******************************************************** DC.Title = ADÉLAÏDE DU GUESCLIN, TRAGÉDIE DC.Author = VOLTAIRE DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 15/05/2020 à 13:54:20. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/VOLTAIRE_ADELAIDE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5781021c DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ADÉLAÏDE DU GUESCLIN TRAGÉDIE EN CINQ ACTES M. DCC. LXVI. AVEC APPROBATION et PRIVILÈGE DU ROI. [VOLTAIRE] Représentée, pour la première fois, le 18 janvier 1734 au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain par la Comédie française, reprise le 9 septembre 1765. PRÉFACE DE L'EDITEUR L'AUTEUR m'ayant laissé le maître de cette Tragédie, j'ai cru ne pouvoir mieux faire que d'imprimer la Lettre qu'il écrivait à cette occasion à un de ses amis.... Quand vous m'apprîtes, Monsieur, qu'on jouait à Paris une Adélaïde du Guesclin avec quelque succès, j'étais très loin d'imaginer que ce fût la mienne ; et il importe fort peu au Public que ce soit la chienne ou celle d'un autre. Vous savez ce que j'entends par le Public ; ce n'est pas l'Univers, comme nous autres barbouilleurs de papier, l'avons dit quelquefois. Le Public, en fait de Livres, est composé de quarante ou cinquante personnes, si le Livre est sérieux ; de quatre ou cinq cents, lorsqu'il est plaisant ; et d'environ onze ou douze cents, s'il s'agit d'une Pièce de Théâtre. Il y a toujours dans Paris plus de cinq cents mille âmes qui n'entendent jamais parler de tout cela. Il y avait plus de trente ans que j'avais hasardé devant ce Public une Adélaïde du Guesclin, escortée d'un Duc de Vendôme, et d'un Duc de Nemours qui n'existèrent jamais dans l'Histoire. Le fonds de la pièce était tiré des Annales de Bretagne, et je l'avais ajustée comme j'avais pu au Théâtre sous des noms supposés. Elle fut sifflée dès le premier Acte. Les sifflets redoublèrent au second, quand on vit arriver le Duc de Nemours blessé et le bras en écharpe. Ce fut bien pis, quand on entendit au cinquième le signal que le Duc de Vendôme avait ordonné ; et lorsqu'à la fin le Duc de Vendôme disait, est-ce content Couci ? Plusieurs bons Plaisants crièrent Coussi, Coussi. Vous jugez bien que je ne m'obstinai pas contre cette belle réception. Je donnai quelques années après la même Tragédie sous le titre du Duc de Foix, mais je l'affaiblis beaucoup par respect pour le ridicule. Cette pièce devenue plus mauvaise, réussit assez, et j'oubliai entièrement celle qui valait mieux. Il restait une copie de cette Adélaïde entre les mains d'un des acteurs de Paris. Il ressuscite, sans m'en rien dire, cette défunte Tragédie, et elle a été accueillie avec beaucoup d'applaudissements. Les endroits qui avaient été le plus sifflés, ont été ceux qui ont excité le plus de battements de mains. Vous me demanderez auquel des deux jugements je me tiens : je vous répondrai ce que dit un avocat Vénitien aux Sérénissimes Sénateurs devant lesquels il plaidait ; Il mese passato, disait-il, le vôtre excellenze hanno judicato cosi, et questo mese nella medesima causa hanno judìcato tutto l' contrario et sempre ben. Vos Excellences, le mois passé, jugèrent de cette façon, et ce mois-ci dans la même cause ils ont jugé tout le contraire, et toujours à merveille. M. Oghieres, riche Banquier à Paris, ayant été chargé de faire composer une marche pour un des Régiments de Charles XII, s'adressa au Musicien Mouret ; la marche fut exécutée chez le Banquier en présence de son amis tous grands connaisseurs. La musique fut trouvée détestable. Mouret remporta sa marche et l'inséra dans un Opéra qu'il fit jouer Le Banquier et ses amis allèrent à l'Opéra, la marche fut très applaudie. Eh ! voilà ce que nous voulions, disaient-ils à Mouret ; que ne nous donniez-vous une pièce de ce goût-là ? Messieurs, c'est la même. On ne tarit point sur ces exemples : qui ne sait que la même chose est arrivée aux idées innées, à l'émétique, et à l'inoculation, tour à tour sifflés et bien reçus. Les opinions ont ainsi flotté dans les affaires sérieuses comme dans les Beaux-Arts et dans les Sciences : Quod petiit spernit, repetit quod nuper omisit. La vérité et le bon goût n'ont remis leur sceau que dans la main du temps. Cette réflexion doit retenir les Auteurs des Journaux dans les bornes d'une grande circonspection. Ceux qui rendent compte des Ouvrages, doivent rarement s'empresser de les juger. Ils ne savent pas si le Public à la longue jugera comme eux ; et puisqu'il n'a un sentiment décidé et irrévocable qu'au bout de quelques années, que penser de ceux qui jugent de tout fui une lecture précipitée ? AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR On osera rappeler ici ce que l'Auteur n'a pu dire ; c'est que le Temple du Goût, qui avait paru quelque temps avant Adélaïde, fut cause du peu de succès de cette tragédie. Bien juger et bien composer, c'en était trop à la fois ; on ne le pardonna point à l'auteur. Aujourd'hui le Public plus instruit et plus équitable, a senti que cette pièce joignait aux beautés dont elle est remplie, l'avantage d'avoir exposé sur la scène un des plus sublimes cinquièmes actes qui aient encore paru, d'avoir fait entendre pour la première fois des noms chers aux Français, d'avoir peint en vers très beaux et très harmonieux, les sentiments du Patriotisme Monarchique, sentiments si puissants sur une Nation connue et distinguée dans tous les temps par sa fidélité et son amour pour ses Rois. PERSONNAGES LE DUC DE VENDÔME. LE DUC DE NEMOURS. LE SIEUR DE COUCY. ADÉLAÏDE DU GUESCLIN. TAÏSE D'ANGLURE. DANGESTE, confident du duc de Nemours. Un Officier. Un Garde. La scène est à Lille. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Le sire de Coucy, Adélaïde. COUCY. Digne sang de Guesclin, vous qu'on voit aujourd'huiLe charme des Français dont il était l'appui,Souffrez qu'en arrivant dans ce séjour d'alarmes,Je dérobe un moment au tumulte des armes :Écoutez-moi. Voyez d'un oeil mieux éclairci Les desseins, la conduite et le coeur de Coucy ;Et que votre vertu cesse de méconnaîtreL'âme d'un vrai soldat, digne de vous peut-être. ADÉLAÏDE. Je sais quel est Coucy ; sa noble intégritéSur ses lèvres toujours plaça la vérité. Quoi que vous m'annonciez, je vous croirai sans peine. COUCY. Sachez que si ma foi dans Lille me ramène,Si, du duc de Vendôme embrassant le parti,Mon zèle en sa faveur ne s'est pas démenti,Je n'approuvai jamais la fatale alliance Qui l'unit aux Anglais et l'enlève à la France :Mais dans ces temps affreux de discorde et d'horreur,Je n'ai d'autre parti que celui de mon coeur.Non que pour ce héros mon âme prévenuePrétende à ses défauts fermer toujours ma vue : Je ne m'aveugle pas ; je vois avec douleurDe ses emportements l'indiscrète chaleur :Je vois que de ses sens l'impétueuse ivresseL'abandonne aux excès d'une ardente jeunesse ;Et ce torrent fougueux, que j'arrête avec soin, Trop souvent me l'arrache, et l'emporte trop loin.Il est né violent, non moins que magnanime ;Tendre, mais emporté, mais capable d'un crime.Du sang qui le forma je connais les ardeurs,Toutes les passions sont en lui des fureurs : Mais il a des vertus qui rachètent ses vices.Eh ! qui saurait, madame, où placer ses services,S'il ne nous fallait suivre et ne chérir jamaisQue des coeurs sans faiblesse, et des princes parfaits ?Tout mon sang est à lui ; mais enfin cette épée Dans celui des Français à regret s'est trempée ;Ce fils de Charles Six... ADÉLAÏDE. Osez le nommer roi,Il l'est, il le mérite. COUCY. Il ne l'est pas pour moi.Je voudrais, il est vrai, lui porter mon hommage ;Tous mes voeux sont pour lui ; mais l'amitié m'engage. Mon bras est à Vendôme, et ne peut aujourd'huiNi servir, ni traiter, ni changer, qu'avec lui.Le malheur de nos temps, nos discordes sinistres,Charles qui s'abandonne à d'indignes ministres,Dans ce cruel parti tout l'a précipité Je ne peux à mon choix fléchir sa volonté.J'ai souvent, de son coeur aigrissant les blessures,Révolté sa fierté par des vérités dures :Vous seule, à votre roi le pourriez rappeler,Madame, et c'est de quoi je cherche à vous parler. J'aspirai jusqu'à vous, avant qu'aux murs de LilleVendôme trop heureux vous donnât cet asile ;Je crus que vous pouviez, approuvant mon desseinAccepter sans mépris mon hommage et ma main ;Que je pouvais unir, sans une aveugle audace, Les lauriers des Guesclin aux lauriers de ma race :La gloire le voulait, et peut-être l'amour,Plus puissant et plus doux, l'ordonnait à son tour ;Mais à de plus beaux noeuds je vous vois destinée.La guerre dans Cambrai vous avait amenée Parmi les flots d'un peuple à soi-même livré,Sans raison, sans justice, et de sang enivré.Un ramas de mutins, troupe indigne de vivre,Vous méconnut assez pour oser vous poursuivre ;Vendôme vint, parut, et son heureux secours Punit leur insolence, et sauva vos beaux jours.Quel Français, quel mortel, eût pu moins entreprendre ?Et qui n'aurait brigué l'honneur de vous défendre ?La guerre en d'autres lieux égarait ma valeur ;Vendôme vous sauva, Vendôme eut ce bonheur : La gloire en est à lui, qu'il en ait le salaire ;Il a par trop de droits mérité de vous plaire ;Il est prince, il est jeune, il est votre vengeur :Ses bienfaits et son nom, tout parle en sa faveur.La justice et l'amour vous pressent de vous rendre : Je n'ai rien fait pour vous, je n'ai rien à prétendre ;Je me tais... Mais sachez que, pour vous mériter,À tout autre qu'à lui j'irais vous disputer ;Je céderais à peine aux enfants des rois même :Mais Vendôme est mon chef, il vous adore, il m'aime ; Coucy, ni vertueux, ni superbe à demi,Aurait bravé le prince, et cède à son ami.Je fais plus ; de mes sens maîtrisant la faiblesse,J'ose de mon rival appuyer la tendresse,Vous montrer votre gloire, et ce que vous devez Au héros qui vous sert et par qui vous vivez.Je verrai d'un oeil sec et d'un coeur sans envieCet hymen qui pouvait empoisonner ma vie.Je réunis pour vous mon service et mes voeux ;Ce bras qui fut à lui combattra pour tous deux ; Voilà mes sentiments. Si je me sacrifie,L'amitié me l'ordonne, et surtout la patrie.Songez que si l'hymen vous range sous sa loi,Si ce prince est à vous, il est à votre roi. ADÉLAÏDE. Qu'avec étonnement, seigneur, je vous contemple ! Que vous donnez au monde un rare et grand exemple !Quoi ! ce coeur (je le crois sans feinte et sans détour)Connaît l'amitié seule, et peut braver l'amour !Il faut vous admirer quand on sait vous connaître :Vous servez votre ami, vous servirez mon maître. Un coeur si généreux doit penser comme moi :Tous ceux de votre sang sont l'appui de leur roi.Eh bien ! de vos vertus je demande une grâce. COUCY. Vos ordres sont sacrés : que faut-il que je fasse ? ADÉLAÏDE. Vos conseils généreux me pressent d'accepter Ce rang, dont un grand prince a daigné me flatter.Je n'oublierai jamais combien son choix m'honore ;J'en vois toute la gloire ; et quand je songe encoreQu'avant qu'il fût épris de cet ardent amour,Il daigna me sauver et l'honneur et le jour, Tout ennemi qu'il est de son roi légitime,Tout vengeur des Anglais, tout protecteur du crime,Accablée à ses yeux du poids de ses bienfaits,Je crains de l'affliger, seigneur, et je me tais.Mais, malgré son service et ma reconnaissance, Il faut par des refus répondre à sa constance :Sa passion m'afflige ; il est dur à mon coeur,Pour prix de tant de soins, de causer son malheur.À ce prince, à moi-même, épargnez cet outrage :Seigneur, vous pouvez tout sur ce jeune courage. Souvent on vous a vu, par vos conseils prudents,Modérer de son coeur les transports turbulents.Daignez débarrasser ma vie et ma fortuneDe ces noeuds trop brillants, dont l'éclat m'importune.De plus fières beautés, de plus dignes appas, Brigueront sa tendresse, où je ne prétends pas.D'ailleurs, quel appareil, quel temps, pour l'hyménée !Des armes de mon roi Lille est environnée ;J'entends de tous cotés les clameurs des soldats,Et les sons de la guerre, et les cris du trépas. La terreur me consume ; et votre prince ignoreSi Nemours... si son frère, hélas ! respire encore !Ce frère qu'il aima... ce vertueux Nemours...On disait que la Parque avait tranché ses jours ;Que la France en aurait une douleur mortelle ! Seigneur, au sang des rois il fut toujours fidèle.S'il est vrai que sa mort... Excusez mes ennuis,Mon amour pour mes rois, et le trouble où je suis. COUCY. Vous pouvez l'expliquer au prince qui vous aime,Et de tous vos secrets l'entretenir vous-même : Il va venir, madame, et peut-être vos voeux... ADÉLAÏDE. Ah ! Coucy, prévenez le malheur de tous deux.Si vous aimez ce prince, et si, dans mes alarmes,Avec quelque pitié vous regardez mes larmes,Sauvez-le, sauvez-moi, de ce triste embarras ; Daignez tourner ailleurs ses desseins et ses pas.Pleurante et désolée empêchez qu'il me voie. COUCY. Je plains cette douleur où votre âme est en proie ;Et, loin de la gêner d'un regard curieux,Je baisse devant elle un oeil respectueux : Mais quel que soit l'ennui dont votre coeur soupire,Je vous ai déjà dit ce que j'ai dû vous dire ;Je ne puis rien de plus : le prince est soupçonneux ;Je lui serais suspect en expliquant vos voeux.Je sais à quel excès irait sa jalousie, Quel poison mes discours répandraient sur sa vie :Je vous perdrais peut-être ; et mon soin dangereux,Madame, avec un mot, ferait trois malheureux.Vous, à vos intérêts rendez-vous moins contraire,Pesez sans passion l'honneur qu'il veut vous faire. Moi, libre entre vous deux, souffrez que, dès ce jour,Oubliant à jamais le langage d'amour,Tout entier à la guerre, et maître de mon âme,J'abandonne à leur sort et vos voeux et sa flamme.Je crains de l'affliger, je crains de vous trahir ; Et ce n'est qu'aux combats que je dois le servir.Laissez-moi d'un soldat garder le caractère,Madame ; et puisque enfin la France vous est chère.Rendez-lui ce héros qui serait son appuiJe vous laisse y penser, et je cours près de lui. Adieu, madame... SCÈNE II. Adélaïde, Taïse. ADÉLAÏDE. Où suis-je ? Hélas ! Tout m'abandonne.Nemours... de tous côtés le malheur m'environne.Ciel ! qui m'arrachera de ce cruel séjour ? TAÏSE. Quoi ! Du duc de Vendôme et le choix et l'amour,Quoi ! Ce rang qui ferait le bonheur ou l'envie De toutes les beautés dont la France est remplie,Ce rang qui touche au trône, et qu'on met à vos pieds,Ferait couler les pleurs dont vos yeux sont noyés ? ADÉLAÏDE. Ici, du haut des cieux, du Guesclin me contemple ;De la fidélité ce héros fut l'exemple : Je trahirais le sang qu'il versa pour nos lois,Si j'acceptais la main du vainqueur de nos rois. TAÏSE. Quoi dans ces tristes temps de ligues et de haines,Qui confondent des droits les bornes incertaines,Où le meilleur parti semble encor si douteux, Où les enfants des rois sont divisés entre eux ;Vous, qu'un astre plus doux semblait avoir forméePour unir tous les coeurs et pour en être aimée ;Vous refusez l'honneur qu'on offre à vos appas,Pour l'intérêt d'un roi qui ne l'exige pas ? ADÉLAÏDE, en pleurant. Mon devoir me rangeait du parti de ses armes. TAÏSE. Ah ! le devoir tout seul fait-il verser des larmes ?Si Vendôme vous aime, et si, par son secours... ADÉLAÏDE. Laisse là ses bienfaits, et parle de Nemours.N'en as-tu rien appris ? Sait-on s'il vit encore ? TAÏSE. Voilà donc en effet le soin qui vous dévore,Madame ? ADÉLAÏDE. Il est trop vrai : je l'avoue, et mon coeurNe peut plus soutenir le poids de sa douleur.Elle échappe, elle éclate, elle se justifie ;Et si Nemours n'est plus, sa mort finit ma vie. TAÏSE. Et vous pouviez cacher ce secret à ma foi ? ADÉLAÏDE. Le secret de Nemours dépendait-il de moi ?Nos feux, toujours brûlant dans l'ombre du silence,Trompaient de tous les yeux la triste vigilance.Séparés l'un de l'autre, et sans cesse présents, Nos coeurs de nos soupirs étaient seuls confidents ;Et Vendôme, surtout, ignorant ce mystère,Ne sait pas si mes yeux ont jamais vu son frère.Dans les murs de Paris... Mais, ô soins superflus !Je te parle de lui, quand peut-être il n'est plus. Ô murs ou j'ai vécu de Vendôme ignorée !Ô temps où, de Nemours en secret adorée,Nous touchions l'un et l'autre au fortuné momentQui m'allait aux autels unir à mon amant !La guerre a tout détruit. Fidèle au roi son maître, Mon amant me quitta, pour m'oublier peut-être ;Il partit, et mon coeur qui le suivait toujours,À vingt peuples armés redemanda Nemours.Je portai dans Cambrai ma douleur inutile ;Je voulus rendre au roi cette superbe ville ; Nemours à ce dessein devait servir d'appui ;L'amour me conduisait, je faisais tout pour lui.C'est lui qui, d'une fille animant le courage,D'un peuple factieux me fit braver la rage.Il exposa mes jours, pour lui seul réservés, Jours tristes, jours affreux, qu'un autre a conservés !Ah ! qui m'éclaircira d'un destin que j'ignore ?Français, qu'avez-vous fait du héros que j'adore ?Ses lettres autrefois, chers gages de sa foi,Trouvaient mille chemins pour venir jusqu'à moi. Son silence me tue ; hélas ! il sait peut-êtreCet amour qu'à mes yeux son frère a fait paraître.Tout ce que j'entrevois conspire à m'alarmer ;Et mon amant est mort, ou cesse de m'aimer !Et pour comble de maux, je dois tout à son frère ! TAÏSE. Cachez bien à ses yeux ce dangereux mystère :Pour vous, pour votre amant, redoutez son courroux.Quelqu'un vient. ADÉLAÏDE. C'est lui-même, ô ciel ! TAÏSE. Contraignez-vous. SCÈNE III. Le Duc de Vendôme, Adélaïde, Taïse. VENDÔME. J'oublie à vos genoux, charmante Adélaïde,Le trouble et les horreurs où mon destin me guide ; Vous seule adoucissez les maux que nous souffrons,Vous nous rendez plus pur l'air que nous respirons.La discorde sanglante afflige ici la terre ;Vos jours sont entourés des pièges de la guerre.J'ignore à quel destin le ciel veut me livrer ; Mais si d'un peu de gloire il daigne m'honorer,Cette gloire, sans vous obscure et languissante,Des flambeaux de l'hymen deviendra plus brillante.Souffrez que mes lauriers, attachés par vos mains,Écartent le tonnerre et bravent les destins ; Ou, si le ciel jaloux a conjuré ma perte,Souffrez que de nos noms ma tombe au moins couverte,Apprenne à l'avenir que Vendôme amoureuxExpira votre époux, et périt trop heureux. ADÉLAÏDE. Tant d'honneurs, tant d'amour, servent à me confondre. Prince... Que lui dirai-je ? et comment lui répondre ?Ainsi, Seigneur... Coucy ne vous a point parlé ? VENDÔME. Non, madame... D'où vient que votre coeur troubléRépond en frémissant à ma tendresse extrême ?Vous parlez de Coucy, quand Vendôme vous aime ! ADÉLAÏDE. Prince, s'il était vrai que ce brave NemoursDe ses ans pleins de gloire eût terminé le cours,Vous qui le chérissiez d'une amitié si tendre,Vous qui devez au moins des larmes à sa cendre,Au milieu des combats, et près de son tombeau, Pourriez-vous de l'hymen allumer le flambeau ? VENDÔME. Ah ! je jure par vous, vous qui m'êtes si chère,Par les doux noms d'amants, par le saint nom de frère,Que Nemours, après vous, fut toujours à mes yeuxLe plus cher des mortels, et le plus précieux. Lorsqu'à mes ennemis sa valeur fut livrée,Ma tendresse en souffrit, sans en être altérée.Sa mort m'accablerait des plus horribles coups ;Et pour m'en consoler, mon coeur n'aurait que vous.Mais on croit trop ici l'aveugle renommée, Son infidèle voix vous a mal informée :Si mon frère était mort, doutez-vous que son roi,Pour m'apprendre sa perte, eût dépêché vers moi ?Ceux que le ciel forma d'une race si pure,Au milieu de la guerre écoutant la nature, Et protecteurs des lois que l'honneur doit dicter,Même en se combattant, savent se respecter.À sa perte, en un mot, donnons moins de créance.Un bruit plus vraisemblable, et m'afflige, et m'offense :On dit que vers ces lieux il a porté ses pas. ADÉLAÏDE. Seigneur, il est vivant ? VENDÔME. Je lui pardonne, hélas !Qu'au parti de son roi son intérêt le range ;Qu'il le défende ailleurs, et qu'ailleurs il le venge ;Qu'il triomphe pour lui, je le veux, j'y consens :Mais se mêler ici parmi les assiégeants, Me chercher, m'attaquer, moi, son ami, son frère... ADÉLAÏDE. Le roi le veut, sans doute. VENDÔME. Ah ! destin trop contraire !Se pourrait-il qu'un frère, élevé dans mon sein,Pour mieux servir son roi levât sur moi sa main ?Lui qui devrait plutôt, témoin de cette fête, Partager, augmenter, mon bonheur qui s'apprête. ADÉLAÏDE. Lui ? VENDÔME. C'est trop d'amertume en des moments si doux.Malheureux par un frère, et fortuné par vous,Tout entier à vous seule, et bravant tant d'alarmes,Je ne veux voir que vous, mon hymen, et vos charmes. Qu'attendez-vous ? donnez à mon coeur éperduCe coeur que j'idolâtre, et qui m'est si bien dû. ADÉLAÏDE. Seigneur, de vos bienfaits mon âme est pénétrée ;La mémoire à jamais m'en est chère et sacrée ;Mais c'est trop prodiguer vos augustes bontés, C'est mêler trop de gloire à mes calamités ;Et cet honneur... VENDÔME. Comment ! ô ciel ! qui vous arrête ? ADÉLAÏDE. Je dois... SCÈNE IV. Vendôme, Adélaïde, Taïse, Coucy. COUCY. Prince, il est temps, marchez à notre tête.Déjà les ennemis sont au pied des remparts.Échauffez nos guerriers du feu de vos regards : Venez vaincre. VENDÔME. Ah ! courons dans l'ardeur qui me presse,Quoi ! vous n'osez d'un mot rassurer ma tendresse ?Vous détournez les veux ! vous tremblez ! et je voiQue vous cachez des pleurs qui ne sont pas pour moi. COUCY. Le temps presse. VENDÔME. Il est temps que Vendôme périsse : Il n'est point de Français que l'amour avilisse :Amants aimés, heureux, ils cherchent les combats,Ils courent à la gloire ; et je vole au trépas.Allons, brave Coucy, la mort la plus cruelle,La mort, que je désire, est moins barbare qu'elle. ADÉLAÏDE. Ah ! seigneur, modérez cet injuste courroux ;Autant que je le dois je m'intéresse à vous.J'ai payé vos bienfaits, mes jours, ma délivrance,Par tous les sentiments qui sont en ma puissance ;Sensible à vos dangers, je plains votre valeur. VENDÔME. Ah ! Que vous savez bien le chemin de mon coeur ?Que vous savez mêler la douceur à l'injure !Un seul mot m'accablait, un seul mot me rassure.Content, rempli de vous, j'abandonne ces lieux,Et crois voir ma victoire écrite dans vos yeux. SCÈNE V. Adélaïde, Taïse. TAÏSE. Vous voyez sans pitié sa tendresse alarmée. ADÉLAÏDE. Est-il bien vrai ? Nemours serait-il dans l'armée ?Ô discorde fatale ! Amour plus dangereux !Que vous coûterez cher à ce coeur malheureux ! ACTE II SCÈNE I. Vendôme, Coucy. VENDÔME. Nous périssions sans vous, Coucy, je le confesse. Vos conseils ont guidé ma fougueuse jeunesse ;C'est vous dont l'esprit ferme et les yeux pénétrantsM'ont porté des secours en cent lieux différents.Que n'ai-je, comme vous, ce tranquille courage,Si froid dans le danger, si calme dans l'orage ! Coucy m'est nécessaire aux conseils, aux combats ;Et c'est à sa grande âme à diriger mon bras. COUCY. Ce courage brillant, qu'en vous on voit paraître,Sera maître de tout quand vous en serez maître :Vous l'avez su régler, et vous avez vaincu. Ayez dans tous les temps cette utile vertuQui sait se posséder peut commander au monde.Pour moi, de qui le bras faiblement vous seconde,Je connais mon devoir, et je vous ai suivi.Dans l'ardeur du combat je vous ai peu servi ; Nos guerriers sur vos pas marchaient à la victoire,Et suivre les Bourbons, c'est voler à la gloire.Vous seul, seigneur, vous seul avez fait prisonnierCe chef des assaillants, ce superbe guerrier.Vous l'avez pris vous-même, et, maître de sa vie, Vos secours l'ont sauvé de sa propre furie. VENDÔME. D'où vient donc, cher Coucy, que cet audacieux,Sous son casque fermé, se cachait à mes veux ?D'où vient qu'en le prenant, qu'en saisissant ses armes,J'ai senti, malgré moi, de nouvelles alarmes ? Un je ne sais quel trouble en moi s'est élevé ;Soit que ce triste amour, dont je suis captivé,Sur mes sens égarés répandant sa tendresse,Jusqu'au sein des combats m'ait prêté sa faiblesse,Qu'il ait voulu marquer toutes mes actions Par la molle douceur de ses impressions ;Soit plutôt que la voix de ma triste patrieParle encore en secret au coeur qui l'a trahie ;Qu'elle condamne encor mes funestes succès,Et ce bras qui n'est teint que du sang des Français. COUCY. Je prévois que bientôt cette guerre fatale,Ces troubles intestins de la maison royale,Ces tristes factions, céderont au dangerD'abandonner la France au fils de l'étranger.Je vois que de l'Anglais la race est peu chérie, Que leur joug est pesant, qu'on aime la patrie,Que le sang des Capets est toujours adoré.Tôt ou tard il faudra que de ce tronc sacréLes rameaux divisés et courbés par l'orage,Plus unis et plus beaux, soient notre unique ombrage. Nous, seigneur, n'avons-nous rien à nous reprocher ?Le sort au prince anglais voulut vous attacher ;De votre sang, du sien, la querelle est commune :Vous suivez son parti, je suis votre fortune.Comme vous aux Anglais le destin m'a lié : Vous, par le droit du sang ; moi, par notre amitié :Permettez-moi ce mot... Eh quoi ! votre âme émue... VENDÔME. Ah ! voilà ce guerrier qu'on amène à ma vue. SCÈNE II. Vendôme, Le Duc de Nemours, Coucy, Soldats, Suite. VENDÔME. Il soupire, il paraît accablé de regrets. COUCY. Son sang sur son visage a confondu ses traits ; Il est blessé sans doute. NEMOURS, dans le fond du théâtre. Entreprise funesteQui de ma triste vie arrachera le reste !Où me conduisez-vous ? VENDÔME. Devant votre vainqueur,Qui sait d'un ennemi respecter la valeur.Venez, ne craignez rien. NEMOURS, se tournant vers son écuyer. Je ne crains que de vivre ; Sa présence m'accable, et je ne puis poursuivre.Il ne me connaît plus, et mes sens attendris... VENDÔME. Quelle voix, quels accents ont frappé mes esprits ? NEMOURS, le regardant. M'as-tu pu méconnaître ? VENDÔME, l'embrassant. Ah, Nemours ! ah, mon frère ! NEMOURS. Ce nom jadis si cher, ce nom me désespère. Je ne le suis que trop, ce frère infortuné,Ton ennemi vaincu, ton captif enchaîné. VENDÔME. Tu n'es plus que mon frère. Ah ! moment plein de charmes !Ah ! laisse-moi laver ton sang avec mes larmes. À sa suite.Avez-vous par vos soins ?... NEMOURS. Oui, leurs cruels secours Ont arrêté mon sang, ont veillé sur mes jours,De la mort que je cherche ont écarté l'approche. VENDÔME. Ne te détourne point, ne crains point mon reproche.Mon coeur te fut connu ; peux-tu t'en défier ?Le bonheur de te voir me fait tout oublier. J'eusse aimé contre un autre à montrer mon courage.Hélas ! que je te plains ! NEMOURS. Je te plains davantageDe haïr ton pays, de trahir sans remordsEt le roi qui t'aimait, et le sang dont tu sors. VENDÔME. Arrête : épargne-moi l'infâme nom de traître ; À cet indigne mot je m'oublierais peut-être.Frémis d'empoisonner la joie et les douceursQue ce tendre moment doit verser dans nos coeurs.Dans ce jour malheureux que l'amitié l'emporte. NEMOURS. Quel jour ! VENDÔME. Je le bénis. NEMOURS. Il est affreux. VENDÔME. N'importe ; Tu vis, je te revois, et je suis trop heureux.Ô ciel ! de tous côtés vous remplissez mes voeux ! NEMOURS. Je te crois. On disait que d'un amour extrême,Violent, effréné (car c'est ainsi qu'on aime),Ton coeur, depuis trois mois s'occupait tout entier ? VENDÔME. J'aime ; oui, la renommée a pu le publier ;Oui, j'aime avec fureur une telle allianceSemblait pour mon bonheur attendre ta présence ;Oui, mes ressentiments, mes droits, mes alliés,Gloire, amis, ennemis, je mets tout à ses pieds. À un officier de sa suite.Allez, et dites-lui que deux malheureux frères,Jetés par le destin dans des partis contraires,Pour marcher désormais sous le même étendard,De ses yeux souverains n'attendent qu'un regard. À Nemours.Ne blâme point l'amour où ton frère est en proie ; Pour me justifier il suffit qu'on la voie. NEMOURS. Ô ciel !... elle vous aime !... VENDÔME. Elle le doit, du moins ;Il n'était qu'un obstacle au succès de mes soins ;Il n'en est plus ; je veux que rien ne nous sépare. NEMOURS. Quels effroyables coups le cruel me prépare ! Écoute ; à ma douleur ne veux-tu qu'insulter ?Me connais-tu ? sais-tu ce que j'ose attenter ?Dans ces funestes lieux sais-tu ce qui m'amène ? VENDÔME. Oublions ces sujets de discorde et de haine. SCÈNE III. Vendôme, Nemours, Adélaïde, Coucy. VENDÔME. Madame, vous voyez que du sein du malheur, Le ciel qui nous protège a tiré mon bonheur.J'ai vaincu, je vous aime, et je retrouve un frère ;Sa présence à mon coeur vous rend encor plus chère. ADÉLAÏDE. Le voici ! malheureuse ! ah ! cache au moins tes pleurs NEMOURS, entre les bras de son écuyer. Adélaïde... ô ciel !... c'en est fait, je me meurs. VENDÔME. Que vois-je ! Sa blessure à l'instant s'est rouverte !Son sang coule ! NEMOURS. Est-ce à toi de prévenir ma perte ? VENDÔME. Ah ! mon frère ! NEMOURS. Ote-toi, je chéris mon trépas. ADÉLAÏDE. Ciel !... Nemours ! NEMOURS, à Vendôme. Laisse-moi. VENDÔME. Je ne te quitte pas. SCÈNE IV. Adélaïde, Taïse. ADÉLAÏDE. On l'emporte : il expire : il faut que je le suive. TAÏSE. Ah ! que cette douleur se taise et se captive.Plus vous l'aimez, madame, et plus il faut songerQu'un rival violent... ADÉLAÏDE. Je songe à son danger.Voilà ce que l'amour et mon malheur lui coûte.Taïse, c'est pour moi qu'il combattait, sans doute ; C'est moi que dans ces murs il osait secourir ;Il servait son monarque, il m'allait conquérir.Quel prix de tant de soins ! Quel fruit de sa constance !Hélas ! Mon tendre amour accusait son absence :Je demandais Nemours, et le ciel me le rend : J'ai revu ce que j'aime, et l'ai revu mourant :Ces lieux sont teints du sang qu'il versait à ma vue.Ah ! Taïse, est-ce ainsi que je lui suis rendue ?Va le trouver ; va, cours auprès de mon amant. TAÏSE. Eh ! Ne craignez-vous pas que tant d'empressement N'ouvre les yeux jaloux d'un prince qui vous aime ?Tremblez de découvrir... ADÉLAÏDE. J'y volerai moi-même.D'une autre main, Taïse, il reçoit des secours :Un autre a le bonheur d'avoir soin de ses jours :Il faut que je le voie, et que de son amante La faible main s'unisse à sa main défaillante.Hélas ! des mêmes coups nos deux coeurs pénétrés.. TAÏSE. Au nom de cet amour, arrêtez, demeurez ;Reprenez vos esprits. ADÉLAÏDE. Rien ne m'en peut distraire. SCÈNE V. Vendôme, Adélaïde, Taïse. ADÉLAÏDE. Ah ! prince, en quel état laissez-vous votre frère ? VENDÔME. Madame, par mes mains son sang est arrêté.Il a repris sa force et sa tranquillité.Je suis le seul à plaindre, et le seul en alarmes ;Je mouille en frémissant mes lauriers de mes larmes ;Et je hais ma victoire et mes prospérités, Si je n'ai par mes soins vaincu vos cruautés :Si votre incertitude, alarmant mes tendresses,Ose encor démentir la foi de vos promesses. ADÉLAÏDE. Je ne vous promis rien : vous n'avez point ma foi ;Et la reconnaissance est tout ce que je dois. VENDÔME. Quoi ! lorsque de ma main je vous offrais l'hommage !. ADÉLAÏDE. D'un si noble présent j'ai vu tout l'avantage ;Et sans chercher ce rang qui ne m'était pas dû,Par de justes respects je vous ai répondu.Vos bienfaits, votre amour, et mon amitié même, Tout vous flattait sur moi d'un empire suprêmeTout vous a fait penser qu'un rang si glorieux,Présenté par vos mains, éblouirait mes yeux.Vous vous trompiez : il faut rompre enfin le silence.Je vais vous offenser ; je me fais violence : Mais, réduite à parler, je vous dirai, seigneur,Que l'amour de mes rois est gravé dans mon coeur.De votre sang au mien je vois la différence ;Mais celui dont je sors a coulé pour la France.Ce digne connétable en mon coeur a transmis La haine qu'un Français doit à ses ennemis ;Et sa nièce jamais n'acceptera pour maîtreL'allié des Anglais, quelque grand qu'il puisse être.Voilà les sentiments que son sang m'a tracés,Et s'ils vous font rougir, c'est vous qui m'y forcez. VENDÔME. Je suis, je l'avouerai, surpris de ce langage ;Je ne m'attendais pas à ce nouvel outrage,Et n'avais pas prévu que le sort en courroux,Pour m'accabler d'affronts, dût se servir de vous.Vous avez fait, madame, une secrète étude Du mépris, de l'insulte, et de l'ingratitude ;Et votre coeur enfin, lent à se déployer,Hardi par ma faiblesse, a paru tout entier.Je ne connaissais pas tout ce zèle héroïque,Tant d'amour pour vos rois, ou tant de politique. Mais, vous qui m'outragez, me connaissez-vous bien ?Vous reste-t-il ici de parti que le mien ?Vous qui me devez tout, vous qui, sans ma défense,Auriez de ces Français assouvi la vengeance,De ces mêmes Français, à qui vous vous vantez De conserver la foi d'un coeur que vous m'ôtez !Est-ce donc là le prix de vous avoir servie ? ADÉLAÏDE. Oui, vous m'avez sauvée ; oui, je vous dois la vie ;Mais, seigneur, mais, hélas ! n'en puis-je disposer ?Me la conserviez-vous pour la tyranniser ? VENDÔME. Je deviendrai tyran, mais moins que vous, cruelle ;Mes yeux lisent trop bien dans votre âme rebelle ;Tous vos prétextes faux m'apprennent vos raisons :Je vois mon déshonneur, je vois vos trahisons.Quel que soit l'insolent que ce coeur me préfère, Redoutez mon amour, tremblez de ma colère ;C'est lui seul désormais que mon bras va chercher ;De son coeur tout sanglant j'irai vous arracher ;Et si, dans les horreurs du sort qui nous accable,De quelque joie encor ma fureur est capable, Je la mettrai, perfide, à vous désespérer. ADÉLAÏDE. Non, seigneur, la raison saura vous éclairer.Non, votre âme est trop noble, elle est trop élevée,Pour opprimer ma vie après l'avoir sauvée.Mais si votre grand coeur s'avilissait jamais Jusqu'à persécuter l'objet de vos bienfaits,Sachez que ces bienfaits, vos vertus, votre gloire,Plus que vos cruautés, vivront dans ma mémoire.Je vous plains, vous pardonne, et veux vous respecter ;Je vous ferai rougir de me persécuter ; Et je conserverai, malgré votre menace,Une âme sans courroux, sans crainte, et sans audace. VENDÔME. Arrêtez ; pardonnez aux transports égarés,Aux fureurs d'un amant que vous désespérez.Je vois trop qu'avec vous Coucy d'intelligence, D'une cour qui me hait embrasse la défense ;Que vous voulez tous deux m'unir à votre roi,Et de mon sort enfin disposer malgré moi.Vos discours sont les siens. Ah ! parmi tant d'alarmes,Pourquoi recourez-vous à ces nouvelles armes ? Pour gouverner mon coeur, l'asservir, le changer,Aviez-vous donc besoin d'un secours étranger ?Aimez, il suffira d'un mot de votre bouche. ADÉLAÏDE. Je ne vous cache point que du soin qui me touche,À votre ami, seigneur, mon coeur s'était remis ; Je vois qu'il a plus fait qu'il ne m'avait promis.Ayez pitié des pleurs que mes yeux lui confient ;Vous les faites couler, que vos mains les essuient.Devenez assez grand pour apprendre à dompterDes feux que mon devoir me force à rejeter. Laissez-moi tout entière à la reconnaissance. VENDÔME. Le seul Coucy, sans doute, a votre confiance ;Mon outrage est connu ; je sais vos sentiments. ADÉLAÏDE. Vous les pourrez, seigneur, connaître avec le temps ;Mais vous n'aurez jamais le droit de les contraindre, Ni de les condamner, ni même de vous plaindre.D'un guerrier généreux j'ai recherché l'appui ;Imitez sa grande âme, et pensez comme lui. SCÈNE VI. VENDÔME. Eh bien ! C'en est donc fait ! L'ingrate, la parjure,À mes yeux sans rougir étale mon injure : De tant de trahison l'abîme est découvert ;Je n'avais qu'un ami, c'est lui seul qui me perd.Amitié, vain fantôme, ombre que j'ai chérie,Toi qui me consolais des malheurs de ma vie,Bien que j'ai trop aimé, que j'ai trop méconnu, Trésor cherché sans cesse, et jamais obtenu !Tu m'as trompé, cruelle, autant que l'amour même ;Et maintenant, pour prix de mon erreur extrême,Détrompé des faux biens, trop faits pour me charmer,Mon destin me condamne à ne plus rien aimer. Le voilà cet ingrat qui, fier de son parjure,Vient encor de ses mains déchirer ma blessure. SCÈNE VII. Vendôme, Coucy. COUCY. Prince, me voilà prêt disposez de mon bras...Mais d'où naît à mes yeux cet étrange embarras ?Quand vous avez vaincu, quand vous sauvez un frère, Heureux de tous côtés, qui peut donc vous déplaire ? VENDÔME. Je suis désespéré, je suis haï, jaloux. COUCY. Eh bien ! De vos soupçons quel est l'objet, qui ? VENDÔME. Vous,Vous, dis-je ; et du refus qui vient de me confondre,C'est vous, ingrat ami, qui devez me répondre. Je sais qu'Adélaïde ici vous a parlé ;En vous nommant à moi, la perfide a tremblé ;Vous affectez sur elle un odieux silence,Interprète muet de votre intelligence :Elle cherche à me fuir, et vous à me quitter. Je crains tout, je crois tout. COUCY. Voulez-vous m'écouter ? VENDÔME. Je le veux. COUCY. Pensez-vous que j'aime encor la gloire ?M'estimez-vous encore, et pourrez-vous me croire ? VENDÔME. Oui, jusqu'à ce moment je vous crus vertueux ;Je vous crus mon ami. COUCY. Ces titres glorieux Furent toujours pour moi l'honneur le plus insigne ;Et vous allez juger si mon âme en est digne.Sachez qu'Adélaïde avait touché mon coeurAvant que, de sa vie heureux libérateur,Vous eussiez par vos soins, par cet amour sincère, Surtout par vos bienfaits, tant de droits de lui plaire.Moi, plus soldat que tendre, et dédaignant toujoursCe grand art de séduire inventé dans les cours,Ce langage flatteur, et souvent si perfide,Peu fait pour mon esprit peut-être trop rigide, Je lui parlai d'hymen ; et ce noeud respecté,Resserré par l'estime et par l'égalité,Pouvait lui préparer des destins plus propicesQu'un rang plus élevé mais sur des précipices.Hier avec la nuit je vins dans vos remparts ; Tout votre coeur parut à mes premiers regards.De cet ardent amour la nouvelle semée,Par vos emportements me fut trop confirmée.Je vis de vos chagrins les funestes accès ;J'en approuvai la cause, et j'en blâmai l'excès. Aujourd'hui j'ai revu cet objet de vos larmes ;D'un oeil indifférent j'ai regardé ses charmes.Libre et juste auprès d'elle, à vous seul attaché,J'ai fait valoir les feux dont vous êtes touché ;J'ai de tous vos bienfaits rappelé la mémoire, L'éclat de votre rang, celui de votre gloire,Sans cacher vos défauts vantant votre vertu,Et pour vous contre moi j'ai fait ce que j'ai dû.Je m'immole à vous seul, et je me rends justice ;Et, si ce n'est assez d'un si grand sacrifice, S'il est quelque rival qui vous ose outrager,Tout mon sang est à vous, et je cours vous venger. VENDÔME. Ah ! généreux ami, qu'il faut que je révère,Oui, le destin dans toi me donne un second frère ;Je n'en étais pas digne, il le faut avouer : Mon coeur? COUCY. Aimez-moi, prince, au lieu de me louer ;Et si vous me devez quelque reconnaissance,Faites votre bonheur, il est ma récompense.Vous voyez quelle ardente et fière inimitiéVotre frère nourrit contre votre allié. Sur ce grand intérêt souffrez que je m'explique.Vous m'avez soupçonné de trop de politique,Quand j'ai dit que bientôt on verrait réunisLes débris dispersés de l'empire des lis.Je vous le dis encore au sein de votre gloire ; Et vos lauriers brillants, cueillis par la victoire,Pourront sur votre front se flétrir désormaisS'ils n'y sont soutenus de l'olive de paix.Tous les chefs de l'État, lassés de ces ravages,Cherchent un port tranquille après tant de naufrages ; Gardez d'être réduit au hasard dangereuxDe vous voir, ou trahir, ou prévenir par eux.Passez-les en prudence, aussi bien qu'en courage.De cet heureux moment prenez tout l'avantage ;Gouvernez la fortune, et sachez l'asservir : C'est perdre ses faveurs que tarder d'en jouir :Ses retours sont fréquents, vous devez les connaître.Il est beau de donner la paix à votre maître.Son égal aujourd'hui, demain dans l'abandon,Vous vous verrez réduit à demander pardon. La gloire vous conduit : que la raison vous guide. VENDÔME. Brave et prudent Coucy, crois-tu qu'AdélaïdeDans son coeur amolli partagerait mes feux,Si le même parti nous unissait tous deux ?Penses-tu qu'à m'aimer je pourrais la réduire ? COUCY. Dans le fond de son coeur je n'ai point voulu lire :Mais qu'importe pour vous ses voeux et ses desseins ?Faut-il que l'amour seul fasse ici nos destins ?Lorsque Philippe-Auguste, aux plaines de Bovines,De l'État déchiré répara les ruines, Quand seul il arrêta, dans nos champs inondés,De l'empire germain les torrents débordés ;Tant d'honneurs étaient-ils l'effet de sa tendresse ?Sauva-t-il son pays pour plaire à sa maîtresse ?Verrai-je un si grand coeur à ce point s'avilir ? Le salut de l'État dépend-il d'un soupir ?Aimez, mais en héros qui maîtrise son âme,Qui gouverne à la fois ses États et sa flamme.Mon bras contre un rival est prêt à vous servir ;Je voudrais faire plus, je voudrais vous guérir. On connaît peu l'amour, on craint trop son amorce ;C'est sur nos lâchetés qu'il a fondé sa force ;C'est nous qui sous son nom troublons notre repos ;Il est tyran du faible, esclave du héros.Puisque je l'ai vaincu, puisque je le dédaigne, Dans l'âme d'un Bourbon souffrirez-vous qu'il règne ?Vos autres ennemis par vous sont abattus,Et vous devez en tout l'exemple des vertus. VENDÔME. Le sort en est jeté, je ferai tout pour elle ;Il faut bien à la fin désarmer la cruelle ; Ses lois seront mes lois, son roi sera le mien ;Je n'aurai de parti, de maître que le sien.Possesseur d'un trésor où s'attache ma vie,Avec mes ennemis je me réconcilie ;Je lirai dans ses yeux mon sort et mon devoir ; Mon coeur est enivré de cet heureux espoir.Enfin, plus de prétexte à ses refus injustes :Raison, gloire, intérêt, et tous ces droits augustesDes princes de mon sang et de mes souverains,Sont des liens sacrés resserrés par ses mains. Du roi, puisqu'il le faut, soutenons la couronne ;La vertu le conseille, et la beauté l'ordonne.Je veux entre tes mains, en ce fortuné jour,Sceller tous les serments que je fais à l'amour :Quant à mes intérêts, que toi seul en décide. COUCY. Souffrez donc près du roi que mon zèle me guide ;Peut-être il eût fallu que ce grand changementNe fût dû qu'au héros, et non pas à l'amant ;Mais si d'un si grand coeur une femme dispose,L'effet en est trop beau pour en blâmer la cause ; Et mon coeur, tout rempli de cet heureux retour,Bénit votre faiblesse, et rend grâce à l'amour. ACTE III SCÈNE I. Nemours, Dangeste. NEMOURS. Combat infortuné, destin qui me poursuis !Ô mort, mon seul recours, douce mort qui me fuis !Ciel ! N'as-tu conservé la trame de ma vie Que pour tant de malheurs et tant d'ignominie ?Adélaïde, au moins, pourrai-je la revoir ? DANGESTE. Vous la verrez, seigneur. NEMOURS. Ah ! mortel désespoir !Elle ose me parler, et moi, je le souhaite ! DANGESTE. Seigneur, en quel état votre douleur vous jette ! Vos jours sont en péril, et ce sang agité... NEMOURS. Mes déplorables jours sont trop en sûreté ;Ma blessure est légère, elle m'est insensible :Que celle de mon coeur est profonde et terrible ! DANGESTE. Remerciez les cieux de ce qu'ils ont permis Que vous ayez trouvé de si chers ennemis.Il est dur de tomber dans des mains étrangères :Vous êtes prisonnier du plus tendre des frères. NEMOURS. Mon frère ! Ah ! Malheureux ! DANGESTE. Il vous était liéPar les noeuds les plus saints d'une pure amitié. Que n'éprouvez-vous point de sa main secourable ! NEMOURS. Sa fureur m'eût flatté ; son amitié m'accable. DANGESTE. Quoi ! Pour être engagé dans d'autres intérêts,Le haïssez-vous tant ? NEMOURS. Je l'aime, et je me hais ;Et, dans les passions de mon âme éperdue, La voix de la nature est encore entendue. DANGESTE. Si contre un frère aimé vous avez combattu,J'en ai vu quelque temps frémir votre vertu :Mais le roi l'ordonnait, et tout vous justifie.L'entreprise était juste, aussi bien que hardie. Je vous ai vu remplir, dans cet affreux combat,Tous les devoirs d'un chef et tous ceux d'un soldat ;Et vous avez rendu, par des faits incroyables,Votre défaite illustre, et vos fers honorables.On a perdu bien peu quand on garde l'honneur. NEMOURS. Non, ma défaite, ami, ne fait point mon malheur.Du Guesclin, des Français l'amour et le modèle,Aux Anglais si terrible, à son roi si fidèle,Vit ses honneurs flétris par de plus grands revers :Deux fois sa main puissante a langui dans les fers : Il n'en fut que plus grand, plus fier, et plus à craindre ;Et son vainqueur tremblant fut bientôt seul à plaindre.Du Guesclin, nom sacré, nom toujours précieux !Quoi ! Ta coupable nièce évite encor mes yeux !Ah ! Sans doute, elle a dû redouter mes reproches ; Ainsi donc, cher Dangeste, elle fuit tes approches ?Tu n'as pu lui parler ? DANGESTE. Seigneur, je vous ai ditQue bientôt... NEMOURS. Ah ! Pardonne à mon coeur interdit.Trop chère Adélaïde ! Eh bien ! Quand tu l'as vue,Parle, à mon nom du moins paraissait-elle émue ? DANGESTE. Votre sort en secret paraissait la toucher ;Elle versait des pleurs, et voulait les cacher. NEMOURS. Elle pleure et m'outrage ! Elle pleure et m'opprime !Son coeur, je le vois bien, n'est pas né pour le crime.Pour me sacrifier elle aura combattu : La trahison la gêne, et pèse à sa vertu :Faible soulagement à ma fureur jalouse !T'a-t-on dit en effet que mon frère l'épouse ? DANGESTE. S'il s'en vantait lui-même, en pouvez-vous douter ? NEMOURS. Il l'épouse ! À ma honte elle vient insulter ! Ah Dieu ! SCÈNE II. Adélaïde, Nemours. ADÉLAÏDE. Le ciel vous rend à mon âme attendrie ;En veillant sur vos jours il conserva ma vie.Je vous revois, cher prince, et mon coeur empressé...Juste ciel ! quels regards, et quel accueil glacé ! NEMOURS. L'intérêt qu'à mes jours vos bontés daignent prendre, Est d'un coeur généreux ; mais il doit me surprendre.Vous aviez en effet besoin de mon trépas :Mon rival plus tranquille eût passé dans vos bras.Libre dans vos amours, et sans inquiétude,Vous jouiriez en paix de votre ingratitude ; Et les remords honteux qu'elle traîne après soi,S'il peut vous en rester, périssaient avec moi. ADÉLAÏDE. Hélas ! Que dites-vous ? Quelle fureur subite... NEMOURS. Non, votre changement n'est pas ce qui m'irrite. ADÉLAÏDE. Mon changement ? Nemours ! NEMOURS. À vous seule asservi, Je vous aimais trop bien pour n'être point trahi :C'est le sort des amants, et ma honte est commune ;Mais que vous insultiez vous-même à ma fortune !Qu'en ces murs, où vos yeux ont vu couler mon sang,Vous acceptiez la main qui m'a percé le flanc, Et que vous osiez joindre à l'horreur qui m'accable,D'une fausse pitié l'affront insupportable !Qu'à mes yeux... ADÉLAÏDE. Ah ! Plutôt donnez-moi le trépas.Immolez votre amante, et ne l'accusez pas.Mon coeur n'est point armé contre votre colère, Cruel, et vos soupçons manquaient à ma misère.Ah ! Nemours, de quels maux nos jours empoisonnés... NEMOURS. Vous me plaignez, cruelle, et vous m'abandonnez ! ADÉLAÏDE. Je vous pardonne, hélas ! cette fureur extrême,Tout, jusqu'à vos soupçons ; jugez si je vous aime. NEMOURS. Vous m'aimeriez ? Qui, vous ? Et Vendôme à l'instantEntoure de flambeaux l'autel qui vous attend !Lui-même il m'a vanté sa gloire et sa conquête.Le barbare ! Il m'invite à cette horrible fête !Que plutôt... ADÉLAÏDE. Ah ! Cruel, me faut-il employer Les moments de vous voir à me justifier ?Votre frère, il est vrai, persécute ma vie,Et par un fol amour, et par sa jalousie,Et par l'emportement dont je crains les effets,Et, le dirai-je encor, Seigneur ? Par ses bienfaits. J'atteste ici le ciel, témoin de ma conduite...Mais pourquoi l'attester ? Nemours, suis-je réduite,Pour vous persuader de si vrais sentiments,Au secours inutile et honteux des serments !Non, non ; vous connaissez le coeur d'Adélaïde ; C'est vous qui conduisez ce coeur faible et timide. NEMOURS. Mais mon frère vous aime ? ADÉLAÏDE. Ah ! N'en redoutez rien. NEMOURS. Il sauva vos beaux jours ! ADÉLAÏDE. Il sauva votre bien.Dans Cambrai, je l'avoue, il daigna me défendre.Au roi que nous servons il promit de me rendre : Et mon coeur se plaisait, trompé par mon amour,Puisqu'il est votre frère, à lui devoir le jour.J'ai répondu, seigneur, à sa flamme funestePar un refus constant, mais tranquille et modeste,Et mêlé du respect que je devrai toujours À mon libérateur, au frère de Nemours ;Mais mon respect l'enflamme, et mon refus l'irrite.J'anime en l'évitant l'ardeur de sa poursuite.Tout doit, si je l'en crois, céder à son pouvoir ;Lui plaire est ma grandeur, l'aimer est mon devoir. Qu'il est loin, juste Dieu ! de penser que ma vie,Que mon âme à la vôtre est pour jamais unie,Que vous causez les pleurs dont mes yeux sont chargés,Que mon coeur vous adore, et que vous m'outragez !Oui, vous êtes tous deux formés pour mon supplice : Lui, par sa passion ; vous, par votre injustice ;Vous, Nemours, vous, ingrat, que je vois aujourd'hui,Moins amoureux, peut-être, et plus cruel que lui. NEMOURS. C'en est trop... pardonnez... voyez mon âme en proieÀ l'amour, aux remords, à l'excès de ma joie. Digne et charmant objet d'amour et de douleur,Ce jour infortuné, ce jour fait mon bonheur.Glorieux, satisfait, dans un sort si contraire,Tout captif que je suis, j'ai pitié de mon frère.Il est le seul à plaindre avec votre courroux ; Et je suis son vainqueur, étant aimé de vous. SCÈNE III. Vendôme, Nemours, Adélaïde. VENDÔME. Connaissez donc enfin jusqu'où va ma tendresse,Et tout votre pouvoir, et toute ma faiblesse :Et vous, mon frère, et vous, soyez ici témoinSi l'excès de l'amour peut emporter plus loin. Ce que votre amitié, ce que votre prière,Les conseils de Coucy, le roi, la France entière,Exigeaient de Vendôme, et qu'ils n'obtenaient pas,Soumis et subjugué, je l'offre à ses appas.L'amour, qui malgré vous nous a faits l'un pour l'autre, Ne me laisse de choix, de parti, que le vôtre.Je prends mes lois de vous ; votre maître est le mien :De mon frère et de moi soyez l'heureux lien ;Soyez-le de l'État, et que ce jour commenceMon bonheur et le vôtre, et la paix de la France. Vous, courez, mon cher frère, allez dès ce momentAnnoncer à la cour un si grand changement.Moi, sans perdre de temps, dans ce jour d'allégresse,Qui m'a rendu mon roi, mon frère, et ma maîtresse,D'un bras vraiment français, je vais, dans nos remparts, Sous nos lis triomphants briser les léopards.Soyez libre, partez, et de mes sacrificesAllez offrir au roi les heureuses prémices.Puissé-je à ses genoux présenter aujourd'huiCelle qui m'a dompté, qui me ramène à lui, Qui d'un prince ennemi fait un sujet fidèle,Changé par ses regards, et vertueux par elle ! NEMOURS. À part.Il fait ce que je veux, et c'est pour m'accabler ! À Adélaïde.Prononcez notre arrêt, Madame ; il faut parler. VENDÔME. Eh quoi ! Vous demeurez interdite et muette ? De mes soumissions êtes-vous satisfaite ?Est-ce assez qu'un vainqueur vous implore à genoux ?Faut-il encor ma vie, ingrate ? elle est à vous.Vous n'avez qu'à parler, j'abandonne sans peineCe sang infortuné, proscrit par votre haine. ADÉLAÏDE. Seigneur, mon coeur est juste ; on ne m'a vu jamaisMépriser vos bontés, et haïr vos bienfaits ;Mais je ne puis penser qu'à mon peu de puissanceVendôme ait attaché le destin de la France ;Qu'il n'ait lu son devoir que dans mes faibles yeux ; Qu'il ait besoin de moi pour être vertueux.Vos desseins ont sans doute une source plus pure :Vous avez consulté le devoir, la nature ;L'amour a peu de part où doit régner l'honneur. VENDÔME. L'amour seul a tout fait, et c'est là mon malheur ; Sur tout autre intérêt ce triste amour l'emporte.Accablez-moi de honte, accusez-moi, n'importe !Dussé-je vous déplaire et forcer votre coeur,L'autel est prêt ; venez. NEMOURS. Vous osez ?... ADÉLAÏDE. Non, Seigneur.Avant que je vous cède, et que l'hymen nous lie, Aux yeux de votre frère arrachez-moi la vie.Le sort met entre nous un obstacle éternel.Je ne puis être à vous. VENDÔME. Nemours... Ingrate... Ah ciel !C'en est donc fait... Mais non... Mon coeur sait se contraindre :Vous ne méritez pas que je daigne m'en plaindre. Vous auriez dû peut-être, avec moins de détour,Dans ses premiers transports étouffer mon amour,Et par un prompt aveu, qui m'eût guéri sans doute,M'épargner les affronts que ma bonté me coûte.Mais je vous rends justice ; et ces séductions, Qui vont au fond des coeurs chercher nos passions,L'espoir qu'on donne à peine afin qu'on le saisisse,Ce poison préparé des mains de l'artifice,Sont les armes d'un sexe aussi trompeur que vain,Que l'oeil de la raison regarde avec dédain. Je suis libre par vous : cet art que je déteste,Cet art qui m'enchaîna brise un joug si funeste ;Et je ne prétends pas, indignement épris,Rougir devant mon frère, et souffrir des mépris.Montrez-moi seulement ce rival qui se cache ; Je lui cède avec joie un poison qu'il m'arrache ;Je vous dédaigne assez tous deux pour vous unir,Perfide ! et c'est ainsi que je dois vous punir. ADÉLAÏDE. Je devrais seulement vous quitter et me taire ;Mais je suis accusée, et ma gloire m'est chère. Votre frère est présent, et mon honneur blesséDoit repousser les traits dont il est offensé.Pour un autre que vous ma vie est destinée ;Je vous en fais l'aveu, je m'y vois condamnée.Oui, j'aime ; et je serais indigne, devant vous, De celui que mon coeur s'est promis pour époux,Indigne de l'aimer, si, par ma complaisance,J'avais à votre amour laissé quelque espérance.Vous avez regardé ma liberté, ma foi,Comme un bien de conquête, et qui n'est plus à moi. Je vous devais beaucoup ; mais une telle offenseFerme à la fin mon coeur à la reconnaissance :Sachez que des bienfaits qui font rougir mon front,À mes yeux indignés ne sont plus qu'un affront.J'ai plaint de votre amour la violence vaine ; Mais, après ma pitié, n'attirez point ma haine.J'ai rejeté vos voeux, que je n'ai point bravés ;J'ai voulu votre estime, et vous me la devez. VENDÔME. Je vous dois ma colère, et sachez qu'elle égaleTous les emportements de mon amour fatale. Quoi donc ! Vous attendiez, pour oser m'accabler,Que Nemours fût présent, et me vît immoler ?Vous vouliez ce témoin de l'affront que j'endure ?Allez, je le croirais l'auteur de mon injure,Si... Mais il n'a point vu vos funestes appas ; Mon frère trop heureux ne vous connaissait pas.Nommez donc mon rival : mais gardez-vous de croireQue mon lâche dépit lui cède la victoire.Je vous trompais, mon coeur ne peut feindre longtemps :Je vous traîne à l'autel, à ses yeux expirants ; Et ma main, sur sa cendre, à votre main donnée,Va tremper dans le sang les flambeaux d'hyménée.Je sais trop qu'on a vu, lâchement abusés,Pour des mortels obscurs, des princes méprisés ;Et mes yeux perceront, dans la foule inconnue, Jusqu'à ce vil objet qui se cache à ma vue. NEMOURS. Pourquoi d'un choix indigne osez-vous l'accuser ? VENDÔME. Et pourquoi, vous, mon frère, osez-vous l'excuser ?Est-il vrai que de vous elle était ignorée ?Ciel ! À ce piège affreux ma foi serait livrée ! Tremblez. NEMOURS. Moi ! Que je tremble ! Ah ! J'ai trop dévoréL'inexprimable horreur où toi seul m'as livré ;J'ai forcé trop longtemps mes transports au silence :Connais-moi donc, barbare, et remplis ta vengeance !Connais un désespoir à tes fureurs égal ; Frappe, voilà mon coeur, et voilà ton rival ! VENDÔME. Toi, cruel ! toi, Nemours ! NEMOURS. Oui, depuis deux années,L'amour la plus secrète a joint nos destinées.C'est toi dont les fureurs ont voulu m'arracherLe seul bien sur la terre où j'ai pu m'attacher. Tu fais depuis trois mois les horreurs de ma vie ;Les maux que j'éprouvais passaient ta jalousie :Par tes égarements juge de mes transports.Nous puisâmes tous deux dans ce sang dont je sorsL'excès des passions qui dévorent une âme ; La nature à tous deux fit un coeur tout de flamme.Mon frère est mon rival, et je l'ai combattu ;J'ai fait taire le sang, peut-être la vertu.Furieux, aveuglé, plus jaloux que toi-même,J'ai couru, j'ai volé, pour t'ôter ce que j'aime ; Rien ne m'a retenu, ni tes superbes tours,Ni le peu de soldats que j'avais pour secours.Ni le lieu, ni le temps, ni surtout ton courage ;Je n'ai vu que ma flamme, et ton feu qui m'outrage.L'amour fut dans mon coeur plus fort que l'amitié ; Sois cruel comme moi, punis-moi sans pitié :Aussi bien tu ne peux t'assurer ta conquête,Tu ne peux l'épouser qu'aux dépens de ma tête.À la face des cieux je lui donne ma foi ;Je te fais de nos voeux le témoin malgré toi. Frappe, et qu'après ce coup, ta cruauté jalouseTraîne au pied des autels ta soeur et mon épouse.Frappe, dis-je : oses-tu ? VENDÔME. Traître, c'en est assez.Qu'on l'ôte de mes yeux : soldats, obéissez. ADÉLAÏDE. Aux soldats.Non : demeurez, cruels... Ah ! prince, est-il possible Que la nature en vous trouve une âme inflexible ?Seigneur ! NEMOURS. Vous, le prier ? plaignez-le plus que moi.Plaignez-le : il vous offense, il a trahi son roi.Va, je suis dans ces lieux plus puissant que toi-même ;Je suis vengé de toi : l'on te hait, et l'on m'aime. ADÉLAÏDE. À Nemours.Ah, cher prince !... À Vendôme.Ah, seigneur ! voyez à vos genoux... VENDÔME. Aux soldats.Qu'on m'en réponde, À Adélaïde.Allez. Madame, levez-vous.Vos prières, vos pleurs, en faveur d'un parjure,Sont un nouveau poison versé sur ma blessure :Vous avez mis la mort dans ce coeur outragé ; Mais, perfide, croyez que je mourrai vengé.Adieu : si vous voyez les effets de ma rage,N'en accusez que vous ; nos maux sont votre ouvrage. ADÉLAÏDE. Je ne vous quitte pas : écoutez-moi, seigneur. VENDÔME. Eh bien ! Achevez donc de déchirer mon coeur : Parlez. SCÈNE IV. Vendôme, Nemours, Adélaïde, Coucy, Dangeste, Un Officier, Soldats. COUCY. J'allais partir : un peuple téméraireSe soulève en tumulte au nom de votre frère.Le désordre est partout : vos soldats consternésDésertent les drapeaux de leurs chefs étonnés ;Et, pour comble de maux, vers la ville alarmée, L'ennemi rassemblé fait marcher son armée. VENDÔME. Allez, cruelle, allez ; vous ne jouirez pasDu fruit de votre haine et de vos attentais ;Rentrez. Aux factieux je vais montrer leur maître. À l'officier.Qu'on la garde. Courons. À Coucy.Vous, veillez sur ce traître. SCÈNE V. Nemours, Coucy. COUCY. Le seriez-vous, seigneur ? Auriez-vous démentiLe sang de ces héros dont vous êtes sorti ?Auriez-vous violé, par cette lâche injure,Et les droits de la guerre, et ceux de la nature ?Un prince à cet excès pourrait-il s'oublier ? NEMOURS. Non ; mais suis-je réduit à me justifier ?Coucy, ce peuple est juste, il t'apprend à connaîtreQue mon frère est rebelle, et que Charles est son maître. COUCY. Écoutez : ce serait le comble de mes voeux,De pouvoir aujourd'hui vous réunir tous deux. Je vois avec regret la France désolée,À nos dissensions la nature immolée,Sur nos communs débris l'Anglais trop élevé,Menaçant cet État par nous-même énervé.Si vous avez un coeur digne de votre race, Faites au bien public servir votre disgrâce.Rapprochez les partis : unissez-vous à moiPour calmer votre frère, et fléchir votre roi,Pour éteindre le feu de nos guerres civiles. NEMOURS. Ne vous en flattez pas ; vos soins sont inutiles. Si la discorde seule avait armé mon bras,Si là guerre et la haine avaient conduit mes pas,Vous pourriez espérer de réunir deux frères,L'un de l'autre écartés dans des partis contraires.Un obstacle plus grand s'oppose à ce retour. COUCY. Et quel est-il, Seigneur ? NEMOURS. Ah ! Reconnais l'amour ;Reconnais la fureur qui de nous deux s'empare,Qui m'a fait téméraire, et qui le rend barbare. COUCY. Ciel ! faut-il voir ainsi, par des caprices vains,Anéantir le fruit des plus nobles desseins ? L'amour subjuguer tout ? ses cruelles faiblessesDu sang qui se révolte étouffer les tendresses ?Des frères se haïr, et naître, en tous climats,Des passions des grands le malheur des États ?Prince, de vos amours laissons là le mystère. Je vous plains tous les deux ; mais je sers votre frère.Je vais le seconder ; je vais me joindre à luiContre un peuple insolent qui se fait votre appui.Le plus pressant danger est celui qui m'appelle.Je vois qu'il peut avoir une fin bien cruelle : Je vois les passions plus puissantes que moi ;Et l'amour seul ici me fait frémir d'effroi.Mon devoir a parlé ; je vous laisse, et j'y vole,Soyez mon prisonnier, mais sur votre parole ;Elle me suffira. NEMOURS. Je vous la donne. COUCY. Et moi Je voudrais de ce pas porter la sienne au roi ;Je voudrais cimenter, dans l'ardeur de lui plaire,Du sang de nos tyrans une union si chère.Mais ces fiers ennemis sont bien moins dangereuxQue ce fatal amour qui vous perdra tous deux. ACTE IV SCÈNE I. Nemours, Adélaïde, Dangeste. NEMOURS. Non, non, ce peuple en vain s'armait pour ma défense :Mon frère, teint de sang, enivré de vengeance,Devenu plus jaloux, plus fier, et plus cruel,Va traîner à mes yeux sa victime à l'autel.Je ne suis donc venu disputer ma conquête Que pour être témoin de cette horrible fête !Et, dans le désespoir d'un impuissant courroux,Je ne puis me venger qu'en me privant de vous !Partez, Adélaïde. ADÉLAÏDE. Il faut que je vous quitte !...Quoi ! vous m'abandonnez !... vous ordonnez ma fuite ! NEMOURS. Il le faut : chaque instant est un péril fatal ;Vous êtes une esclave aux mains de mon rival.Remercions le ciel, dont la bonté propiceNous suscite un secours au bord du précipice.Vous voyez cet ami qui doit guider vos pas ; Sa vigilance adroite a séduit des soldats. À Dangeste.Dangeste, ses malheurs ont droit à tes services ;Je suis loin d'exiger d'injustes sacrifices ;Je respecte mon frère, et je ne prétends pasConspirer contre lui dans ses propres États. Écoute seulement la pitié qui le guide ;Écoute un vrai devoir, et sauve Adélaïde. ADÉLAÏDE. Hélas ! ma délivrance augmente mon malheur.Je détestais ces lieux, j'en sors avec terreur. NEMOURS. Privez-moi par pitié d'une si chère vue ; Tantôt à ce départ vous étiez résolue,Le dessein était pris : n'osez-vous l'achever ? ADÉLAÏDE. Ah ! quand j'ai voulu fuir, j'espérais vous trouver. NEMOURS. Prisonnier sur ma foi, dans l'horreur qui me presse.Je suis plus enchaîné par ma seule promesse Que si de cet État les tyrans inhumainsDes fers les plus pesants avaient chargé mes mains.Au pouvoir de mon frère ici l'honneur me livre ;Je peux mourir pour vous, mais je ne peux vous suivre ;Vous suivrez cet ami par des détours obscurs, Qui vous rendront bientôt sous ces coupables murs.De la Flandre à sa voix on doit ouvrir la porte ;Du roi sous les remparts il trouvera l'escorte.Le temps presse, évitez un ennemi jaloux. ADÉLAÏDE. Je vois qu'il faut partir... cher Nemours, et sans vous ! NEMOURS. L'amour nous a rejoints, que l'amour nous sépare. ADÉLAÏDE. Qui ! moi ? que je vous laisse au pouvoir d'un barbare ?Seigneur, de votre sang l'Anglais est altéré :Ce sang à votre frère est-il donc si sacré ?Craindra-t-il d'accorder, dans son courroux funeste, Aux alliés qu'il aime, un rival qu'il déteste ? NEMOURS. Il n'oserait. ADÉLAÏDE. Son coeur ne connaît point de frein ;Il vous a menacé, menace-t-il en vain ? NEMOURS. Il tremblera bientôt : le roi vient et nous venge :La moitié de ce peuple à ses drapeaux se range. Allez : si vous m'aimez, dérobez-vous aux coupsDes foudres allumés, grondant autour de nous ;Au tumulte, au carnage, au désordre effroyable,Dans des murs pris d'assaut malheur inévitable :Mais craignez encor plus mon rival furieux ; Craignez l'amour jaloux qui veille dans ses veux.Je frémis de vous voir encor sous sa puissance ;Redoutez son amour autant que sa vengeance ;Cédez à mes douleurs ; qu'il vous perde : partez. ADÉLAÏDE. Et vous vous exposez seul à ses cruautés ! NEMOURS. Ne craignant rien pour vous, je craindrai peu mon frère ;Et bientôt mon appui lui devient nécessaire. ADÉLAÏDE. Aussi bien que mon coeur mes pas vous sont soumis.Eh bien ! vous l'ordonnez, je pars, et je frémis !Je ne sais... mais enfin, la fortune jalouse, M'a toujours envié le nom de votre épouse. NEMOURS. Partez avec ce nom. La pompe des autels,Ces voiles, ces flambeaux, ces témoins solennels,Inutiles garants d'une foi si sacrée,La rendront plus connue, et non plus assurée. Vous, mânes des Bourbons, princes, rois mes aïeux,Du séjour des héros tournez ici les yeux.J'ajoute à votre gloire en la prenant pour femme ;Confirmez mes serments, ma tendresse et ma flamme :Adoptez-la pour fille, et puisse son époux Se montrer à jamais digne d'elle et de vous ! ADÉLAÏDE. Rempli de vos bontés, mon coeur n'a plus d'alarmes,Cher époux, cher amant... NEMOURS. Quoi ! vous versez des larmes !C'est trop tarder, adieu... Ciel, quel tumulte affreux ! SCÈNE II. Adélaïde, Nemours, Vendôme, Gardes. VENDÔME. Je l'entends, c'est lui-même : arrête, malheureux ! Lâche qui me trahis, rival indigne, arrête ! NEMOURS. Il ne te trahit point ; mais il t'offre sa tête.Porte à tous les excès ta haine et ta fureur ;Va, ne perds point de temps, le ciel arme un vengeur.Tremble ; ton roi s'approche, il vient, il va paraître. Tu n'as vaincu que moi, redoute encor ton maître. VENDÔME. Il pourra te venger, mais non te secourir ;Et ton sang... ADÉLAÏDE. Non, cruel ! c'est à moi de mourir.J'ai tout fait ; c'est par moi que ta garde est séduite ;J'ai gagné tes soldats, j'ai préparé ma fuite : Punis ces attentats, et ces crimes si grands,De sortir d'esclavage, et de fuir ses tyrans :Mais respecte ton frère, et sa femme, et toi-même ;Il ne t'a point trahi, c'est un frère qui t'aime ;Il voulait te servir, quand tu veux l'opprimer. Quel crime a-t-il commis, cruel, que de m'aimer ?L'amour n'est-il en toi qu'un juge inexorable ? VENDÔME. Plus vous le défendez, plus il devient coupable ;C'est vous qui le perdez, vous qui l'assassinez ;Vous par qui tous nos jours étaient empoisonnés ; Vous qui, pour leur malheur, armiez des mains si chères,Puisse tomber sur vous tout le sang des deux frères !Vous pleurez ! mais vos pleurs ne peuvent me tromper :Je suis prêt à mourir, et prêt à le frapper.Mon malheur est au comble, ainsi que ma faiblesse. Oui, je vous aime encor, le temps, le péril presse ;Vous pouvez à l'instant parer le coup mortel ;Voilà ma main, venez : sa grâce est à l'autel. ADÉLAÏDE. Moi, seigneur ? VENDÔME. C'est assez. ADÉLAÏDE. Moi, que je le trahisse ! VENDÔME. Arrêtez... répondez... ADÉLAÏDE. Je ne puis. VENDÔME. Qu'il périsse ! NEMOURS. Ne vous laissez pas vaincre en ces affreux combats,Osez m'aimer assez pour vouloir mon trépas ;Abandonnez mon sort au coup qu'il me prépare.Je mourrai triomphant des coups de ce barbare ;Et si vous succombiez à son lâche courroux, Je n'en mourrais pas moins, mais je mourrais par vous. VENDÔME. Qu'on l'entraîne à la tour allez ; qu'on m'obéisse ! SCÈNE III. Vendôme, Adélaïde. ADÉLAÏDE. Vous, cruel ! vous feriez cet affreux sacrifice !De son vertueux sang vous pourriez vous couvrir !Quoi ! voulez-vous... VENDÔME. Je veux vous haïr et mourir, Vous rendre malheureuse encor plus que moi-même,Répandre devant vous tout le sang qui vous aime,Et vous laisser des jours plus cruels mille foisQue le jour où l'amour nous a perdus tous trois.Laissez-moi : votre vue augmente mon supplice. SCÈNE IV. Vendôme, Adélaïde, Coucy. ADÉLAÏDE, à Coucy. Ah ! Je n'attends plus rien que de votre justice ;Coucy, contre un cruel osez me secourir, VENDÔME. Garde-toi de l'entendre, ou tu vas me trahir. ADÉLAÏDE. J'atteste ici le ciel... VENDÔME. Qu'on l'ôte de ma vue.Ami, délivre-moi d'un objet qui me tue. ADÉLAÏDE. Va, tyran, c'en est trop ; va, dans mon désespoir,J'ai combattu l'horreur que je sens à te voir ;J'ai cru, malgré ta rage à ce point emportée,Qu'une femme du moins en serait respectée.L'amour adoucit tout, hors ton barbare coeur ; Tigre ! Je t'abandonne à toute ta fureur.Dans ton féroce amour immole tes victimes ;Compte dès ce moment ma mort parmi tes crimes ;Mais compte encor la tienne : un vengeur va venir ;Par ton juste supplice il va tous nous unir. Tombe avec tes remparts ; tombe, et péris sans gloire ;Meurs, et que l'avenir prodigue à ta mémoire,À tes feux, à ton nom, justement abhorrés,La haine et le mépris que tu m'as inspirés ! SCÈNE V. Vendôme, Coucy. VENDÔME. Oui, cruelle ennemie, et plus que moi farouche, Oui, j'accepte l'arrêt prononcé par ta bouche ;Que la main de la haine et que les mêmes coupsDans l'horreur du tombeau nous réunissent tous ! Il tombe dans un fauteuil. COUCY. Il ne se connaît plus, il succombe à sa rage. VENDÔME. Eh bien ! Souffriras-tu ma honte et mon outrage ? Le temps presse ; veux-tu qu'un rival odieuxEnlève la perfide, et l'épouse à mes yeux ?Tu crains de me répondre ! Attends-tu que le traîtreAit soulevé mon peuple, et me livre à son maître ? COUCY. Je vois trop, en effet, que le parti du roi Du peuple fatigué fait chanceler la foi.De la sédition la flamme répriméeVit encor dans les coeurs, en secret rallumée. VENDÔME. C'est Nemours qui l'allume, il nous a trahis tous. COUCY. Je suis loin d'excuser ses crimes envers vous ; La suite en est funeste, et me remplit d'alarmes.Dans la plaine déjà les Français sont en armes,Et vous êtes perdu, si le peuple excitéCroit dans la trahison trouver sa sûreté.Vos dangers sont accrus. VENDÔME. Eh bien ! Que faut-il faire ? COUCY. Les prévenir, dompter l'amour et la colère.Ayons encor, mon prince, en cette extrémité,Pour prendre un parti sur, assez de fermeté.Nous pouvons conjurer ou braver la tempête ;Quoi que vous décidiez, ma main est toute prête. Vous vouliez ce matin, par un heureux traité,Apaiser avec gloire un monarque irrité ;Ne vous rebutez pas : ordonnez, et j'espèreSigner en votre nom cette paix salutaire :Mais s'il vous faut combattre, et courir au trépas, Vous savez qu'un ami ne vous survivra pas. VENDÔME. Ami, dans le tombeau laisse-moi seul descendre ;Vis pour servir ma cause, et pour venger ma cendre ;Mon destin s'accomplit, et je cours l'achever :Qui ne veut que la mort est sûr de la trouver ; Mais je la veux terrible, et lorsque je succombe,Je veux voir mon rival entraîné dans ma tombe. COUCY. Comment ! de quelle horreur vos sens sont possédés ! VENDÔME. Il est dans cette tour où vous seul commandezEt vous m'aviez promis que contre un téméraire... COUCY. De qui me parlez-vous, seigneur ? de votre frère ? VENDÔME. Non, je parle d'un traître et d'un lâche ennemi,D'un rival qui m'abhorre, et qui m'a tout ravi.L'Anglais attend de moi la tête du parjure. COUCY. Vous leur avez promis de trahir la nature ? VENDÔME. Dès longtemps du perfide ils ont proscrit le sang. COUCY. Et pour leur obéir vous lui percez le flanc ? VENDÔME. Non, je n'obéis point à leur haine étrangère ;J'obéis à ma rage, et veux la satisfaire.Que m'importent l'État et mes vains alliés ? COUCY. Ainsi donc à l'amour vous le sacrifiez ?Et vous me chargez, moi, du soin de son supplice ! VENDÔME. Je n'attends pas de vous cette prompte justice.Je suis bien malheureux ! Bien digne de pitié !Trahi dans mon amour, trahi dans l'amitié ! Ah ! trop heureux dauphin, c'est ton sort que j'envie ;Ton amitié, du moins, n'a point été trahieEt Tanguy du Châtel, quand tu fus offensé,T'a servi sans scrupule, et n'a pas balancé.Allez ; Vendôme encor, dans le sort qui le presse, Trouvera des amis qui tiendront leur promesse ;D'autres me serviront, et n'allégueront pasCette triste vertu, l'excuse des ingrats. COUCY, après un long silence. Non ; j'ai pris mon parti. Soit crime, soit justice,Vous ne vous plaindrez pas que Coucy vous trahisse. Je ne souffrirai pas que d'un autre que moi,Dans de pareils moments, vous éprouviez la foi.Quand un ami se perd, il faut qu'on l'avertisse,Il faut qu'on le retienne au bord du précipice ;Je l'ai dû, je l'ai fait malgré votre courroux ; Vous y voulez tomber, je m'y jette avec vous ;Et vous reconnaîtrez, au succès de mon zèle,Si Coucy vous aimait, et s'il vous fut fidèle. VENDÔME. Je revois mon ami... Vengeons-nous, vole... attend...Non, va, te dis-je, frappe, et je mourrai content. Qu'à l'instant de sa mort, à mon impatienceLe canon des remparts annonce ma vengeance !J'irai, je l'apprendrai, sans trouble et sans effroi,À l'objet odieux qui l'immole par moi.Allons. COUCY. En vous rendant ce malheureux service, Prince, je vous demande un autre sacrifice. VENDÔME. Parle. COUCY. Je ne veux pas que l'Anglais en ces lieux,Protecteur insolent, commande sous mes yeux ;Je ne veux pas servir un tyran qui nous brave.Ne puis-je vous venger sans être son esclave ? Si vous voulez tomber, pourquoi prendre un appui ?Pour mourir avec vous ai-je besoin de lui ?Du sort de ce grand jour laissez-moi la conduite ;Ce que je fais pour vous peut-être le mérite.Les Anglais avec moi pourraient mal s'accorder ; Jusqu'au dernier moment je veux seul commander. VENDÔME. Pourvu qu'Adélaïde, au désespoir réduite,Pleure en larmes de sang l'amant qui l'a séduite ;Pourvu que de l'horreur de ses gémissementsMon courroux se repaisse à mes derniers moments, Tout le reste est égal, et je te l'abandonne ;Prépare le combat, agis, dispose, ordonne.Ce n'est plus la victoire où ma fureur prétend ;Je ne cherche pas même un trépas éclatant.Aux coeurs désespérés qu'importe un peu de gloire ? Périsse ainsi que moi ma funeste mémoire !Périsse avec mon nom le souvenir fatalD'une indigne maîtresse et d'un lâche rival ! COUCY. Je l'avoue avec vous ; une nuit éternelleDoit couvrir, s'il se peut, une fin si cruelle ; C'était avant ce coup qu'il nous fallait mourir ;Mais je tiendrai parole, et je vais vous servir. ACTE V SCÈNE I. Vendôme, Un Officier, Gardes. VENDÔME. Ô ciel ! Me faudra-t-il, de moments en moments,Voir et des trahisons et des soulèvements ?Eh bien ! De ces mutins l'audace est terrassée ? L'OFFICIER. Seigneur, ils vous ont vu : leur foule est dispersée. VENDÔME. L'ingrat de tous côtés m'opprimait aujourd'hui ;Mon malheur est parfait, tous les coeurs sont à lui.Dangeste est-il puni de sa fourbe cruelle ? L'OFFICIER. Le glaive a fait couler le sang de l'infidèle. VENDÔME. Ce soldat qu'en secret vous m'avez amené,Va-t-il exécuter l'ordre que j'ai donné ? L'OFFICIER. Oui, seigneur, et déjà vers la tour il s'avance. VENDÔME. Je vais donc à la fin jouir de ma vengeance !Sur l'incertain Coucy mon coeur a trop compté ; Il a vu ma fureur avec tranquillité.On ne soulage point des douleurs qu'on méprise ;Il faut qu'en d'autres mains ma vengeance soit mise.Vous, que sur nos remparts on porte nos drapeaux ;Allez, qu'on se prépare à des périls nouveaux. Vous sortez d'un combat, un autre vous appelle ;Ayez la même audace avec le même zèle ;Imitez votre maître, et, s'il vous faut périr,Vous recevrez de moi l'exemple de mourir. SCÈNE II. VENDÔME, seul. Le sang, l'indigne sang qu'a demandé ma rage, Sera du moins pour moi le signal du carnage.Un bras vulgaire et sûr va punir mon rival ;Je vais être servi ; j'attends l'heureux signal.Nemours, tu vas périr, mon bonheur se prépare...Un frère assassiné ! Quel bonheur ! Ah, barbare ! S'il est doux d'accabler ses cruels ennemis,Si ton coeur est content, d'où vient que tu frémis ?Allons... Mais quelle voix gémissante et sévèreCrie au fond de mon coeur : Arrête, il est ton frère !Ah ! prince infortuné ! dans ta haine affermi, Songe à des droits plus saints ; Nemours fut ton ami !Ô jours de notre enfance ! Ô tendresses passées !Il fut le confident de toutes mes pensées.Avec quelle innocence et quels épanchementsNos coeurs se sont appris leurs premiers sentiments ! Que de fois, partageant mes naissantes alarmes,D'une main fraternelle essuya-t-il mes larmes !Et c'est moi qui l'immole ! Et cette même mainD'un frère que j'aimai déchirerait le sein !Ô passion funeste ! Ô douleur qui m'égare ! Non, je n'étais point né pour devenir barbare.Je sens combien le crime est un fardeau cruel...Mais, que dis-je ? Nemours est le seul criminel.Je reconnais mon sang, mais c'est à sa furie ;Il m'enlève l'objet dont dépendait ma vie ; Il aime Adélaïde... Ah ! trop jaloux transport !Il l'aime ; est-ce un forfait qui mérite la mort ?Hélas ! malgré le temps, et la guerre, et l'absence,Leur tranquille union croissait dans le silence ;Ils nourrissaient en paix leur innocente ardeur, Avant qu'un fol amour empoisonnât mon coeur.Mais lui-même il m'attaque, il brave ma colère,Il me trompe, il me hait ; n'importe, il est mon frère !Il ne périra point. Nature, je me rends ;Je ne veux point marcher sur les pas des tyrans. Je n'ai point entendu le signal homicide,L'organe des forfaits, la voix du parricide ;Il en est encor temps. SCÈNE III. Vendôme, L'Officier des gardes. VENDÔME. Que l'on sauve Nemours ;Portez mon ordre, allez ; répondez de ses jours. L'OFFICIER. Hélas ! seigneur, j'ai vu, non loin de cette porte, Un corps souillé de sang, qu'en secret on emporte ;C'est Coucy qui l'ordonne, et je crains que le sort... VENDÔME. On entend le canon.Quoi ! Déjà !... Dieu, qu'entends-je ! Ah ciel ! Mon frère est mort !Il est mort, et je vis ! Et la terre entr'ouverte,Et la foudre en éclats n'ont point vengé sa perte Ennemi de l'État, factieux, inhumain,Frère dénaturé, ravisseur, assassin,Voilà quel est Vendôme ! Ah ! vérité funeste !Je vois ce que je suis, et ce que je déteste !Le voile est déchiré, je m'étais mal connu. Au comble des forfaits je suis donc parvenu !Ah, Nemours ! ah, mon frère ! ah, jour de ma ruineJe sens que je t'aimais, et mon bras t'assassine,Mon frère ! L'OFFICIER. Adélaïde, avec empressement,Veut, seigneur, en secret vous parler un moment. VENDÔME. Chers amis, empêchez que la cruelle avance ;Je ne puis soutenir ni souffrir sa présence.Mais non. D'un parricide elle doit se venger ;Dans mon coupable sang sa main doit se plonger ;Qu'elle entre... Ah ! je succombe, et ne vis plus qu'à peine. SCÈNE IV. Vendôme, Adélaïde. ADÉLAÏDE. Vous l'emportez, seigneur, et puisque votre haine(Comment puis-je autrement appeler en ce jourCes affreux sentiments que vous nommez amour ?)Puisqu'à ravir ma foi votre haine obstinéeVeut, ou le sang d'un frère, ou ce triste hyménée... Puisque je suis réduite au déplorable sortOu de trahir Nemours, ou de hâter sa mort,Et que, de votre rage et ministre et victime,Je n'ai plus qu'à choisir mon supplice et mon crime,Mon choix est fait, seigneur, et je me donne à vous : Par le droit des forfaits vous êtes mon époux.Brisez les fers honteux dont vous chargez un frère ;De Lille sous ses pas abaissez la barrière :Que je ne tremble plus pour des jours si chéris ;Je trahis mon amant, je le perds à ce prix. Je vous épargne un crime, et suis votre conquête ;Commandez, disposez, ma main est toute prête ;Sachez que cette main que vous tyrannisez,Punira la faiblesse où vous me réduisez.Sachez qu'au temple même, où vous m'allez conduire... Mais vous voulez ma foi, ma foi doit vous suffire.Allons... Eh quoi ! d'où vient ce silence affecté ?Quoi ! votre frère encor n'est point en liberté ? VENDÔME. Mon frère ? ADÉLAÏDE. Dieu puissant ! dissipez mes alarmes !Ciel ! de vos yeux cruels je vois tomber des larmes ! VENDÔME. Vous demandez sa vie... ADÉLAÏDE. Ah ! qu'est-ce que j'entends ?Vous qui m'aviez promis... VENDÔME. Madame, il n'est plus temps. ADÉLAÏDE. Il n'est plus temps ! Nemours... VENDÔME. Il est trop vrai, cruelle !Oui, vous avez dicté sa sentence mortelle.Coucy pour nos malheurs a trop su m'obéir. Ah ! revenez à vous, vivez pour me punir ;Frappez : que votre main, contre moi ranimée,Perce un coeur inhumain qui vous a trop aimée,Un coeur dénaturé qui n'attend que vos coups !Oui, j'ai tué mon frère, et l'ai tué pour vous. Vengez sur un amant coupable et sanguinaireTous les crimes affreux que vous m'avez fait faire. ADÉLAÏDE. Nemours est mort ? barbare !... VENDÔME. Oui ; mais c'est de ta mainQue son sang veut ici le sang de l'assassin. ADÉLAÏDE, soutenue par Taïse, et presque évanouie. Il est mort ! VENDÔME. Ton reproche... ADÉLAÏDE. Épargne ma misère : Laisse-moi, je n'ai plus de reproche à te faire.Va, porte ailleurs ton crime et ton vain repentir.Je veux encor le voir, l'embrasser, et mourir. VENDÔME. Ton horreur est trop juste. Eh bien ! Adélaïde,Prends ce fer, arme-toi, mais contre un parricide : Je ne mérite pas de mourir de tes coups ;Que ma main les conduise. SCENE V. Vendôme, Adélaïde, Coucy. COUCY. Ah ciel ! que faites-vous ? VENDÔME. On le désarme.Laisse-moi me punir et me rendre justice. ADÉLAÏDE, à Coucy. Vous, d'un assassinat vous êtes le complice ? VENDÔME. Ministre de mon crime, as-tu pu m'obéir ? COUCY. Je vous avais promis, seigneur, de vous servir. VENDÔME. Malheureux que je suis ! Ta sévère rudesseA cent fois de mes sens combattu la faiblesse :Ne devais-tu te rendre à mes tristes souhaitsQue quand ma passion t'ordonnait des forfaits ? Tu ne m'as obéi que pour perdre mon frère ! COUCY. Lorsque j'ai refusé ce sanglant ministère,Votre aveugle courroux n'allait-il pas soudainDu soin de vous venger charger une autre main ? VENDÔME. L'amour, le seul amour, de mes sens toujours maître, En m'ôtant ma raison, m'eût excusé peut-être :Mais toi, dont la sagesse et les réflexionsOnt calmé dans ton sein toutes les passions,Toi, dont j'avais tant craint l'esprit ferme et rigide,Avec tranquillité permettre un parricide ! COUCY. Eh bien ! puisque la honte avec le repentir,Par qui la vertu parle à qui peut la trahir,D'un si juste remords ont pénétré votre âme ;Puisque, malgré l'excès de votre aveugle flamme,Au prix de votre sang vous voudriez sauver Ce sang dont vos fureurs ont voulu vous priver ;Je peux donc m'expliquer, je peux donc vous apprendreQue de vous-même enfin Coucy sait vous défendre.Connaissez-moi, madame, et calmez vos douleurs. Au duc.Vous, gardez vos remords ; À Adélaïde.Et vous, séchez vos pleurs. Que ce jour à tous trois soit un jour salutaire.Venez, paraissez, prince, embrassez votre frère. Le théâtre s'ouvre, Nemours paraît. SCÈNE VI. Vendôme, Adélaïde, Nenours, Coucy. ADÉLAÏDE. Nemours ! VENDÔME. Mon frère ! ADÉLAÏDE. Ah, ciel ! VENDÔME. Qui l'aurait pu penser ? NEMOURS, s'avançant du fond du théâtre. J'ose encor te revoir, te plaindre, et t'embrasser. VENDÔME. Mon crime en est plus grand, puisque ton coeur l'oublie. ADÉLAÏDE. Coucy, digne héros, qui me donnez la vie ! VENDÔME. Il la donne à tous trois. COUCY. Un indigne assassinSur Nemours à mes yeux avait levé la main ;J'ai frappé le barbare ; et, prévenant encoreLes aveugles fureurs du feu qui vous dévore, J'ai fait donner soudain le signal odieux,Sûr que le repentir vous ouvrirait les yeux. VENDÔME. Après ce grand exemple et ce service insigne,Le prix que je t'en dois, c'est de m'en rendre digne.Le fardeau de mon crime est trop pesant pour moi ; Mes yeux, couverts d'un voile et baissés devant toi,Craignent de rencontrer, et les regards d'un frère,Et la beauté fatale, à tous les deux trop chère. NEMOURS. Tous deux auprès du roi nous voulions te servir.Quel est donc ton dessein ? Parle. VENDÔME. De me punir, De nous rendre à tous trois une égale justice,D'expier devant vous, par le plus grand supplice,Le plus grand des forfaits où la fatalité,L'amour et le courroux m'avaient précipité.J'aimais Adélaïde, et ma flamme cruelle, Dans mon coeur désolé, s'irrite encor pour elle.Coucy sait à quel point j'adorais ses appasQuand ma jalouse rage ordonnait ton trépas ;Dévoré, malgré moi, du feu qui me possède,Je l'adore encor plus... et mon amour la cède. Je m'arrache le coeur, je la mets dans tes bras ;Aimez-vous : mais au moins ne me haïssez pas. NEMOURS, à ses pieds. Moi, vous haïr jamais ! Vendôme, mon cher frère !J'osai vous outrager... vous me servez de père. ADÉLAÏDE. Oui, Seigneur, avec lui j'embrasse vos genoux ; La plus tendre amitié va me rejoindre à vous.Vous me payez trop bien de ma douleur soufferte. VENDÔME. Ah ! C'est trop me montrer mes malheurs et ma perte !Mais vous m'apprenez tous à suivre la vertu.Ce n'est point à demi que mon coeur est rendu. À Nemours.Trop fortunés époux, oui, mon âme attendrieImite votre exemple, et chérit sa patrie.Allez apprendre au roi, pour qui vous combattez,Mon crime, mes remords, et vos félicités.Allez ; ainsi que vous, je vais le reconnaître. Sur nos remparts soumis amenez votre maître ;Il est déjà le mien : nous allons à ses piedsAbaisser sans regret nos fronts humiliés.J'égalerai pour lui votre intrépide zèle ;Bon Français, meilleur frère, ami, sujet fidèle ; Es-tu content, Coucy ? COUCY. J'ai le prix de mes soins,Et du sang des Bourbons je n'attendais pas moins. ==================================================