******************************************************** DC.Title = OLYMPIE, TRAGÉDIE EN CINQ ACTES. DC.Author = VOLTAIRE DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 06/07/2022 à 06:29:27. DC.Coverage = Turquie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/VOLTAIRE_OLYMPIE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** OLYMPIE TRAGÉDIE EN CINQ ACTES 1764 Voltaire Représentée, pour la première fois, le 24 mars 1762 à Ferney,  puis, donnée au public à Paris le 14 mars 1764 au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain. AVERTISSEMENT DE MOLAND. Dans sa brillante jeunesse, Voltaire avait mis quinze jours à ébaucher Zaïre. Il ne lui en avait fallu que huit pour esquisser Rome sauvée, à cinquante-six ans. A soixante-huit ans, six jours lui suffisent pour mettre sur pied Olympie, ou la Famille d'Alexandre. Il écrit au cardinal de Bernis, le 26 octobre 1761 : « La rage s'empara de moi un dimanche, et ne me quitta que le samedi suivant. J'allai toujours rimant, toujours barbouillant ; le sujet me portait à pleines voiles. La pièce est toute faite pour un cardinal. La scène est dans une église, il y a une absolution générale, une confession, une rechute, une religieuse, un évêque. Vous allez croire que j'ai encore le diable au corps en vous écrivant tout cela. Point du tout, je suis dans mon bon sens. Figurez-vous que ce sont les mystères de la Bonne Déesse, la veuve et la fille d'Alexandre retirées dans le temple ; tout ce que l'ancienne religion a de plus auguste, tout ce que les plus grands malheurs ont de touchant, les grands crimes de funeste, les passions de déchirant, et la peinture de la vie humaine de plus vrai. » Mais la révision fut longue, comme toujours. La nouvelle tragédie ne fut représentée sur le Théâtre-Français que le 17 mars 1764. « On va nous donner encore, écrit Fréron à l'abbé Gossart, une rapsodie tragique de Voltaire, intitulée Olympie, et tout le monde lui applique son titre : ô l'impie ! » Voltaire feint de croire que le jeu de mots ne s'adresse qu'à la pièce : « O l'impie ! n'est pas juste, écrit-il à d'Alembert, car rien n'est plus pie que cette pièce ; et j'ai grand'peur qu'elle ne soit bonne qu'à être jouée dans un couvent de nonnes le jour de la fête de l'abbesse. » Olympie fut assez favorablement accueillie ; elle eut dix représentations dans sa nouveauté. Voltaire avait emprunté ce sujet au Cassandre de La Calprenède. « Il convenait au génie, dit Laharpe, d'oser nous montrer la fille d'Alexandre se précipitant dans les flammes du bûcher qui va consumer sa mère, et la dignité des personnages relevait encore cette action grande et tragique. Mais il eût fallu nous intéresser davantage à cet amour d'Olympie pour Cassandre et à celui de Cassandre pour Olympie, puisque au sacrifice de cet amour tient tout l'effet de ce dénouement funeste, puisque Olympie ne se jette dans le bûcher que pour ne pas épouser Cassandre, puisque Cassandre se tue de désespoir d'avoir perdu Olympie. Or, dès le premier acte, l'auteur les a placés tous deux dans des circonstances qui, rendant leur union impossible, ne permettent pas qu'on s'intéresse à un amour dont il n'y a rien à espérer. » Cette tragédie est celle peut-être que Voltaire, dans sa vieillesse, prit le plus à coeur. Il faut voir, dans la correspondance de l'année 1766, quelle joie lui cause le succès d'Olympie sur le théâtre de Genève ; le 3 novembre il écrit à d'Argental : « La troupe de Genève, qui n'est pas absolument mauvaise, se surpassa hier en jouant Olympie ; elle n'a jamais eu un si grand succès. La foule qui assistait à ce spectacle le redemanda pour le lendemain à grands cris. » Le 7 novembre, il écrit au même : « On est toujours fou d'Olympie à Genève, on la joue tous les jours. Le bûcher tourne la tête ; il y avait beaucoup moins de monde au bûcher de Servet, quand vingt-cinq faquins le firent brûler. » Il y a, dans les Mémoires rédigés par Monsieur Coste sous le nom de Marie-Françoise Dumesnil, en réponse aux Mémoires d'Hippolyte Clairon, une anecdote à propos de cette dernière actrice et d'Olympie. Louis XV avait témoigné l'envie de voir les Grâces de Saint-Foix. La Comédie est mandée à Versailles pour jouer Olympie, et les Grâces comme petite pièce. Mais le roi avait conseil à neuf heures ; il ne fallait pas perdre de temps. Mlle Clairon jouait Olympie. Les actrices, notamment Mlle d'Oligny, qui jouaient dans les Grâces, devaient faire partie du cortège d'Olympie ; mais afin qu'elles n'eussent pas à changer de costume après la grande pièce, et que la petite pût commencer tout de suite, M. de La Ferté, intendant des menus-plaisirs, décida que les comédiennes seraient remplacées dans le cortège par des choristes de l'Opéra. Mlle Clairon : « Si l'on change quelque chose à la pompe théâtrale d'Olympie, je ne jouerai point. » Et, se retournant vers Mlle d'Oligny et ses compagnes : « Et vous, mesdemoiselles, je vous défends de vous laisser remplacer. » En vain Monsieur de La Ferté insiste ; Mlle Clairon répète son ultimatum : « Je ne jouerai point. » Il fallut laisser les comédiennes dans son cortège. La tragédie traîne en longueur. Louis XV s'impatiente il tire sa montre ; neuf heures sont sonnées ; il se lève et sort en disant à haute voix : « On m'avait promis les Grâces. » Tel était le ton qu'avaient pris, même à la cour, les fameuses actrices de cette époque. Et qui faillit être puni ? Ce fut Fréron, qui inséra dans son journal une plainte de Saint-Foix, et qui n'évita d'aller en prison que par l'intercession du roi de Pologne. AVERTISSEMENT DE L'ÉDITION DE KEHL. Cette tragédie parut imprimée en 1763. Elle fut jouée à Ferney, et sur le théâtre de l'électeur palatin. Monsieur de Voltaire, alors âgé de soixante-neuf ans, la composa en six jours. C'est l'ouvrage de six jours, écrivait-il à un philosophe illustre, dont il voulait savoir l'opinion sur cette pièce. L'auteur n'aurait pas dû se reposer le septième, lui répondit son ami. Aussi s'est-il repenti de son ouvrage, répliqua Monsieur de Voltaire ; et quelque temps après il renvoya la pièce avec beaucoup de corrections. Olympie a été traduite en italien et jouée à Venise, sur le théâtre de San-Salvatore, avec un grand succès. PERSONNAGES CASSANDRE, fils d'Antipatre, roi de Macédoine. ANTIGONE, roi d'une partie de l'Asie. STATIRA, veuve d'Alexandre. OLYMPIE, fille d'Alexandre et de Statira. L'HIÉROPHANTE ou grand-prêtre, qui préside à la célébration des grands mystères. SOSTÈNE, officier de Cassandre. HERMAS, officier d'Antigone. PRÊTRES. INITIÉS. PRÊTRESSES. SOLDATS. PEUPLE. La scène est dans le temple d'Éphèse, où l'on célèbre les grands mystères. Le théâtre représente le temple, le péristyle, et la place qui conduit au temple. ACTE I SCÈNE I. Cassandre, Sostène. Le fond du théâtre représente un temple dont les trois portes fermées sont ornées de larges pilastres : les deux ailes forment un vaste péristyle. Sostène est dans le péristyle, la grande porte s'ouvre. Cassandre, troublé et agité, vient à lui ; la grande porte se referme. CASSANDRE. Sostène, on va finir ces mystères terribles. Cassandre espère enfin des dieux moins inflexibles : Mes jours seront plus purs, et mes sens moins troublés ; Je respire. SOSTÈNE. Seigneur, près d'Éphèse assemblés, Les guerriers qui servaient sous le roi votre père Ont fait entre mes mains le serment ordinaire : Déjà la Macédoine a reconnu vos lois ; De ses deux protecteurs Éphèse a fait le choix. Cet honneur, qu'avec vous Antigone partage, Est de vos grands destins un auguste présage : Ce règne, qui commence à l'ombre des autels, Sera béni des dieux, et chéri des mortels ; Ce nom d'initié, qu'on révère et qu'on aime, Ajoute un nouveau lustre à la grandeur suprême. Paraissez. CASSANDRE. Je ne puis : tes yeux seront témoins De mes premiers devoirs, et de mes premiers soins. Demeure en ces parvis... Nos augustes prêtresses Présentent Olympie aux autels des déesses : Elle expie en secret, remise entre leurs bras, Mes malheureux forfaits, qu'elle ne connaît pas. D'aujourd'hui je commence une nouvelle vie. Puisses-tu pour jamais, chère et tendre Olympie, Ignorer ce grand crime avec peine effacé, Et quel sang t'a fait naître, et quel sang j'ai versé ! SOSTÈNE. Quoi ! Seigneur, une enfant vers l'Euphrate enlevée, Jadis par votre père à servir réservée, Sur qui vous étendiez tant de soins généreux, Pourrait jeter Cassandre en ces troubles affreux ! CASSANDRE. Respecte cette esclave à qui tout doit hommage : Du sort qui l'avilit je répare l'outrage. Mon père eut ses raisons pour lui cacher le rang Que devait lui donner la splendeur de son sang... Que dis-je ? Ô souvenir ! Ô temps ! Ô jour de crimes ! Il la comptait, Sostène, au nombre des victimes Qu'il immolait alors à notre sûreté... Nourri dans le carnage et dans la cruauté, Seul je pris pitié d'elle, et je fléchis mon père ; Seul je sauvai la fille, ayant frappé la mère. Elle ignora toujours mon crime et ma fureur. Olympie, à jamais conserve ton erreur ! Tu chéris dans Cassandre un bienfaiteur, un maître ; Tu me détesteras si tu peux te connaître. SOSTÈNE. Je ne pénètre point ces étonnants secrets, Et ne viens vous parler que de vos intérêts. Seigneur, de tous ces rois que nous voyons prétendre Avec tant de fureur au trône d'Alexandre, L'inflexible Antigone est seul votre allié... CASSANDRE. J'ai toujours avec lui respecté l'amitié ; Je lui serai fidèle. SOSTÈNE. Il doit aussi vous l'être : Mais depuis qu'en ces murs nous le voyons paraître. Il semble qu'en secret un sentiment jaloux Ait altéré son coeur, et l'éloigne de vous. CASSANDRE. À part.Et qu'importe Antigone !... Ô mânes d'Alexandre ! [Note : Statira : épouse de Dairus II, roi des Perses et mère de Statira II qui fut la femme d'Alexandre.]Mânes de Statira ! Grande ombre ! Auguste cendre ! Restes d'un demi-dieu, justement courroucés, Mes remords et mes feux vous vengent-ils assez ? Olympie, obtenez de leur ombre apaisée Cette paix à mon coeur si longtemps refusée ; Et que votre vertu, dissipant mon effroi, Soit ici ma défense, et parle aux dieux pour moi... Eh quoi ! Vers ces parvis, à peine ouverts encore, Antigone s'approche et devance l'aurore ! SCÈNE II. Cassandre, Sostène, Antigone, Hermas. ANTIGONE, à Hermas, au fond du théâtre. Ce secret m'importune, il le faut arracher ; Je lirai dans son coeur ce qu'il croit me cacher. Va, ne t'écarte pas. CASSANDRE, à Antigone. Quand le jour luit à peine, Quel sujet si pressant près de moi vous amène ? ANTIGONE. Nos intérêts, Cassandre ; après que dans ces lieux Vos expiations ont satisfait les dieux, Il est temps de songer à partager la terre. D'Éphèse en ces grands jours ils écartent la guerre : Vos mystères secrets des peuples respectés Suspendent la discorde et les calamités ; C'est un temps de repos pour les fureurs des princes : Mais ce repos est court ; et bientôt nos provinces Retourneront en proie aux flammes, aux combats, Que ces dieux arrêtaient, et qu'ils n'éteignent pas. [Note : Antipatre (Antipater) : père de Cassandre, général macédonien de Philippe II puis d'Alexandre. Régent de la Macédoine pendant l'absence de ces deux rois.]Antipatre n'est plus : vos soins, votre courage, Sans doute, achèveront son important ouvrage ; Il n'eût jamais permis que l'ingrat Séleucus, Le Lagide insolent, le traître Antiochus, D'Alexandre au tombeau dévorant les conquêtes, Osassent nous braver et marcher sur nos têtes. CASSANDRE. Plût aux dieux qu'Alexandre à ces ambitieux Fît du haut de son trône encor baisser les yeux ! Plût aux dieux qu'il vécût ! ANTIGONE. Je ne puis vous comprendre ; Est-ce au fils d'Antipatre à pleurer Alexandre ? Qui peut vous inspirer un remords si pressant ? De sa mort, après tout, vous êtes innocent. CASSANDRE. Ah ! J'ai causé sa mort. ANTIGONE. Elle était légitime : Tous les Grecs demandaient cette grande victime : L'univers était las de son ambition. Athènes, Athènes même envoya le poison ; [Note : Cratère : général macédonien. Accusateur de Philotas, fils de Parménion, dans un procès en -330. Mort en -321.]Perdiccas le reçut, on en chargea Cratère ; Il fut mis dans vos mains, des mains de votre père, Sans qu'il vous confiât cet important dessein : Vous étiez jeune encor ; vous serviez au festin, À ce dernier festin du tyran de l'Asie. CASSANDRE. Non, cessez d'excuser ce sacrilège impie. ANTIGONE. Ce sacrilège !... Eh quoi ! Vos esprits abattus [Note : Assassin de Clitus (ou Cleithos) : en -328, Alexandre le grand tua son ami lors d'un excès de colère. Cleithos était un stratège militaire de Philippe II puis d'Alexandre.]Érigent-ils en dieu l'assassin de Clitus, [Note : Parménion : général exécuté sommairement par Alexandre le Grand en -330. Il faisait partie des modérés dans la conquête effréné d'Alexandre vers l'orient.]Du grand Parménion le bourreau sanguinaire, Ce superbe insensé qui, flétrissant sa mère, Au rang du fils des dieux osa bien aspirer, Et se déshonora pour se faire adorer ? Seul il fut sacrilège ; et lorsqu'à Babylone Nous avons renversé ses autels et son trône, Quand la coupe fatale a fini son destin, On a vengé les dieux comme le genre humain. CASSANDRE. J'avouerai ses défauts ; mais, quoi qu'il en puisse être, Il était un grand homme, et c'était notre maître. ANTIGONE. Un grand homme ! CASSANDRE. Oui, sans doute. ANTIGONE. Ah ! C'est notre valeur, Notre bras, notre sang, qui fonda sa grandeur ; Il ne fut qu'un ingrat. CASSANDRE. Ô mes dieux tutélaires ! Quels mortels ont été plus ingrats que nos pères ? Tous ont voulu monter à ce superbe rang. Mais de sa femme enfin pourquoi percer le flanc ? Sa femme !... Ses enfants !... Ah ! Quel jour, Antigone ! ANTIGONE. Après quinze ans entiers ce scrupule m'étonne. Jaloux de ses amis, gendre de Darius, Il devenait Persan ; nous étions les vaincus : Auriez-vous donc voulu que, vengeant Alexandre, La fière Statira, dans Babylone en cendre, Soulevant ses sujets, nous eût immolés tous Au sang de sa famille, au sang de son époux ? Elle arma tout le peuple : Antipatre avec peine Échappa dans ce jour aux fureurs de la reine ; Vous sauvâtes un père. CASSANDRE. Il est vrai ; mais enfin La femme d'Alexandre a péri par ma main. ANTIGONE. C'est le sort des combats ; le succès de nos armes Ne doit point nous coûter de regrets et de larmes. CASSANDRE. J'en versai, je l'avoue, après ce coup affreux ; Et, couvert de ce sang auguste et malheureux, Étonné de moi-même, et confus de la rage Où mon père emporta mon aveugle courage, J'en ai longtemps gémi. ANTIGONE. Mais quels motifs secrets Redoublent aujourd'hui de si cuisants regrets ? Dans le coeur d'un ami j'ai quelque droit de lire : Vous dissimulez trop. CASSANDRE. Ami... que puis-je dire ? Croyez qu'il est des temps où le coeur combattu Par un instinct secret revole à la vertu, Où de nos attentats la mémoire passée Revient avec horreur effrayer la pensée. ANTIGONE. Oubliez, croyez-moi, des meurtres expiés ; Mais que nos intérêts ne soient point oubliés Si quelque repentir trouble encor votre vie, Repentez-vous surtout d'abandonner l'Asie À l'insolente loi du traître Antiochus. Que mes braves guerriers et vos Grecs invaincus Une seconde fois fassent trembler l'Euphrate : De tous ces nouveaux rois dont la grandeur éclate Nul n'est digne de l'être, et dans ses premiers ans N'a servi, comme nous, le vainqueur des Persans. Tous nos chefs ont péri. CASSANDRE. Je le sais, et peut-être Dieu les immola tous aux mânes de leur maître. ANTIGONE. Nous restons, nous vivons, nous devons rétablir Ces débris tout sanglants qu'il nous faut recueillir : Alexandre, en mourant, les laissait au plus digne ; Si j'ose les saisir, son ordre me désigne. Assurez ma fortune ainsi que votre sort : Le plus digne de tous, sans doute, est le plus fort. Relevons de nos Grecs la puissance détruite ; Que jamais parmi nous la discorde introduite Ne nous expose en proie à ces tyrans nouveaux, Eux qui n'étaient pas nés pour marcher nos égaux. Me le promettez-vous ? CASSANDRE. Ami, je vous le jure ; Je suis prêt à venger notre commune injure. Le sceptre de l'Asie est en d'indignes mains, Et l'Euphrate et le Nil ont trop de souverains : Je combattrai pour moi, pour vous, et pour la Grèce. ANTIGONE. J'en crois votre intérêt ; j'en crois votre promesse ; Et surtout je me fie à la noble amitié Dont le noeud respectable avec vous m'a lié. Mais de cette amitié je vous demande un gage ; Ne me refusez pas. CASSANDRE. Ce doute est un outrage. Ce que vous demandez est-il en mon pouvoir ? C'est un ordre pour moi, vous n'avez qu'à vouloir. ANTIGONE. Peut-être vous verrez avec quelque surprise Le peu qu'à demander l'amitié m'autorise : Je ne veux qu'une esclave. CASSANDRE. Heureux de vous servir, Ils sont tous à vos pieds ; c'est à vous de choisir. ANTIGONE. Souffrez que je demande une jeune étrangèreQu'aux murs de Babylone enleva votre père : Elle est votre partage ; accordez-moi ce prix De tant d'heureux travaux pour vous-même entrepris. Votre père, dit-on, l'avait persécutée ; J'aurai soin qu'en ma cour elle soit respectée : Son nom est... Olympie. CASSANDRE. Olympie ! ANTIGONE. Oui, seigneur, CASSANDRE, à part. De quels traits imprévus il vient percer mon coeur !... Que je livre Olympie ! ANTIGONE. Écoutez ; je me flatte Que Cassandre envers moi n'a point une âme ingrate : Sur les moindres objets un refus peut blesser ; Et vous ne voulez pas sans doute m'offenser ? CASSANDRE. Non ; vous verrez bientôt cette jeune captive ; Vous-même jugerez s'il faut qu'elle vous suive, S'il peut m'être permis de la mettre en vos mains. Ce temple est interdit aux profanes humains ; Sous les yeux vigilants des dieux et des déesses, Olympie est gardée au milieu des prêtresses. Les portes s'ouvriront quand il en sera temps. Dans ce parvis ouvert au reste des vivants, Sans vous plaindre de moi, daignez au moins m'attendre ; Des mystères nouveaux pourront vous y surprendre ; Et vous déciderez si la terre a des rois Qui puissent asservir Olympie à leurs lois. Il rentre dans le temple, et Sostène sort. SCÈNE III. Antigone, Hermas, dans le péristyle. HERMAS. Seigneur, vous m'étonnez quand l'Asie en alarmes Voit cent trônes sanglants disputés par les armes, Quand des vastes États d'Alexandre au tombeau La fortune prépare un partage nouveau, Lorsque vous prétendez au souverain empire,Une esclave est l'objet où ce grand coeur aspire ! ANTIGONE. Tu dois t'en étonner. J'ai des raisons, Hermas, Que je n'ose encor dire, et qu'on ne connaît pas : Le sort de cette esclave est important peut-être A tous les rois d'Asie, à quiconque veut l'être, A quiconque en son sein porte un assez grand coeur Pour oser d'Alexandre être le successeur. Sur le nom de l'esclave et sur ses aventures J'ai formé dès longtemps d'étranges conjectures : J'ai voulu m'éclaircir ; mes yeux dans ces remparts Ont quelquefois sur elle arrêté leurs regards ; Ses traits, les lieux, le temps, où le ciel la fit naître, Les respects étonnants que lui prodigue un maître, Les remords de Cassandre, et ses obscurs discours, A ces soupçons secrets ont prêté des secours. Je crois avoir percé ce ténébreux mystère. HERMAS. On dit qu'il la chérit, et qu'il l'élève en père. ANTIGONE. Nous verrons... Mais on ouvre, et ce temple sacré Nous découvre un autel de guirlandes paré : Je vois des deux côtés les prêtresses paraître ; u fond du sanctuaire est assis le grand-prêtre ; Olympie et Cassandre arrivent à l'autel ! SCÈNE IV. Cassandre, Olympie. Les trois portes du temple sont ouvertes. On découvre tout l'intérieur. Les prêtres d'un côté, et les prêtresses de l'autre, s'avancent lentement. Ils sont tous vêtus de robes blanches, avec des ceintures bleues dont les bouts pendent à terre. Cassandre et Olympie mettent la main sur l'autel ; Antigone et Hermas restent dans le péristyle avec une partie du Peuple qui entre par les côtés. CASSANDRE. Dieu des rois et des dieux, être unique, éternel ! Dieu qu'on m'a fait connaître en ces fêtes augustes, Qui punis les pervers, et qui soutiens les justes, Près de qui les remords effacent les forfaits, Confirme, Dieu clément, les serments que je fais ! Recevez ces serments, adorable Olympie ; Je soumets à vos lois et mon trône et ma vie, Je vous jure un amour aussi pur, aussi saint, Que ce feu de Vesta qui n'est jamais éteint. Et vous, filles des cieux, vous, augustes prêtresses, Portez avec l'encens mes voeux et mes promesses Au trône de ces dieux qui daignent m'écouter, Et détournez les traits que je peux mériter. OLYMPIE. Protégez à jamais, ô dieux en qui j'espère, Le maître généreux qui m'a servi de père, Mon amant adoré, mon respectable époux ; Qu'il soit toujours chéri, toujours digne de vous ! Mon coeur vous est connu. Son rang et sa couronne Sont les moindres des liens que son amour me donne : Témoins des tendres feux à mon coeur inspirés, Soyez-en les garants, vous qui les consacrez ; Qu'il m'apprenne à vous plaire, et que votre justice Me prépare aux enfers un éternel supplice Si j'oublie un moment, infidèle à vos lois, Et l'état où je fus, et ce que je lui dois. CASSANDRE. Rentrons au sanctuaire où mon bonheur m'appelle.Prêtresses, disposez la pompe solennelle Par qui mes jours heureux vont commencer leur cours ; Sanctifiez ma vie, et nos chastes amours. J'ai vu les dieux au temple, et je les vois en elle ; Qu'ils me haïssent tous, si je suis infidèle !... Antigone, en ces lieux vous m'avez entendu ; Aux voeux que vous formiez ai-je assez répondu ? Vous-même prononcez si vous deviez prétendre À voir entre vos mains l'esclave de Cassandre : Sachez que ma couronne et toute ma grandeur Sont de faibles présents, indignes de son coeur. Quelque étroite amitié qui tous deux nous unisse, Jugez si j'ai dû faire un pareil sacrifice. Ils rentrent dans le temple ; les portes se ferment, le peuple sort du parvis. SCÈNE V. Antigone, Hermas, dans le péristyle. ANTIGONE. Va, je n'en doute plus, et tout m'est découvert ; Il m'a voulu braver ; mais sois sûr qu'il se perd, Je reconnais en lui la fougueuse imprudence Qui tantôt sert les dieux, et tantôt les offense ; Ce caractère ardent qui joint la passion Avec la politique et la religion ; Prompt, facile, superbe, impétueux, et tendre, Prêt à se repentir, prêt à tout entreprendre. Il épouse une esclave ! Ah ! tu peux bien penser Que l'amour à ce point ne saurait l'abaisser : Cette esclave est d'un sang que lui-même il respecte. De ses desseins cachés la trame est trop suspecte ; Il se flatte en secret qu'Olympie a des droits Qui pourront l'élever au rang de roi des rois. S'il n'était qu'un amant il m'eût fait confidence D'un feu qui l'emportait à tant de violence. Va, tu verras bientôt succéder sans pitié Une haine implacable à sa faible amitié. HERMAS. À son coeur égaré vous imputez peut-être Des desseins plus profonds que l'amour n'en fait naître : Dans nos grands intérêts souvent nos actions Sont, vous le savez trop, l'effet des passions ; On se déguise en vain leur pouvoir tyrannique, Le faible quelquefois passe pour politique ; Et Cassandre n'est pas le premier souverain Qui chérit une esclave et lui donna la main ; J'ai vu plus d'un héros, subjugué par sa flamme, Superbe avec les rois, faible avec une femme. ANTIGONE. Tu ne dis que trop vrai : je pèse tes raisons ; Mais tout ce que j'ai vu confirme mes soupçons. Te le dirai-je enfin ? les charmes d'Olympie Peut-être dans mon coeur portent la jalousie. Tu n'entrevois que trop mes sentiments secrets : L'amour se joint peut-être à ces grands intérêts ; Plus que je ne pensais leur union me blesse. Cassandre est-il le seul en proie à la faiblesse ? HERMAS. Mais il comptait sur vous. Les titres les plus saints Ne pourront-ils jamais unir les souverains ? L'alliance, les dons, la fraternité d'armes, Vos périls partagés, vos communes alarmes, Vos serments redoublés, tant de soins, tant de voeux, N'auraient-ils donc servi qu'au malheur de tous deux ? De la sainte amitié n'est-il donc plus d'exemples ? ANTIGONE. L'amitié, je le sais, dans la Grèce a des temples ; L'intérêt n'en a point, mais il est adoré. D'ambition, sans doute, et d'amour enivré, Cassandre m'a trompé sur le sort d'Olympie : De mes yeux éclairés Cassandre se défie ; Il n'a que trop raison. Va, peut-être aujourd'hui L'objet de tant de voeux n'est pas encore à lui. HERMAS. Il a reçu sa main... Cette enceinte sacrée Voit déjà de l'hymen la pompe préparée ; Les initiés, les prêtres et les prêtresses traversent le fond de la scène, ayant des palmes ornées de fleurs dans les mains.Tous les initiés, de leurs prêtres suivis, Les palmes dans les mains, inondent ces parvis, Et l'amour le plus tendre en ordonne la fête. ANTIGONE. Non, te dis-je ; on pourra lui ravir sa conquête... Viens, je confierai tout à ton zèle, à ta foi : J'aurai les lois, les dieux, et les peuples pour moi. Fuyons pour un montent ces pompes qui m'outragent. Entrons dans la carrière où mes desseins m'engagent. Arrosons, s'il le faut, ces asiles si saints, Moins du sang des taureaux que du sang des humains. ACTE II SCÈNE I. L'Hiéronphante, les Prêtres, Les Prêtresses. Quoique cette scène et beaucoup d'autres se passent dans l'intérieur du temple, cependant, comme les théâtres sont rarement construits d'une manière favorable à la voix, les acteurs sont obligés d'avancer dans le péristyle ; mais les trois portes du temple, ouvertes, désignent qu'on est dans te temple. L'HIÉROPHANTE. Quoi ! Dans ces jours sacrés ! Quoi ! Dans ce temple auguste Où Dieu pardonne au crime, et console le juste, Une seule prêtresse oserait nous priver [Note : Dans la Grèce antique, un hiérophante est un prêtre qui explique les textes sacrés.]Des expiations qu'elle doit achever ! Quoi ! D'un si saint devoir Arzane se dispense ? UNE PRÊTRESSE. Arzane en sa retraite, obstinée au silence, Arrosant de ses pleurs les images des dieux, Seigneur, vous le savez, se cache à tous les yeux ; En proie à ses chagrins, de langueur affaiblie, Elle implore la fin d'une mourante vie. L'HIÉROPHANTE. Nous plaignons son état, mais il faut obéir ; Un moment aux autels elle pourra servir. Depuis que dans ce temple elle s'est enfermée, Ce jour est le seul jour où le sort l'a nommée : Qu'on la fasse venir. La volonté du ciel Demande sa présence, et l'appelle à l'autel. De guirlandes de fleurs par elle couronnée, Olympie en triomphe aux dieux sera menée. Cassandre, initié dans nos secrets divins, Sera purifié par ses augustes mains. Tout doit être accompli. Nos rites, nos mystères,Ces ordres que les dieux ont donnés à nos pères, Ne peuvent point changer, ne sont point incertains Comme ces faibles lois qu'inventent les humains. SCÈNE II. L'Hiérophante, Prêtres, Prêtresses, Statira. L'HIÉROPHANTE, à Statira. Venez, vous ne pouvez, à vous-même contraire, Refuser de remplir votre saint ministère. Depuis l'instant sacré qu'en cet asile heureux Vous avez prononcé d'irrévocables voeux, Ce grand jour est le seul où Dieu vous a choisie Pour annoncer ses lois aux vainqueurs de l'Asie. Soyez digne du Dieu que vous représentez. STATIRA, couverte d'un voile qui accompagne son visage sans le cacher, et vêtue comme les autres prêtresses.. [Note : Statira (Stateira) : fille de Darius III, roi des Perses et veuve d'Alexandre le Grand.]Ô ciel ! Après quinze ans qu'en ces murs écartés, Dans l'ombre du silence, au monde inaccessible, J'avais enseveli ma destinée horrible, Pourquoi me tires-tu de mon obscurité ? Tu veux me rendre au jour, à la calamité... À l'Hiérophante.Ah ! Seigneur, en ces lieux lorsque je suis venue, C'était pour y pleurer, pour mourir inconnue, Vous le savez. L'HIÉROPHANTE. Le ciel vous prescrit d'autres lois ; Et quand vous présidez pour la première fois Aux pompes de l'hymen, à notre grand mystère, Votre nom, votre rang, ne peuvent plus se taire ; Il faut parler. STATIRA. Seigneur, qu'importe qui je sois ? Le sang le plus abject, le sang des plus grands rois, Ne sont-ils pas égaux devant l'Être suprême ? On est connu de lui bien plus que de soi-même. Ce grands noms autrefois avaient pu me flatter ; Dans la nuit de la tombe il les faut emporter. Laissez-moi pour jamais en perdre la mémoire. L'HIÉROPHANTE. Nous renonçons sans doute à l'orgueil, à la gloire, Nous pensons comme vous ; mais la Divinité Exige un aveu simple, et veut la vérité. Parlez... Vous frémissez ! STATIRA. Vous frémirez vous-même... Aux prêtres et aux prêtresses. Vous qui servez d'un Dieu la majesté suprême, Qui partagez mon sort, à son culte attachés, Qu'entre vous et ce Dieu mes secrets soient cachés ! L'HIÉROPHANTE. Nous vous le jurons tous. STATIRA. Avant que de m'entendre, Dites-moi s'il est vrai que le cruel Cassandre Soit ici dans le rang de nos initiés ? L'HIÉROPHANTE. Oui, madame. STATIRA. Il a vu ses forfaits expiés !... L'HIÉROPHANTE. Hélas ! Tous les humains ont besoin de clémence. Si Dieu n'ouvrait ses bras qu'à la seule innocence, Qui viendrait dans ce temple encenser les autels ? Dieu fit du repentir la vertu des mortels. Ce juge paternel voit du haut de son trôneLa terre trop coupable, et sa bonté pardonne. STATIRA. Eh bien ! Si vous savez pour quel excès d'horreur Il demande sa grâce et craint un dieu vengeur ; Si vous êtes instruit qu'il fit périr son maître ;Et quel maître, grands dieux ! si vous pouvez connaître Quel sang il répandit dans nos murs enflammés, Quand aux yeux d'Alexandre, à peine encor fermés,Ayant osé percer sa veuve gémissante, Sur le corps d'un époux il la jeta mourante ;Vous serez plus surpris lorsque vous apprendrez Des secrets jusqu'ici de la terre ignorés. Cette femme élevée au comble de la gloire, Dont la Perse sanglante honore la mémoire, Veuve d'un demi-dieu, fille de Darius... Elle vous parle ici, ne l'interrogez plus. Les prêtres et les prêtresses élèvent les mains, et s'inclinent. L'HIÉROPHANTE. Ô dieux ! Qu'ai-je entendu ? Dieux, que le crime outrage, De quels coups vous frappez ceux qui sont votre image ! Statira dans ce temple ! Ah ! Souffrez qu'à genoux, Dans mes profonds respects... STATIRA. Grand-prêtre, levez-vous. Je ne suis plus pour vous la maîtresse du monde ; Ne respectez ici que ma douleur profonde. Des grandeurs d'ici-bas voyez quel est le sort. Ce qu'éprouva mon père au moment de sa mort, Dans Babylone en sang je l'éprouvai de même. Darius, roi des rois, privé du diadème, Fuyant dans des déserts, errant, abandonné, [Note : Darius III a été assassiné par Nabarzane et le satrape Bessus. Nabarnaze a ensuite négocié la paix avec Alexandre.]Par ses propres amis se vit assassiné ; Un étranger, un pauvre, un rebut de la terre, De ses derniers moments soulagea la misère. Montrant la prêtresse inférieure.Voyez-vous cette femme étrangère en ma cour ? Sa main, sa seule main m'a conservé le jour ; Seule elle me tira de la foule sanglante Où mes lâches amis me laissaient expirante. Elle est Éphésienne, elle guida mes pas Dans cet auguste asile, au bout de mes États. Je vis par mille mains ma dépouille arrachée, De mourants et de morts la campagne jonchée ; Les soldats d'Alexandre érigés tous en rois, Et les larcins publics appelés grands exploits. J'eus en horreur le monde et les maux qu'il enfante, Loin de lui pour jamais je m'enterrai vivante. Je pleure, je l'avoue, une fille, une enfant Arrachée à mes bras sur mon corps tout sanglant. Cette étrangère ici me tient lieu de famille. J'ai perdu Darius, Alexandre, et ma fille ; Dieu seul me reste. L'HIÉROPHANTE. Hélas ! Qu'il soit donc votre appui ! Du trône où vous étiez vous montez jusqu'à lui ; Son temple est votre cour : soyez-y plus heureuse Que dans cette grandeur auguste et dangereuse, Sur ce trône terrible, et par vous oublié, Devenu pour la terre un objet de pitié. STATIRA. Ce temple quelquefois, seigneur, m'a consolée ; Mais vous devez sentir l'horreur qui m'a troublée En voyant que Cassandre y parle aux mêmes dieux, Contre sa tête impie implorés par mes voeux. L'HIÉROPHANTE. Le sacrifice est grand : je sens trop ce qu'il coûte ; Mais notre loi vous parle, et votre coeur l'écoute : Vous l'avez embrassée. STATIRA. Aurais-je pu prévoir Qu'elle dût m'imposer cet horrible devoir ? Je sens que de mes jours, usés dans l'amertume, Le flambeau pâlissant s'éteint et se consume ; Et ces derniers moments que Dieu veut me donner À quoi vont-ils servir ? L'HIÉROPHANTE. Peut-être à pardonner. Vous-même vous avez tracé votre carrière ; Marchez-y sans jamais retourner en arrière. Les mânes, affranchis d'un corps vil et mortel, Goûtent sans passions un repos éternel ; Un nouveau jour leur luit ; ce jour est sans nuage ; Ils vivent pour les dieux : tel est notre partage. Une retraite heureuse amène au fond des coeurs L'oubli des ennemis et l'oubli des malheurs. STATIRA. Il est vrai, je fus reine, et ne suis que prêtresse ; Dans mon devoir affreux soutenez ma faiblesse. Que faut-il que je fasse ? L'HIÉROPHANTE. Olympie à genoux Doit d'abord en ces lieux se jeter devant vous ; C'est à vous de bénir cet illustre hyménée. STATIRA. Je vais la préparer à vivre infortunée : C'est le sort des humains. L'HIÉROPHANTE. Le feu sacré, l'encens, L'eau lustrale, les dons offerts aux dieux puissants, Tout sera présenté par vos mains respectables. STATIRA. Et pour qui, malheureuse ! Ah ! Mes jours déplorables Jusqu'au dernier moment sont-ils chargés d'horreur ? J'ai cru dans la retraite éviter mon malheur ; Le malheur est partout, je m'étais abusée : Allons, suivons la loi par moi-même imposée. L'HIÉROPHANTE. Adieu je vous admire autant que je vous plains. Elle vient près de vous. Il sort. SCÈNE III. Statira, Olympie. Le théâtre tremble. STATIRA. Lieux funèbres et saints, Vous frémissez !... J'entends un horrible murmure Le temple est ébranlé !... Quoi ! toute la nature S'émeut à son aspect ! et mes sens éperdus Sont dans le même trouble, et restent confondus ! OLYMPIE, effrayée. Ah ! Madame ! STATIRA. Approchez, jeune et tendre victime : Cet augure effrayant semble annoncer le crime Vos attraits semblent nés pour la seule vertu. OLYMPIE. Dieux justes, soutenez mon courage abattu ! Et vous, de leurs décrets auguste confidente, Daignez conduire ici ma jeunesse innocente ; Je suis entre vos mains, dissipez mon effroi. STATIRA. Ah ! J'en ai plus que vous !... Ma fille, embrassez-moi... Du sort de votre époux êtes-vous informée ? Quel est votre pays ? Quel sang vous a formée ? OLYMPIE. Humble dans mon état, je n'ai point attendu Ce rang où l'on m'élève, et qui ne m'est pas dû. Cassandre est roi, madame ; il daigna dans la Grèce A la cour de son père élever ma jeunesse. Depuis que je tombai dans ses augustes mains, J'ai vu toujours en lui le plus grand des humains. Je chéris un époux, et je révère un maître. Voilà mes sentiments, et voilà tout mon être. STATIRA. Qu'aisément, juste ciel, on trompe un jeune coeur ! De l'innocence en vous que j'aime la candeur ! Cassandre a donc pris soin de votre destinée ? Quoi ! D'un prince ou d'un roi vous ne seriez pas née ? OLYMPIE. Pour aimer la vertu, pour en suivre les lois, Faut-il donc être né dans la pourpre des rois ? STATIRA. Non, je ne vois que trop le crime sur le trône. OLYMPIE. Je n'étais qu'une esclave. STATIRA. Un tel destin m'étonne. Les dieux sur votre front, dans vos yeux, dans vos traits, Ont placé la noblesse ainsi que les attraits. Vous, esclave ! OLYMPIE. Antipatre, en ma première enfance. Par le sort des combats me tint sous sa puissance : Je dois tout à son fils. STATIRA. Ainsi vos premiers jours Ont senti l'infortune, et vu finir son cours ! Et la mienne a duré tout le temps de ma vie !... En quels temps, en quels lieux fûtes-vous poursuivie Par cet affreux destin qui vous mit dans les fers ? OLYMPIE. On dit que d'un grand roi, maître de l'univers, On termina la vie, on disputa le trône, On déchira l'empire, et que dans Babylone Cassandre conserva mes jours infortunés, Dans l'horreur du carnage au glaive abandonnés. STATIRA. Quoi ! Dans ces temps marqués par la mort d'Alexandre, Captive d'Antipatre, et soumise à Cassandre ? OLYMPIE. C'est tout ce que j'ai su. Tant de malheurs passés Par mon bonheur nouveau doivent être effacés. STATIRA. Captive à Babylone !... O puissance éternelle ! Vous faites-vous un jeu des pleurs d'une mortelle ? Le lieu, le temps, son âge, ont excité dans moi La joie et les douleurs, la tendresse et l'effroi. Ne me trompé-je point ? Le ciel sur son visage Du héros mon époux semble imprimer l'image... OLYMPIE. Que dites-vous ? STATIRA. Hélas ! tels étaient ses regards, Quand, moins fier et plus doux, loin des sanglants hasards, Relevant ma famille au glaive dérobée, Il la remit au rang dont elle était tombée, Quand sa main se joignit à ma tremblante main. Illusion trop chère, espoir flatteur et vain ! Serait-il bien possible ?... Écoutez-moi, princesse ; Ayez quelque pitié du trouble qui me presse. N'avez-vous d'une mère aucun ressouvenir ? OLYMPIE. Ceux qui de mon enfance ont pu m'entretenir M'ont tous dit qu'en ce temps de trouble et de carnage, Au sortir du berceau, je fus en esclavage. D'une mère jamais je n'ai connu l'amour ; J'ignore qui je suis, et qui m'a mise au jour... Hélas ! Vous soupirez, vous pleurez, et mes larmes Se mêlent à vos pleurs, et j'y trouve des charmes... Eh quoi ! vous me serrez dans vos bras languissants ! Vous faites pour parler des efforts impuissants ! Parlez-moi. STATIRA. Je ne puis... je succombe... Olympie ! Le trouble que je sens va me coûter la vie. SCÈNE IV. Statira, Olympie, L'Hiérophante. L'HIÉROPHANTE. Ô prêtresse des dieux ! ô reine des humains ! Quel changement nouveau dans vos tristes destins ! Que nous faudra-t-il faire, et qu'allez-vous entendre ? STATIRA. Des malheurs : je suis prête, et je dois tout attendre. L'HIÉROPHANTE. C'est le plus grand des biens, d'amertume mêlé ; Mais il n'en est point d'autre. Antigone troublé, Antigone, les siens, le peuple, les armées, Toutes les voix enfin, par le zèle animées, Tout dit que cet objet à vos yeux présenté, Qui longtemps comme vous fut dans l'obscurité, Que vos royales mains vont unir à Cassandre, Qu'Olympie... STATIRA. Achevez. L'HIÉROPHANTE. Est fille d'Alexandre. STATIRA, courant embrasser Olympie. Ah ! Mon coeur déchiré me l'a dit avant vous.Ô ma fille ! Ô mon sang ! Ô nom fatal et doux ! De vos embrassements faut-il que je jouisse,Lorsque par votre hymen vous faites mon supplice ! OLYMPIE. Quoi ! Vous seriez ma mère, et vous en gémissez ! STATIRA. Non, je bénis les dieux trop longtemps courroucés ; Je sens trop la nature et l'excès de ma joie ; Mais le ciel me ravit le bonheur qu'il m'envoie : Il te donne à Cassandre ! OLYMPIE. Ah ! Si dans votre flanc Olympie a puisé la source de son sang, Si j'en crois mon amour, si vous êtes ma mère, Le généreux Cassandre a-t-il pu vous déplaire ? L'HIÉROPHANTE. Oui, vous êtes son sang, vous n'en pouvez douter ;Cassandre enfin l'avoue, il vient de l'attester, Puissiez-vous toutes deux avec lui réunies Concilier enfin deux races ennemies ! OLYMPIE. Qui ? Lui ? Votre ennemi ! Tel serait mon malheur ! STATIRA. D'Alexandre ton père il est l'empoisonneur. Au sein de Statira dont tu tiens la naissance, Dans ce sein malheureux qui nourrit ton enfance, Que tu viens d'embrasser pour la première fois, Il plongea le couteau dont il frappa les rois. Il me poursuit enfin jusqu'au temple d'Éphèse ; Il y brave les dieux, et feint qu'il les apaise ! À mes bras maternels il ose te ravir ; Et tu peux demander si je dois le haïr ! OLYMPIE. Quoi ! d'Alexandre ici le ciel voit la famille ! Quoi ! Vous êtes sa veuve ! Olympie est sa fille ! Et votre meurtrier, ma mère, est mon époux ! Je ne suis dans vos bras qu'un objet de courroux ! Quoi ! Cet hymen si cher était un crime horrible ! L'HIÉROPHANTE. Espérez dans le ciel. OLYMPIE. Ah ! Sa haine inflexible D'aucune ombre d'espoir ne peut flatter mes voeux ; Il m'ouvrait un abîme en éclairant mes yeux. Je vois ce que je suis, et ce que je dois être. Le plus grand de mes maux est donc de me connaître ! Je devais à l'autel où vous nous unissiez Expirer en victime, et tomber a vos pieds. SCÈNE V. Statira, Olympie, L'Hiérophante, un prêtre. LE PRÊTRE. On menace le temple, et les divins mystères Sont bientôt profanés par des mains téméraires ; Les deux rois désunis disputent à nos yeux Le droit de commander où commandent les dieux : Voilà ce qu'annonçaient ces voûtes gémissantes, Et sous nos pieds craintifs nos demeures tremblantes. Il semble que le ciel veuille nous informer Que la terre l'offense, et qu'il faut le calmer ! Tout un peuple éperdu, que la discorde excite, Vers les parvis sacrés vole et se précipite ; Éphèse est divisée entre deux factions. Nous ressemblons bientôt aux autres nations. La sainteté, la paix, les moeurs, vont disparaître ; Les rois l'emporteront, et nous aurons un maître. L'HIÉROPHANTE. Ah ! Qu'au moins loin de nous ils portent leurs forfaits ! Qu'ils laissent sur la terre un asile de paix ! Leur intérêt l'exige... O mère auguste et tendre, Et vous... dirai-je, hélas ! l'épouse de Cassandre ? Au pied de ces autels vous pouvez vous jeter. Aux rois audacieux je vais me présenter ; Je connais le respect qu'on doit à leur couronne ; Mais ils en doivent plus à ce Dieu qui la donne. S'ils prétendent régner, qu'ils ne l'irritent pas.Nous sommes, je le sais, sans armes, sans soldats, Nous n'avons que nos lois, voila notre puissance. Dieu seul est mon appui, son temple est ma défense ; Et, si la tyrannie osait en approcher, C'est sur mon corps sanglant qu'il lui faudra marcher. L'hiérophante sort avec le prêtre inférieur. SCÈNE VI. Statira, Olympie. STATIRA. Ô destinée ! Ô Dieu des autels et du trône ! Contre Cassandre au moins favorise Antigone : Il me faut donc, ma fille, au déclin de mes jours, De nos seuls ennemis attendre des secours, Et chercher un vengeur, au sein de ma misère, Chez les usurpateurs du trône de ton père ! Chez nos propres sujets, dont les efforts jaloux Disputent cent États que j'ai possédés tous ! Ils rampaient à mes pieds, ils sont ici mes maîtres. Ô trône de Cyrus ! ô sang de mes ancêtres ! Dans quel profond abîme êtes-vous descendus ! Vanité des grandeurs, je ne vous connais plus. OLYMPIE. Ma mère, je vous suis... Ah dans ce jour funeste, Rendez-moi digne au moins du grand nom qui vous reste : Le devoir qu'il prescrit est mon unique espoir. STATIRA. Fille du roi des rois, remplissez ce devoir. ACTE III SCÈNE I. Cassandre, Sostène, dans le péristyle. Le temple est fermé. CASSANDRE. La vérité l'emporte, il n'est plus temps de taire Ce funeste secret qu'avait caché mon père ; Il a fallu céder à la publique voix. Oui, j'ai rendu justice à la fille des rois ;Devais-je plus longtemps, par un cruel silence, Faire encore à son sang cette mortelle offense ? Je fus coupable assez. SOSTÈNE. Mais un rival jaloux Du grand nom d'Olympie abuse contre vous : Il anime le peuple ; Éphèse est alarmée ; De la religion la fureur animée, Qu'Antigone méprise et qu'il sait exciter, Vous fait un crime affreux, un crime à détester, De posséder la fille, ayant tué la mère. CASSANDRE. Les reproches sanglants qu'Éphèse peut me faire, Vous le savez, grand Dieu ! n'approchent pas des miens. J'ai calmé, grâce au ciel, les coeurs des citoyens ; Le mien sera toujours victime des furies, Victime de l'amour et de mes barbaries. Hélas ! J'avais voulu qu'elle tînt tout de moi, Qu'elle ignorât un sort qui me glaçait d'effroi. De son père en ses mains je mettais l'héritage Conquis par Antipatre, aujourd'hui mon partage. Heureux par mon amour, heureux par mes bienfaits, Une fois en ma vie avec moi-même en paix ; Tout était réparé, je lui rendais justice. D'aucun crime, après tout, mon coeur ne fut complice ;J'ai tué Statira, mais c'est dans les combats, C'est en sauvant mon père, en lui prêtant mon bras ; C'est dans l'emportement du meurtre et du carnage, Où le devoir d'un fils égarait mon courage ; C'est dans l'aveuglement que la nuit et l'horreur Répandaient sur mes yeux troublés par la fureur. Mon âme en frémissait avant d'être punie Par ce fatal amour qui la tient asservie. Je me crois innocent au jugement des dieux, Devant le monde entier, mais non pas à mes yeux ; Non pas pour Olympie, et c'est là mon supplice, C'est la mon désespoir. Il faut qu'elle choisisse, Ou de me pardonner, ou de percer mon coeur, Ce coeur désespéré, qui brûle avec fureur. SOSTÈNE. On prétend qu'Olympie, en ce temple amenée, Peut retirer la main qu'elle vous a donnée. CASSANDRE. Oui, je le sais, Sostène ; et si de cette loi L'objet que j'idolâtre abusait contre moi, Malheur à mon rival, et malheur à ce temple ! Du culte le plus saint je donne ici l'exemple ; J'en donnerais bientôt de vengeance et d'horreur. Écartons loin de moi cette vaine terreur. Je suis aimé ; son coeur est à moi dès l'enfance, Et l'amour est le dieu qui prendra ma défense. Courons vers Olympie. SCÈNE II. Cassandre, Sostène, L'Hiérophante sortant du temple. CASSANDRE. Interprète du ciel, Ministre de clémence, en ce jour solennel, J'ai de votre saint temple écarté les alarmes ; Contre Antigone encor je n'ai point pris les armes ; J'ai respecté ces temps à la paix consacrés ; Mais donnez cette paix a mes sens déchirés. J'ai plus d'un droit ici, je saurai les défendre. Je meurs sans Olympie, et vous devez la rendre. Achevons cet hymen. L'HIÉROPHANTE. Elle remplit, seigneur, Des devoirs bien sacrés, et bien chers à son coeur. CASSANDRE. Tout le mien les partage. Où donc est la prêtresse Qui doit m'offrir ma femme, et bénir ma tendresse ? L'HIÉROPHANTE. Elle va l'amener. Puissent de si beaux noeuds Ne point faire aujourd'hui le malheur de tous deux ! CASSANDRE. Notre malheur !... Hélas ! Cette seule journée Voyait de tant de maux la course terminée. Pour la première fois un moment de douceur De mes affreux chagrins dissipait la noirceur. L'HIÉROPHANTE. Peut-être plus que vous Olympie est à plaindre. CASSANDRE. Comment ? Que dites-vous ?... Eh ! Que peut-elle craindre ? L'HIÉROPHANTE, s'en allant. Vous l'apprendrez trop tôt. CASSANDRE. Non, demeurez. Eh quoi ! Du parti d'Antigone êtes-vous contre moi ? L'HIÉROPHANTE. Me préservent les cieux de passer les limites Que mon culte paisible à mon zèle a prescrites ! Les intrigues des cours, les cris des factions, Des humains que je fuis les tristes passions, N'ont point encor troublé nos retraites obscures,Au dieu que nous servons nous levons des mains pures. Les débats des grands rois prompts à se diviser Ne sont connus de nous que pour les apaiser ; Et nous ignorerions leurs grandeurs passagères, Sans le fatal besoin qu'ils ont de nos prières.Pour vous, pour Olympie, et pour d'autres, seigneur, Je vais des immortels implorer la faveur. Olympie !... L'HIÉROPHANTE. En ces lieux ce moment la rappelle. Voyez si vous avez encor des droits sur elle. Je vous laisse. Il sort, et le temple s'ouvre. SCÈNE III. Cassandre; Sostène, Statira, Olympie. CASSANDRE. Elle tremble, ô ciel ! Et je frémis !... Quoi ! Vous baissez les yeux de vos larmes remplis ! Vous détournez de moi ce front où la nature Peint l'âme la plus noble, et l'ardeur la plus pure ! OLYMPIE, se jetant dans les bras de sa mère. Ah ! Barbare !... Ah ! Madame ! CASSANDRE. Expliquez-vous, parlez. Dans quels bras fuyez-vous mes regards désolés ? Que m'a-t-on dit ? Pourquoi me causer tant d'alarmes ? Qui donc vous accompagne, et vous baigne de larmes ? STATIRA, se dévoilant et se retournant vers Cassandre. Regarde qui je suis. CASSANDRE. À ses traits... à sa voix... Mon sang se glace !... Où suis-je ? Et qu'est-ce que je vois ? STATIRA. Tes crimes. CASSANDRE. Statira peut ici reparaître ! STATIRA. Malheureux ! Reconnais la veuve de ton maître, La mère d'Olympie. CASSANDRE. Ô tonnerres du ciel, Grondez sur moi, tombez sur ce front criminel ! STATIRA. Que n'as-tu fait plus tôt cette horrible prière ? Éternel ennemi de ma famille entière, Si le ciel l'a voulu, si par tes premiers coups Toi seul as fait tomber mon trône et mon époux ; Si dans ce jour de crime, au milieu du carnage, Tu te sentis, barbare, assez peu de couragePour frapper une femme, et, lui perçant le flanc, La plonger de tes mains dans les flots de son sang, De ce sang malheureux laisse-moi ce qui reste. Faut-il qu'en tous les temps ta main me soit funeste ? N'arrache point ma fille à mon coeur, à mes bras ; Quand le ciel me la rend, ne me l'enlève pas. Des tyrans de la terre à jamais séparée, Respecte au moins l'asile où je suis enterrée ; Ne viens point, malheureux, par d'indignes efforts,Dans ces tombeaux sacrés persécuter les morts. CASSANDRE. Vous m'avez plus frappé que n'eût fait le tonnerre ; Et mon front à vos pieds n'ose toucher la terre. Je m'en avoue indigne après mes attentats ; Et si je m'excusais sur l'horreur des combats, Si je vous apprenais que ma main fut trompée Quand des jours d'un héros la trame fut coupée, Que je servais mon père en m'armant contre vous, Je ne fléchirais point votre juste courroux. Rien ne peut m'excuser... Je pourrais dire encore Que je sauvai ce sang que ma tendresse adore, Que je mets à vos pieds mon sceptre et mes États. Tout est affreux pour vous !... Vous ne m'écoutez pas : Ma main m'arracherait ma malheureuse vie, Moins pleine de forfaits que de remords punie, Si votre propre sang, l'objet de tant d'amour, Malgré lui, malgré moi, ne m'attachait au jour. Avec un saint respect j'élevai votre fille ; Je lui tins lieu quinze ans de père et de famille ; Elle a mes voeux, mon coeur, et peut-être les dieux Ne nous ont assemblés dans ces augustes lieux Que pour y réparer, par un saint hyménée, L'épouvantable horreur de notre destinée. STATIRA. Quel hymen !... Ô mon sang ! Tu recevrais la foi De qui ? De l'assassin d'Alexandre et de moi ? OLYMPIE. Non... ma mère, éteignez ces flambeaux effroyables, Ces flambeaux de l'hymen entre nos mains coupables ; Éteignez dans mon coeur l'affreux ressouvenir Des noeuds, des tristes noeuds qui devaient nous unir. Je préfère (et ce choix n'a rien qui vous étonne) La cendre qui vous couvre au sceptre qu'il me donne. Je n'ai point balancé ; laissez-moi dans vos bras Oublier tant d'amour avec tant d'attentats. Votre fille en l'aimant devenait sa complice. Pardonnez, acceptez mon juste sacrifice ; Séparez, s'il se peut, mon coeur de ses forfaits ; Empêchez-moi surtout de le revoir jamais. STATIRA. Je reconnais ma fille, et suis moins malheureuse. Tu rends un peu de vie à ma langueur affreuse ; Je renais... Ah ! Grands dieux ! Vouliez-vous que ma main Présentât Olympie à ce monstre inhumain ? Qu'exigiez-vous de moi ? Quel affreux ministère Et pour votre prêtresse, hélas ! Et pour sa mère ! Vous en avez pitié : vous ne prétendiez pas M'arrêter dans le piège où vous guidiez mes pas. Cruel, n'insulte plus et l'autel et le trône : Tu souillas de mon sang les murs de Babylone ; J'aimerais mieux encore une seconde fois Voir ce sang répandu par l'assassin des rois, Que de voir mon sujet, mon ennemi... CassandreAimer insolemment la fille d'Alexandre. CASSANDRE. Je me condamne encore avec plus de rigueur ; Mais j'aime, mais cédez à l'amour en fureur. Olympie est à moi ; je sais quel fut mon père ; Je suis roi comme lui, j'en ai le caractère, J'en ai les droits, la force : elle est ma femme enfin : Rien ne peut séparer mon sort et son destin. Ni ses frayeurs, ni vous, ni les dieux, ni mes crimes, Rien ne rompra jamais des noeuds si légitimes. Le ciel de mes remords ne s'est point détourné ; Et, puisqu'il nous unit, il a tout pardonné. Mais si l'on veut m'ôter cette épouse adorée, Sa main qui m'appartient, sa foi qu'elle a jurée, Il faut verser ce sang, il faut m'ôter ce coeur Qui ne connaît plus qu'elle, et qui vous fait horreur. Vos autels à mes yeux n'ont plus de privilège ; Si je fus meurtrier, je serai sacrilège. J'enlèverai ma femme à ce temple, à vos bras, Aux dieux même, à nos dieux, s'ils ne m'exauçaient pas. Je demande la mort, je la veux, je l'envie, Mais je n'expirerai que l'époux d'Olympie. Il faudra, malgré vous, que j'emporte au tombeau Et l'amour le plus tendre, et le nom le plus beau, Et les remords affreux d'un crime involontaire, Qui fléchiront du moins les mânes de son père. Cassandre sort avec Sostène. SCÈNE IV. Statira, Olympie. STATIRA. Quel moment ! Quel blasphème ! Ô ciel ! Qu'ai-je entendu ? Ah ! Ma fille, à quel prix mon sang m'est-il rendu ? Tu ressens, je le vois, les horreurs que j'éprouve ; Dans tes yeux effrayés ma douleur se retrouve ; Ton coeur répond au mien ; tes chers embrassements, Tes soupirs enflammés consolent mes tourments ; Ils sont moins douloureux, puisque tu les partages. Ma fille est mon asile en ces nouveaux naufrages. Je peux tout supporter, puisque je vois en toi Un coeur digne en effet d'Alexandre et de moi. OLYMPIE. Ah ! Le ciel m'est témoin si mon âme est formée Pour imiter la vôtre, et pour être animée Des mêmes sentiments et des mêmes vertus. [Note : Darius III : roi de Perse mort de -336 à sa mort en -330. Il est vaincu par Alexandre en -333 à la bataille d'Issos. Une mosaïque représente cette bataille et prend la fuite. Elle est visible au Musée national d'Archéologie de Naples. Il est battu de nouveau à Gaugamèles en -331.]Ô veuve d'Alexandre ! Ô Sang de Darius ! Ma mère !... Ah ! Fallait-il qu'à vos bras enlevée, Par les mains de Cassandre on me vît élevée ? Pourquoi votre assassin, prévenant mes souhaits, A-t-il marqué pour moi ses jours par ses bienfaits ? Que sa cruelle main ne m'a-t-elle opprimée ! Bienfaits trop dangereux ! pourquoi m'a-t-il aimée ? STATIRA. Ciel ! qui vois-je paraître en ces lieux retirés ? Antigone lui-même ! SCÈNE V. Statira, Olympie, Antigone. ANTIGONE. Ô reine ! Demeurez. Vous voyez un des rois formés par Alexandre, Qui respecte sa veuve, et qui vient la défendre ; Vous pourriez remonter, du pied de cet autel, Au premier rang du monde où vous plaça le ciel, Y mettre votre fille, et prendre au moins vengeance Du ravisseur altier qui tous trois nous offense. Votre sort est connu, tous les coeurs sont à vous ; Ils sont las des tyrans que votre auguste époux Laissa par son trépas maîtres de son empire. Pour ce grand changement votre nom peut suffire. M'avouerez-vous ici pour votre défenseur ? STATIRA. Oui, si c'est la pitié qui conduit votre coeur, Si vous servez mon sang, si votre offre est sincère. ANTIGONE. Je ne souffrirai pas qu'un jeune téméraire Des mains de votre fille et de tant de vertus Obtienne un double droit au trône de Cyrus ; Il en est trop indigne, et pour un tel partage Je n'ai pas présumé qu'il ait votre suffrage. Je n'ai point au grand-prêtre ouvert ici mon coeur ; Je me suis présenté comme un adorateur Qui des divinités implore la clémence. Je me présente à vous armé de la vengeance. La veuve d'Alexandre, oubliant sa grandeur, De sa famille au moins n'oubliera point l'honneur. STATIRA. Mon coeur est détaché du trône et de la vie ; L'un me fut enlevé, l'autre est bientôt finie. Mais si vous arrachez aux mains d'un ravisseurLe seul bien que les dieux rendaient à ma douleur, Si vous la protégez, si vous vengez son père, Je ne vois plus en vous que mon dieu tutélaire. Seigneur, sauvez ma fille, au bord de mon tombeau, Du crime et du danger d'épouser mon bourreau. ANTIGONE. Digne sang d'Alexandre, approuvez-vous mon zèle ? Acceptez-vous mon offre, et pensez-vous comme elle ? OLYMPIE. Je dois haïr Cassandre. ANTIGONE. Il faut donc m'accorder Le prix, le noble prix que je viens demander. Contre mon allié je prends votre défense ; Je crois vous mériter ; soyez ma récompense. Toute autre est un outrage, et c'est vous que je veux. Cassandre n'est pas fait pour obtenir vos voeux : Parlez, et je tiendrai cette gloire suprême De mon bras, de la reine, et surtout de vous-même ; Prononcez : daignez-vous m'honorer d'un tel prix ? STATIRA. Décidez. OLYMPIE. Laissez-moi reprendre mes esprits... J'ouvre à peine les yeux. Tremblante, épouvantée, Du sein de l'esclavage en ce temple jetée ; Fille de Statira, fille d'un demi-dieu, Je retrouve une mère en cet auguste lieu, De son rang, de ses biens, de son nom dépouillée, Et d'un sommeil de mort à peine réveillée ; J'épouse un bienfaiteur... il est un assassin. Mon époux de ma mère a déchiré le sein. Dans cet entassement d'horribles aventures, Vous m'offrez votre main pour venger mes injures. Que puis-je vous répondre ?... Ah ! dans de tels moments, Embrassant sa mère.Voyez à qui je dois mes premiers sentiments ; Voyez si les flambeaux des pompes nuptiales Sont faits pour éclairer ces horreurs si fatales, Quelle foule de maux m'environne en un jour, Et si ce coeur glacé peut écouter l'amour. STATIRA. Ah ! je vous réponds d'elle, et le ciel vous la donne. La majesté, peut-être, ou l'orgueil de mon trône N'avait pas destiné, dans mes premiers projets, La fille d'Alexandre à l'un de mes sujets ; Mais vous la méritez en osant la défendre. C'est vous qu'en expirant désignait Alexandre ; Il nomma le plus digne, et vous le devenez : Son trône est votre bien quand vous le soutenez. Que des dieux immortels la faveur vous seconde !Que leur main vous conduise à l'empire du monde ! Alexandre et sa veuve, ensevelis tous deux, Lui dans la tombe, et moi dans ces murs ténébreux, Vous verront sans regret au trône de mes pères ; Et puissent désormais les destins, moins sévères, En écarter pour vous cette fatalité Qui renversa toujours ce trône ensanglanté ! ANTIGONE. Il sera relevé par la main d'Olympie. Montrez-vous avec elle aux peuples de l'Asie, Sortez de cet asile, et je vais tout presser Pour venger Alexandre, et pour le remplacer. Il sort. SCÈNE VI. Statira, Olympie. STATIRA. Ma fille, c'est par toi que je romps la barrière Qui me sépare ici de la nature entière ; Et je rentre un moment dans ce monde pervers Pour venger mon époux, ton hymen, et tes fers. Dieu donnera la force à mes mains maternelles De briser avec toi tes chaînes criminelles. Viens remplir ma promesse, et me faire oublier, Par des serments nouveaux, le crime du premier. OLYMPIE. Hélas !... STATIRA. Quoi ! Tu gémis ? OLYMPIE. Cette même journée Allumerait deux fois les flambeaux d'hyménée ? STATIRA. Que dis-tu ? OLYMPIE. Permettez, pour la première fois, Que je vous fasse entendre une timide voix. Je vous chéris, ma mère, et je voudrais répandre Le sang que je reçus de vous et d'Alexandre, Si j'obtenais des dieux, en le faisant couler, De prolonger vos jours ou de les consoler. STATIRA. Ô ma chère Olympie ! OLYMPIE. Oserai-je encor dire Que votre asile obscur est le trône où j'aspire ? Vous m'y verrez soumise, et foulant à vos pieds Ces trônes malheureux, pour vous seule oubliés. Alexandre mon père, enfermé dans la tombe, Veut-il que de nos mains son ennemi succombe ? Laissons-là tous ces rois, dans l'horreur des combats. Se punir l'un par l'autre, et venger son trépas ; Mais nous, de tant de maux victimes innocentes, A leurs bras forcenés joignant nos mains tremblantes, Faudra-t-il nous charger d'un meurtre infructueux ? Les larmes sont pour nous, les crimes sont pour eux. STATIRA. Des larmes ! Et pour qui les vois-je ici répandre ? Dieux ! M'avez-vous rendu la fille d'Alexandre ? Est-ce elle que j'entends ? OLYMPIE. Ma mère... STATIRA. Ô ciel vengeur ! OLYMPIE. Cassandre ! STATIRA. Explique-toi ; tu me glaces d'horreur. Parle. OLYMPIE. Je ne le puis. STATIRA. Va, tu m'arraches l'âme, Finis ce trouble affreux ; parle, dis-je. OLYMPIE. Ah ! Madame, Je sens trop de quels coups je viens de vous frapper ; Mais je vous chéris trop pour vouloir vous tromper. Prête à me séparer d'un époux si coupable, Je le fuis... mais je l'aime. STATIRA. Ô parole exécrable !Dernier de mes moments ! Cruelle fille, hélas ! Puisque tu peux l'aimer, tu ne le fuiras pas. Tu l'aimes ! Tu trahis Alexandre et ta mère ! Grand Dieu ! J'ai vu périr mon époux et mon père ; Tu m'arrachas ma fille, et ton ordre inhumain Me la fait retrouver pour mourir de sa main ! OLYMPIE. Je me jette à vos pieds... STATIRA. Fille dénaturée ! Fille trop chère !... OLYMPIE. Hélas ! De douleurs dévorée, Tremblante à vos genoux, je les baigne de pleurs. Ma mère, pardonnez. STATIRA. Je pardonne... et je meurs. OLYMPIE. Vivez, écoutez-moi. STATIRA. Que veux-tu ? OLYMPIE. Je vous jure Par les dieux, par mon nom, par vous, par la nature, Que je m'en punirai, qu'Olympie aujourd'hui Répandra tout son sang avant que d'être à lui. Mon coeur vous est connu. Je vous ai dit que j'aime ; Jugez par ma faiblesse, et par cet aveu même, Si ce coeur est à vous, et si vous l'emportez Sur mes sens éperdus que l'amour a domptés. Ne considérez point ma faiblesse et mon âge ; De mon père et de vous je me sens le courage :J'ai pu les offenser, je ne peux les trahir ; Et vous me connaîtrez en me voyant mourir. STATIRA. Tu peux mourir, dis-tu, fille inhumaine et chère, Et tu ne peux haïr l'assassin de ton père ! OLYMPIE. Arrachez-moi ce coeur ; vous verrez qu'un époux, Quelque cher qu'il me fût, y régnait moins que vous ; Vous y reconnaîtrez ce pur sang qui m'anime. Pour me justifier prenez votre victime, Immolez votre fille. STATIRA. Ah ! J'en crois tes vertus ; Je te plains, Olympie, et ne t'accuse plus : J'espère en ton devoir, j'espère en ton courage. Moi-même j'ai pitié d'un amour qui m'outrage. Tu déchires mon coeur, et tu sais l'attendrir ; Console au moins ta mère en la faisant mourir. Va, je suis malheureuse, et tu n'es point coupable. OLYMPIE. Qui de nous deux, ô ciel ! est la plus misérable ? ACTE IV SCÈNE I. Antigone, Hermas, dans le péristyle. HERMAS. Vous me l'aviez bien dit, les saints lieux profanés Aux horreurs des combats vont être abandonnés : Vos soldats près du temple occupent ce passage : Cassandre, ivre d'amour, de douleur, et de rage, Des dieux qu'il invoquait défiant le courroux, Par cet autre chemin s'avance contre vous. Le signal est donné ; mais, dans cette entreprise, Entre Cassandre et vous le peuple se divise. ANTIGONE, en sortant. Je le réunirai. SCÈNE II. Antigone, Hermas, Cassandre, Sostène. CASSANDRE, arrêtant Antigone. Demeure, indigne ami, Infidèle allié, détestable ennemi : M'oses-tu disputer ce que le ciel me donne ? ANTIGONE. Oui. Quelle est la surprise où ton coeur s'abandonne ? La fille d'Alexandre a des droits assez grands Pour faire armer l'Asie, et trembler nos tyrans. Babylone est sa dot, et son droit est l'empire. Je prétends l'un et l'autre ; et je veux bien te dire Que tes pleurs, tes regrets, tes expiations, N'en imposeront pas aux yeux des nations, Ne crois pas qu'à présent l'amitié considère Si tu fus innocent de la mort de son père : L'opinion fait tout ; elle t'a condamné. Aux faiblesses d'amour ton coeur abandonné Séduisait Olympie en cachant sa naissance ; Tu crus ensevelir dans l'éternel silence Ce funeste secret dont je suis informé ; Ce n'est qu'en la trompant que lu pus être aimé. Ses veux s'ouvrent enfin, c'en est fait ; et Cassandre N'ose lever les siens, n'a plus rien à prétendre. De quoi t'es-tu flatté ? Pensais-tu que ses droits T'élèveraient un jour au rang de roi des rois ? Je peux de Statira prendre ici la défense ; Mais veux-tu conserver notre antique alliance ? Veux-tu régner en paix dans tes nouveaux États, Me revoir ton ami, t'appuyer de mon bras ? CASSANDRE. Eh bien ? ANTIGONE. Cède Olympie, et rien ne nous sépare ; Je périrai pour toi : sinon je te déclare Que je suis le plus grand de tous tes ennemis. Connais tes intérêts, pèse-les, et choisis. CASSANDRE. Je n'aurai pas de peine, et je venais te faire Une offre différente, et qui pourra le plaire. Tu ne connais ni loi, ni remords, ni pitié, Et c'est un jeu pour toi de trahir l'amitié. J'ai craint le ciel du moins : tu ris de sa justice, Tu jouis des forfaits dont tu fus le complice ; Tu n'en jouiras pas, traître... ANTIGONE. Que prétends-tu ? CASSANDRE. Si dans ton âme atroce il est quelque vertu, N'employons pas les mains du soldat mercenaire Pour assouvir la rage et servir ma colère. Qu'a de commun le peuple avec nos factions ? Est-ce à lui de mourir pour nos divisions ? C'est à nous, c'est à toi, si tu te sens l'audace De braver mon courage, ainsi que ma disgrâce. Je ne fus pas admis au commerce des dieux Pour aller égorger mon ami sous leurs yeux ; C'est un crime nouveau, c'est toi qui le prépares. Va, nous étions formés pour être des barbares. Marchons ; viens décider de ton sort et du mien, T'abreuver de mon sang, ou verser tout le tien. ANTIGONE. J'y consens avec joie, et sois sûr qu'OlympieAcceptera la main qui t'ôtera la vie. Ils mettent l'épée à la main. SCÈNE III. Cassandre, Antigone, Hermas, Sostène ; l'Hiérophante sort du temple précipitamment, avec les Prêtres et les Initiés, qui se jettent avec une foule de peuple entre Cassandre et Antigone, et les désarment. L'HIÉROPHANTE. Profanes, c'en est trop. Arrêtez, respectezEt le dieu qui vous parle, et ses solennités. Prêtres, initiés, peuple, qu'on les sépare ; Bannissez du lieu saint la discorde barbare ; Expiez vos forfaits... Glaives, disparaissez. Pardonne, Dieu puissant ! Vous, rois, obéissez. CASSANDRE. Je cède au ciel, à vous. ANTIGONE. Je persiste ; et j'atteste Les mânes d'Alexandre, et le courroux céleste, Que tant que je vivrai je ne souffrirai pas Qu'Olympie à mes yeux passe ici dans ses bras, Et que cet hyménée illégitime, impie, Soit la honte d'Éphèse et l'horreur de l'Asie. CASSANDRE. Sans doute il le serait si tu l'avais formé. L'HIÉROPHANTE. D'un esprit plus remis, d'un coeur moins enflammé, Rendez-vous à la loi, respectez sa justice ; Elle est commune à tous, il faut qu'on l'accomplisse. La cabane du pauvre et le trône des rois, Également soumis, entendent cette voix ; Elle aide la faiblesse, elle est le frein du crime, Et délie à l'autel l'innocente victime. Si l'époux, quel qu'il soit, et quel que soit son rang, Des parents de sa femme a répandu le sang, Fût-il purifié dans nos sacrés mystères Par le feu de Vesta, par les eaux salutaires, Et par le repentir, plus nécessaire qu'eux, Son épouse en un jour peut former d'autres noeuds ;Elle le peut sans honte, à moins que sa clémence, A l'exemple des dieux, ne pardonne l'offense.La loi donne un seul jour ; elle accourcit les temps Des chagrins attachés à ces grands changements : Mais surtout attendez les ordres d'une mère ; Elle a repris ses droits, le sacré caractère Que la nature donne, et que rien n'affaiblit. A son auguste voix Olympie obéit. Qu'osez-vous attenter, quand c'est à vous d'attendre Les arrêts de la veuve et du sang d'Alexandre ? Il sort avec sa suite. ANTIGONE. C'est assez, j'y souscris, pontife ; elle est à moi. Antigone sort avec Hermas. SCÈNE IV. Cassandre, Sostène, dans le péristyle. CASSANDRE. Elle n'y sera pas, coeur barbare et sans foi. Arrachons-la, Sostène, à ce fatal asile, A l'espoir insolent de ce coupable habile, Qui rit de mes remords, insulte à ma douleur, Et tranquille et serein vient m'arracher le coeur. SOSTÈNE. Il séduit Statira, seigneur ; il s'autorise Et des lois qu'il viole, et des dieux qu'il méprise. CASSANDRE. Enlevons-la, te dis-je, aux dieux que j'ai servis, Et par qui désormais tous mes soins sont trahis, J'accepterais la mort, je bénirais la foudre ; Mais qu'enfin mon épouse ose ici se résoudre À passer en un jour à cet autel fatal De la main de Cassandre à la main d'un rival ! Tombe en cendres ce temple avant que je l'endure ! Ciel tu me pardonnais. Plus tranquille et plus pure, Mon âme à cet espoir osait s'abandonner : Tu m'ôtes Olympie, est-ce là pardonner ? SOSTÈNE. Il ne vous l'ôte point ce coeur docile et tendre, Si soumis à vos lois, si content de se rendre, Ne peut jusqu'à l'oubli passer en un moment. Le coeur ne connaît point un si prompt changement.Elle peut vous aimer sans trahir la nature. Vos coups dans les combats portés à l'aventure Ont versé, je l'avoue, un sang bien précieux ; C'est un malheur pour vous que permirent les dieux. Vous n'avez point trempé dans la mort de son père ; Vos pleurs ont effacé tout le sang de sa mère ; Ses malheurs sont passés, vos bienfaits sont présents. CASSANDRE. Vainement cette idée apaise mes tourments. Ce sang de Statira, ces mânes d'Alexandre, D'une voix trop terrible ici se font entendre. Sostène, elle est leur fille, elle a le droit affreux De haïr sans retour un époux malheureux. Je sens qu'elle m'abhorre, et moi je la préfère Au trône de Cyrus, au trône de la terre. Ces expiations, ces mystères cachés, Indifférents aux rois, et par moi recherchés, Elle en était l'objet ; mon âme criminelle Ne s'approchait des dieux que pour s'approcher d'elle. SOSTÈNE, apercevant Olympie. Hélas la voyez-vous en proie à ses douleurs ? Elle embrasse un autel, et le baigne de pleurs. CASSANDRE. Au temple, à cet autel, il est temps qu'on l'enlève. Va, cours, que tout soit prêt. Sostène sort. SCÈNE V. Cassandre, Olympie. OLYMPIE, courbée sur l'autel sans voir Cassandre. Que mon coeur se soulève Qu'il est désespéré !... Qu'il se condamne ! Hélas ! Apercevant Cassandre.Que vois-je ? CASSANDRE. Votre époux. OLYMPIE. Non, vous ne l'êtes pas. Non, Cassandre... jamais ne prétendez à l'être. CASSANDRE. Eh bien ! J'en suis indigne, et je dois me connaître. Je sais tous les forfaits que mon sort inhumain, Pour nous perdre tous deux, a commis par ma main ; J'ai cru les expier, j'en comble la mesure ; Ma présence est un crime, et ma flamme une injure... Mais, daignez me répondre... ai-je par mes secours Aux fureurs de la guerre arraché vos beaux jours ? OLYMPIE. Pourquoi les conserver ? CASSANDRE. Au sortir de l'enfance Ai-je assez respecté votre aimable innocence ? Vous ai-je idolâtrée ? OLYMPIE. Ah ! C'est là mon malheur. CASSANDRE. Après le tendre aveu de la plus pure ardeur, Libre dans vos bontés, maîtresse de vous-même, Cette voix favorable à l'époux qui vous aime, Aux lieux où je vous parle, à ces mêmes autels, A joint à mes serments vos serments solennels ! OLYMPIE. Hélas ! Il est trop vrai... Que le courroux céleste Ne me punisse pas d'un serment si funeste ! CASSANDRE. Vous m'aimiez, Olympie ! OLYMPIE. Ah ! Pour comble d'horreur, Ne me reproche pas ma détestable erreur. Il te fut trop aisé d'éblouir ma jeunesse ; D'un coeur qui s'ignorait tu trompas la faiblesse : C'est un forfait de plus... Fuis-moi ; ces entretiens Sont un crime pour moi plus affreux que les tiens. CASSANDRE. Craignez d'en commettre un plus funeste peut-être En acceptant les voeux d'un barbare et d'un traître ; Et si pour Antigone... OLYMPIE. Arrête, malheureux ! D'Antigone et de toi je rejette les voeux, Après que cette main, lâchement abusée, S'est pu joindre à ta main de mon sang arrosée, Nul mortel désormais n'aura droit sur mon coeur. J'ai l'hymen, et le monde, et la vie en horreur. Maîtresse de mon choix, sans que je délibère, Je choisis les tombeaux qui renferment ma mère ; Je choisis cet asile où Dieu doit posséder Ce coeur qui se trompa quand il put te céder.J'embrasse les autels, et déteste ton trône, Et tous ceux de l'Asie... et surtout d'Antigone. Va-t-en, ne me vois plus... Va, laisse-moi pleurer L'amour que j'ai promis, et qu'il faut abhorrer. CASSANDRE. Eh bien ! De mon rival si l'amour vous offense, Vous ne sauriez m'ôter un rayon d'espérance ; Et quand votre vertu rejette un autre époux, Ce refus est ma grâce, et je me crois à vous. Tout souillé que je suis du sang qui vous fit naître, Vous êtes, vous serez la moitié de mon être, Moitié chère et sacrée, et de qui les vertus Ont arrêté sur moi les foudres suspendus, Ont gardé sur mon coeur un empire suprême, Et devraient désarmer votre mère elle-même. OLYMPIE. Ma mère !... Quoi ! Ta bouche a prononcé son nom ! Ah ! Si le repentir, si la compassion, Si ton amour, au moins, peut fléchir ton audace, Fuis les lieux qu'elle habite, et l'autel que j'embrasse. Laisse-moi. CASSANDRE. Non, sans vous je n'en saurais sortir. À me suivre à l'instant vous devez consentir. Il la prend par la main.Chère épouse, venez. OLYMPIE, la retirant avec transport. Traite-moi donc comme elle ; Frappe une infortunée à son devoir fidèle ; Dans ce coeur désolé porte un coup plus certain : Tout mon sang fut formé pour couler sous ta main ; Frappe, dis-je. CASSANDRE. Ah ! Trop loin vous portez la vengeance ;J'eus moins de cruauté, j'eus moins de violence, Le ciel sait faire grâce, et vous savez punir ; Mais c'est trop être ingrate, et c'est trop me haïr. OLYMPIE. Ma haine est-elle juste, et l'as-tu méritée ? Cassandre, si ta main féroce, ensanglantée, Ta main qui de ma mère osa percer le flanc.N'eût frappé que moi seule, et versé que mon sang, Je te pardonnerais, je t'aimerais... barbare. Va, tout nous désunit. CASSANDRE. Non, rien ne nous sépare. Quand vous auriez Cassandre encor plus en horreur, Quand vous m'épouseriez pour me percer le coeur, Vous me suivrez... Il faut que mon sort s'accomplisse. Laissez-moi mon amour, du moins pour mon supplice : Ce supplice est sans terme, et j'en jure par vous. Haïssez, punissez, mais suivez votre époux. SCÈNE VI. Cassandre, Olympie, Sostène. SOSTÈNE. Paraissez, ou bientôt Antigone l'emporte. Il parle à vos guerriers, il assiège la porte, Il séduit vos amis près du temple assemblés ; Par sa voix redoutable ils semblent ébranlés : Il atteste Alexandre, il atteste Olympie. Tremblez pour votre amour, tremblez pour votre vie. Venez. CASSANDRE. À mon rival ainsi vous m'immolez ! Je vais chercher la mort, puisque vous le voulez. OLYMPIE. Moi, vouloir ton trépas !... Va, j'en suis incapable... Vis loin de moi. CASSANDRE. Sans vous, le jour m'est exécrable ; Et, s'il m'est conservé, je revoie en ces lieux, Je vous arrache au temple, ou j'y meurs à vos yeux. Il sort avec Sostène. SCÈNE VII. OLYMPIE. Malheureuse !... Et c'est lui qui cause mes alarmes ! Ah ! Cassandre, est-ce à toi de me coûter des larmes ? Faut-il tant de combats pour remplir son devoir ? Vous aurez sur mon âme un absolu pouvoir, Ô sang dont je naquis, ô voix de la nature ! Je m'abandonne à vous, c'est par vous que je jure De vous sacrifier mes plus chers sentiments... Sur cet autel, hélas ! J'ai fait d'autres serments... Dieux ! Vous les receviez ; ô dieux ! Votre clémence A du plus tendre amour approuvé l'innocence. Vous avez tout changé... mais changez donc mon coeur, Donnez-lui la vertu conforme à son malheur... Ayez quelque pitié d'une âme déchirée,Qui périt infidèle, ou meurt dénaturée. Hélas ! J'étais heureuse en mon obscurité, Dans l'oubli des humains, dans la captivité ; Sans parents, sans état, à moi-même inconnue... Le grand nom que je porte est ce qui m'a perdue. J'en serai digne au moins... Cassandre, il faut te fuir, Il faut t'abandonner... mais comment te haïr ?... Que peut donc sur soi-même une faible mortelle ?Je déchire en pleurant ma blessure cruelle Et ce trait malheureux que ma main va chercher, Je l'enfonce en mon coeur au lieu de l'arracher. SCÈNE VIII. Olympie, L'Hiérophante, Prêtres, Prêtresses. OLYMPIE. [Note : Pontife : haut dignitaire religieux ou grand-prêtre. Ce terme est issu initialement de la religion romaine. Le pape catholique est aussi nommé le souverain pontife. ]Pontife, où courez-vous ? Protégez ma faiblesse. Vous tremblez !... Vous pleurez !... L'HIÉROPHANTE. Malheureuse princesse ! Je pleure votre état. OLYMPIE. Ah ! Soyez-en l'appui. L'HIÉROPHANTE. Résignez-vous au ciel ; vous n'avez plus que lui. OLYMPIE. Hélas ! Que dites-vous ? L'HIÉROPHANTE. Ô fille auguste et chère ! La veuve d'Alexandre... OLYMPIE. Ah ! Justes dieux !... Ma mère ! Eh bien ?... L'HIÉROPHANTE. Tout est perdu. Les deux rois furieux, Foulant aux pieds les lois, armés contre les dieux, Jusque dans les parvis de l'enceinte sacrée, Encourageaient leur troupe au meurtre préparée. Déjà coulait le sang ; déjà, le fer en main, Cassandre jusqu'à vous se frayait un chemin : J'ai marché contre lui, n'ayant pour ma défense Que nos lois qu'il oublie, et nos dieux qu'il offense. Votre mère éperdue, et s'offrant à ses coups, L'a cru maître à la fois et du temple et de vous : Lasse de tant d'horreurs, lasse de tant de crimes, Elle a saisi le fer qui frappe les victimes, L'a plongé dans ce flanc où le ciel irrité Vous fit puiser la vie et la calamité. OLYMPIE, tombant entre les bras d'une prêtresse. Je meurs... soutenez-moi... marchons... Vit-elle encore ? L'HIÉROPHANTE. Cassandre est à ses pieds il gémit, il l'implore : Il ose encor prêter ses funestes secours Aux innocentes mains qui raniment ses jours ; Il s'écrie, il s'accuse, il jette au loin ses armes. OLYMPIE, se relevant. Cassandre à ses genoux ! L'HIÉROPHANTE. Il les baigne de larmes. A ses cris, à nos voix, elle rouvre les yeux ; Elle ne voit en lui qu'un monstre audacieux Qui lui vient arracher les restes de sa vie, Par cette main funeste en tout temps poursuivie : Faible, et se soulevant par un dernier effort, Elle tombe, elle touche au moment de la mort ; Elle abhorre à la fois Cassandre et la lumière ; Et levant à regret sa débile paupière : « Allez, m'a-t-elle dit, ministre infortuné D'un temple malheureux par le sang profané ; Consolez Olympie. Elle m'aime, et j'ordonne Que, pour venger sa mère, elle épouse Antigone.» OLYMPIE. Allons mourir près d'elle... Exaucez-moi, grands dieux ! Venez, guidez mes pas, venez fermer nos veux. L'HIÉROPHANTE. Armez-vous de courage, il doit ici paraître. OLYMPIE. J'en ai besoin, seigneur, et j'en aurai peut-être. ACTE V SCÈNE I. Antigone, Hermas, dans le péristyle. HERMAS. La pitié doit parler, et la vengeance est vaine ; Un rival malheureux n'est pas digne de haine. Fuyez ce lieu funeste : Olympie aujourd'hui, Seigneur, sera perdue et pour vous et pour lui. ANTIGONE. Quoi Statira n'est plus ! HERMAS. C'est le sort de Cassandre D'être toujours funeste au grand nom d'Alexandre : Statira, succombant au poids de sa douleur, Dans les bras de sa fille expire avec horreur ; La sensible Olympie, à ses pieds étendue, Semble exhaler son âme à peine retenue. Les ministres des dieux, les prêtresses en pleurs, En mêlant leurs regrets, accroissent leurs douleurs. Cassandre épouvanté sent toutes leurs atteintes ; Le temple retentit de sanglots et de plaintes : On prépare un bûcher, et ces vains ornements Qui rappellent la mort aux regards des vivants : On prétend qu'Olympie, en ce lieu solitaire, Habitera l'asile où s'enfermait sa mère ; Qu'au monde, à l'hyménée, arrachant ses beaux jours, Elle consacre aux dieux leur déplorable cours ; Et qu'elle doit pleurer dans l'éternel silence Sa famille, sa mère, et jusqu'à sa naissance. ANTIGONE. Non, non ; de son devoir elle suivra les lois ; J'ai sur elle à la fin d'irrévocables droits ; Statira me la donne ; et ses ordres suprêmes Au moment du trépas sont les lois des dieux mêmes. Ce forcené Cassandre et sa funeste ardeur Au sang de Statira font une juste horreur. HERMAS. Seigneur, le croyez-vous ? ANTIGONE. Elle-même déclare Que son coeur désolé renonce à ce barbare. S'il ose encor l'aimer, j'ai promis son trépas : Je tiendrai ma parole, et tu n'en doutes pas. HERMAS. Mêleriez-vous du sang aux pleurs qu'on voit répandre ; Aux flammes du bûcher, à cette auguste cendre ? Frappés d'un saint respect, sachez que vos soldats Reculeront d'horreur, et ne vous suivront pas. ANTIGONE. Non, je ne puis troubler la pompe funéraire ; J'en ai fait le serment ; Cassandre la révère. Je sais qu'il est des lois qu'il me faut respecter ; Que pour gagner le peuple il le faut imiter : Vengeur de Statira, protecteur d'Olympie, Je dois ici l'exemple au reste de l'Asie. Tout parle en ma faveur, et mes coups différés En auront plus de force, et sont plus assurés. Le temple s'ouvre. SCÈNE I. Antigone, Hermas, L'Hiérophante, Prêtres, s'avançant lentement ; Olympie, soutenue par les prêtresses ; elle est en deuil. HERMAS. On amène Olympie à peine respirante : Je vois du temple saint l'auguste hiérophante Qui mouille de ses pleurs les traces de ses pas ; Les prêtresses des dieux la tiennent dans leurs bras. ANTIGONE. Ces objets toucheraient le coeur le plus farouche, À Olympie.Je veux bien l'avouer... Permettez que ma bouche, En mêlant mes regrets à vos tristes soupirs, Jure encor de venger tant d'affreux déplaisirs : L'ennemi qui deux fois vous priva d'une mère Nourrit dans sa fureur un espoir téméraire ; Sachez que tout est prêt pour sa punition. N'ajoutez point la crainte à votre affliction ; Contre ses attentats soyez en assurance. OLYMPIE. Ah ! Seigneur, parlez moins de meurtre et de vengeance. Elle a vécu... je meurs au reste des humains. ANTIGONE. Je déplore sa perte autant que je vous plains : Je pourrais rappeler sa volonté sacrée, Si chère à mon espoir, et par vous révérée ; Mais je sais ce qu'on doit, dans ce premier moment, À son ombre, à sa fille. à votre accablement. Consultez-vous, madame, et gardez sa promesse. Il sort avec Hermas. SCÈNE III. Olympie, L'HHiérophante, Prêtres, Prêtresses. OLYMPIE. Vous qui compatissez à l'horreur qui me presse, Vous, ministre d'un dieu de paix et de douceur, Des coeurs infortunés le seul consolateur, Ne puis-je, sous vos yeux, consacrer ma misère Aux autels arrosés des larmes de ma mère ? Auriez-vous bien, seigneur, assez de dureté Pour fermer cet asile à ma calamité ? Du sang de tant de rois c'est l'unique héritage ; Ne me l'enviez pas, laissez-moi mon partage. L'HIÉROPHANTE. Je pleure vos destins ; mais que puis-je pour vous ? Votre mère en mourant a nommé votre époux : Vous avez entendu sa volonté dernière, Tandis que de nos mains nous fermions sa paupière ; Et si vous résistez à sa mourante voix, Cassandre est votre maître, il rentre en tous ses droits. OLYMPIE. J'ai juré, je l'avoue, à Statira mourante De détourner ma main de cette main sanglante ; Je garde mes serments. L'HIÉROPHANTE. Libre encor dans ces lieux Votre main ne dépend que de vous et des dieux. Bientôt tout va changer : vous pouvez, Olympie, Ordonner maintenant du sort de votre vie : On ne doit pas sans doute allumer en un jour Et les bûchers des morts, et les flambeaux d'amour. Ce mélange est affreux ; mais un mot peut suffire, Et j'attendrai ce mot sans oser le prescrire. C'est à vous à sentir, dans ces extrémités, Ce que doit votre coeur au sang dont vous sortez. OLYMPIE. Seigneur, je vous l'ai dit ; cet hymen, et tout autre, Est horrible à mon coeur, et doit déplaire au vôtre. Je ne veux point trahir ces mânes courroucés ; J'abandonne un époux... c'est obéir assez. Laissez-moi fuir l'hymen, et l'amour, et le trône. L'HIÉROPHANTE. Il faut suivre Cassandre ou choisir Antigone : Ces deux héros armés, si fiers et si jaloux, Sont forcés maintenant à s'en remettre à vous. Vous préviendrez d'un mot le trouble et le carnage Dont nos yeux reverraient l'épouvantable image, Sans le respect profond qu'inspirent aux mortels Cet appareil de mort, ce bûcher, ces autels, Et ces derniers devoirs, et ces honneurs suprêmes, Qui les font pour un temps rentrer tous en eux-mêmes. La piété se lasse, et surtout chez les grands. J'ai du sang avec peine arrêté les torrents ; Mais ce sang, dès demain, va couler dans Éphèse ; Décidez-vous, princesse, et le peuple s'apaise. Ce peuple, qui toujours est du parti des lois, Quand vous aurez parlé, soutiendra votre choix : Sinon, le fer en main, dans ce temple, à ma vue, Cassandre, en réclamant la foi qu'il a reçue, D'un bien qu'il possédait a droit de s'emparer, Malgré la juste horreur qu'il vous semble inspirer. OLYMPIE. Il suffit : je conçois vos raisons et vos craintes ; Je ne m'emporte plus en d'inutiles plaintes ; Je subis mon destin ; vous voyez sa rigueur ; Il me faut faire un choix... il est fait dans mon coeur ; Je suis déterminée. L'HIÉROPHANTE. Ainsi donc d'Antigone Vous acceptez les voeux et la main qu'il vous donne ? OLYMPIE. Seigneur, quoi qu'il en soit, peut-être ce moment N'est point fait pour conclure un tel engagement. Vous-même l'avouez ; et cette heure dernière, Où ma mère a vécu, doit m'occuper entière... Au bûcher qui l'attend vous allez la porter ? L'HIÉROPHANTE. De ces tristes devoirs il faut nous acquitter : Une urne contiendra sa dépouille mortelle ; Vous la recueillerez. OLYMPIE. Sa fille criminelle A causé son trépas... Cette fille du moins À ses mânes vengeurs doit encor quelques soins. L'HIÉROPHANTE. Je vais tout préparer. OLYMPIE. Par vos lois que j'ignore, Sur ce lit embrasé puis-je la voir encore ? Du funèbre appareil pourrai-je m'approcher ? Pourrai-je de mes pleurs arroser son bûcher ? L'HIÉROPHANTE. Hélas ! vous le devez ; nous partageons vos larmes : Vous n'avez rien à craindre ; et ces rivaux en armes Ne pourront point troubler ces devoirs douloureux. Présentez des parfums, vos voiles, vos cheveux, Et des libations la triste et pure offrande. Les prêtresses placent tout cela sur un autel. OLYMPIE, à l'Hiérophante. C'est l'unique faveur que sa fille demande... À la prêtresse inférieure.Toi qui la conduisis dans ce séjour de mort, Qui partageas quinze ans les horreurs de son sort, Va, reviens m'avertir quand cette cendre aimée Sera prête à tomber dans la fosse enflammée ; Que mes derniers devoirs, puisqu'ils me sont permis, Satisfassent son ombre... Il le faut. LA PRÊTRESSE. J'obéis. Elle sort. OLYMPIE, à l'Hiérophante. Allez donc : élevez cette pile fatale,Préparez les cyprès et l'urne sépulcrale, Faites venir ici ces deux rivaux cruels ; Je prétends m'expliquer au pied de ces autels, A l'aspect de ma mère, aux yeux de ces prêtresses, Témoins de mes malheurs, témoins de mes promesses. Mes sentiments, mon choix, vont être déclarés : Vous les plaindrez peut-être, et les approuverez. L'HIÉROPHANTE. De vos destins encor vous êtes la maîtresse, Vous n'avez que ce jour ; il fuit, et le temps presse. Il sort avec les prêtresses. SCÈNE IV. Olympie, sur le devant ; Les Prêtresses, en demi-cercle au fond. OLYMPIE. Ô toi qui dans mon coeur, à ce choix résolu, Usurpas à ma honte un pouvoir absolu, Qui triomphes encor de Statira mourante, D'Alexandre au tombeau, de leur fille tremblante, De la terre et des cieux contre toi conjurés, Règne, amant malheureux, sur mes sens déchirés : Si tu m'aimes, hélas ! Si j'ose encor le croire, Va, tu payeras bien cher ta funeste victoire. SCÈNE V. Olympie, Cassandre, Les Prêtresses. CASSANDRE. Eh bien ! Je viens remplir mon devoir et vos voeux : Mon sang doit arroser ce bûcher malheureux. Acceptez mon trépas, c'est ma seule espérance ; Que ce soit par pitié plutôt que par vengeance. OLYMPIE. Cassandre ! CASSANDRE. Objet sacré ! Chère épouse !... OLYMPIE. Ah ! cruel CASSANDRE. Il n'est plus de pardon pour ce grand criminel : Esclave infortuné du destin qui me guide, Mon sort en tous les temps est d'être parricide. Il se jette à genoux.Mais je suis ton époux ; mais, malgré ses forfaits, Cet époux t'idolâtre encor plus que jamais. Respecte, en m'abhorrant, cet hymen que j'atteste : Dans l'univers entier Cassandre seul te reste ; La mort est le seul dieu qui peut nous séparer ; Je veux, en périssant, te voir et t'adorer. Venge-toi, punis-moi, mais ne sois point parjure : Va, l'hymen est encor plus saint que la nature. OLYMPIE. Levez-vous, et cessez de profaner du moins Cette cendre fatale, et mes funèbres soins. Quand sur l'affreux bûcher dont les flammes s'allument De ma mère en ces lieux les membres se consument, Ne souillez pas ces dons que je dois présenter ; N'approchez pas, Cassandre, et sachez m'écouter. SCÈNE VI. Olympie, Cassandre, Antigone, Prêtresses. ANTIGONE. Enfin votre vertu ne peut plus s'en défendre ;Statira vous dictait l'arrêt qu'il vous faut rendre. J'ai respecté les morts et ce jour de terreur ; Vous en pouvez juger, puisque mon bras vengeur N'a point encor de sang inondé cet asile, Puisqu'un moment encore à vos ordres docile, Je vous prends en ces lieux pour son juge et le mien. Prononcez notre arrêt, et ne redoutez rien. On vous verra, madame, et du moins je l'espère, Distinguer l'assassin du vengeur d'une mère, La nature a des droits. Statira, dans les cieux, A côté d'Alexandre, arrête ici ses veux. Vous êtes dans ce temple encore ensevelie ; Mais la terre et le ciel observent Olympie. Il faut entre nous deux que vous vous déclariez. OLYMPIE. J'y consens ; mais je veux que vous me respectiez. Vous voyez ces apprêts, ces dons que je dois faire A nos dieux infernaux, aux mânes d'une mère ; Vous choisissez ce temps, impétueux rivaux, Pour me parler d'hymen au milieu des tombeaux ! Jurez-moi seulement, soldats du roi mon père,Rois après son trépas, que, si je vous suis chère, Dans ce moment du moins, reconnaissant mes lois, Vous ne troublerez point mes devoirs et mon choix. CASSANDRE. Je le dois, je le jure ; et vous devez connaître Combien je vous respecte, et dédaigne ce traître. ANTIGONE. Oui, je le jure aussi, bien sûr que votre coeur Pour ce rival barbare est pénétré d'horreur. Prononcez ; j'y souscris. OLYMPIE. Songez, quoi qu'il en coûte, Vous-même l'avez dit, qu'Alexandre m'écoute. ANTIGONE. Décidez devant lui. CASSANDRE. J'attends vos volontés. OLYMPIE. Connaissez donc ce coeur que vous persécutez, Et vous-mêmes jugez du parti qui me reste. Quelque choix que je fasse, il doit m'être funeste. Vous sentez tout l'excès de ma calamité : Apprenez plus ; sachez que je l'ai mérité. J'ai trahi mes parents, quand j'ai pu les connaître ; J'ai porté le trépas au sein qui m'a fait naître : Je trouvais une mère en ce séjour d'effroi ; Elle est morte en mes bras, elle est morte pour moi. Elle a dit à sa fille, à ses pieds désolée : « Épousez Antigone, et je meurs consolée. » Elle était expirante, et moi, pour l'achever, Je la refuse. ANTIGONE. Ainsi vous pouvez me braver, Outrager votre mère, et trahir la nature ! OLYMPIE. A ses mânes, à vous, je ne fais point d'injure ; Je rends justice à tous, et je la rends à moi... Cassandre, devant lui je vous donnai ma foi ; Voyez si nos liens ont été légitimes ; Je vous laisse en juger : vous connaissez vos crimes ; Il serait superflu de vous les reprocher : Réparez-les un jour. CASSANDRE. Je ne puis vous toucher ! Je ne puis adoucir cette horreur qui vous presse ! OLYMPIE. Il faut vous éclairer : gardez votre promesse. Le temple s'ouvre ; on voit le bûcher enflammé. SCÈNE VII. Olympie, Cassandre, Antigone, L'Hiérophante, Prêtres, Prêtresses. LA PRÊTRESSE INFÉRIEURE. Princesse, il en est temps. OLYMPIE, à Cassandre. Vois ce spectacle affreux : Cassandre, en ce moment, plains-toi, si tu le peux ; Contemple ce bûcher, contemple cette cendre ; Souviens-toi de mes fers, souviens-toi d'Alexandre : Voilà sa veuve, parle, et dis ce que je dois. CASSANDRE. M'immoler. OLYMPIE. Ton arrêt est dicté par ta voix... Attends ici le mien. Vous, mânes de ma mère, Mânes à qui je rends ce devoir funéraire, Vous, qu'un juste courroux doit encore animer, Vous recevrez des dons qui pourront vous calmer.De mon père et de vous ils sont dignes peut-être... Toi, l'époux d'Olympie, et qui ne dus pas l'être ; Toi, qui me conservas par un cruel secours ; Toi, par qui j'ai perdu les auteurs de mes jours ; Toi, qui m'as tant chérie, et pour qui ma faiblesse Du plus fatal amour a senti la tendresse, Tu crois mes lâches feux de mon âme bannis... Apprends... que je t'adore... et que je m'en punis.Cendres de Statira, recevez Olympie. Elle se frappe, et se jette dans le bûcher. TOUS ENSEMBLE. Ciel ! CASSANDRE, courant au bûcher. Olympie ! LES PRÊTRES. Ô ciel ! ANTIGONE. Ô fureur inouïe ! CASSANDRE. Elle n'est déjà plus, tous nos efforts sont vains. Revenant dans le péristyle.En est-ce assez, grands dieux ? Mes exécrables mains Ont fait périr mon roi, sa veuve, et mon épouse ! Antigone, ton âme est-elle encor jalouse ? Insensible témoin de cette horrible mort, Envieras-tu toujours la douceur de mon sort ? De ma félicité si ton grand coeur s'irrite, Partage-la, crois-moi, prends ce fer, et m'imite. Il se tue. L'HIÉROPHANTE. Arrêtez !... Ô saint temple ! Ô Dieu juste et vengeur ! Dans quel palais profane a-t-on vu plus d'horreur ! ANTIGONE. Ainsi donc Alexandre, et sa famille entière, Successeurs, assassins, tout est cendre et poussière ! Dieux, dont le monde entier éprouve le courroux, Maîtres des vils humains, pourquoi les formiez-vous ? Qu'avait fait Statira ? Qu'avait fait Olympie ? A quoi réservez-vous ma déplorable vie ? ==================================================