LA COMÉDIE À LA FENÊTRE

Écrite le matin pour être jouée le soir.

Représentée, pour la première fois, sur le théâtre de l'Hôtel Castellane le 22 mars 1852.

1852.

Par ARSÈNE HOUSSAYE

PARIS. MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS, rue Vivienne, 2 bis.

PARIS. - IMPRIMERIE DE PILLET FILS AÎNÉ, rue des Grands-Augustins, 5.


Texte établi par Paul FIEVRE, novembre 2021.

Publié par Paul FIEVRE, décembre 2021

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:40.


PERSONNAGES.

HENRI DE MONTAIGNAC, M. BRINDEAU.

MADAME ***, Mlle JUDITH.

UN ÉTUDIANT, M. GOT.

ROSINE (une étudiante), Melle FIX.

UN GROOM.

La scène se passe à Paris, sur un balcon et aux fenêtres d'une mansarde.


LA COMÉDIE À LA FENÊTRE

Le théâtre représente deux étages extérieurs d'une maison de la rue de l'Université ; l'étage du balcon et l'étage des mansardes. Le spectateur voit deux fenêtres à chaque étage. Le balcon est divisé par un mur mitoyen formé de rosiers et d'orangers.

SCÈNE PREMIÈRE.
L'étudiant, Rosine.

L'ÉTUDIANT, se penche à sa fenêtre au-dessus du balcon du balcon et y cueille des roses avec des pincettes.

Voilà mon bouquet pour Rosine.

ROSINE, se montre à la fenêtre.

Ah ! La beau soleil ! Comme cela réjouit le coeur ! Il me semble que le mien joue du violon.

L'ÉTUDIANT.

Qu'elle est jolie avec ses cheveux en révolte ! Ma voisine, voulez-vous des roses ?

ROSINE.

Les femmes prennent ce qu'on leur donne.

L'ÉTUDIANT.

Et les femmes donnent ce qu'on leur prend.

Un silence.

Mademoiselle Rosine ?

ROSINE.

Chut ! Vous allez encore dire une bêtise.

L'ÉTUDIANT.

Qu'est ce que vous répondez à mon billet doux ?

ROSINE.

Je ne l'ai pas lu.

L'ÉTUDIANT.

Cela ne vous dispense pas de répondre. Quoi ! Un billet en prose et en vers !

ROSINE.

Rassurez-vous. Votre billet est bien placé. Je l'ai mis là....

Elle montre son sein.

L'ÉTUDIANT.

Alors c'est un billet sous-seing privé.

ROSINE.

Vous n'êtes pas sérieux ; vous ne m'aimez pas.

L'ÉTUDIANT.

Je vous aime comme les Normands aiment les procès et comme les sculpteurs aiment le marbre.

ROSINE.

Et moi comme le vent aime les girouettes. Je veux bien accepter vos roses, à la condition que vous ne me parlerez pas d'amour.

L'ÉTUDIANT.

De quoi voulez vous que je vous parle ? Je vous aime.

ROSINE.

Vous aimez quatre femmes à la fois.

L'ÉTUDIANT.

Le coeur est une maison à quatre étages. Au rez-de-chaussée, c'est l'amour mélancolique qui se nourrit de larmes et qui se tourne vers le passé. Au premier étage, c'est l'amour grand seigneur qui traîne se robe à queue. Au second étage, c'est c'est la gaie science de la comédienne qui va à Dieu et au Diable. Au troisième, c'est quelque passion sérieuse qui rêve, qui cherche, qui attend, comme notre voisine du dessous. Au quatrième étage, c'est l'amour allègre qui vit de l'air du temps avec les oiseaux qui viennent becqueter les miettes de la table, avec le soleil qui est un joyeux compagnon d'aventures. J'habite tout-à-tour tous les étages de mon coeur, mais je ne me plais jamais tant que sur le toit en face de ce joli portrait. Or, je ne vous vois qu'en buste et je voudrais bien qu'il fût permis d'aller un peu fumer mon cigare à vos pieds...

Il allume une pipe.

ROSINE.

Ah ! Mon Dieu !

L'ÉTUDIANT.

Qu'y a-t-il donc ?

ROSINE.

Je viens de reconnaître là-bas Monsieur Arthur qui vient ici.

L'ÉTUDIANT.

Quoi ! Vous recevez Monsieur Arthur ?

ROSINE.

Je voudrais bien ne pas le recevoir, mais il a pris la clef de ma chambre.

L'ÉTUDIANT.

Ouvrez-moi la porte, et je promets de défendre votre vertu, - Mademoiselle, - contre les agressions de Monsieur Arthur.

ROSINE.

Vous me sauvez !

L'étudiante disparait de sa fenêtre et Rosine de la sienne.

SCÈNE II.
Henri, Un groom.

HENRI.

Il passe sur le balcon et de retourne à la fenêtre pour parler à son groom.

Saint-Jean ?

LE GROOM.

Voilà, Monsieur !

HENRI.

Apportez-moi mon passeport.

LE GROOM.

Je lis le journal de Monsieur. Je ne peux pas faire deux choses à la fois.

HENRI.

Comment, coquin, tu ne peux pas faire deux choses à la fois et tu demandais le droit au travail ! Mais moi qui demande le droit à ne rien faire, je fais toujours deux choses à la fois.

Il prend le passeport et lit.

« Monsieur Henri de Montaignac, demeurant à Paris, rue de l université. - Front ordinaire. » - Soyez donc un homme extraordinaire ! « Barbe rousse. » - Barberousse ? C'est un nom de mélodrame, et d'ailleurs, j'ai fait ma barbe. « - Point de signe particulier. » C'est bien le signalement de ceux qui ont trente-trois ans. C'est bientôt dit. Voilà comme on écrit l'histoire. Avec un pareil passeport, J'ai toutes les chances du monde d'être pris pour un autres. Mais l'univers est ma patrie, je suis connu sur les grands chemins. Je vais aller à Harlem ; c'est la saison des tulipes, je veux en cueillir une dans le pays des tulipes. J'ai bien été allumé mon cigare au Vésuve ! Adieu, mon cher balcon, adieu, mes roses, adieu mes verveines. Nul ne viendra vous voir, car celle qui vous arrosait de ses blanches mains n'est plus digne de franchir le seuil de ma porte.

Un silence. - Il cueille une rose et l'effeuille.

- Est-ce que j'aimerais encore Ninon ? - Non. Car ce que nous aimons dans une femme, c'est l'amour qu'elle a pour nous et non l'amour qu'elle a pour une autre.

L'ÉTUDIANT, reparaissant à sa fenêtre.

Rosine, pourquoi ne m'avez vous pas ouvert votre porte ? Est-ce que vous avez eu peur de moi ?

ROSINE.

Non, j'ai eu peur de moi.

SCÈNE III.
Henri, Madame ***, L'étudiant, Rosine.

MADAME ***, apparaît un livre sous le nez ; elle voit Henri à la dérobée.

Ce livre m'ennuie. Qui sait le commencement sait la fin.

Elle regarde les roses.

C'est étonnant ! Est-ce que le voisin cueillera mes roses ?

ROSINE, respirant le bouquet.

Le soleil luit pour tout le monde.

L'ÉTUDIANT.

Rosine ?...

ROSINE.

Chut ! Cela m'amuse ; il me semble que je lis un roman.

HENRI, à part.

Que cette femme est ténébreuse ! C'est tout un conte, c'est tout une histoire, c'est tout un poème ! Si je lui parlais ! Pourquoi pas, puisque je n'ai rien à lui dire.

MADAME ***.

Il me semble que mon voisin a décidément quelque chose à me dire.

HENRI.

Madame, puisque aussi bien nous voyageons sur la même route, c'est à dire à la fenêtre, nous pourrions nous parler un peu par dessus ce mur mitoyen. Vous le savez, Madame, que quand deux voyageurs se rencontrent sur le grand chemin, - comme ici, - ils ont le bon esprit de supprimer tous les avant-propos inventés par ceux qui n'avaient rien à dire ou rien à faire. On y va gaiement, le coeur sur la main. On se rencontre, on est bon compagnon pendant une heure, on partage le même souper à l'auberge et le même enthousiasme dans le paysage et dans le monument ; on se quitte tout aussi gaiement qu'on s'est rencontré ; on ne pense même pas à se dire adieu.

MADAME ***.

Comme vous dites si bien, Monsieur, nous pouvons nous parler ; autant en emporte le vent !

HENRI.

Nous avons trop voyagé, je suppose, pour craindre désormais les voyages.

MADAME ***.

Où êtes-vous donc allé ?

HENRI.

Voulez-vous parler des voyages du coeur ?

MADAME ***.

Il est bien question de cela ! C'est à vos jambes que j'ai l'honneur de parler.

HENRI.

Je suis allé partout, et encore plus loin. J'ai même fait le tour de moi-même.

MADAME ***.

Moi, je n'ai fait que le tour du monde.

HENRI.

Aimant les voyages, et ne sachant où aller, je me suis avisé, un matin que le soleil selon sa coutume s'était levé plus tôt que moi, d'ouvrir ma fenêtre.

MADAME ***.

Ouvrir sa fenêtre, c'est ouvrir la porte du monde.

HENRI.

Oui, mais on ne passe pas le seuil.

Il regarde, avec un soupir, le grillage qui sépare le balcon.

MADAME ***.

Prenez garde, Monsieur, vous allez abattre un pan de notre mur mitoyen.

HENRI.

Je n'en serais pas plus avancé. À quoi bon, d'ailleurs ? Je ne veux pas tomber dans la gueule du loup. Pardonnez moi cette périphrase.

MADAME ***.

Voilà qui est d'un style délicat.

HENRI.

Les loups ont de belles dents, mais des dents aiguës. Je ne veux pas me livrer à l'ennemi. Oh ! Les enfants, ceux-là qui jouent cartes sur table, bon jeu bon argent !

MADAME ***.

Quelle est la femme bien apprise qui ne voit pas le dessous des cartes ?

HENRI.

Vous, la première. Dites moi un peu pourquoi je vous ai parlé aujourd'hui ?

MADAME ***.

Pour savoir mon secret. Mais vous entreprendrez plus d'un voyage chez moi sans connaître le pays.

HENRI.

C'est de la haute politique

MADAME ***.

Oui, une femme d'esprit est un homme politique qui ne dit pas son dernier mot. Son secret, c'est toujours le secret de l'État.

HENRI.

Dieu lui même n'a jamais dit le sien.

MADAME ***.

Vous devenez rêveur.

HENRI.

Je songe « que toute femme est amère et n'a dans sa vie que deux bonnes heures : l'heure de l'amour et l'heure de la mort. »

MADAME ***.

La belle pensée ! Est-ce de vous ?

HENRI.

Je crois que oui.

MADAME ***.

Vous avez de l'esprit.

HENRI.

Il y a toujours beaucoup de gens d'esprit, qui n'en ont pas. - La plupart de ceux qui veulent prouver à tout le monde qu'ils en ont ne se le sont pas prouvé à eux-mêmes.

MADAME ***.

J'en connais qui l'ont prouvé à eux-mêmes, mais qui ne l'ont jamais prouvé à personne. Vous, Monsieur, je vous affirme que vous avez de l'esprit.

HENRI.

Oui, comme une bibliothèque en désordre, où l'on trouve jamais le livre qu'on cherche.

MADAME ***.

Et où l'on trouve toujours le livre qu'on ne cherche pas.

HENRI.

Ce que vous dites là, c'est l'histoire de l'amour. Vous savez la chanson ?

MADAME ***.

Non. Chantez la moi.

On entend chanter Rosine.

HENRI.

Écoutez ! Une chanson, c'est toujours le même chanson.

ROSINE, chante.

Qui suit l'amour, l'amour le fuit ;

Qui fuit l'amour, l'amour le suit.

HENRI.

C'est l'éternelle histoire des battements du coeur ; les vieux chantres grecs l'ont dit aux vents, les vents l'ont dit aux flots, les flots l'ont dit au sable du rivage. Pan aimait Écho, Écho soupirait pour un pâtre, qui mourait pour une hamadryade, laquelle idolâtrait un faune tout enchaîné dans les pampres d'une bacchante.

MADAME ***.

Vous avez de la littérature.

HENRI.

C'est un cruel jeu de la destinée que d'avoir ainsi toujours séparé les coeurs amoureux. Qui sait ! C'est peut être l'amour lui-même qui a joué ce jeu là. Cette soif ardente vers la coupe toute pleine pour un autre, c'est l'enfer, mais c'est l'amour.

MADAME ***.

Oui, aimer qui ne vous aime pas, c'est l'amour ; aimer qui vous aime, ce serait le paradis.

HENRI.

Ce paradis là s'ouvre quelquefois : car il arrive que deux coeurs battent au même diapason ; quand l'un va aimer et que l'autre va cesser d'aimer, il y a un moment où l'on se rencontre et où l'on traverse l'infini !

MADAME ***.

Vous êtes poète.

HENRI.

Tout ce qui vous plaira. C'est possible, d'ailleurs, car je ne sais rien.

MADAME ***.

Oui, les poètes sont des ignorants sublimes ; - les bêtes du bon Dieu : - savoir c'est perdre.

HENRI.

Il en est qui aiment pour être aimés. Ils montent l'échelle d'or ; mais dès qu'ils la font monter, ils la descendent.

MADAME ***.

Voilà de la haute poésie : je n'y comprends plus rien.

HENRI.

Traduction libre : je vous aime, Madame ; vous ne m'aimez pas ; mais vous m'aimerez un jour, et je ne vous aimerez plus.

MADAME ***.

Voilà deux impertinences dans la même phrase.

HENRI.

Voulez vous que je vous dise que je ne vous aime pas ?

MADAME ***.

On ne dit pas à une femme : je vous aime ; mais surtout on ne lui dit pas : je ne vous aime pas. Voyons, vous m'aimez. Eh bien ! Après ?

HENRI.

Après ? La belle question ! Pour qui me prenez vous ?

MADAME ***.

De quoi seriez vous capable pour me prouver votre amour ?

HENRI.

De tout.

MADAME ***.

Cela n'engage à rien. Voyons, seriez-vous capable de vous jeter du haut de ce balcon ?

HENRI.

Non. Mais je serais peut-être capable de vous épouser.

MADAME ***.

Rassurez-vous, je veux bien qu'on m'épouse, mais je ne veux épouser personne.

HENRI.

Et vous,? Est-ce que vous seriez capable de vous jeter par la fenêtre ? Voulez-vous ?

MADAME ***.

Non. Par la cheminée si vous voulez.

L'ÉTUDIANT.

Songez, Rosi,e, que je veux faire votre fortune six semaines durant, car j'ai touché hier mon trimestre.

ROSINE.

Six semaines ? C'est trop ou trop peu.

L'ÉTUDIANT.

Eh bien ! Trois mois en trois jours. Vous broderez vos manchettes après.

ROSINE.

Avant.

L'étudiant ouvre un journal.

C'est cela, étudier !

L'ÉTUDIANT.

Est-ce pour étudier qu'on est étudiant !

On entend sonner ; Henri se tourne vers sa fenêtre.

MADAME ***.

Eh bien ! Où allez-vous, Monsieur ?

HENRI.

On sonne à ma porte, Madame.

MADAME ***.

Allez donc ouvrir.

HENRI.

À qui ? À celui qui n'a pas d'esprit, à celle qui n'a pas d'amour ?

MADAME ***.

C'est peut-être la destinée elle même qui sonne à votre porte.

HENRI.

La destinée ? Elle repassera.

MADAME ***.

C'est peut être la fortune.

HENRI.

Ah ! La fortune ! Elle ne repassera pas. Mais c'est une mauvaise connaissance.

MADAME ***.

Eh bien ! Priez la de passer chez moi.

HENRI.

Volontiers, car ce n'est pas cela que je cherche. Diogène cherchait un homme, moi je cherche une femme.

MADAME ***.

Vous ne trouvez pas.

HENRI.

Le fait est qu'il y a bien longtemps que je n'ai eu l'honneur de voir une femme.

MADAME ***.

Eh bien ! Je vous remercie. Me prenez vous pour une pintade ?

HENRI.

Si je vous prenais pour une femme, je vous prendrais ; mais vous êtes Madame de Saint-Appoline, ou Madame de Saint-Claire.

MADAME ***.

Enfin une sainte du calendrier. Allez toujours, je ne vous dirai pas mon nom.

HENRI.

Comment vous nommez-vous, Madame ?

MADAME ***.

Comme il vous plaira, Monsieur.

HENRI.

Prenez garde ! Je vais vous appeler Opportune.

MADAME ***.

Soit ! C'est un nom charmant. Aimez vous les masques ?

HENRI.

Oui, un bal masqué. On croit qu'il y a quelque chose dessous... Oh ! Les insensé, ceux-là qui font tomber un masque.

MADAME ***.

Il y en a un second, quand le premier est tombé. Par exemple, ne suis-je pas masquée pour vous ?

HENRI.

Parce que je ne vous ai jamais vue.

MADAME ***.

Vous n'en savez rien ; mais vous m'auriez vue tous les jours de votre vie, que vous me connaîtriez encore moins.

HENRI.

Tout aveugle que je sois, j'y vois assez pour être ébloui par votre beauté.

MADAME ***.

Je vous vois venir avec vos bottes de sept lieues. Vous allez me dire encore que vous m'aimez ; mais vous n'en croyez pas un mot, ni moi non plus. Le temps en est passé des coups de soleil...

On entend la sérénade de Dom Pasquale sur un piano.

Nous ne chantons plus la sérénade.

HENRI.

Mais je chante toujours, moi.

MADAME ***.

Je vous défie bien de la chanter.

HENRI.

Prenez garde !

MADAME ***.

En plein vent, comme un orgue de barbarie ?

HENRI.

Que dit la brise

Aux pampres amoureux,

5   Daphné surprise

Dans les bois ténébreux !

Que chante l'onde

Qui passe au Rialto,

L'étoile blonde

10   Qui va boire au Lido ?

Toute le vie

L'âme ravie

Est asservie

Au mot : aimer !

15   Vénus l'a dit sur le rivage amer,

En secouant les perles de la mer.

Le sphinx silencieux

N'a pu le taire ;

C'est le secret des cieux

20   Tombé sur la terre.

     

Sur sa gondole

Stella pâle d'ennui,

Hier idole,

Pleure seule aujourd'hui.

25   La mort, dit-elle,

Aura fermé mes bras,

Cher infidèle,

Quand tu me reviendras.

Sur la lagune,

30   Dans le nuit brune,

Avec la lune,

J'apparaîtrai.

Et si tu vois mon fantôme égaré,

Et si tu sans comme je t'ai pleuré

35   De mon tombeau mouvant

Ouvrant le porte,

Tu rejoindras vivant

La blanche morte.

     

À la fin des couplets, l'étudiant entre chez Rosine par le fenêtre.

MADAME ***.

Mais vous chantez...

HENRI.

Comme Mario, n'est-ce pas ?

MADAME ***.

N'avez vous pas remarqué, comme moi, qu'en France, depuis que tout le monde est musicien, personne ne chante plus ? - Excepté vous.

HENRI.

Madame, que dites-vous de la chanson ? Voilà que je vous ai parlé d'amour en prose ou en vers.

MADAME ***.

Ne prenons pas les ridicules du sentiment, nous sommes de trop bonne compagnie.

HENRI.

Ainsi, vous n'aimez plus ?

MADAME ***.

Non, Monsieur, Dieu merci !

HENRI.

Voilà un Dieu merci bien placé. Songez donc, Madame, que pour ceux qui n'aiment pas, la terre tourne dans le vide, tandis que pour ceux qui aiment...

MADAME ***.

Elle tourne dans le ciel...

À part.

Il a raison...

Haut après un silence.

Ne m'avez vous pas dit que vous partiez, Monsieur ?

HENRI.

Oui, Madame, je vais à Harlem.

MADAME ***.

À Harlem ? Vous me rapporterez la tulipe verte ?

HENRI.

Oui, - dans trois ou quatre ans, - car je veux courir le monde encore une fois, avant d'en finir avec toutes les belles folies de la jeunesse.

MADAME ***.

Et comment allez-vous finir ?

HENRI.

Après avoir feuilleté le roman de la vie, j'en ouvrirai respectueusement l'histoire ; j'épouserai une vraie femme, s'il y en a encore, une vraie femme qui sera l'honneur et la joie de ma maison, qui la peuplera de blonds enfants joueurs qui seront ma seconde jeunesse.

MADAME ***.

À la bonne heure ! L'enfant prodigue fera tuer le veau gras.

HENRI.

Le boeuf gras, s'il vous plaît, car j'ai horreur du veau et de la politique. - Vous sortez, Madame ?

MADAME ***.

Non, j'ai commandé mes chevaux que pour quatre heures. J'oubliais que j'ai un mot à écrire par là...

Elle descend dans sa chambre.

SCÈNE IV.
Henri, L'étudiant, Rosine.

HENRI.

Voilà, il me semble, une bataille perdue. J'aime mieux aller à Harlem. Là-bas comme ici, il est vrai, c'est toujours le même homme et la même femme sous un autre habit.

Il allume un cigare.

ROSINE, effarée.

Comme Monsieur Arthur a frappé à ma porte.

L'ÉTUDIANT.

Il croit que c'est comme l'Évangile, qui dit : « Frappez, et l'on vous ouvrira. »

ROSINE.

Eh bien ! Et vous ? Je ne vous ai pas ouvert et vous êtes entré, est-ce dans l'Évangile cela ?

L'ÉTUDIANT.

Qu'est ce que cela ma fait, pourvu que le royaume des cieux m'appartienne.

On sonne encore.

HENRI.

Allons, voilà encore cette sonnette babillarde. Saint-Jean, qui vient là ?

LE GROOM.

Une lettre de Venise, venue sous le couvert de l'Ambassade d 'Autriche.

HENRI, brisant le cachet.

Une lettre de Venise !...

« Monsieur, pourquoi ne vous le dirai-je pas ? Les Alpes me serviront d'éventail pour cacher ma rougeur ; je vous aime de loin comme de près. Je suis partie pour Venise, parce que je voulais fuir mon amour, en vous fuyant ; mais j'ai emporté mon coeur. Êtes-vous capable de faire le même chemin pour que je vous retrouve ? Je ne vous envoie pas mon portrait, parce que je n'ai pas encore eu le temps de poser : j'ai vingt ans et les Vénitiennes m'ont dit que j'étais belle. ROSALBA. »

SCÈNE V.
Henri, Madame***.

MADAME ***.

Que lisiez-vous dont là avec autant de passion ?

HENRI.

Une lettre extravagante, signée Rosalba. Une déclaration d'amour qui m'arrive toute brûlante, après avoir traversé les Alpes.

MADAME ***.

Quelle folie ! Et vous croyez à cela ?

HENRI.

Pourquoi pas ? C'est bien désintéressé. Et puis, que voulez-vous, ne trouvant pas l'amour sous sa main, on va le chercher au bout du monde.

MADAME ***.

Bon voyage, mon voisin.

HENRI.

Oui, bon voyage ! Le pays du soleil et des chevelures dorées. J'irai plus tard à Harlem cherche votre tulipe verte.

MADAME ***.

Vous aimez les femmes rousses ?

HENRI.

Qui vous parle des femmes rousses ! Est-ce que les Vénitiennes de Titien et de Véronèse sont rousses ? C'est l'or le plus pur.

Il relit sa lettre.

Rosalba.

MADAME ***.

Eh bien ! Monsieur, il parait que votre coeur voyage déjà ?

HENRI.

Je vous assure que cette lettre mystérieuse m'a donné un coup de feu. Vous avez le coeur savant, Madame, dites-moi s'il n'y a pas là un vrai amour ?

MADAME ***, lisant la lettre.

Oui, mais au delà des Alpes.

HENRI.

Il n'y a plus de Pyrénées pour la politique, il n'y a d'Alpes pour l'amour. Et puis qu'importe, s'il y a moins loin au delà des alpes qu'au delà de ce mur mitoyen.

Montrant le grillage.

Voilà le Mont-Blanc de la vertu.

MADAME ***.

Il y pousse des roses sur le bord des abîmes.

HENRI.

Savez-vous, Madame, que mes roses vont de votre côté ?

MADAME ***.

Monsieur, ce sont les mienne. Je connais le code. Tout ce qui va de l'autre côté du mur mitoyen appartient au voisin.

HENRI.

Prenez garde, Madame, votre main est à moi.

MADAME ***.

Non, Monsieur, c'est vous qui n'avez plus vitre tête, car elle dépasse du mur.

Henri baise la mains de Madame ***.

HENRI.

Ah ! Si c'était le mur de Pyrame et Thisbé !

MADAME ***.

C'est curieux de voir comme vos fleurs et les miennes ont abusé de la permission d'être ensemble : les voilà toutes qui se donnent le main.

HENRI.

En vérité, c'est une conduite trop légère. En plein soleil !

MADAME ***.

Est-ce vous, Monsieur, qui cueillez mes roses ?

HENRI.

Moi, Madame, je ne sais pas qui me prend les miennes.

L'ÉTUDIANT

Je ne sais pas non plus. Qui est-ce qui le sait ?

HENRI.

On ne les laisse pas fleurir.

L'ÉTUDIANT

Est-ce que les voleurs attendent que le fruit soit mûr ? Qu'en dites vous Rosine ?

MADAME ***.

Quand partez vous ?

HENRI.

C'est vrai, je n'y pensais plus . - Adieu, Madame ! - Permettez mois de vous baiser le main.

MADAME ***.

Tout à l'heure, vous vous dispensé de la permission. Est-ce que vous allez partir tout de suite ?

HENRI.

L'ennui me faisait partir aujourd'hui pour Harlem, l'amour m'envoie à Venise. Adieu, Madame.

MADAME ***.

Adieu, Monsieur.

SCÈNE VI.
Madame ***, L'étudiant, Rosine.

ROSINE.

Il vont cherche midi à quatorze heures, comme si l'amour était une affaire compliquée. Mais l'amour, c'est tout simple : on se rencontre, bonjour, bonsoir, et c'est fini. Moi, je n'y vais pas par quatre chemins.

L'ÉTUDIANT.

Vous avez bien raison,Rosine. L'amour, c'est une chanson qu'on chante à deux ; après avoir chanté la chanson, on ne chante plus que le refrains, et quelquefois on le chante tout seul !

ROSINE.

Oui, et quand on ne chante plus du tout, on ferme sa porte au passé et on ouvre sa fenêtre à l'avenir.

L'ÉTUDIANT.

Puisque l'avenir est entré, si nous fermions la fenêtre ?

ROSINE.

Prenez garde ! Je vais vous ouvrir la porte.

SCÈNE VII.
Les mêmes, Henri.

MADAME ***.

Est-ce qu'il est parti pour de bon ?

HENRI, reparaissant.

J'avais oubliée...

MADAME ***.

Est-ce que vous avez été retenu par votre soeur ?

HENRI.

Ma soeur ! Qui vous a dit ?...

MADAME ***.

Je sais tout. Je sais votre passion pour les voyages impossibles et pour les femmes extravagantes.

HENRI.

Ma soeur m'a beaucoup parlé de Madame la Comtesse de ***.

MADAME ***.

Chut ! Ne dites pas mon nom. Paris c'est comme le bal masqué ; à la première rencontre, tout le monde est étranger ; une heure après, on se sait par coeur.

HENRI.

Quoi ! Il y a six semaines, quand vous êtes venue habiter ce balcon, vous saviez le nom de votre voisin ?

MADAME ***.

Ne vous rappelez-vous donc pas que nous nous sommes rencontrés à Venise ?

HENRI.

À Venise ? Aux bacchanales du Lido ? Vous étiez voilée jusqu'aux pieds.

MADAME ***.

Oui, je pleurais mon mari.

HENRI.

Avec d'aussi beaux yeux ?

MADAME ***.

Vous avec donc oublié qu'en revenant, par cette belle nuit étoilée ? Vous avez donné quatre bouteilles de vin de chypre à vos gondoliers pour leur faire chanter des vers du  Tasse, que le Tasse n'a jamais écrits? Il y avait une gondole qui suivait le vôtre.

HENRI.

Et dans cette gondole, il y avait une femme.

MADAME ***.

Qui se laissait prendre à cette poésie vénitienne.

HENRI.

Une femme à qui j'ai donné la main pour débarquer à la place Saint-Marc et qui a disparu comme l'ombre d'Armide ? Adieu, Madame, car il est temps de partir.

MADAME ***.

Pourquoi est-il temps de partir ?

HENRI.

Parce que, si je ne partais pas aujourd'hui, je ne partirais pas demain, Madame. Adieu, donc.

MADAME ***.

Adieu, Monsieur.

Il s'éloigne.

HENRI, se retournant.

Ne me parlez vous pas ?

MADAME ***.

Je vous dis adieu.

HENRI.

Ne trouvez vous pas, Madame, que rien n'est plus triste qu'un adieu ?

MADAME ***.

Surtout entre gens qui ne se connaissent pas.

HENRI.

Vous vous trompez, nous nous connaissons beaucoup.

MADAME ***.

Ah !

HENRI.

Oui. En vous voyant, il m'a semblé que je vous revoyais. Le poète l'a dit : la vie est un roman qu'on lit pour le seconde fois. Je suis bien sûr de n'en être pas à ma première existence et de vous avoir aimée dans un autre siècle.

MADAME ***.

En Egypte ou en Chine ? Sous quelle forme ?

HENRI.

Sous la forme d'une chimère.

MADAME ***.

Pourquoi n'aurions nous pas été tout simplement Adam et Ève ?

HENRI.

Je n'en répondrais pas. Ce qui est certain, c'est qu'en vous voyant, il m'a semblé que je me retrouvais en pays connu, et qu'en vous quittant, Madame, je crains d'avoir le mal du pays.

Un silence.

MADAME ***.

Qui vous dit de partir ?

HENRI.

Vous ne me dites pas de rester.

L'ÉTUDIANT.

Il partira.

ROSINE.

Il ne partira pas.

Elle enfile nue aiguille, l'étudiant prend le fil.

Qu'est ce que c'est que de nous ? C'est une drôle de chose que la vie !

L'ÉTUDIANT.

La vie est un fil que Dieu tient pas les deux bouts et qu'il nous donne à retordre.

MADAME ***.

Ce voyage est donc sérieux ?

HENRI.

Oui, je suis las de toujours commencer, je veux en finir.

MADAME ***.

En finir ! Est-ce que vous êtes décidé à vous marier ?

HENRI.

Oui, très sérieusement. La plupart des femmes sont des coupes ciselées avec art, mais il faut les aimer des yeux et non des lèvres, parce qu'il n'y a rien dedans. Ici,c'est autre chose, si celle qui a écrit une pareille lettre est belle comme vous,je l'épouse, ce sera ma dernière folie.

MADAME ***.

C'est bien, cela !

Elle tend la main à Henri.

HENRI.

Il y a si longtemps que je cherche une vraie passion ! J'étais comme le navire qui tend ses voiles et qui n'a pas le bon vent. Ô Venise ! Venise !

MADAME ***.

Je pars aussi pour Venise.

HENRI.

Pourquoi allez-vous à Venise ?

MADAME ***.

Pour assister à vos noces.

HENRI.

Vous vous moquez de moi.

MADAME ***.

Nenni. Je vous présenterai à elle.

HENRI.

Alors, nous allons voyager ensemble ? Je ne comprends pas.

MADAME ***.

Ah ! Si vous ne voulez pas comprendre ! Cette Rosalba...

HENRI.

C'est donc vous.

MADAME ***.

Je vous expliquerai cela sans ce mur mitoyen.

HENRI.

Est-ce que Napoléon n'a pas passé les Alpes ? Je franchis le Mont-Blanc.

Henri franchit les Alpes du balcon.

MADAME ***.

Est-ce votre dernier voyage ?

HENRI.

Non, la lune de miel est invisible à Paris. Partons pour Venise.

MADAME ***.

Si vous voulez ; mais seulement nous passerons par le mairie du dixième arrondissement

Elle entre dans son appartement avec Henri.

SCÈNE DERNIÈRE.
L'étudiant, Rosine.

L'ÉTUDIANT.

Ah ! ah ! ah ! Que dites vous de ce dénouement là, Rosine ?

ROSINE.

Je dis que nous n'irons pas nous marier au même arrondissement.

La toile tombe.

 



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