ATHÉNAÏS

TRAGI-COMÉDIE

M. DC. XXXXII. Avec Privilège du Roi.

DE MAIRET

À PARIS, Chez JONAS DE BREQUIGNY, au Palais, en la salle Dauphine, à l'Envie.

Représenté pour la première fois en en 1639 à Paris.


Texte établi par Paul FIEVRE, Février 2018

Publié par Paul FIEVRE, Mars 2018.

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:39.


À MONSEIGNEUR l'Illustrissime et Révérendissime Évêque du Mans, EMERIC MARC DE LA FERTÉ

MONSEIGNEUR,

Quand je vous offre cet outrage, ie ne prétends pas vous présenter rien de nouveau, de rare, ni de surprenant, puisqu'il y a plus de quatre ans que mon ATHÉNAÏS vous est connue, et que je me suis engagé solennellement à vous, de ne la mettre jamais au jour que sous les Auspices de votre Nom. Je m'acquitte donc aujourd'hui de cette promesse, que je vous fis en un temps et dans une condition où je ne prévoyais pas que vous fussiez un jour l'agréable sujet de ma servitude. Mais il est vrai que vous avez une rencontre et des manières d'accueillir les honnêtes gens, dont il est malaisé de se défendre. C'est par ces grâces du dehors qui plaisent généralement à tout le monde, que vous m'avez particulièrement attiré à l'honneur de votre service, et c'est par la connaissance de vos plus secrètes vertus, qu'on m'y verra toujours arrêté. Comme vous êtes (MONSEIGNEUR) assez indulgent pour n'user pas à la rigueur de tout le droit que vous avez sur moi, vous trouvez bon que la nécessité de mes affaires et le commerce des Muses, qui me demandent souvent à Paris, me dispensent quelques-fois des assiduités que je voudrais rendre à votre personne : Et néanmoins, durant quatre ou cinq mois seulement que j'ai passés auprès de vous, je n'ai pas laissé d'y remarquer tant de lumière d'esprit, tant de science et de probité, qu'il est impossible de vous approcher, qu'on n'en devienne aussitôt beaucoup meilleur et plus éclairé. De sorte (MONSEIGNEUR) que si j'estimais auparavant avoir mérité quelque chose en me donnant à vous, je crois maintenant au contraire que vous m'avez chargé d'une particulière obligation en me recevant, jusques-là même que n'ayant jamais connu de Trésor plus précieux que la liberté, je suis marri de ne vous avoir pas rendu Maître de la mienne plutôt, vu que c'est un bien dont je ne pouvais pas mieux jouir, ni me servir plus utilement qu'en le perdant entre vos mains. L'Hôtel du grand Henry de Montmorency et la Maison de feu Monseigneur le Comte de Belin, ont été les deux illustres écoles où j'ai pu m'instruire suffisamment à la pratique du Monde, de la bienséance et de l'Honneur : Mais il importait à ma bonne fortune que je cherchasse encor chez vous la consommation de cette excellente nourriture, afin de passer de l'étude des choses de la Terre, à la connaissance de celles du Ciel et de la véritable sagesse, qui consiste principalement en la piété que vous professez. Oui, MONSEIGNEUR, il était de mon bonheur et de mon Destin tout ensemble, que je fusse témoin domestique de la beauté de votre vie, pour en former un exemple à la conduite de la mienne, n'ignorant pas que le chemin de la Vertu ne soit le plus court et le plus assuré de tous ceux qui peuvent conduire à vos bonnes grâces un Esprit fait comme le vôtre, aime moins par inclination que par jugement ; Et vous jugerez plutôt de moi par l'intégrité de mes moeurs que par la réputation de mon nom et de mes ouvrages. La plupart des Maîtres et des grands seigneurs, donnent quasi toujours leurs amitiés à ceux qui les flattent, et leurs récompenses à ceux qui les trompent. Mais, grâces à Dieu, vous n'êtes non plus d'humeur à recevoir de moi ces lâches devoirs et ces complaisances criminelles, que je suis en disposition de vous les rendre. C'est pourquoi, MONSEIGNEUR, j'ai cet avantage en ma sujétion, que je puis vous plaire sans bassesses, et vous louer sans flatteries. Je ne crains pas que l'absence ou la calomnie me fassent de mauvais offices auprès de vous, ni que vous manquiez de me faire du bien aux occasions, pourvu que je ne manque pas d'être moi-même homme de bien. Pour cet effet je n'ai qu'à vous suivre quelquefois en ces fructueuses visites, où la dévotion du peuple, la charité de l'Évêque à l'instruire, et sa patience à le confirmer, me font une parfaite image du zèle ardent de la primitive Église ; Je n'ai qu'à considérer le soin que vous apportez à l'édification des Bons et à la réformation de ceux qui ne le sont pas, l'innocence et l'exacte justice que vous apportez à la Collation des Ordres et des Bénéfices je n'ai qu'à me rendre attentif à ces éloquentes Prédications dont vous ravissez les plus délicats ; En un mot, je n'ai qu'à vous imiter quoi qu'imparfaitement en vos actions les plus ordinaires, pour atteindre en peu de temps à la perfection du Christianisme et de la Morale. Il fallait nécessairement à la Mitre que vous soutenez, un successeur de votre prix, pour réparer la perte qu'elle avait faite en la dernière tête qui l'a portée. La place que vous aaez prise, pouvait être occupée de plusieurs, et peu sans doute étaient capables de la remplir. Ceux qui vous connaissent bien, MONSEIGNEUR, n'ont jamais estimé qu'une récompense de moindre prix que celle-là, dût satisfaire un mérite comme le vôtre : Quoi que disent l'Envie et la Médisance, je ne désespère pas que ce même mérite ne fasse quelque jour autant de bruit au Vatican qu'il en a déjà fait au Louvre par l'approbation du plus juste de tous nos Rois, et qu'ensuite il ne vous élève à l'Éminence de ces grands personnages, les Cardinaux de Bourbon, de Luxembourg et de Rambouillet, qui se sont assis devant vous dans la Chaise de Saint-Julien. Il est croyable que le successeur de Saint-Pierre voudra confirmer en vous le digne choix du successeur de Charlemagne et de Saint-Louis, par la dernière marque d'honneur qu'il peut donner aux premiers hommes de l'Église. Quoi qu'il en arrive, si les bonnes prédictions des poètes ne sont pas toujours prophétiques, à tout le moins ne sont-elles pas de mauvais augure ; Et pour peut la Fortune soit raisonnable, elle doit rendre en votre faveur ce témoignage authentique de sa réconciliation avec le Mérite. Elle donna jadis un exemple beaucoup plus rare de sa Justice et de sa Puissance, en l'aventure d'Athenais, de qui la victoire merveilleuse qu'elle est partout, n'a point d'incident qui vous plaise davantage que celui de sa conversion. Le soin que vous prenez du salut d'âmes, me fait avoir cette pensée ; et c'est par là que je prétends vous rendre agréable la lecture de cet ouvrage, plutôt que par la beauté des vers et des sentiments de

MONSEIGNEUR

Votre très humble et très obéissant serviteur,

MAIRET.


Épigramme à Mr. de MAIRET, sur son Athénais.

Bien que Théodose en mourant ;

Soit pour la gloire ou pour l'adresse,

Doive emporter le nom de Grand

sur tous les Princes de la Grèce :

Puisqu'Athénaïs aujourd'hui

Est dans l'Empire autant que lui,

Si sans avoir en est la cause ;

MAIRET au jugement de tous,

C'est être plus que Théodose

Que d'être aussi savant que vous.


Le Tombeau d'Athénaïs au mesme.

Ci git (où vit l'honneur qui naquit avec elle)

La docte Athénaïs, soeur ou fille des Dieux,

Qui vécut et vivrait adorable a nos yeux

Si la vertu rendait une femme immortelle.

Sa fortune ici bas fut si grande et si belle,

Que même elle en rendit son auteur envieux,

Et perdant à la mort un bien si précieux,

La douleur qu'elle en eut fut juste et naturelle.

Mais depuis qu'un ouvrage et si grand et si beau

À l'égal de son trône illustra son Tombeau,

L'Ouvrage est son Auteur sont si dignes d'envie,

Qu'en l'état glorieux qu'ils ont réduit son sort,

S'il était à son choix de rentrer dans la vie,

Elle aurait plus de peine a sortir de la mort.

A. D. L. A. D. N.


PERSONNAGES

ATHÉNAÏS, fille du Philosophe Léonce.

THÉODOSE, Empereur d'Orient.

PULCHÉRIE, soeur de Théodose.

TEGNIS, confidente de Pulchérie.

PAULIN, favori de Théodose.

VALÈRE, frère d'Athenaïs.

PHOCAS, capitaine des Gardes de Théodose.

La Scène est à Athènes, ville de Grèce.


ACTE I

SCÈNE PREMIÈRE.
Théodose, Paulin.

THÉODOSE.

Il est vrai mon cher Paulin, qu'à ne considérer

Que cette Majesté qui nous fait adorer,

Et cette vaine pompe étonnant le vulgaire,

Qui nous coûte beaucoup et ne nous sert de guerre,

5   Le peuple mal instruit nous croit aussi content

Que dans l'or et la pourpre il nous voit éclatants.

Mais ceux qui par sagesse, ou par expérience,

Parlent de notre sort avec plus de science,

Savent que les chagrins et les cuisants soucis

10   Sont avec les grands Rois dans les Trônes assis.

Pour moi qui fais briller mes armes et ma gloire

Des rivages de l'Inde à ceux de la mer Noire :

Moi, qui règne absolu sur tant de régions,

Autant par mon crédit que par mes légions,

15   Et qui dans les travaux que la Couronne apporte,

Suis encore assisté d'une âme grande et forte,

D'une fidèle soeur sans reproches ett sans prix,

Dont le sens merveilleux est rarement surpris,

Et qui par ses conseils prudents et salutaires

20   Agit si clairement dans la nuit des affaires :

J'éprouve néanmoins en mon état présent

Que le faix d'un Empire est un faix bien pesant,

Qui laisse rarement ou le temps ou l'envie

D'abandonner son âme aux plaisirs de la vie.

PAULIN.

25   Sans complaire ou flatter, je m'étonne en effet

De voir un Empereur, des Princes le mieux fait,

Vivre avec tant de soin ou tant de retenue

Que l'ombre des plaisirs ne lui soit pas connue,

Quoi qu'ils s'offrent à vous par tout où vous allez,

30   Surtout depuis trois mois si doucement coulés,

Que votre Majesté visite ses provinces.

Pour le commun bonheur des sujets et des Princes.

Quant à moi, je confesse avec sincérité

Que des lieux de la Grèce où nous avons été,

35   Aucun n'est comparable à la ville où nous sommes,

Pour le nombre et le prix des femmes es des hommes :

Aussi de tous les Grecs, le peuple Athénien

S'estime le mieux fait et le plus ancien,

Et croit qu'avec l'éclat qui suit votre présence,

40   Athènes, en beauté surpasserait Byzance.

THÉODOSE.

Vous me vantez, si fort cet aimable séjour,

Que j'en soupçonne en vous quelque raison d'amour,

Et je suis bien trompé si des beautés d'Athènes

Quelqu'une en peu de jours ne vous met dans ses chaines.

45   Une certaine brune est souvent chez ma soeur,

Qui pourrait bien surprendre et gagner votre coeur.

PAULIN.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que le Dieu de la terre

Me fait sur mes amours une agréable guerre :

Mais de la raillerie entrons au sérieux.

50   Vous le meilleur des Rois et le plus glorieux,

Ne donnerez-vous point d'une couche seconde

Des serviteurs au Ciel, et des Maîtres au monde ?

Le siècle où nous vivons serait bien détesté

S'il avait vu finir en votre Majesté

55   L'incomparable sang de Trajan et d'Arcade.

THÉODOSE.

Va Orateur qui plaît aisément persuade.

De cet hymen d'État j'approuve la raison.

Mais j'en remets l'effet à quelqu'autre saison,

Rien ne presse, Paulin, cet esclavage illustre

60   Me viendra qu'assez tôt à mon neuvième lustre.

PAULIN.

Et quoi pour satisfaire à l'ardeur de nos voeux

Attendriez vous que l'âge eut blanchi vos cheveux ?

Le plaisirs d'hymenée et les fruits qu'il nous donne,

Valent mieux au printemps, qu'ils ne font en automne.

THÉODOSE.

65   Si la raison d'État m'en pouvait dispenser,

Jamais celle d'amour ne m'y ferait penser.

PAULIN.

L'Auguste Théodose est encore en un âge,

Où l'on change aisément d'humeur et de langage.

THÉODOSE.

En tout temps l'homme sage est maître de son coeur :

70   Mais j'aperçois venir la Princesse ma soeur

Avec les mouvements d'un visage qui montre

Qu'elle vient a dessein de chercher ma rencontre.

SCÈNE II.
Pulchérie, Théodose, Paulin.

PULCHÉRIE.

Seigneur, je vous cherchais avec empressement,

Pour vous dire la joie, ou le ravissement

75   Où vient de me plonger un merveilleux spectacle,

Le chef-d'oeuvre du Ciel et son plus beau miracle,

Une beauté naïve, aimable en la froideur,

Et dont l'honnêteté paraît en sa pudeur,

D'une assurance grave, et d'un regard modeste,

80   Telle enfin qu'on peindrait une beauté céleste.

Sachant donc la puissance où j'ai toujours été

De connaître de tout sous votre autorité,

Elle est tantôt venue implorer notre grâce

Contre la cruauté d'un frère qui la chasse,

85   Et plaignant son malheur, nous la représenté

Avec tant d'éloquence et tant de netteté,

Qu'au point du jugement, je l'ai voulu suspendre,

Pour me donner encor le plaisir de l'entendre,

L'obligeant à dessein de revenir ici

90   Pour vous donner moyen de l'écouter aussi,

Comme je viens exprès vous en prier moi-même.

THÉODOSE.

Vous me faites, ma soeur, une faveur extrême,

Et je ne doute point, après votre rapport,

Que cette nouveauté ne me contente fort.

PULCHÉRIE.

95   Mais de peur que l'éclat qui suit votre personne

Avec juste raison ne la trouble et l'étonne,

Il serait à propos que sans qu'elle vous vit,

Sa grâce vous charmât, et sa voix vous ravit.

THÉODOSE.

Le moyen ?

PULCHÉRIE.

Le moyen se présente sans peine

100   Par cet endroit vitré de la chambre prochaine.

THÉODOSE.

Il faut voir ce miracle, et nous sommes contents

De suivre vos avis quand il en sera temps.

PAULIN.

Je brûle également de la voir et l'entendre.

PULCHÉRIE.

Vous pourrez tous les deux et sans beaucoup attendre,

105   Puisque mal aisément aura-t-elle manqué

De revenir au temps précisément marqué,

Phocas qui la connaît, pour être aussi d'Athènes,

Nous en dira bientôt des nouvelles certaines :

Il s'est chargé du soin de me la présenter,

110   Et c'est en sa faveur qu'il vient solliciter.

PHOCAS, survenant.

Je vous ramène encor l'innocence oppressée,

Cette jeune orpheline.

PULCHÉRIE.

Où l'avez-vous laissée ?

PHOCAS.

Dans la salle, Madame, où ses larmes en vain

Combattent les rigueurs de ce frère inhumain,

115   Que l'on peut mieux nommer un monstre d'avarice.

PULCHÉRIE.

Amenez-les tous deux, on leur fera justice.

THÉODOSE.

Phocas rentre.

Phocas est pour la soeur.

PAULIN.

Je suis pour la Beauté.

PULCHÉRIE.

Et moi, qui dois juger, je sais pour l'équité.

Passe donc dans la chambre avant qu'elle vous voie,

120   D'où les sens tous remplis de merveille et de joie,

Vous verrez aisément sans paraître au dehors

La beauté de l'esprit jointe à celle du corps :

Hâtez-vous, la voici, qui triste autant que belle,

Augmente la pitié qui me parle pour elle.

SCÈNE III.
Athénaïs, Pulchérie, Valère, Tegnis, Phocas.

PULCHÉRIE.

125   Faites-les approcher, Phocas.

PHOCAS.

  Avancez-vous.

PULCHÉRIE.

Non, non, je ne veux pas qu'on me parle à genoux,

Levez-vous l'un et l'autre, et que chacun sans crainte

Expose ses raisons de défense et de plainte.

VALÈRE.

Madame, en peu de mots, feu mon père et le sien

130   Lui donnant tous ses soins, me donna tout son bien.

PULCHÉRIE.

Taisez-vous, votre soeur doit parler la première.

VALÈRE.

Mais j'ai part le premier aux droits de la lumière.

PULCHÉRIE.

N'importe, taisez-vous, vous parlerez après.

ATHÉNAÏS.

Celui dont je me plains me touchant de si près,

135   Que sa vie et la mienne ont commencé leur course

Et dans un même sang et d'une même source,

Que n'ont pu la Nature et nos communs parents

Empêcher ou finir nos honteux différents.

On ne me verrait pas Princesse incomparable

140   Accuser à vos yeux un frère inexorable,

Noircir mon propre sang, et rougir aujourd'hui

Pour la part que je prends à la honte d'autrui.

Exemple de bonté ! Faut-il que je produise

Devant le Tribunal où vous êtes assise

145   Un exemple inouï de dureté de coeur,

De mauvais naturel et d'injuste rigueur ?

Qui sans avoir failli me traite en criminelle,

Me ferme indignement la maison paternelle,

Et me refuse ailleurs, pour comble de tous maux,

150   Ce que trouvent partout les plus vils animaux,

Qui tiennent en pur don des mains de la Nature

Le bienfait du couvert et de la nourriture ;

C'est de tout notre bien qu'il a tout aujourd'hui

La seule et moindre part que j'exige de lui,

155   Qui loin d'être lui seul mon tuteur et mon père,

Est le seul qui m'opprime et qui me désespère

Au mépris du devoir et du sang qui nous joint,

Au mépris de mes pleurs qui ne le touchent point,

Et de son propre honneur dont le soin le convie

160   À me donner au moins ce qu'il faut pour la vie,

Avec la liberté d'appliquer mon esprit

À l'étude des arts que mon père m'apprit :

Ce sont ces mêmes arts acquits par mon étude,

Qui servent de prétexte à son ingratitude.

165   Il dit que notre père avec son amitié,

M'a donné de ses biens la plus noble moitié,

Me donnant sa vertu, son temps et sa science :

Le partage en effet est plus grand qu'il me pense,

C'est le seul que j'estime et que je puis vouloir

170   Si j'obtiens les moyens de le faire valoir :

Mais à quoi ce partage à mon sexe honorable,

Qui parmi les savants me rend considérable,

Si par un coup fatal à tant de vertueux

L'extrême pauvreté le rend infructueux ?

175   Que me sert de connaître et le Ciel et la Terre

Si la nécessité me déclare la guerre ?

Est-il esprit si grand, ou si bien affermi,

Qui ne cède aux efforts d'un semblable ennemi ?

Contre la cruauté d'un monstre si terrible

180   Alcide aurait perdu le titre d'invincible !  [ 1 Alcide : autre nom d'Hercule.]

Plus celui qu'il attaque a le courage haut,

Moins il a d'avantage à souffrir son assaut

Mais une autre raison, la plus faible du monde,

Appuie un autre point où sa rigueur se fonde.

185   C'est assez (dira-t-il) que les Astres amis

Ne manqueront jamais à ce qu'ils m'ont promis :

Mais s'il croit ce qu'il dit, il n'est pas raisonnable,

Et s'il ne le croit pas, il est impitoyable :

S'il pense que le Ciel m'appelle à de grands biens,

190   Pourquoi par ses bienfaits n'attire-t-il les miens ?

En l'espoir du futur, il devrait par avance

Pour son propre intérêt gagner ma bienveillance,

Et loin de me traiter avec sévérité,

Prendre part de bonne-heure à ma prospérité

195   Et s'il croit que jamais mon destin ne se change,

Sa haine ou sa rigueur n'est-elle pas étrange ?

Si mon frère aujourd'hui me refus ses soins,

Dois-je plus espérer de ceux qui me sont moins ?

Bref, préférant d'une âme à l'étude adonnée

200   L'olive de Minerve au myrthe d'hyménée,

J'ai beau lui demander les moyens suffisants

Pour jouir des amours de mes plus jeunes ans,

C'est ce qu'il me refuse et ce que tristesse

Avec pleurs et soupirs demande à votre Altesse,

205   Qui sans doute attentive et bonne comme elle est,

Médite en ma faveur un équitable arrêt.

VALÈRE.

Je me garderai bien, ayant à me défendre,

De tenter le chemin que ma soeur vient de prendre,

Celui de l'éloquence étant le plus aisé

210   Pour arriver au but qu'elle s'est proposé

Je ne saurais comme elle enrichir ma harangue

De tous les ornements de l'art et de la langue :

Je lui cède en ce point, et n'ai entrepris

De surprendre comme elle, et charmer vos esprits.

215   Les écrits d'Aristote et ceux de Démosthène

N'ont jamais occupé ni mon temps ni ma peine :

Mais je sais pour le moins qu'on ne peut par la loi

M'obliger au bienfait qu'elle exige de moi,

Et qu'un acte public fait à mon avantage

220   La prive expressément de tout notre héritage :

C'est une vérité qui tombe sous les sens,

Un Oracle de droit qui ne reçoit qu'un sens,

Et qui décide tout en pareille aventure.

PULCHÉRIE.

Donnez le testament, j'en ferai la lecture.

Testament de Léonce.

225   Je donne tous les biens qui sont en mon pouvoir

À mon fils, dont l'humeur, l'esprit et la conduite

Font juger du besoin qu'il en pourrait avoir.

Quant a ma chère fille, il suffit qu'elle hérite

De toute mon étude et de tout mon savoir,

230   Et qu'une vérité dans les astres écrite,

Lui promette et me fasse voir,

Que la fortune et le mérite

S'accorderont un jour afin de la pourvoir.

VALÈRE.

Peut-on plus nettement expliquer sa pensée ?

TEGNIS.

235   Peut-on plus mal traiter une soeur oppressée,

De qui les bonnes moeurs ont assez mérité

Votre reconnaissance ou votre piété ?

Dites si vous pouvez, quelle faute ou quel crime

Lui rend votre rigueur ou moindre ou légitime,

240   Vous ne mérités pas une si digne soeur,

Et vous la traiteriez, avec plus de douceur

Si vous n'étiez que lâche, ou simplement avare :

Mais vous êtes né Grec et vivez en barbare.

Je vous en dirais plus si nous étions ailleurs.

ATHÉNAÏS.

245   Mon frère aurait pour moi des sentiments meilleurs,

Si l'amour d'une épouse à qui je n'ai su plaire

N'eut attiré sur moi sa haine et sa colère,

Ce mauvais naturel a le sien corrompu,

Et contre mon repos a fait ce qu'il a pu.

VALÈRE.

250   Je prends du procédé tout le tort et le blâme,

e m'excusez, donc plus en accusant ma flamme.

ATHÉNAÏS.

Je serai lâche, avare, et tigre au dernier point :

Mais j'aurai tout le bien, et vous n'en aurez point.

PHOCAS, à Tegnis.

Voyez, rien ne l'émeut cette insensible souche.

TEGNIS.

255   Puisqu'il veut tout avoir, et que rien me le touche,

soit donc, que son Altesse en juge s'il lui plait.

VALÈRE.

Qu'elle en juge.

ATHÉNAÏS.

Ha mon frère !

PULCHÉRIE.

Écoutez mon arrêt.

Suivant du testateur le sens et le langage,

Qui dans ce parchemin nous parle clairement,

260   J'ordonne que le frère, aura tout l'héritage

Que lui donne le Testament,

Avec droit et pouvoir d'en user librement,

Sans laisser à la soeur un plus grand avantage

Que le mérite seulement.

265   La fortune et l'espoir, qui seront son partage.

     

Voilà mon jugement.

PHOCAS.

Dieu, qu'il est surprenant !

VALÈRE.

Qu'en dites-vous, ma soeur, ai-je tort maintenant ?

ATHÉNAÏS.

Vous aurez, toujours tort, si comme je l'espère,

Vous ne me tenez, lieu de tuteur et de père,

VALÈRE.

270   Avec tant de beauté, de grâce et de savoir,

C'est une vérité dans lesastres écrite,

Que la fortune et le mérite

Il s'en va.

s'accorderont un jour afin de vous pourvoir.

ATHÉNAÏS.

Et moi, je quitte aussi votre présence auguste,

À Pulchérie.

275   Sans plaindre ou murmurer contre un arrêt si juste,

Estimant que le sort est encore assez doux

Qui m'a causé l'honneur de baiser vos genoux.

PULCHÉRIE.

Ne vous affligez pas, ayez bonne espérance.

ATHÉNAÏS.

Hélas en qui l'apprendre, et sur quelle apparence ?

PULCHÉRIE.

280   Et moi, sur ma parole, et sur mon amitié.

ATHÉNAÏS.

Si mon affliction vous émeut à pitié,

J'ose tout espérer sans défiance aucune.

PULCHÉRIE.

Oui, j'aurai soin de vous et de votre fortune,

Remenez-la Phocas, et tantôt sur le soir

285   Souvenez-vous encor de me la faire voir.

ATHÉNAÏS.

L'excès d'une bonté si grande et si parfaite,

Rend mes esprits confus, et ma bouche muette.

PULCHÉRIE.

Adieu, retirez-vous. L'Empereur vient ici,

Sachons si nos desseins auront bien réussi.

SCÈNE IV.
Pulchérie, Théodose, Pavlin.

PULCHÉRIE.

290   Qu'en dites vous, Seigneur ?

THÉODOSE.

  Que ce sont des merveilles

Qui m'ont ravi d'un temps les yeux et les oreilles !

PAULIN.

Et possible le coeur.

THÉODOSE.

Je ne dis pas cela,

Non que son rare esprit joint aux beautés qu'elle a,

Ne la rende en effet bien digne d'être aimée.

PULCHÉRIE.

295   Je confesse pour moi que j'en reste charmée.

THÉODOSE.

Témoin le jugement que vous avez rendu.

PULCHÉRIE.

Faisant ce que j'ai fait, j'ai fait ce que j'ai dû.

Avez-vous observé son air sa modestie,

Et quand elle est entrée, et quand elle est sortie,

300   Sa grâce, son adresse, et son bon naturel

À couvrir les défauts de ce frère cruel ?

Surtout, sa retenue a paru toute entière

Comme en sa plus illustre et plus haute matière.

Quand j'ai donné l'arrêt qui vous a tant surpris,

305   Là certes sa douceur a charmé mes esprits,

Et la compassion m'a conseillé sur l'heure

De lui donner espoir de fortune meilleure.

THÉODOSE.

C'est le dernier discours que nous avons ouï,

Et qui l'a consolée, et qui m'a réjoui :

310   C'est une autre en effet digne de Pulchérie,

Aidez-la donc, ma soeur, sa vertu vous en prie.

PULCHÉRIE.

Je le ferai, Seigneur, par générosité,

Et par obéissance à votre Majesté :

Mais il s'agit encore d'une plus grande affaire

315   Qui rend votre présence au Conseil nécessaire,

Où les Ambassadeurs se trouveront exprès.

THÉODOSE.

Allez-y seulement, je vous suivrai de près.

PULCHÉRIE.

Allons-y donc. Il aime, ou je suis bien trompée.

SCÈNE DERNIÈRE.
Théodose, Paulin.

THÉODOSE.

Quelle agréable peste a mon âme frappée ?

320   Quel venin ai-je pris, quel poison ai-je bu ?

Qu'ai-je oui, cher Paulin, ou plutôt qu'ai-je vu ?

PAULIN.

On croirait à la fin que vous parlez sans feinte.

THÉODOSE.

Je souffre une sensible et véritable atteinte,

Une pointe de flamme, un violent désir

325   Me pique avec douceur, me trouble avec plaisir,

Et mon coeur amoureux, court, s'envole et soupire

Après le bel objet qui le charme et l'attire :

De là m'est survenue avec beaucoup d'efforts

Cette agitation et d'esprit et de corps,

330   Qu'assez visiblement je vous y témoignée.

En ce cruel instant qu'elle s'est éloignée :

Alors avec douleur, j'ai senti que mon coeur

S'est détaché de moi pour suivre son vainqueur.

PAULIN.

De tous les changements c'est là le plus étrange.

THÉODOSE.

335   C'est le visible effet de l'Amour qui se venge,

Et qui sur Théodose appesantit ses mains

Pour en faire un exemple au reste des humains,

Montrant aux nations, de sa force étonnées,

Qu'il impose le joug aux têtes couronnées.

340   Ô mes bons sentiments, en un moment trahis,

Que ne m'empêchiez-vous d'aimer Athénaïs !

Peu prévoyante soeur pourquoi vous ai-je crue ?

Trop charmante Beauté, pourquoi vous ai-je vue

Mais quoi si je me plains d'avoir vu ses appas,

345   Je me plaindrai bien plus si je ne les vois pas.

C'est ici que mon mal doit être mon remède,

C'est ici, cher Paulin, que j'implore ton aide,

Pour l'extrême besoin que t'en pourrais avoir

À me faciliter les moyens de la voir.

PAULIN.

350   Votre adorable soeur, qui l'estime et qui l'aime,

Vous rendra sans dessein cet office elle-même,

Je crois que sa pensée est de la retenir.

THÉODOSE.

Ô Dieu ! Si ce bonheur me pouvait advenir,

Que j'en prie ardemment l'Amour et la Fortuné !

355   Mais le soin du conseil me trouble et m'importune :

Allons toutefois puis qu'il y faut aller.

PAULIN.

Voilà le plus grand feu dont on puisse parler.

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE.
Tegnis, Athénaïs.

TEGNIS.

Pourquoi donc s'ennuyer, et soupirer sans cesse ?

Pourriez-vous être mieux qu'auprès d'une Princesse,

360   Qui fait de son Palais une école d'honneur,

Où toujours le mérite est suivi du bonheur,

Où le joug glorieux de notre servitude

Ne vous empêche point de vaquer à l'étude,

Où tout le monde admire et recherche à l'envi

365   Votre esprit excellent, dont chacun est ravi ?

ATHÉNAÏS.

Épargnez-moi de grâce.

TEGNIS.

Ou l'Empereur lui-même,

Pour comble de bonheur vous estime et vous aime.

ATHÉNAÏS.

Ce bonheur me suffit restreint à la moitié,

J'en souhaite l'estime, et non pas l'amitié :

370   Mais pour se divertir on parle de la sorte.

TEGNIS.

Je ne me moque point en ce qui vous importe.

ATHÉNAÏS.

Moquez-vous, s'il vous plaît, ou parlez tout de bon,

Il m'importe fort peu que cela soit ou non.

TEGNIS.

Vous n'aurez pas toujours cette humeur méprisante,

375   La bonheur se doit prendre alors qu'il se présente,

Autrement il échappe, et nous laisse confus

Du tardif repentir qui suit notre refus.

Il faut n'avoir point d'yeux pour ne pas reconnaître.

Que vous êtes aimable autant qu'on le peut être

380   Vous avez des beautés, des grâces, des appas,

Vous n'aurez pas toujours cette humeur mépri

Et des talents d'esprit que les autres n'ont pas

Sur la foi des savants on croirait que les Muses

Auraient toutes en vous leurs sciences infuses.

ATHÉNAÏS.

385   Aurez-vous bientôt fait ce merveilleux tableau ?

TEGNIS.

Je m'en vais le finir en deux coups de pinceau,

Et dire seulement, après la renommée,

Que la gloire du sexe est en vous consommée :

Mais ce divin esprit qui vous fait admirer,

390   Et cet aimable corps qui vous fait désirer,

Vous rendront à la fin la Nature importune,

Si ses biens ne sont joints à ceux de la Fortune.

Quittez, quitez, ma soeur, cette humeur qui vous nuit,

Attendez pour le moins le bonheurq ui vous suit,

395   Et recevez le bien que l'Amour vous envoie.

ATHÉNAÏS.

Je n'en veux point avoir que par la belle voie,

Et l'amitié du Prince en cette occasion,

Ne sauroit aboutir qu'à ma confusion.

TEGNIS.

Votre philosophie est un peu trop farouche,

400   J'ai charge de sa part, et de sa propre bouche,

De vous bien assurer qu'il restreint son espoir

Dans l'innocent plaisir de parler et de voir.

Je crois que ma vertu (sans offenser la vôtre)

Ne le cèderait pas à la rigueur d'une autre :

405   Mais ayant le mérite et l'heur que vous avez,

Et pouvant sur le Roi ce que vous y pouvez,

Sans confondre l'honneur le scrupule,

Je serais indulgente à l'ardeur qui le brûle,

Et sans m'effaroucher souffrirais ses discours,

410   Tant que la modestie en règlerait le cours :

C'est ainsi que Tennis, en l'assiette où vous êtes,  [ 2 Assiette : Manière de se poser, d'être posé. [L]]

Gagnerait la faveur par des moyens honnêtes :

C'est ainsi qu'en tous lieux aussi bien qu'à la Cour,

On ménage l'Honneur,la Fortune et l'Amour.

415   Ce discours cependant vous doit rendre assurée

De la vraie amitié que je vous ai jurée.

ATHÉNAÏS.

Votre amitié m'oblige autant que vos avis,

Que toute autre en ma place eut possible suivis :

Mais vous me permettrez de repousser encore

420   Une amour qui me trouble autant qu'elle m'honore,

Et sortir en fuyant de ce combat douteux,

Puisque l'événement en peut être honteux.

TEGNIS.

L'étude qui toujours à votre âme occupée,

Vous fait haïr la Cour, ou je suis bien trompée.

ATHÉNAÏS.

425   Il est vrai que j'embrasse une condition

Qui choque mon humeur et mon élection,

Et sans que Pulcherie en puisse être offensée,

Son palais me plaît moins que ne fait le Lycée.  [ 3 Lycée : Gymnase, lieu d'exercice, situé en dehors d'Athènes du côté du levant, et garni d'allées couvertes. C'est dans le Lycée qu'Aristote tint école de philosophie. [L]]

Je chercherais plutôt, s'il était à mon choix,

430   L'étude des savants que la chambre des Rois.

Hélas, si les Destins à mon bonheur contraires,

Me laissaient pour le moins les choses nécessaires

À cultiver les Arts que mon père m'apprit,

Avec la quiétude et la paix de l'esprit,

435   Je bornerais mes voeux, ma gloire et mon envie

Dans la tranquillité d'une si chère vie.

Tantôt considérant et de l'âme et des yeux

Les diverses beautés de la Terre et des Cieux,

Je verrais en tous deux, comme en une peinture,

440   Le merveilleux pouvoir du Dieu de la Nature.

Tantôt je me plairais à montrer les raisons

De l'ordre qui varie et change les saisons :

Tantôt celles des vents, des frimas, des tempêtes,

Et des corps enflammés qui grondent sur nos têtes.

445   Après, pour délasser mon esprit curieux

D'une étude si vague et si laborieux,

Je le promènerais dans ces belles allées,

Ces paisibles coteaux, ces secrètes vallées,

Et ces bois de laurier éternellement verts,

450   Ou coule à flots d'argent la fontaine des vers.

Mais quoi ! La pauvreté, ce monstre épouvantable,

Qui plus il est honteux, plus il est redoutable,

Confond tous mes desseins, les réduit en vapeur,

Et de son seul aspect m'étonne et me fait peur :

455   Ce mortel ennemi, dont je suis menacée,

Rend ma lyre muette, et ma veine glacée :

Car enfin vous savez, ô Nymphes que je sers !

Qu'on porterait en vain dans vos sacrés déserts

Un esprit accablé d'aucune inquiétude,

460   Qui par les soins du corps interrompe l'étude,

Vu qu'il est des beaux vers comme des Alcyons

Qui veulent un long calme à leurs productions.

Sages dispensateurs des fortunes du monde,

Seuls en qui désormais tout mon espoir se fonde,

465   Si du trône céleste, où vous êtes assis,

Vous daignez des mortels contempler les soucis,

Voyez ceux que je souffle, et ceux que me prépare

L'injustice d'un frère autant cruel qu'avare,

Qui me fait rechercher en la faveur d autrui

470   Ce que celle du sang me promettait de lui.

TEGNIS.

Voilà donc le sujet d'où vient votre tristesse,

Mais à quoi cet esprit ?

ATHÉNAÏS.

Allons chez son Altesse.

TEGNIS.

Je vois bien le sujet qui vous en fait aller.

Adieu, le Roi vous chasse, et je veux lui parler.

ATHÉNAÏS.

475   Je fuis son entretien, et non pas sa rencontre.

SCÈNE II.
Théodose, Paulin, Tegnis.

THÉODOSE.

Quoi, vous disparaissez sitôt que je me montre,

Et ma discrétion ne pourra m'obtenir

La faveur seulement de vous entretenir ?

PAULIN.

Que votre Majesté se donne patience,

480   Sa rigueur vient de crainte, elle est en défiance,

Non de sa propre force, ou de vos passions,

Mais de la pureté de vos intentions.

Sa naissance à la vôtre est si fort inégale,

Qu'elle croit votre amour à son honneur fatale,

485   Et que vous voir souvent ; ce serait allumer

Le bucher qui dans peu le pourrait consumer.

Il faut donc la guérir de cette injuste crainte :

Car pour s'imaginer que sa rigueur est feinte,

Ou que par artifice elle s'enfuit exprès.

490   Pour piquer vos désirs de s'emporter après.

On voit à sa façon son air, et sa jeunesse,

Qu'elle a trop d'innocence, et trop peu de finesse.

THÉODOSE.

Mon coeur (puisqu'en effet il n'a rien de trompeur)

La peut guérir du mal, mais non pas de la peur.

495   Plût au Ciel que son oeil put lire dans mon âme

Aussi facilement qu'il y jette sa flamme,

Afin que mon penser, qui n'a rien de brutal,

La guérit pour jamais de la peure et du mal.

TEGNIS.

Sire, Paulin et moi, trouverions, ce me semble,

500   Plus de force et d'adresse à l'attaquer ensemble.

Nos discours, nos avis, et même nos leçons,

Emporteraient si bien ses injustes soupçons,

Qu'elle aurait pour le moins un peu de complaisance,

Et pour votre entretien, et pour votre présence.

PAULIN.

505   Tegnis entend la chose, el la prend comme il faut,

Allons donc de ce pas lui donner un assaut.

THÉODOSE.

Stances à l'Amour.

Amour qui me faisant la guerre,

Troubles aussi mal à propos

Le plus noble moitié des peuples de la terre,

510   De qui ma vigilance assure le repos,

En me jetant l'esprit dans une nuit profonde,

Veux-tu le désordre du monde,

Toi qui l'as retiré de celui du chaos ?

     

Si tu ne veux que je respire

515   Ou sous la trêve ou sous la paix,

J'abandonne le trône et les soins de l'Empire.

Prends de tout l'Orient la conduite et le faix :

Mais récompense au moins mon trouble domestique

Par la tranquillité publique,

520   Et par le bien d'autrui, le mal que tu me fais.

     

Donc, ô puissante intelligence !

Si mon Ciel est digne de toi,

Si tu veux de mon sceptre exercer la régence,

Mêle tes intérêts aux intérêts du Roi,

525   Punissant pour tous deux, une ingrate rebelle,

Qui d'une audace criminelle

Refuse ton Empire, et me donne la loi.

     

Mais mon erreur est sans pareille,

Comme mon mal est sans espoir :

530   Craindrait-elle l'Amour, cette aimable merveille ?

Elle dont l'Amour même emprunte son pouvoir.

Que sa rébellion soit soufferte ou punie,

Il n'importe, aveugle Génie,

Si je puis seulement lui parler ou la voir.

     

535   Belle Athénais ! Mais voici Pulchérie.

SCÈNE IV.
Théodose, Pulchérie.

PULCHÉRIE.

Je comprends le sujet qui fait sa rêverie.

Depuis quand Théodose aime-t-il à rêver ?

THÉODOSE.

Depuis.

PULCHÉRIE.

Comment depuis ? Il faut donc achever.

THÉODOSE.

Le trouble de mon coeur s'explique de lui-même.

PULCHÉRIE.

540   Vous mettez mon esprit en une peine extrême,

Je ne puis deviner n'en ayant pas le don.

Est-ce que désormais mon conseil n'est plus bon,

Que mon gouvernement a gâté les affaires,

Et qu'enfin mes avis ne sont plus salutaires ?

THÉODOSE.

545   Vous en avez de bons, et de mauvais aussi.

PULCHÉRIE.

Il me semble pourtant qu'ils ont bien réussi,

Puisque tout l'Orient voit ses provinces calmes

Jouir d'un long repos à l'ombre de vos palmes,

Que votre nom divin, aux mortels sacré-saint,

550   Du Danube et de l'Inde est également craint,

Que vous seul avez droit de donner à la terre

Et les biens de la paix et les maux de la guerre :

Puisque le bruit fameux de vos derniers exploits

Fait trembler les lauriers sur la tête des Rois,

555   Que même on ne croit pas qu'entre les mains d'Auguste

L'Empire ait eu son corps plus sain et plus robuste,

Ni que l'Aigle Romain ait volé plus avant,

Ou regardé plus loin que le soleil levant.

La paix est dans vos champs, la pompe est dans vos villes,

560   Vos Grands n'excitent point des tempêtes civiles,

Tout le monde est content, et sans être haï

Vous êtes craint partout, et partout obéï :

C'est le meilleur état où puisse être l'Empire.

THÉODOSE.

Celui de l'Empereur ne saurait être pire,

565   Puisque lui conseillant de voir Athénaïs

Vous avez sa franchise et son repos trahis.

À travers ce cristal, sa parole et sa vue.

Il montre le cabinet vitré.

Ont jeté dans mon coeur le poison qui le tue.

Mon feu depuis trois jours s'est accru tellement,

570   Que ce n'est plus un feu, mais un embrasement.

PULCHÉRIE.

Certes la passion est extrêmement forte,

Qui vous peut obliger à parler de la sorte ?

Ce changement d'humeurs subit et si grand

Avec juste raison m'étonne et me surprend.

THÉODOSE.

575   C'est qu'Amour pour me vaincre a pris toutes les armes

Que lui peuvent fournir les attraits et les charmes,

Et presque en même temps, assaillant et vainqueur,

S'est emparé d'assaut du rempart de mon coeur.

PULCHÉRIE.

Tout bien considéré, vous n'êtes point blâmable

580   D'aimer une beauté parfaitement aimable,

En qui la main du Ciel a voulu renfermer

Tout ce qui peut ravir, ou qui peut faire aimer,

Pourvu que cet amour sans respect et sans bride

Ne vous emporte pas ou sa fureur le guide.

THÉODOSE.

585   Non, ma soeur, la raison qui règle mes désirs,

Me défend d'aspirer à d'injustes plaisirs.

PULCHÉRIE.

Quelle est donc votre fin, qu'en pouvez-vous prétendre ?

THÉODOSE.

Le seul contentement de la voir et l'entendre.

PULCHÉRIE.

Seigneur, à dire vrai, vous n'espérez pas tant

590   Qu'il ne soit bien aisé de vous rendre content.

THÉODOSE.

Sa rigueur est pourtant un obstacle invincible,

Qui jusqu'à mes regards la rend inaccessible.

Je n'ai pu l'aborder depuis le même jour

Que de ma propre bouche elle apprit mon amour.

PULCHÉRIE.

595   Si le seul entretien faisait comme vous dites,

De vos sages désirs les dernières limites,

Par un discret silence il fallait s'empêcher

De choquer son esprit, et de l'effaroucher.

THÉODOSE.

Oui, je me suis perdu par ma langue indiscrète,

600   Si vous ne réparez la faute que j'ai faite :

Aussi bien mon agent est trop tôt de retour

Pour avoir fait sa charge au gré de mon amour.

Et bien la verrons-nous cette aimable merveille ?

PAULIN.

Sire.

THÉODOSE.

Il n'est plus besoin de parler à l'oreille.

PULCHÉRIE.

605   Parlez, parlez tout haut, Ambassadeur discret,

Ne voyez-vous pas bien que je suis du secret ?

PAULIN.

Commençant ma harangue à cet esprit farouche,

Avec cette réponse il m'a fermé la bouche.

Je tiens chers et révère autant que je le dois

610   Les avis de Paulin, et les grâces du Roi :

Mais que sa passion soit véritable ou feinte,

En me comblant de gloire elle m'emplit de crainte,

Et sans trop me commettre ou trahir mon devoir,

Je ne puis en secret l'écouter ni le voir.

615   Qu'il vive donc en paix, ou qu'il m'y laisse vivre,

Mettant fin, s'il lui plaît, aux assauts qu'il me livre,

Ou mon éloignement l'obligera dans peu

D'employer mieux ailleurs ou d'éteindre son feu,

Là, rouge d'un dépit qui l'a faite plus belle,

620   Elle s'en est allée, et Tegnis avec elle.

Que ne croit déjà plus que votre Majesté

Adoucisse jamais cette austère Beauté ?

THÉODOSE.

C'est à vous, chère soeur, à mes maux secourable,

À me rendre auprès d'elle un office agréable,

625   En lui persuadant, comme vous le pouvez,

Que ma flamme est sans feinte, et que vous l'approuvez.

PULCHÉRIE.

Lui répondre pour ou d'une fureur extrême.

Dont vous ne sauriez pas vous répondre à vous-même ?

Approuver des désirs, qui tous sages qu'ils sont ?

630   Peuvent perdre en croissant l'innocence qu'ils ont ?

Seigneur, il nous sied mal, du sexe dont nous sommes,

De répondre en amour de la vertu des hommes.

Ainsi donc, s'il vou plaît, vous m'en dispenserez,

Et lourez mon refus, quand vous y penserez ?

THÉODOSE.

635   Doutez-vous de ma force, ou de ma retenue ?

PULCHÉRIE.

En semblable rencontre elle m'est inconnue,

Et je serai bien aise en cette occasion

De ne le prouver pas à ma confusion,

Puisque de vos destins l'étrange différence

640   D'une louable fin montre peu d'apparence,

Et que l'Amour lui-même assez hardi de soi,

Devient audacieux dans l'esprit d'un grand Roi,

Pour suivre bien souvent, tout respect en arrière,

Ses violents désirs qui n'ont plus de barrière.

THÉODOSE.

645   C'est vouloir me réduire avec trop de rigueur.

Aux termes de mourir, ou de vivre en langueur.

Vos conseils cependant sont la première cause

Des troubles que l'Amour excite en Théodose,

Et sous devez sans doute au mal que vous causez,

650   Le remède innocent que vous lui refusez.

Suffit dans un tourment ou personne ne m'aide,

Ma résolution doit être mon remède.

Il faut que malgré vous, ô beauté sans pitié !

Confidents sans pouvoir et soeur sans amitié,

655   Mon amour, du désir passe à la jouissance

Par un dernier effort digne de ma puissance.

Oui, me rendant heureux sans la faveur d'autrui,

Le coup que j'entreprends, fera voir aujourd'hui

Que les difficultés irritent mon envie.

PULCHÉRIE.

660   Voudriez-vous obscurcir l'éclat de votre vie,

Et par quelque action qu'on vous pu reprocher

Perdre ce fonds d'honneur que vous eûtes si cher ?

À ce brusque départ et ce morne silence,

Je crains qu'il ne s'emporte à quelque violence :

665   C'est pourquoi, cher Paulin, de tout votre pouvoir,

Allez, le retenir aux termes du devoir ;

Et s'il entreprend rien ou d'injuste ou de lâche,

Ne pouvant l'empêcher, faites que je le sache,

Afin que pour le moins, à toute extrémité,

670   On mette Athénaïs en lieu de sûreté.

PAULIN.

Il désire ardemment, pourtant je ne puis croire

Qu'il voulut possèder aux dépens de sa gloire

Je m'en vais toutefois, suivant votre ordre exprès,

Joindre mes pas aux siens, et l'éclairer de près.

PULCHÉRIE.

675   Et moi, puisqu'en tout cas la prévoyance est bonne,

Assurer son Amante auprès de ma personne.

ACTE III.

SCÈNE PREMIÈRE.
Pulchérie, Paulin, Tegnis.

PULCHÉRIE.

Et bien, sage Paulin, l'esprit de l'Empereur,

Écoute-t-il encor son aveugle fureur ?

PAULIN.

Que craignez vous de lui ?

PULCHÉRIE.

Tout ce que sa puissance

680   Lui peut faire entreprendre avec toute licence.

TEGNIS.

Le langage en effet, qu'il vient de me tenir,

Nous avertit d'un mal qu'il faudrait prévenir.

Oui Tegnis (m'a-t-il dit d'une froideur extrême)

On connaitra dans peu que je règne, et que j'aime

685   À juger sainement ce discours menaçant,

En la bouche d'un Prince amoureux et puissant,

Montre le désespoir où sa fureur le jette.

PAULIN.

Il n'entreprendra rien que l'honneur ne permette.

TEGNIS.

Trop souvent chez les Grands ce qui plait est permis,

690   Et quand un crime plaît il est bientôt commis,

Surtout lorsque la honte est une fois bannie,

Et que l'autorité rend la faute impunie.

PULCHÉRIE.

Pour moi je ne crois pas qu'en toute extrémité

Il perde le respect qu'il m'a toujours porté,

695   Ni qu'il veuille irriter par le crime et le blâme

À la possession de l'objet qui l'enflamme.

Que si (comme l'Amour pars ses yeux criminels

Peut gâter à la fin les plus beaux naturels ?)

Si, dis-je il arrivait par un malheur insigne,

700   Qu'il me désobligeât d'un traitement indigne,

Je le dis devant vous, son confident discret,

Je mourrais de dépit, de honte et de regret ;

Et son ingratitude une fois éprouvée,

Je vivrais pour toujours en personne privée.

PAULIN.

705   L'état de notre Empire, après cet accident,

Ne serait pas meilleur que celui d'Occident,

Et nous saurions trop tard à quel point nous importe

La soutien d'une main si fidèle et si forte :

PULCHÉRIE.

Non, pourvu que le Roi me veuille conserver

710   Ce qu'il pourra toujours, en conformant sa vie

Aux lois de l'équité qu'il a toujours suivie.

Que si le trait d'Amour dans son âme caché

Par sa propre vertu ne peut être arraché,

Si la possession est l'unique remède

715   Capable de guérir le mal qui le possède,

Il peut dés aujourd'hui trouver sa guérison,

Sans faire violence aux droits de la raison,

Puisqu'un prompt hyménée en sa fin légitime

Lui garde une maison de voluptés sans crime.

PAULIN.

720   Ce remède est si bon, que l'ayant proposé,

Vous blâmeriez le Roi s'il en avait usé.

PULCHÉRIE.

Pourquoi ?

PAULIN.

Pour des raisons qui me sont assez claires.

PULCHÉRIE.

Possible en avons-nous qui sont toutes contraires.

Tegnis, qu'en croyez-vous ?

TEGNIS.

Que sans vous offenser

725   Il ne peut concevoir un semblable penser,  [ 4 Penser : nom masculin au XVIIème pour « pensée ».]

Ni le mettre en effet sans vous faire une injure.

PULCHÉRIE.

Rien moins.

PAULIN.

Rien moins Madame !

PULCHÉRIE.

Oui, Paulin, je vous jure.

PAULIN.

Je ne craindrai donc plus de vous entretenir

Du sujet qui m'arrête et qui m'a fait venir,

730   Sans tenir plus longtemps votre esprit en balance,

Son amoureuse fièvre a tant de violence,

Et de si chauds désirs redoublent ses accès,

Qu'il n'en faut plus attendre un vulgaire succès.

Au point où j'ai connu que sa flamme le range,

735   Elle nous produira quelque chose d'étrange ;

Non d'injuste pourtant, et dont le souvenir

Soit de mauvaise odeur aux siècles à venir.

Il veut, lassé d'un sort qui devient toujours pire,

Que les mains de la Parque achèvent son martyre,  [ 5 Parque : Déesse qui selon les anciens païens, préside à la vie des hommes. [T]]

740   Ou que celles d'Hymen couronnent ses amours :

Ce sont des vérités que ses propres discours,

Tous confus qu'ils étaient, m'ont assez témoignées.

TEGNIS.

Ces deux extrémités sont beaucoup éloignées,

Un miracle d'amour les peut joindre pourtant.

PULCHÉRIE.

745   Et que ne fait-on point pour se rendre content ?

Théodose a raison. Pulchérie en sa place

Échaufferait ainsi cette Beauté de glace,

Achetant par le prix d'une telle action

Sa vertu, sa personne, et son affection :

750   Mais sans dissimuler, croyez>vous que sa flamme

Aille jusqu'à ce point ?

PAULIN.

Oui, je le crois, Madame.

Ma bouche en dirait plus, si pour l'en empêcher

Je n'avais dans le coeur la peur de vous fâcher.

PULCHÉRIE.

Je vous ai, déjà dit que je parlais sans feinte ;

755   Ouvrez-vous donc à moi sans réserve et sans crainte.

En cette occasion que craignez-vous pour moi ?

Ai-je offensé l'Amour, ai-je fâché le Roi,

Ou suis-je en sa disgrâce ?

PAULIN.

Aussi peu l'un que l autre.

Loin d'être en sa disgrâce, il craint d'être en la vôtre,

760   Et que blâmant l'ardeur dont son coeur est épris,

Vous ne soyez contraire au dessein qu'il a pris.

PULCHÉRIE.

Quel dessein a-t-il pris ?

PAULIN.

D'assoir un diadème

Sur le pudique front de la beauté qu'il aime.

PULCHÉRIE.

Il veut donc l'épouser ?

PAULIN.

N'en doutez nullement.

TEGNIS.

765   Ô Dieu !

PAULIN.

  Suivant mon ordre et son commandement

Je venais de sa part assurer votre Altesse,

Qu'il trouve dans sa joie un sujet de tristesse

Quand sa crainte lui dit, afin de l affliger,

Que ce qu'il entreprend vous peut désobliger.

PULCHÉRIE.

770   Vous pouvez hardiment l'assurer du contraire,

Un Hymen qui lui plaît ne me saurait déplaire,

Et loin de m'opposer à son contentement,

J'y donne mon suffrage et mon consentement.

Où le trouverez-vous ?

PAULIN.

Possible à votre porte,

775   Où seules sans repos il attend que je sorte.

Je vais donc, s'il vous plaît, le tirer de souci.

PULCHÉRIE.

Allez .

PAULIN.

Dans un moment vous le verrez ici.

SCÈNE II.
Pulchérie, Tegnis.

TEGNIS.

Madame, à dire vrai, je suis bien étonnée,

Du coup prodigieux qui fait cet hyménée,

780   Que de la complaisance à le faciliter

Que vous-même avec joie, y semblez apporter.

PULCHÉRIE.

Vous ne croyiez donc pas que je fusse assez bonne

Pour agréer la soeur que mon frère me donne,

Que son contentement me fut cher comme il est,

785   Que ce qu'il entreprend fut mon propre intérêt,

Qu'en obligeant autrui moi-même je m'oblige,

Et qu'enfin cet Hymen, qui vous semble un prodige,

Fait le plaisir du Roi son repos et le mien ?

TEGNIS.

Cet énigme d'État, ou je ne comprends rien,

790   M'ôte la liberté d'enquérir davantage.

Suffit que votre Altesse est parfaitement sage.

PULCHÉRIE.

Non, non, chère Tegnis, l'esprit que vous avez,

Et vos fidèles soins tant de fois éprouvés,

Veulent avec raison que vous soyez instruite

795   Et de nos intérêts et de notre conduite :

Sachez qu'en cette affaire, entre nous résolu,

L'Empereur ne veut rien que ce que j'ai voulu,

Que j'avais commencé l'ouvrage qu'il achève,

Et désigné le plan du trône qu'il élève

800   À cette inestimable et divine Beauté,

Plus digne de l'encens que de la Royauté.

À son premier abord je me sentis forcée

De concevoir pour elle une bonne pensée,

Et voulus que le Roi l'écoutât et la vit ;

805   Afin que cet objet par deux sens le ravit.

Ainsi par mon moyen fut la flamme allumée,

Mais l'absence ou le temps l'eut réduite en fumée !

Si je n'avais pris soin de lui représenter !

Celle dont les beaux yeux la pouvaient irriter,

810   Et de qui la rigueur, qui force Théodose !

En lui refusant tout, l'oblige à toute chose :

Car enfin cet esprit traité plus doucement,

Eut fait de son amour un long amusement.

Au reste, en cet hymen dont mon âme est ravie,

815   Avec mes intérêts je cache mon envie.

Ainsi je le fais mieux et plus adroitement,

Sans me rendre garant de son événement.

TEGNIS.

Ce chef d'oeuvre du Ciel est tel que vous le dites,

Elle est riche d'honneur, d'appas et de mérites,

820   Que sans trop de malice on ne peut envier,

Et que sans trop d'envie on ne saurait nier :

Mais sa condition est un puissant obstacle

Pour empêcher l'Amour d'achever son miracle,

Et c'est, à mon avis, ce qu'on peut opposer.

825   À cet illustre amant, qui la veut épouser.

PULCHÉRIE.

L'Amour comme la Mort égale toute chose.

TEGNIS.

si la raison d'Amour excuse Théodose,

L'auguste Pulchérie, habile comme elle est,

S'en doit-elle servir contre son intérêt,

830   Procurant elle-même à sa maison Royale

Une alliance obscure et si fort inégale ?

PULCHÉRIE.

Votre raisonnement vous abuse en ce point

Qu'il met mon intérêt où je ne le mets point,

Puisqu'une belle-soeur est un mal nécessaire.

835   Que le bien de l'État est contraint de me faire.

Mon intérêt se trouve à n'en point recevoir

De qui l'autorité balance mon pouvoir.

Je sais qu'Athénais par mérite et par grâce

D'une grande Princesse occupera la place :

840   Mais lui devant céder en la gloire du rang,

J'aime qu'elle me cède en la gloire du sang,

Afin que cet orgueil, que la naissance inspire,

N'approche point ses mains su Timon de l'Empire

TEGNIS.

Votre Altesse a raison, et je pense en effet

845   Qu'elle reconnaîtra l'honneur qu'elle lui fait :

Mais quand les fruits d'Hymen l'auront bien établie,

Je crains que son devoir à la fin ne s'oublie,

Que ce puissant Esprit méprisant vos leçons,

Ne tourmente la vôtre en beaucoup de façons,

850   Et qu'au gouvernement sa force ou son adresse

Ne vous la rende un jour ou compagne ou maîtresse.

PULCHÉRIE.

On la verra toujours d'un Empire pareil

Maîtresse dans le trône, et moi dans le Conseil.

Elle a trop de prudence, et l'âme trop bien faite,

855   Pour se mêler de rien si je ne le souhaite.

Mais voici notre amant.

SCÈNE III.
Théodose, Pulcherie, Paulin, Tegnis.

THÉODOSE.

Est-il vrai, chère soeur,

Voulez-vous consentir à la paix de mon coeur ?

Parlez, et d'un langage éloigné de la feinte.

Achevez, d'arracher les restes de ma crainte.

PULCHÉRIE.

860   Ne craignez pas, Seigneur, qu'un jugement bien sain

Ose au puisse blâmer votre amoureux dessein.

THÉODOSE.

S'il est à votre sens absolument contraire,

Je ferai tous efforts afin de m'en distraire,

Mais quoi ? Tous mes efforts seront de peu d'effet.

PULCHÉRIE.

865   Il est selon mes sens et selon mon souhait ;

L'équité le soutient, l'honneur le favorise,

La Terre le demande et le Ciel l'autorise :

Elle n'a pas des Rois pour ses prédécesseurs,

Mais enfin elle est noble et de sang et de moeurs :

870   Pour son honnêteté vous l'avez éprouvée,

Et puis un vertueux l'a toujours élevée,

Un sévère Léonce, un père plein d'honneur,

Dont l'étude a produit et prévu son bonheur.

PAULIN.

Moi-même plusieurs fois je me suis enquis d'elle.

875   Par un certain Ménandre, homme adroit et fidèle :

Et tout ce que Ménandre en a toujours appris,

A toujours confirmé son estime et son prix.

PULCHÉRIE.

Avant qu'à mon service elle fut retenue,

sa réputation m'était déjà connue.

TEGNIS.

880   Je recherchai sa vie avec beaucoup de soins.

THÉODOSE.

Son procédé tout seul me vaut mille témoins.

La vertu qui résiste à l'amour d'un Monarque,

Lui donne de sa force une assez bonne marque :

Mais voyons de ses yeux les aimables clartés.

PULCHÉRIE.

885   Appelez-la, Tegnis.

TEGNIS.

  Athénaïs, sortez.

THÉODOSE.

Au milieu de mes feux je frissonne, je tremble,

Je souhaite sa vue, et la crains tout ensemble.

PAULIN.

Elle entre.

THÉODOSE.

Sa froideur augmente mon amour.

PULCHÉRIE, à Athen.

Attendez en ce lieu mon ordre ou mon retour.

ATHÉNAÏS.

890   Mais, Madame...

PULCHÉRIE.

  J'entends ce que vous voulez dire.

Entretenez le Roi, si le Roi le désire.

ATHÉNAÏS.

Que Tegnis pour le moins...

PULCHÉRIE.

Non, n'appréhendez, rien,

Outre que votre honneur est à l'ombre du mien,

Il est seul et sans arme assez fort de lui-même

895   sous le règne et la foi du Prince qui vous aime :

Donnez donc quelque chose à son contentement,

SCÈNE IV.
Théodose, Athénaïs.

THÉODOSE.

Plutôt que de devoir à son commandement

Le plaisir que mon coeur goûte en votre présence,

Que ne le tiens-je au moins de votre complaisance ?

900   Mais hélas ! Quel espoir peut flatter mon ennui,

Si j'en suis redevable à la faveur d'autrui ?

Ô chère Athénaïs, des beautés la merveille !

Quel destin vous contraint, quel esprit vous conseille

De traiter Théodose, et son affection

905   Avec tant de mépris ou tant d'aversion ?

ATHÉNAÏS.

Il doit croire pourtant que j'ai pour sa personne

Le zèle et le respect que le devoir m'ordonne ;

Et si je suis l'objet des voeux d'un si grand Roi,

J'estime cette grâce autant que je le dois.

THÉODOSE.

910   Il semble à vos discours que vous doutez encore

Si j'ai pris dans vos yeux le feu qui me dévore :

Mais je forme un dessein qui vous va mettre au point.

De répondre à ma flamme, ou de n'en douter point.

Après ce rare effet de l'ardeur qui me brûle .

915   Vous pourrez être ingrate, et non pas incrédule,

Et vous ne feindrez plus d'ignorer mon tourment,

De peur d'être obligée à mon soulagement.

ATHÉNAÏS.

Quand vous me convaincriez d'être assez malheureuse

Pour exciter en vous cette ardeur amoureuse,

920   Pourriez-vous inférer avec juste raison

Que je sois obligée à votre guérison ?

si ce n'est en tuant par votre prompte absence

Un feu de qui ma vue eut causé la naissance.

THÉODOSE.

C'est avec ce remède, et me traitant ainsi,

925   Que vous tueriez le mal et le malade aussi.

ATHÉNAÏS.

Le temps chasse l'amour du coeur le plus sensible,

Le remède en est lent, mais il est infaillible. .

THÉODOSE.

Loin de me soulager, et loin de me guérir,

Pour peu que j'en usasse il me ferait mourir

930   C'est de vous que dépend, et non point d'aucun autre,

Le bonheur de ma vie et celui de la vôtre,

Au moins si votre sort peut être bienheureux

Par les sceptres offerts d'un Roi bien amoureux

Qui sans vous amuser de promesses frivoles

935   Est tout prêt d'accorder les effets aux paroles,

Et le sang de Léonce à celui de Trajan.

ATHÉNAÏS.

Mais des roseaux du Nil aux cèdres du Liban,

Le rapport est plus grand et la distance moindre.

THÉODOSE.

L'Amour nous rend égaux, et l'hymen nous peut joindre.

ATHÉNAÏS.

940   Ce miracle est possible, et non pas apparent.

THÉODOSE.

Ma soeur à son retour en sera garent,

Consentez, seulement, et sans faire autre chose,

Laissez agir pour vous l'amour de Théodose.

ATHÉNAÏS.

Je ferais une injure à votre Majesté

945   Si je la soupçonnais de peu de vérité,

Je crois que ses discours ont le don des Oracles.

Comme ses actions ont celui des miracles,

Par tout votre puissance éclate également,

Et l'obstacle en ceci vient de moi seulement,

950   Qui ne puis contempler la fortune où vous êtes,

Sans craindre en même temps l'honneur que vous me faites.

Quelle amour ! Quel esprit ! Quelle présomption

Éloignerait de moi cette appréhension ?

Puis-je avoir tant de biens sans en être accablée,

955   Ni voir tant de splendeur sans en être aveuglée ?

Le destin de Sémélé en un sujet pareil,

Me doit servir ici d'exemple et de conseil.

Mais quand la vanité m'aurait pu faire accroître

Que je puis supporter l'éclat de votre gloire,

960   Ce feu prodigieux qui contre mon dessein

D'une si vive ardeur vous embrase le sein

Par un effet du temps trop justement à craindre,

Peut-il pas à la fin s'alentir ou s'éteindre ?  [ 6 Alentir : Rendre plus lent. [L]]

Y pourrait-on pas voir succéder quelque jour

965   Le mépris à l'estime, et la haine à l'amour ?

Ce malheur qui possible irait jusqu'au divorce,

De toute ma constance épuiserait la force,

Et l'état déplorable où je serais alors,

Me ferait envier la fortune des morts,

970   Non pour me voir tomber par une chute étrange

Du Trône Impérial au milieu de la fange :

Alors le seul regret de m'éloigner de vous,

Serait entre mes maux le plus cruel de tous.

Car alors mon devoir autorisant ma flamme,

975   Je serais triste amante et malheureuse femme.

THÉODOSE.

Ainsi que mon désir c'est mon opinion,

Que la mort seulement rompra notre union.

Mais que je suis raui de vous voir disposée

À répondre aux transports de mon âme embrasée !

980   Montez, montez sans crainte au sommet des grandeurs,

Et souffrez que mes feux surmontent vos froideurs.

SCÈNE V.
Pulchérie, Tegnis, Théodose, Ayhénaïs.

PULCHÉRIE.

Quoi ? D'une défiance à la fin importune,

Résiste-t-elle encore à sa bonne fortune ?

Oui, chère Athénais, donnez sur notre foi,

985   Celle que vous devez aux paroles du Roi,

Qui brûle d'acquérir au prix d'une couronne

Le don de votre amour et de votre personne.

ATHÉNAÏS.

Mon zèle, mon estime autant que mon devoir,

Vous donne sur vous deux un absolu pouvoir.

PULCHÉRIE.

990   Et ie vous donne aussi par zèle et par estime

Au pouvoir absolu d'un amant légitime,

Tour régner en sa couche, et prendre de ses mains

Le sceptre qui régit la moitié des humains.

ATHÉNAÏS.

Dans l'admiration d'un si profond mystère

995   Je ne puis qu'obéir, adorer et me taire.

THÉODOSE.

Moi qu'admirer un don en beautés si parfait,

Et baiser mille fois la main qui me le fait.

PAULIN.

Que son plaisir est grand !

TEGNIS.

Que sa flamme est extrême !

THÉODOSE, à Athénaïs.

Ô Dieu si vous m'aimiez autant que je vous aime !

1000   Mais que voulez-vous faire adorable Beauté ?

ATHÉNAÏS.

Embrasser le genou de votre Majesté.

THÉODOSE.

Levez-vous, et pensez que la foi conjugale

Doit rendre désormais notre fortune égale,

Et que vous m'élevez, au faîte du bonheur

1005   Comme je vous élève au sommet de l'honneur.

ATHÉNAÏS.

Donc en ce grand hymen les plus humbles volées

Aux plus superbes monts se verront égalées

Par la seule vertu du plus grand des mortels.

PULCHÉRIE.

Il faut rendre au besoin ce qu'on doit aux autels,

1010   Surtout en un sujet de pareille importance.

Allons du Tout-puissant implorer l'assistance,

Afin qu'un bon succès couronne le dessein

Qui son divin esprit nous amis dans le sein.

TEGNIS.

Ô coup miraculeux d'Aour et de Fortune ?

1015   Depuis qu'on voit aux Cieux le Soleil et la Lune,

En quel endroit du monde a-t-on ouï parler

De rien qui te surpasse ou te puisse égaler ?

Mais Phocas vient à moi, ce mystère le touche,

Et je l'obligerai s'il l'apprend de ma bouche.

SCÈNE VI.
Phocas, Tegnis.

TEGNIS.

1020   Vous venez, à propos pour entendre de moi

Un discours merveilleux et bien digne de foi.

Sachez qu'avec le Roi, la Princesse conspire

D'élever ma compagne au trône de l'Empire.

PHOCAS.

Laquelle ?

TEGNIS.

Athénaïs, je ne me moque point.

1025   Adieu, votre fortune est grande au dernier point.

PHOCAS, seul.

Je connais sa famille, et prévois un obstacle

Qui peut absolument empêcher ce miracle :

Mais en le découvrant, je ne ferais pas bien

De trahir son bonheur, et peut-être le mien.

ACTE IV

SCÈNE PREMIÈRE.

THÉODOSE.

stances.

1030   Au jour de la plus belle fête

Où le flambeau d'hymen ait jamais éclairé,

Un démon de l'Enfer contre moi conjuré

Me souffle une horrible tempête, ,

M'éloigne et rend mal assuré,

1035   Un bien dont je touchais le faite

Mêle à mes douceurs tant de fiel,

Et met à mes désirs un si puissant obstacle,

Qu'il est croyable que le Ciel

Ne me peut rendre heureux s'il ne fait un miracle.

     

1040   Quelle aventure non prévue

S'oppose injustement à mes justes plaisirs,

Et m éloigne si fort du but de mes désirs,

Que je le perds quasi de vue !

Unique objet de mes soupirs !

1045   Savante Athénaïs de tant d'attraits pourvue !

Faut-il que l'Enfer et le sort

Se déclarent nos adversaires,

Et que nos deux esprits étant si bien d'accord

Nos deux religions se trouvent si contraires ?

     

1050   Faut-il que de grossières fables

Qui choquent la raison, l'honneur et le devoir

Des Dieux sans connaissance ainsi que sans pouvoir.

Et mille impostures semblables,

Vous empêchent de recevoir

1055   Avec votre amitié des grandeurs véritables,

Et connaître que dans nos mains

Le sceptre est un plus fort tonnerre

Que ceux dont Jupiter, ce père des humains,

Au moins dans vos Romans épouvante la terre ?

     

1060   Coupable objet de ma vengeance,

Dont le grand Constantin mit les Temples à bas,

Les peines de l'exil, ou celles du trépas,

Par une exacte diligence

Vous banniront de mes États.

1065   Restes d'idolâtrie, abominable engeance,

Mais, ô monstre indigne du jour !

Paganisme, chimère vaine,

Le mal que ton erreur apprête à mon amour

Passe bien tous le maux que j'apprenne ma haine.

     

1070   Mais quelqu'un vient à moi de cet endroits fatal,

D'où j'attends avec crainte ou mon bien ou mon mal :

C'est Tegnis qui rapporte une faible espérance

Du lieu de l'assemblée et de la conférence,

Sache d'un même temps? et d'un même rapport

1075   L'état de la dispute et celui de ton sort.

SCÈNE II.
Théodose, Tègnis.

THÉODOSE.

Que me rapportez vous ? Que venez vous m'apprendre ?

Ne l'a-t-on point réduite aux termes de rendre ?

TEGNIS.

Sire, malaisément en viendra-t-on à bout.

Sans le secours du Ciel, dont la force peut tout

1080   Car votre Majesté n'a plus d'habiles hommes

Qu'à la confusion de tout ce que nous sommes,

Ce merveilleux esprit n'ait sans doute lassé,

Et que par aventure il n'ait embarrassé,

Tant sa vivacité paraît ingénieuse

1085   À défendre une erreur qui la rend malheureuse.

Les savant Hermodore, et le grand Fortunat,

Plus vaincus que vainqueurs sont sortis du combat :

Mais Paulin maintenant qui dispute avec elle,

Oppose à ses raisons la raison naturelle,

1090   Et par la seulement prétend lui faire voir,

Que Mars et Jupiter sont des lieux sans pouvoir,

Dont l'histoire fertile en dangereux exemples,

Autorise le crime et le met dans les Temples.

Si bien que de la grâce et de l'air qui s'y prend.

1095   Il en faut espérer quelque chose de grand.

THÉODOSE.

Il faut désespérer jusqu'à la moindre chose,

Puisque le Ciel lui-même mon bonheur s'oppose,

Me donnant comme il fait un obstacle à forcer,

Dont la religion ne me peut dispenser .

1100   Ha ! Quel tempérament à l'excès de ma joie ?

Ce bizarre accident me suscite et m'envoie

Sur le point de jouir d'un trésor amoureux,

Qui seul me pouvait rendre absolument heureux

Ce malheur non prévu, que l'Enfer a fait naître,

1105   Retarde notre hymen, et l'empêche peut-être.

Vouloir ce que je veux, pouvoir ce que je puis,

Elle être ce qu'elle est, et moi ce que je suis,

Tous deux pour même chose avoir la même envie,

Et qu'elle ne soit pas de son effet suivie.

1110   Ô Ciel qui m'entends plaindre, et non pas murmurer !

De quel heur un mortel se peut-il assurer ?

Faut-il que des Phoebus, des Mars, et des Hercules,

Du véritable Dieu, fantômes ridicules,

Eux qui ne sont que bois, que pierre et que métal,

1115   Cessent d'être impuissants pour me faire du mal.

De quel trait de douleur mon âme percée

Alors qu'elle m'apprit son erreur insensée ?

Sa voix fut un poignard qui m'entra dans le sein

Je changeai de couleur, mais non pas de dessein,

1120   Et mêlant à ma flamme une vertu chrétienne,

Plaignis également sa disgrâce et la mienne.

TEGNIS.

Elle est digne en effet de plainte et de pitié,

Puisqu'elle perdrait tout perdant votre amitié.

THÉODOSE.

Son erreur pour le moins lui fermerait la porte

1125   Par où l'on peut venir aux sceptres que je porte,

Et par les droits d'hymen partager avec moi

La gloire, la puissance, et le titre de Roi.

C'est pourquoi de ce pas retournez auprès d elle

Lui rendre les devoirs d'une amitié fidèle.

1130   Dites-lui qu'elle peut, apprêtant de combats

Avec gloire et profit mettre les armes bas,

Et qu'il s'agit ici de l'infaillible perte

Ou du gain assuré d'une couronne offerte.

TEGNIS.

La parole et l'aspect de votre Majesté

1135   Auraient bien plus de force et plus d'autorité.

N'obéis toutefois à ce qu'elle m'ordonne.

THÉODOSE.

Sachant que mon aspect la contraint et l'étonne,

Je ne veux point ravir à son entendement

La liberté d'élire, et d'agir librement.

1140   Dans la Religion la contrainte est un crime.

En celui qui la souffre, et celui qui l'imprime.

Je ne demande point qu'elle donne les mains

À l'indigne respect des intérêts humains,

La créance est trop pure, et la chose trop sainte

1145   Pour être profanée ou d'espoir ou de crainte.

Mais que sans s'obstiner contre la vérité,

Elle ouvre seulement les yeux à la clarté,

Qui doit chasser la nuit de son idolâtrie ,

C'est à quoi je l'exhorte, et de quoi je la prie,

1150   De tout ce triste coeur qui souffre nuit et jour.

Les glaces de la crainte et les feux de l'Amour.

Comme j'ai pris en vous beaucoup de confiance,

J'ai pour votre retour beaucoup d'impatience.

À quoi se résoudra cet orage imprévu

1155   Au jour le plus serein si puissamment émue ?

Grand Dieu dont la sagesse est une mer profonde !

Achevez pour le Ciel ce miracle du monde,

Qui ferait tout mon bien, et serait sans défaut

si pour vous seulement il croyait ce qu'il faut.

1160   Ô créance ! Ô lumière et tous deux nécessaires,

Mais ma soeur qui sans cesse a le coeur aux affaires,

M'en vient entre tenir assez hors de propos.

SCÈNE III.
Pulchérie, Théodose.

PULCHÉRIE.

Seigneur, voici de quoi vous donner du repos,

L'orgueilleux Baranes défait en deux batailles,

1165   Et réduit maintenant à garder ses murailles,

Ennuyé de la guerre et des maux qu'elle a faits,

Par ses Ambassadeurs vous demande la paix.

THÉODOSE.

Je demeure d'accord que la nouvelle est grande,

Et que j'eusse acheté la paix qu'il me demande :

1170   Mais un autre succès d'un plus noble souci

Me rend presque insensible au bien de celui-ci.

Ma satisfaction ne peut être parfaite,

Si d'un pire ennemi je n'apprends la défaite.

PULCHÉRIE.

Qui prenez-vous encore pour un pire ennemi ?

THÉODOSE.

1175   Ce vieux monstre d'erreur que l'Enfer a vomi,

Et qui sans le secours d'un esprit tout céleste

Aurait déjà perdu la force qui lui reste,

Aux pieds de la raison dès longtemps étendu,

Si d'une Athénaïs il n'était défendu.

1180   C'est la seule victoire ardemment souhaitée,

Qui peut rendre le calme à mon âme agitée,

Et qui doit enfanter, s'il faut parler ainsi,

La paix de l'Empereur et de l'Empire aussi :

Car que mes légions par tout victorieuses,

1185   Établissent partout mes lois impérieuses, |

Si de cet adversaire on ne vient point à bout,

Avec tous mes lauriers je suis vaincu partout.

Que la paix de mon règne, aussi craint qu'il est juste,

Égale mon printemps à l'automne d'Auguste,

1190   Si de cet ennemi je ne reste vainqueur,

J'aurai toujours la guerre au milieu de mon coeur.

PULCHÉRIE.

Si pour rendre à votre âme et la joie et le calme,

Il ne vous manque plus qu'à gagner cette palme,

Croyez assurément que vous l'emporterez,

1195   Et soient tous les démons contre vous conjurés,

Peuvent-ils surmonter la puissance suprême,

Qui dans votre parti s'intéresse elle-même.

C'est la cause du Ciel qu'on dispute aujourd'hui,

En travaillant pour vous il travaille pour lui,

1200   Sa main, qui peut tirer la clarté des ténèbres,

Gagne quand il lui plaît des combats plus célèbres.

Que l'Enfer qui s'oppose à vos contentements

En retarde le cours par mille empêchements,

Il saura bien forcer toutes sortes d'obstacles.

THÉODOSE.

1205   Je sais bien que le Ciel peut faire des miracles,

Mais après quatre jours en dispute passées,

Et nos plus forts esprits ou défaits ou lassés,

Pour vaincre absolument cette belle adversaire,

Il faut un coup du Ciel qui ne soit pas vulgaire.

PULCHÉRIE.

1210   Paulin qu'on croit habile, et qui l'est en effet,

La gouverne autrement que les autres n'ont fait.

D'un esprit complaisant qui surprend et qui charme,

Il s'empare du sien, le force et le désarme,

La combat sans orgueil, la reprend sans aigreur,

1215   Et sans l'effaroucher lui montre son erreur :

Au lieu de l'étourdir, au lieu de la confondre,

Lui donne l'assurance et le temps de répondre,

Entre dans ses raisons, et les élève exprès,

Pour plus utilement les renverser après,

1220   Prend de sa propre main les flèches qu'il lui tire

Et par des arguments qu'on ne peut contredire,

Tirez, de la Morale et du raisonnement, .

Au lieu de l'éblouir l'éclaire doucement :

Si bien qu'apparemment c'est de là que j'espère

1225   En votre âme et la sienne un changement prospère.

Je voudrais cependant que votre Majesté,

Pardonner quelque joie a son coeur attristé,

Allât voir la peinture agréable et diverse,

Des drapeaux que la Thrace a gagnés sur la Perse,

1230   Tandis que Martian diligemment venu,

Des affaires en gros me dirait le menu.

THÉODOSE.

Aux termes ou la crainte que notre âme réduite,

N'attendez, rien de nous, ni de notre conduite.

En l'état où je suis l'État n'a point de Roi,

1235   Il souffle maintenant un interrègne en moi,

Sensible seulement à l'amour qui me touche,

Et pour tout autre soin une insensible souche.

Laissez-moi donc en paix, ne me contez pour rien,

Agissez, toute seule, et vous agirez bien,

1240   Mais on ouvre la chambre ou mon sort se décide.

Que j'ai d'impatience, et que je suis timide !

Venez-vous m'annoncer la vie ou le trépas ?

SCÈNE IV.
Tegnis, Théodose.

TEGNIS.

Je viens vous annoncer que vous n'en mourrez pas.

THÉODOSE.

On a donc converti mon aimable infidèle. .

TEGNIS.

1245   Recevez-en de moi l'agréable nouvelle.

THÉODOSE.

Est-il bien vrai, Tegnis, ne me trompez-vous point ?

Ici la défiance à la raison se joint,

Et ce n'est pas en moi qu'il est juste de dire

Que l'on croit aisément les choses qu'on désire.

TEGNIS.

1250   Ma parole vers vous a bien peu de crédit.

THÉODOSE.

Ô Dieu qu'à cet aspect je demeure interdit ?

SCÈNE V.
Paulin, Athenaïs, Théodose, Tegnis.

PAULIN.

Sire, après un combat des longue durée,

La victoire à la fin est pour nous déclarée.

Voici cet ennemi si redoutable aux coeurs,

1255   Dont nos raisonnements sont demeurés vainqueurs.

ATHÉNAÏS.

Oui, l'honneur des Césars, mon abus rend les armes.

THÉODOSE.

C'est plutôt ma raison qui les rend à vos charmes.

Madame, levez-vous.

ATHÉNAÏS.

Non divin Empereur,

Que je n'aie à vos pieds abjuré mon erreur,

1260   Et que votre bonté ne me l'ait pardonnée.

THÉODOSE.

Par la main de l'Amour grâce est signée,

Cessez donc de troubler le plaisir que je sens .

Par de fâcheux respects à tous deux indécents.

ATHÉNAÏS.

Quelles soumissions peuvent être assez grandes

1265   Pour vous à qui je dois d'éternelles offrandes ?

Vous qu'en toute rencontre, en tout temps, en tout lieu,

Il me faut adorer comme un visible Dieu.

THÉODOSE.

Ce discours ne dit pas que vous soyez guérie

En riant.

Du mal du Paganisme et de l'idolâtrie :

1270   On voit encore en lui de grands restes d'abus

Tour la Religion de Mars et de Phoebus.

ATHÉNAÏS.

La nuit de mon erreur est trop bien dissipée

Pour croire que jamais j'y sois enveloppée.

J'ai ce bienfait du Ciel, de vous et de Paulin,

1275   Qui tous pour mon salut ayant eu même fin,

Par différents moyens avez fait même chose.

Oui la bonté du Ciel, l'amour de Théodose,

Et l'esprit de Paulin, plus clair que le soleil.

Ont fait pour ma fortune un miracle pareil.

THÉODOSE.

1280   Ha Paulin ! Quel efforts faudrait-il que je fisse,

Pour payer dignement un si digne service ?

Que pourriez-vous attendre ou recevoir de moi,

Qui ne fût au dessous de ce que je vous dois ?

Pour un si grand bienfait la terre est trop petite :

1285   C'est le Ciel seulement qui m'en peut rendre quitte.

ATHÉNAÏS.

Et moi, que le bienfait oblige absolument,

Je le reconnaitrai du désir seulement,

Si le Roi qui peut tout, et sait mon impuissance,

Ne se charge pour moi de la reconnaissance.

PAULIN.

1290   Quand de vos souvenirs je serais effacé,

Suis-je pas trop heureux et trop récompensé

D'être en la main de Dieu l'instrument honorable ;

Dont il fait un miracle à la terre adorable ?

Ai-je pu trop d'honneur d'avoir illuminé

1295   Ce merveilleux esprit, ce bel aveugle né

Qui n'avait jamais vu la lumière céleste,

Bien qu'il en soit lui-même un rayon manifeste ?

TEGNIS.

Sans ravir à Paulin ce qu'il a mérité,

Et sans au Ciel avec impiété

1300   Théodose lui seul a causé ce me semble,

Un effet aussi grand que tous les deux ensemble,

Puisque par son amour il a pu disposer

Et le Ciel et Paulin à nous favoriser.

THÉODOSE.

Pour suivre de Tegnis l'obligeante pensée,

1305   Si délicatement à ma gloire énoncée,

Je dirai que le Ciel a fait pour mon repos

Ce qu'il fit autrefois pour fendre le chaos.

Le monde à sa naissance était (s'il en faut croire

Les contes que la fable a forgé sur l'histoire)

1310   L'ouvrage le plus noble et le mieux achevé,

Où le Ciel eut encor son travail éprouvé : .

Sa beauté toutefois, de tous points accomplie,

Dans une nuit profonde était ensevelie,

Et le serait encor si le flambeau d'Amour

1315   N'eut répandu sur lui la lumière du jour :

En cette occasion l'aventure est pareille,

Le Ciel a fait en vous sa plus rare merveille.

Mais à tant de beautés, et d'ornements divers ,

Il manquait la lumière ainsi qu'à l'Univers ;

1320   À la fin, grâce à Dieu, l'Amour vous la donnée ;

Et depuis que votre âme en est illuminée,

On dirait que vos yeux ont pris à même temps,

Des rayons bien plus vif et bien plus éclatants.

Soit charme, soit miracle, ou raison naturelle,

1325   Je vous trouve depuis plus brillante et plus belle,

Les grâces de l'esprit embellissent le corps,

Et les feux au dedans éclatent au dehors.

Si bien que mon amour est la cause première

De votre changement en ange de lumière.

ATHÉNAÏS.

1330   Que ne puis-je oublier l'erreur où j'ai vécu ?

Ô fortuné combat, ou mon esprit vaincu

Dans sa confusion a rencontré sa gloire,

Et gagné le triomphe en perdant la victoire !

THÉODOSE.

Dites, dites encore, ô combat fortuné,

1335   D'où l'on voit revenir le vaincu couronné !

La pensée en est juste, et la couronne est prête,

Qu'aujourd'hui notre hymen vous mettra sur la tête.

ATHÉNAÏS.

Sire, pour mon repos et votre propre honneur,

Éloignez de trois jours l'effet de mon bonheur.

1340   Faites-moi cette grâce, accordez-moi ce terme,

Afin que ma créance en demeure plus ferme.

THÉODOSE.

Trois jours pour un amants ont bien tard écoulez,

J'y consens néanmoins, puisque vous le voulez :

Mais mandons à ma soeur, ou lui portons chez elle,

1345   De mon dernier bonheur la première nouvelle./

ACTE V

SCÈNE PREMIÈRE.
Tegnis, Phocas.

TEGNIS.

L'Empereur (dites-vous) en sa chambre enfermé,

Sous un ennui secret a le coeur opprimé.

Mais dans l'aise et la paix que lui donne sa flamme,

Rien ne peut, ce me semble, importuner son âme,

1350   Et le mal de Paulin, qu'il soient de visiter,

N'est pas si dangereux qu'il s'en doive attrister.

De moi, si mon penser se peut dire sans crime,

Je craindrais (et ma crainte est assez légitime)

Que le sort de l'amante, ou son retardement,

1355   N'eust mis quelque froideur en l esprit de l'A-

PHOCAS.

La Fortune et l'Amour ont si peu d'assurance,

Sa longueur est fâcheuse, et le Prince en effet

Peut trouver de dégoût au dessein qu'il fait.

TEGNIS.

Possible ce désordre est venu d'autre chose,

1360   Et bientôt Pulchérie entrouvera la cause

Nous allons de ce pas le luy faire savoir,

Afin que de bonne heure elle y puis pourvoir.

PHOCAS.

Et moi, je me retire où ma charge m'appelle.

Je vois Athénaïs, et le Prince avec elle.

SCÈNE II.
Théodose, Athénaïs.

THÉODOSE.

1365   Sors d'ici malheureuse, et n'y rentre jamais.

Mon oreille et mon coeur te sont clos désormais.

ATHÉNAÏS.

Puisque votre justice en coupable me traite,

Quelle m'apprenne au moins la faute que j'ai faite.

C'est le dernier effet de grâce et de bonté,

1370   Que j'attends à genoux de votre Majesté.

THÉODOSE.

Ta faute est volontaire, et tu l'as ignorée,

Va, retourne au néant, d'où je t'avais tirée,

Impudente, indiscrète, et peu chaste beauté,

Qui joins l'ingratitude à la déloyauté.

1375   Adieu, je ne veux plus, ni te voir ni t'entendre.

SCÈNE III.

ATHÉNAÏS, seule.

En cette obscurité quel flambeau dois-je attendre,

Qui m'éclaire assez bien pour ne rencontrer pas

Le précipice ouvert où s'adressent mes pas ?

Chère Philosophie, à mon aide appelée,

1380   Hâte-toi d'appuyer ma constance ébranlée,

Un illustre laurier veut d'illustres efforts,

Mon malheur est puissant, mes ennemis sont forts,

L'injuste Théodose et l'aveugle fortune,

Font à mon innocence une guerre commune,

1385   Ma raison étonnée implore ton secours,

Soutiens la donc ici de tes plus forts discours,

Afin que nous vainquions en ce combat de marque,

Et l'aveugle Déesse, et l'injuste Monarque,

Tous doux en un instant contre moi déclarés

1390   Et d'amis qu'ils m'étaient, mes ennemis jurés,

Qui me causant tous deux de sanglantes alarmes,

M'assaillent cependant de différentes armes.

Les traits de la fortune attaquent mon bonheur,

Les traits de Théodose attaquent mon honneur,

1395   Celle-là me rabaisse, et celui-ci m'opprime,

L'une fait ma misère, et l'autre fait mon crime,

Imputant comme il fait à ma déloyauté

Le trop visible effort de sa légèreté.

Ha ! Prince qui sans cause, et peut-être sans peine

1400   Avez, sitôt passé de l'amour à la haine,

Qu'il est aisé de voir à vos feux inconstants

Que si vous aimez fort vous n'aimez pas longtemps :

Et que c'est bien en vous une chose assurée,

Que l'amour violente est de courte durée.

1405   Ô Dieu ! Qui l'eut pu dire ou penser seulement,

Qu'une amitié belle en son commencement,

Si sainte en son progrès, en tous les deux si forte.

À moins que d'un prodige eut fini de la sorte,

Ce merveilleux désordre éclate néanmoins,

1410   C'est une vérité dont mes yeux sont témoins,

Tant l'espérance est faible alors qu'elle se fonde

Sur la grâce ou l'amour des plus grands Rois du monde.

Ô trop volage amant, et trop injuste Roi.

Vous cherchez un prétexte à manquer de foi,

1415   Le sort d'Athénaïs fait honte à Théodose,

Il hait de ses transports les effets de la cause :

Mais pour m'avoir aimée avec aveuglément,

En dois-je être punie avec ressentiment ?

Pour vous avoir paru trop aimable et trop belle,

1420   Devez-vous me haïr, dois-je être criminelle ?

Et l'éclat que mes yeux pour les vôtres ont eu

Doit-il faire obscurcir celui de ma vertu ?

Non, je n'ai point usé pour allumer vos flammes

D'artifice, de fard, ou de moyens infâmes,

1425   Pour gagner votre esprit, je n'ai point exercé

Le métier de Médée, ou celui de Circé,

Ni murmure sur vous les puissantes paroles,

Que la magie enseigne en ses noires écoles,

Si vous eûtes pour moi des transports indécents,

1430   J'ai toujours eu pour vous des charmes innocents,

Et si votre âme auguste est encor indignée

De l'excessive amour qu'elle m'a témoignée,

Outragez mon visage en le défigurant

Plutôt que ma pudeur eu me déshonorant,

1435   Et ne déguisez plus votre humeur inégale,

En m'appelant peu chaste, ingrate et déloyale

Puis qu'il est assuré que je ne suis rien moins,

Par la terre et le ciel que j'en prends à témoins,

Va retourne au néant d'où je t'avais tirée :

1440   Mais plutôt à la paix que tu m'as procurée,

Inconstant, qui me rends avec la liberté,

Le repos de l'esprit que tu m'avais ôté.

Oui ton affection ou feinte ou véritable,

A tant gagné sur moi que tu m'es regrettable,

1445   Et mon coeur qui jamais ne t'a manqué de foi,

Ne saurait quasi plus se déprendre de foi,  [ 7 Déprendre : Fig. Détacher, faire qu'on ne soit pas attaché. [L]]

Il le fera pourtant, la raison l'y convie,

Quand même cet effort lui coûterait la vie,

Touchant à son coeur.

Sors d'ici Théodose, et n'y rentre jamais,

1450   Mon oreille et mon coeur te sont clos désormais,

Mais quelqu'un vient ici

SCÈNE IV.
Pulchérie, Athenais, Tegnis.

PULCHÉRIE, parlant à une foule de monde.

Donnez vous patience,

Et demain s'il se peut vous aurez audience,

Vraiment je n'en puis plus de son entretien,

L'esprit d'Athenais ne délasse le mien,

1455   Mais votre émotion marque une âme troublée.

ATHÉNAÏS.

On peut dire d'ennuis, et de maux accablée.

PULCHÉRIE.

Que dites vous ma soeur, parlez vous tout de bon ?

ATHÉNAÏS.

Il n'est plus à propos que j'aie un si beau nom,

Je suis Athénaïs, et le grand Théodose,

1460   N'a pas voulu souffrir que je fusse autre chose !

PULCHÉRIE.

Dieu ! D'où cet accident nous peut-il arriver ?

TEGNIS.

N'est-ce point que le Roi la voudrait éprouver ?

ATHÉNAÏS.

Vous tomberiez d'accord sachant sa procédure

Qu'amour ne souffre point une épreuve si dure.

PULCHÉRIE.

1465   Un si prompt changement m'étonne au dernier point,

J'en recherche la cause, et ne la trouve point.

ATHÉNAÏS.

Depuis une heure encor j'étais dans sa pensée

En l'état glorieux où vous m'aviez placée,

Il est venu lui-même avec toute sa cour

1470   Me donner au jardin mille preuves d'amour,

Traversant avec nous ce double rang d'allées

Qui mènent dans le parc où nous sommes allées,

Je dis nous, car Tegnis était avecques moi.

TEGNIS.

Oui, Madame.

PULCHÉRIE.

Et delà qu'est devenu le Roi,

1475   Qui s'en est approché depuis votre entrevue ?

TEGNIS.

Il n'a vu que Paulin si je ne suis déçue,

On la vu revenir de son appartement,

D'un air qui témoignait du mécontentement,

Et s'enfermer après dans la chambre Royale.

ATHÉNAÏS.

1480   C'est là qu'à son retour m'appelant déloyale,

Par un arrêt injuste autant que surprenant,

Il m'a mis en l'état où je suis maintenant :

Car vous saurez, du temps, Princesse généreuse,

Que je suis innocente autant que malheureuse.

PULCHÉRIE.

1485   Ce n'est pas de Paulin que ce mal est venu.

ATHÉNAÏS.

C'est à mon désespoir ce qui m'est inconnu. - .

PULCHÉRIE.

Vous les aurez pourtant avant que le jour passe.

ATHÉNAÏS.

J'attends encor de vous cette dernière grâce.

PULCHÉRIE.

J'attends encor de vous cette dernière grâce.

TEGNIS.

1490   Certes son infortune est digne de pitié.

PULCHÉRIE.

J'ai trop étudié l'esprit du Roi mon frère

Pour m'opposer de front au cours de sa colère,

Son âme courroucée est un torrent de feu

Qu'on ne peut arrêter qu'en lui cédant un peu !

1495   À travers ses transports je verrai le nuage

Où la noire vapeur qui forme cet orage,

Et si j'en ai perdu toute créance en lui,

Vous aurez tout sujet de perdre votre ennui,

Je vous plains, je vous aime, et suis assez puissante,

1500   Pour faire couronner votre tête innocente.

Espérez seulement.

ATHÉNAÏS.

Je n'ai jamais douté,

Ni de votre pouvoir ni de votre bonté,

Mais avec tous les deux et ma pure innocence,

Je crois que mon malheur vaincra votre puissance,

1505   Désistez donc Madame, et quittez, s'il vous plait

Le soin de ma fortune et de mon intérêt,

De la condition, et du coeur que nous sommes,

Nous ne contraindrons pas le plus libre des hommes,

Qui ne s'engage à rien, ou tout s'engage à lui,

1510   Maître de sa parole et de celle d'autrui,

Qu'il m'ôte avec l'espoir d'un si grand hyménée

L'espoir de vivre heureuse et d'être couronnée :

Mais qu'il me laisse au moins cet estimable bruit

Qu'on rétablit à peine après qu'on l'a détruit :

1515   C'est dans mon triste sort la faveur la plus grande,

Que j'espère de vous et que je lui demande.

PULCHÉRIE.

Ma soeur encor un coup laissez, moi gouverner

Au retour de ma chambre où je vous veux mener,

Je reviendrai chercher ce désordre en sa source

1520   Pour avec moins de peine en arrêter la course.

ATHÉNAÏS.

Madame, au nom de Dieu, ne vous commettez pas.

PULCHÉRIE.

Venez, notre prudence est en juste compas.

SCÈNE V.

THÉODOSE.

Je m'abandonne à vous, tragiques rêveries,

Changez-vous, s'il se peut, en autant de furies.

1525   Théodose amoureux, Théodose Empereur,

Ne vois que des sujets de haine et de fureur,

Ses bienfaits oubliés, son amour abusée,

Et son autorité peu crainte ou méprisée,

Une infidèle épouse, un lâche favori

1530   Dont l'un trahit son Prince et l'autre son mari,

Puisque tel se peut dire, après la foi donnée,

L'amant dont le désir aspire à l'hyménée,

Et qui voit désormais le but de son amour

Éloigné seulement de l'espace d'un jour.

1535   Ô Ciel ! Pour ta justice et pour mon allégeance,

Prends d'un forfait illustre une illustre vengeance ;

Joins ta cause à la mienne, et me prête ton bras,

Afin d'anéantir ces perfides ingrats :

Mais l'excès de mon mal m'ôte la connaissance,

1540   Quand on cherche de l'aide on manque de puissance.

Non, non, sans faire ici ni prières ni voeux,

Voulant ce que je dois, je puis ce que je veux.

Pourquoi du juste Ciel emprunter le tonnerre, '

Si je tiens en ma main les foudres de la terre,

1545   Le trépas, la prison, et le bannissement,

Nécessaires effets de mon commandement ?

Que la mort et l'exil soient donc les doux tempêtes

Dont nous allons tonner sur ces coupables têtes

Que l'un des criminels, avec ses faux appas, .

1550   Soit puni de l'exil, et l'autre du trépas :

Qu'elle aille reconnaître en quelque île déserte

La grandeur de son crime, et celle de sa perte.

Cette ingrate beauté, que mes chastes ardeurs

Tiraient de la bassesse au faîte des grandeurs,

1555   Qu'elle retombe en terre, où je l'avais trouvée,

Cette vapeur légère aux astres élevée

Par les puissants rayons d'un amour sans pareil,

En cette occasion plus fort que le soleil :

Qu'elle vive sans biens, sans repos et sans gloire,

1560   Et hors de mon estime, et hors de ma mémoire :

Mais pour lui, cet Icare au désir effronté,

Sur des ailes cire aux étoiles monté,

Ce superbe Ixion, indigne de ma grâce,

Qui jusque dans ma couche a porté son audace,

1565   Qu'il meure, et que sa mort soit aux audacieux

Un sujet de l'opprobre des cieux.

Ainsi tombants tous deux a une chuté commune,

L'un en perdra la vie, et l'autre la fortune

Moi-même en les perdant, je me perds à mon tour,

1570   Malheureux dans la haine autant que dans l'amour.

Je perds en les perdant le repos, et la joie,

Me livre au désespoir dont je serai la proie,

Et trouve en leur malheur, qui me fait malheureux,

Plus de rigueur pour moi, que je n'en ai pour eux.

1575   N'importe, il faut punir sur eux et sur moi-même

Mon extrême imprudence, et leur malice extrême.

Je veux les châtier, et porter à la fois

La peine de leur crime et de mon mauvais choix.

SCÈNE VI.
Pulchérie, Théodose.

PULCHÉRIE.

Il faut absolument que je vous interrompe,

1580   Vous êtes seul pensif, et si je ne me trompe

Vous avez dans l'esprit quelque important souci,

À quoi pensez-vous donc, que faites-vous ici ?

THÉODOSE.

Ce que je fais, ma soeur, j'exerce ma constance,

Et des fautes d'autrui je fais la pénitence.

PULCHÉRIE.

1585   Vous voulez en effet quelque étrange dessein,

Qu'avez-vous ?

THÉODOSE.

Ce que j'ai la mort dans le sein,

Les glaces et les feux, la fureur et la rage,

Mon coeur est de l'enfer l'épouvantable image,

Et le vivant tableau des peines des damnés

PULCHÉRIE.

1590   Ô Ciel, en m'affligeant que vous me surprenez !

Ne m'apprendrez-vous point avant que je vous quitte

Le sujet d'un ennui que le silence irrite ? .

Puisqu'il est en votre âme un aspic enfermé,

Qui devient plus cruel et plus envenimé.

1595   Quelle est votre douleur, et d'où procède-t-elle ?

THÉODOSE.

D'un serviteur ingrat, d'une amante infidèle,

Qui m'ont trahis tous deux, m'ont tous deux méprisé,

Et la Religion dont ils ont abusé,

Couvrants de l'entretien de nos plus saints mystères

1600   Ceux dont ils allumaient leurs flammes adultères.

Je ne m'étonne plus si ces deux beaux esprits,

De même passion également épris,

S'enfumaient à l'envi de l'encens des louanges,

Et s'élevaient l'un l'autre à la hauteur des anges.

PULCHÉRIE.

1605   C'est possible un rapport aussi faux qu'odieux.

THÉODOSE.

C'est un rapport fondé sur la foi de mes yeux,

Mon sort est comparable au sort du premier homme,

Son malheur et le mien sont sortis d'une pomme.

PULCHÉRIE.

D'une pomme ?

THÉODOSE.

Oui, ma soeur.

PULCHÉRIE.

Que votre majesté.

1610   S'explique, s'il lui plaît, avec plus de clarté.

THÉODOSE.

J'avais à ce matin un fruit de cette espèce,

Bien digne d'exercer les Muses de la Grèce,

Et de les obliger à remettre en avant

Ces sujets que la fable a chanté si souvent.

1615   Trouvant donc cette pomme admirable et charmante,

J'en ai fait un présent à cette indigne amante.

PULCHÉRIE.

Le malheur n'est pas grand.

THÉODOSE.

Écoutez ce qui suit.

À quelque temps de là, lui parlant de ce fruit,

(Voici mon désespoir, et sur quoi je le fonde)

1620   C'était (m'a-t elle dit) le plus beau fruit du monde,

Oui (dis-je) mais je crois que vous l'avez perdu :

Je l'ai mangé (Seigneur) m'a-t-elle répondu.

PULCHÉRIE.

Ce discours m'embarrasse et j'en prévois la suite.

THÉODOSE.

J'ai donc cru cette ingrate à l'artifice instruite,

1625   Et qui de ce mensonge eut pû se défier,

Si le Ciel n'eut pris soin de le vérifier :

Car passant chez Paulin, de qui la maladie

Vient de l'excès d'amour qui fuit sa perfidie,

Je l'ai trouvé dormant d'un paisible sommeil,

1630   Qui très certainement eut été sans réveil,

Si ma discrétion n'eut différé sa perte.

Quand la fatale pomme à mes yeux s'est offerte,

J'ai été quelque temps de tous mes sens perclus,

Me cherchant en moi-même, et ne m'y trouvant plus,

1635   Le regard immobile et la triste pensée

Entre l'étonnement et l'horreur balancée,

Je me suis retiré dans mon appartement,

Où notre déloyale a reçu de ma bouche.

L'arrêt qui pour toujours la bannit de ma couche :

1640   Ne m'étant rien encor c'est assez la punir

Que d'en perdre la vue et le souvenir

Mais pour toi, malheureux et détestable traître,

Qui dressais une embûche à l'honneur de ton maître,

Le poignard de Phocas, en te privant du jour,

1645   Éteindra dans ton sang le feu de ton amour.

PULCHÉRIE.

Seigneur, à dire vrai, la tempête est bien forte,

Qui souffle en votre esprit, et s'émeut de la sorte :

Mais seriez-vous marri qu'en vous disant trois mots,

On apaisât d'un temps la tempête et les flots ?

THÉODOSE.

1650   Hélas ! Plut-il à Dieu, divine Pulchérie,

Que d'un mal si pressant mon âme fut guérie.

PULCHÉRIE.

Qu'elle ouvre seulement ses yeux à la raison,

Puisque de sa clarté dépend sa guérison.

THÉODOSE.

Parlez, je vous écoute avecques patience.

PULCHÉRIE.

1655   Pour vous tirer l'esprit de tant de défiance,

Apprenez, s'il vous plaît, que ce fruit malheureux,

Qui vous fait soupçonner quelque intrique amoureux,

A passé par mon ordre et sous ma connaissance,

Sans dessein, sans secret, et sans intelligence,

1660   Des mains d'Athénaïs en celles de Paulin,

Qui sage comme il est n'en eût pas fait le fin,

Si votre Majesté se fut donné la peine

D'en tirer de sa bouche une preuve certaines

Vous-même exempt de mal qui vous trouble à présent,

1665   Auriez-vous pu lui faire un plus rare présent,

Plus digne d'un malade, et plus cher à la vue,

Que ce charmant sujet de soupçon qui vous tue ?

THÉODOSE.

Vous trompez, Théodose afin de le guérir.

PULCHÉRIE.

Croyez, que Pulcherie aimerait mieux mourir.

1670   Si ces deux malheureux, dont je prends la défense,

Ont commis contre vous quelque secrète offense :

S'ils sont ingrats, méchants, et coupables d'ailleurs,

Je n'ai pas entrepris de les faire meilleurs.

Perdez-les, vengez-vous, mais je suis obligée

1675   De consoler ici l'innocence affligée,

De réparer le mal par mon ordre avenu,

Et vous faire connaître un droit qui m'est connu.

THÉODOSE.

Ce que vous m'apprenez est-il bien véritable ?

PULCHÉRIE.

Oui, Seigneur, ou le Ciel me soit inexorable.

1680   Comment ? Croiriez-vous bien que contre votre honneur

Je prisse le parti d'un lâche suborneur ?

Pensez sur ce sujet, et pour toute autre chose,

Que je suis Pulchérie et soeur de Théodose/

THÉODOSE.

Mais comment accorder ce premier incident

1685   Avec la vérité d'un mensonge évident ?

PULCHÉRIE.

Touchant votre présent, je crois que par surprise

La pauvre Athénaïs à l'offense commise,

Et qu'elle croit encor vous avoir obligé

En vous persuadant qu'elle l'avait mangé :

1690   Pour moi c'est ma pensée, et quoi qu'il en advienne,

Ne doutez nullement que ce ne soit la sienne.

Enfin, Athénaïs est coupable en effet,

Mais c'est d'une imprudence, et non pas d'un forfait.

THÉODOSE.

Je vous crois, chère soeur et sur votre parole .

1695   Mon coeur triste et troublé se calme et se console.

La foi de vos discours a détruit mes soupçons,

Et de ma jalousie a fondu les glaçons :

Mais il faut réparer le désordre et la honte

Qu'a pu faire en autrui cette fureur si prompte.

PULCHÉRIE.

1700   Avant que de sa faute être mieux éclairci,

Comment avez-vous pu la maltraiter ainsi ?

THÉODOSE.

C'est que pour mon malheur elle s'est présentée

Aux premiers mouvements de mon âme irritée,

C'est que la jalouse en donnant son poison ;

1705   Ôte le jugement et trouble la raison. .

Allons donc et sachons ce qu'elle est devenue.

PULCHÉRIE.

Il est ici besoin d'un peu de retenue.

THÉODOSE.

Venez à moi, Tegnis.

TEGNIS, sortant.

On vient de m'appeler.

PULCHÉRIE.

Allez,dire à ma soeur que je lui veux parler

1710   Vite. Il est à propos et de la bienséance

Que vous soyez, témoin de notre conférence,

Afin qu'ayant ouï son discours et le mien,

Votre esprit éclairci ne doute plus de rien,

Puisque du grand César l'amante légitime

1715   Doit être sans soupçon aussi bien que sans crime.

THÉODOSE.

Je crois qu'elle est sans crime, et le croirai toujours,

Tant j'ai pris d'assurance en vos sages discours,

Et tant la voix est forte et d'appas animée,

Qui nous parle en faveur de la personne aimée.

SCÈNE VII.
Athénaïs, Puchérie, Tegnis, Théodose.

ATHÉNAÏS.

1720   Votre commandement m'a fuit venir ici,

Madame.

PULCHÉRIE.

Approchez-vous, c'est ma prière aussi,

Ma soeur, et le désir de vous rendre contente

En une occasion qui vous est importante :

D'où vient, à votre avis, cette aveugle fureur

1725   Qui ravageait tantôt l'esprit de l'Empereur ?

Et d'où procède encor cet ennui qui le ronge ?

Elle sort d'une pomme, elle vient d'un mensonge.

ATHÉNAÏS.

Ha, Madame ! Il est vrai j'ai pensé l'obliger,

Et cru par un mensonge innocent et léger

1730   Donner à son présent une plus haute estime :

Enfin c'est une erreur, mais ce n'est pas un crime.

Le Dieu de Théodose, à qui rien n'est caché,

Sait bien que mon honneur ne fut jamais taché,

Et que le garde encor ma vertu soupçonnée

1735   Pure comme elle était quand il me l'a donnée :

C'est lui qui Tout-puissant, et tout juste qu'il est,

Pour sa gloire et mon bien détruira, s'il lui plaît,

Les injustes soupçons du plus grand des Monarques.

PULCHÉRIE.

En vain le juste Ciel nous donnerait des marques

1740   De l'innocente erreur de votre procédé,

Puisque le Roi lui-même en est persuadé

À croire pour le moins ce qu'il en fait paraître.

THÉODOSE.

Je le sais en effet autant qu'on le peut-être,

Et l'esprit de tristesse et de honte abattu,

1745   J'abjure mon erreur aux pieds de la vertu.

TEGNIS.

Dieu quel effets d'amour !

PULCHÉRIE.

Il est bon, ce me semble,

De les laisser un peu s'entretenir ensemble.

Elles rentrent.

SCÈNE DERNIÈRE.
Théodose, Athénaïs.

THÉODOSE.

Je ne demande plus, pour être satisfait,

Que la grâce ou l'oubli du crime que j'ai fait

1750   Donnez-moi l'un ou l'autre, ô merveille amoureuse !

Et me faites heureux en vous faisant heureuse,

ATHÉNAÏS.

L'astre de mon bonheur a terminé son cours,

C'est bien assez pour moi qu'il ait duré six jours,

Suffit pour illustrer mon nom et ma misère,

1755   Et pour vérifier l'Oracle de mon père,

Suffit quant aux grandeurs, qu'on me les a fait voir,

Et ne les ayant pas que j'ai pu les avoir.

Fuyons-la cette Cour, et cette vaine pompe

De qui le faux éclat nous attire et nous trompe ;

1760   Ce Dédale où l'honneur s'égare si souvent,

Cette infidèle mer où l'on craint de tout vent,

Où les moindres vapeurs enfantent des orages,

Ou les plus grands vaisseaux font les plus grands naufrages,

Où même dans le port mille inconnus rochers

1765   Trompent la suffisance et l'espoir des nochers.

Il vaut mieux pour jouir d'une paix assurée,

Retourner au néant, d'où vous m'avez, tirée.

THÉODOSE.

Dans l'aveugle chaleur de mon mal violent

Je vous ai pu tenir ce langage insolent

1770   Mais le genou il enterre et le remords en l'âme,

Je me charge à mon tour de reproche et de blâme.

Je suis lâche, indiscret, méchant et criminel,

Digne de la rigueur d'un supplice éternel.

La fureur toutefois, qui mon âme a saisie,

1775   Cette prodigieuse et prompte jalousie,

Pourrait être obligeante à toute autre qu'à vous,

Puisqu'un moins amoureux eut été moins jaloux.

ATHÉNAÏS.

Il ne vous souvient plus, faisant ce que vous faites,

Ni de ce que je suis, ni de ce que vous êtes.

THÉODOSE.

1780   Donc pour vous obéir je parlerai debout.

ATHÉNAÏS.

Je ne commande point à ceux qui peuvent tout.

THÉODOSE.

Ce que j'ai de pouvoir, mon amour vous le donne.

Par le don qu'il vous fait de ma propre personne

PULCHÉRIE, sortant.

Recevez-le, ma soeur, et pour un si beau don,

1785   Donnez-lui de sa faute un généreux pardon,

Et qu'un juste regret, tant d'une part que d'autre,

Efface pour jamais son erreur et la vôtre.

Je voudrais cependant qu'un silence discret

Rendit même à Paulin cet accident secret,

1790   Dont il devrait tirer, sans en savoir la cause,

Un surcroit de faveur auprès de Théodose.

THÉODOSE.

Oui, ma soeur, des bienfaits et sans nombre et sans fin,

Vont réparer le tort que j'ai fait à Paulin :

Mais c'est trop différer le bonheur ou j'aspire,

Parlant à Athénaïs.

1795   Vous serez aujourd'hui ma compagne à l'Empire.

La pomme de discorde avancera d'un jour

L'innocente moisson des fruits de notre amour.

ATHÉNAÏS.

Sire, toute ma gloire est en votre puissance,

Comme tout mon mérite en mon obéissance.

TEGNIS.

1800   Facile obéissance ! Et que l'Empire est doux

Qui nous fait obéir pour commander à tous !

 


Extrait du Privilège du Roi.

Par grâce et Privilège du Roi, donné à Paris le huitième jour d'Avril mille six cent quarante deux, signé, par le Roi en son Conseil, LE GROS, et scellé du grand sceau en cire jaune ; Il est permis à JONAS DE BREQUIGNY, Marchand Libraire à Paris, d'imprimer ou faire imprimer, vendre et débiter pendant le temps de trois ans un Livre intitulé L'ATHÉNAÏS, Tragi-Comédie du sieur Mairet : Et défenses sont faites à tous Marchands Libraires et Imprimeurs, ou autres, de l'imprimer, vendre et débiter, sans le consentement dudit DE BREQUIGNY, à peine aux contrevenants de trois mille livres d'amende, et de tous, ses dépens, dommages et intérêts, ainsi qu'il est plus au long porté par lesdites Lettres, qui sont en vertu du présent extrait, tenues pour bien et dument signifiées, à ce qu'aucun n'en prétende cause d'ignorance.

Achevé d'imprimer pour la première fois le 2 Mai 1642.


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Notes

[1] Alcide : autre nom d'Hercule.

[2] Assiette : Manière de se poser, d'être posé. [L]

[3] Lycée : Gymnase, lieu d'exercice, situé en dehors d'Athènes du côté du levant, et garni d'allées couvertes. C'est dans le Lycée qu'Aristote tint école de philosophie. [L]

[4] Penser : nom masculin au XVIIème pour « pensée ».

[5] Parque : Déesse qui selon les anciens païens, préside à la vie des hommes. [T]

[6] Alentir : Rendre plus lent. [L]

[7] Déprendre : Fig. Détacher, faire qu'on ne soit pas attaché. [L]

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