La raison au contraireHélas ! M'eût fait jurer,Que toi vivant en moi, Et moi vivant en toi,Pour te faire mourirIl me fallait tuer,Et te ravir la viePour me donner la mort. Mais hélas ! Je vois bienQue seulement les forces de l'amourJ'allais considérant,Non celles de la mort,De la mort qui toujours À désunir les choses plus uniesSe plaît et s'étudie.Mais fatale Atropos,[Note : Deseignier : Dépouiller d'un signe, d'une marque [CNRTL]]Puisque tu desseignaisLa mort de Sylvanire, D'où vient, hélas ! Que seulement son corpsSoit mis dans le tombeau,Et qu'en mon coeur vive encore son âme ?Hélas ! pourquoi dans un même cercueilN'enfermes-tu le corps D'Aglante qui t'en prie,Puisqu'elle vit en lui,Pour en avoir une victoire entière ?Ah ! Je vois bien pourquoi tu ne le fais ;C'est, Atropos, que de m'ôter la vie Serait, hélas ! Une oeuvre pitoyable,Et que nulle pitiéNe peut trouver place dedans ton âme.Mais, fière Parque, à qui veut le trépasIl est bien malaisé De le lui refuser,Je ferai bien paraîtreQue si les dieux sans que nous le sachions,Nous font venir au monde,Et nous donnent la vie, Que nous pouvons, lorsque nous le voulons,La quitter cette vie,Et que pour en sortirOn peut trouver toujours quelque passage,En ayant le courage. Mais avant que mourir,Allons voir le tombeauRiche de nos dépouilles :Noyons-le de nos pleurs,Afin que comme il a Nos flammes par dedans,Par le dehors il ait aussi nos larmes :Larmes qu'hélas ! Mes yeux ne finirontQu'en finissant ma vie.Ô bienheureux tombeau ! De qui la froide pierreTant de flammes enserre,Tu n'es pas le séjourComme les autres sontDe cendres amorties, Mais de cendres de feu,Mais de cendres si vives,Qu'amour encore y brûle tout d'amour.Oui, je les sens, hélas ! Ces mêmes flammes,Dont autrefois mon coeur voulait brûler ; Moins douces, il est vrai,Mais non pas moins ardentes ;Beaucoup moins supportables,Mais non pas moins aimables.Rends-moi, tombeau, si ma pitié te touche, Ce que tu me retiens,Ou si tu ne le veux,Au moins prends nous tous deux,Et renferme mon corpsOù tu retiens mon coeur, Et qu'ainsi je sois misDessous la même pierre,Imitant le lierreÀ son ormeau serré,Qui par la mort de l'arbre N'en est point séparé.Et cependant reçois,Pierre sainte et sacrée,Mes soupirs et mes larmes,Et reçois les baisers Qu'ensemble je te donne :Donne les ces baisersÀ ces cendres d'amourQui reposent en toi,Présente les ces larmes À celle que jamaisMon coeur ne cesseraD'aimer et d'adorer,Ni mes yeux de pleurer :Mais à qui mes discours, Ô dieu ! Vais-je adressant ?À l'insensible pierre,À l'insensible mort,Au destin insensible,Qui n'écoutent jamais Nos cris, ni nos regrets ?Mais si PygmalionObtint jadis qu'un marbreReçut le sentiment,Aglante aimes-tu moins Que ce Pygmalion,Pour animer encor ce monument ?Et si jadis OrphéePût de la mort retirer EurydicePar son chant pitoyable, Ton malheur déplorable,Ô malheureux Aglante !Te fournira-t-il moinsDe soupirs et de larmes,De regrets et de plaintes, Pour retirer aussiDe la mort à la vieCelle qu'on t'a ravie ?Hélas ! Ce sont discours,Ce sont des vaines fables Tout ce qu'on va disant,Et de Pygmalion,Et du congé qu'OrféeEut de revoir encor sa bien aimée :Jamais, jamais, deux fois, Pour passer l'Acheron,L'on ne paye à Charon.Que la descente aux enfers est aisée,Mais rappeler ses pasEt remonter en haut, C'est là l'oeuvre et la peine.Et quand tous les humainsCent et cent fois encorePourraient bien revenirEt reprendre leur corps, Le malheur est si grandQui te poursuit, Aglante,Qu'il ne faut espérerQu'il soit permis pour ton contentementÀ celle que tu plains, Et contente toi d'êtrePhoenix en ton malheurAinsi qu'en ton amour.Donc puisqu'il est ainsi,Dieux ! Qu'il ne l'est que trop, Qu'est-ce que tu veux faireDe conserver plus longtemps cette vie,Qui ne te reste plusSinon pour prolonger,Sans aucune allégeance, La douleur qui t'offense.Ah ! Meurs, ah ! Meurs, Aglante,Sylvanire t'appelle,Ne veux-tu pas la suivre,Et cesser de languir Cessant aussi de vivre ?Si fais, tu le veux bien,Aussi l'amour avec le courageT'oblige à ce voyage.Allons donc, ô mon coeur, Non point avec transport,Mais résolus de rencontrer la mort,Elle nous sera douce,Puisque déjà Sylvanire la belleMourant l'a faite telle. Et vous, ô chères cendres,Qui dedans ce cercueilMaintenant reposés,Et vous qui m'écoutezDu plus profond des cieux, Ô de ma SylvanireÂme sainte et sacréeRecevez de mes larmes,Et de mon sang le dernier sacrifice :Jamais larmes ni sang, Et des yeux et du coeurD'un plus fidèle amant.Amour ne tirera,Que les pleurs et le sangQue maintenant le mien vous offrira. SCÈNE II. Aglante, Echo. AGLANTE Mourons, mourons, Aglante :Hâtons-nous, hâtons-nous :Quoi que nous puissions faire,Pour devancer un désastre si grandNous ne mourrons jamais assez à temps. ECHO Attends. AGLANTE Attends, et qui me ditMaintenant que j'attende,Maintenant que je voisAu dernier point mes malheurs parvenus ? ECHO Venus. AGLANTE Vénus mère d'amour, Amour qui ne se plaîtEn tout ce qu'il prometSinon d'être infidèle ? ECHO Elle. AGLANTE Elle, ne dis-tu pas ?Et qui se fierait À la mère infidèleD'un enfant si trompeur ?Que dois-je plus attendre,Et quoi plus espérer ;Si seulement je ne puis plus la voir ? ECHO L'avoir. AGLANTE Comment l'avoir si la mort l'a ravie ?Il est éteint le soleil de nos yeux,Il est dans le tombeau,Et son aurore à nos yeux plus ne point. ECHO N'est point. AGLANTE Menteuse voix, maudit qui te croira : Ces yeux dont je la pleureL'ont vue, hélas ! Dedans la sépulture :Et tu me dis que morte elle n'est point ?Trompeuses espérances,Promesses infidèles, Ce sont les paiementsQu'amour donne aux amants :Mais ne l'écoutons plus,Le perfide qu'il est,À la mort, à la mort, Allons, Aglante, allons,Sans qu'autre espoir nous vienne plus flattant. ECHO Attends. SCÈNE III. Tirinte, Alciron. TIRINTE Peut-être de mes mainsTu penses d'échapperPar ces belles promesses, Berger tu te déçois,Tu n'éviteras pasLa justice du ciel,Ni celle qu'en la terreLes hommes en feront. ALCIRON Comme le ciel tourne quand il lui plaîtNos desseins à rebours,Pour te complaire et te rendre une preuveDe mon affection,Je t'ai donné, Tirinte, Un trésor que j'avais ;Mais un trésor si grand et précieuxQue peut-être la terreN'en a point un plus grand :Et je vois au contraire Qu'au lieu de t'obligerÀ me vouloir du bien,Ce don est cause, ô dieu qui le croira !Que le plus grand amiQue j'avais en ce monde Se soit rendu mon plus grand ennemi. TIRINTE Mais comment peut-il êtreQue ce miroir soit tel que tu le dis ?Que s'il est vrai qu'il ait cette puissance,Pourquoi, berger, quand tu me l'as donné Me l'aurais-tu cachée ?Non pour certain ce ne sont que paroles,Dont tu penses encoreMa créance abuser. ALCIRON [Note : Abuseur : Celui qui abuse, qui trompe. [L]]Je ne suis point abuseur ni trompeur, L'effet bientôt te le fera connaître ;Car celle que tu pleuresN'est pas, berger, morte comme tu crois,Ce miroir précieuxD'une vertu secrète L'a de sorte assoupie,Que chacun la croit morte. TIRINTE Mais est-il bien possible ? ALCIRON Écoutes-en, berger,L'histoire véritable. J'eus ce miroir de l'homme le plus finQui fut dessus la terre,Il se nommait Climanthe,Grand artisan d'erreur et de mensonge :Ce berger amoureux D'une jeune bergère,Mais qui ne l'aimait guère,Me donna ce miroir,De peur que je ne diseÀ chacun sa malice : Après que j'eus reconnu par l'effetQuelle était sa vertu :Car cette jeune fille,Et je dis vrai, Tirinte,Quoi qu'il semble incroyable : Cette fille, te dis-je,N'eut pas plutôt cette glace aperçue,Qu'un poison aussitôtOccupant son cerveauJe la vis assoupir D'un si profond sommeil,Que quant à moi je la crus être morte :Mais lui qui se moquaDe mon étonnement,Soudain qu'il le voulut, Soudain elle revint,Et puis soudain encoreLe lui faisant revoirElle se rendormit. TIRINTE Étrange effet que celui que tu dis ! ALCIRON Et tant de fois il la fit éveiller,Puis rendormir, puis réveiller encore,Qu'à la fin elle crut,Ne sachant l'artifice,Que le vouloir des dieux Étoit qu'elle l'aimât,Ou qu'il fallait mourir,Et cette opinionLa contraignit, quoi qu'elle y resistat,De se donner à lui, Tant le désir de vivreEst puissant dessus tous.Admirant la vertuDe ce divin miroirJe le voulus avoir, Et je l'eus à la fin.Mais bien à contre-coeurDe qui me le donnait,Et n'eut été la crainte de la perdre,Cette jeune bergère Qu'il avait abusée,Et d'être encor puniD'une telle malice,Si les sages druidesEn eussent eu la plainte, Il est certain, je ne l'eusse pas eu.Mais s'y voyant contraint :Or écoute, Alciron,Ce présent, me dit-il,Est peut-être plus grand Que tu ne penses pas :Tiens-le bien cher, et crois qu'en l'universOn ne saurait en trouver un semblable.La glace du miroirEst faite d'une pierre [Note : Mémenphitique : Qui appartient à Memphis. [ville d'Egypte.][L]]Qu'on nomme memphitique,Elle assoupit les sensAussitôt qu'on la touche,[Note : Torpille : Genre de poissons cartilagineux plagiostomes voisins des raies, ayant un appareil électrique sur les côtés de la queue et donnant une commotion à ceux qui les touchent. [L]]Et du poisson, que torpille on appelle,La quintessence extraite par le feu Mêlée à cette pierre,A tellement la glace empoisonnée,Qu'aussitôt qu'on la voitOn perd le sentimentTout ainsi qu'au trépas. Car la torpille est de telle nature,Que qui la touche avec une baguette,Voire avec l'hameçon,Ressent soudain un assoupissementPar tout le bras, et puis du bras au corps, Va serpentant d'une veine en une autreLe poison endormi.Mais lorsqu'on veut on rappelle les sensPar cette eau composée,Dit-il me la donnant, De celle du citron,Et de simples divers,Dont par expérienceLa vertu j'ai connue.Or maintenant, Tirinte, réponds-moi, Si je t'ai fait présentDe ce miroir si rare,As-tu raison de me traiter ainsi ;Puisque l'amour que vraiment je te porteM'a dépouillé de ce riche trésor ? Ô des ingratitudesLa mère ingratitude ! TIRINTE S'il est ainsi, n'as-tu pas tort, Berger,De ne me l'avoir dit ? ALCIRON En ceci même encor mon amitié Se voit plus clairement :Je ne te l'ai pas dit,Parce que je craignaisQu'il te manquât la résolutionDe l'oser entreprendre. Penses-tu bien, Tirinte,Que je ne sache pasJusques où vont les forcesD'une puissante amour ?Que si je t'eusse dit, Soudain que SylvanireAura vu ce miroir,Avec mille douleursElle tombera morte,Ou pour le moins elle semblera telle, On la mettra dans le fond d'un cercueil,Sonde bien ton courage,Et puis me dis, Tirinte,Si ton affectionEut permis à ton coeur De l'oser entreprendre,Et cela n'étant pasDis-moi, dis-moi, Tirinte,Par quel moyen eusses-tu pu l'avoir,Ta chère Sylvanire ? Car de son gré tu n'y dois point prétendre,Tu ne le sais que trop,Et toutefois tu ne voulais plus vivreSi tu ne l'obtenais. TIRINTE Mais comment prétends-tu, Quand tout ce que tu disSerait bien véritable,Qu'elle peut être mienne ? ALCIRON Qu'elle peut être tienne,Qui te la peut ôter ? Chacun ne croit-il pasQue Sylvanire est morte ?Qui saura qu'elle soitMaintenant en tes mains ?Vois-tu, Tirinte, il n'en faut point douter, Sylvanire est à toi,Alciron te la donne,Sache-toi bien servirDu présent qu'il te fait. TIRINTE Il est donc bien vrai Que morte elle n'est pas ? ALCIRON Tu ne crois pas encoreCe que dit ton ami ?Quelle incrédulité ! TIRINTE S'il est ainsi, que retardons nous plus ? Allons, ô cher ami,Allons d'entre les mortsRetirer promptementCelle dont la beautéNe doit jamais mourir. ALCIRON Nous n'irons pas fort loin,Car c'est ici le lieuOù l'on l'a mise. TIRINTE Et comment le sais-tu ? ALCIRON Eh ! Je le sais, parce que je l'ai vue ; Et lorsqu'on l'y mettaitJ'y voulus assister,Pour voir si de fortuneOn ne lui faisait pointDu mal en l'enterrant, Car je l'eusse empêché :J'ai plus de soin de ton contentementQue tu ne penses pas. TIRINTE En quel état est elle ? ALCIRON Tu la verras bientôt : Mais sache cependantQue Ménandre et LericeL'aiment de telle sorte,Qu'ils ne purent souffrirQue l'on la dépouillât : Mais toute ainsi vêtueQu'elle s'était trouvée,Toute telle ils voulurentQu'on la mit au cercueil,Un linge seulement Lui couvre le visage,Et ce fut moi qui lui fis cet office,De peur que la poussièreNe lui fit quelque mal. TIRINTE Quelle obligation En tout ceci, berger, ne t'ai-je point ? ALCIRON Quand tu verras la belle SylvanireÊtre du tout à toi,Tu pourras dire alorsQue tu m'es obligé : Mais maintenant allons, Tirinte, allons,Ne perdons plus de temps,Le temps en tout affaireDoit être cher, mais plus en celui-ciQue peut-être en tout autre : Mais approche, voiciL'endroit où l'on l'a mise. TIRINTE Heureux tombeau ! Mais non,Plutôt heureux séjourOù l'amour a remis Tout ce qu'il eut de beau,Où ses trésors pour plaisir il enserre,Où mille coeurs ensemble renfermés,Et bref où tout mon bienOu tout mon mal demeure. [Note : L'édition Honoré Champion ne fait qu'un vers : 'Et bref où tout mon mal demeure' au lieu des deux vers précédents]Gardien glorieuxDe tout ce que la terreA de plus précieux,Rends-le moi ce trésor,Sans qui je ne puis vivre, Et montre toi fidèle à me le rendre,Comme tu fus heureuxLorsqu'on te le fit prendre. ALCIRON Tirinte ces discoursSont hors de temps, à loisir tu pourras Les raconter quand l'oeuvre sera faite :Si quelqu'un survenait,Encore que ce futLe moindre des bergers,Il rendrait notre peine Toute inutile et vaine. TIRINTE Que veux-tu que je fasse ? ALCIRON Ôtons d'ici la pierre. TIRINTE Ô dieux qu'elle est pesante !J'ai grand peur, Alciron, Que cette pesanteurNe l'ait bien offensée. ALCIRON L'amour craint tout, car il est un enfant :Ne vois-tu que la pierreRepose sur les quatre Qui lui sont au dessous ?Or sus relevons-la,La morte-vive, et moquons nous de ceuxDont les ruisseaux de pleursCette pierre ont noyée. Mais aide-moi, Tirinte,Qu'est-ce que tu fais làPlanté dessus tes piedsComme un terme insensible ?Aide-moi si tu veux. TIRINTE Ah ! Trompeur elle est morte. ALCIRON Je te dis qu'elle dort. TIRINTE Oui d'un sommeil de mort. ALCIRON Si morte tu la crois,Tu diras que bientôt Elle est la morte-vive :Mais ne perds point le temps,Approche je te prie,Car je ne puis la soutenir ensembleEt l'arroser, comme il faut que je fasse. TIRINTE Ô dieux qu'elle est bien morte ! ALCIRON Soutiens-la seulement,Et tu verras bientôt,Qu'ainsi que je t'ai dit,Elle est la morte-vive. TIRINTE La morte-vive hélas ! Fut Sylvanire,Et que Tirinte en sa place fut mort. ALCIRON Tirinte et SylvanireVivront, si bon leur semble,Bientôt tous deux ensemble. TIRINTE Ah garde que cette eauNe gâte son beau teint. ALCIRON Tu crois qu'elle soit morte,Et tu crains toutefoisQu'on lui gâte le teint : Ô de l'amour enfantCrainte et peur enfantine !Laisse-la peur, Tirinte,Tu l'auras toute belle,J'aimerais mieux la mort, Qu'à sa beauté faire le moindre tort. TIRINTE Ô dieux ! Elle revient. ALCIRON Ne te l'ai-je pas dit ?Une autre fois, peut-être,Tu croiras Alciron. TIRINTE Ô dieux ! Elle respire. ALCIRON Diras-tu pas aussi bien comme moi,Qu'elle est la morte-vive ? TIRINTE La morte-vive est-elle,Et des heureux bergers Le berger plus heureux,Par ton moyen, se peut dire Tirinte.Elle entr'ouvre les yeux. ALCIRON J'ai satisfait à ce que j'ai promis,Voilà ta Sylvanire, Voilà la morte-viveQu'en tes mains je remets :Saches-toi prévaloirD'une telle fortune :Que si tu ne le fais Ne te plains jamais plusD'autre que de Tirinte.Souviens-toi de trois choses,Ne perds le temps, ne crois à ses paroles,Ni moins de la fléchir : Car si tu ne me crois,Tu diras avec moi,Ta faute regrettant,L'occasion est chauve,Et des belles bergères Les douces flatteriesSont toutes mensongères :Et pour conclusionTe voyant rejeté,Et quelqu'autre obtenir Avec moins de mériteLe bien que tu désires,Tu diras, mais trop tard,La femme la mieux faiteA le soleil aux yeux Et la lune en la tête. SCÈNE IV. Sylvanire, Tirinte. SYLVANIRE D'où viens-je, ô dieux ! Et de quelle lumièreVois-je encor la clarté,Qui me rappelle au mondeUne seconde fois Outre mon espérance ?Ou bien dans le cercueilVoit-on un autre jour,Voit-on un autre ciel,D'autres ruisseaux, d'autres prés, d'autres arbres, D'autres bergers, et bref un autre monde ?Où suis-je, ô dieux ! Que suis-je, vive ou morte ?Vive, non, je mourus,Et l'on ne revit plus :Morte, non, car je vois, Et je parle, et je marche :Dieux ! Qu'est-ce que ceci ?Serait-ce point peut-êtreCette seconde vieDont parlent nos druides ? Ah ! Non, ce ne l'est pas,Car nous laissons le corpsAvec le trépasDedans la sépulture :Et voici bien le corps Que je voulais avoir,Voici mes mains, voici mes pieds encore,Voici mon même habit,Et bref me voici touteComme je coulais être Avant que je mourusse.Qu'est-ce donc que de moi ?Quel air, quel ciel, quel monde,Quelle terre, et quels lieuxSont ceux où je me trouve ? Mais quel est ce berger ?Je vois bien là Tirinte. TIRINTE Tirinte, tu te trompes. SYLVANIRE Et qu'es-tu donc pasteur ? TIRINTE Je suis ton serviteur. SYLVANIRE Ainsi disait AglanteLorsque j'étais au monde. TIRINTE Ô dieux ! Encore AglanteEst parmi ses pensées. SYLVANIRE Mais dis-moi, je te prie, En quel lieu maintenantSe trouve Sylvanire ? TIRINTE Dans le coeur de Tirinte. SYLVANIRE Tirinte le berger,Qui vivait en forêts Lorsqu'aussi j'y vivais ? TIRINTE C'est celui que tu vois. SYLVANIRE Est-il mort comme moi ? TIRINTE Il mourut en ta mort,Et revit avec toi. SYLVANIRE Revivre avec moi,Et ne suis-je pas morte ? TIRINTE La mort fléchit à mon amour trop forte. SYLVANIRE Explique-moi ce que tu dis, berger,Car je ne t'entends pas. TIRINTE À ce coup mon amourA vaincu le trépas ;Et vois-tu, Sylvanire,Combien elle surpasseToute autre affection ; Lorsque la mort pensa t'avoir acquise,Et qu'au cercueil elle crut t'avoir mise,Je fis changer cette mort en sommeil,Et ton trépas en gracieux réveil,De sorte Sylvanire Que chacun te peut direLa morte-vive, étant plus que certainQue tu mourus, sans toutefois mourir,Et qu'on me peut nommerAu contraire de toi Le vivant mort. Ô miracle d'amour !Car vivant je mourusD'un trop extrême deuil,Dès que je sus qu'on te mit au cercueil. SYLVANIRE Ô dieux ! Berger avec tes paroles Tu m'embrouilles l'espritPlus qu'il n'était encore :Comment ton amitiéA-t-elle pu cette mort surmonter,Qui remporte sur tous L'infaillible victoire ?Et comment as-tu puFaire changer cette mort en sommeil ?Pour moi je te confesseQue je ne l'entends pas, Si tu ne me le disAvec d'autres paroles. TIRINTE Écoute donc, bergère trop aimable,Et trop aimée aussi ;Écoute, et tu sauras Jusqu'où peut arriverL'amitié de Tirinte.Après avoir diverses fois tentéTous les moyens, qu'une amour trop extrêmePeut faire retrouver Au coeur qui sait aimer,Pour vaincre ton courage :Et les ayant trouvésInutiles et vains,Enfin je recourus, Pardonne, Sylvanire,À la ruse et maliceD'un plaisant artifice :Te souviens-tu, bergère, du miroirQue je te présentai ? SYLVANIRE Oui, je m'en ressouviens. TIRINTE Tel était ce miroir,Que ceux qui s'y voyaientDe telle léthargieIls étaient assoupis, Que chacun eut pensé,Les voyant en ce point,Qu'ils eussent été morts,Telle tu fus jugée,Et pour telle remise Dans ce tombeau voisin. SYLVANIRE Et quel fut ton dessein ? TIRINTE Mon dessein, Sylvanire,Je ne te le puis dire. SYLVANIRE Mais je le veux savoir. TIRINTE Amour bientôt te le fera bien voir. SYLVANIRE De toi, berger, je désire l'entendre,Et non pas de l'amour. TIRINTE Si l'amour te le dit,C'est Tirinte toujours : Et si je te le dis,Aussi bien est ce amour.Sache donc, bergère,Que j'eus dessein de faire croire à tous,Que vraiment Sylvanire fut morte. SYLVANIRE Et quel profit de cette tromperie ? TIRINTE Tu veux enfin, tu veux que je la dise. SYLVANIRE Dis-la moi hardiment. TIRINTE Hardiment, non, mais plutôt en amant.Je pensai, Sylvanire, Qu'étant mise au tombeau,Et faisant croire à tousQu'ayant laissé la vieTu n'étais plus que cendre,Comme j'ai fait, je te pourrais reprendre. SYLVANIRE Et puis. TIRINTE Et puis en tel lieu te conduireOù pussent vivre ensembleTirinte et SylvanireSans être reconnus. SYLVANIRE Et de ma volonté Tu n'en faisais nul compte ? TIRINTE Un long service enfinToute chose surmonte. SYLVANIRE C'est donc toi, berger,Dont l'extrême malice M'a mise entre les morts ? TIRINTE Amour l'a fait, à lui soit tout le tort :Tirinte seulementT'a fait sortir hors de ce monument. SYLVANIRE Amour jamais ne commit trahison, Et pour te faire voirQue l'amour en ceciNe prétend point de part,Au lieu de me gagnerAvec cette malice, Tu m'as, berger, au contraire perdue,Et perdue à jamais.Très juste amour, certes l'on te peut dire,Le traître punissantAvec tant de raison, Et par sa trahison. TIRINTE Que je t'ai, ô bergère,Comme tu dis perdue,Je ne vois pas comme cela soit vrai :Car n'es-tu pas au pouvoir de Tirinte ? Tirinte qui tout seulSait qu'entre les vivantsEst encor Sylvanire ?Non, non, tu te déçoisDe t'aller figurant Que je ne sache en cette occasion[Note : Heur : rencontre avantageuse. (...) [F] [antonyme de malheur]]Me prévaloir de l'heur qui m'est offert. SYLVANIRE Toi-même tu te trompes,Ô perfide berger,Et de ton propre fer Tu t'es fait cette plaie. TIRINTE S'il est vrai sois certaine,Que qui fit la blessureEn fera bien la cure. SYLVANIRE Il ne peut être, encor que Sylvanire, Ce qui ne sera pas,Y voulut consentir ;Car elle n'est plus sienne. TIRINTE Sienne n'est plus la belle SylvanireEt de qui peut-elle être ? SYLVANIRE Autrefois, il est vrai,Et Ménandre et Lerice,Et peut-être elle encoreY pouvaient avoir part :Mais maintenant Ménandre ni Lerice Ni même Sylvanire,N'y peuvent rien prétendre.Tirinte l'a donnée. TIRINTE Tirinte l'a donnée ? SYLVANIRE Tirinte l'a donnée, Et par sa trahisonEn a fait possesseurAglante le berger. TIRINTE Aglante possesseurDe celle que j'adore ? SYLVANIRE Aglante possesseurDe celle que je dis ;Ne t'en tourmente plus,La pierre en est jetée. TIRINTE Il ne sera pas vrai. SYLVANIRE N'en accuse que toi,Et m'écoute, berger,Ménandre ni LericeNe voulaient consentirQue j'épousasse Aglante, Ayant dessein de me loger ailleurs :Et quant à moi la mort m'eust été doucePlutôt que d'épouserAutre qu'Aglante, et toutefois je jureQue mille morts plutôt j'eusse endurées Que d'épouser AglanteContre leur volonté.Or vois-tu bien comme ton artificeA fait ce que sans luiNous ne pouvions pas faire. Quand le poison de ton heureux miroir,Car heureux je l'appelle,M'eust réduite à tel point,Que mon père et ma mèreCrurent que j'étais morte, Ce qu'en vivant je n'avais osé faire,Amour me conseillaDe le faire en mourant :Je priai donc ma mère,Je suppliai mon père, Qu'avant que de mourir,Pour satisfactionDes services d'Aglante,Par leur consentementJe le pusse épouser. Eux qui me crurent morte,Quoi que d'autres desseinsIls eussent bien dans l'âme,Voulurent pitoyablesÀ mon trépas ce plaisir me donner. Lors vers Aglante à peine me tournantJe lui tendis la main,Pour un gage fidèleQue lui donnait mon âmeQue je mourais sa femme. Il me reçut pour telle,Pour telle il me pleura,Et pour telle il m'aura :N'y penses plus Tirinte. TIRINTE N'y penses plus toi-même. Aglante te croit morte,Et ton père et ta mèrePour morte t'ont pleurée,Et t'ont enclose iciPour eux tu l'es aussi. Tu ne vis plus, bergère,Pour personne du monde,Si ce n'est pour Tirinte :La mort qui résout tout,La mort te désoblige De ces vaines promessesQue tu peux avoir faites.Mais quoi que le trépasNe le fit pas, amour, amour l'ordonne,Amour qui Sylvanire À son Tirinte donne,Maintenant leur commande,De vivre ensemble, et de mourir ensemble.Allons donc, ô bergère,Allons et résous toi De vivre toute à moi,Et je vivrai de mêmeÀ toi seule que j'aime. SYLVANIRE Ne me touche, Tirinte,Aglante seul est né pour Sylvanire, Et Sylvanire est seule pour Aglante,Et perds en toute attente. TIRINTE Mais perds toi-même,Et perde Aglante aussi,Toi l'espoir de l'avoir, Lui l'espoir de te voir.Allons ; car je le veux,L'amour te le commande,Et mon affectionT'oblige à le vouloir : Que si tu ne le veuxSaches que résisterAussi bien tu ne peux.Il ne faut point maintenant des paroles :Allons, allons. SYLVANIRE Tirinte laisse-moi. TIRINTE Allons, allons. SYLVANIRE Fais-moi mourir plutôt. TIRINTE Allons, allons, je te veux toute en vie. SYLVANIRE Non je mourrai plutôt,Berger tu te déçois. TIRINTE Tu te déçois toi-même. SYLVANIRE Au secours, ô bergers,Ô dieux ! Secourez-moi. SCÈNE V. Aglante, Sylvanire, Tirinte. AGLANTE Je reviens, car il fautQue de mon sang je souilleCe tombeau glorieux De ma riche dépouille. SYLVANIRE Aglante secours-moi :Aglante ne vois-tu,Ne vois-tu pas, Aglante,Vois-tu pas que Tirinte, Tirinte l'infidèleM'emmène et me ravit ? AGLANTE Dieu ! Qu'est-ce que je vois ?Dieu ! Qu'est-ce que j'entends ?Est-ce bien Sylvanire ? SYLVANIRE Aglante, que fais-tu ?Que ne me secours-tu ?Ne me connais-tu pas ? AGLANTE C'est bien elle, mais non,Car Sylvanire est morte, C'est une vision. SYLVANIRE Devant tes yeux, Aglante,Il m'emmène, ô mon Dieu ! TIRINTE Je serai le plus fort. AGLANTE Ô c'est bien là sa voix, Ce n'est point un fantôme :Ah Tirinte, Tirinte,Traître Tirinte, il fautQu'Aglante meure,Avant que Sylvanire À quelque autre demeure. SCÈNE VI. Le choeur des bergers, Aglante, Tirinte, Sylvanire. LE CHOEUR Quelle rumeur entend-on par ces bois ?Quels cris, quelles alarmes ? AGLANTE Ah perfide berger,Tu ne raviras pas Une si belle prise. TIRINTE La victoire ou la mortClora mon entreprise. SYLVANIRE Au secours, ô bergers,Ô bergers, au secours : Secourez-nous, bergers. LE CHOEUR Quelle dispute est cette-ci, bergers ?D'où vient l'outrecuidanceDe faire force aux filles ?Laissez cette bergère. TIRINTE Ô dieux ! Je veux mourir. SYLVANIRE Meurs, si d'une autre sorteTu ne peux pas guérir,Fusses-tu déjà mort,Trop insolent berger. AGLANTE Monstre de nos forêtsQui te peut émouvoirD'outrager une filleQue tous doivent servir ? TIRINTE Monstre suis-je vraiment, Mais un monstre d'amour,D'aimer tant qui ne m'aime :Mais je m'en vengerai,Oui je m'en vengerai,Et ce sera sur qui la faute a faite, J'entends dessus mon coeur. SYLVANIRE Les hommes et les dieuxEnsemble me la doiventCette vengeance, et je la leur demande. LE CHOEUR N'est-ce pas Sylvanire Celle que nous voyons ?Mais n'est-elle pas morte ?Dieux ! Comme est-elle ici ? SYLVANIRE Vous voyez une fille,Que ce berger, monstre entre les bergers, A fait mettre au cercueilPar la plus grande ruseQui fut jamais d'un méchant inventée. TIRINTE Dis plutôt d'un amant. SYLVANIRE Mais bien d'un ennemi Plus cruel et méchant. TIRINTE Ô coeur ingrat ! SYLVANIRE Ô coeur faux et perfide ! TIRINTE Âme sans amitié. SYLVANIRE Mais bien âme sans âme. SCÈNE VII. Lerice, Ménandre, Fossinde, Aglante, Tirinte, Hylas, Sylvanire, Le choeur des bergers. LERICE Allons, voyons que c'est. MÉNANDRE Quel bruit ? Quelles clameurs ?Voilà pas Sylvanire ? LERICE Eh ! Qu'est-ce que je vois ? SYLVANIRE C'est Sylvanire. MÉNANDRE Ô dieux ! LERICE Ô dieux ! Ô dieux ! SYLVANIRE Me craignez-vous ma mère ? Avez-vous peur mon père ?Me connaissez-vous pas ? LERICE Va-t-en, va-t-en fantôme. AGLANTE N'ayez peur, et croyezQue c'est vraiment la belle Sylvanire. MÉNANDRE Sylvanire ma fille ? LERICE Ma fille Sylvanire ? SYLVANIRE Je suis celle-la même. MÉNANDRE Et n'étais-tu pas morte ? FOSSINDE Ô dieu ! C'est Sylvanire, Et c'est bien elle-mêmeQui retourne en ce monde.Recule-toi fantôme,Ne t'approche de moi,Retourne avec tes os, Et me laisse en repos. SYLVANIRE Tu me fuis donc, Fossinde ? FOSSINDE Et qui ne s'enfuirait ?Ô dieu comme elle parle ! HYLAS L'âme de Sylvanire Ô dieux ! Que cherche-t-elle ?Va-t-en, va-t-en fantôme. SYLVANIRE Je ne suis pas son âme seulement,Touche, voici le corpsDe cette Sylvanire. HYLAS Dieu ! C'est bien elle : ô c'est elle sans doute :En quel pays, hélas ! Suis-je venuOù les morts sont en vie ? SYLVANIRE N'en doutez point, je suis bien Sylvanire. HYLAS J'avais bien ouï dire Que les femmes avaientL'âme au corps de travers,Et qu'avec grande peineElle en pouvait sortir :Mais c'est bien plus ceci, Puisqu'ayant vu de mes yeux SylvanireMorte dans le tombeau,Je la revois en vie,Car c'est elle en effet. MÉNANDRE Mais es-tu bien ma fille ? SYLVANIRE Je la suis, ô Ménandre. LERICE Sylvanire ma fille ? SYLVANIRE Oui je suis Sylvanire,Que ce traître bergerQue Tirinte on appelle Avait mise au tombeau,Et que le ciel plus juste,À sa confusion,A fait sortir ainsi que vous voyez. MÉNANDRE Que je t'embrasse, ô mon enfant aimé ! LERICE Que je te baise, ô soutien de ma vie ! MÉNANDRE Eh ! Soient les dieux louésDe la grâce qu'ils fontÀ mes vieilles années,De te voir, mon enfant, Encor un coup avant que de mourir. FOSSINDE Eh ! Ma chère compagne,N'aurai-je pas quelque part à la joie,Puisque notre amitiéM'a fait si bien ta perte ressentir, Que je ne sais commentDans le cercueil je ne t'ai point suivie. LE CHOEUR Et nous aussi, puisque tous nous avonsÀ ton départ pleuréDevons-nous pas nous réjouir aussi À ton heureux retour ? SYLVANIRE Aglante, et toi pourquoi comme les autresNe te réjouis-tuQue je sois retournée ? AGLANTE À ton départ je reçus tant d'ennuis, À ton retour tant de contentement,Que n'étant mort, ni pour l'un ni pour l'autre,Il ne faut plus penserQue l'on puisse mourirD'ennui ni de plaisir. MÉNANDRE Mais, ma fille, commentLes dieux t'ont-ils permisDe nous revoir encore ? SYLVANIRE Ce perfide bergerQue vous voyez si loin de tous les autres Vous le pourra mieux dire. TIRINTE Oui je le pourrai dire,Des ingrates bergèresLa plus ingrate et plus méconnaissante :Oui-dà je le dirai, Je ne veux pas cacherJusqu'où l'affectionQue pour toi j'ai conçueM'a transporté ; car aussi bien sois sûre,Puisque mon entreprise A trompé mon espoir,Qu'à vivre davantageJe n'ai plus le courage.Sachez donc, ô bergers,Qu'esprits de la beauté De cette belle, et trop ingrate fille,Après avoir trouvéToute chose inutileÀ mon contentement,Peines et soins, affections extrêmes, Services et prières ;Enfin j'ai recouru,Ne sachant plus que faire,À la ruse et finesse.Donc avec artifice Je la fis endormir,Mais d'une telle sorteQue chacun la crut morte. MÉNANDRE Ô quelle trahison !Et quel fut ton dessein ? TIRINTE Mon dessein, ô Ménandre,Fut de la retirer,Comme j'ai fait, du creux de ce tombeau,Sans que nul s'en prît garde,Et la mener dans quelque antre sauvage Y passer avec elleLe reste de mon âge,Sans souci des parents,Sans souci des amis,Sans souci des troupeaux Que je laissais ici :Car la perte de tous,Voire encore de ma vie,M'est agréable et douce,Pour obtenir ce que j'estimais tant. LE CHOEUR Mais à quelle rumeurSommes-nous accourus ?Appelles-tu, Tirinte,Services et prières,Affections et soins, La force et violenceDont tu voulais user,Quand nous sommes venus ? MÉNANDRE De la force à ma fille ? TIRINTE De la force, il est vrai, Berger, je ne le nie,J'étais désespéré. LERICE De la force, ô pasteurs,J'en demande justice. FOSSINDE Comment, pasteurs, pourriez-vous bien souffrir Que cet audacieux,Sans ressentir la peineD'une telle insolence,Sortit d'entre vos mains ?Avoir, traître et perfide, Enclose en un tombeauCette belle bergère ;Avoir mis en danger,Et Ménandre et LericeDe mourir de douleur, Perdant leur chère fille,Même en l'âge où ils sont ?Et puis outre celaUser encor de force,Et contre son désir La vouloir emmener ?Quelle sûreté pouvons-nous plus avoirAvec les bergers,Si telles trahisons,Et si tels attentats, Ne sont punis ainsi qu'ils le méritent ?Ô vous pasteurs, qui savez de nos loisL'ordonnance sacrée,Faites que nos druides,Par votre bouche même, Soient informés, et nous fassent justice. MÉNANDRE Je la demande, ô pasteurs, à vous tous. LERICE Comment user de force ? LE CHOEUR Assure-toi, Ménandre,Que tu l'auras bientôt, Le cas mérite un supplice exemplaire. FOSSINDE Attachez-le, bergers,De peur qu'il ne s'échappe. TIRINTE Non, ne m'attachez point,Je suivrai librement Où vous voudrez aller :En un lieu seulementJe ne vous suivrai pas,C'est par où l'on s'éloigneDu chemin du trépas. HYLAS Je veux le suivre, et voir quel jugementDonneront les druides. FOSSINDE Enfin il est tombéDedans son propre piège,Je le tiens à ce coup, Il ne peut m'échapper,Le ciel en soit loué :Mais je m'en vais le suivre,Pour être à temps lorsqu'il sera jugé. SCÈNE VIII. Lerice, Aglante, Sylvanire, Ménandre. LERICE Ô des bontés de Dieu Inépuisable source !Ô de ses jugemenTsOcéan infini !Quelles grâces jamais,Telles que nous devons, Te pouvons-nous rendre Ménandre et moi ? AGLANTE Ajoutez avec vous,Lerice, s'il vous plaît,Aglante le bergerLe plus heureux du monde : Car de tous les bonheursOù peut atteindre un homme,Nul ne peut s'égalerÀ celui que je sens.Mais, ô sage Ménandre, Puisque le ciel tant de grâces m'a faites,Ne perdons point le temps,Tous les dilayementsQui se font sans propos,Ne sont rien d'ordinaire Que la ruine et perte d'une affaire :Vous plaÏt-il pas accomplir le bonheurDe notre mariage ? MÉNANDRE À nouveau fait il faut nouveau conseil :J'avais promis à d'autres, Avant qu'à toi, ma fille Sylvanire :Chacun le sait assez,Tu le peux demanderÀ tous ceux du hameau. AGLANTE À nouveau fait il faut nouveau conseil ? Par ainsi ta paroleN'aura non plus d'arrêtQue la plume qui vole ? MÉNANDRE Ma parole est certaine,Et c'est bien pour cela Qu'ayant donné ma parole à ThéanteJe la veux observer. AGLANTE Ô dieux ! ô foi trompée !Ô parjure Ménandre !Ô malheureux Aglante ! L'on vous d2çoit ainsi :Et vous souffrez, ô dieux,Si grande perfidie ?Ôte-la moi, Ménandre,[Note : Le vers 8381 n'est pas dans l'édition Honoré Champion]Ôte-la moi, la vie, Avant que me ravirCelle qu'amour, celle que le destin,Celle que toi, que Lerice sa mère,Et qu'elle aussi d'accord m'avez donnée :Car rien que le trépas Ne m'en saurait priver :Elle est mienne, elle est mienne,Il faut qu'elle le soit,Ou que je ne sois plus. MÉNANDRE Et pour quelle raison Prétends-tu Sylvanire ? AGLANTE Par la raison des gens,T'en saurais-tu dédire ?Par la corne on attacheLes boeufs et les taureaux, L'homme par sa parole. MÉNANDRE Théante en dit autant,Et par cette raisonTu n'as pas plus de droitQu'il en peut bien prétendre, Et tant s'en faut il en a davantage ;Car il est le premierÀ qui je l'ai promise,Et si tu ne veux croireCe que je dis, berger, Voila Lerice, et voilà Sylvanire,Demande leur si je ne dis pas vrai. LERICE Il est certain. MÉNANDRE Qu'en dis-tu Sylvanire ? SYLVANIRE Je l'ai bien ouï dire :Mais. MÉNANDRE Qu'est-ce à dire ce mais ? SYLVANIRE Mais je n'y fus jamais. AGLANTE Écoute bien, Ménandre,Toute excuse cessante,Nul autre que le cielNe me saurait ôter Celle qui m'est acquise :Je m'en vais aux druides,Ils me feront justice,Et s'ils ne me la font,Et mon bras, et les dieux Me vengeront d'un parjure odieux.Quand je perds le respectJe sais faire observerLa parole promise. SCÈNE IX. Ménandre, Lerice, Sylvanire. MÉNANDRE Je l'ai bien ouï dire, Mais je n'y fus jamais ;La petite affétée,Elle n'y fut jamais :Or je t'assure, et m'en crois, Sylvanire,Qu'une autrefois, si je ne suis d2çu, Tu ne le diras plus :Car en propre personneJe t'y ferai bien être.Je l'ai bien ouï dire,Mais je n'y fus jamais : Quoi ? Tu voudrais plutôtCelui-ci que Théante ;Il est plus à ton goût :Ô je t'en ferai faireDes maris à ton gré, Laisse m'en le souci.Tu pouvais bien, Lerice, m'assurerQue ta fille feraitTout ce qu'il me plairait :Oui, pourvu que je veuille Tout ce qu'elle voudra :Autrement sois certaineQu'elle te saura direAussi bien comme à moi,Je l'ai bien ouï dire, Mais je n'y fus jamais.Tu l'as bien ouï dire,Mais tu n'y fus jamais ;C'est, et n'en doute point,C'est là la prophétie Du futur mariage,Et d'Aglante, et de toi ;Car tu l'as ouï dire :Mais crois moi, Sylvanire,Tu n'y seras jamais. Mais viens ça, réponds-moi,Que peut avoir AglanteQue Théante n'ait pas ?Tu ne me réponds point. LERICE Que voulez-vous qu'elle puisse répondre À son père en courroux ? MÉNANDRE Je répondrai pour elle :Aglante a plus que luiDe jeunesse et d'erreur,Il a plus d'imprudence, Plus d'inexpérience,Plus de présomption,Un peu plus de beauté,Mais plus de pauvreté :Et faut-il pour cela Le préférer, ainsi comme elle fait,À ce sage Théante ?À ce riche Théante ?À ce noble Théante ?À ce Théante enfin Qui n'a rien qui ne soitPlus qu'Aglante estimable ?Figure-toi, l'homme plus accompliQui soit dessus la terre,Qu'il sache bien chanter, Qu'il sache bien danser,Qu'il sache bien parler,Qu'il soit la beauté même :Que chacun à le voirPar la place s'arrête ; S'il n'est bien riche, ô folle,Ce n'est rien qu'une bête :Si tu savais, ô peu prudente fille,Si tu savais quel monstre épouvantableEst la nécessité, Tu fremirais au nom de pauvreté :Mais avec l'or qu'est-ce qu'on ne fait pas ?Non seulement les hommes on surmonte,Mais l'on fléchit les dieux,Les dieux par les présents Nous sont rendus propices,Et le rameau, ce dit-on, que portaLe grand troyen, quand il vit les enfers,Parce qu'il était d'or,Lui fit passer et repasser encor Le fleuve de Charon.Quelques uns vont disant,Que le ciel, que la terre,Que l'air, le feu, la mer,Le soleil, les étoiles, Sont les dieux d'ici bas :Mais je ne le crois pas.Car les vrais dieux visiblesEn la terre où nous sommes,Pour le moins pour les hommes, Ne sont que deux ; mais sais-tu bien lesquels ?L'or et l'argent, aies ces dieux chez toiEt n'aies peur de rien,Tout te sera propice,Et ce que tu voudras Soudain tu l'obtiendras :Mais au contraireAvec la pauvretéToute chose déplaît,Les incommodités, Les mépris, l'impuissance,Sont accidents inséparables d'elle :Et toutefois Aglante te plaît mieuxQue ce riche Théante :Es-tu toujours en cette même erreur ? Quoi, tu ne parles point ? SYLVANIRE Pardonnez-moi, mon père,Vous êtes en colère. MÉNANDRE Reviens, où t'en vas-tu ?Elle nous paye encore, Ainsi que l'autre fois,Par une révérence.Ô grands dieux ! Qui peut êtrePlus malheureux qu'un père,Sinon qu'un autre père Ayant encor davantage d'enfants.Qu'est-ce que d'en avoirComme j'en ai, sinonPeine, crainte et souci,Et rien outre cela. Et bien elle s'en va,Qu'elle s'en ressouvienne,Nul ne voit pour certainLa grandeur de la fauteCependant qu'il la fait ; Mais il la voit après,Lorsque la pénitenceRemet devant ses yeuxUn trop tard repentir :De même adviendra-t-il À l'imprudente filleQui ne veut m'écouter.Mais je vois bien qu'ils s'en iront tous deuxVers les sages druides,Et diront leurs raisons Sans leur parler des miennes,Je m'en vais les trouver,Et qu'ils s'assurent bienQu'ils s'en repentiront. LERICE Encor faut-il excuser la jeunesse. MÉNANDRE Excuser, c'est ainsiQue tu me l'as gâtée ;Mais j'y mettrai bien ordre. LERICE Vous la voulez perdre encor une fois. MÉNANDRE Ô fut-elle perdue Plutôt que d'être sotte. LERICE Ô cruauté d'un père !Hélas ! Ma pauvre fille. SCÈNE X. AGLANTE Non, non, il faut, Aglante,Ou l'avoir, ou mourir ; Que si l'on se résoutDe te l'ôter encore,Il faut que cette histoireFinisse en tragédie :Car rien sinon la mort Ne saurait séparerAglante et Sylvanire.Mais, ô grands dieux !Quel fut l'astre cruelQui dominait au point de ma naissance, Puisque pour parvenirAu bonheur qui me fuit,Et la mort et la vieÉgalement me nuit ?Sylvanire était mienne Hélas ! Si le tombeauNe me l'eut pas ravie :Mienne dans le tombeauEncore serait-elle,Si pour n'être plus mienne Du profond du tombeauElle n'était sortie.Que faut-il donc désormais que j'espère,Si tout m'est si contraire ?Sa mort m'ôta le bien que je désire, Sa vie encore, ô dieux, me le ravit :Il ne faut donc penserQue sa vie et sa mortÀ mon contentementPuisse être favorable : Voyons de moi ce qui le pourrait être.Mais si ma vie inutile à mon bienJ'ai toujours retrouvée,Que me reste-t-il plusQue d'essayer la mort, Résolus en nous-même,Qu'il nous faut l'un des deux,Vivre avec plaisir,Ou bien mourir pour n'être malheureux ?Il faut donc en la mort, La fin de tous les maux,Rechercher le salut.Que jusqu'ici nous n'avons pu trouver :Car saurais-je espérerDe rencontrer plus de compassion Dedans le coeur sévèreDes rigoureux druides,À qui ma plainte, hélas ! Je viens de faire,Que dans celui d'un père et d'une mère ?Il ne faut plus, il ne faut plus flatter D'une vaine espéranceLe mal qui nous offense :À l'arrêt du destinRien ne peut résister ;Inutiles et vains, Contre l'effort du ciel,Sont les efforts humains. SCÈNE XI. Sylvanire, Aglante. SYLVANIRE Hélas ! Ô dieux ! Où le rencontrerai-je,Celui que mon coeur aimeCent fois plus que soi-même ? Mais ne le voilà pas ?Ô l'heureuse rencontrePour sujet malheureux ! AGLANTE Bienheureuse rencontre,Quoi que puisse avenir, Sera toujours la vôtre. SYLVANIRE Aglante mon berger,Écoute je te prie,Ce que je te viens dire.J'ai trouvé les druides Assemblés pour jugerLe malheureux Tirinte,Et j'y suis arrivéeQu'à peine en sortais-tu.Je leur ai fait ma plainte, Je leur ai remontréQue j'étais tienne, et qu'Aglante était mien ;Qu'avec permissionEt de mon père et de ma mère aussi,En leur même présence, J'avais reçu de toi,Et toi de moi, le serment réciproqueD'un sacré mariage,Qui nous liait tous deuxD'indissolubles noeuds, Non pas par des parolesQu'à l'avenir on dût effectuer ;Mais que dès lors nous nous étions donnés,Et nous étions reçusPour femme et pour mari, Et tels aussi nous voulions vivre ensemble.À peine ai-je pu direCes dernières paroles,Que Ménandre est entré,Et Lerice avec lui, Mais comment ? En colère,Les yeux ardents, comme de nuit on voitUn charbon allumé,Le visage enflammé,Les jambes et les mains Tremblantes de courroux :À grand'peine a-t-il dit,Recommençant cent foisLe nom de Sylvanire,Tant il était de passion extrême Presque hors de soi même,Le voyant tel, et ne pouvant souffrirSa présence irritéeJe me suis dérobéePour te venir chercher, Et t'assurer, Aglante,Que mon affectionJamais ne changera,Quoi qu'ordonne au contraire,Ni l'arrêt des druides, Ni celui de mon père,Tienne je suis, et tienne je seraiAutant que je vivrai. AGLANTE Ô belle Sylvanire,Que mienne, mon malheur M'empêche d'oser dire. SYLVANIRE Dis-le berger en dépit du malheur,Tienne je suis, et tienne de bon coeur. AGLANTE Ô belle Sylvanire,Que puisque vous voulez, En dépit du malheurMienne j'oserai dire,Quelle grâce jamaisFaut-il que je vous rendeD'une faveur si grande ? Puisque non seulementIl vous a plu d'aimerUn berger sans mérite,Mais dédaigner encoreUn si gentil berger Que peut être Théante,Mépriser ses richesses,Et ses commodités,Pour vivre avec Aglante ?Aglante qui n'a rien Qui puisse être estimable,Sinon qu'il aime bien.Mais en cela je proteste et je jure,Que si de tous les coeursQui sont en l'univers Un coeur se pouvait fairePour seulement aimerAutant comme je fais,Tous ses efforts resteraient imparfaits.Je veux que cette amour Par son extrémitéSupplée à toutes chosesQui défaillent en moi :Je veux que chacun dise,Considérant votre perfection, Et mon affection,L'une sans l'autre eut été sans égale.Recevez donc la foi,La foi que je vous jureSi parfaite et si pure, Pour gage qu'à jamaisAglante sera vôtre ;Mais de telle façon,Que le ciel peut encorSe brouiller en la terre, Et tous les élémentsDans la confusionDe l'antique chaos :Mais jamais, mais jamaisAglante on ne verra, Sans que de SylvanireLes beautés il n'adore,Plus s'il se peut qu'il ne fait pas encore.Et quoi que la rigueurD'un père impitoyable, Ou bien l'inique arrêtD'un juge inexorableMe puisse retarderL'heur que nous désirons ;Ne croyez, Sylvanire, Que mon affectionPuisse diminuer.Ma passion peut bienAugmenter à l'extrême,Mais non pas m'empêcher Qu'à jamais je vous aime.Je ne mériteraisDe respirer cet air,Ni de voir la clartéQue le soleil nous donne, Ni d'être entre les hommes,Si je manquais à l'obligationOù m'a mis Sylvanire. SYLVANIRE Point, point, Aglante, point d'obligation,Quoi que je puisse faire, Ne saurait satisfaireÀ celle en qui l'amourEnvers toi m'a liée,Et tous ces témoignagesDe bonne volonté, Reçois les pour tributDe mon affection :Je paye ainsi les devoirs qui sont deuxÀ l'amour réciproque,Dont amour me lia, Alors que SylvanirePour femme il te donna. SCÈNE XII. Alciron, Sylvanire, Aglante. ALCIRON Mais si veux je bien êtreLe premier à leur direLes nouvelles que j'ai : Où les rencontrerai-je ? SYLVANIRE Quelles sont tes nouvelles,Et qui vas-tu cherchant ? AGLANTE Berger fais-nous en part. ALCIRON C'est vous deux que je cherche. AGLANTE Moi, berger ? ALCIRON Vous et vous. SYLVANIRE Et moi j'en suis aussi ? ALCIRON Vous en êtes tous deux.Celui soit malheureuxQui vous séparera. AGLANTE Et que me veux-tu dire ? ALCIRON Que tienne est Sylvanire,Et que tien est Aglante. SYLVANIRE Ô que Dieu te contente. AGLANTE Mais te moques-tu point ? ALCIRON Comment ? Si je me moque,Pourquoi voudrais-je, Aglante,User de moquerieAvec des personnesQue j'honore si fort ? SYLVANIRE Mais comment le sais-tu ? ALCIRON Je le dirai, je me suis rencontréLorsque Ménandre, outré de la colèreS'est présenté devant le grand druidePour rompre cette affaire : Quelles raisons n'a-t-il point rapportées ?Une fille jamais,Disait-il, ne se peutLier en mariageSans le vouloir du père : Mais (lui répond Hylas,Parlant pour vous) Sylvanire a reçuAglante pour mariAvec le congéDe Lerice et de toi. SYLVANIRE Hylas disait bien vrai. ALCIRON Alors Ménandre, il est vrai, je confesseQue pensant que ma filleÉtait prête à mourir,Je lui permis tout ce qu'elle voulut : Mais mon intentionFut seulement de lui donner pour lorsQuelque contentement,Étant bien résolu,Que si du mal elle pouvait guérir, Je la redonneraisEncore à Théante. SYLVANIRE Ô le trompeur qu'il est ! ALCIRON Soudain Hylas répond :Si telle ruse était autorisée, Adieu tout le commerceQu'on voit entre les hommes,Et qui dorénavantSe pourrait assurerDe chose qu'on promette ? Nul ne saurait entrerDans le secret du coeur,L'on ne contracte pasAvec la pensée,C'est avec la parole Que tout homme s'oblige,Et ta fille eut congé.Ce congé ne vaut rien,Reprend soudain Ménandre,Parce qu'auparavant Nous avions SylvanireÀ Théante promise. AGLANTE Cette promesse est nulle,Elle n'y consentant. ALCIRON Hylas en dit autant. Mais qui la rendrait nulle,Dit Ménandre en colère,Le père n'est-il pas seigneur de son enfant ?N'en peut-il pas disposer comme il veut ?Tu te trompes, pasteur, Dit froidement Hylas,Les enfants parmi nousNaissent enfants, et non pas des esclaves,Ce serait autrementHonte que d'être père, Et la terre où nous sommesSerait bien diffamée,Si la seule en la GauleElle ne produisaitDes hommes francs et libres, Mais seulement des serfs et des esclaves.Hylas voulait continuer encore,Lorsque Ménandre enflammé de colèreVoulut répondre aux raisons du berger :Mais les sages druides Leur imposant silence :C'est assez, ont-ils dit,Car vos raisons nous sont assez connues :Si bien que le respectA fait taire Ménandre, Attendant quel arrêtLes sages donneraient :Même qu'alors TirinteConduit par devant euxAttendant la sentence Ou de vie ou de mort,Impatient au pied du tribunal :Qui m'accuse, dit-il ?Et pourquoi suis-je ici ? SYLVANIRE Mais qu'est-ce qu'ont jugé Les druides de nous ? ALCIRON Donne-moi le loisirDe te le pouvoir dire :Fossinde alors se faisant faire place :Misérable berger, Dit-elle en soupirant,Demandes-tu qui te peut accuser ?Les rives de Lignon,Les prés, et les bocages,Les antres, les forêts, Les sources, les ruisseaux,Les hommes, et les dieux,Tous t'accusent, berger,Tous demandent vengeance ;Même ta conscience De ton méfait et de ta trahisonTe juge et te condamne. SYLVANIRE Et Fossinde a parléAinsi contre Tirinte. ALCIRON Chacun l'ayant ouïe Comme toi s'étonna,Parce que presque tousSavaient bien son amour.Mais lui sans s'émouvoir,Parle aux juges, dit-il, Accuse ce TirinteEn ce qu'il a forfait,C'est d'eux, et non de moiDe qui tu dois attendreLe juste châtiment De ses fautes commises :Penses-tu que je manqueDe coeur pour supporterLes supplices qui peuventTon âme contenter, Ou ma faute effacer ? AGLANTE Son courage était grand,Et chacun le doit plaindre. ALCIRON Elle alors rougissant,Et se tournant vers les sages druides : Ce berger inhumainQue vous voyez à votre tribunal,C'est le berger, dit-elle,Le plus digne de mortQui fut jamais accusé devant vous. Il aima Sylvanire,À ce qu'il va disant :Mais qui le pourrait croire ?Jamais il ne connutLes forces de l'amour, Quoi qu'à l'amour ses fautes il rejette :Fait-on mourir la personne qu'on aime ?Et toutefois il n'a pas seulementPrésenté le poisonÀ cette belle fille, Mais le cruel l'a-t-il pas vu mourirAvec tant de douleurs,Qu'il faut bien n'avoir pointNi d'amour ni de coeur,Pour avoir le courage De faire à ces beautésUn si cruel outrage :Mais de sa mort s'est-il encor saoulé ?Non, non, sages druides,Il la va déterrer, Il veut paître ses yeuxD'un forfait qu'une tigreN'aurait pas perpétré ;N'est-ce pas là le comble plus extrêmeDe l'inhumanité ? Mais oyez des grands dieuxLa clémence infinie :Ce perfide retrouve,Contre son espérance,La morte-vive, un miracle si grand Devait-il pas lui ramollir le coeur,Et touché dedans l'âmeD'un puissant repentirLui faire détesterL'erreur qu'il avait faite ? Au contraire il s'obstine,Ajoute crime à crime,Et montre bien être vrai ce qu'on dit,Qu'enfin l'abîme appelle un autre abîme.L'ayant donc trouvée Vive dans le cercueil,Peut-être qu'à ses piedsPardon il lui demande ;Tout au contraire il la veut dérober,Et par force emmener Dans des antres sauvages,À quel dessein ? Vous le pouvez penser,Et croit que ce forfait,Aux hommes bien caché,Aux dieux aussi de même le sera. Mais seulement il en eut le vouloir,Sans toutefois mettre la main à l'oeuvre :Non, non, sages druides,Il a mis en effetLa résolution D'une telle pensée,Ou pour le moins il s'en mit en devoir,Et n'eût été qu'aux cris de SylvanireCes bergers accoururent,Qui la force à la force Vaillamment opposèrent,[Note : Les deux vers du dessus sont dans l'édition Champion un seul vers : 'Que la force à la force posèrent,']Dieu sait que ce félonN'eût entrepris contre une faible fille. SYLVANIRE Fossinde a bien dit vrai. ALCIRON Je vous ai dit le crime, Continua Fossinde,Vous savez mieux que nousCe que les lois ordonnent,On demande justice,C'est à vous de la faire, Et l'attendre des dieuxComme vous la rendrez. AGLANTE Que répondit Tirinte ? ALCIRON Elle a raison, ô très sages druides,Répond Tirinte alors, Disant que j'ai failli,Mais elle a tort aussiDe m'accuser d'un crime auquel mon âmeN'a jamais consenti.Je ne refuse pas Les tourments ni la mort,Je suis assez coupable,Je le confesse, et n'ai point de raison,Ni n'en veux point avoirPour m'excuser du moindre des supplices Qui me sont préparés :Mais que sert-il d'ajouter sans raisonDes crimes faux aux crimes véritables ?Je l'aime trop, et l'ai toujours aiméeDe trop d'affection, La belle Sylvanire,Pour avoir le courageDe lui faire du mal ;Je ne dis pas seulement par l'effet,Mais avec la pensée. Il est vrai, mais déçu,J'ai donné le poison :Que je sois seulementDéchargé de ce crime,Tous les autres j'avoue, Ne me souciant guèreDes plus cruels supplicesDont je suis menacé,Pourvu que nette et pureJ'emporte mon amour Dedans ma sépulture.À ce mot il se tut. AGLANTE Courage résoluD'un généreux berger. ALCIRON Et parce qu'au grand bruit J'étais comme plusieursAccouru sur le lieu,Ne pouvant supporterDe voir sa cause ainsi mal défendue,Je me mis en avant Pour répondre à Fossinde.Mais lui soudain mon dessein connaissant :Cesse ami, me dit-il,Je veux mourir enfin,Heureux qui meurt ne pouvant vivre heureux. Mon amour toutefoisEncore un coup me fit ouvrir la bouche :Mais lui pour m'interrompre,Ô très sages druides,S'écria-t-il, c'est la compassion, Et non la véritéQui fait que ce bergerVeut défendre ma faute,Vous ne le croyez pas,Car je le désavoue. SYLVANIRE Que faisait lors Fossinde ? ALCIRON Elle se souriait :Mais vois, berger, lorsque le ciel ordonneQue quelque chose en la terre se fasseComme il va disposant, Tout ce qui peut telle chose parfaire,Lorsque peut-être en plus d'incertitudeTes affaires, Aglante,S'en allaient balançant. AGLANTE Ô qu'il est dangereux D'être soumis au jugement des hommes ! ALCIRON Voilà pas que ThéanteSuivi de plusieurs autresAccourt au tribunal :Chacun à foule auprès de lui se presse Pour ouïr les raisonsQu'on croyait qu'il peut direPour avoir Sylvanire.Pères, dit-il, je viens vous déclarerQue Sylvanire à quelque autre peut être, Mais non pas à Théante.Si l'amour est folie,Il faut dire manie,Encore plus extrême,D'aimer qui ne nous aime, Et comme que ce soitGrande est la servitudeDu mariage, et mille fois plus grandeCelle dont les liensDes noeuds d'amour ne sont point attachés. Il partit à ce mot,Quoi que lui dit Ménandre.Alors le grand druidePrononça ces paroles.Libre est la volonté, Et d'un libre vouloirSont faits les mariages :Que Sylvanire épouse donc Aglante,Et que Ménandre en cela se contente. AGLANTE Ô très juste décret ! SYLVANIRE Ô très justes druides !C'est bien avec raisonQue pères l'on vous nomme. ALCIRON Mais écoutez qu'il advint de Tirinte :Tel fut le jugement. Amour permet, et nous le permettons,Dit alors le druide,Que tout amant essayeAvec tout artificeD'obtenir ses désirs De celle qu'il adore.Dans le règne d'amourLe larcin est permis,Les ruses, les finessesS'appellent des sagesses. Mais qu'on se garde bienDe force et violence,L'amour est volontaire,Et qui fait au contraire,Par cette déité Est criminel de lèse-majesté :Pour ce Tirinte en vertu de la loiAbsous est déclaréDe toutes ses finesses ;Car amour les avoue : Mais pour la violenceDont il est convaincu,Nous ordonnons pour juste châtimentD'un si grand démérite,Du rocher malheureux Que l'on le précipite. AGLANTE Ô dur arrêt ! ô cruelle sentence ! SYLVANIRE Donc Tirinte mourra. ALCIRON Donnez-vous patience.En même temps Tirinte est attaché, Chacun le pleure, et tous blâment FossindeDe l'animositéQu'elle a montrée envers ce beau berger.Elle au rebours d'un visage joyeux,D'un oeil riant, Tirinte je confesse, Lui dit-elle tout haut,Que je te vois réduit au même pointQue dès longtemps j'avais tant souhaité :Et bien, lui répond-il,Tu dois être contente : Quant à moi je le suis,Saoule-toi de mon sang.Non, non, dit-elle, insensible berger,Ce n'est pas de la sorteQue je l'entends : si je t'ai souhaité En cet état, c'est pour faire paraîtreQu'amour en moi surpasse ta rigueur.Lors se tournant vers les sévères juges :Puisque vous condamnezSelon la loi, dit-elle, ce berger, Selon la loi de même je demandeQue vous me le donniezPour mon mari, puisque la loi le veut. SYLVANIRE Vraiment elle fit bien. AGLANTE Mais voyez quelle ruse, L'accuser pour l'avoir. ALCIRON Mais écoutez d'une amour insenséeLe conseil insensé :Tirinte condamnéAu rocher malheureux, Et rappelé de la mort à la viePar l'amour de Fossinde,Aime mieux du rocherL'horrible précipice,Que de cette Fossinde L'amour ni les faveurs.Donc, ce disait-il,Je la rachèterai,Cette vie odieuse,D'une vie à jamais Odieuse pour moiMille fois davantage ?Donc pour ne mourirUne fois seulement,Tous les jours je mourrai ? Quoi ? Tous les jours, mais à tous les momentsMille fois je mourrai ?Vaut-il pas mieux achever tout d'un coupLe destin malheureuxQue le ciel nous ordonne, Et de tant de malheursTromper la tyrannie,Que vivre encor pour ne vivre jamais,Puisque ce n'est pas vivreQue vivre malheureux ? Ainsi disait Tirinte,Et pressé du regretDe perdre SylvanireS'allait mettre à genoux,Pour déclarer que la mort à l'amour Il voulait préférer :De quel aveuglementEst occupé l'amant !Et déjà les genouxIl fléchissait devant le tribunal, Joignait les mains ensemble :Pères, voulut-il dire,Quand j'accourus, de la main lui fermantDéjà la bouche ouverte,Sur lui je m'abouchai : Je veux donc mourir,Lui dis-je, comme toi,Si tu ne veux pas vivre ;À mon exemple alorsLes parents, les amis De ce gentil berger,Dont le nombre était grand,M'aidant à cet office,Pour lors nous arrêtâmesLe cours précipité De ce mauvais conseil. SYLVANIRE En cet instant, mais que faisait Fossinde ? ALCIRON Toute étonnée elle pâlit dabord,D'un oeil chargé d'effroiLe va considérant, Reste immobile, et d'un pas se recule :Puis tout à coup, donc c'est moi, Tirinte,Qui suis ton homicide :C'est donc, dit-elle, moiQui t'ai conduit au rocher malheureux : Il ne sera pas vrai,J'aime mieux que ma mortTémoigne ma pensée,Que si jamais Tirinte pouvait croire,Ou quelque autre après lui, Que Fossinde, ô grands dieux !Eut sa mort consentie.Écoute donc, berger,Reçois cette Fossinde,Si tu ne veux pour femme, Dis-la seulement telle,Pour fuir la rigueurDes lois qui te condamnent,Et puis tiens-la pour ce que tu voudras,Tiens-la pour ton esclave, Telle je veux bien êtreEt moindre s'il se peut,Pourvu que de TirinteLe destin je déçoive. AGLANTE Elle me fait pitié. ALCIRON Tout de même en fit-elleÀ tous ceux qui l'ouïrent :Et parce que les pleurs,Et les sanglots lui refusaient la voix,Ce silence contraint Parlait sans doute à ce berger cruelAvec plus d'éloquence.Quelque temps sans parlerIl la considéraEn l'état où je dis, Et cependant l'amourQui, comme on dit, ne pardonne jamaisÀ la personne aiméeLes cruautés qu'elle fait à qui l'aime,De sorte à ce Tirinte Représenta l'entière affectionDe cette honnête fille,Qui pouvait être diteOpiniâtretéPlutôt qu'affection, Qu'enfin vaincu, je mets à bas les armes,Et je me rends, dit-il,Fossinde ton amourA surmonté ma résolution,Et lui tendant la main, Soit donc pour jamaisTirinte à sa Fossinde,Fossinde à son Tirinte.Un battement de mainsRemplit soudain le lieu De bruit et d'allégresse,Et Ménandre et LericeEnsemble avec AlcasPar les mains se prenants,D'un visage joyeux, C'est aujourd'hui, dirent-ils d'une voix,Le jour heureux que le ciel établitPour le contentementDes bergers de Lignon.Soit Io redoublé, Soit Hymen appelé,Soient les dieux invoqués,[Note : Égipan : Terme de mythologie. Sorte de divinité champêtre, satyre. [L]]Les pans, les égipans,Les nymphes, les dryades,Tout se doit réjouir, Et vous très justes pèresConcédez à FossindeSa trop juste demande.Nous pardonnons TirinteEt Sylvanire aussi, Veuillez que tous ensembleAu temple nous allionsRemercier les dieux,Et finir, puis qu'ainsiIls montrent qu'ils le veulent, D'Aglante et Sylvanire,De Tirinte et Fossinde,Les heureux mariages. SYLVANIRE Ô c'est bien à ce coup,Que mon coeur est content, Puisque mon père et que ma mère aussiÀ la fin y consentent. ALCIRON Les druides alorsPleins de contentement,En vertu de la loi Et du consentementD'Alcas le bon pasteur,Accordèrent TirinteÀ la fine Fossinde,Et ton père embrassèrent D'extrême joie, et moi pour te le direJe suis venu courant,Afin d'être premierÀ ces bonnes nouvelles,Pour satisfaire au mal que je t'ai fait ; Car ce fut moi qui donnai le miroir,Comme ami de Tirinte,Qui te mit au cercueil :Et je voudrais bien êtrePour le moins à ce coup Ministre de ta joie,Comme j'avais étéMinistre de ton deuil. SYLVANIRE Ministre vraimentEs-tu bien de ma joie, Puisque ton artificeFut cause que j'obtinsCet Aglante que j'aime :Alciron à jamaisSoit heureux et content, Duquel la sage ruseNon seulement j'excuse,Mais j'estime et bénis.Ô que tardons-nous plusAllons-nous en, Aglante, Nous prosterner aux piedsDe Ménandre et Lerice,Et de nos justes juges. AGLANTE Allons, nous le devons :Ô jour trois fois heureux ! ALCIRON Il vous cherchent partout,Pour vous conduire au temple :Mais les voici qui viennent. SYLVANIRE Je les vois, les voici,Allons, mon cher Aglante. SCÈNE DERNIÈRE. Sylvanire, Aglante, Ménandre, Lerice, Fossinde, Alciron, Tirinte, Hylas. SYLVANIRE Si je vous ai dépluVotre grâce j'implore,Pardonnez ma jeunesse. AGLANTE Et mon affection. MÉNANDRE Mes enfants ; car tous deux Je vous reçois pour tels,Oublions le passé,Et l'effaçons du tout :Faisons un autre livreOù je mettrai tous les contentements Que je dois recevoirEt de l'un et de l'autre,Et vous les témoignagesDe mon affection,Et pour bien commencer, À toi, mon fils Aglante,Je donne Sylvanire,Tu mérites bien mieux :Mais à toi, Sylvanire,Aglante je te donne, Et je sais bien que tu ne veux pas mieux.Les dieux vous soient propices et bénins,Et prolongent vos jours,Avec contentement,Au nombre de l'arène. AGLANTE Quand les bienfaits peuvent être égalésPar les remerciements,Ou bien par les services,Il faut user d'effet et de parolesPour n'être point ingrat : Mais lorsque leur grandeurSurpasse la puissance,Et des remerciements,Et de tous les services,Il faut recoure aux voeux, Et prier les grands dieuxPar leur bonté, de vouloir satisfaireÀ de si grandes dettes.Et c'est ainsi qu'en cette occasionJe suis contraint de faire, Étant si grand le bien que je reçoisQue je ne le puis direNi satisfaire aussi,Qu'en suppliant les dieux,Les dieux tous bons qu'ils veuillent reconnaître Tout ce que je vous dois,Et cependant donnez-moi votre main,Et vous aussi ma mère,Afin que je les baise,Pour un sûr témoignage De mon fidèle hommage. SYLVANIRE J'en dis autant, ma mère. LERICE Mes chers enfants, je vous reçois tous deuxPour mes propres enfants,Et comme tels je veux que vous m'aimiez, Et vivez bienheureux. FOSSINDE Et nous n'aurons-nous pasQuelque reconnaissanceDe bonne volonté ?Notre vieille amitié Ne fera-t-elle pasQue tous les déplaisirsQue vous avez reçusDe l'amour de Tirinte ? ALCIRON Et de mes artifices ? FOSSINDE Soient oubliés dans vos contentements ? SYLVANIRE Tout, tout, Fossinde, il n'en faut plus parler. FOSSINDE Aglante et toi ? AGLANTE Je n'ai jamais haïPersonne qui voulût La belle Sylvanire,J'eusse été trop injusteDe blâmer en autruiCe qu'en moi j'estimais,Et crois-le ainsi, Tirinte. TIRINTE J'ai désiré plus que moi Sylvanire,Et tout ce que j'ai puPour la gagner je l'ai fait, je l'avoue,Les dieux te l'ont donnée,Garde-la bien, Aglante, Pour moi je me contente,Puisque les dieux ainsi l'ont ordonné,De l'amour de Fossinde. MÉNANDRE Or allons mes enfantsDe l'amour triomphants, Allons au temple, allons ;Un bienfait reconnuDoit espérer des dieuxD'avoir encore mieux. HYLAS Heureux amants, voilà de votre peine Le loyer mérité,Votre constance à ce coup n'est point vaine,Ni votre loyauté :Que si toujours semblable récompenseUn coeur fidèle attend, À votre exemple ? Ah ! Quant à moi je penseQue je serai constant. LE CHOEUR Amour pour passe-tempsD'une même racine,Produit en même temps Et la rose et l'épine.Si la fleur on en veut,Qu'en soi-même on propose,Que l'épine se peutRencontrer pour la rose. Mais qui retireraLa main pour la piqûre,Jamais il n'en auraQue la seule blessure.Qui veut donc cette fleur, Qu'il n'en craigne la plaie ;Car il doit être sûrQu'enfin l'amour nous paye. ==================================================