******************************************************** DC.Title = PANDORE, OPÉRA en cinq actes DC.Author = VOLTAIRE DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Opéra DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:13. DC.Coverage = Grèce DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/VOLTAIRE_PANDORE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k724318.image.f392.langFR DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** PANDORE OPÉRA en cinq actes Le Théâtre de M. Voltaire Tome I 1762 Voltaire Représentée pour la première fois le 14 février 1767. PERSONNAGES PROMETHÉE, fils du Ciel et de la Terre, demi-dieu.. PANDORE. JUPITER. MERCURE. NEMESIS. NYMPHES. TITANS. DIVINITÉS CELESTES. DIVINITÉS INFERNALES. Le théâtre représente une campagne, et des montagnes dans le fond. ACTE I SCÈNE I. Prométhée, Le Choeur, Pandore, dans l'enfoncement, couchée sur une estrade. PROMÉTHÉE. Prodige de mes mains, charmes que j'ai fait naître, Je vous appelle en vain, vous ne m'entendez pas : Pandore, tu ne peux connaître Ni mon amour ni tes appas. Quoi ! J'ai formé ton coeur, et tu n'es pas sensible ! Tes beaux yeux ne peuvent me voir ! Un impitoyable pouvoir Oppose à tous mes voeux un obstacle invincible : Ta beauté fait mon désespoir. Quoi ! Toute la nature autour de toi respire ! Oiseaux, tendres oiseaux, vous chantez, vous aimez : Et je vois ses appas languir inanimés, La mort les tient sous son empire. SCÈNE II. Prométhée, Les Titans, Encelade, et Typhon, etc. Les dieux des enfers disparaissent. On revoit la campagne éclairée et riante. Les Nymphes des bois et des campagnes sont de chaque côté du théâtre. ENCELADE ET TYPHON. Enfant de la terre et des cieux, Tes plaintes et tes cris ont ému ce bocage. Parle, quel est celui des dieux Qui t'ose faire quelque outrage ? PROMÉTHÉE, en montrant Pandore. Jupiter est jaloux de mon divin ouvrage : Il craint que cet objet n'ait un jour des autels : Il ne peut sans courroux voir la terre embellie : Jupiter à Pandore a refusé la vie ! Il rend mes chagrins éternels. TYPHON. Jupiter ?quoi ! C'est lui qui formerait nos âmes ? L'usurpateur des cieux peut être notre appui ? Non, je sens que la vie et ses divines flammes Ne viennent point de lui. ENCELADE, en montrant Typhon son frère. Nous avons pour aïeux la Nuit et le Tartare. Invoquons l'éternelle Nuit : Elle est avant le Jour qui luit. Que l'Olympe cède au Ténare. TYPHON. Que l'enfer, que mes dieux répandent parmi nous Le germe éternel de la vie : Que Jupiter en frémisse d'envie, Et qu'il soit vainement jaloux. PROMÉTHÉE et les DEUX TITANS. Écoutez-nous, dieux de la nuit profonde : De nos astres nouveaux contemplez la clarté : Accourez du centre du monde : Rendez féconde La terre qui m'a porté : Animez la beauté : Que votre pouvoir seconde Mon heureuse témérité ! PROMÉTHÉE. Au séjour de la nuit vos voix ont éclaté : Le jour pâlit, la terre tremble : [Note : Érèbe : fils du Chaos, frère et époux de la Nuit, et prère du Jour, fut métamorphosé en fleuve, et précipité dans les Enfers pour avoir secouru les Titans. [B]]Le monde est ébranlé, l'Érèbe se rassemble. Le théâtre change, et représente le Chaos. Tous les dieux de l'enfer viennent sur la scène. CHOEUR DES DIEUX INFERNAUX. Nous détestons La lumière éternelle : Nous attendons Dans nos gouffres profonds La race faible et criminelle Qui n'est pas née encore, et que nous haïssons. NÉMÉSIS. [Note : Léthé : Nom propre d'un des fleuves des Enfers. La Fable dit que l'on en faisait boire aux âmes des morts dans les enfers, et que quand on en avait bu, on ne se souvenait plus de rien. [T]]Les ondes du Léthé, les flammes du Tartare Doivent tout ravager. Parlez, qui voulez-vous plonger Dans les profondeurs du Ténare ? PROMÉTHÉE. Je veux servir la terre, et non pas l'opprimer. Hélas ! a cet objet j'ai donné la naissance, Et je demande en vain qu'il s'anime, qu'il pense, Qu'il soit heureux, qu'il sache aimer. LES TROIS PARQUES. Notre gloire est de détruire, Notre pouvoir est de nuire : Tel est l'arrêt du sort. Le ciel donne la vie, et nous donnons la mort. PROMÉTHÉE. Fuyez donc à jamais ce beau jour qui m'éclaire : Vous êtes malfaisants, vous n'êtes point mes dieux. Fuyez, destructeurs odieux De tout le bien que je veux faire : Dieux des malheurs, dieux des forfaits, Ennemis funèbres, Replongez-vous dans les ténèbres : Ennemis funèbres, Laissez le monde en paix. NÉMÉSIS. Tremble, tremble pour toi-même : Crains notre retour, Crains Pandore et l'Amour. Le moment suprême Vole sur tes pas. Nous allons déchaîner les démons des combats : Nous ouvrirons les portes du trépas. Tremble, tremble pour toi-même. PROMÉTHÉE. Ah ! Trop cruels amis ! Pourquoi déchaîniez-vous, Du fond de cette nuit obscure, Dans ces champs fortunés, et sous un ciel si doux, Ces ennemis de la nature ? Que l'éternel chaos élève entre eux et nous Une barrière impénétrable ! L'enfer implacable Doit-il animer Ce prodige aimable Que j'ai su former ? Un dieu favorable Le doit enflammer. ENCELADE. Puisque tu mets ainsi la grandeur de ton être À verser des bienfaits sur ce nouveau séjour, Tu méritais d'en être le seul maître. Monte au ciel, dont tu tiens le jour : Va ravir la céleste flamme : Ose former une âme, Et sois créateur à ton tour. PROMÉTHÉE. L'Amour est dans les cieux : c'est là qu'il faut me rendre : L'Amour y règne sur les dieux. Je lancerai ses traits, j'allumerai ses feux : C'est le dieu de mon coeur, et j'en dois tout attendre. Je vole à son trône éternel : Sur les ailes des vents l'Amour m'enlève au ciel. Il s'envole. CHOEUR DE NYMPHES. Volez, fendez les airs, et pénétrez l'enceinte Des palais éternels : Ramenez les plaisirs du séjour de la crainte : En répandant des biens méritez des autels. ACTE II Le théâtre représente la même campagne. Pandore, inanimée, est sur une estrade. Un char brillant du lumière descend du ciel. SCÈNE I. Prométhée, Pandore, Nymphes, Titans, Choeurs, etc. UNE DRYADE. Chantez, nymphes des bois, chantez l'heureux retour Du demi-dieu qui commande à la terre : Il vous apporte un nouveau jour : Il revient dans ce doux séjour Du séjour brillant du tonnerre : Il revole en ces lieux sur le char de l'Amour. CHOEUR DE NYMPHES. Quelle douce aurore Se lève sur nous ! Terre, jeune encore, Embellissez-vous. Brillantes fleurs, qui parez nos campagnes : Sommets des superbes montagnes, Qui divisez les airs, et qui portez les cieux : Ô nature naissante, Devenez plus charmante, Plus digne de ses yeux ! PROMÉTHÉE, descendant du char, le flambeau à la main. Je le ravis aux dieux, je l'apporte à la terre, Ce feu sacré du tendre Amour, Plus puissant mille fois que celui du tonnerre, Et que les feux du dieu du jour. LE CHOEUR DES NYMPHES. Fille du ciel, âme du monde, Passez dans tous les coeurs : L'air, la terre, et l'onde Attendent vos faveurs. PROMÉTHÉE, approchant de l'estrade où est Pandore. Que ce feu précieux, l'astre de la nature, Que cette flamme pure Te mette au nombre des vivants. Terre, sois attentive à ces heureux instants : Lève-toi, cher objet, c'est l'Amour qui l'ordonne : A sa voix obéis toujours : Lève-toi, l'Amour te donne La vie, un coeur, et de beaux jours. Pandore se lève sur son estrade, et marche sur la scène. CHOEUR. Ciel ! Ô ciel ! Elle respire ! Dieu d'amour, quel est ton empire ! PANDORE. Où suis-je ?et qu'est-ce que je vois ? Je n'ai jamais été : quel pouvoir m'a fait naître ? J'ai passé du néant à l'être. Quels objets ravissants semblent nés avec moi On entend une symphonie.Ces sons harmonieux enchantent mes oreilles : Mes yeux sont éblouis de l'amas des merveilles Que l'auteur de mes jours prodigue sur mes pas. Ah ! D'où vient qu'il ne paraît pas ? De moment en moment je pense et je m'éclaire. Terre qui me portez, vous n'êtes point ma mère : Un dieu sans doute est mon auteur : Je le sens, il me parle, il respire en mon coeur. Elle s'assied au bord d'une fontaine.Ciel ! Est-ce moi que j'envisage ? Le cristal de cette onde est le miroir des cieux : La nature s'y peint : plus j'y vois mon image, Plus je dois rendre grâce aux dieux. NYMPHES et TITANS. On danse autour d'elle.Pandore, fille de l'Amour, Charmes naissants, beauté nouvelle, Inspirez à jamais, sentez à votre tour Cette flamme immortelle Dont vous tenez le jour. On danse. PANDORE, apercevant Prométhée au milieu des Nymphes. Quel objet attire mes yeux ! De tout ce que je vois, dans ces aimables lieux, C'est vous, c'est vous, sans doute, à qui je dois la vie. Du feu de vos regards que mon âme est remplie ! Vous semblez encor m'animer. PROMÉTHÉE. Vos beaux yeux ont su m'enflammer Lorsqu'ils ne s'ouvraient pas encore : Vous ne pouviez répondre, et j'osais vous aimer. Vous parlez, et je vous adore. PANDORE. Vous m'aimez ! Cher auteur de mes jours commencés, Vous m'aimez ! Et je vous dois l'être ! La terre m'enchantait : que vous l'embellissez ! Mon coeur vole vers vous, il se rend à son maître : Et je ne puis connaître Si ma bouche en dit trop, ou n'en dit pas assez. PROMÉTHÉE. Vous n'en sauriez trop dire, et la simple nature Parle sans feinte et sans détour. Que toujours la race future Prononce ainsi le nom d'Amour ! ENSEMBLE. Charmant Amour, éternelle puissance, Premier dieu de mon coeur, Amour, ton empire commence : C'est l'empire du bonheur. PROMÉTHÉE. Ciel ! quelle épaisse nuit, quels éclats du tonnerre, Détruisent les premiers instants Des innocents plaisirs que possédait la terre ! Quelle horreur a troublé mes sens ! ENSEMBLE. La terre frémit, le ciel gronde : Des éclairs menaçants Ont percé la voûte profonde De ces astres naissants. Quel pouvoir ébranle le monde Jusqu'en ses fondements ? On voit descendre un char sur lequel sont Mercure, la Discorde, Némésis, etc. MERCURE. Un héros téméraire a pris le feu céleste : Pour expier ce vol audacieux, Montez, Pandore, au sein des dieux. PROMÉTHÉE. Tyrans cruels ! PANDORE. Ordre funeste ! Larmes que j'ignorais, vous coulez de mes yeux. MERCURE. Obéissez, montez aux cieux. PANDORE. Ah ! J'étais dans le ciel en voyant ce que j'aime. PROMÉTHÉE. Cruels ! ayez pitié de ma douleur extrême. PANDORE et PROMÉTHÉE. Barbares, arrêtez. MERCURE. Venez, montez aux cieux, partez : Jupiter commande : Il faut qu'on se rende À ses volontés. Venez, montez aux cieux, partez. Vents, obéissez-nous, et déployez vos ailes : Vents, conduisez Pandore aux voûtes éternelles. Le char disparaît. PROMÉTHÉE. On l'enlève : tyrans jaloux, Dieux, vous m'arrachez mon partage : Il était plus divin que vous : Vous étiez malheureux, vous étiez en courroux Du bonheur qui fut mon ouvrage : Je ne devais qu'à moi ce bonheur précieux. J'ai fait plus que Jupiter même, Je me suis fait aimer. J'animais ces beaux yeux : Ils m'ont dit en s'ouvrant : Vous m'aimez, je vous aime. Elle vivait par moi, je vivais dans son coeur, Dieux jaloux, respectez nos chaînes. Ô Jupiter ! Ô fureurs inhumaines ! Éternel persécuteur, De l'infortune créateur;Tu sentiras toutes mes peines. Je braverai ton pouvoir : Ta foudre épouvantable Sera moins redoutable Que mon amour au désespoir. ACTE III Le théâtre représente le palais de Jupiter, brillant d'or et de lumière. SCÈNE I. Jupiter, Mercure. JUPITER. Je l'ai vu cet objet sur la terre animé : Je l'ai vu, j'ai senti des transports qui m'étonnent : Le ciel est dans ses yeux, les grâces l'environnent : Je sens que l'Amour l'a formé. MERCURE. Vous régnez, vous plairez, vous la rendrez sensible, Vous allez éblouir ses yeux à peine ouverts. JUPITER. Non, je ne fus jamais que puissant et terrible : Je commande à l'Olympe, à la terre, aux enfers : Les coeurs sont à l'Amour. Ah ! que le sort m'outrage ! Quand il donna les cieux, quand il donna les mers, Quand il divisa l'univers, L'Amour eut le plus beau partage. MERCURE. Que craignez-vous ? Pandore à peine a vu le jour, Et d'elle-même encore à peine a connaissance : Aurait-elle senti l'amour Dès le moment de sa naissance ? JUPITER. L'Amour instruit trop aisément. Que ne peut point Pandore ? Elle est femme, elle est belle. La voilà : jouissons de son étonnement. Retirons-nous pour un moment Sous les arcs lumineux de la voûte éternelle. Cieux, enchantez ses yeux, et parlez à son coeur : Vous déploierez en vain ma gloire et ma splendeur : Vous n'avez rien de si beau qu'elle. Il se retire. PANDORE. À peine j'ai goûté l'aurore de la vie : Mes yeux s'ouvraient au jour, mon coeur à mon amant : Je n'ai respiré qu'un moment. Douce félicité, pourquoi m'es-tu ravie ? On m'avait fait craindre la mort : Je l'ai connue, hélas ! Cette mort menaçante : N'est-ce pas mourir, quand le sort Nous ravit ce qui nous enchante ? Dieux, rendez-moi la terre et mon obscurité, Ce bocage où j'ai vu l'amant qui m'a fait naître : Il m'avait deux fois donné l'être : Je respirais, j'aimais : quelle félicité ! À peine j'ai goûté l'aurore de la vie, etc. Tous les dieux avec tous leurs attributs entrent sur la scène. CHOEUR DES DIEUX. Que les astres se réjouissent ! Que tous les dieux applaudissent Au dieu de l'univers ! Devant lui les soleils pâlissent. NEPTUNE. Que le sein des mers, PLUTON. Le fond des enfers, CHOEUR DES DIEUX. Les mondes divers, Retentissent D'éternels concerts. Que les astres se réjouissent ! Que tous les dieux applaudissent Au dieu de l'univers ! Devant lui les soleils pâlissent. PANDORE. Que tout ce que j'entends conspire à m'effrayer ! Je crains, je hais, je fuis cette grandeur suprême. Qu'il est dur d'entendre louer Un autre dieu que ce que j'aime ! LES TROIS GRÂCES. Fille du charmant Amour, Régnez dans son empire : La terre vous désire, Le ciel est votre cour. PANDORE. Mes yeux sont offensés du jour qui m'environne : Rien ne me plaît, et tout m'étonne. Mes déserts avaient plus d'appas. Disparaissez, ô splendeur infinie ! Mon amant ne vous voit pas. On entend un symphonie.Cessez, inutile harmonie ! Il ne vous entend pas. Le choeur recommence. Jupiter sort d'un nuage. JUPITER. Nouveau charme de la nature, Digne d'être éternel, Vous tenez de la terre un corps faible et mortel, Et vous devez cette âme inaltérable et pure Au feu sacré du ciel. C'est pour les dieux que vous venez de naître : Commencez à jouir de la divinité : Goûtez auprès de votre maître L'heureuse immortalité. PANDORE. Le néant d'où je sors à peine Est cent fois préférable à ce présent cruel : Votre immortalité, sans l'objet qui m'enchaîne, N'est rien qu'un supplice immortel. JUPITER. Quoi ! Méconnaissez-vous le maître du tonnerre ? Dans les palais des dieux regrettez-vous la terre. PANDORE. La terre était mon vrai séjour : C'est là que j'ai senti l'amour. JUPITER. Non, vous n'en connaissez qu'une image infidèle, Dans un monde indigne de lui. Que l'amour tout entier, que sa flamme éternelle, Dont vous sentiez une étincelle, De tous ses traits de feu nous embrase aujourd'hui PANDORE. Je les ai tous sentis, du moins j'ose le croire : Ils ont égalé mes tourments. Ah ! Vous avez pour vous la grandeur et la gloire : Laissez les plaisirs aux amants. Vous êtes dieu, l'encens doit vous suffire : Vous êtes dieu, comblez mes voeux. Consolez tout ce qui respire : Un dieu doit faire des heureux. JUPITER. Je veux vous rendre heureuse, et par vous je veux l'être. Plaisirs, qui suivez votre maître, Ministres plus puissants que tous les autres dieux, Déployez vos attraits, enchantez ses beaux yeux : Plaisirs, vous triomphez dès qu'on peut vous connaître. Les Plaisirs dansent autour de Pandore en chantant ce qui suit. CHOEUR. Aimez, aimez, et régnez avec nous : Le dieu des dieux est seul digne de vous. UNE-VOIX. Sur la terre on poursuit avec peine Des plaisirs l'ombre légère et vaine : Elle échappe, et le dégoût la suit. Si Zéphire un moment plaît à Flore, Il flétrit les fleurs qu'il fait éclore : Un seul jour les forme et les détruit. CHOEUR. Aimez, aimez, et régnez avec nous : Le dieu des dieux est seul digne de vous. UNE-VOIX. Les fleurs immortelles Ne sont qu'en nos champs. L'Amour et le Temps Ici n'ont point d'ailes. CHOEUR. Aimez, aimez, et régnez avec nous : Le dieu des dieux est seul digne de vous. PANDORE. Oui, j'aime, oui, doux plaisirs, vous redoublez ma flamme : Mais vous redoublez ma douleur. Dieux charmants, si c'est vous qui faites le bonheur, Allez au maître de mon âme. JUPITER. Ciel ! Ô ciel ! Quoi ! Mes soins ont ce succès fatal ? Quoi ! J'attendris son âme, et c'est pour mon rival ! MERCURE, arrivant sur la scène. Jupiter, arme-toi du foudre : Prends tes feux, va réduire en poudre Tes ennemis audacieux. Prométhée est armé : les Titans furieux Menacent les voûtes des cieux : Ils entassent des monts la masse épouvantable : Déjà leur foule impitoyable Approche de ces lieux. JUPITER. Je les punirai tous... Seul, je suffis contre eux. PANDORE. Quoi ! Vous le puniriez, vous qui causez sa peine ? Vous n'êtes qu'un tyran jaloux et tout-puissant. Aimez-moi d'un amour encor plus violent, Je vous punirai par ma haine. JUPITER. Marchons, et que la foudre éclate devant moi. PANDORE. Cruel ! Ayez pitié de mon mortel effroi : Jugez de mon amour, puisque je vous implore. JUPITER, à Mercure. Prends soin de conduire Pandore. Dieux, que mon coeur est désolé ! J'éprouve les horreurs qui menacent le monde. L'univers reposait dans une paix profonde :Une beauté parait, l'univers est troublé. Il sort. PANDORE. Ô jours de ma naissance ! ô charmes trop funestes ! Désirs naissants, que vous étiez trompeurs ! Quoi ! la beauté, l'amour, et les faveurs célestes, Tous les biens ont fait mes malheurs ! Amour, qui m'as fait naître, apaise tant d'alarmes : N'es-tu pas souverain des dieux ? Viens sécher mes larmes, Enchaîne et désarmes La terre et les cieux. ACTE IV Le théâtre représente les Titans armés, et des montagnes dans le fond : plusieurs géants sont sur les montagnes, et entassent des rochers. SCÈNE I. Prométhée, Les Titans. ENCELADE. Oui, nos frères et nous, et toute la nature, Ont senti ta cruelle injure. La terrible vengeance est déjà dans nos mains :Vois-tu ces monts pendants en précipices ? Vois-tu ces rochers entassés ? Ils seront bientôt renversés Sur les barbares dieux qui nous ont offensés. Nous punirons les injustices De nos tyrans jaloux, par nos mains terrassés. PROMÉTHÉE. Terre, contre le ciel apprends à te défendre. Trompettes et tambours, organes des combats, Pour la première fois vos sons se font entendre : Éclatez, guidez nos pas. On sort au son des trompettes.Le ciel sera le prix de votre heureux courage. Amis, je ne prétends que Pandore et sa foi. Laissez-moi ce juste partage : Marchez, Titans, et suivez-moi. CHOEURS DE TITANS. Courons aux armes Contre ces dieux cruels : Répandons les alarmes Dans les coeurs immortels. Courons aux armes Contre ces dieux cruels. PROMÉTHÉE. Le tonnerre en éclats répond à nos trompettes. Un char, qui porte les dieux, descend sur les montagnes, au bruit du tonnerre. Pandore est auprès de Jupiter. Prométhée continue.Jupiter quitte ses retraites : La foudre a donné le signal : Commençons ce combat fatal. Les géants montent. CHOEURS DE NYMPHES, qui bordent le théâtre. Tambours, trompettes, et tonnerre, Dieux et Titans, que faites-vous ? Vous confondez, par vos terribles coups, Les enfers, le ciel et la terre. Bruit du tonnerre et des trompettes. LES TITANS. Cédez, tyrans de l'univers : Soyez punis de vos fureurs cruelles : Tombez, tyrans. LES DIEUX. Mourez, rebelles. LES TITANS. Tombez, descendez dans nos fers. LES DIEUX. Précipitez-vous aux enfers. PANDORE. Terre, ciel, ô douleur profonde ! Dieux, Titans, calmez mou effroi. J'ai causé les malheurs du monde : Terre, ciel, tout périt pour moi. LES TITANS. Lançons nos traits. LES DIEUX. Frappez, tonnerre. LES TITANS. Renversons les dieux. LES DIEUX. Détruisons la terre. ENSEMBLE. Tombez, descendez dans nos fers : Précipitez-vous aux enfers. Il se fait un grand silence : un nuage brillant descend : le Destin paraît un milieu des nuages. LE DESTIN. Arrêtez : le Destin, qui vous commande à tous, Veut suspendre vos coups. Il se fait encore un silence. PROMÉTHÉE. Être inaltérable, Souverain des temps, Dicte à nos tyrans Ton ordre irrévocable. CHOEUR. Ô Destin, parle, explique-toi : Les dieux fléchiront sous ta loi. LE DESTIN, au milieu des dieux, qui se rassemblent autour de lui. Cessez, cessez, guerre funeste : Ce jour forme un autre univers. Souverains du séjour céleste, Rendez Pandore à ses déserts. Dieux, comblez cet objet de tous vos dons divers. Titans, qui jusqu'au ciel avez porté la guerre, Malheureux, soyez terrassés : À jamais gémissez Sous ces monts renversés, Qui vont retomber sur la terre. Les rochers se détachent et retombent. Le char des dieux descend sur la terre. On remet Pandore à Prométhée. JUPITER. Ô Destin ! Le maître des dieux Est l'esclave de la puissance. Eh bien ! sois obéi : mais que ce jour commence Le divorce éternel de la terre et des cieux. Némésis, sors des sombres lieux. Némésis sort du fond du théâtre, et Jupiter continue.Séduis le coeur, trompe les yeux De la beauté qui m'offense. Pandore, connais ma vengeance Jusque dans mes dons précieux. Que cet instant commence Le divorce éternel de la terre et des cieux. ACTE V Le théâtre représente un bocage, à travers lequel on voit les débris des rochers. SCÈNE I. Prométhée, Pandore. PANDORE, tenant la boîte. Eh quoi ! Vous me quittez, cher amant que j'adore ? Êtes-vous soumis ou vainqueur ? PROMÉTHÉE. La victoire est à moi, si vous m'aimez encore. L'Amour et le Destin parlent en ma faveur. PANDORE. Eh quoi ! Vous me quittez, cher amant que j'adore ? PROMÉTHÉE. Les Titans sont tombés : plaignez leur sort affreux. Je dois soulager leur chaîne. Apprenons à la race humaine À secourir les malheureux. PANDORE. Demeurez un moment. Voyez votre victoire. Ouvrons ce don charmant du souverain des dieux : Ouvrons. PROMÉTHÉE. Que faites-vous ? Hélas ! Daignez me croire. Je crains tout d'un rival : et ces soins curieux Sont des pièges nouveaux que vous tendent les dieux. PANDORE. Quoi ! Vous pensez... ? PROMÉTHÉE. Songez à ma prière, Songez à l'intérêt de la nature entière, Et du moins attendez mon retour en ces lieux. PANDORE. Eh bien ! Vous le voulez : il faut vous satisfaire. Je soumets ma raison : je ne veux que vous plaire. Je jure, je promets à mes tendres amours De vous croire toujours. PROMÉTHÉE. Vous me le promettez ? PANDORE. J'en jure par vous-même. On obéit dès que l'on aime. PROMÉTHÉE. C'en est assez, je pars, et je suis rassuré. Nymphes des bois, redoublez votre zèle : Chantez cet univers détruit et réparé. Que tout s'embellisse à son gré, Puisque tout est formé pour elle. Il sort. UNE NYMPHE. Voici le siècle d'or, voici le temps de plaire. Doux loisir, ciel pur, heureux jours, Tendres amours, La nature est votre mère. Comme elle durez toujours. UNE AUTRE NYMPHE. La discorde, la triste guerre, Ne viendront plus nous affliger : Le bonheur est né sur la terre. Le malheur était étranger. Les fleurs commencent à paraître : Quelle main pourrait les flétrir ? Les plaisirs s'empressent de naître : Quels tyrans les feraient périr ? LE CHOEUR répète. Voici le siècle d'or, voici le temps de plaire. Doux loisir, ciel pur, heureux jours, Tendres amours, La nature est votre mère. Comme elle durez toujours. UNE NYMPHE. Vous voyez l'éloquent Mercure : Il est avec Pandore, il confirme en ces lieux, De la part du maître des dieux, La paix de la nature. Les nymphes se retirent : Pandore s'avance avec Némésis, qui paraît sous la figure de Mercure. NÉMÉSIS. Je vous l'ai déjà dit, Prométhée est jaloux : Il abuse de sa puissance. PANDORE. Il est l'auteur de ma naissance, Mon roi, mon amant, mon époux. NÉMÉSIS. Il porte à trop d'excès les droits qu'il a sur vous. Devait-il jamais vous défendre De voir ce don charmant que vous tenez des dieux ? PANDORE. Il craint tout : son amour est tendre, Et j'aime à complaire à ses voeux. NÉMÉSIS. Il en exige trop, adorable Pandore : Il n'a point fait pour vous ce que vous méritez. Il put en vous formant vous donner des beautés Dont vous manquez peut-être encore. PANDORE. Il m'a fait un coeur tendre, il me charme, il m'adore : Pouvait-il mieux m'embellir ? NÉMÉSIS. Vos charmes périront. PANDORE. Vous me faites frémir ! NÉMÉSIS. Cette boîte mystérieuse Immortalise la beauté : Vous serez, en ouvrant ce trésor enchanté, Toujours belle, toujours heureuse : Vous régnerez sur votre époux : Il sera soumis et facile. Craignez un tyran jaloux : Formez un sujet docile. PANDORE. Non, il est mon amant, il doit l'être à jamais. Il est mon roi, mon dieu, pourvu qu'il soit fidèle. C'est pour l'aimer toujours qu'il faut être immortelle : C'est pour le mieux charmer que je veux plus d'attraits. NÉMÉSIS. Ah ! C'est trop vous en défendre : Je sers vos tendres amours : Je ne veux que vous apprendre À plaire, à brûler toujours. PANDORE. Mais n'abusez-vous point de ma faible innocence ? Auriez-vous tant de cruauté ? NÉMÉSIS. Ah ! Qui pourrait tromper une jeune beauté ? Tout prendrait votre défense. PANDORE. Hélas ! Je mourrais de douleur, Si je méritais sa colère, Si je pouvais déplaire Au maître de mon coeur. NÉMÉSIS. Au nom de la nature entière, Au nom de votre époux, rendez-vous à ma voix. PANDORE. Ce nom l'emporte, et je vous crois : Ouvrons. Elle ouvre la boîte : la nuit se répand sur le théâtre, et l'on entend un bruit souterrain.Quelle vapeur épaisse, épouvantable, M'a dérobé le jour, et troublé tous mes sens ? Dieu trompeur, ministre implacable ! Ah ! Quels maux affreux je ressens ! Je me vois punie et coupable. NÉMÉSIS. Fuyons de la terre et des airs. Jupiter est vengé, rentrons dans les enfers. Némésis s'abîme : Pandore est évanouie sur un lit de gazon. PROMÉTHÉE arrive au fond du théâtre. Ô surprise ! Ô douleur profonde ! Fatale absence ! Horribles changements ! Quels astres malfaisants Ont flétri la face du monde ? Je ne vois point Pandore : elle ne répond pas Aux accents de ma voix plaintive. Pandore ! mais, hélas ! de l'infernale rive Les monstres déchaînés volent dans ces climats. LES FURIES ET LES DÉMONS, accourant sur le théâtre. Les temps sont remplis : Voici notre empire : Tout ce qui respire Nous sera soumis. La triste froidure Glace la nature Dans les flancs du Nord. La Crainte tremblante, L'injure arrogante, Le sombre Remord, La Guerre sanglante, Arbitre du sort, Toutes les furies Vont avec transport Dans ces lieux impies Apporter la mort. PROMÉTHÉE. Quoi ! La mort en ces lieux s'est donc fait un passage ! Quoi ! La terre a perdu son éternel printemps, Et ses malheureux habitants Sont tombés en partage A la fureur des dieux, de l'enfer, et du temps ! Ces nymphes de leurs pleurs arrosent ce rivage. Pandore ! Cher objet, ma vie et mon image, Chef-d'oeuvre de mes mains, idole de mon coeur, Répondez à ma douleur. Je la vois, de ses sens elle a perdu l'usage. PANDORE. Ah ! Je suis indigne de vous : J'ai perdu l'univers, j'ai trahi mon époux. Punissez-moi : nos maux sont mon ouvrage. Frappez. PROMÉTHÉE. Moi, la punir ! PANDORE. Frappez, arrachez-moi Cette vie odieuse Que vous rendiez heureuse, Ce jour que je vous dois. CHOEUR DE NYMPHES. Tendre époux, essuyez ses larmes : Faites grâce à tant de beauté : L'excès de sa fragilité Ne saurait égaler ses charmes. PROMÉTHÉE. Quoi ! Malgré ma prière, et malgré vos serments, Vous avez donc ouvert cette boîte odieuse ? PANDORE. Un dieu cruel, par ses enchantements, A séduit ma raison faible et trop curieuse. Ô fatale crédulité ! Tous les maux sont sortis de ce don détesté, Tous les maux sont venus de la triste Pandore. L'AMOUR, descendant du ciel. Tous les biens sont à vous, l'Amour vous reste encore. Le théâtre change, et représente le palais de l'Amour. L'AMOUR, continue. Je combattrai pour vous le Destin rigoureux. Aux humains j'ai donné l'être : Ils ne seront point malheureux Quand ils n'auront que moi pour maître. PANDORE. Consolateur charmant, dieu digne de mes voeux, Vous qui vivez dans moi, vous, l'âme de mon âme, Punissez Jupiter en redoublant la flamme Dont vous nous embrasez tous deux. PROMÉTHÉE ET PANDORE. Le ciel en vain sur nous rassemble Les maux, la crainte, et l'horreur de mourir. Nous souffrirons ensemble, Et ce n'est point souffrir. L'AMOUR. Descendez, douce Espérance, Venez, Désirs flatteurs : Habitez dans tous les coeurs, Vous serez leur jouissance. Fussiez-vous trompeurs, C'est vous qu'on implore : Par vous on jouit, Au moment qui passe et qui fuit, Du moment qui n'est pas encore. PANDORE. Des destins la chaîne redoutable Nous entraîne à d'éternels malheurs : Mais l'Espoir, à jamais secourable, De ses mains viendra sécher nos pleurs. Dans nos maux il sera des délices : Nous aurons de charmantes erreurs : Nous serons au bord des précipices, Mais l'Amour les couvrira de fleurs. ==================================================