Origine des différents théâtres établis à Paris

Texte tiré de l'ouvrage de M. de LÉRIS .- Dictionnaire portatif historique et littéraire des théâtres, concernant l'origine des différents théâtre de Paris.- Paris : Chez C.A. Jombert, M DCC. LXIII [1763].

Les débuts

Selon plusieurs auteurs, les Gaulois et les Francs avaient des jeux et des spectacles pour l’exercice du corps et celui de l’esprit. On place ensuite en France l’origine des histrions, farceurs, ou bouffons, au temps de la première race de nos Rois ; mais ce qu’il y a de bien certain à cet égard, c’est que Charlemagne les supprima par une ordonnance de 789, à cause de l’indécence des jeux.

Cette défense donna lieu à un abus encore plus condamnable ; car le peuple, toujours empressé pour le spectacle, sous le prétexte de célébrer la Fête des Saints, vit représenter les farces jusque dans les églises ; et même dans quelques unes on jouait, sous le nom de la Fête des fous, les bouffonneries les plus sacrilèges, et l’on chantait les chansons les plus libres.

Ce dérèglement dura jusqu’en 1198, qu’Eudes de Sully, évêque de Paris, censura par un mandement ces profanations, et les réprima même en partie ; mais elles subsistèrent jusqu’en 1444, que la faculté de théologie les ayant condamnées avec encore plus de vigueur, les histrions furent chassés, et leurs jeux abolis entièrement.

Quelques poètes venus vers le milieu du douzième siècle, de provinces méridionales de la France, où ils étaient connus sous le nom de trouvères ou troubadours, ayant imaginé un genre de poème plus épuré, le mirent en action sous le nom de chant, chanterel, de pastorale, de comédie, etc et ces nouveaux spectacles, qu’ils représentaient eux-mêmes, et où l’oreille était affectée par la rime, et l’esprit et le coeur plus intéressés par le sujet, réussirent beaucoup.

Bientôt après aux troubadours se joignirent des chanteurs, qui mirent en musique leurs poésies, et des jongleurs qui les accompagnèrent de leurs instruments ; ce qui mit ce genre de spectacle, inconnu jusqu’alors, en si grande réputation, que toutes les cours de l’Europe voulurent en avoir de semblables ; les grands seigneurs et les gens riches même les attirèrent à l’envi chez eux, et n’épargnèrent rien pour les animer.

Peu à peu la mauvaise conduite des troubadours les ayant fait tomber dans le mépris, la mode en passa, et ils furent obligés de se disperser, surtout en 1382, après la mort de la Comtesse de Provence, qui les avaient extrêmement protégés. Cependant Philippe Auguste, qui avait été le premier à les chasser de son royaume, ayant été informé qu’ils s’étaient corrigés pour la plupart, et que leurs jeux étaient plus épurés, les rappela, et les rois ses successeurs les comblèrent de grâces dans les suites, mais pourtant les assujettirent à une police qui les contenait. Ils se multiplièrent, et il se forma en outre des troupes sous le nom de bateleurs, dont les jeux consistaient principalement dans les exercices du corps.

Sous le règne de Saint-Louis, les pèlerins qui revenaient des lieux saints se mirent dans le goût de réciter et de chanter publiquement dans les carrefours de Paris, les cantiques qu’ils avaient composés sur leurs voyages ; de riches particulier, édifiées de ces déclamations, se cotisèrent et achetèrent un lieu situé de façon que ces pèlerins puissent élever un théâtre et y chanter leurs cantiques plus commodément. Ce projet fut à peine exécuté, qu’on s’imagina de mettre la plupart de ces cantiques en action, sous le nom de Mystère, et le premier qui fut représenté publiquement, fut le Mystère de la Passion. La peuple applaudit si fort à ce spectacle, qui s’était donné au bourg de Saint Maur, et y revint avec tant d’affluence, que le prévôt de Paris craignant que cet enthousiasme ne dégénérât en fanatisme, rendit le 3 juin 1398 une ordonnance, portant défense de représenter à l’avenir ce mystère ni aucune vie des saints.

Charles VI sollicité par ces nouveaux acteurs d’accorder leur rétablissement, voulut avant que de rien statuer, juger par lui-même d’un spectacle qui avait déjà fait tant de bruit, et il en sortit, dit-on, si satisfait, qu’il leur accorda le 4 décembre 1402 des lettres pour former un établissement afin qu’il fussent à l’abri de toute crainte. En vertu de ce privilège, les pèlerins, qui prirent alors le titre de «  Confrères de la Passion », se placèrent à l’Hôpital de la Trinité, où ils représentèrent, toutes les Fêtes et Dimanches, des mystères tirés du nouveau testament ; et les curés même voyant que ces spectacles étaient très agréables au public, avancèrent l’heure des vêpres, afin que tous leurs paroissiens pussent s’y retrouver.

Cet établissement fit un si grand bruit, que presque toutes les viles désirèrent d’en former de semblables ; celles de Rouen, d’Angers et de Metz furent les premières qui en fondèrent : elles furent suivies par toutes les autres villes du Royaume ; et malgré les guerres civiles, ces spectacles continuèrent d’avoir la même réussite.

Comme dans le suite, cependant, la gravité de ces représentations de mystères commençaient à moins intéresser, les Confrères imaginèrent de les entremêler de différents divertissements : pour cet effet, il s’associèrent avec le «  Prince des sots » et ses sujets.

Du Théâtre de la Trinité à Hôtel de Bourgogne

Ces comédiens, ou pour mieux dire, ces farceurs, s’étaient établis à Paris quelques années auparavant sous le nom d’ « Enfants sans souci » : c’étaient de jeunes gens de famille, bien élevés, mais aimant l’indépendance et le plaisir, qui s’étaient formés en société. Il avaient élu un chef auquel ils avaient déféré le titre de « Prince des sots » ou de la Sottise. Ils réussirent d’autant mieux, qu’ils inventèrent un genre de farce qui renfermait d’abord une critique fine et censée des moeurs. Ils jouèrent sur le Théâtre de la Trinité jusqu’en 1540, avec le même succès. Mais les Confrères ayant été obligés de sortir de cette maison, ils louèrent une partie de l’Hôtel de Flandre, s’y établirent, et y restèrent jusqu’en 1543, que François Ier ayant besoin de cette maison et de plusieurs autres qui l’environnaient, en ordonna la démolition ; ce qui leur fit prendre la résolution, afin de n’être plus obligés de déloger si souvent, d’acheter une partie de l’Hôtel de Bourgogne (qui tombait en ruine, et se trouvait sans maître depuis la mort de Charles le Hardi, dernier duc de Bourgogne, tué au siège de Nancy), d’y bâtir une salle avec un théâtre et d’y continuer leurs représentations ; ce qu’ils exécutèrent. Ce bâtiment subsiste [en 1763] encore rue Française, et l’on voit toujours sur la porte les instruments de la Passion.

Quelque temps après, c'est-à-dire le 19 novembre 1548, le Parlement confirma par un arrêt les privilèges des Confrères de la Passion, mais à la condition expresse, « de ne jouer à l’avenir que des sujets profanes, licites et honnêtes, et de ne plus entremêler dans leurs jeux rien qui eût rapport aux Mystère et à la religion », avec défenses à tous autres de s’immiscer en ces choses. La première disposition de cet arrêt les engagea à louer leur théâtre à une troupe de comédiens, déjà formée apparemment depuis que la farce était à la mode, et ils se réservèrent deux loges, pour assister au spectacle gratis ; c’était les plus proches du théâtre, distinguées par des barreaux, et on les nommait les loges des maîtres.

Il subsistait encore à Paris vers ce même temps, un spectacle presque aussi ancien que celui des Confrères de la Passion ; c’était celui des « Clercs de la Basoche ». Ces clercs s’étaient rendus recommandables depuis longtemps par leurs poésies. Excités par les premiers succès des mystères, ils demandèrent la permission de jouer aussi leurs ouvrages : mais le privilège exclusif dont les Confrères étaient déjà en possession, ayant empêché qu’on le leur accordât, ils imaginèrent un autre moyen. Ils composèrent des pièces sous le titre de « Moralités », dans lesquelles, en personnifiant les vertus et les vices, ils s’attachèrent à faire estimer autant les premières, qu’à rendre les autres odieux, et représentèrent une de ces pièces avec toute la pompe imaginable, le jour de l’une de leur Fêtes. Les applaudissements qu’ils reçurent les engagèrent à continuer, ce ne fut d’abord que trois fois par an qu’ils donnèrent de ces représentations, et toujours avec le même appareil, savoir le jeudi d’après les Rois, le jour de la cérémonie de Mai dans le Cour du Palais, et la troisième quelques jours après ; mais dans les suites ils saisirent toutes les occasions qui se présentaient, comme entrées de Rois et des Reines, victoires remportées sur les ennemis, naissances ou mariage des princes et princesses, etc.

À la représentation de leurs moralités, les Basochiens ajoutèrent bientôt des farces, qui étaient des espèces de satyres.

Il n'attaquèrent d’abord que leurs camarades, mais s'enhardissaient peu à peu, ils ne vinrent au point de jouer les gens en place, de façon que leurs pièces furent bientôt des libelles diffamatoires, qui rendaient odieux au peuple les gens qui leur déplaisaient.

Cet abus, loin d'être réprimé, augmenta encore à cause des troubles ; chaque chef de parti engageant les Basochiens à rendre défavorable ceux qui leur étaient opposés. Mais Charles VII ayant obligé les anglais à repasser la mer, songea à réformer les dérèglements, et on commença par faire défendre par le parlement aux clercs de la Basoche, de rien mettre dans leurs farces qui put offenser la réputation des citoyens, ou blesser la pureté des moeurs. N'ayant pas obéi bien exactement, ces défenses furent renouvelées quelques temps après, et ils reçurent ordre de ne représenter à l'avenir aucune pièce qui n'ait été examinée, et ensuite permise par le Parlement. Enfin après bien des permissions et des défenses successives, il fut absolument enjoint aux Basochiens, en 1547, de ne représenter aucune pièce sous quelque prétexte que ce pût être ; et depuis ce temps il n'en a plus été question.

Vers le même temps de l'origine du théâtre de l'Hôtel de Bourgogne, le célèbre Jodelle, à qui la tragédie française doit sa naissance, avait occasionné l'établissement d'un théâtre au collège de Reims, et d'un autre collège de Boncourt, où il fut représenté ses pièces devant le roi Henri II.

Il s'était cependant aussi formé quelques troupes de comédiens de province ; une de celles-ci crut, en 1584, pouvoir hasarder de paraître à Paris, dans une salle qu'elle loua à l'Hôtel de Cluny ; mais au bout de quelques jours le parlement lui fit défendre de continuer.

Des comédiens italiens, de Venise, connu sous le nom de Li Gelofi, furent appelés au service du roi Henri III et jouèrent pendant les Etats de Blois, en 1577, et le roi leur permis de prendre un demi-teston de tous ceux qui les viendraient voir jouer. Après la fin des Etats ils s'établirent à Paris à l'Hôtel de Bourbon ; mais pour se distinguer ils introduisirent dans leur spectacle des pantomimes. Ayant très bien réussi, les acteurs de l'Hôtel de Bourgogne s'en alarmèrent, firent valoir leurs privilèges, et obtinrent, le 10 décembre 1588, un arrêt du Parlement qui les maintint dans leurs prérogatives, et fit défense à tous autres, tant français qu'italiens, de jouer la comédie et d'avoir aucun théâtre, sous peine d'amende et de prison.

Cette défense n'empêcha pas que des comédiens italiens ne continuassent leurs représentations, ayant été maintenus par la jussion du Roi (on peut voir à ce sujet les Mémoires pour servir d'Histoire de France, par l'Etoile, tome premier, page 78 et suivantes, et les Observations sur la comédie, par M. Riccoboni.), qu’en 1595 des comédiens venus de Paris, dans le temps de la Foire Saint-Germain, n'élevassent un théâtre dans cette foire, en vertu de ses franchises, et que malgré les opposition des Confrères de la Passion, et des acteurs de l'Hôtel de Bourgogne, qui furent même maltraités à ce sujet par le public, ils ne fussent maintenus dans ce droit, par une sentence du 5 février 1596 ; à la charge cependant de payer à ces même Confrères deux écus chaque année qu'ils joueraient. C'est à cette époque que l'on peut faire raisonnablement remonter l'origine des spectacles forains de Paris.

En 1600 une autre troupe de comédiens de province, venue à Paris pour profiter de ce privilège, obtint, par une faveur singulière, fondée apparemment sur l'agrandissement de Paris, la permission d'élever un théâtre au Marais, l'Hôtel d'Argent, situé au coin de la rue de la Poterie, près le Grève, à condition qu'ils payeraient à chaque représentation un écu tournois aux Administrateurs des Confrères de la Passion. Ayant été fort goûtés, ils se soutinrent avec succès, et se trouvant trop à l'étroit, ils passèrent quelques années après dans un jeu de Paume, au dessus de l'égout de la vieille rue du Temple, où ils subsistèrent jusqu'en 1673, que les deux troupes furent réunies.

Une nouvelle troupe de province vint s'établir, vers la fin de l'année 1632, au jeu de paume de la rue Michel-le-Comte, en vertu d'une permission accordée pour deux ans par le lieutenant civil ; mais tous les bourgeois de ce quartier se trouvant fort incommodés du concours des voitures que ce spectacle attirait, s'en plaignirent et obtinrent un arrêt du parlement, le 22 mai 1633, qui en ordonna la clôture.

Naissance de l'Illustre théâtre

En 1650 des jeunes gens de famille, qui jouaient la comédie en société, s'étant déterminés à tirer parti de leurs talents, se placèrent dans le jeu de paume de la Croix-Blanche, au faubourg Saint-Germain, et y subsistèrent pendant trois ans sous le titre de l'Illustre théâtre. Ce fut dans cette troupe de Molière débuta.

Molière étant revenu à Paris de la province, avec sa troupe au commencement de l'année 1658, obtint, après bien des sollicitations, de jouer devant le roi ; on éleva à cet effet un théâtre au Louvre, dans la salle des Gardes, et il en fit l'ouverture le 24 octobre. Sa majesté fut si contente de ce spectacle, qu'elle permis à ces nouveaux comédiens de jouer, alternativement avec les Italiens (C'était une nouvelle troupe italienne que le Cardinal Mazarin avait fait venir en 1652, et à laquelle le roi avait accordé une pension de 15 000 livres. C'est la première qui ait été arrêtée réellement au service du Roi, car celles qui avait paru en 1577, 1584 et 1588, n'avaient point été permanentes à la Cour ; et elles s'en retournaient au bout d'un ou deux ans.), sur le théâtre du Petit Bourbon, situé vis-à-vis Saint Germain l'Auxerrois, et ils y parurent pour la première fois le 3 novembre de la même année 1658.

La démolition de ce théâtre, du Petit Bourbon, ayant été ordonné, pour édifier le magnifique péristyle du Louvre, le Roi voulut que les deux troupes, françaises et italiennes, passassent dans le grande salle du Palais Royal (Cette salle contient près de trois milles personnes. Le Cardinal de Richelieu en avait fait faire une autre, dans le même palais, qui en connaît que six cents.), que le Cardinal de Richelieu, qui aimait beaucoup la poésie dramatique, avait fit bâtir pour les spectacles qu'il voulait donner. Celle de Molière y parut pour la première fois le 5 novembre 1660, sous le titre de Troupe de Monsieur.

Le 20 juillet de cette même année, les comédiens espagnols, qui avaient suivi le Reine Marie-Thérèse, débutèrent sur le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne. Ils restèrent en France jusqu'en 1672, avec une pension de sa majesté, mais ils furent contraints de s'en retourner dans leur pays, leur spectacle étant devenu désert. Il en arriva à peu près de même de la troupe de Mademoiselle de Montpensier, qui avait obtenu permission de s'établir rue des Quatre-Vents, faubourg Saint-Germain, en 1661 et qui fut obligé de s'en retourner en province au bout de quelques mois.

Le Théâtre de Tuileries

L'année 1661 fut aussi l'époque de la construction du grand théâtre des machines de Tuilleries, qui fut élevé sous le conduite et sur les dessins de Vigarani, italien, pour servir à la représentation des ballets et des comédies que Louis XIV voulait faire exécuter. Cette magnifique salle étant peu favorable à la voix, n'a presque servi depuis ce temps qu'à donner différents spectacles d'un nouveau genre, que le chevalier Servandoni, fameux architecte et peintre de perspective a inventés et offerts au public, avec beaucoup de succès, depuis une vingtaine d'années ; savoir ; le représentation de l'église Saint-Pierre de Rome, en 1738 ; Le Boîte de Pandore, en 1739 ; la Descente d'Enée aux Enfers, en 1740 ; les Travaux d'Ulysse, en 1741 ; Léandre et Hero, en 1742 ; la Forêt enchantée, tirée du Tasse en 1754 ; le Triomphe de l'Amour conjugal, en 1755 ; la Conquête du Mogol, en 1756 ; la Constance couronnée, en 1757 ; le Chute des anges rebelles, en 1758. Quelques-uns de ces sujets ont été exécutés avec tant de grandeur et un spectacle si surprenant, qu'on ne peu se lasse d'applaudir à ce genre de pantomime noble, et où le génie de l'artiste et du mécanicien trouvent moyen de se développer avec tant de grandeur, d'intérêt de vérité.

(Dans la Forêt enchantée, beaucoup de chevaliers du camp de Godefroy de Bouillon paraissaient sur le théâtre armés de toutes pièces et à cheval, ce qui faisait un très bel effet. C'est la première fois qu'on a vu des chevaux sur le théâtre en France, car cela est assez ordinaire dans les opéras d'Italie, oùcependant on n'en a jamais employé en un aussi grand nombre;).

Le sieur Raisin, organiste à Troyes, étant venu à la Foire Saint-Germain en 1662, pour faire voir une épinette à trois claviers, dont un des trois paraissait répéter tout seul les airs que l'on touchait sur les deux autres, ce qui se faisait par le moyen du fils cadet de Raisin, qui était caché dans le corps de l'épinette, et faisait mouvoir ce troisième clavier ; le Roi voulut voir cette prétendue merveille, dont le secret n'était pas encore connu, et fut si content du jeune Raisin qu'il lui fit des présents, ainsi que toute la Cour, et accorda à son père la permission de jouer la comédie sous le titre de la Troupe du Dauphin. Raisin étant mort en 1664, la veuve continua avec les enfants à jouir de ce privilège ; et ayant fait l'acquisition du jeune Baron, qui n'avait que douze ans, elle attira tout Paris, au point que tous les autres théâtres étaient déserts, et que Molière obtint un ordre du Roi pour que Baron entrât dans sa troupe, ce qui fit tomber le Théâtre de la Raisin, laquelle prit le parti de se retirer.

Naissance de l'opéra français

C'est ici le lieu de parler succinctement de l'établissement de l'Académie Royale de musique.

Le cardinal Mazarin avait tenté d'introduire l'opéra à Paris dès 1645, qu'il fit représenter a Festa Theatrale, et il fit venir à cet effet des acteurs d'Italie, qui donnèrent encore, en 1647, Orphée et Eurydice; La tragédie d'Andromède, de Pierre Corneille, avec des machines et des chants, jouée ne 1650, était encore une espèce d'opéra, ainsi que la plupart des Ballets de Bensérade, que Louis XIV commença à danser en 1651. Mais comme tout cela ne formait pas un spectacle fixe, Pierre Perrin entreprit enfin de surmonter tous les obstacles et d'établir solidement un opéra français. Il en fit l'essai en 1659 par la Patorale, dont Cambert fit la musique, et qu'il voulurent faire suivre deux ans après d'Ariane. Dans l'intervalle de ces deux pièces, c'est à dire à la fin de 1660, le Cardinal Mazarin fit encore représenter Ercole Amante. On vit aussi dans le même temps le spectacle de la Toison d'Or, qu'Alexandre de Rieux, marquis de Sourdeac, à qui l'on est redevable de la perfection des machines propres aux opéras, fit donner.

Perrin obtint enfin, le 28 juin 1669, les lettre patentes « portant permission d'établir en la ville de Paris et autres du royaume, des Académies de musique, pour chanter ne public des pièces de théâtre, comme il se pratique en Italie, en Allemagne, et en Angleterre, pendant l'espace de douze années. Mais ne pouvant soutenir seul la dépense excessive qu'exigeait un pareil établissement, Perrin s'associa pour la musique avec Cambert, pour les machines avec le maquis de Sourdeac, et pour fournir aux frais nécessaires avec le sieurs Champeron. Ces associés firent venir du Languedoc les plus habiles musiciens, qu'ils tirèrent des églises cathédrales, et on commença des répétitions dans la grande salle de l'Hôtel de Nevers. Après ces préparatifs, ayant fait dresser un théâtre dans le jeu de Paume de la rue Mazarine, vis à vis le rue Guénégaud, on y représenta, au mois de mars 1671, l'opéra de Pomone. Mais Lully ayant obtenu, au mois de mai 1672, de nouvelles lettres patentes en forme d'édit, supprimant le privilège de Perrin, et portant permission de tenir Académie Royale de Musique, fit construire un nouveau théâtre près du Luxembourg, dans le rue Vaugirard, par les soins de Viagarani, machiniste du Roi, qu'il associa pour dix années au tiers du profit, et il donna, le 15 novembre les Fêtes de l'Amour et de Bacchus. Molière étant mort pendant les représentations de cet opéra, le Roi donna à Lully la salle du Palais-Royal, où toutes les pièces de ce genre ont été représentées jusqu'à présent.

La Comédie française

Au moyen de cette dernière disposition la veuve de Molière avec sa troupe et celle du Marais réunies, se trouvant sans théâtre, elle acheta la maison sise rue Mazarine, où était celui du Marquis de Sourdeac, qui avait servi comme on l'a dit précédemment, à représenter deux opéras. Elle y fit, le 9 juillet 1673, l'ouverture de son spectacle, qui devint, cinq ans après, le seul de comédiens français à Paris, par la jonction qui se fit par ordre du Roi des troupes de l'Hôtel de Bourgogne et de celle de Guénégaud, le 25 août 1680, la salle de cette première troupe ayant été accordée aux seuls comédiens italiens. En 1677, un particulier s'avisa d'élever un Théâtre au Marais et d'y faire jouer des enfants sous le nom de Bamboches, à l'imitation du peintre ainsi nommé, et qui avait eu vers ce temps beaucoup de réputation pour peindre de petites figures ; mais cet établissement, après avoir attiré bien du monde à cause de sa singularité tomba au bout de quelques mois.

Le collège Mazarin ayant été achevé vers ce temps (1688), on représenta au Roi que le voisinage de la Comédie et de ce collège pourrait occasionner beaucoup d'inconvénients ; ce qui engagea sa majesté à faire ordonner au comédiens, le 20 juillet 1687, de placer leur théâtre dans un autre endroit. Ils cherchèrent à acquérir un lieu commode, afin d'y pouvoir former un établissement solide, et n'ayant pu s'arranger sur différents terrains qu'il eurent en vue, tels que ceux de l'Hôtel de Sourdis, de l'ancien Hôtel de Nemours, de l'Hôtel de Lussan, rue de la Croix des petits Champs, de l'Hôtel d'Auch, rue Montorgueil, il se déterminèrent enfin pour le jeu de paume de l'Etoile, situé dans le rue neuve Saint-Germain-des-Prés, avec deux maisons voisines, et c'est là où, sur les desseins de François d'Orbay, architecte en réputation, ils firent bâtir la salle que l'on voit aujourd'hui, dont l'ouverture se fit le 18 avril 1689. On assure que ce bâtiment, l'acquisition du terrain, les machines etc.. ont coûté 19 833 livres 16 sols et 6 deniers. On divisa cette somme, ainsi que la recette des comédiens, en vingt trois arts, suivant l'état qui en fut dressé, et chacun des acteurs qui avaient une part entière, participa dans le même proportion à la dépense ; ceux qui n'avaient qu'une demi ou un quart de part, de même ; ce qui subsiste encore aujourd'hui dans les frais qu'on est obligé de faire. Les comédiens italiens ne divisent leur recette qu'en quinze parts.

Les Comédiens italiens, qui étaient demeurés en possession de l'Hôtel de Bourgogne, y continuèrent leurs représentations jusqu'au mois de mai 1697, que leur théâtre fut fermé par ordre du Roi, et eux obligés de sortir de France. (Voyez La Fausse Prude)

Ce théâtre resta vacant jusqu'au mois de juin 1716, que feu le Duc d'Orléans, régent, ayant appelé une nouvelle troupe italienne à Paris, elle s'y établit après avoir, pendant le temps nécessaire à le réparer, débuté sur le Théâtre de l'Opéra. Les comédiens jouèrent en 1721, un théâtre à la Foire Saint-Laurent, et en firent l'ouverture le 25 juillet ; ils le conservèrent encore les deux années suivantes, et y firent leurs représentations durant tout le temps de cette foire. Cette troupe prit le titre de Comédiens italien de S.A.R. Monseigneur le duc d'Orléans; mais ce prince étant mort le 2 décembre 1723, elle obtint celui de Comédiens du Roi, dont elle jouit encore.

Depuis 1673, nous n'avons donc plus à Paris que trois spectacles réguliers : l'Opéra, à qui on a donné le titre d'Académie Royale de Musique ; les Comédiens français et les Comédiens italiens.

L'opéra comique

Nous n'avons point fait mention de l'Opéra-comique, parce que ce n'était qu'un spectacle forain, et qui n'a même pas toujours eu lieu depuis son établissement ; cependant pour laisser à désirer le moins qu'il sera possible, on a cru devoir en parler succinctement dans une note [ci-dessous].

Il est assez difficile de donner quelque chose de positif sur l'origine du spectacle de l'opéra-comique. On a prétendu en fixer l'époque dans l'année 1678, que la troupe d’Alart et de Maurice exécutèrent à la foire un divertissement comique en trois intermèdes, intitulé les Forces de l'Amour et de la Magie, et qui était un assemblage bizarre de plaisanteries, de saut périlleux, de machines et de danses ; cependant il serait plus naturel de fixer sa naissance dans l'année 1640, où il parut une Comédie des chansons, qui fut suivie, en 1661, d'une pastorale intitulée l'Inconstant vaincu, aussi toute en chansons, et en 1662 d'une nouvelle Comédie des chansons. Mais ce qu'il y a de certain à cet égard, c'est qu'en les comédiens forains ayant traité avec les directeurs de l'Académie Royale de Musique, donnèrent pour la première fois à leur spectacle le titre d'opéra-comique, et que Le Sage peut en être regardé comme le fondateur, par le grand nombre de jolies pièces qu'il y a fait jouer, et par la forme régulière et constante qu'il lui a pour ainsi dire donné le premier, secondé par Fuzelier et d'Orneval, ce qui attira beaucoup de monde, et causa tant de disette, et par conséquent de déplaisir aux comédiens du Théâtre français qu'ils firent valoir leurs privilèges, et obtinrent que les comédiens forains ne pourraient parler, et s'en tiendraient aux pantomimes. Ces derniers eurent recours à un expédient ; ils firent d’abord imprimer en prose sur des cartons ce que le jeu des acteurs ne pouvaient rendre, ensuite ce fut des couplets sur des airs connus que l'orchestre jouait, que des gens gagés répandus parmi les spectateurs chantaient, et que le public accompagnait ordinairement en chorus, ce qui donnait à ce spectacle une gaîté qui en fit longtemps le mérite, mais enfin en 1718, les comédiens obtinrent, par leurs plaintes réitérées, que l'opéra-comique fut tout à fait supprimé.

Il reparut cependant en 1724, et dura jusqu'en 1745, qu'on le supprima, ce qui eu lieu jusqu'en 1752, que le sieur Monet ayant obtenu la permission de le remettre sur pied, en fit l'ouverture à la Foire Saint-Germain, et le donna les années suivantes avec beaucoup de succès jusqu'en 1758, qu'il céda son privilège à plusieurs particuliers, du nombre desquels étaient MM. Favart, Corby et Mouette, qui en furent les directeurs ; et qui entre les mains desquels bien loin de dégénérer, il était redevenu si agréable au public par le nouveau genre des pièces qu'on y représentait, que les troupes de Comédiens s'en aperçurent bientôt à leur recette ; et les italiens obtinrent enfin qu'il n'aurait plus lieu à la Foire, et qu’on le réunirait à leur théâtre, ce qui fut fait au mois de janvier 1762 ; et ces comédiens donnèrent les premiers opéras-comiques le 3 février.

Usages des spectacles

Nous allons finir cette courte histoire en rapportant quelques usages de ces spectacles.

En 1609 ; une ordonnance de police défendit aux comédiens de représenter aucune comédie ou farce qu'ils ne les eussent communiquées au procureur du Roi, et encore aujourd'hui avant que de représenter une pièce nouvelle , il faut obtenir la permission de police. (Voyez à ce sujet Le Bal d'Auteuil.).

Anciennement, on ne payait d'entrée au théâtre que dix sols aux Galeries, et cinq sols au parterre ; et lorsque pour des pièces nouvelles, il convenait de faire des frais extraordinaires, le lieutenant civil du Châtelet ordonnait du prix de ces entrées. Du temps de Molière même, on ne donnait que dix sols au parterre mais peu à peu ce prix augmenta. (Voyez les Chinois). Le 25 février 1699, par arrêt du conseil, il fut haussé d'un sixième en sus, en faveur des pauvres de l'Hôpital général. Par autre arrêt du 30 août, il fut ordonné que ce sixième serait pris sans aucune charge ; au mois de février 1716, ce prix fut encore augmenté d'un neuvième au profit de l'Hôtel Dieu. Enfin présentement on prélève le quart de la recette de tous les spectacles au profit des pauvres, et il en coûte ordinairement, pour entrer au Théâtre français ou italien; savoir, au théâtre, orchestre, amphithéâtre et premières loges 4 livres, aux secondes loges 2 livres, aux troisièmes loges 30 sols, et 20 sols au parterre. Quand c'est un spectacle nouveau et qui demande une dépense extraordinaire, le prix augmente, et l'on donne 6 livres aux places de 4 livres, 3 livres aux secondes loges, et 2 livres aux troisièmes ; à l'égard du prix du parterre il n'augmente jamais.

Le prix de l'entrée à l'opéra est toujours uniforme : l'on donne 2 livres au parterre et aux troisièmes loges, 4 livres aux secondes loges, 7 livres 10 sols aux premières et à l'Amphithéâtre, et 12 livres sur le théâtre. Le concours est quelquefois si grand qu'on reçoit près de 4500 livres dans un jour. Ce recette va encore ordinairement plus haut lorsque l'on donne les trois représentations que l'Académie Royale de Musique accordées tous les ans en forme de gratification aux acteurs, pour leur capitation, parce qu'alors les places des balcons se paient volontairement 24 livres et que tout se loue.

L'Académie royale de Musique donne pour honoraire au poète et au musicien à chacun 100 livres pour chacune des dix premières représentations d'un opéra, et 50 livres pour chacune des vingt représentations suivantes.

Autrefois, les Comédiens pouvaient avoir douze violons et six voix ; mais par arrêt du conseil, du 30 avril 1673, depuis l'établissement de l'opéra, le nombre des violons fut restreint à si et celui des voix à trois.

Les auteurs qui ont composé une grande pièce ont, outre le neuvième du produit des représentations après les frais prélevés (Voyez les Rivales), leur entrée libre à la Comédie pendant trois ans ; ceux qui ont fait une pièce en trois actes, 'ont pendant deux ans, avec un douzième ; et ceux qui en ont composé une petite, l'ont seulement pendant un an, avec le dix-huitième du produit. Lorsqu'on a donné trois grandes pièces ou cinq petites, on a son entrée pour toute le vie ; au Théâtre français un auteur jouit de son entrée du joue que sa pièce est reçue.

Pour encourager les jeunes auteurs et leur faciliter de prendre connaissance suffisante du théâtre, les comédiens accordent assez souvent l'entrée à ceux qui leur ont présenté quelque pièce qu'on a trouvé trop faible pour être jouée. Chaque auteur ou actrice de la comédie a le droit de donner son entrée à un de ses amis. Les acteurs des deux théâtres se l'accordent aussi mutuellement ; enfin on ne la refuse pas non plus aux comédiens de province qui peuvent se trouver à Paris.

Un auteur qui a fait une pièce nouvelle, la remet à celui des comédiens qui, chaque semaine est chargé des petits détails de la troupe, et que, pour cette raison, on nome Semainier. Ce Semainier en fait part à l'assemblée qui se tient tous les lundis à onze heures du matin à l'Hôtel de la comédie. On y convient, à la pluralité des voix; du jour où l'on se fera la lecture de cette pièce, et le semainier a soin d'en prévenir l'auteur. Chaque acteur et actrice présents à la lecture reçoit un jeton de la valeur de trois livres, qui leur est payé par le caissier de la troupe. L'auteur seul, ou celui qui présente la pièce, a droit d'assister à l'assemblée avec les comédiens. La pièce lue, l'auteur se retire ne devant point être présent à la délibération. Le Semainier a soin de fournir trois fèves à chaque acteur et chaque actrice ; une blanche pour l'acceptation simple de la pièce ; une marbrée pour l'acceptation avec des changements, et une noire pour le refus absolu. Après que chacun, par ordre d'ancienneté, a propos ses réflexions, et que les avis ont été discutés, on procède par la voie de scrutin ; et le Semainier fait part à l'auteur du jugement de l'assemblée. S'il s'agit de faire des changements dans la pièce, et que l'auteur s'y soumette, il demande une seconde lecture, lorsqu'il croit avoir mieux réussi. Après cette lecture, qui se fait dans la même forme que la première, on décide définitivement, et l'on emploie dans ce second jugement, que des fèves blanches ou noires, pour l'acceptation ou pour le refus. Le secret est fort recommandé aux comédiens, sur tout ce qui se passe dans leurs assemblées. Si la pièce est reçue, l'auteur se munit de l'approbation de la Police ; ensuite il convient avec les comédiens du temps auquel elle sera représentée ; et ce temps est inscrit sur le registre des délibérations. Aucune pièce ne peut être jouée, qu'après avoir été présentée au Gentilhomme de la Chambre en exercice. L'auteur distribue ses rôles comme il le juge à propos; il en donne la liste au Semainier qui la communique à l'assemblée et chaque acteur reçoit le rôle qui lui est destiné.

Les auteurs ont le droit de donner des billets les jours de représentation de leurs pièces, tant qu'ils en retirent les parts ; savoir, pour six personnes à l'amphithéâtre, pour les pièces en cinq actes ; pour quatre personnes pour les pièces en trois actes ; et pour deux personnes pour les pièces en un acte. Ils ne donnent point de billets de parterre, à moins qu’ils ne le achètent. Si un auteur juge à propos de ne pas retirer sa pièce dans s nouveauté, les comédiens en continuent la représentation, et l'auteur conserve ses droits, jusqu'à ce que la recette soit deux fois de suite, ou trois fois en différents temps, au dessous de douze cents livres l'hiver, et huit cents livres l'été et alors la pièce appartient aux comédiens. Dans le cas où une pièce interrompue dans sa nouveauté, a été reprise, l'auteur n'est plus en droit de la retirer ; et elle est jouée jusqu'à ce que la recette soit, une fois seulement, au-dessous de douze cent livres l'hiver, et huit cents livres l'été ; alors il n'a plus aucun droit à prétendre. Après le sixième représentation les auteurs ont le choix des deux pièces qu'ils souhaitent que l'on joue avec les leurs.

MM. de l'Académie française sont les maîtres d'aller au Théâtre français quand bon leur semble sans rien payer : voyez à ce sujet Eryphile ; et ensuite, pour quelques particularités des spectacles ; Alcione ; l'Enfant prodige ; Isis ; le Mariage de Bacchus ; Orion ; les Précieuses ridicules, et Romulus.

   Auteurs (Leiris)

  Frise auteurs