LES POCHES.

LES JEUX DE LA PETITE THALIE.

OU NOUVEAUX PETITS DRAMES DIALOGUÉS SUR DES PROVERBES

Propres à former les moeurs des enfants et des jeunes personnes, depuis l'âge de cinq ans jusqu'à vingt.

M. DCC. LXIX.

Par M. de MOISSY.

Chez Bailly, Libraire, Quai des Augustins, à l'Occasion.


Texte établi par Paul FIEVRE, octobre 2018

publié par Paul FIEVRE, octobre 2018

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:38.


DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

L'éducation si précieuse à l'Humanité, ne peut être regardée sous trop d'aspects, et il serait à souhaiter que tous les auteurs, même les plus accrédités voulussent bien ne pas trouver au-dessous d'eux les ouvrages qu'ils tendraient à ouvrir à cette éducation, quelques routes plus utiles et plus agréables que celles qui sont connues.

Malgré tant d'écrits ( dit un fameux Philosophe de nos jours ) qui n'ont pour but que l'utilité publique, la première de toutes les utilités qui est l'Art de former des hommes, est encore oubliée. Que de romans paraissent journellement, qui ne servent qu'à amollir l'âme aussitôt qu'elle est capable de quelque force, qui tournent toujours dans un certain cercle de galanterie plus ou moins dangereuse, et n'apprennent aux jeunes personnes des deux sexes, que le jargon d'un vice raffiné, en faisant à leur esprit un amusement réfléchi des faiblesses de leur coeur !

Il faut instruire les enfants pour le Monde, et que les instructions qu'on leur donne se présentent à eux dans des tableaux agréables ; que ces tableaux diminuent dans leur coeur et dans leur esprit, la pente que l'humanité a pour le vice, et leur fasse trouver les vertus de chaque âge assez douces, assez nécessaires à la vie , pour que ces mêmes enfants défirent de les pratiquer fans effort, et comme un moyen de tranquillité et de bonheur.

Le grand Art est donc de les conduire à la Vertu, pour ainsi dire, par le chemin de la séduction , et qu'ils ne s'aperçoivent pas même qu'on ait voulu les séduire.

Le seul moyen pour parvenir à cet art ; est de leur présenter ces instructions sous la forme d'amusements ; alors toutes leurs facultés d'apercevoir et de sentir se développeront.

Ces réflexions ont fait naître l'idée de dialoguer un certain nombre de Proverbes, qui, vus d'un oeil philosophique, sans être hors de la portée des enfants et des jeunes personnes, roulent au contraire fur les petites affections répréhensibles et sur les semences de défauts et de vices qui peuvent germer en eux.

Ces Proverbes ainsi dialogués, outre l'avantage de l'instruction morale qui s'y trouve proportionnée aux différents âges et aux différents états, ont encore celui d'apprendre aux enfants, à parler avec assurance, à disserter d'eux-mêmes sur des choses qui les regardent, qui les amusent, et qui les intéressent.

Voici comment on pourra tirer toute l'utilité qui doit en résulter.

En faisant apprendre aux enfants les rôles qu'ils ont dans ces Proverbes, pour les jouer comme une petite Comédie, on choisira celui qui conviendra à leur âge, et à tel défaut qu'on voudra réprimer en eux.

Suivant le degré de leur intelligence, on les engagera, à travers toutes les scènes qu'ils réciteront par coeur, à étendre d'eux-mêmes le Dialogue, sans qu'ils s'écartent trop de l'Action.

Rien ne formera plus les jeunes personnes à parler aisément, et avec une honnête assurance devant le monde, à donner du ressort à leur imagination, enfin à multiplier avec méthode leurs idées, que ces petits Drames ainsi représentés par elles, une partie de mémoire, et l'autre par impromptu.

Pour cet effet, on a marqué les endroits susceptibles d'être variés, ou plus étendus dans le Dialogue écrit, en mettant au-dessus de ces endroits le mot d'Impromptu.

C'est dans ces moments de dialogue, que l'on engage les personnes qui en dirigeront l'exécution, à faire observer aux enfants, quand ils auront assez fait agir leur petite Minerve, à rendre à l'interlocuteur les mots de réplique comme en jouant la Comédie.

On a imprimé les répliques en lettres italiques, pour qu'on puisse les distinguer plus aisément.

Au moyen de cette opération, qui ne sera regardée par les enfants que comme un simple amusement, il se formera entre eux une vive émulation d'esprit ; ils apprendront tout ensemble à agir, à parler, à penser, et à contenir dans des bornes convenables leurs actions, leurs idées et leurs discours.

D'après ces observations, on espère que cet ouvrage tout puérile qu'il pourra paraître à certaines gens, n'aura pas le même sort auprès de ceux qui aimeront leurs enfants ou leurs élèves, avec cette tendresse ingénieuse et bien dirigée, qui n'aspire qu'à faire le bonheur de cette intéressante partie de l'humanité, et à la rendre dans la suite, sans danger pour ses moeurs, aussi raisonnable que vertueuse.


TABLE DES TITRES.

Avec un Précis du Sujet Moral qui est traité sous chacun d'eux,

La Table des Mots des Proverbes est à la fin du Livre.

Proverbe premier.

LA POUPÉE, page 3

Instruction pour les Enfants du premier âge, qui ne respectent pas assez leurs Gouvernantes.

Proverbe II.

LES GOURMANDES, page 15

Leçon nécessaire aux enfants qui sont gourmands et menteurs.

Proverbe III.

LE MENUET ET LALLEMANDE, page 33

Moyens d'inspirer de l'émulation aux enfants de parents qui ne font point assez riches pour leur donner des Maîtres.

Proverbe IV.

LES MOINEAUX, page 55

Leçon agréable et persuasive, pour engager un enfant à ne faire aucun mal, aucune méchanceté, même aux animaux.

Proverbe V.

LES POCHES, page 73

Bon Exemple d'une mère à sa fille, pour qu'elle ne s'écarte jamais de la confiance qu'elle devra à son mari.

Proverbe VI.

UN HABIT SANS GALONS, page 89

Trait d'un bon coeur pour engager un jeune homme à ne point aimer le faste, et à employer ce qu'il coûte à secourir l'humanité souffrante. Scène VI. Sujet de l'Estampe.

Proverbe VII.

LES DEUX MEDECINES, page 109

Ruse utile pour déterminer par amour propre, des enfants à prendre en maladie des médicaments.

Proverbe VIII.

LA VERSION, page 123

Moyen d'engager les enfants à ne point se dépiter contre eux-mêmes, quand ils trouveront des difficultés dans leurs études.

Proverbe IX.

LE DUEL, page 133

Leçon pour des enfants de condition orgueilleux, impertinents et mutins.

Proverbe X.

LE PETIT PAYSAN HARDI, page 151

Exemple qui tend à inspirer de la hardiesse aux enfants trop timides, et qui n'osent rien entreprendre.

Proverbe XI.

LE GOÛTÉ, page 161

Leçons d'égalité données à des enfants élevés avec hauteur, et qui méprisent les enfants des pauvres.

Proverbe XII.

LE QUI-PRO-QUO, page 177

Morale utile aux Fils d'un Paysan ou homme du peuple, qui veulent entrer au Service ou en service.

Proverbe XIII.

L'HEUREUX NATUREL, page 195

Bel Exemple de tendresse d'un Fils pour sa Mère, qu'il ne connaît pas.

Proverbe XIV.

LA COMÉDIE, page 207

Occasion plaisante de détruire l'orgueil mal fondé d'un enfant séduit par les apparences.

Proverbe XV.

LES REVENANTS, page 225

Moyens de prouver aux enfants, qu'il n'y a point de Revenants , et que tout s'opère ici bas par des causes naturelles.

Proverbe XVI.

LA PETITE VÉROLE, page 247

Exemple fort utile, pour consoler les jeunes Demoiselles que la petite vérole enlaidit, et Morale consolante pour les jeunes personnes laides.

Proverbe XVII.

LA PIÈCE DE VERS, etc. page 283.

Correction honnête qui tend à démasquer et à humilier l'amour propre ridicule d'un jeune homme qui se croit un prodige d'esprit et de mérite.

Proverbe XVIII.

LE MALHEUR IMPRÉVU, page 283

Leçons importantes aux jeunes gens, pour ne point se décider trop légèrement sur l'état qu'ils ont envie de prendre, et ne point perdre de temps à des occupations frivoles.

Proverbe XIX.

LES PRÉJUGÉS, page 299

Événements qui doivent apprendre aux jeunes gens à penser juste sur les deux plus forts pré jugés de notre Nation.

Proverbe XX.

LES LIAISONS DANGEREUSES, page 319

Aventure heureuse qui fait connaître aux jeunes gens l'importance de bien choisir leurs liaisons, pour éviter les chagrins et les malheurs.


TABLE DES MOTS DES PROVERBES.

Proverbe I. La Poupée : Trop parler nuit.

II. Les Gourmandes : Fin contre fin, n'est pas bon à faire doublure.

III. Le Menuet et l' Allemande : Le bon Oiseau se fait de lui-même.

IV. Les Moineaux : Il ne faut pas faire à autrui ce qu'on ne foudroie pas qu'on nous fît.

V. Les Poches : Les plus courtes folies font les meilleures.

VI. L'Habit sans Galons : Bon chien chasse de race.

VII. Les deux Médecines : Faire bonne mine à mauvais jeu.

VIII. La Version : Il vaut mieux laisser son enfant morveux, que de lui arracher le nez.

IX. Le Duel : Tout chien qui aboie ne mord pas.

X. Le petit Paysan hardi : Il n y a que le premier pas qui coute.

XI. Le Gouter : Pauvreté n'est pas vice.

XII. Le Qui-pro-quo : On ne peut tirer d'un sac que ce qui est dedans.

XIII. L'heureux Naturel : Bon sang ne peut mentir.

XIV. La Comédie : Les honneurs changent les moeurs.

XV. Les Revenants : On ne s'avise jamais de tout.

XVI. La petite Vérole : À quelque chose le malheur est bon.

XVII. La Piéce de Vers , etc. : Qui prouve trop , ne prouve rien.

XVIII. Le Malheur imprévu : L'homme propose, et Dieu dispose.

XIX. Les Préjugés : Après la pluie le beau temps.

XX. Les Liaisons dangereuses : Plus de peur que de mal.


ACTEURS de LES POCHES.

MADEMOISELLE ADÉLAÏDE, Fille de Monsieur et Madame Mondor, âgée de huit ans.

MONSIEUR MONDOR, Financier.

MADAME MONDOR, sa femme.

JULIE, femme de Chambre de Madame Mondor.

UN LAQUAIS de Monsieur Mondor.

La scène est dans le Cabinet de Monsieur Mondor, où il y a un Paravent. L'action se passe à une heure après midi.


LES POCHES

SCÈNE PREMIÈRE.

MONSIEUR MONDOR, seul, assis auprès d'un Bureau, où il regarde des Mémoires de Marchands.

Est-il possible qu'après dix années de mariage passées dans la plus heureuse intelligence, ma Femme se jette depuis six mois, dans un désordre qui me donne lieu de tout craindre ! C'est cette maudite connaissance qu'elle a faite de Madame des Usages, qui est cause de ce dérèglement, et il faut que j'emploie tout pour y mettre ordre. Jusques ici, mes prières, mes avis n'ont rien fait ; faut-il que j'en vienne jusqu'à la colère et aux menaces ! Oui, il le faut, je n'ai plus que cette ressource. Holà ! Quelqu'un...

SCÈNE II.
Mondor, Un Laquais.

LE LAQUAIS.

Monsieur...

MONDOR.

Faites-moi venir la femme de chambre de Madame.

LE LAQUAIS.

Oui, Monsieur... Mais elle dort peut-être encore ; Madame ne s'est couchée qu'à quatre heures du matin.

MONDOR.

Eh bien ! Sachez ce qui en est, et si elle est levée, qu'elle vienne me parler tout-à-l'heure.

LE LAQUAIS.

Oui, Monsieur : et si elle n'est pas levée, faudra-t-il aussi qu'elle vienne ?

MONDOR.

Elle se lèvera, et viendra le plutôt qu'elle pourra : allez.

LE LAQUAIS.

Oui, Monsieur.

SCÈNE III.

MONDOR seul, se promenant dans son Cabinet.

Il faut que je voie si je pourrai tirer de cette femme de chambre, quelques détails sur tout ce que je voudrais savoir, et que je crains d'apprendre.

SCÈNE IV.
Mondor, Julie.

JULIE.

Qui est-ce qu'il y a pour le service de Monsieur ?

MONDOR.

Mademoiselle, il y a qu'il s'agit de rester ici, ou d'en sortir, selon la façon vraie ou fausse dont vous allez me répondre aux questions que j'ai à vous faire ; ainsi prenez garde à ce que vous me direz.

JULIE.

Monsieur, vous êtes le maître de me demander ce que vous voudrez, je répondrai comme je le dois...

MONDOR.

Soit. Madame doit-elle beaucoup à sa marchande de modes des Traits galants ? Car je sais que c'est là qu'elle se fournit maintenant.

JULIE.

Madame lui doit, je crois, quelques petites bagatelles ; il n'y a pas longtemps qu'elle lui a donné de l'argent.

MONDOR.

Cela est-il vrai ? Prenez garde.

JULIE.

Oui, Monsieur, j'en réponds.

MONDOR.

Vous en répondez ! Et à Tenières, le bijoutier ?

JULIE.

Elle ne lui doit que sa dernière navette.

MONDOR.

Sa dernière navette ! Savez-vous si ma femme joue et perd sur sa parole ?

JULIE.

Oh ! Monsieur, jamais ; Madame verrait jouer plutôt toute la nuit sans jouer, quand elle n'a plus d'argent, que de risquer un écu sur sa parole, ou même d'en emprunter.

MONDOR.

Cela est il vrai, y puis-je compter ?

JULIE.

Oui, Monsieur, comme sur tout ce que je vous dis.

MONDOR.

Oui, je le crois, aussi je récompenserai votre sincérité comme elle le mérite : avertissez ma femme, que je la prie de passer ici, que j'ai de l'argent à lui donner, cela la fera venir promptement.

JULIE.

J'y vais, Monsieur.

Elle sort.

SCÈNE V.

MONDOR se remet à son Bureau, calcule des Mémoires, et lit:

Mémoire de ce que Tenieres, Marchand rue Saint-Honoré, a fourni à Madame Mondor : Onh... onh... onh... Total... trois mille six cent livres.

Mémoire de ce que j'ai fourni en ajustements de modes à Madame Mondor. ... Onh... Onh... onh... Total... Quatre mille livres ; et tout cela n'est que depuis six mois. Quatre mille livres en ajustements de modes seulement !

Il dit :

Voyons la carte du jeu.

Il lit.

Je dois à Monsieur l'Abbé Fijeac, cinquante Louis ; à Monsieur le Chevalier du Croc, soixante-quinze Louis ; à Madame la Marquise de Faussecoupe, vingt-cinq Louis. Du Wischk, à Monsieur le Comte des Honneurs, cinquante louis.

Tout cela fait... oui... justement... deux cents louis. Fort-bien ; voilà une femme dans un joli train de dépense, sans ce que je ne sais pas.

SCÈNE VI.
Mondor, Madame Mondor, Julie.

JULIE, à part à Madame Mondor.

Tenez bon, Madame, à toutes les questions que vous allez essuyer, sans quoi, attendez vous à une scène terrible.

MADAME MONDOR.

Va, ne t'inquiète pas.

Julie sort.

SCÈNE VII.
Mondor, Madame Mondor.

MONDOR.

Madame, je vous ai fait dire que j'avais de l'argent à vous remettre, mais c'est bien peu pour tout celui dont vous avez besoin.

MADAME MONDOR.

Dont j'ai besoin, Monsieur ! Et qui vous a dit que j'ai besoin de tant d'argent ?

MONDOR.

Qu'importe qui me l'a dit, Madame, cela est-il vrai ou non ?

MADAME MONDOR.

Monsieur, je m'arrange de ce que vous me donnez par mois, ainsi soyez tranquille.

MONDOR.

Que je sois tranquille ! Et l'êtes-vous vous-même ? Une femme qui doit sans l'aveu de son mari, douze mille francs et plus, peut-elle l'être, pour peu qu'elle ait un peu d'honneur et de raison ?

MADAME MONDOR.

Et comment savez-vous ?

MONDOR, montre les Mémoires et la Carte de Jeu.

Tenez, lisez, Madame.

MADAME MONDOR.

Quoi ! Monsieur, vous avez pris cela dans mes poches ? Voilà un procédé indigne... Fouiller dans les poches d'une femme ! Fi, Monsieur, vous mériteriez y avoir trouvé encore quelque chose de pis... et si j'écoutais la vengeance qu'une femme a toujours toute prête...

MONDOR.

Vous vous oubliez, Madame... Vous perdez la tête et voilà ce qui arrive à toute femme qui a fait une sottise, elle est toujours tentée d'en faire une autre plus forte, quand ce ne serait que pour faire oublier la première.

MADAME MONDOR.

Ah ! Monsieur, vous fouillez dans mes poches.

MONDOR.

Oui, Madame : fouillez dans les miennes quand vous voudrez, je n'y trouverai jamais à redire, parce que vous n'y trouverez jamais rien qui puisse vous chagriner.

MADAME MONDOR.

Allez, Monsieur, vous êtes un tyran, un homme odieux, qui allez vous faire haïr autant que j'ai pu vous aimer.

MONDOR.

Et vous, vous êtes une femme injuste, et perdue même avant qu'il soit peu, si je n'y mets ordre.

MADAME MONDOR.

Qu'est-ce à dire, si vous n'y mettez ordre ? Vous êtes bien hardi de me tenir des propos de cette force, et ma conduite...

MONDOR.

Vous met au bord du précipice, et je vous regarde comme une femme qui avez déjà un pied dedans.

MADAME MONDOR.

Allez, vous êtes un visionnaire, qui pourra bien se faire détester de tout l'Univers.

MONDOR.

Cela peut être, mais je ne veux me faire montrer ni à un doigt, ni à deux, Madame, prenez-y garde.

SCÈNE VII.
Mondor, Madame Mondor, Mademoiselle Adélaïde, leur fille.

MADEMOISELLE ADÉLAÏDE.

Mon Papa, Maman, je viens vous souhaiter le bonjour.

MADAME MONDOR, d'un air embarrassé.

Bonjour, petite.

Elle l'embrasse.

Allez vous en auprès de votre bonne.

ADÉLAÏDE. (Impromptu).

Ah ! Comme vous me renvoyez, Maman... Et vous, mon Papa, vous ne me dites rien ?

MONDOR, presque les larmes aux yeux.

Embrassez-moi, ma chère amie, et obéissez à votre mère.

ADÉLAÏDE.

Ah ! Mon Papa, ah ! Maman, vous paraissez avoir tous deux un gros chagrin ; ce n'est pas votre petite Adélaïde qui en est cause, n'est-ce pas ? Eh bien ! Permettez qu'elle vous le fasse passer, si elle peut, par ses caresses : mon petit papa, ma chère maman, embrassons-nous tous trois.

Elle les rassemble en se jetant à leurs cols.

MADAME MONDOR veut s'en débarrasser faiblement.

Laisse donc, laisse donc, mon enfant... Eh bien ! Finis donc.

MONDOR, de même.

Allons, ma petite, je vous l'ai déjà dit, obéissez à votre mère, et allez auprès de votre bonne.

ADÉLAÏDE.

Oui, Papa, j'obéirai, mais quand nous nous serons embrassé tous les trois, comme nous faisons tous les matins, vous savez bien...

MONDOR, à sa femme.

Il faut bien s'en débarrasser...

Ils s'embrassent tous les trois.

À Adélaïde.

Est-tu contente ?... Vas donc trouver ta bonne.

ADÉLAÏDE. (Impromptu).

J'y vais pour vous obéir, mais je ne suis pas contente, car vous ne vous êtes pas baisés de si bon coeur qu'à l'ordinaire, et cela me chagrinera toute la journée ; ah ! Papa, embrasse donc Maman de tout votre coeur !

Mondor embrasse tendrement sa femme.

Eh bien ! Tiens...

À Adélaide.

Va-t'en donc maintenant,

ADÉLAÏDE.

Je m'en vais, Papa : Adieu Maman.

Elle fait semblant de sortir, et se cache derrière un paravent.

SCÈNE IX.
MONDOR , SA FEMME.

MONDOR, après un long silence.

Avouez, Madame, que sans la tendresse que cette enfant a pour son père et sa mère, ils étaient bien loin de s'embrasser ce matin suivant leur coutume.

MADAME MONDOR.

Oh ! Pour cela oui, Monsieur, mais à qui la faute ?

MONDOR.

Ah ! Madame, j'aurais bien du plaisir à apprendre que ce n'est pas la vôtre, mais sûrement ce n'est pas la mienne.

MADAME MONDOR.

Vous allez voir que ce n'est la faute de personne.

MONDOR.

Si, Madame, c'est la faute des mauvaises connaissances que vous avez faites depuis six mois, et cette Madame des Usages... Mais notre petite Adélaïde, avec ses caresses, a fait votre paix dans mon coeur : cette enfant est le fruit de notre union, dont le bonheur ne s'est pas démenti depuis dix ans ; n'allons point, Madame, détruire en un jour un bien aussi précieux... Croyez -moi... Faites de sages réflexions sur le moment où vous êtes, et je vais vous prouver que je suis toujours pour vous le mari le plus tendre et le plus sensé... Voilà quinze mille francs en or, pour vous tirer de l'embarras où quelques moments malheureux vous ont jetée. Reprenez votre état naturel, votre gaieté ordinaire, vous ne la retrouverez jamais que quand vous n'aurez rien à vous reprocher, et que vous ne ferez mystère de rien à l'ami le plus sûr et le plus vif que vous ayez dans le Monde.

MADAME MONDOR.

Ah ! Mon cher Mondor, votre procédé, mes réflexions, vos avis... l'arrivée de notre petite Adélaïde, tout contribue à m'arracher des larmes qui vous annoncent le plus sincère repentir. Oui, vous avez dit vrai, vous faites revenir la paix dans mon coeur, que ma mauvaise conduite déchirait déjà en m'égarant de plus en plus. Embrassez-moi, mon cher ami, et soyez sûr que jamais je ne vous donnerai occasion d'avoir des reproches aussi raisonnables à me faire, que ceux que je n'ai que trop mérités.

SCÈNE X.
Mondor, Sa femme, Adélaïde.

MADAME MONDOR, à Adélaïde.

Ah ! Viens ma petite Adélaïde, que nous nous embrassions tous les trois maintenant, comme tu le voulais,

Ils s'embrassent.

Mais souviens toi toujours, si jamais tu as un mari aussi bon et aussi aimable que ton papa, de ne lui rien cacher de toute ta conduite, et d'en faire toujours ton meilleur ami.

ADÉLAÏDE (Impromptu).

Oui, Maman, je m'en souviendrai, je vous le promets. J'ai entendu derrière ce paravent, toutes les bonnes raisons que vous avez de me donner cette leçon, et j'en profiterai, je vous assure.

MADAME MONDOR, à son mari.

Pour moi, mon cher Ami, je vois avec plaisir que le Proverbe a raison, qui dit que...

 


J'ai lu par ordre de Monseigneur le Chancelier, un Manuscrit intitulé les Jeux de la petite Thalie ; et je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en empêcher l'impression. À Paris, ce treize Juin mille sept cens soixante-neuf.

CRÉBILLON.


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