ZUT !!!

MONOLOGUE

dit par FÉLIX GALIPAUX, du théâtre du Palais-Royal.

Prix un Franc.

1888. Tous droits réservés.

FÉLIX MOUSSET

PARIS, PAUL OLLENDORF, éditeur, 28 bis, rue de Richelieu.

Poitiers.- Typographie OUDIN.


Texte établi par Paul FIEVRE mars 2024.

Publié par Paul FIEVRE, mars 2024.

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:11.


Mon ami Louis Beigneux.


PERSONNAGES.

NARRATEUR.


ZUT !!!

Je viens de débuter. À la Cour. Police Correctionnelle. Je suis très content, le Cour aussi est très contente de moi. L'huissier me l'as dit et il s'y connaît. Il m'a dit : « Cher Maître, » - Cher maître - ça m'a flatté. - Il m'a dit « Cher maître vous pouvez arriver, vous n'avez pas tout à fait assez de... mais vous déjà un peu de.... et avec beaucoup de... Je ne vous dis que ça, vous verrez... Je l'avais annoncé à deux ou trois autres, et ça n'a pas raté, ils ont fait leur chemin... Il y en a même un qui est suppléant de juge de paix à Madagascar !!!... »

Voici comment j'ai débuté. La président m'a fait venir et m'a dit : Je vais vous confier un dossier. Un dossier d'office. Il s'agit d'un ancien professeur. - Ah : - Professeur de chausson. - Oh ! - Il est poursuivi pour outrages à la gendarmerie. Allez étudier votre dossier. C'est une affaire compliquée, quoique très simple. Après ça, si vous la trouvez trop simple, je ne vous défends pas de la compliquer. Allez.

C'était très simple en effet. Mon client avait été arrêté : il était en train de chanter dans la rue une chanson politique sur un air d'opérette... L'air de la Périchole.   [ 1 La Périchole, opéra bouffe, musique de Jacques Offenbachet livret de Ludovic Halévy et Henri Merilhac.]

L' gouvernement lâche la pauvre monde,

Qu'en est tonteux et qu'ça n'en fait frémir !

Dessur le peuple il faut bien que l'on tonde,

Faut qu'on s'engraiss' de son dernier soupir !

5   Oui, nous voulons abolir la famille,

Oui, nous voulons supprimes les excès :

Plus d' père, plus d' mère,

bis.

Plus d' garçon, plus d' fille,

Plus rien du tout

ter.

Plus rien que des français.

bis.

Lou lou lou lou lou lou lou.

Voilà la chanson que chantait mon client. Le gendarmerie ayant trouvé ça un peu... trop... Bref, il lui avait répondu un gros mot. Il lui avait dit... je ne sais pas si je dois répéter... Vous permettez, Mesdames ? C'est que... Enfin mon client avait répondu : Zut !!! Là, le mot est lâché.

Procès-verbal. Devant le tribunal, Pétrolard, qui ne s'était pas fait défendre, n'avait eu qu'un mois de prison. Il ne s'était contente de ça, il avait fait appel ; et moi, j'étais chargé de la défendre. C'était mon but.

Aussi je m'appliquai. Je fis un plan.

Un plan de plusieurs parties, avec des divisions et des subdivisions - comme une armée.

Le premier mot ma préoccupait : Messieurs de la Cour. - Les vieux avocats l'avalent ce « Messieurs de la Cour ».

Je dois ensuite m'expliquer sur la moralité de l'accusé. Je glisse. Vous comprenez : 47 condamnations au casier judiciaire... J'aurais pu accuser la Fatalité, la Fatalité sous les traits du bon gendarme qui s'acharne auprès un malheureux : je n'ai pas voulu, pour ne froisser personne ni le gendarme ni la Fatalité.

Je passe donc rapidement à la discussion du délit d'outrage ; le fameux mot ; Zut !!!...

D'abord, grammaticalement, que signifie Zut ?.... À cet endroit, je me campe fièrement et je dis à l'accusation : « J'attends la preuve !!.. » Pourquoi Zut est-il plus outrageant que Flûte ou que fleur ?... Si mon client avait dit aux gendarmes : « Fleur !! » ce serait bien plus grave ! Un gendarme... Ça aurait l'air d'une ironie, à cause du parfum !!.. Mais supposons pour un instant que Zut ! implique un outrage. Vous admettrez bien au moins que tout dépend de la manière de la dire !... Ah ! Si Mon client avait mis les mains dans ses poches, et là, roulant des yeux féroces, s'il avait dit : Zut !!.. comme ça, je ne dis pas. Ou dans une attitude révolutionnaire, s'il avait dit en secouant sa crinière, comme Mirabeau ; Nous sommes ici par la volonté du peuple : Zut !!.. Comme ça je ne dis pas. Ou bien encore avec la mâle énergie du commandant de la vieille garde à WAterloo : Zut !!! - Ah ! Oui, oui. S'il avait pris un air souverainement ironique en lâchant le mot par dessus : Zut ! Ou en ricanant : Zut ! - Ou en chantonnant Zut ! zut ! zut !! - Ou en grognant Zut ! Ou en protestant : Ah ! Zut ! Ou s'étonnant irrévérencieusement : Ah ! Zut alors !!!... Je ne dis pas, dans ce cas là c'était grave, c'était même très grave.

Mais un zut timide, un zut modeste, un petit zut de rien du tout !... Ah zut ! Messieurs... Comme s'il avait dit : Sapristi, vous me dérangez bien !!! Est-ce un délit ? Voyons, je vous le demande, est-ce un crime ????

Avec ce passage-là vous pouvez très bien vous faire une idée de ma deuxième division. Et maintenant, péroraison ; je la sais par coeur, je vais vous la dire.

Seulement, dans ma péroraison, je voulais mettre une citation en vers pour donner à ma plaidoirie un cachet littéraire, un cachet d'érudition. Je sais comment font les avocats de PAris quand ils veulent citer des vers. Moi je suis de la Province, mais ça ne fait rien, je connais les trucs des avocats de Paris. Voilà comment ils font. Ils prennent un bouquin de Molière, de Victor Hugo ou d'Émile Augier, ce dernier surtout, et ils lisent un vers au hasard ; il ne s'agit plus que de l'enchâsser ensuite habilement dans le discours.

C'est ainsi que je fis ; et le premier passage qui me tomba sous les yeux était le suivant :

10   Courage, mon enfant,

La douleur élargit les âmes qu'elle fend.

Faire le geste d'élargir avec les deux mains, puis de fendre avec la main droite.

Maintenant il fallait enchâsser cette citation dans la fin de ma plaidoirie.

Si je vous racontais comment j'ai fait, vous ne comprendriez pas.

Imaginez vous que vous êtes juges. Permettez-moi de vous recommander de na pas rire, parce que les magistrats n'ont pas le droit de rire. Ils rient en dedans. Autrement le public croirait que ça les amuse, et il paraît qu'il ne faut croie ça. Enfin !...

Donc vous êtes la Cour. Et je vais placer ma citation.

Courage, mon enfant,

La douleur élargit les âmes qu'elle fend.

« Tenez, Messieurs,leur ai-je dit, je suis allé le voir ce matin encore à la prison où il a si longtemps gémi. Il avait l'oeil hagard et terne ; sa barbe inculte ajoutait un intérêt de plus à sa physionomie blême. Je fus ému, vous l'auriez été comme moi. Je lui parlais de sa famille du temps, où tout jeune, il se roulait fraternellement avec les petits... sangliers domestiques, dans les... champs paternels, des bonnes tartines de confiture que lui donnait sa pauvre mère, des tripotée que lui donnait son pauvre père ; qui sais-je ? De cette innocence envolée, de ce bonheur perdu...

Et maintenant le déshonneur ! L'ouvrage à la gendarmerie !!!!... La souffrance ! La misère et un jour !!!! Il jour il n'aurait pas de cheveux blancs, ce symbole à l'honneur.

Éclatant en sanglots.

Des cheveux blancs, il n'en restait plus pour lui !... »

Puis je relevais son énergie. Voyons ! Un bon mouvement, un effort magnanime ; et je lui fis entrevoir la réhabilitation, le retour au bien, un prix de vertu et des cheveux...

Avec émotion.

Des cheveux blancs, peut être !!!...

J'ajoutais enfin pour terminer, en lui mettant les mains sur les épaules comme ça en le regardant jusqu'au fond de l'âme :

Courage, mon enfant,

La douleur élargit les âmes qu'elle fend.

Savez-vous ce qu'il a fait, Messieurs de la Cour. Non ; mais le savez-vous ?... Il s'est levé. Comme mû comme un ressort, il a éclaté en sanglots. Il s'est jeté à mon cour en s'écriant ; Ah ! Ah ! Ah ! Zut, alors !!! »

 



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Notes

[1] La Périchole, opéra bouffe, musique de Jacques Offenbachet livret de Ludovic Halévy et Henri Merilhac.

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