******************************************************** DC.Title = LES DEUX TONNEAUX, OPÉRA COMIQUE DC.Author = VOLTAIRE DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Opéra comique DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:13. DC.Coverage = Pays mythologique DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/VOLTAIRE_DEUXTONNEAUX.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES DEUX TONNEAUX OPÉRA COMIQUE EN TROIS ACTES 1734 Voltaire PERSONNAGES GLYCÈRE. PRESTINE, petite soeur de Glycère. DAPHNIS. LE PÈRE de DAPHNIS. LE PÈRE de GLYCÈRE. GRÉGOIRE, cabaretier-cuisinier, prêtre du temple de Bacchus. PHÉBÉ, servante du temple. TROUPE DE JEUNES garçons et de jeunes filles. La scène est dans un temple consacré à Bacchus. ACTE I SCÈNE I. GRÉGOIRE, troupe de jeunes garçons et de jeunes filles. Le théâtre représente un temple de feuillage, orné de thyrses, de trompettes, de pampre, de raisins. On voit entre les colonnades de feuillage les statues de Bacchus, d'Ariane, de Silène et de Pan. Un grand buffet tient lieu d'autel : deux fontaines de vin coulent dans le fond. Des garçons et des filles sont empressés à préparer tout pour une fête. Grégoire, l'un des suivants de Bacchus, ordonne la fête. Il est en veste blanche et galante, portant un thyrse à la main, et sur sa tête une couronne de lierre. Ouverture gaie et vive ; reprise douloureuse et terrible. GRÉGOIRE, chante. Allons, enfants, à qui mieux mieux ; Jeunes garçons, jeunes fillettes, Parez cet autel glorieux ; Trémoussez-vous, paresseux que vous êtes : Mettez-moi cela Là, Rendez ce buffet Net ; Songez bien à ce que vous faites. Allons, enfants, à qui mieux mieux ; Trémoussez-vous, paresseux que vous êtes : Songez que vous serrez les belles et les dieux. UNE SUIVANTE. Elle parle.Eh ! doucement, monsieur Grégoire,Nous sommes comme vous du temple de Bacchus ;Comme vous nous lui rendons gloire : Nous sommes tous très assidusA servir Bacchus et Vénus.Le grand-prêtre du temple est sans doute allé boire. Elle chante.Il reviendra : faites moins l'important.Alors que le maître est absent, Maître valet s'en fait accroire. GRÉGOIRE. Pardon, j'ai du chagrin. LA SUIVANTE. On n'en a point ici.Vous vous moquez de nous. GRÉGOIRE. Va, j'ai bien du souci.Nous attendons la noce, et mon maître m'ordonneDe représenter sa personne, Et d'unir les amants qui seront envoyésDe tous les lieux voisins pour être mariés.Ah ! j'enrage. LA SUIVANTE. Comment ! c'est la meilleure aubaineQue jamais tu pourras trouver :Toujours ces fêtes-là nous valent quelque étrenne : Rien de mieux ne peut t'arriver.J'ai vu plus d'un hymen. L'une et l'autre partieS'est assez souvent repentieDes marchés qu'ici l'on a faits ;Mais le monsieur qui les marie, Quand il a leur argent, ne s'en repent jamais.C'est l'aimable Daphnis et la belle GlycèreQui viennent se donner la main.Que Daphnis est charmant ! GRÉGOIRE, en colère. Non, il est fort vilain. LA SUIVANTE. À toutes nos beautés que Daphnis a su plaire ! GRÉGOIRE. Il me déplaît beaucoup. LA SUIVANTE. Qu'il est beau ! GRÉGOIRE. Qu'il est laid ! LA SUIVANTE. Très honnête garçon, libéral. GRÉGOIRE. Non. LA SUIVANTE. Si fait.Que Grégoire est méchant ! Me dira-t-il encoreQue la future est sans beauté ? GRÉGOIRE. La future ? LA SUIVANTE. Oui, Glycère ; on la fête, on l'adore ; Dans toute l'Arcadie on en est enchanté. GRÉGOIRE. Oui... la future... passe... elle est assez jolie ;Mais c'est un mauvais coeur, tout plein de perfidie,D'ingratitude, de fierté. LA SUIVANTE. Glycère, un mauvais coeur ! hélas ! c'est la bonté, C'est la vertu modeste, et pleine d'indulgence ;C'est la douceur, la patience ;Et de ses moeurs la puretéFait taire encor la médisance.Vous me paraissez dépité : N'auriez-vous point été tentéD'empaumer le coeur de la belle ?Quand du succès on est flatté,Quand la dame n'est point cruelle,Vous la traitez de nymphe et de divinité ; Si vous en êtes rebuté,Vous faites des chansons contre elle.Allons, maître Grégoire, un peu moins de courroux :Recevons bien ces deux époux ;Que le festin soit magnifique. On boit ici son vin sans eau ;Mais n'allez pas gâter notre fête bacchiqueEn perçant du mauvais tonneau. GRÉGOIRE. Comment ? Que dis-tu là ? LA SUIVANTE. Je m'entends bien. GRÉGOIRE. Petite,Tremble que ce mystère ici soit révélé ; C'est le secret des dieux, crains qu'on ne le débite :Aussitôt qu'on en a parlé,Apprends qu'on meurt de mort subite.Cesse tes discours familiers,Réprime ta langue maudite, Et respecte les dieux et les cabaretiers. Il chante. Allons, reprenez votre ouvrage ; Servons bien ces heureux amants... À part. Le dépit et la rage Déchirent tous mes sens. Hâtons ces heureux moments ; Courage, courage : Cognez, frappez, partez en même temps : Suspendez ces festons, étendez ce feuillage ; Que les bons vins, les amours, Nous donnent toujours Sous ces charmants ombrages D'heureuses nuits et de beaux jours. J'enrage, J'enrage. Je me vengerai ; Je les punirai : Ils me paieront cher mon outrage. Hâtons leurs heureux moments ; Cognez, frappez, partez en même temps. J'enrage, J'enrage. Ah ! j'aperçois de loin cette noce en chemin. La petite soeur de Glycère Est toujours à tout la première ; Elle s'y prend de bon matin. Cette rose est déjà fleurie, Elle a précipité ses pas. La voici... ne dirait-on pas Que c'est elle que l'on marie ? SCÈNE II. Grégoire, Prestine, La Suivante. PRESTINE, arrivant en hâte. Eh ! Quoi donc ! Rien n'est prêt au temple de Bacchus ?Nous restons au filet ! Nos pas sont-ils perdus ?On ne fait rien ici quand on a tant à faire !Ma soeur et son amant, mon bonhomme de père,Et celui de Daphnis, femmes, filles, garçons, Arrivent à la file, en dansant aux chansons.Ici je ne vois rien paraître.Réponds donc, Grégoire, réponds ;Mène-moi voir l'autel et monsieur le grand-prêtre. GRÉGOIRE. Le grand-prêtre, c'est moi. PRESTINE. Tu ris. GRÉGOIRE. Moi, dis-je. PRESTINE. Toi ? Toi, prêtre de Bacchus ? GRÉGOIRE. Et fait pour cet emploi.Quel étonnement est le vôtre ? PRESTINE. Eh bien ! soit, j'aime autant que ce soit toi qu'un autre. GRÉGOIRE. Je suis vice-gérant dans ce lieu plein d'appas.Je conjoins les amants, et je fais leurs repas. Ces deux charmants ministères,Au monde si nécessaires,Sont sans doute les premiers.J'espère quelque jour, ma petite Prestine,Dans cette demeure divine Les exercer pour vous. PRESTINE. Hélas ! très volontiers. GRÉGOIRE ET PRESTINE. DUO. En ces beaux lieux c'est à Grégoire, C'est à lui d'enseigner Le grand art d'aimer et de boire ; C'est lui qui doit régner. Du dieu puissant de la liqueur vermeille Le temple est un cabaret ; Son autel est un buffet. L'Amour y veille Avec transport ; L'Amour y dort, Dort, dort, Sous les beaux raisins de la treille, GRÉGOIRE. Je vois nos gens venir ; je vais prendre à l'instantMes habits de cérémonie. Il faut qu'a tous les yeux Grégoire justifieLe choix qu'on fait de lui dans un jour si brillant. PRESTINE. Va vite... Avancez donc, mon père, mon beau-père,Ma chère soeur, mon cher beau-frère,Ah ! Que vous marchez lentement ! Cet air grave est, dit-on, décent :Il est noble, il a de la grâce ;Mais j'irais plus vivementSi j'étais à votre place, SCÈNE III. Le Père de Glycère et de Prestine, Le Père de daphnis, petits vieillards ratatinés, marchant les premiers, la canne à la main ; Daphnis, conduisant Glycère et toute la noce ; Prestine. GLYCÈRE, à Prestine. Pardonne, chère soeur, à mes sens éblouis Je me suis arrêtée a regarder Daphnis ;J'étais hors de moi-même, en extase, en délire ;Et je n'avais qu'un sentiment.Va, tout ce que je te puis dire,C'est que je t'en souhaite autant. LES DEUX PÈRES. DUO. Oh ! Qu'il est doux, sur nos vieux ans, De renaître dans sa famille Mon fils... ma fille Raniment mes jours languissants ; Mon hiver brille Des roses de leur printemps. Les jeunes gens qui veulent rire Traitent un vieillard De rêveur, de babillard : Ils ont grand tort ; Chacun aspire À notre sort ; Chacun demande à la nature De ne mourir qu'en cheveux blancs ; Et, dès qu'on parvient à cent ans, On a place dans le Mercure. PRESTINE. Il s'agit bien de fredonner ;Ah ! Vous avez, je pense, assez d'autres affaires.Savez-vous à quel homme on a voulu donnerLe soin de célébrer vos amoureux mystères ? À Grégoire. GLYCÈRE, effrayée. À Grégoire ! DAPHNIS. Eh ! Qu'importe, grands dieux !Tout m'est bon, tout m'est précieux ;Tout est égal ici quand mon bonheur approche.Si Glycère est à moi, le reste est étranger.Qu'importe qui sonne la cloche, Quand j'entends l'heure du berger ?Rien ne peut me déplaire, et rien ne m'intéresse :Je ne vois point ces jeux, ce festin solennel,Ces prêtres de l'hymen, ce temple, cet autel ;Je ne vois rien que la déesse. LE PÈRE DE GLYCÈRE, LE PÈRE DE DAPHNIS, DAPHNIS, GLYCÈRE. QUATUOR. Ma fille !... Mon cher fils !... Glycère !... Tendre époux ! Aimons-nous tous quatre, aimons-nous. De la félicité, naissez, brillante aurore ; Naissez, faites éclore Un jour encor plus doux. Tendre amour, c'est toi que j'implore ; En tout temps tu règnes sur nous : Tendre amour, c'est toi que j'implore ; Aimons-nous tous quatre, aimons-nous. PRESTINE. Ils aiment à chanter, et c'est là leur folie. Ne parviendrai-je point à faire ma partie ?Ces gens-là sur un mot vous font vite un concert ;Et ce qu'en eux surtout je révère et j'admire,C'est qu'ils chantent parfois sans avoir rien à dire :Ils nous ont sur-le-champ donné d'un quatuor. À mon oreille il plaisait fort ;Et, s'ils avaient voulu, j'aurais fait la cinquième.Mais on me laisse là ; chacun pense à soi-même. Elle chante. Le premier mari que j'aurai, Ah ! Grands dieux, que je chanterai ! On néglige ma personne, On m'abandonne. Le premier mari que j'aurai, Ah ! Grands dieux, que je chanterai ! SCÈNE IV. Les précédents, Phébé. PHÉBÉ. Entrez, mes beaux messieurs, entrez, ma belle dame. À Glycère, à part.Ma belle dame, au moins prenez bien garde à vous. DAPHNIS. Allez, j'en aurai soin ; ne crains rien, bonne femme. Il lui met une bourse dans la main. PHÉBÉ. Que voilà deux charmants époux !Prenez bien garde à vous, madame. GLYCÈRE. Que veut-elle me dire ? Elle me fait trembler.L'amour est trop timide, et mon coeur est trop tendre. PRESTINE. Auprès de votre amant qui peut donc vous troubler ?Nulle crainte en tel cas ne pourrait me surprendre. Elle chante. Le premier mari que j'aurai, Ah ! Bon dieu, que je chanterai ! On néglige ma personne, On m'abandonne. Le premier mari que j'aurai, Ah ! Grands dieux, que je chanterai ! ACTE II SCÈNE I. Daphnis, conduit par son père, Glycère par le sien, Prestine par personne, et courant partout ; garçons de la noce. LE PÈRE DE DAPHNIS. Mes enfants, croyez-moi, nous savons les rubriques ;Faisons comme faisaient nos très prudents aïeux :Tout allait alors beaucoup mieux.C'était là le bon temps ; et les siècles antiques,Étant plus vieux que nous, auront toujours raison. Je vous dis que c'est là... que sera le garçon ;Ici... la fille ; ici... moi, du garçon le père. À Glycère.Là... vous ; et puis Prestine à côté de sa soeur,Pour apprendre son rôle, et le savoir bien faire.Mais j'aperçois déjà le sacrificateur. Qu'il a l'air noble et grand ! Une majesté sainteSur son front auguste est empreinte ;Il ressemble à son dieu, dont il a la rougeur. LE PÈRE DE GLYCÈRE. Oui, l'on voit qu'il le sert avec grande ferveur.Silence, écoutons bien. SCÈNE II. Les Précédents, Grégoire, suivi des Ministres de Bacchus. Les deux amants mettent la main sur le buffet qui sert d'autel. GRÉGOIRE, au milieu, vêtu en grand sacrificateur. Futur, et vous, future, Qui venez allumer à l'autel de BacchusLa flamme la plus belle et l'ardeur la plus pure,Soyez ici très bien venus.D'abord, avant que chacun jureD'observer les rites reçus, Avant que de former l'union conjugale,Je vais vous présenter la coupe nuptiale. GLYCÈRE. Ces rites sont d'aimer ; quel besoin d'un sermentPour remplir un devoir si cher et si durable ?Ce serment dans mon coeur constant, inaltérable, Est écrit par le sentimentEn caractère ineffaçable.Hélas ! Si vous voulez, ma bouche en fera cent ;Je les répéterai tous les jours de ma vie ;Et n'allez pas penser que le nombre m'ennuie : Ils seront tous pour mon amant. GRÉGOIRE, à part. Que ces deux gens heureux redoublent ma colère !Dieux ! Qu'ils seront punis... Buvez, belle Glycère,Et buvez l'amour à longs traits.Buvez, tendres époux, vous jurerez après : Vous recevrez des dieux des faveurs infinies. Il va prendre les deux coupes préparées au fond du buffet. LE PÈRE DE DAPHNIS. Oui, nos pères buvaient dans leurs cérémonies,Aussi valaient-ils mieux qu'on ne vaut aujourd'hui :Depuis qu'on ne boit plus, l'esprit avec l'ennuiFont bâiller noblement les bonnes compagnies. Les chansons en refrain des soupers sont bannies :Je riais autrefois, j'étais toujours joyeux :Et je ne ris plus tant depuis que je suis vieux :J'en cherche la raison, d'où vient cela, compère ? LE PÈRE DE GLYCÈRE. Mais... cela vient... du temps. Je suis tout sérieux, Bien souvent, malgré moi, sans en savoir la cause.Il s'est fait parmi nous quelque métamorphose.Mais il reste, après tout, quelques plaisirs touchants :Dans le bonheur d'autrui l'âme à l'aise respire ;Et quand nous marions nos aimables enfants, Je vois qu'on est heureux sans rire. Grégoire présente une petite coupe à Daphnis, et une autre à Glycère. GRÉGOIRE, après qu'ils ont bu. Rendez-moi cette coupe. Eh quoi ! Vous frémissez !Çà, jurez à présent ; vous, Daphnis, commencez. DAPHNIS, chante en récitatif mesuré, noble, et tendre. Je jure par les dieux, et surtout par Glycère, De l'aimer à jamais comme j'aime en ce jour. Toutes les flammes de l'amour Ont coulé dans ce vin quand j'ai vidé mon verre. Ô toi qui d'Ariane as mérité le coeur, Divin Bacchus, charmant vainqueur, Tu règnes aux festins, aux amours, à la guerre. Divin Bacchus, charmant vainqueur, Je t'invoque après ma Glycère. Symphonie. DAPHNIS, continue. Descends, Bacchus, en ces beaux lieux ;Des Amours amène la mère ;Amène avec toi tous les dieux ; Ils pourront brûler pour Glycère.Je ne serai point jaloux d'eux ;Son coeur me préfère,Me préfère, me préfère aux dieux. GRÉGOIRE. C'est à vous de jurer, Glycère, à votre tour, Devant Bacchus lui-même, au grand dieu de l'amour. GLYCÈRE, chante. [Note : Magot : Gros singe sans queue du genre des macaques. Fig. et familièrement. Un magot, un homme fort laid. [L]] Je jure une haine implacable À ce vilain magot, À ce fat, à ce sot ; Il m'est insupportable. Je jure une haine implacable. À ce fat, à ce sot. Oui, mon père, oui, mon père, J'aimerais mieux en enfer Épouser Lucifer. Qu'on n'irrite point ma colère ; Oui, je verrais plutôt le peu que j'ai d'appas Dans la gueule du chien Cerbère, Qu'entre les bras Du vilain qui croit me plaire. DAPHNIS. Qu'ai-je entendu ! Grands dieux ! LES DEUX PÈRES, ensemble. Ah ! Ma fille ! PRESTINE. Ah ! Ma soeur ! DAPHNIS. Est-ce vous qui parlez, ma Glycère ? GLYCÈRE, reculant. Ah ! L'horreur !Ôte-toi de mes yeux ; ton seul aspect m'afflige. DAPHNIS. Quoi ! C'est donc tout de bon ? GLYCÈRE. Retire-toi, te dis-je ;Tu me donnerais des vapeurs. DAPHNIS. Eh ! Qu'est-il arrivé ? Dieux puissants, dieux vengeurs,En étiez-vous jaloux ? M'ôtez-vous ce que j'aime ?Ma charmante maîtresse, idole de mes sens,Reprends les tiens, rentre en toi-même ;Vois Daphnis à tes pieds, les yeux chargés de pleurs. GLYCÈRE. Je ne puis te souffrir : je te l'ai dit, je pense,Assez net, assez clairement.Va-t-en, ou je m'en vais. LE PÈRE DE DAPHNIS. Ciel ! quelle extravagance ! DAPHNIS. Prétends-tu m'éprouver par ces affreux ennuis ?As-tu voulu jouir de ma douleur profonde ? GLYCÈRE. Tu ne t'en vas point ; je m'enfuis :Pour être loin de toi j'irais au bout du monde. Elle sort. QUATUOR. LES DEUX PÈRES, PRESTINE, DAPHNIS. Je suis tout confondu... Je frémis... Je me meurs ! Tous ensemble. Quel changement ! quelles alarmes ! Est-ce là cet hymen si doux, si plein de charmes ? PRESTINE. Non, je ne rirai plus ; coulez, coulez, mes pleurs. TOUS ENSEMBLE. Dieu puissant, rends-nous tes faveurs. GRÉGOIRE, chante. Quand je vois quatre personnes Ainsi pleurer en chantant, Mon coeur se fend. Bacchus, tu les abandonnes : Il faut en faire autant. Il s'en va. SCÈNE III. Le Père de Daphnis, Le Père de Glycère, Daphnis, Prestine. LE PÈRE DE DAPHNIS, à celui de Glycère. Écoutez ; j'ai du sens, car j'ai vu bien des choses,Des esprits, des sorciers, et des métempsycoses.Le dieu que je révère, et qui règne en ces lieux, Me semble, après l'Amour, le plus malin des dieux.Je l'ai vu dans mon temps troubler bien des cervelles ;Il produisait souvent d'assez vives querelles :Mais cela s'éteignait après une heure ou deux.Peut-être que la coupe était d'un vin fumeux, Ou dur, ou pétillant, et qui porte à la tête.Ma fille en a trop bu ; de là vient la tempêteQui de nos jours heureux a noirci le plus beau.La coupe nuptiale a troublé son cerveau :Elle est folle, il est vrai ; mais, dieu merci, tout passe : Je n'ai vu ni d'amour ni de haine sans fin...Elle te r'aimera ; tu rentreras en grâceDès qu'elle aura cuvé son vin. PRESTINE. Mon père, vous avez beaucoup d'expérience,Vous raisonnez on ne peut mieux : Je n'ai ni raison ni science,Mais j'ai des oreilles, des yeux.De ce temple sacré j'ai vu la balayeuseQui d'une voix mystérieuseA dit à ma grand'soeur, avec un ton fort doux : Quand on vous mariera, prenez bien garde à vous.J'avais fait peu de cas d'une telle parole ;Je ne pouvais me défierQue cela put signifierQue ma grand'soeur deviendrait folle. Et puis je me suis dit (toujours en raisonnant) :Ma soeur est folle cependant.Grégoire est bien malin : il pourchassa Glycère,Il n'en eut qu'un refus : il doit être en colère.Il est devenu grand seigneur : On aime quelquefois à venger son injure.Moi, je me vengerais si l'on m'ôtait un coeur.Voyez s'il est quelque valeurDans ma petite conjecture. DAPHNIS. Oui, Prestine a raison. LE PÈRE DE GLYCÈRE. Cette fille ira loin. LE PÈRE DE DAPHNIS. Ce sera quelque jour une maîtresse femme. DAPHNIS. Allez tous, laissez-moi le soinDe punir ici cet infâme ;A ce monstre ennemi je veux arracher l'âme.Laissez-moi. LE PÈRE DE GLYCÈRE. Qui l'eût cru qu'un jour si fortuné A tant de maux fût destiné ? LE PÈRE DE DAPHNIS. Hélas ! J'en ai tant vu dans le cours de ma vie !De tous les temps passés l'histoire en est remplie. LE PÈRE DE DAPHNIS, à celui de Glycère. Écoutez ; j'ai du sens, car j'ai vu bien des choses,Des esprits, des sorciers, et des métempsycoses. Le dieu que je révère, et qui règne en ces lieux,Me semble, après l'Amour, le plus malin des dieux.Je l'ai vu dans mon temps troubler bien des cervelles ;Il produisait souvent d'assez vives querelles :Mais cela s'éteignait après une heure ou deux. Peut-être que la coupe était d'un vin fumeux,Ou dur, ou pétillant, et qui porte à la tête.Ma fille en a trop bu ; de là vient la tempêteQui de nos jours heureux a noirci le plus beau.La coupe nuptiale a troublé son cerveau : Elle est folle, il est vrai ; mais, dieu merci, tout passe :Je n'ai vu ni d'amour ni de haine sans fin...Elle te r'aimera ; tu rentreras en grâceDès qu'elle aura cuvé son vin. PRESTINE. Mon père, vous avez beaucoup d'expérience, Vous raisonnez on ne peut mieux :Je n'ai ni raison ni science,Mais j'ai des oreilles, des yeux.De ce temple sacré j'ai vu la balayeuseQui d'une voix mystérieuse A dit à ma grand'soeur, avec un ton fort doux :Quand on vous mariera, prenez bien garde à vous.J'avais fait peu de cas d'une telle parole ;Je ne pouvais me défierQue cela put signifier Que ma grand'soeur deviendrait folle.Et puis je me suis dit (toujours en raisonnant) :Ma soeur est folle cependant.Grégoire est bien malin : il pourchassa Glycère,Il n'en eut qu'un refus : il doit être en colère. Il est devenu grand seigneur :On aime quelquefois à venger son injure.Moi, je me vengerais si l'on m'ôtait un coeur.Voyez s'il est quelque valeurDans ma petite conjecture. DAPHNIS. Oui, Prestine a raison. LE PÈRE DE GLYCÈRE. Cette fille ira loin. LE PÈRE DE DAPHNIS. Ce sera quelque jour une maîtresse femme. DAPHNIS. Allez tous, laissez-moi le soinDe punir ici cet infâme ;À ce monstre ennemi je veux arracher l'âme. Laissez-moi. LE PÈRE DE GLYCÈRE. Qui l'eût cru qu'un jour si fortunéÀ tant de maux fût destiné ? LE PÈRE DE DAPHNIS. Hélas ! j'en ai tant vu dans le cours de ma vie !De tous les temps passés l'histoire en est remplie. SCÈNE IV. Les précédents ; Grégoire, revenant dans son premier habit. DAPHNIS. Ô douleur ! Ô transports jaloux ! Holà ! Hé ! Monsieur le grand-prêtre,Monsieur Grégoire, approchez-vous. GRÉGOIRE. Quel profane en ces lieux frappe, et me parle en maître ? DAPHNIS. C'est moi ; me connais-tu ? GRÉGOIRE. Qui, toi ? mon ami, non,Je ne te connais point à cet étrange ton Que tu prends avec moi. DAPHNIS. Tu vas donc me connaître !Tu mourras de ma main ; je vais t'assommer, traître !Je vais t'exterminer, fripon ! GRÉGOIRE. Tu manques de respect à Grégoire, à ma place ! DAPHNIS. Va, ce fer que tu vois en manquera bien plus ! Il faut punir ta lâche audace :Indigne suppôt de Bacchus,Tremble, et rends-moi ma femme. GRÉGOIRE. Eh ! mais pour te la rendreIl faudrait avoir eu le plaisir de la prendre :Tu vois, je ne l'ai point. DAPHNIS. Non, tu ne l'auras pas ; Mais c'est toi qui me l'as ravie ;C'est toi qui l'as changée, et presque dans mes bras :Elle m'aimait plus que sa vieAvant d'avoir goûté ton vin.On connaît ton esprit malin ; A peine a-t-elle bu de ta liqueur mêlée,Sa haine contre moi soudain s'est exhalée ;Elle me fuit, m'outrage, et m'accable d'horreurs.C'est toi qui l'as ensorcelée ;Tes pareils dès longtemps sont des empoisonneurs. GRÉGOIRE. Quoi ! ta femme te hait ! DAPHNIS. Oui, perfide ! à la rage. GRÉGOIRE. Eh mais ! c'est quelquefois un fruit du mariage ;Tu peux t'en informer. DAPHNIS. Non, toi seul as tout fait :Tu mets à mon bonheur un invincible obstacle. GRÉGOIRE. Tu crois donc, mon ami, qu'une femme en effet Ne peut te haïr sans miracle ? DAPHNIS. Je crois que dans l'instant à mon juste dépit,Lâche, ton sang va satisfaire. ARIETTE. GRÉGOIRE. Il le ferait comme il le dit, Car je n'ai plus mon bel habit Pour qui le peuple me révère, Et ma personne est sans crédit Auprès de cet homme en colère ; Il le ferait comme il le dit, Car je n'ai plus mon bel habit. Apaise-toi, rengaine... Eh bien ! je te promets Qu'aujourd'hui ta Glycère, en son sens revenue, A son époux, à son amour rendue, Va te chérir plus que jamais. DAPHNIS. Ô ciel ! Est-il bien vrai ? Mon cher ami Grégoire, Parle ; que faut-il faire ? GRÉGOIRE. Il vous faut tous deux boireEnsemble une seconde fois. GRÉGOIRE, DAPHNIS. DUO. Sur cet autel Grégoire jure Qu'on t'aimera. Rien ne dure Dans la nature ; Rien ne durera, Tout passera. On réparera ton injure. On t'en fera ; On l'oubliera. Rien ne dure Dans la nature ; Rien ne durera, Tout passera. Sur cet autel Grégoire jure Qu'on m'aimera. Rien ne dure Dans la nature ; Rien ne durera, Tout passera. On réparera mon injure. On m'en fera ; On l'oubliera. Rien ne dure Dans la nature ; Rien ne durera, Tout passera. Ensemble. Le caprice d'une femme Est l'affaire d'un moment ; La girouette de son âme Tourne, tourne... au moindre vent. ACTE III SCÈNE I. Les Deux Pères, Glycère, Prestine. LE PÈRE DE GLYCÈRE. Oui, c'étaient des vapeurs ; c'est une maladieOù les vieux médecins n'entendent jamais rien :Cela vient tout d'un coup... quand on se porte bien... Une seconde dose à l'instant l'a guérie.Oh ! Que cela t'a fait de bien ! LE PÈRE DE DAPHNIS. Ces espèces de maux s'appellent frénésie.Feu ma femme autrefois en fut longtemps saisie ;Quand son mal lui prenait, c'était un vrai démon. LE PÈRE DE GLYCÈRE. Ma femme aussi. LE PÈRE DE DAPHNIS. C'était un torrent d'invectives,Un tapage, des cris, des querelles si vives... LE PÈRE DE GLYCÈRE. Tout de même. LE PÈRE DE DAPHNIS. Il fallait déserter la maison.La bonne me disait : Je te hais, d'un courage,D'un fond de vérité... cela partait du coeur. Grâce au ciel, tu n'as plus cette mauvaise humeur,Et rien ne troublera ta tête et ton ménage. GLYCÈRE, se relevant d'un banc de gazon où elle était penchée. Qu'est-il donc arrivé ? qu'ai-je fait ? qu'ai-je dit ?À l'amant que j'adore aurai-je pu déplaire ?Hélas ! j'aurais perdu l'esprit ! L'amour fit mon hymen ; mon coeur s'en applaudit :Vous le savez, grands dieux ! si ce coeur est sincère.Mais dès le second coup de vinQu'à cet autel on m'a fait boire,Mon amant est parti soudain, En montrant l'humeur la plus noire ;Attachée à ses pas j'ai vainement couru.Où donc est-il allé ? Ne l'avez-vous point vu ? LE PÈRE DE DAPHNIS. Il arrive. SCÈNE II. Les Précédents, Daphnis. LE PÈRE DE DAPHNIS. En effet je vois sur son visageJe ne sais quoi de dur, de sombre, de sauvage. GLYCÈRE, chante. Cher amant, vole dans mes bras :Dieu de mes sens, dieu de mon âme,Animez, redoublez mon éternelle flamme...Ah ! ah ! ah ! cher époux, ne te détourne pas ;Tes yeux sont-ils fixés sur mes yeux pleins de larmes ? Ton coeur répond-il à mon coeur ?Du feu qui me consume éprouves-tu les charmes ?Sens-tu l'excès de mon bonheur ? À cette musique tendre succède une symphonie impérieuse et d'un caractère terrible. DAPHNIS, au père de Glycère. Il chante. Écoute, malheureux beau-père, Tu m'as donné pour femme une Mégère ; Dès qu'on la voit on s'enfuit ; Sa laideur la rend plus fière ; Elle est fausse, elle est tracassière ; Et, pour mettre le comble à mon destin maudit, Veut avoir de l'esprit. Je fus assez sot pour la prendre ; Je viens la rendre : Ma sottise finit... Le mariage Est heureux et sage Quand le divorce le suit. TRIO. LES DEUX PÈRES, GLYCÈRE. Ô ciel ! Ô juste ciel, en voilà bien d'un autre.Ah ! quelle douleur est la nôtre ! DAPHNIS. Beau-père, pour jamais je renonce à la voir :Je m'en vais voyager loin d'elle... Adieu... Bonsoir. Il sort. SCÈNE III. Les Deux Pères, Glycère. LE PÈRE DE GLYCÈRE. Quel démon dans ce jour a troublé ma famille !Hélas ! ils sont tous fous :Ce matin c'était ma fille,Et le soir c'est son époux. TRIO.D'une plainte commune Unissons nos soupirs.Nous trouvons l'infortuneAu temple des plaisirs. GLYCÈRE. Ah ! j'en mourrai, mon père. LES DEUX PÈRES. Ah ! tout me désespère. TOUS ENSEMBLE. Inutiles désirs !D'une plainte communeUnissons nos soupirs.Nous trouvons l'infortune SCÈNE IV. Les Précédents ; Prestine, arrivant avec précipitation. PRESTINE. Réjouissez-vous tous. GLYCÈRE, qui s'est laissée tomber sur un lit de gazon, se retournant. Ah ! ma soeur, je suis morte ! Je n'en puis revenir. PRESTINE. N'importe,Je veux que vous dansiez avec mon père et moi. LE PÈRE DE DAPHNIS. C'est bien prendre son temps, ma foi !Serais-tu folle aussi, Prestine, à ta manière ? PRESTINE. Je suis gaie et sensée, et je sais votre affaire ; Soyez tous bien contents. LE PÈRE DE DAPHNIS. Ah ! Méchant petit coeur !Lorsqu'à tant de chagrins tu nous vois tous en proie,Peux-tu bien dans notre douleurAvoir la cruauté de montrer de la joie ? PRESTINE, chante. Avant de parler je veux chanter, Car j'ai bien des choses à dire.Ma soeur, je viens vous apporterDe quoi soulager votre martyre.Avant de parler je veux chanter,Avant de parler je veux rire : Et quand j'aurai pu tout vous conter,Tout comme moi vous voudrez chanter,Comme moi je vous verrai rire.Au temple des plaisirs. LE PÈRE DE DAPHNIS, pendant que Glycère est languissante sur le lit de gazon, abîmée dans la douleur. Conte-nous donc, Prestine, et puis nous chanterons, Si de nous consoler tu donnes des raisons. PRESTINE. D'abord, ma pauvre soeur, il faut vous faire entendreQue vous avez fait fort malDe ne nous pas apprendreQue de ce beau Daphnis Grégoire était rival. GLYCÈRE. Hélas ! quel intérêt mon coeur put-il y prendre ?L'ai-je pu remarquer ? Je ne voyais plus rien. PRESTINE. Je vous l'avais bien dit, Grégoire est un vaurien,Bien plus dangereux qu'il n'est tendre.Sachez que dans ce temple on a mis deux tonneaux Pour tous les gens que l'on marie :L'un est vaste et profond ; la tonne de CîteauxN'est qu'une pinte auprès ; mais il est plein de lie ;Il produit la discorde et les soupçons jaloux,Les lourds ennuis, les froids dégoûts, Et la secrète antipathie :C'est celui que l'on donne, hélas ! à tant d'époux,Et ce tonneau fatal empoisonne la vie.L'autre tonneau, ma soeur, est celui de l'amour ;Il est petit... petit... on en est fort avare ; De tous les vins qu'on boit c'est, dit-on, le plus rare.Je veux en tâter quelque jour.Sachez que le traître GrégoireDu mauvais tonneau tour à tourMalignement vous a fait boire. GLYCÈRE. Ah ! de celui d'amour je n'avais pas besoin ;J'idolâtrais sans lui mon amant et mon maître.Temple affreux ! coupe horrible ! Ah ! Grégoire ! ah ! le traître !Qu'il a pris un funeste soin ! LE PÈRE DE GLYCÈRE. D'où sais-tu tout cela ? PRESTINE. La servante du temple Est une babillarde ; elle m'a tout conté. LE PÈRE DE DAPHNIS. Oui, de ces deux tonneaux j'ai vu plus d'un exemple ;La servante a dit vrai. La docte antiquitéA parlé fort au long de cette belle histoire.Jupiter autrefois, comme on me l'a fait croire, Avait ces deux bondons toujours à ses côtés ;De là venaient nos biens et nos calamités.J'ai lu dans un vieux livre... PRESTINE. Eh ! Lisez moins, mon père ;Et laissez-moi parler. Dès que j'ai su le fait,Au bon vin de l'amour j'ai bien vite en secret Couru tourner le robinet ;J'en ai fait boire un coup à l'amant de Glycère :D'amour pour toi, ma soeur, il est tout enivré,Repentant, honteux, tendre ; il va venir. Il rosseLe méchant Grégoire à son gré. Et moi, qui suis un peu précoce,J'ai pris un bon flacon de ce vin si sucré,Et je le garde pour ma noce. GLYCÈRE, se relevant. Ma soeur, ma chère soeur, mon coeur désespéréSe ranime par toi, reprend un nouvel être ; C'est Daphnis que je vois paraître ;C'est Daphnis qui me rend au jour. SCÈNE V. Les Précédents, Daphnis. DAPHNIS. Ah ! Je meurs à tes pieds et de honte et d'amour. QUINQUE. Chantons tous cinq, en ce jour d'allégresse, Du bon tonneau les effets merveilleux. PRESTINE, LES DEUX PÈRES, GLYCÈRE, DAPHNIS. Ma soeur... Mon fils... Mon amant... Ma maîtresse... Aimons-nous, bénissons les dieux : Deux amants brouillés s'en aiment mieux. Que tout nous seconde ; Allons, courons, jetons au fond de l'eau Ce vilain tonneau ; Et que tout soit heureux, s'il se peut, dans le monde. ==================================================