******************************************************** DC.Title = LE BARON D'OTRANTE, OPÉRA BOUFFE DC.Author = VOLTAIRE DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Opéra Bouffe DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 10/05/2021 à 11:32:04. DC.Coverage = Italie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/VOLTAIRE_BARONDOTRANTE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE BARON D'OTRANTE OPÉRA BOUFFE 1784 Voltaire Représentée, pour la première fois, en 1784. PERSONNAGES IRÈNE. UNE GOUVERNANTE ABDALLA, corsaire turc. CONSEILLERS PRIVÉS DU BARON. HOBEREAUX ET FILLES D'OTRANTE. TROUPE DE TURCS. La scène est dans le château du baron. ACTE I Le théâtre représente un salon magnifique. SCÈNE I. LE BARON, seul, en robe de chambre, couché sur un lit de repos. Il chante.[Note : Le début de cette pièce commnce de la même manière que "La Nuit des Rois" de Shakespeare.]Ah que je m'ennuieJe n'ai point encore eu de plaisir ce matin. Il se lève, et se regarde au miroir.On m'assure pourtant que les jours de ma vieDoivent couler, couler sans ombre de chagrin.Je prétends qu'on me réjouisse Dès que j'ai le moindre désir.Holà mes gens, qu'on m'avertisseSi je puis avoir du plaisir. SCÈNE I.. Le Baron, Un Conseiller privé, en grande perruque, en habit feuille-morte et en manteau noir il entre une foule de hobereaux et de filles d'Otrante. LE CONSEILLER. Monseigneur, notre unique envieEst de vous voir heureux dans votre baronnie D'un seigneur tel que vous c'est l'unique destin. LE BARON. Ah que je m'ennuie !Je n'ai point encore eu de plaisir ce matin. On habille monseigneur. LE CONSEILLER. C'est aujourd'hui le jour où le ciel a fait naîtreDans ce fameux château notre adorable maître. Nous célébrons ce jour par des jeux bien brillants... LE BARON. Et quel âge ai-je donc ? LE CONSEILLER. Vous avez dix-huit ans. LE BARON. Ah ! Me voilà majeur ! LE CONSEILLER. Les barons à cet âgeDe leur majorité font le plus noble usageIls ont tous de l'esprit, ils sont pleins de bon sens Ils font, quand il leur plaît, la guerre aux musulmans,Rançonnent leurs vassaux à leurs ordres tremblantsVident leurs coffres-forts, ou coupent leurs oreillesIls n'entreprennent rien dont on ne vienne à bout.Ils font tout d'un seul mot, bien souvent rien du tout Et quand ils sont oisifs ils font toujours merveilles. LE BARON. On me l'a toujours dit : je fus bien élevé.Or çà, répondez-moi, mon conseiller privéAi-je beaucoup d'argent ? LE CONSEILLER. Fort peu mais on peut prendreCelui de vos fermiers, et même sans le rendre. LE BARON. Et des soldats ? LE CONSEILLER. Pas un mais en disant deux motsTous les manants d'ici deviendront des héros. LE BARON. Ai-je quelque galère ? LE CONSEILLER. Oui, seigneur Votre AltesseA des bois, une rade, et quand elle voudra[Note : Hellespont : Détroit [de 2 Km de large] qui unit le mer Egée à la Propontide et sépare l'Europe de l'Asie, doit son nom à la mort tragique d'Hellé. [B]]On fera des vaisseaux l'Hellespont tremblera Elle sera des mers souveraine maîtresse. LE BARON. Je me vois bien puissant. LE CONSEILLER. Nul ne l'est plus que vous.Seigneur, goûtez en paix ce destin noble et douxNe vous mêlez de rien, chacun pour vous travaille. LE BARON. Étant si fortuné, d'où vient donc que je bâille ? LE CONSEILLER. Seigneur, ces bâillements sont l'effet d'un grand coeurQui se sent au-dessus de toute sa grandeur.Ce beau jour de gala, ce beau jour de naissanceCélèbre son bonheur ainsi que son pouvoirEt monseigneur, sans doute, aura la complaisance De prendre du plaisir, puisqu'il en veut avoir.Vous serez harangué c'est le premier devoirLes spectacles suivront c'est notre antique usage. LE BARON. Tout cela bien souvent fait bâiller davantageLes harangues surtout ont ce don merveilleux. Ô ciel je vois Irène arriver en ces lieux !Irène, si matin, vient me rendre visite !Mes conseillers privés, qu'on s'en aille au plus vite.Les harangues pour moi sont des soins superflus :Ma cousine parait je ne bâillerai plus. SCÈNE III.La Baron, Irène. LE BARON, chante. Belle Irène, belle cousine,Ma langueur chagrineS'en va quand je te voisL'amour vole à ta voixTes yeux m'inspirent l'allégresse, Ton coeur fait mon destinTout m'ennuyait, tout m'intéresseJe commence à goûter du plaisir ce matin,Mais répondez-moi donc en chansons, belle IrèneC'est dans ces lieux chéris une loi souveraine Dont ni berger ni roi ne se peut écarterSi l'on y parle un peu, ce n'est que pour chanter.Vous avez une voix si tendre et si touchante ! IRÈNE. Il n'est point à propos, mon cousin, que je chante ;[Note : Otrante : Ville de l'Italie méridionale sur l'Adriatique, à 38 Km du S.E. de Lecce. Prise en 1480 par Mahomet II, qui massacra 12 000 de ses habitants.]Je n'en ai nulle envie on pleure dans Otrante : Vos conseillers privés prennent tout notre argent ;Vous ne songez à rien, et l'on vous fait accroireQue tout le monde est fort content. LE BARON. Je le suis avec vous, j'y mets toute ma gloire. IRÈNE. Sachez que pour me plaire il vous faudra changer : D'une mollesse indigne il faut vous corriger ;Sans cela point de mariage.Vous avez des vertus, vous avez du courage ;La nonchalance a tout gâté :On ne vous a donné que des leçons stériles : On s'est moqué de vous, et votre oisivetéRendra vos vertus inutiles. LE BARON. Mes conseillers privés... IRÈNE. Seigneur, sont des friponsQui vous avaient donné de méchantes leçons,Et qui vous nourrissaient d'orgueil et de fadaise, Pour mieux pouvoir piller la baronnie à l'aise. LE BARON. Oui, l'on m'élevait mal ; oui, je m'en aperçois,Et je me sens tout autre alors que je vous vois.On ne m'a rien appris, le vide est dans ma tête ;Mais mon coeur plein de vous, et plein de ma conquête, Me rendra digne enfin de plaire à vos beaux yeux ;Étant aimé de vous, j'en vaudrai beaucoup mieux. IRÈNE. Alors, seigneur, alors, à vos vertus rendue,Je reprendrai pour vous la voix que j'ai perdue. Elle chante.Pour jamais je vous chérirai ; De tout mon coeur je chanterai :Amant charmant, aimez toujours Irène :Régnez sur tous les coeurs, et préférez le mien ;Que le temps affermisse un si tendre lien,Que le temps redouble ma chaîne ! Tous deux ensemble. Non, je ne m'ennuierai jamaisJ'aimerai toute ma vie.Amour, amour, lance tes traits,Lance tes traitsDans mon âme ravie. Non, je ne m'ennuierai jamais ;J'aimerai toute ma vie. On entend une grande rumeur et des cris. IRÈNE. Ô ciel quels cris affreux ! LE BARON. Quel tumulte ! Quel bruit !Quel étrange gala ! Chacun court, chacun fuit. SCÈNE IV. Le Baron, Irène, Un Conseiller privé. LE CONSEILLER. Ah seigneur, c'en est fait les Turcs sont dans la ville. IRÈNE. Les Turcs LE BARON. Est-il bien vrai ? LE CONSEILLER. Vous n'avez plus d'asile. LE BARON. Comment cela ? Par où sont-ils donc arrivés ? IRÈNE. Voilà ce qu'ont produit vos conseillers privés. LE BARON. Allez dire à mes gens qu'on fasse résistanceJe cours les seconder. LE CONSEILLER. Seigneur, votre grandeur De son rang glorieux doit garder la décence. IRÈNE. Hélas ma gouvernante et mes filles d'honneurViennent de tous côtés, et sont toutes tremblantes. SCÈNE V. Les précédents, La Gouvernante, et les filles d'honneur. LA GOUVERNANTE. Ah ! Madame ! les Turcs... IRÈNE. Ah pauvres innocentes !Qu'ont fait ces Turcs maudits ?... LA GOUVERNANTE. Les Turcs... je n'en puis plus... Dans votre appartement... Ils sont tous répandus.Le corsaire Abdalla tout enlève, et tout pilleOn enchaîne à la fois père, enfant, femme, fille.Madame !... Entendez-vous les tambours... Les clameurs ?... LES TURCS, derrière le théâtre. Alla ! alla ! guerra ! LA GOUVERNANTE. Madame.... je me meurs! SCÈNE VI. Les Précédents, Abdalla, suivi de ses Turcs. QUATUOR DE TURCS. Pillar, pillar, grand AbdallaAlla, ylla, alla!Tout conquir,Tout occir,Tout ravir Alla, ylla, alla! ABDALLA. Non amazzar,No, no, non amazzar.Basta, basta tout saccagear Pendant qu'ils chantent, les Turcs enchantent tous les hommes avec une longue corde qui fait le tour de la troupe, et dont un Levantis tient le bout.Ma non amazzar, Incatenar,Bever, violar,Non amazzar. LE BARON, enchaîné avec deux conseillers en grande perruque. Irène, vous voyez si dans cette postureJe fais pour un baron une noble figure. QUATUOR DE TURCS. Pillar, pillar, grand AbdallaTout saccagearPillar, bever, violar.Alla, ylla, alla IRÈNE. Quoi ces Turcs si méchants n'enchaînent point les dames [Note : le Vers 146 est une parodie des vers de Virgile (Enéide, I, 15) Tant mne animis coelestibus irae ? (B.)]Tant d'honneur entre-t-il dans ces vilaines âmes ? ABDALLA, chante. O bravi corsari,Spavento de' mari,Andate a partagir,A bever, a fruir. A' vostri strapazziCedo li ragazzi,E.tutti li consiglieri.Tutte le donne son per meË'1 mio costume, Tutte le donne son per me.Pillar, pillar, grand AbdallaAlla, ylla, alla! IRÈNE, au Baron qu'on emmène. Allez, mon cher cousin, je me flatte, j'espère,Si ce Turc est galant, de vous tirer d'affaire. Peut-être direz-vous, par mes soins relevé,Qu'une femme vaut mieux qu'un conseiller privé. ACTE II SCÈNE I. Irène, La Gouvernant. IRÈNE. Consolons-nous, ma bonne il faut avec adresseCorriger, si l'on peut, la fortune traîtresse.Vous savez du baron le bizarre destin ? LA GOUVERNANTE. Point du tout. IRÈNE. Le corsaire, échauffé par le vin,Dans les transports de joie où son coeur s'abandonne,Sans s'informer du rang ni du nom de personne,A, pour se réjouir, dans la cour du châteauAssemblé les captifs, et, par un goût nouveau, Fait tirer aux trois dés les emplois qu'il leur donne.Un grave magistrat se trouve cuisinier ;Le baron, pour son lot, est reçu muletier.Ce sont là, nous dit-on, les jeux de la fortune /Cette bizarrerie en Turquie est commune. LA GOUVERNANTE. Se peut-il qu'un baron, hélas ! soit réduit là ?Et quelle est votre place à la cour d'Abdalla ? IRÈNE. Je n'en ai point encor ; mais, si je dois en croireCertains regards hardis que, du haut de sa gloire,L'impudent, en passant, a fait tomber sur moi, J'aurai bientôt, je pense, un assez bel emploi.Et j'en ferai, ma bonne, un très-honnête usage. LA GOUVERNANTE. Ah ! Je n'en doute pas je sais qu'Irène est sage.Mais, madame, un corsaire est un peu dangereuxIl paraît volontaire et le pas est scabreux. IRÈNE. Il a pris sans façon l'appartement du maître :« Je le suis, a-t-il dit, et j'ai seul droit de l'être.Vin, fille, argent comptant, tout est pour le plus fort ;Le vainqueur les mérite, et les vaincus ont tort. »Dans cette belle idée il s'en donne à coeur-joie, Et pour tous les plaisirs son bon goût se déploie,Tandis que mon baron, une étrille à la main,Gémit dans l'écurie, et s'y tourmente en vain.Il fait venir ici les dames les plus belles,Pour leur rendre justice, et pour juger entre elles, Mettre au jour leur mérite, exercer leurs talentsPar des pas de ballet, des mines, et des chants.Nous allons lui donner cette petite fêteEt si de son mouchoir mes yeux font la conquête,Je pourrai m'en servir pour lui jouer un tour Qui fera triompher ma gloire et mon amour.J'entends déjà d'ici ses fifres, ses timbales ;Voilà nos ennemis, et voici mes rivales. SCÈNE I.. Irène, La Gouvernante, Abdalla arrive au son d'une musique turque, un mouchoir à la main ; les demoiselles u château d'Otrante forment un cercle autour de lui. Les Levantis arrivent, donnant chacun la main à une personne. ABDALLA, chante. Su, su, Zitelle tenereLa mia spada fa tremar. Ma voi, fanciulle care,Mi piacer, mi disarmarMi sentir più grand' onoreDi rendirmi a l'amore,Che rapir tutta la terra Col terrore della guerra.Su, su, Zitelle tenere, etc. IRÈNE, chante cet air tendre et mesuré. C'est pour servir notre adorable maître,C'est pour l'aimer que le ciel nous fit naître.Mars et l'Amour à l'envi l'ont form : Son bras est craint, son coeur est plus aimé.Des Amours la tendre mèreNaquit dans le sein des eauxPour orner notre corsaireDe ses présents les plus beaux. Elle parle.Votre mouchoir fait la plus chère envieDe ces beautés de notre baronnie ;Mais nul objet n'a droit de s'en flatter :On peut vous plaire, et non vous mériter. Abdalla fume sur un canapé les dames passent en revue devant lui. Il fait des mines à chacune, et donne enfin le mouchoir à Irène. ABDALLA. Pigliate voi il fazzoletto, L'avete ben guadagnatoChe tutte le altre fanciulleMen leggiadre, e meno belle,Aspettino per un' altra voltaLa mia sobrana volontà. Il fait asseoir Irène à côté de lui.Al mio canto Irena stiaE tutte le altre via, via. Elles s'en vont toutes, on lui faisant la révérence.Bene, bene, sarà per un' altra volta,Un' altra volta. SCÈNE III. Irène, Abdalla. ABDALLA. Cara Irena, adesso, Sedete appresso di me.Amor mi punge e mi consume. Il la fait asseoir plus près.Più appresso, più appresso. IRÈNE, à côté d'Abdalla, sur le canapé. Seigneur, de vos bontés mon âme est pénétrée ;Je n'ai jamais passé de plus belle soirée. Quand je craignais les Turcs, si fiers dans les combats,Mon coeur, mon tendre coeur ne vous connaissait pas.Non, il n'est point de Turc qui vous soit comparable.Je crois que Mahomet fut beaucoup moins aimable ;Et, pour mettre le comble à des plaisirs si doux, Je compte avoir l'honneur de souper avec vous. ABDALLA. Si, si, cara : ceneremo insieme, tête à tête, l'uno dirimpetto a l'altra ; senza schiavi ; solo con sola ; beveremo del vino greco e canteremo, e ci trastulleremo, dirimpetto l'uno a l'altra : si, si, cara, per dio Maccone. IRÈNE. Après tant de bontés aurai-je encor l'audaceD'implorer de mon Turc une nouvelle grâce ? ABDALLA. Parli, parli faro tuttoChe vorrete, presto, presto. IRÈNE. Seigneur, je suis baronne et mon père autrefoisDans Otrante a donné des lois.Il était connétable, ou comte d'écurie ;C'est une dignité que j'ai toujours chérie :Mon coeur en est encor tellement occupé Que si vous permettez que j'aille avant soupéCommander un quart d'heure où commandait mon père,C'est le plus grand plaisir que vous me puissiez faire. ABDALLA. Come ! nella stalla ? IRÈNE. Nella stalla, signor.Au nom du tendre amour je vous en prie encor. Un héros tel que vous, formé pour la tendresse,Pourrait-il durement refuser sa maîtresse ? ABDALLA. La signora è matta. Le stalle sono puzzolente ; bisognerà più d'un fiasco d'acqua nanfa per nettarla. Or su andate a vostro piacere, lo concedo andate, cara, e ritornate. Irène sort. SCÈNE IV. ABDALLA, chante. En se frappant le front.Ogni fanciulla tien làQualche fantasia,Somigliante alla pazzia. Ma l'ira mia è vana.Basta che la ZitellaSia facile e bcllaTutto si perdona.Ogni fanciulla tien là Qualche fantasia. ACTE III SCÈNE I. Irène, La Baron, en souquenille, une étrille à la main. Le théâtre représente un coin d'écurie. IRÈNE, chante. Oui, oui, je dois tout espérer ;Tout est prêt pour vous délivrer.Oui... oui... je peux tout espérer ;L'amour vous protége et m'inspire. Votre malheur m'a fait pleurer ;Mais en trompant ce Turc que je fais soupirer,Je suis prête à mourir de rire. LE BARON. Lorsque vous me voyez une étrille à la main,Si vous riez, c'est de moi-même. Je l'ai bien mérité : dans ma grandeur suprême,J'étais indigne, hélas ! Du pouvoir souverain,Et du charmant objet que j'aime. IRÈNE. Non, le destin volageNe peut rien sur mon coeur. Je vous aimai dans la grandeur ;Je vous aime dans l'esclavage.Rien ne peut nous humilier ;Et quand mon tendre amant devient un muletier,Je l'en aime encor davantage. Elle répète.Et quand mon tendre amant devient un muletier,Je l'en aime encor davantage. LE BARON. Il faut donc mériter un si parfait amour :Ainsi que mon destin je change en un seul jour ;Irène et mes malheurs éveillent mon courage. À ses vassaux, qui paraissent en armes.Amis, le fer en main, frayons-nous un passageDans nos propres foyers ravis par ces brigands.Enchaînons, à leur tour, ces vainqueurs insolentsPlongés dans leur ivresse, et se livrant en proieÀ la sécurité de leur brutale joie. Vous, gardez cette porte ; et vous, vous m'attendrezPrès de ma chambre même, au haut de ces degrésQui donnent au palais une secrète issue.J'en ouvrirai la porte au public inconnue.Je veux que de ma main le corsaire soit pris. Dans le même moment appelez à grands crisTous les bons citoyens au secours de leur maître :Frappez, percez, tuez, jetez par la fenêtre,Quiconque à ma valeur osera résister. À Irène.Déesse de mon coeur, c'est trop vous arrêter : Allez à ce festin que le vainqueur prépare.Je lui destine un plat qu'il pourra trouver rare ;Et j'espère ce soir, plus heureux qu'au matin,De manger le rôti qu'on cuit pour le vilain. IRÈNE. J'y cours ; vous m'y verrez : mais que votre tendresse Ne s'effarouche pas si de quelque caresseJe daigne encourager ses désirs effrontés :Ce ne sont point, seigneur, des infidélités.Je ne pense qu'à vous, quand je lui dis que j'aime ;En buvant avec lui, je bois avec vous-même ; En acceptant son coeur je vous donne le mien :Il faut un petit mal souvent pour un grand bien. Elle sort. SCÈNE II. LE BARON, à ses vassaux. Allons donc, mes amis, hâtons-nous de nous rendreAu souper où l'Amour avec Mars doit m'attendre.Le temps est précieux : je cours quelque hasard D'être un peu passé maître, et d'arriver trop tard.Faites de point en point ce que j'ai su prescrire ;Gardez de vous méprendre, et laissez-vous conduire.Avancez à tâtons sous ces longs souterrains :De la gloire bientôt ils seront les chemins. SCÈNE III. Abdalla, Irène, seuls à table, sans domestiques. Le théâtre représente une jolie salle à manger. IRÈNE, un verre en main, chante. Ah quel plaisirDe boire avec son corsaire !Chaque coup que je bois augmente mon désirDe boire encore, et de lui plaire.Verse, verse, mon bel amant : Ah ! Que tu verses tendrementTous les feux d'amour dans mon verre ! ABDALLA. Si, si, brindisi a te,Amate, bevete, ridete.Si, si, brindisi a te, Questo vino di ChampagnaA te somiglia,Incanta tutta la terra,Li cristiani,Li musulmani. Begli occhi scintillateAl par del vino spumante.Si, si, brindisi a te, TOUS DEUX ENSEMBLE. Si, si, brindisi a te,Amate, bevete, ridete. Si, si, brindisi a te, etc. Ils dansent ensemble, le verre à la main, en chantant.Si, si, brindisi a te, etc. SCÈNE I.. Les Précédents ; Le Baron, armé, et ses Suivants, entrent de tous côtés dans la chambre. LE BARON. Corsaire, il faut ici danser une autre danse. ABDALLA, cherchant son sabre. Che veggo ! Che veggo ! LE BARON. Ton maître, et la vengeance.Il est juste, soldats, qu'on l'enchaîne à son tour : Ainsi tout à son terme, et tout passe en un jour. ABDALLA. Levanti, venite ! LE BARON. Tes Levantis, corsaire,Sont tous mis à la chaîne, et s'en vont en galère.Ami, l'oisiveté t'a perdu comme moi :Je te rends la leçon que je reçus de toi. Je t'en donne encore une avec reconnaissance :Je te rends ton vaisseau ; va, pars en diligence :Laisse-moi la beauté qui nous a tous sauvés,Et rembarque avec toi mes conseillers privés. Il chante.Je jure... Je jure d'obéir Pour jamais à ma belle Irène.Peuples heureux, dont elle est souveraine,Répétez avec moi, contents de la servir : LE CHOEUR. Je jure. je jure d'obéirPour jamais à la belle Irène. ==================================================