LA NOCE DE VILLAGE

COMÉDIE

M. DC. LXXXI.

AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

Par Brécourt

À PARIS, Chez JEAN RIBOU, au Palais, dans la Salle Royale à l'Image Saint-Louis.

Représenté pour la première fois en juin 1666 à l'Hôtel de Bourgogne


Texet établie par par Paul FIEVRE juillet 2012

Publié par Paul FIEVRE février 2023

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:49.


ACTEURS.

COLIN, le marié.

NICOLAS, garçon de la noce.

CLAUDINE, la mariée.

GRAND FRANÇOIS, père de Claudine.

GROS JEAN, père de Nicolas.

LE JUGE DU VILLAGE.

LE GREFFIER.

MONSIEUR BERTRAND, Tabellion d'Aubervilliers.

MARION, Fille du Grand François.

UN PAYSAN.

UN VIELLEUX.

TROUPE DE CONVIÉS.

LES DANSEURS.

LES CHOEURS DE VOIX.

La scène est dans le logis du Grand François, dans la salle de la rue.


LA NOCE DE VILLAGE

SCÈNE PREMIÈRE.
Colin, Nicolas.

COLIN.

Jarnigué, Nicolas.

NICOLAS.

Et jarnigué toi-même.

Margué comme tu fais ; tu deviens tout blasphèmes

Partant que je t'ai dit deux paroles.

COLIN.

Margué.

Tatigué, jarnigué, vois-tu bien ? Ventrigué,

5   Je suis un bon garçon, tout franc, mais tatiguene,

Je ne suis point un sot, franchement.

NICOLAS.

Hé, marguene,

En suis-un, moi, Colin ?

COLIN.

Et si tu l'es tant mieux,

Qu'est-ce qui t'en dis rien ? Mais, margué, j'ai deux yeux ;

Tu le sais bien.

NICOLAS.

10   Et bien, quand tu z'en naurais quatre.

COLIN.

Margué, je veux me battre.

NICOLAS.

Et contre qui ce battre.

COLIN.

Jarnigué contre ceux qui me diront du mal.

NICOLAS.

À qui, guiabe, en as-tu ? Dis donc, gros animal.

COLIN.

Laisse-moi là, vois-tu ? Je ne veux point tant rire,

15   Moi.

NICOLAS.

  Pargué, dis moi donc...

COLIN.

Je ne te veux rien dire.

NICOLAS.

Et bien, ne dis donc rien.

COLIN.

Je dirai si me plaît.

NICOLAS.

Parle donc tout ton son.

COLIN.

Margué t'as bien du plaid ;  [ 1 Plaid : Audience d'un tribunal. [L]]

Mais vois-tu ! Nicolas ? Je suis, pargué, bon frère,

20   Veux-tu savoir pourquoi que je suis en colère.

NICOLAS.

Et bien pourquoi ? Dis donc.

COLIN.

C'est que je suis fâché ;

Jarnigué l'autre jour comme j'atais caché...

Non, c'est que j'acoutoes par le trou de la porte,

C'est à dire qu'enfin... Mais bref, tanquia, n'importe.

25   Or donc, car ventrigué, vois-tu bien Nicolas ?

Je ne suis point un gnais.

NICOLAS.

Non dà, tu ne l'es pas.

COLIN.

Nanain, margué, nanain, je nel fuis, pargué, goutte.

NICOLAS.

Et bien, tan mieux pour toi.

COLIN.

Tant mieux, voirment, accoure,

Nicolas, tu sais bien que je fon bon amis,

30   Et tu sais bien encore que je somme pormis

La fille au Grand-François avec moi par ensemble.

NICOLAS.

Et bien.

COLIN.

Mais ventriguenne, est-ce don qui te semble,

Que quand qu'on est pormis, margué, qu'en

N'ait rien fait.

NICOLAS.

Et bien, susse.

COLIN.

Et bien donc, margué, comme d'effes ;

35   Tu sais bien que je fime avant-hier nos fansailles.

Et qu aujourd'hui, margué, je son les épousailles.

NICOLAS.

Est-ce là tout, Colin ?

COLIN.

Non-dà, ce n'est pas tout ;

Je m'en vois commencer tout par le droit fin bout,

Hayer, come esgeveny d'avaNnt notre prairie,

40   J'entris cheul Grand-François pour viriter not mie,

Margué j'apercevy par le trou du grand huis,

Que tu batifolais tout l'environ du puits

Aveuc elle.

NICOLAS.

Avec qui ?

COLIN.

Morgues avec Glaudenne ;

Aux enseigne, aga quien, que tu prenis la peine

45   De mettre tes deux mains soura vau son brechet,

Et puis tu lui baillis comme un colifichet...

Margué je m'entends bien ; tu lui disais, Glaudenne,

Lorgne-moi par un peu, n'ai-je pas bonne mène ?

A donc, tu la ptenis par le chignon du cou,

50   Et tu t'allis fourrer dans le jardin au chou

Aveuc elle.

NICOLAS.

Bon, bon.

COLIN.

Il ne faut point tant rire.

Nicolas, j'ai tout vu.

NICOLAS.

Bon, bon.

COLIN.

Que veux-tu dire ?

Bon, bon : car vois-tu bien, si j'avais été prompt,

Margué, je t'aurais fait pût-être un grand affront.

NICOLAS.

55   Bon, bon, qu'arais-tu fait.

COLIN.

  Si je n'eusse été sage,

Margué je l'arais dit par tout notre village.

Et quem sonsige-moi ? Ventregué, dans l'honneur

Je suis pis qu'un démon, car rien ne me fait peur.

Comme dit l'autre, on za biau prenre une fumelle,

60   Margué n'en prend toujours queuque mâle aveuc elle.

NICOLAS.

Ardé le grand malhûr.

COLIN.

Et bonhûr si tu veux,

Je ne veux point porter les cornes si je peux :

Et que sait-on ? Parfois un désespoir peut prendre.

Marguene, pour un rien qu'un cocu s'irait prendre,

65   Je le sais, pargué bien, j'en connaissons plusieurs...

NICOLAS.

Hé, margué, tu ferais comme les gros Monsieur.

Hé ! Que t'es fou, Colin !

COLIN.

Ho ! Margué fou toi-même,

Je ne veux point de lait quand un autre à la cr7me.

NICOLAS.

Bon, bon.

COLIN.

Mais ventrigue aveuque ton bon

70   Il faut point tant de lard pour faire un quarteron.

NICOLAS.

Bon, bon.

COLIN.

Pela morgoine, il ne faut point tant rire.

Veux-tu le battre ?

NICOLAS.

Non.

COLIN.

Quien, tu n'as rien qu'à dire ?

NICOLAS.

Et non, Colin, nanain voire dà, queu marchant !

COLIN.

Ô margué, je te veux, moi.

NICOLAS.

T'es donc bien michant ?

COLIN.

75   Oui, margué, je le suis.

NICOLAS.

  Tu fais le diable à quatre :  [ 2 Diable à quatre : faire beaucoup de bruit, causer beaucoup de désordre (locution qui provient d'une représentation scénique du moyen âge qu'on appelait la grande diablerie à quatre personnages ; celle où il n'y en avait que deux se disait la petite diablerie) [L]]

Mais Colin, dis-moi donc, pourquoi veux-tu te battre.

COLIN.

Morgué, pour mon plaisir, de quoi te mêles-tu ?

Se bat-on pas toujours quand qu'on devient cocu.

NICOLAS.

Et l'es-tu ?

COLIN.

Palsangué je m'attends bien de l'être ;

80   Mais morguene avant coup je yeux faire bissêtre ;  [ 3 Bissêtre : Mot inusité présentement, qui signifiait malheur, malaventure. [L]]

Jarnigué, par point bas, je veux me battre en deuil.

Colin ôte son pourpoint et son rabat.

Déchaussons le rabat, margué, bon pied, bon oeil.

La main fait tout.

NICOLAS.

Fi donc, Colin, n'en te regarde.

COLIN.

Il présente le poing à Nicolas.

Je n'ai coeur, ventrigué, boute toi dans ta garde.

NICOLAS.

85   Oh ! C'est donc tout de bon ? Margué, vêla pour toi.

COLIN.

Ah morgué, Nicolas ! te moques-tu de moi ?

Tu bailles dans less dents.

NICOLAS.

Margué, que me soucie-je ?

Tant mieux.

COLIN.

Ô vantrigué, laisse-moi là, te dis-je.

NICOLAS.

Quien, c'est pour t'agacer.

COLIN.

Ouf, margué, Nicolas,

90   Quien, jarny, queuque jour ? Tu t'en repentiras.

NICOLAS.

Et que me feras-tu ?

COLIN.

Margué !

NICOLAS.

Quoi ?

COLIN.

Ventriguene.

NICOLAS.

Hey.

COLIN.

Quien, je le dirai dres ce soir à Glaudenne :  [ 4 Glaudenne : Claudine.]

Tu le verras plutôt, mais pargué la voici.

SCÈNE II.
Claudine, Colin, Nicolas.

CLAUDINE.

Bonjour, me doux Colin, m'en amoureux souci.

COLIN.

95   Laisse loi là, marguenne.

CLAUDINE.

  Hé coeur de ma poitrenne,

Petit cochon de lait, qu'as-tu donc ?

COLIN.

Ô la chienne !

CLAUDINE.

[Me] tredine, qu'a-t'il ?

NICOLAS.

C'est qu'il se bat en deuil.

COLIN.

Ventrigué, je t'aurai queuque jour seul à seul,

Laisse faire.

NICOLAS.

Hé margué, viens-y donc tout à l'heure.

COLIN.

100   Oh, jarnon, dans les dents !

CLAUDINE.

  Hé quoi ! Tu pleures ?

Et d'où vient donc ?

COLIN.

Marguenne, hé.

CLAUDINE.

Bonjour, Nicolas.

COLIN.

Oh chienne ! Queuque jour tu t'en repentiras.

Patience ?

CLAUDINE.

Et de quoi bien aimé ?

COLIN.

Va je te battrai bien quand tu seras ma femme,

105   Baille moi deux épingues.

CLAUDINE.

  Hé mon quieu ,les voila.

Il l'a piqué en prenant l'épingle.

[COLIN].

Carogne.

CLAUDINE.

Chouf, Colin.

COLIN.

Ce n'est rien que cela.

Je t'en ferai bien pis.

NICOLAS.

Pourquas que tu la piques ?

COLIN.

Margué t'en as menti, boute mieux besicles.  [ 5 Besicles : Familièrement. Vous n'avez pas bien mis vos besicles, vous y voyez mal. [L]]

NICOLAS.

J'ai menti ?

CLAUDINE.

Nicolas, tredin, tenez vous coi.

COLIN.

110   Oh marguene au secours, à moi queu qu'un à moi.

SCÈNE III.
Le Grand-François, Gros-Jean, Colin, Nicolas.

GROS-JEAN.

Qu'est-ce qui n'y a ?

GRAND-FRANÇOIS.

Tatigué, c'est mon gendre.

COLIN.

Biau père, tatigué, venez pour me défendre.

GROS-JEAN.

Nicolas.

GRAND-FRANÇOIS.

Et Colin, dis donc qu'as tu mangé ?

GROS-JEAN.

Marguenne y sont tous deux pires qu'un enragé.

COLIN.

115   Oh nargué, je t'aurai.

GROS-JEAN.

  Peste soit de la bête,

Jem donne au diable, van je te romrai la tête

Si tu zy revien plus.

GRAND-FRANÇOIS.

Oh, vous n'en ferez rien

Gros-Jean.

GROS-JEAN.

Et que sais tu ?

GRAND-FRANÇOIS.

Je le sais pargué bien,

Car j'y avon regardé.

GROS-JEAN.

Je t'en réponds, mon borgne,  [ 6 Lorgner : Observer à la dérobée, en tournant les yeux de côté. [L]]

120   Je te crains margué bien.

GRAND-FRANÇOIS.

  Margué comme tu lorgnes,

Veux tu que je fassions le coup de poing nous deux ?

NICOLAS.

Margué ne dites rien, vous êtes le plus vieux,

Montrez-vous le plus sage.

GROS-JEAN.

Oh, gna sage qui quiene

Margué, s'il a du coeur, ventrigué qu'il y vienne.

GRAND-FRANÇOIS.

125   Oh, si je non du coeur, vois-tu, j'on du quarriau,

Et si t'en veux jaser vien t'en dessous l'ormiau

Tu le verras.

GROS JEAN.

Margué, tu n'es rien qu'un pagnorte.   [ 7 Pagnorte : pagnote. Qui est sans courage, sans énergie. [L]]

GRAND-FRANÇOIS.

Oh, j'avon pourtant vu le Chaquiau de la Motte.

Et si j'avons porté des farcine à Rocroy.

GROS JEAN.

130   Oui par dessus l'épaule.

GRAND-FRANÇOIS.

  Et parqué, je le crois.

GROS JEAN.

Va, va, je savons bien queussuq c'est que la guerre

J'on mangé queuquefois du l'art de militaire,

Je savons, margué, bien, tirer un coup mousquet

Sans nous brûler les doigts a vus tous VOS caquets ;

135   Ô dont vous voyez bien, c'est pour vous faire entendre

Que si vous nous baquiais, je saurions nous défendre.

GRAND-FRANÇOIS.

Ô margué, j'en on vu d'aussi futés que toi ;

Quand on se bat, vois-tu, chacun y va pour soi :

Crois-tu que je n'on pas queuque fois vu les drilles ?  [ 8 Drille : Fantassin, soldat à pied. [L]]

140   Tatigué tous les coups n'en ne fait pas neuf quilles

Et j'en avon tant vu de ces regneux de Guieu,

Aveuc ta parmission que je te crève un yeux.

COLIN donne un soufflet à Nicolas quand il y pense le moins.

Margué, vela pour toy, j'avons notre revanche.

NICOLAS.

Ouf, j'ai le nez cassé.

GRAND-FRANÇOIS.

Tatigué, queu Dimanche.

NICOLAS.

145   Oh ventrigué, Colin, c'est de la trahison,

Mais margué, queuque jour j'aurons notre raison.

COLIN.

Ô, viens-y, Nicolas, je te ferons bien rire.

GROS JEAN.

Marguene, Grand-François, qu'est-ce qu'ou voulez dire ?

Est-ce là l'action d'un brave homme de bien ?

GRAND-FRANÇOIS.

150   Quoi ?

GROS JEAN.

  De frapper les gens, margué, sans dire rien.

GRAND-FRANÇOIS.

Mais marguene, à proupos d'où yien donc la querelle.

GROS JEAN.

Bon, palsanguié, samon, vous nous la baillez belle.

Est-ce que j'en sais rien ?

GRAND-FRANÇOIS.

Pargué ni moi non plus.

GROS JEAN.

Marguene, pourquoi donc nous serions-je battus ?

GRAND-FRANÇOIS.

155   Je m'en sais pargué rien ; Colin, pourquoi serait-ce ?

COLIN.

Margué, veyez-vous bien, que mon péché n'en croisse,

Je crois que Nicolas m'a quasi fait cocu,

Et vela pourquoi que c'est qu'ou vous seriais battu.

GRAND-FRANÇOIS.

Cocu !

GROS JEAN.

Cocu !

NICOLAS.

Cocu !

CLAUDINE.

Cocu !

COLIN.

Cocu, marguene.

CLAUDINE.

160   Ho, Colin, pour si peu ce n'en est pas la peine.

GRAND-FRANÇOIS.

Et n'est-ce que cela, gros sot ?

COLIN.

Et ce n'est rien.

GRAND-FRANÇOIS.

Pargué le grand malheur, aga, je le suis bien.

Et gros Jean aussi.

GROS JEAN.

Moi ?

GRAND-FRANÇOIS.

C'est pour lui faire accroire.

GROS JEAN.

Margué, rayez cela de dessus vos grimoires,

165   Je n'ai jamais reçu, parguene un tel affront.

CLAUDINE.

Cocu, c'est quand on a des cornes sur le front,

Tâte bien si t'en as, Colin.

COLIN.

Hé bonne bête,

Ce que l'on plante aux pieds vient-il dessus la [truffe] ?

Quien pour nous marier je suis ton serviteur,

170   Je son pauvre, vois-tu, mais javon de l'honneur.

CLAUDINE.

Hé mon Guieu, que t'es chose !

COLIN.

Oh gna chose qui quienne,

Il veut s'en aller.

Je devions nous marier aujourd'hui, mais marguene,

Il n'en fera rien, ou... final, je m'entends bien.

GRAND-FRANÇOIS l'arrefttnt.

Pargué va, t'a raison... comme il n'en fera rien ;

175   Margué, je ne...

GROS JEAN.

  Tout biau, vous vous chauffez la bile.  [ 9 Bile : Fig. Mauvaise humeur, colère. [L]]

GRAND-FRANÇOIS.

Ho, je suis d'une himeur tout à fait domicile,

Mais margué dans l'honneur je suis pis qu'un Satan.

Hé comment ! Tout est press...

GROS JEAN.

Et bon, cela s'entend,

Margué vous avez tort, Colin.

COLIN.

Et j'ai le Diable.

GROS-JEAN.

180   À ton col, hé Marchand, on ne y fait le capable !

GRAND-FRANÇOIS.

Colin, quien si tu veux que je s[oy]ons bons amis,

Marguene il faut tenir le mot que t'as promis.

COLIN.

Pargué, je m'en bas l'oeil.

GRAND-FRANÇOIS.

Oh, je m'en bats les fesses,

Marguene, je te frons, margué, bien tenir tes promesses,

185   Ou je plaiderons bien.

COLIN.

  Et bien je plaidrons,

Et si nous faut trembler, margué je tremblerons.

GRAND-FRANÇOIS.

Jarnigué, je ferons quoique nouviau grabuge.

COLIN.

Palsanguè je varrons, vecy Monsieur le Juge.

SCÈNE IV.
Le Juge, La greffier, Grand-François, Claudine, Gros-Jean, Colin, Nicolas.

Colin présente un siège au juge, et comme il veut se seoir, Colin retie le siège comme pour le nettoyer, et le juge tombe.

COLIN.

Monsieur le Juge, ardè, tenez boutez vous là.

LE JUGE, tombant.

190   Hé.

COLIN.

  C'est que notre siège était sale par là,

Reboutez vous.

LE JUGE.

Et bien ?

COLIN.

Monsieur j'avons querelle.

GRAND-FRANÇOIS.

Oh, margué, j'en appelle.

COLIN.

Oh, c'est moi qu'en appelle.

LE JUGE.

Lequel est l'appelant des deux ou l'intimé ?  [ 10 Intimé : L'intimé, l'intimée, personne qui, ayant gagné son procès en première instance, est appelée devant un tribunal supérieur par sa partie. L'appelant et l'intimé. [L]]

COLIN.

Monsieur...

LE JUGE.

Dans le procès chacun est-il nommé ?

COLIN.

195   Monsieur...

LE JUGE.

  Est-il verbal, ou bien si la partie

Est appointée en droit ?

COLIN.

Monsieur...

LE JUGE.

L'antipathie

Est une étrange chose !

COLIN.

Il est vrai, mais.

LE JUGE.

Au moins

Dedans le fait et cause avez-vous des témoins ?

COLIN.

Ventriguene, Monsieur...

LE JUGE.

Répondez donc.

COLIN.

Ô peste !

200   Monsieur.

LE JUGE.

  Votre innocence est assez manifeste.

COLIN.

Je vous...

LE JUGE.

Explique-moi la chose comme elle est.

COLIN.

Acoutez, vous saurez...

LE JUGE.

Voulez-vous un arrêt

Qui soit au défenseur conforme à la sentence ?

COLIN.

Et non, Monsieur, je veux.

LE JUGE.

Un peu de patience:

205   Dites, que voulez-vous ?

COLIN.

Monsieur enfin...

LE JUGE, au Greffier.

  Hola,

Faites faire silence.

LE GREFFIER.

Et là, Messieurs, paix là,

Monsieur n'sait ce qu'il dit.

COLIN.

Ho, faites-nous la grâce...

LE JUGE.

On poudrait bien aussi juger par contumace,

Fors aux cas réservés à l'hymen clandestin.

COLIN.

210   Margué ? je n'entends point tous vos mots de Latin.

LE JUGE.

Si vous êtes absurd és termes de pratique,

Il faut donc que quelqu'un pour votre cas s'explique.

Parlez-vous, Grand François.

GRAND-FRANÇOIS.

Monsieur...

LE JUGE.

Ne parlez plus.

C'est assez, vous Gros-Jean, répondez là-dessus.

GROS JEAN.

215   Monsieur...

LE JUGE.

Hola, tase. Parlez, Colin.

COLIN.

  Marguene...

LE JUGE.

Bon, voila qui va bien, répondez vous Claudine.

CLAUDINE.

Monsieur...

LE JUGE.

Qu'un jugement est un grand embarras !

COLIN.

Oh bien.

LE JUGE.

Laissez un peu répondre Nicolas.

NICOLAS.

Moi ? Je n'ai rien à dire.

LE JUGE.

Il faut que chacun parle.

COLIN.

220   Margué, ja veux chiffler pu fort que notre Marle.

TOUS ENSEMBLE.

Vous saurez donc, Monsieur, que comme je venoua A

Je nous esquième tous auparavant allé É

Cheux Colin pour y voir la noce d'aujourd'hui I

Mais comme je veniens, Monsieur, tout aussitôt, O

225   Qu'en ce rencontre y la je nous seriens battu. U

LE JUGE.

Bénit soit le procès de l'A, E, I, O, U.

Écrivez donc Greffier.

LE GREFFIER.

Monsieur, je n'entends goutte.

LE JUGE.

Et quoi ? Ne faut-il pas que le Greffier écoute.

GRAND-FRANÇOIS.

Oh bien, Monsieur, vela, j'avons dit l'action,

230   C'est à vous à bailler voute contusion.

LE JUGE.

Je conclus, concluant par conclusion brève

Que vous serez très tous pendus en pleine Grève,

Et si vous appelez d'un si beau jugement,

Je conclus, concluant, conclusitivement,

235   Pour ne vous plaindre point de notre procédure,

Que je ne conclus rien de peur de mal conclure.

Le Juge et le Greffier s'en vont.

COLIN.

Bon, nous vela pas mal.

GRAND-FRANÇOIS.

Pargué, d'effet, samon,

Mais marguene, Colin, aveuc tout ton sarmon.

Que veux-tu dire aussi, tiens si tu m'en veux croire,

240   Margué, tu larras là toute ta belle Histoire,

Vela le festin prêt qui vient subitement,

Et nargué tu nous viens bailler du compliment,

Allons, gros Jean, prenez Nicolas par la patte :

Et faut-Il pour un rien qu'un bon ami se batte ?

245   Donne ta main, Colin.

COLIN.

Marguene...

GRAND-FRANÇOIS.

  Do[nne] don.

COLIN.

Non, jarnigué, je veux qu'il demande pardon.

NICOLAS.

Et de quoi ?

COLIN.

Ô de quoi ?

GROS JEAN.

Oui de quoi ?

COLIN.

Ventriguene,

De ce qu'il a voulu coucher avec Glaudenne.

NICOLAS.

Il n'est margué pas vrai.

COLIN.

Margué, je dis que si.

GROS JEAN.

250   Et puisqu'il n'est pas vrai, Colin, t'as tort aussi.

COLIN.

Et bien, margué, n'importe, il faut qu'il le confesse

Ou je ne ferons rien.

NICOLAS.

Mais ventriguene....

GRAND-FRANÇOIS.

Et qu'est-ce?

Dis qu'oui.

NICOLAS.

Je le veux bien.

COLIN.

Mais margué de franc coeur.

NICOLAS.

Oui, parguene.

COLIN, embrassant Nicolas.

Ô bien don je suis ton serviteur.

GRAND-FRANÇOIS.

255   Ah, voila qui va bien ; bon voici le notaire.

Bonjour, à Monsieur Bertrand.

SCÈNE V.
Monsieur Bertrand, Grand François, Gros Jean, Claudine, Colin.

NICOLAS.

Ah bonjour, vieux frère.

GROS JEAN.

Bonjour, Monsieur Bertrand.

BERTRAND.

Bonjour, bonjour, Gros-Jean.

Or ça, je viens ici...

COLIN.

Bonjour, Monsieur Bertrand.

BERTRAND.

Bonjour.

GRAND-FRANÇOIS.

Nous venez vous lire des hereticles ?

BERTRAND.

260   Oui, si Dieu plaît.

GRAND-FRANÇOIS.

  Et bien, boutez donc vos besicles.

BERTRAND, lit.

Par devant Bertrand Douillet, Tabellion d'Aubervilliers. Furent présents en leurs personnes Jean Laurens, dit Grand-François, demeurant audit Aubervilliers ; et Perrette Cre sa femme, d'une part : Guillaume Buttan, Maître Carillonneur et premier Chasse-chien de la grand'Église dudit lit à Catherine Vigreux sa femme, lesquels de leur bon gré ont reconnu et confessé avoir fait et font les promesses et accords de mariage qui ensuivent, à savoir de Colin Battan et de Claudine Vigreux, tous bourgeois dudit lieu tant du côté paternel que maternel ; l'un à l'autre agés de chacun dix neuf ans environ, plus ou moins sans conséquence. Pour la grande affection qu'ils se portent, pour avoir gardé par l'espace de dix ans les vaches ensemble, ils ont désiré se conjoindre par lien matrimonial sous le bon plaisir de leurs parents et amis. Lequel Guillaume Buttan non ici présent pour être détenu au lit d'un coup de pierre au beau milieu du dos, a donné et donne - Colin Battan son fils et futur époux, par ces présentes, en faveur de mariage un arpent d'héritage assis audit Aubervilliers. Plus une charrue attelée d'un boeuf et d'un âne âgés de quarante cinq ans ou environ ; ensemble ses habits, savoir un paletot d'écarlate noire doublé de jaune cramoisie, un fonds de chauffe de blanchet gris, une chemise garnie de son colet de toile à boussette. Item une paire de guêtres et de souliers de vache tout neufs ; en outre la somme de onze livres quinze sols six deniers tournois en belle pistole, et monnaie blanche. Et quant au dit Laurent, dit Grand-François, père de la future épouse, pour la bonne amitié qu'il porte, lui a donné en faveur dudit mariage un quartier et demi de pré fraîchement tondu, assis au lieu et territoire de la Motte, plus une vache sous poil grivelé avec le pot à traire et autres ustensiles de ménage, et outre son trousseau garni de deux draps et une nappe frangée d'une aune un douze ou environ avec ses bagues et ses joyaux, desquels ledit Colin Battan, futur époux, s'est tenu à tient pour content, et a donné et donne ladite future épouse de la somme de quatorze sous six deniers tournois, pour icelle avoir et prendre sur une masure sise en la plaine de Long-Boyau, et est accordée entre lesdites parties qu'au cas que l'un desdits futurs époux décède sans enfants procrées de leur mariage, le survivant remportera ce qu'il aura apporté ainsi qu'ils ont présentement accordé. Et quant à tout, etc. et obligeant, et renonçant, et fait et passé, etc.   [ 11 Chasse-chien : Portier, bedeau. [L]]

LE GRAND FRANÇOIS.

Bon, voilà qui va bien, donnez, je signerons.

François, s'écrit-il pas avec deux O ronds ?

BERTRAND.

Tout comme il vous plaira.

GRAND-FRANÇOIS, après avoir signé.

Véla qu'a bonne menns

BERTRAND.

Allons Monsieur Colin.

COLIN.

Quoi ! Faut-il que je senne ?

BERTRAND.

265   Belle demande !

GRAND-FRANÇOIS, à Colin qui prend la plume de la main gauche.

  Bon, peste du jobelin.  [ 12 Jobelin : Jeune jobard, petit jobard. [L]]

BERTRAND.

De l'autre main !

COLIN.

Ah, oui, P, G, C, Q, Colin.

BERTRAND.

À vous, Claudine, allons.

CLAUDINE.

Je ne sais point écrire,

Monsieur Bertrand.

GRAND-FRANÇOIS.

Pargué va, tu nous fais bien rire :

Hé, prend la plume, allons, boute là tes cinq doigts.

CLAUDINE.

270   Je m'en vais seulement faire cinq ou six croix ;

Sera-ce assez ?

COLIN.

Fais-en plutôt plein un carrosse.

SCÈNE VI.
Marion, les conviés, Grand-François, Colin, Gros-Jean, Nicolas, Claudine, Bertrand.

MARION.

Voici tous les Monsieux qui venons la nôce,

Mon père, ma Grand dit que vous dongniez la clé

Pour avinre des noix dans le grenier au blé.

GRAND FRANCOIS.

275   La vela, quien, allons, que l'on boute la nappe.

BERTRAND, après que Claudine a signé.

Vous écrivez fort bien.

CLAUDINE.

Mon Guieu, le coeur me tape.

BERTRAND.

Or ça, Messieurs, adieu.

GRAND-FRANÇOIS.

Bonsoir, Monsieur Bertrand.

BERTRAND.

Au moins vous savez bien...

GRAND-FRANÇOIS.

Marguene, allez-vous-en.

Ne savons-je pas bien tout sen qui faudra faire ?

On fait paraître une table servit rustiquement.

COLIN.

280   Glaudenne, ventrigué, je ferons bonne chère.

GRAND-FRANÇOIS, aux Conviés.

Vous qerez mal traitez, mais margué, voyez vous,

Messieurs, vous y serez tout enfin que chez vous,

Boutez-vous donc tretous...

COLIN.

Pargué sans simonie.

GRAND-FRANÇOIS.

Allons donc, Nicolas, Gros-Jean, jarni ma vie,

285   Boutez-vous donc, Messieurs.

SCÈNE VII.
Marion, Grand-François, Le Vielleux, Gros-Jean, Nicolas, Claudine, Les conviés.

MARION.

  Voici les violons.

UN VIELLEUX.

Bonjour Messieurs.

COLIN.

Bonjour.

LE VIELLEUX.

Voici deux bons garçons,

Qui vont pargué jouer des branles d'importance.

COLIN.

Ho, je somme bien fous, après pause la danse.

Jouez.

UN VIELLEUX.

Je ressemblons à l'oisiau de cheu nous,

290   Je ne saurions chiffler si je ne sommes fous.

Il boit.

Aveuc vot parmission ; margué, le front me sue.

COLIN.

Et là, là, tirez bas, de crainte de la vue.

LE VIELLEUX.

Véla qu'est bien, ronflons.

CHANSON.

Aga Piarot le terrible accident,

295   J'avions fait acheter une fort bonne éclanche,

J'esperions la manger, et l'était belle et blanche.

Maturenne qui a le coeur grand

Voulait régaler nos parents,

L'estions auprès du feu les mains dessus les hanches,

300   Je buvions demistié tourjour en attendant,

Mais hélas dans le même instant

Un matin l'atrapit sur le bout d'une planche,

Et nous la croquit sur le champ,

Il n'en laissit rien que le manche ;

305   Aga Piarot le tarible accident.

COLIN.

  Hé margué Nicolas,

Puis je sont bons amis, pargué, tu danseras.

NICOLAS.

Je ne sais point danser. Laisse-moi là.

COLIN.

Pargué,

Hé danse un tantinet pour l'amour de Glaudene.

UN CHOEUR DE PAYSANS.

Pargué, vive Glaudenne.

UN AUTRE CHOEUR.

Et vive aussi Colin.

GRAND-FRANÇOIS.

310   Chacun s'aille coucher, Messieurs, jusqu'à demain.

 


EXTRAIT DU PRIVILÈGE du ROI.

Par grâce et privilège du Roi, donné à fONTAINEBLEAU le 7 juillet 1666, Signé, Par le Roy en son Conseil, PUCELLE : il est permis à G. MARCOUREAU, Sieur de BRÉCOURT, l'un des comédiens de notre troupe ;de faire imprimer, vendre et débiter par quelque imprimeur ou marchand libraire qu'il voudra choisir, une pièce de théâtre intitulée, La Noce de village : pendant le temps de cinq années , et défenses sont faites à toutes personnes de l'imprimer ou faire imprimer, vendre ni débiter d'autre édition que celle de l'exposant, ou ceux qui auront droit de lui, à peine de trois mille livres d'amende, confiscation des exemplaire contrefaits, et de tous d"pens, dommages et intérêts : ainsi qu'il estporté plus au long par lesdites lettres de privilège.

Registré sur le Livre de la Communauté

Achevé d'imprimé pour la première fois le dernier jour de juin 1681.


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Notes

[1] Plaid : Audience d'un tribunal. [L]

[2] Diable à quatre : faire beaucoup de bruit, causer beaucoup de désordre (locution qui provient d'une représentation scénique du moyen âge qu'on appelait la grande diablerie à quatre personnages ; celle où il n'y en avait que deux se disait la petite diablerie) [L]

[3] Bissêtre : Mot inusité présentement, qui signifiait malheur, malaventure. [L]

[4] Glaudenne : Claudine.

[5] Besicles : Familièrement. Vous n'avez pas bien mis vos besicles, vous y voyez mal. [L]

[6] Lorgner : Observer à la dérobée, en tournant les yeux de côté. [L]

[7] Pagnorte : pagnote. Qui est sans courage, sans énergie. [L]

[8] Drille : Fantassin, soldat à pied. [L]

[9] Bile : Fig. Mauvaise humeur, colère. [L]

[10] Intimé : L'intimé, l'intimée, personne qui, ayant gagné son procès en première instance, est appelée devant un tribunal supérieur par sa partie. L'appelant et l'intimé. [L]

[11] Chasse-chien : Portier, bedeau. [L]

[12] Jobelin : Jeune jobard, petit jobard. [L]

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