ARLEQUIN À ALGER

COMÉDIE PARADE EN UN ACTE ET EN VAUDEVILLES

Représentée pour la première fois à Paris, sur le THÉÂTRE DU VAUDEVILLE le 25 Avril 1807.

AVRIL, M. D.CCC. VII.

PAR MM. DE ROUGEMONT ET JUSTIN

À PARIS, Chez HÉNÉE et DUMAS, impr.-lib., rue Saint-André-des-Arts, n°3, Chez MARTINET, Libraire, rue du Coq ; Chez BARBA, Libraire, au Palais du Tribunal ; Et tous les Marchands de Nouveautés.

Représentée pour la première fois à Paris, sur le THÉÂTRE DU VAUDEVILLE le 25 Avril 1807.


Publié par Paul FIEVRE, janvier 2023

Texte établi par Paul FIEVRE, août 2022

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:33.


COUPLET D'ANNONCE.

AIR : Vaudeville de l'Avare.

Arlequin,jaloux de vous plaire

Aujourd'hui, s'embarque d'Alger ;

Mais il craint certain vent contraire,

Dont il connaît, trop le danger. (bis)

Chacun de vous devient l'arbitre

Du sort de notre voyageur ;

N'allez pas user de rigueur,

Et le renvoyer à son titre. (bis)


Nous plaçons la présente édition sous la sauvergarde des Lois, et poursuivrons toutes celles qui ne seront point revêtues de notre chiffre.


PERSONNAGES. ACTEURS.

ARLEQUIN. M. LAPORTE.

COLOMBINE. Melle MINETTE.

ASTOUT, Marchand d'Esclaves. M. HYPOLITE.

La Scène se passe à Alger.


ARLEQUIN À ALGER

Le Théâtre représente une place publique ; à droite la maison d'Arlequin ; à gauche celle d'Astouf.

SCÈNE PREMIÈRE.

ASTOUF, sortant de chez lui.

Je viens de passer la revue : deux cents femmes ! Le joli fond de magasin pour un marchand d'esclaves ! Allons, cela va fort bien.

AIR NOUVEAU.

Vive le métier de corsaire !

Il mène au temple de Plutus ;

Et la richesse sur la terre

Est la première des vertus.

5   Par mes soins, mille jeunes femmes,

Font fortune dans ce pays ;

Et tout en obligeant ces dames,

Je rends service à leurs maris.

Pour cette fois, le viZir sera content de mon voyage. J'ai de quoi repeupler son sérail et renouveler ses amours. Quant au sultan, je n'ai pu remplir ses intentions.

Il tire une tablette de sa poche et lit.

« Une jeune fille de seize à dix-huit ans, blanche comme la neige, fraîche comme la rosée, grave comme une espagnole, tendre comme une italienne, aimable comme une française, et fidèle... » Fidèle ! Où diable y a-t-il gâter sa demande par cette qualité ? Elle est cause que je n'ai rien trouvé. Il faudra bien que le sultan se contente de choisir l'une de mes deux plus jolies esclaves, Ermance et Eglé... Elles réunissent d'ailleurs toutes les qualités qu'il demande... à la fidélité près.

AIR : Vaudeville de Voltaire chez Ninon.

La brune Ermance, aux yeux perçants,

10   À l'amour gaîment s'abandonne ;

Mais malgré ses dix-sept printemps,

Elle n'est fidèle à personne.

La blonde Eglé, par ses attraits,

Enchante et séduit à la ronde :

15   Mais, sans désirs et sans regrets,

Elle est fidèle à tout le monde.

Ici près demeure une jeune personne charmante, nommée Colombine, qui ferait bien mon affaire, et qui, j'en suis sûr, tournerait la tête au sultan : c'est dommage que je sois obligé de mettre à la voile dans deux heures, j'aurais cherché à la séduire par des promesses brillantes ; par un sort, magnifique ; mais il faut y renoncer. La jalousie d'Arlequin, son mari, demanderait d'ailleurs des précautions qui exigeraient beaucoup plus de teins que je n'en ai à rester ici.

SCÈNE II.
Arlequin, Astouf.

ARLEQUIN.

Oh ! you ! you ! Pauvre Arlequin ! Que vas-tu devenir ?

ASTOUF, à part.

Voilà mon homme.

ARLEQUIN.

Le plus joli perroquet !

ASTOUF.

C'est vous, seigneur Arlequin ? Vous paraissez bien affligé ?

ARLEQUIN.

C'est que j'ai du chagrin.

ASTOUF.

Que vous est-il donc arrivé ?

ARLEQUIN.

Un malheur, ah ! Un malheur dont je ne me consolerai jamais.

ASTOUF.

Racontez-moi cela, je prends beaucoup d'intérêt à ce qui vous touche.

ARLEQUIN.

Vous êtes trop bon. Vous savez, mon voisin, que j'ai une femme charmante ?

ASTOUF.

On le dit.

ARLEQUIN.

Air : Vaudeville d'Arlequin Musard.

Ma Colombine, sage et belle,

Variant ses jolis atours,

Pour paraître toujours nouvelle,

20   À l'art de changer tous les jours.

Pour me fixer et pour me plaire,

Par elle rien n'est oublié ;

Par sentiment elle est légère,

Et coquette par amitié.

ASTOUF.

Vous devez jouir d'un bonheur sans nuage ?

ARLEQUIN.

Sans nuage ? Oh ! Certainement... Si ce n'est pourtant quelques disputes.

ASTOUF.

Qui n'arrivent pas souvent.

ARLEQUIN.

Oh ! Non... Une fois par jour, plus ou moins.

ASTOUF, à part.

À merveille !

ARLEQUIN.

Nous nous boudons quelquefois toute la journée ; mais ça ne dure jamais, jusqu'au lendemain.

ASTOUF, à part.

Tant pis.

ARLEQUIN.

Hier ! Après un raccommodement, ma femme m'a fait cadeau de son portrait ; ce matin, je suis sorti de très bonne heure, dans l'intention de trouver quelque chose qui pût lui faire plaisir : en traversant le port, j'ai aperçu un perroquet qui disait : à déjeuner ! à déjeuner ! Sangodémi ! Me suis-je dit, voilà un perroquet bien élevé; si j'en faisais présent à ma chère Colombine ? À déjeuner ! À déjeuner ! C'est ce que je lui dis tous les matins ; et lorsque je n'y serai pas, elle croira m'entendre. Je l'achète donc ; et vous pouvez juger si j'étais content, le plus beau perroquet du Bengale ! Mais cela ne suffit pas, me suis-je dit.

AIR : Un homme, pour faire fin tableau.

25   Achevons de faire à présent

Ce que Colombine demande :

Un perroquet est très gourmand,

Ma femme n'est pas moins friande.

En mari complaisant, sachons

30   Prévenir les voeux de son âme ;

Alors j'achète des bonbons

Pour mon perroquet et ma femme.

Mais il est mort subitement, et voilà ce qui m'inquiète. J'ai promis un présent à Colombine, et il ne me reste plus un sequin ; je n'ose me présenter devant elle.   [ 1 Sequin : Monnaie d'or qui avait cours en Italie, où sa valeur était de 11 à 12 francs, et qui a cours en Égypte où elle vaut 6 francs.]

ASTOUF.

C'est embarrassant, j'en conviens.

ARLEQUIN.

Ma femme a la clef de notre petit trésor, et je ne possède rien... que ma batte ; encore en manque-t-il la moitié, qui a disparu hier dans un petit mouvement de vivacité... Colombine le sait bien.

ASTOUF, à part.

Si je pouvais... Excellente idée !

Haut.

Ne vous chagrinez pas, je puis vous servir.

ARLEQUIN.

Comment ?

ASTOUF.

Le moindre présent suffira pour plaire à Colombine. Dans cette saison, les fleurs sont assez rares, pour être de quelque prix, aux yeux d'une jolie femme, je vais faire un tour dans mon jardin, et je vous apporterai bientôt un bouquet magnifique.

ARLEQUIN.

Est-il possible ! Ah ! Comme elle sera contente ! Puisque vous voulez bien, Seigneur Astouf, avoir cette bonté, composez-lui, je vous prie, un bouquet bien joli.

AIR : Je ne suis plus de ces. vainqueurs.

Que chaque fleur parle à ses yeux,

Et de mon coeur soit l'interprète.

35   Le lys est beau, mais orgueilleux :

Je préfère la violette.

Que la rose au myrte amoureux

Par mille noeuds soit enlacée,

Mais placez, par un art heureux,

40   Le souci loin de la pensée.

ASTOUF.

Fiez-vous à moi, je reviens dans l'instant.

À part.

Je verrai la voisine.

SCÈNE III.

ARLEQUIN, seul.

Allons, tout va pour le mieux. Si je ne m'étais pas disputé avec Colombine, je n'aurais pas acheté un perroquet ; si je n'avais pas acheté un perroquet, je n'aurais pas acheté des bonbons ; si je n'avais pas acheté des bonbons, le perroquet ne m'aurait pas mordu, en voulant les manger ; s'il ne m'avait pas mordu, je ne lui aurais pas tordu le col, si je ne lui avais pas tordu le col, je n'aurais pas un bouquet magnifique qui vaut mieux ; si je n'avais... Mais voici Colombine.

SCÈNE IV.
Arlequin, Colombine.

ARLEQUIN.

AIR : Aussitôt que je t'aperçois.

Oui, c'est elle ; je l'aperçois.

Voilà celle que j'aime.

COLOMBINE.

Cher Arlequin, je te revois,

Mon bonheur est extrême !

45   À mon réveil je te cherchais.

ARLEQUIN.

Pour t'embrasser, moi, je rentrais;

Ma joie

Bis.

égale tes attraits.

TOUS DEUX.

Ah ! Chaque heure de la journée

Doit être une heure fortunée,

50   Lorsque, sans détour,

Bis.

On sait, par le plus doux retour,

Donner la première à l'amour.

Bis.

ARLEQUIN.

Comme te voilà fraîche et jolie !

COLOMBINE.

Toujours aimable et galant ?

ARLEQUIN.

Cela coûte si peu lorsqu'on s'aime ! Et je t'aime tous les jours davantage ; cependant, ma bonne amie, tu es ma femme depuis deux ans.

COLOMBINE.

Deux mois et trois jours.

ARLEQUIN.

En vérité ! Comme tu sais cela toi!

COLOMBINE.

Je gage que tu ne t'es levé si matin que pour me surprendre à mon réveil.

ARLEQUIN.

Oh ! J'ai bien couru.

À part.

et je n'ai rien.

COLOMBINE.

Quant à moi, je ne t'ai pas oublié ; mais voyons...

ARLEQUIN.

Voyons...

COLOMBINE.

Commençons par toi.

ARLEQUIN, à part.

Ce maudit Astouf ne vient pas, je ne sais que faire.

Haut.

Je suis le plus impatient, ma bonne amie, ainsi...

COLOMBINE.

Et moi, je suis la plus curieuse...

SCÈNE V.
Astouf, Arlequin, Colombine.

Astouf s'approche d'Arlequin en lui montrant le bouquet.

ARLEQUIN, à part.

Ah ! Le voilà.

Haut.

Eh bien ! Ma bonne amie, c'est...

Il cherche à prendre le bouquet des mains d'Astouf, sans que Colombine s'en aperçoive.

C'est un bouquet.... que

À part.

Où est donc le bouquet ?

Haut.

Enfin...

COLOMBINE.

Voyons le...

ARLEQUIN, même lazzis.

Ma bonne amie, il est....

ASTOUF, regardant Colombine.

Charmant !

ARLEQUIN.

Oui, il est charmant !

ASTOUF, de même.

C'est une rose.

ARLEQUIN, même lazzis.

Oui, une rose et mille fleurs ensemble. Mais....

Il prend le bouquet.

Le voilà, regarde.

COLOMBINE.

Ah ! Qu'il est joli !

Elle le regarde tendrement.

ASTOUF, à part.

Physionomie piquante : bon ! Voilà qui vaut cent sequins.

COLOMBINE.

AIR : Adieu, je te fuis, bois charmant.

Comme ce bouquet est galant!

ASTOUF, à part.

Quelle fraîcheur et quelle grâce !

ARLEQUIN.

Pour me payer de ce présent,

Tu permettras que je le place.

55   Maintenant, ton joli corset

Est plein de rieurs fraîches écloses,

Que j'aime à placer un bouquet

Sur la tige où viennent les roses !

Il met le bouquet sur son sein.

COLOMBINE.

Trouves-tu qu'il me sied bien ?

ASTOUF, à part.

Taille bien prise : cinquante sequins.

ARLEQUIN.

À ravir ! À toi, maintenant.

COLOMBINE.

Ce n'est qu'une paire de manchettes, que j'ai brodées moi-même.

ARLEQUIN.

Donne, donne ; oh ! Quel plaisir !

ASTOUF, à part.

Des talents ? Dix sequins.

ARLEQUIN.

Ma Colombine !

ASTOUF, à part.

Petits pieds ? Oh ! Petits pieds, cela vaut deux mille sequins !

ARLEQUIN, n'entendant que la fin.

Cela vaut bien plus ! C'est Colombine qui les a brodées.

ASTOUF, à part.

Ils s'aiment tout de bon, je le vois ; et cependant ils sont mariés ! Allons, il faut attendre.

Il sort.

SCÈNE VI.
Arlequin, Colombine.

COLOMBINE.

AIR : de la Maréchale.

Désormais

60   Plus d'orage,

Chacun sera plus sage,

Et de notre ménage

Respectera la paix.

ARLEQUIN.

J'embellirai ta vie

65   En donnant tour-à-tour,

Les jours à la folie

Et les nuits à l'amour.

COLOMBINE.

Désormais

Plus d'orage, etc.

70   Occupés de nous plaire,.

N'ayons qu'un seul désir :

Les jours de la colère

Sont volés au plaisir,

ENSEMBLE.

Oui, désormais

75   Plus sage,

Je veux, dans mon ménage,

Prévenant chaque orage,

Laisser régner la paix.

ARLEQUIN.

Puisqu'il en est ainsi, je vais te faire une confidence ; mais promets-moi bien de ne pas te fâcher ! Parce que, vois-tu, ma bonne amie, nous nous raccommodons trop souvent.

COLOMBINE.

Qu'est-ce donc ?

ARLEQUIN.

Ce bouquet est bien joli ! Mais je te destinais autre chose.

COLOMBINE.

En vérité ?

ARLEQUIN.

J'ai vu ce matin un perroquet joli ! Joli ! Et qui parle ! Qui....

À part.

Non, il ne parle plus.

Haut.

Je sais que tu en as envie depuis longtemps ; j'ai pensé, d'ailleurs, qu'à force de l'entendre dire je t'aime, il finirait par le répéter, et que cela te ferait plaisir, je l'ai acheté.

COLOMBINE.

Que tu es aimable ! Où est-il ?

ARLEQUIN.

Dans ma poche, ma bonne amie.

COLOMBINE.

Dans la poche ?

ARLEQUIN.

Oh ! Il ne risque rien ; le voilà.

COLOMBINE.

Maïs il est mort !

ARLEQUIN.

Sans doute, il est un peu mort ; mais il est bien joli !

COLOMBINE.

Comment se fait-il... ?

ARLEQUIN.

Écoute, et tu vas voir que c'est bien de sa faute. Je revenais, tenant d'une main le perroquet ; de l'autre ce cornet rempli de bonbons ; le perroquet a voulu m'aider à manger les bonbons que je t'apportais, mais il s'est trompé, et il a pris mon doigt qu'il a serré bien fort : je l'ai laissé faire pour m'assurer de ses intentions ; mais à la deuxième fois, crac ! Et le pauvre petit n'a plus recommencé.

COLOMBINE.

Est-il possible ?

ARLEQUIN.

Regarde ! Plus de perroquet, plus de bonbons !

COLOMBINE.

Comment, tu les as mangés ?

ARLEQUIN.

Oui, ma bonne amie, mais en pensant à toi.

COLOMBINE.

Très bien !

ARLEQUIN.

Oh ! Console-toi, j'en achèterai dix fois plus pour que tu en aies la part : en attendant, allons déjeuner ; car je me sens un appétit !...

COLOMBINE.

Oh ! Tu peux rester, il n'y a rien pour déjeuner.

ARLEQUIN.

Comment donc ? Et ces superbes macaronis que j'ai achetés hier ?

COLOMBINE.

Je les ai laissé brûler en brodant tes manchettes.

ARLEQUIN.

Vous avez laissé brûler les macaronis ?

COLOMBINE.

Le grand malheur !

ARLEQUIN.

C'est la seconde fois que cela arrive depuis deux ans, et, vous me dites que vous m'aimez ?

COLOMBINE.

Quel train pour une bagatelle !

ARLEQUIN.

Une bagatelle ! Voilà bien le langage des coeurs indifférents ! Une bagatelle !

COLOMBINE.

Il te sied bien de parler !

ARLEQUIN.

Brûler les macaronis !

COLOMBINE.

Tuer un perroquet !

ARLEQUIN.

Femme sans ordre !

COLOMBINE.

Homme brutal !

ARLEQUIN.

C'est affreux !

COLOMBINE.

C'est abominable !

AIR : Vaudeville d'Arlequin Musard

Ah ! voilà donc la récompense

80   De tout ce que j'ai fait pour toi ;

J'ai quitté mon père et la France,

Pour me confier à ta foi.

J'ai trompé ma famille entière,

Pour l'offrir mon coeur et ma main.

ARLEQUIN.

85   Oui, mais on ne s'arrête guère

Lorsqu'on est en si beau chemin.

COLOMBINE.

Que dis-tu ?

ARLEQUIN.

Perfide !

COLOMBINE.

Ingrat !

ARLEQUIN.

Coquette !

COLOMBINE.

Jaloux !

ARLEQUIN.

Moi ?

COLOMBINE.

AIR : Tenez, moi, je suis un bonhomme.

Quand je n'étais que ta maîtresse,

Je n'avais que des jours heureux,

Tu répondais à ma tendresse,

90   Et tu prévenais tous mes voeux.

Maintenant, brutal et sauvage,

Ton front est toujours obscurci :

Comme deux ans de mariage

Changent la tête d'un mari !

ARLEQUIN.

Oh ! Oui, je suis changé.

COLOMBINE.

Ta conduite est indigne, et tu devrais rougir...

ARLEQUIN.

Je ne veux pas rougir, moi.

COLOMBINE.

Combien je regrette d'avoir refusé Gilles !

ARLEQUIN.

Il a toujours joué de bonheur.

COLOMBINE.

Va, va, je te déteste !

ARLEQUIN.

Et moi, je t'abhorre !

ARLEQUIN ET COLOMBINE, ironiquement.

95   L'hymen est un lien charmant,

Lorsque l'on s'aime avec ivresse,

ENSEMBLE.

AIR ; Coeur infidèle, coeur volage, (de BLaise et Babet.)

À chaque instant nouvel outrage ;

C'est trop languir dans l'esclavage.

COLOMBINE.

Je romps la chaîne qui m'engage.

ARLEQUIN.

100   Ne me parle pas davantage.

COLOMBINE.

Voilà donc ce bel hyménée !

ARLEQUIN.

Voilà donc ce destin si doux !

COLOMBINE.

Je devais être fortunée.

ARLEQUIN.

Je devais faire des jaloux.

ENSEMBLE.

105   C'est trop souffrir, je me dégage;

Parjure, ingrat, jaloux, volage!

Je romps la chaîne qui m'engage.

Colombine sort.

SCÈNE VII.

ARLEQUIN, seul.

Ouf ! La voilà partie, et je puis respirer ! Il est impossible de vivre avec une femme qui se conduit ainsi. Tous les jours nouveaux sujets de querelles : lorsqu'elle me laisse un moment de repos, c'est qu'elle réfléchit aux moyens, de me faire enrager !

AIR : Trouverez-vous un Parlement.

Je t'abandonne pour jamais,

Femme ingrate, épouse infidèle ;

110   Loin de toi, je veux désormais

Servir Mahomet avec zèle.

Turcs, chez vous je veux demeurer,

Changer mon culte pour le vôtre,

Afin de ne la rencontrer

115   Ni dans ce monde ni dans l'autre.

SCÈNE VIII.
Arlequin, Astouf.

ASTOUF, à la cantonnade.

Selim, qu'on prépare tout pour mettre à la voile dans une heure.

ARLEQUIN.

Il part ! Il est bien heureux !

ASTOUF.

Ma cargaison est assez belle, deux cents femmes !...

ARLEQUIN.

Deux cents femmes !

ASTOUF.

Dont la plus âgée n'a pas dix-huit ans.

ARLEQUIN.

La jolie cargaison ! Vous faites là un drôle de commerce ; mon voisin ? Je sens pourtant qu'à votre place il ne m'enrichirait pas ; je garderais tout pour moi.

ASTOUF.

À part.

Le voisin a des principes.

Haut.

Si quelques-unes de mes esclaves ont eu le bonheur de vous plaire, je puis vous en accommoder.

ARLEQUIN.

Vous êtes trop bon ; mais j'ai une femme ; et c'est beaucoup.

ASTOUF.

À part.

Ah! ah ! Déjà brouillés !

Haut.

Comment ! Est-ce que vous auriez à vous plaindre d'elle ?

ARLEQUIN.

Oh, mon ami, c'est un monstre !

ASTOUF.

Fort joli, à ce que j'ai vu.

ARLEQUIN.

Elle me fera mourir ! Croirez-vous que je n'ai pas encore déjeuné ?

ASTOUF.

Je vous plains.

ARLEQUIN.

C'est une femme sans soin, sans ordre, qui laisse brûler, des macaronis. Avec cela, méchante, curieuse, bavarde...

ASTOUF.

Louanges de mari.

ARLEQUIN.

Ah ! Que n'en suis-je débarrassé ! Si j'avais un ami...

ASTOUF.

Je suis le vôtre, et puis vous rendre ce service.

ARLEQUIN.

En vérité ?

ASTOUF.

Dans une heure, je mets à la voile, et, si vous le voulez, elle sera du voyage.

ARLEQUIN.

Sangodémi ! Comme vous y allez !

ASTOUF.

Il n'y a pas de temps à perdre : elle est jolie, et je vous garantis que le Sultan lui jettera le mouchoir.

ARLEQUIN.

Comment, le mouchoir ?

ASTOUF.

Oui, le Grand-Seigneur doit choisir parmi les beautés que je possède, et celle qui lui plaira sera proclamée Sultane.

ARLEQUIN.

Sultane, en ce cas.... Mais, non... Cependant... Car enfin... Ah, mon Dieu, quel embarras !

ASTOUF.

Un mot, et dans un instant vous aurez cent sequins de plus et une femme de moins.

ARLEQUIN, à lui-même.

Cent sequins ! Quelle double tentation ! D'un côté, ma conscience et ma femme ; de l'autre, ce qu'elle me fait souffrir, le sort brillant que je lui prépare, et la manière noble avec laquelle je me venge... Pardessus tout cela, cent sequins voyons...

Il imite la balance avec ses mains.

Ma femme est bien légère.... Oui, non ; non, oui.... Ma foi... Allons...

ASTOUF.

Eh bien ?

ARLEQUIN.

Je la fais sultane.

ASTOUF.

Vous ne pouviez mieux faire.

ARLEQUIN.

Le Grand-Seigneur m'en remerciera. Vous l'avez vue, une figure d'ange, un esprit du diable ; elle peint à ravir : si vous connaissiez le portrait qu'elle a fait de moi, vous verriez quel beau coloris ! Et comme elle m'a drapé.... Avec cela, le meilleur coeur du monde ; une douceur inconcevable, une vivacité, une pétulance... Elle fait une question, répond aussitôt ; se fâche, s'emporte, vous donne un soufflet, tout cela, dans un moment et avec une grâce infinie.

ASTOUF.

Oh ! Je n'en doute pas.

ARLEQUIN.

Je vais vous l'amener...

Il revient.

Ah ça, il ne faudra rien lui dire, parce que je veux lui ménager le plaisir de la surprise.

ASTOUF.

Volontiers.

ARLEQUIN.

Et vous la ferez Sultane ?

ASTOUF.

Je n'y manquerai pas.

ARLEQUIN.

Allons, me voilà tranquille, et je vais... Ah ! La voici. Je me sauve ; si elle me voyait de ce côté, elle s'en irait de l'autre.

SCÈNE IX.
Colombine, Astouf.

COLOMBINE, à part, dans le fond du théâtre.

Je viens de chez le cadi ; mes plaintes ont été inutiles : il ne me reste qu'un moyen... extrême, il est vrai, mais c'est le seul.

ASTOUF.

La voici.

COLOMBINE, à part.

Suivrai je le conseil qu'on m'a donné ? Je m'en repentirai, peut-être ; mais je suis trop malheureuse : oui, me voilà décidée, et à la première occasion...

Apercevant Astouf.

Ah !...

ASTOUF.

Pourquoi me fuir ainsi, mon aimable voisine ?

COLOMBINE.

Seigneur...

ASTOUF.

On n'est pas plus gentille !

AIR : Suzon sortait de son Village.

C'est la fraîcheur de l'innocence,

Dont l'éclat toujours nous séduit.

Vos traits respirent la décence;

Vos yeux décèlent votre esprit.

120   Air de santé,

Air de gaîté,

De votre coeur indiquent la bonté.

Heureux l'époux

Qui, près de vous,

125   Passe, à son gré, les moments les plus doux.

Je ne demande au grand Prophète,

Pour me faire mille jaloux,

Que dix esclaves comme vous,

Et ma fortune est faite.

COLOMBINE, à part.

Voilà bien le corsaire dont on m'a parlé ; mais je n'oserai jamais...

ASTOUF.

Qu'Arlequin est heureux de vivre auprès d'une aussi jolie femme !

COLOMBINE.

Oh ! Cela ne durera pas longtemps.

ASTOUF.

S'il savait comme moi tout ce que vous valez !

À part.

Je gagnerai mille pour cent sur cette femme-là.

COLOMBINE.

Seigneur, vous êtes trop honnête !

ASTOUF.

Non, non, je sais vous apprécier, et, vous méritez un meilleur sort.

À part.

Le Sultan en sera fou.

COLOMBINE.

Cela vous plaît à dire.

ASTOUF.

Il est vraiment fâcheux que vous soyez mariée !

COLOMBINE, vivement.

N'est-ce pas, Seigneur ?

ASTOUF.

Oh ! Certainement.

À part.

Sans cela, j'en aurais eu dix mille sequins.

COLOMBINE.

Si du moins j'étais née dans votre pays.

ASTOUF.

Oui ; chez nous le mariage est un lien facile à rompre.

AIR de la Parole.

130   Quand, pour son aimable moitié,

L'époux voit éteindre sa flamme.

Rempli d'une douce pitié,

Sans façon il nous vend sa femme.

L'épouse, s'il ne lui plaît pas,

135   Sans que cela paraisse étrange,

Des mêmes droits use en ce cas.

COLOMBINE.

Plus heureuses dans nos climats.

On ne les vend pas !

bis.

ASTOUF.

On les change.

COLOMBINE.

Mais on a toujours le désagrément de les voir.

ASTOUF.

Je conviens que, pour une femme sensible, il est plus agréable de s'en défaire de suite.

COLOMBINE.

Je vois que vous êtes d'un bon conseil, et que j'ai bien fait de m'adresser à vous.

ASTOUF.

En quoi puis-je vous être utile ?

COLOMBINE.

Il faut que vous me débarrassiez d'un ingrat, d'un jaloux, d'un brutal, d'un gourmand, d'un paresseux, d'un...

ASTOUF.

Voilà bien du monde !

COLOMBINE.

Il ne s'agit que de mon mari.

ASTOUF.

Peste !

À part.

La rencontre est comique.

Haut.

Je ne puis m'en charger.

COLOMBINE.

Je vous l'offre pour rien.

ASTOUF.

Que le Prophète me préserve d'un pareil marché !... Brutal, ivrogne, paresseux... Cet homme-là vaut trois cents sequins...

COLOMBINE.

Trois cents sequins ?

ASTOUF.

Que vous allez me donner ; et ce n'est rien en comparaison du service que je vous rends.

COLOMBINE.

Mais songez donc aussi qu'il a des qualités.

À part.

Allons, il faut faire son éloge.

AIR : Dans ce salon.

Il est bonhomme et cependant,

140   Il mord, égratigne, déchire ;

On le voit toujours gai, chantant,

Et même en pleurant il fait rire.

Dès qu'il paraît on l'applaudit ;

Souple, adroit, rien ne l'embarrasse,

145   Sa laideur même l'embellit,

Et chaque geste est une grâce.

ASTOUF.

Oh ! Dans ce cas, il servira de bouffon au Grand-Seigneur, et je ne vous demande rien...

COLOMBINE.

À la bonne heure.

ASTOUF.

Rien... Que cent sequins pour rassurer ma conscience, et afin de remédier aux dangers que je cours en enlevant un homme libre. Dès que vous m'aurez compté la somme, je vous réponds d'Arlequin.

COLOMBINE.

Allons, j'y consens ; mais au moins vous me promettez qu'il ne lui sera fait aucun mal ?

ASTOUF.

J'en prends à témoin Mahomet et les cent sequins que vous allez me donner.

COLOMBINE.

Je vais le chercher.

À part.

Ce pauvre Arlequin !...

Vivement à Astouf.

Vous êtes bien sûr que je ne le verrai plus ?

ASTOUF.

Je m'en charge.

COLOMBINE.

Comptez sur ma reconnaissance.

SCÈNE X.

ASTOUF, seul.

Allons, Astouf, voilà une bonne journée ! J'achète deux esclaves, et cela, sans qu'il m'en coûte rien. Ah ! ah ! L'aventure est singulière.... et je crois que j'ai ri. Ces pauvres époux : je gage qu'ils s'aiment encore ; eh bien, tant pis pour eux ! Je ne puis m'attendrir sur leur sort, et je serai corsaire jusqu'au bout puisque le destin l'a voulu.

AIR : Prenons d'abord l'air bien méchant.

Que chacun fasse son métier,

Il n'en est point que je condamne ;

J'ai parcouru le monde entier,

150   Et j'ai fait plus d'une sultane.

Quoique maître de la beauté,

Je fais souvent ce qu'elle ordonne,

Et si je vends sa liberté,

Je porte les fers qu'elle donne.

SCÈNE XI.
Arlequin, Astouf.

ARLEQUIN.

Eh bien ?

ASTOUF.

J'ai fait un marché d'or.

ARLEQUIN.

Vous ne le croyiez pas si bon ?

ASTOUF.

Il est encore meilleur que vous ne pensez.

SCÈNE XII.
Arlequin, Astouf, Colombine, sortant de chez elle.

TRIO NOUVEAU, DE DOCHE.

ARLEQUIN, bas à Astouf.

155   Mais la voici. Chut ! Chut ! Ne disons rien.

COLOMBINE, bas à Astouf.

C'est lui-même ; comment le trouvez-vous ?

ASTOUF.

Fort bien.

COLOMBINE, bas à Astouf.

N'a-t-il pas un air agréable ?

ASTOUF.

Vraiment on n'est pas plus aimable.

ARLEQUIN, bas à Astouf,

C'est un ange.

À part.

C'est un démon.

COLOMBINE, de même.

160   C'est un agneau.

À part.

  C'est un démon.

Bas à Astouf.

Pour terminer notre affaire.

Voilà vos cent sequins.

ASTOUF.

C'est bon.

Il prend ta bourse des mains de Colombine, la passe derrière le dos, et la remet à Arlequin, en lui disant.

Pour terminer notre affaire,

Voilà vos cent sequins.

ARLEQUIN.

C'est bon.

TOUS.

165   C'est bon, c'est bon.

ASTOUF, bas à Colombine.

Maintenant avec mystère,

Il vous faudra d'abord

Le conduire à mon bord.

COLOMBINE.

Je m'en charge ; laissez-moi faire.

ASTOUF, à Arlequin.

170   Maintenant, avec mystère,

Il vous faudra d'abord

La conduire à mon bord.

ARLEQUIN.

Je m'en charge, laissez-moi faire.

ASTOUF, bas, et à tous les deux.

Fort bien ; fort bien... C'est cela... c'est cela.

TOUS.

175   Oh ! L'heureux marché que voilà.

ASTOUF, remontant la scène, haut à Arlequin.

Venez, venez me voir,

Nous ferons, dès ce soir,

Une plus ample connaissance.

ARLEQUIN.

Je vous entends.

Haut.

Seigneur,

180   Vous me faites beaucoup d'honneur.

ASTOUF.

Madame vous suivra, je pense.

COLOMBINE, bas.

Je vous entends.

Haut.

Seigneur.

Vous me faites beaucoup d'honneur.

ASTOUF, à part.

Bon ! Grâce à mon adresse,

185   Tous les deux je les tiens,

Haut.

Adieu, l'heure me presse,

Mais dans un instant je reviens.

Salut.

COLOMBINE et ARLEQUIN.

Salut.

ASTOUF.

Ah ! Je les tiens.

TOUS.

Ah ! Je la tiens ; ah ! je le tiens;

Astouf sort en laissant Arlequin et Colombine aux deux extrémités du Théâtre.

SCÈNE XIII.
Arlequin, Colombine.

ARLEQUIN, à part.

Voilà le moment de la crise.

COLOMBINE, à part.

De la fermeté, n'allons pas nous trahir.

ARLEQUIN, à part.

Ayons l'air d'oublier notre querelle.

COLOMBINE, à part.

Paraissons moins fâchée.

ARLEQUIN.

Le temps est bien beau !

COLOMBINE.

Charmant !... Pour une promenade.

ARLEQUIN.

Oui ; mais il y a si peu d'endroits pour se promener !

COLOMBINE.

Le port est cependant assez fréquenté.

ARLEQUIN.

Oui ; la vue de la mer est belle.

COLOMBINE.

On aperçoit les vaisseaux prêts à mettre à la voile.

ARLEQUIN.

Cela réjouit. On peut même se procurer le plaisir de les visiter.

COLOMBINE.

Cela amuse.

ARLEQUIN.

Eh bien, allons faire un tour sur le port.

COLOMBINE.

Volontiers.

ARLEQUIN, à part.

Elle se livre d'elle-même.

COLOMBINE, à part.

Il donne dans le piège.

ARLEQUIN.

Partons.

COLOMBINE.

Partons.

Ils font chacun un pas, se regardent et s'arrêtent.

DUO D'AZÉMIA.

ARLEQUIN, à part.

190   Je tremble, et je ne sais pourquoi :

Son départ en serait-il cause !

COLOMBINE, à part.

Je tremble, et je ne sais pourquoi :

Son départ en serait-il cause ?

ARLEQUIN.

Partons tous deux.

COLOMBINE.

Quoi ?

ARLEQUIN.

195   Oui.

COLOMBINE.

Tous deux !

ARLEQUIN.

Tous deux !

COLOMBINE, à part.

  Je n'ose.

ARLEQUIN.

Approche-toi.

COLOMBINE.

Moi ?

ARLEQUIN.

Toi.

COLOMBINE.

Partons.

ARLEQUIN.

Partons.

COLOMBINE.

Je n'ose.

ARLEQUIN.

Qu'as-tu donc ! Tu n'avances pas.

COLOMBINE, à part.

Je sens croître mon embarras.

ARLEQUIN, à part.

Elle ne se doute de rien.

COLOMBINE, à part.

200   Il ignore tout, c'est fort bien.

ENSEMBLE.

Voilà mon bras, courage.

Je tiens son bras, courage.

Commençons le voyagé.

Je sens déjà battre mon coeur ;

205   Est-ce d'amour ou de douleur ?

Ils se sont avancés petit à petit, Arlequin a pris le bras de Colombine, et lui tourne presque le dos. Ils n'osent se regarder.

ARLEQUIN, à part.

Si elle savait que je l'ai vendue !

COLOMBINE, à part.

S'il soupçonnait où je le mène !

ARLEQUIN, à part.

C'est pourtant dommage !

COLOMBINE, à part.

J'ai peur de le regretter.

ARLEQUIN, à part.

Elle faisait si bien le macaroni !

COLOMBINE, à part.

Ses vivacités étaient sitôt passées !

ARLEQUIN, soupirant.

Ah !...

COLOMBINE, à part.

Ah !...

ARLEQUIN.

Je crois qu'elle soupire.

COLOMBINE.

On dirait qu'il se plaint.

Ils se regardent furtivement en dessous ; et se retournent, de suite.

ARLEQUIN.

Pauvre Colombine ! Comme elle m'a regardé !

COLOMBINE.

Pauvre Arlequin ! Quel air de bonté !

ARLEQUIN.

Ma haine s'en va.

COLOMBINE.

Mon amour revient.

Ils se retournent lentement vis-à-vis l'un de l'autre.

ARLEQUIN.

Comme tu parais triste, ma bonne amie !

COLOMBINE.

Pas plus que toi, mon cher Arlequin !

ARLEQUIN.

Moi ?... Je pensais à un rêve que j'ai fait.

COLOMBINE, vivement et se retournant tout à fait

Ah ! Conte-moi donc cela.

ARLEQUIN.

AIR : L'Amour aura soin de l'instruire. ( Gentil Bernard. ),

Par un vil corsaire entraînée,

J'ai rêvé que loin de ces lieux,

Tu trahissais notre hyménée,

J'étais désolé, furieux.

210   Dans, les sérails de la Turquie,

De loin, je te voyais déjà.

COLOMBINE.

Mon bon ami, je t'en supplie,

Ne fais plus de ces rêves-là.

Moment de silence.

ARLEQUIN.

Colombine !

COLOMBINE.

Arlequin !

ARLEQUIN.

Te sentiras-tu-la force de m'accorder un généreux pardon ?

COLOMBINE, à part.

Un pardon ! Eh ! Ne suis-je pas mille fois plus coupable que lui ?

Haut.

Et toi, m'excuserais-tu, si je t'avouais une faute ?...

ARLEQUIN.

À part.

Une faute ! Je lui défie d'avoir fait pis que moi !

Haut.

Parle.

COLOMBINE.

Explique-toi.

ARLEQUIN.

Je me jette à tes genoux.

COLOMBINE.

Je tombe à tes pieds.

Ils se mettent à genoux l'un devant l'autre.

Je suis une perfide.

ARLEQUIN.

Je suis un monstre.

COLOMBINE.

Dans un moment de colère...

ARLEQUIN.

Dans un instant de dépit...

COLOMBINE.

Ce maudit Astouf...

ARLEQUIN.

Ce vilain corsaire...

COLOMBINE.

Moyennant cent sequins...

ARLEQUIN.

Qu'il m'a donnés.

COLOMBINE.

Que je lui ai donnés.

ARLEQUIN.

Je t'ai fait sultane.

COLOMBINE.

Je t'ai fait bouffon du Grand Seigneur.

ARLEQUIN.

Bouffon du Grand-Seigneur !

Il se lève.

COLOMBINE.

Sultane !

Elle se lève.

ARLEQUIN.

Deux effets de la sympathie ! Deux époux bien unis, doivent avoir qu'une même pensée.

COLOMBINE.

Oh ! Si je l'osais, je te ferais payer cher ce complot infâme : mais je suis aussi coupable que toi ; ainsi...

ARLEQUIN.

Ainsi, point d'explication... Oui, ma chère Colombine, chassons ces vilaines pensées, et figurons-nous que c'est un rêve, comme je te le disais tout à l heure. Nous avons cédé l'un et l'autre à un moment de colère ; mais l'amour nous attendait, à la séparation, et ce moment nous a convaincus que nous ne devons jamais nous séparer.

COLOMBINE.

Non, jamais !

Le caressant.

Mon petit mari !

ARLEQUIN.

Ma petite femme !

SCÈNE XIV ET DERNIÈRE.
Les mêmes, Astouf.

ASTOUF.

Ah ! Ah ! Que signifie ceci ?

ARLEQUIN.

Vous voilà, Monsieur le Turc ? Vous pouvez mettre à la voile lorsqu'il vous plaira ; mais vous partirez sans nous.

ASTOUF.

Sans vous ? Et notre marché ?...

ARLEQUIN.

Je le casse.

ASTOUF.

Cela ne m'arrange pas.

ARLEQUIN.

Cela m'arrange, moi.

AIR 1.

Quoique hymen nous fasse souffrir,

215   Y renoncer serait folie,

Ce lien seul petit embellir

Le triste chemin de la vie.

De ses maux pourquoi s'effrayer,

On s'en console je vous jure ;

220   Et l'on soigne, encor le rosier

Qui nous a fait une piqûre.

Ainsi, je garde ma femme, et je vous rends votre argent.

Il va pour lui rendre la bourse.

COLOMBINE, prenant la bourse des mains d'Arlequin.

Et moi ; je garde mon mari, et reprends mes cent sequins.

ASTOUF.

Comment donc ?

COLOMBINE.

La leçon est bonne, mais il est inutile de la payer aussi cher.

ARLEQUIN.

De quoi vous plaignez-vous ? Nous voilà tous au même point d'où nous sommes partis ; nous deux, plus amoureux que jamais, et vous, avec le plaisir d'avoir fait une bonne action.

ASTOUF.

Une bonne action ? Je n'entends rien à cela ; il me faut...

ARLEQUIN.

Mettre à la voile, car aussi bien vous perdez votre temps ; et, si le cadi savait que vous aviez le dessein d'enlever un homme comme moi, vous pourriez bien vous en repentir.

COLOMBINE.

Ainsi, Seigneur Astouf, cédez de bonne grâce ; puisque vous ne pouvez faire autre autrement !

ASTOUF, à part.

Elle a raison.

Haut.

Allons, je serai généreux. Mais s'il vous arrive encore de vous disputer, ne venez plus me chercher, car je n'ai pas tous les jours le coeur aussi sensible.

VAUDEVILLE.

ARLEQUIN.

AIR : Vaudeville de l'Opéra-Comique;

Souvent, dans un accès d'humeur,

à mille chagrins on s'expose ;

Et l'on ne connaît le bonheur

225   Que par les regrets qu'il nous cause.

Dupe d'une jalouse erreur.

Vainement à fuir on s'apprête ;

Quand on boude malgré son coeur ;

La paix est bientôt faite.

ASTOUF.

230   Chez nous, un époux furieux

Ne pardonne point une offense ;

La mort, d'un rival odieux,

Peut seule assouvir sa vengeance.

En France, où l'on voit tour-à-tour,

235   Époux galant, femme coquette,

On se prend, se quitte en un jour,

La paix est bientôt faite.

COLOMBINE.

Auteurs, acteurs et directeurs

Vivent gaiement en compagnie,

240   Jusqu'au jour où les spectateurs

Viennent troubler cette harmonie.

Si l'ouvrage bronche en chemin,

Chacun d'eux s'accuse et tempête...

Mais il ne faut qu'un coup de main,

245   Et voilà la paix faite.

 



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Notes

[1] Sequin : Monnaie d'or qui avait cours en Italie, où sa valeur était de 11 à 12 francs, et qui a cours en Égypte où elle vaut 6 francs.

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