******************************************************** DC.Title = ADAM, MYSTÈRE DC.Author = [Anonyme] DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Drame liturgique DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 07/03/2021 à 08:45:44. DC.Coverage = Pays biblique DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ANONYME_ADAM.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57891231 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ADAM MYSTÈRE [M. C. LXX.] ACTEURS DIEU. ADAM. ÈVE. SATAN. ANGE. ABEL. CAÏN. ABRAHAM. MOÏSE. AARON. DAVID. SALOMON. BALAAM. DANIEL. HABACUC. ISAÏE. JÉRÉMIE. LE JUIF. NABUCHODONOSOR. La scène est au jardin d'Eden. D'après la traduction de Léon Palustre, Directeur de la Société Française d'Archéologie (1877). Le découpage en acte et scène est de Paul Fièvre pour Théâtre Classique. DIEU, ADAM, ÈVE. DIEU. Adam. ADAM. Seigneur. DIEU. Je t'ai forméDu limon de la terre. ADAM. Je le sais bien. DIEU. Je t'ai formé à ma ressemblance,À mon image je t'ai fait de terre.Jamais tu ne te dois mettre en hostilité contre moi. ADAM. Je n'en ferai rien, mais j'ajouterai foi à tes paroles.Je suivrai en tout point ce que mon créateur me dira. DIEU. Je t'ai donné une bonne compagne :Voici ta femme, elle a nom Ève ;Voici ta femme et ton semblable ; Tu lui dois garder une grande fidélité.Aime-la et qu'elle t'aime,Et moi je vous aimerai bien tous les deux.Qu'elle soit toujours prête à t'obéir,Et tous les deux soyez soumis à ma volonté. Je l'ai formée de ta côte,Ce n'est pas une étrangère, puisqu'elle est née de toi.Je la formai de ton corps ;Elle est sortie de toi et non pas d'ailleurs.Toi, gouverne-la suivant la raison ; Qu'il n'y ait jamais de dispute entre vous,Mais grand amour et protection mutuelle ;Telle est la loi du mariage. DIEU, à Ève. À toi je parlerai, Ève,Prête grande attention à tout ce que je vais dire. Si tu veux te conformer à mes désirs,La bonté tu auras toujours en partage.Aime-moi et honore ton créateur,Et reconnais-moi pour ton Seigneur.À me servir mets tout ton souci, Toute ta force et toute ta raison.Aime Adam, et qu'il te soit cher :Il est ton mari et tu es sa femme.Sois lui toujours soumise,Ne te dérobe pas à sa direction ; Sers-le et aime-le sans arrière-pensée,Car c'est ainsi que l'on doit agir en ménage.Si tu lui es d'un puissant secours,Je te mettrai en état de gloire avec lui. EVE. J'agirai, Seigneur, suivant ton plaisir, En rien je ne veux enfreindre ta volonté ;Je te reconnaîtrai pour mon Seigneur,Et Adam pour mon époux et mon maître ;Je lui serai toujours fidèle,Jamais il ne recevra de moi de mauvais conseils ; Tout ce qui pourra te faire plaisir ou t'être utile,Je le ferai, Seigneur, sans discuter. Alors Dieu invitera Adam à s'approcher et lui parlera en appuyant sur chaque mot : DIEU. Écoute, Adam, et fais attention à ce que je dis ;Après t'avoir formé, voici le don que je veux te faire :Toujours tu pourras vivre, si tu observes ma loi, Et ton corps, à l'abri de tous maux, ne vieillira point ;Jamais tu n'auras faim, tu ne boiras pas par nécessité.Jamais tu n'auras froid, ni ne souffriras de la chaleur ;Tu seras toujours content, jamais tu ne te fatigueras.Toujours tu seras en fête, la douleur te sera inconnue. Toute ta vie tu passeras dans la joie ;Ta vie sera sans terme par le plus grand privilège.Je le dis à toi, et je veux qu'Eve l'entende ;Si elle n'y prête attention, elle fera marque de folie.Je te fais le maître de toute là terre, Des oiseaux, des bêtes, de tout ce qui frappera tes yeux.Peu t'importe qui te porte envie,Car l'univers entier doit s'incliner devant toi.Je remets entre tes mains le bien et le mal :Qui possède un tel don jouit de sa liberté entière. Pèse maintenant également tout en balance :N'ajoute foi à rien qui me soit contraire.Laisse le mal et applique-toi au bien,Aime ton Seigneur et ne t'éloigne pas de lui,N'abandonne jamais mon conseil pour celui d'un autre : Si tu le fais, tu ne pécheras pas peu. ADAM. Grande grâce je rends à ta bienveillance,Qui me forma et agit si tendrement envers moi,Que bien et mal elle met en ma puissance.À te servir je mettrai ma volonté. Tu es mon Seigneur, je suis ta créature :Tu me créas et je suis ton ouvrage.Ma volonté ne sera jamais si pervertieQu'à te servir je ne mette tout mon souci. Alors Dieu montrera de la main le paradis à Adam, en disant : DIEU. Adam. ADAM. Seigneur. DIEU. Je vais te confier mon dessein. Tu vois ce jardin. ADAM. Comment a-t-il nom ? DIEU. Paradis. ADAM. Qu'il est beau ! DIEU. Je l'ai planté et arrangé moi-même.Qui s'y maintiendra sera mon ami.Je te recommande donc de veiller à n'en pas sortir, Alors Dieu enverra dans le Paradis Adam et Ève, en disant :Je vous place dedans. ADAM. Pourrons-nous y rester ? DIEU. Sans aucun doute, vous y pourrez toujours vivre ;Jamais vous n'y pourrez mourir ni tomber malade. Le choeur chantera : Tulit ergo Dominas hominem. Alors, Dieu, étendant la main vers te paradis, dira :De ce jardin je t'expliquerai la nature.Vous y jouirez de tous les plaisirs imaginables ;Il n'y a bien au monde convoité par la créature Que chacun n'y puisse trouver suivant ses désirs ;La femme de l'homme n'y sentira pas la colère,Ni l'homme de la femme la fausse honte et la frayeur.L'homme y engendrera sans péché,Et la femme y enfantera sans douleur. Tu y vivras toujours, tant le séjour y est bon ;Jamais tu n'y pourras changer d'âge.Tu ne craindras pas la mort, ni aucun autre accident ;Je ne veux pas que tu sortes, ici tu feras ménage. Le choeur chantera : Dixit Dominât ad Adam. Alors Dieu montrera à Adam les arbres du paradis, en disant :De tous ces fruits tu peux manger à ton aise. Puis il indiquera l'arbre dont le fruit est défendu, et dira :Pour celui-ci il t'est défendu d'en user jamais.Si tu en manges, de suite tu mourras,Tu perdras mon amour, ton sort sera changé en mal. ADAM. Je me conformerai entièrement à ton commandement :Ni moi ni Ève ne nous en départirons en rien. Puisque pour un seul fruit on perd un tel séjour.Il est juste que je sois jeté dehors sans égard aucun,Pour une pomme si je renonce à ton amour ;Que jamais je ne le fasse, dans mon bon sens ou égaré.Il doit être jugé suivant la loi des traîtres Celui qui se parjure et trahit son Seigneur. Alors Dieu se dirigera vers l'église, tandis qu'Adam et Ève se promèneront tranquillement avec délices dans le paradis. De leur côté, les démons se répandront hors de la scène, faisant des gestes de circonstance. Tour à tour ils s'approcheront du paradis et montreront à Ève le fruit défendu qu'ils sembleront vouloir l'amener à manger. Enfin Satan abordera Adam et lui dira : SATAN, ADAM. SATAN. [Note : La traduction du vers 112 a été revu et raccourci pour entrer dans un mètre standard. [PF]]Que fais-tu là, Adam ? ADAM. Une vie délicieuse. SATAN. Es-tu content ? ADAM. Je ne sens rien qui m'ennuie. SATAN. Tu peux être mieux encore. ADAM. Je ne vois pas comment. SATAN. Veux-tu savoir ? ADAM. En serai-je plus avancé ? SATAN. Je puis te le montrer. ADAM. Et que m'importe. SATAN. Pourquoi non ? ADAM. Cela ne peut me servir de rien. SATAN. Cela te servira. ADAM. Je ne sais pas quand. SATAN. Je ne te le dirai donc pas pour l'instant. ADAM. Si, dis-le-moi maintenant. SATAN. Je n'en ferai rien, Tant que je ne te verrai pas fatigué de le demander. ADAM. Au reste, je n'ai nul besoin de le savoir. SATAN. Il est vrai, tu n'auras rien de plus que ce que tu as.Tu possèdes tous les biens, mais ne sais en jouir. ADAM. Comment cela ? SATAN. Veux-tu le savoir ? Je te le dirai en particulier. ADAM. Sûrement. SATAN. Écoute, Adam, prête attention à mes paroles ;C'est dans ton intérêt. ADAM. J'en suis persuadé. SATAN. Me croiras-tu ? ADAM. Oui, très certainement. SATAN. En toutes choses. ADAM. Sauf en un point. SATAN. De quoi s'agit-il ? ADAM. Je vais te le dire ;Je n'offenserai pas mon créateur. SATAN. Le crains-tu tant ? ADAM. Oui, en vérité,Je l'aime et je le crains. SATAN. Tu ignores donc Ce que tu peux faire. ADAM. Le bien et le mal. SATAN. Tu as véritablement déraisonné, le jourOù tu as cru qu'il pouvait t'arriver du mal.N'es-tu pas dans l'état de gloire ? Tu ne peux mourir. ADAM. Dieu me l'a dit ; je mourrai Si je viens à transgresser ses commandements. SATAN. De quelle importante transgression s'agit-il ?Je veux l'entendre, sans nul retard. ADAM. Je te le dirai en toute sincérité :Il m'a fait un commandement. De tous les fruits du paradisJe puis manger, m'a-t-il dit,Excepté d'un seul : celui-là m'est défendu,Sur celui-là je ne porterai la main, SATAN. Lequel est-ce ? Alors Adam lèvera la main et montrera le fruit défendu, en disant : ADAM. Le vois-tu là, Celui auquel il m'a formellement défendu de toucher. SATAN. Sais-tu pourquoi ? ADAM. Moi, non certes. SATAN. Je vais t'en dire le motif.Tous les autres fruits lui sont indifférentsAlors il montrera du doigt à Adam le fruit défendu, en disant : À l'exception de celui qui pend là-haut.Celui-là est le fruit de science,Qui donne connaissance de toutes choses.Si tu le manges tu feras bien. ADAM. Moi, en quoi ? SATAN. Tu le verras. Tes yeux seront de suite ouverts,Tout l'avenir apparaîtra devant toi.Tu pourras faire tout ce que tu voudras :Tu feras donc bien de le cueillir.Mange-le, tu agiras sagement, Tu ne craindras plus en rien ton Dieu ;Mais, au contraire, tu seras en tout son égal :C'est pour cela qu'il a songé à te l'interdire.Me croiras-tu ? Goûte de ce fruit. ADAM. Je ne le ferai pas. SATAN. Tu plaisantes. Tu ne le feras pas ? ADAM. Non. SATAN. Tu es un sot ;Tu te souviendras de ce que je te dis. Alors le diable se retirera et ira trouver les autres démons ; puis après s'être promené quelque temps hors de la scène, il reviendra tout joyeux vers Adam,qu'il essayera de tenter encore.Adam, que fais-tu ? as-tu changé d'avis ?Es-tu encore dans tes folles idées ?Je croyais te l'avoir dit l'autre jour, Dieu t'a donné la jouissance de tout ce qui est ici,Ici il t'a mis pour manger de ce fruit.As-tu donc d'autre distraction ? ADAM. Oui, certes, je n'en manque pas. SATAN. Tu ne monteras jamais plus haut : Tu pourras te tenir pour très-heureuxDe ce que Dieu t'ait fait son jardinier.Dieu t'a fait le gardien de son jardin,Comptes-tu toujours languir dans cette position ?T'a-t-il formé uniquement pour ventre faire ? Est-ce là le seul bien qu'il voudra jamais t'accorder ?Écoute, Adam, prête attention à mes paroles ;Je te conseillerai en toute conscience,Afin que tu puisses devenir ton maîtreEt l'égal de ton Créateur. Je te donnerai tout ce qu'il est possible de te donner.Si tu manges de la pomme. Alors il étendra la main vers le paradis :Tu régneras plein de majestéEt tu partageras la puissance avec Dieu. ADAM. Fuis loin d'ici. SATAN. Que dit Adam ? ADAM. Fuis loin d'ici, tu es Satan,Tu me donnes de Mauvais conseils. SATAN. Moi, comment ? ADAM. Tu me veux livrer au supplice,Tu me veux brouiller avec mon Seigneur,Me ravir ma joie, me plonger dans la douleur. Je ne te croirai pas, fuis loin d'ici !Ne sois jamais si hardiQue de te présenter devant moi :Tu es un traître, un homme sans foi. Alors, triste et la tête baissée, le diable s'éloignera d'Adam et se dirigera vers les portes de l'Enfer, où il s'entretiendra avec les autres démons. Puis, après avoir circulé au milieu de la foule, il se dirigera vers la partie du paradis occupée par Ève, à laquelle il s'adressera d'un air joyeux : SATAN, EVE. SATAN. Ève, je suis venu ici à ta rencontre. EVE. Dis-moi, Satan, de quoi s'agit-il ? SATAN. Je vais cherchant ton profit, ton honneur. EVE. Dieu le veuille ! SATAN. N'aie pas peur.Il y a longtemps que j'ai apprisTous les secrets du paradis, Je t'en dirai une partie. EVE. Commence dès maintenant, je t'écoute. SATAN. Sûrement. EVE. Je t'écouterai attentivement,Je ne t'interromprai en rien. SATAN. Me garderas-tu le secret ? EVE. Oui, par ma foi. SATAN. Et s'il est découvert ? EVE. Je le jure, ce ne sera par moi. SATAN. Je vais donc mettre en toi ma confiance,L'assurance que tu me donnes me suffit. EVE. Tu peux bien croire à ma parole. SATAN. Tu as été à bonne école ; J'ai vu Adam, c'est un insensé. EVE. Il est un peu dur. SATAN. Il s'attendrira,Mais pour l'instant il est plus dur que l'enfer. EVE. Il est très indépendant. SATAN. Au contraire, il est très servile.Il ne veut prendre aucun souci de sa personne, Mais j'en prendrai de la tienne, moi, si tu le veux.Tu es faiblette et tendre chose,Et tu es plus fraîche que la rose,Tu es plus blanche que le cristal,Que neige qui tombe sur la glace dans la vallée ; Le Créateur vous a bien mal accouplés,Tu es trop tendre et lui trop dur ;Mais pourtant tu es la plus sage,Et ton courage est uni à un grand bon sens ;C'est pour cela qu'il est bon de l'approcher. Je veux te parler. EVE. Rien ne t'en empêche. SATAN. Que nul ne le sache. EVE. Et qu'est-ce qui a besoin de le savoir ? SATAN. Pas même Adam. EVE. S'il le sait, ce ne sera pas par moi. SATAN. Je vais donc m'expliquer, écoute-moi ;En réalité, nous sommes tous les deux seuls en ce lieu, Car Adam ne fait aucune attention à nous. EVE. Tu peux parler haut, il ne s'apercevra de rien. SATAN. Je vous avertis d'une grande tromperie,Dont vous êtes la victime dans ce jardin.Le fruit que Dieu vous a donné, En soi-même ne vaut pas grand'chose ;Celui, au contraire, qu'il vous a interditPossède une vertu suréminente.En lui est la grâce de vie,De puissance et de seigneurie, De tout savoir, bien et mal. EVE. Quelle saveur a-t-il ? SATAN. Céleste.À ton beau corps, à ta figure,Conviendrait bien telle aventure,Que tu fusses reine du monde, De ce qui est en haut et de ce qui est en bas,Que tu susses tout ce qui doit être.Que de tout tu fusses entièrement maîtresse. EVE. Ce fruit est tel que tu le dis ? SATAN. Oui, en vérité. Alors Eve regardera avec empressement le fruit défendu, et dira : EVE. Rien que sa vue me fait du bien. SATAN. Si tu en manges, que feras-tu ? EVE. Moi, que sais-je ? SATAN. Crois-moi :D'abord prends-le et donne-le à Adam :Vous serez aussitôt les maîtres du ciel,Vous serez semblables au Créateur, Il ne pourra vous cacher aucun de ses desseins ;Du moment que vous aurez mangé de ce fruitVotre coeur sera pour toujours changé.A Dieu vous serez, sans interruption,Égaux en bonté et en puissance. Goûte de ce fruit. EVE. Je ne cours aucun danger. SATAN. Ne crois Adam en aucune façon. EVE. Je ne le croirai pas. SATAN. Quand le mangeras-tu ? EVE. Souffre qu'auparavant Adam se retire. SATAN. Mange donc, n'aie pas de crainte,Tarder encore serait de l'enfantillage Alors le Diable s'éloignera d'Eve et ira en Enfer. Adam, au contraire, que le colloque du Diable et d'Eve a fortement impatienté, s'approchera et pariera ainsi : ADAM, EVE. ADAM. Dis-moi, femme, que t'a-t-il demandé ?Que te voulait ce maudit Satan ? EVE. Il m'a entretenu de notre bien. ADAM. Ne le crois pas, le traître ;C'est un traître. EVE. Je le sais bien. ADAM. Toi, comment ? EVE. Parce que je l'ai entendu parler.Mais, d'après ce qu'il m'a été permis de voir,Il te fera changer d'avis. ADAM. Il ne le fera pas, car je ne le croiraiAbsolument en rien jusqu'à nouvel ordre. Ne te laisse jamais approcher par luiCar il est tout à fait de mauvaise foi.Il veut trahir son SeigneurEt s'élever au-dessus de lui ;Un gredin qui a agi de la sorte Je ne veux pas que prés de vous il ait accès. Alors un serpent construit avec art s'enroulera autour du tronc de l'arbre défendu. Eve s'en approchera et fera semblant de prêter l'oreille à ses discours ; après quoi elle cueillera une pomme et la présentera à Adam. Ce dernier refusera de la prendre, et Eve lui dira : EVE. Mange, Adam, tu ne sais pas ce que c'est :Prenons ce fruit qui est préparé pour nous. ADAM. Est-il donc si bon ? EVE. Tu le sauras ;Mais tu ne peux le savoir si tu n'y goûtes. ADAM. J'en suis tout tourmenté. EVE. Laisse-le alors. ADAM. Non, je n'en ferai rien. EVE. Tu es fatigant avec toutes tes hésitations. ADAM. Je vais le prendre. EVE. Manges en :De cette manière tu connaîtras le bien et le mal ; Mais moi je vais en manger tout d'abord. ADAM. Et moi après. EVE. Sûrement. Alors Eve mangera une partie de la pomme, et dira à Adam :J'en ai goûté ; Dieu ! Quelle saveur !Jamais je ne mangeai rien d'aussi détectable !Cette pomme a une saveur... ADAM. Laquelle ?... EVE. Jamais homme n'en a mangé de semblable.Maintenant mes yeux sont si clairvoyants,Que je ressemble au Dieu tout-puissant ;Tout ce qui a été, tout ce qui doit êtreJe le sais parfaitement, j'en suis maîtresse. Mange, Adam, ne tarde plus,Prends cette pomme pour ton plus grand bonheur. Alors Adam recevra la pomme de la main d'Eve, disant : ADAM. Il faut bien que je te croie, toi, la moitié dé moi-même. EVE. Mange, n'aie plus d'hésitation. Alors Adam mangera une moitié de la pomme ; après quoi il reconnaîtra aussitôt sa faute et baissera la tête. Ne pouvant plus supporter les regards du peuple, il dépouillera ses riches vêtements et se ouvrira de misérables habits formés de feuilles cousues ensemble. Il simulera une grande douleur et commencera sa lamentation : ADAM. Hélas ! Pécheur, qu'ai-je fait ? Je suis mort maintenant sans retour.Sans espoir de délivrance je suis mort,Tant est grande la faute que j'ai commise.Combien mon son est tristement changé ;Jadis il fut très heureux, maintenant il est très dur. J'ai abandonné mon CréateurPar le conseil de ma coupable épouse.Hélas ! pêcheur, que vais-je faire ?Comment pourrai-je attendre mon Créateur ?Comment me présenterai-je devant lui, Après l'avoir follement abandonné ?Jamais je ne fis une transaction si défavorable,Je sais maintenant ce que c'est que le péché.Hélas ! mort, pourquoi me laisser vivre,Que ne délivres-tu le monde de ma personne ? Pourquoi continuerais-je à souiller la terre ?Il me faudra bien tâter du fond de l'enfer.En enfer sera ma demeure,Jusqu'à ce qu'un sauveur ne me vienne.En enfer j'écoulerai mes jours ; Mais, là, d'où pourra me venir aide ?D'où pourra me venir en ce lieu secours ?Qui m'arrachera à un pareil supplice ?Après avoir mat agi envers mon Seigneuril ne me doit rester aucun ami. Personne ne sera assez puissant pour me tirer de là.Je suis perdu sans retour.J'ai si mal agi envers mon Seigneur,Que je ne puis lui présenter ma défense ;Car, moi j'ai tort et lui raison. Dieu ! Quelle mauvaise cause est la mienne !Qui aura jamais souvenir de moiAprès mon crime envers le roi de gloire ;Envers le roi du ciel j'ai si mat agiQue je ne puis m'excuser par aucun bon motif, Que je n'ai ni ami, ni voisinQui puisse me tirer d'un si mauvais pas.Quel secours maintenant invoquerais-je,Après que ma femme elle-même m'a trahi ?Elle que Dieu fit mon semblable, Elle m'a donné un mauvais conseil ;Ah ! Ève. Alors il regardera Eve, sa femme, et dira :Aïe ! Femme dévoyée ;Combien funestement vous êtes née de moi !Que n'a-t-eHe été brûlée cette côteQui m'a valu un si fâcheux destin ! Que n'a-t-elle été consumée par le feu, la côteQui m'a préparé un si malheureux débat !Quand cette côte de moi Dieu prit,Pourquoi ne t'a-t-il pas brûlée et ne m'a-t-il pas tué ;La côte a trahi tout le corps, Elle l'a affolé et mal gouverné.Je ne sais plus que dire, ni que faire ;Si le ciel ne vient à mon secours,Je ne puis sortir d'embarras :Tel est le souci qui me tourmente. Hélas ! Ève, quel malheur tu as causé !De quel grand châtiment n'ai-je pas été frappé,Lorsque tu m'as été donnée pour épouse :Maintenant je suis perdu par ta faute.Ton mauvais conseil m'a plongé dans l'infortune, Il m'a fait descendre des hauteurs où j'étais placé.Aucun homme vivant ne me tirera de làSi le Dieu du ciel ne s'interpose.Que dis-je ? Ai-je droit de l'invoquer ?Peut-il seulement me secourir ? je l'ai courroucé. Je ne puis plus désormais attendre aucune aide,Si ce n'est du fils qui sortira de Marie.Nous n'avons certainement pas agi dans notre intérêt,Lorsque nous avons été infidèles envers Dieu.Maintenant, puisse cette détermination plaire a Dieu, Le seul parti à prendre est de mourir. Alors le choeur entonnera ; Dum ambutaret... Après quoi, Dieu s'avancera, vêtu d'une longue robe, et jettera, en entrant dans le paradis, un regard investigateur de tous côtés, comme pour chercher où est Adam. Pendant ce temps, Adam et Eve, qui semblent avoir le sentiment de leur faute, se tiendront blottis dans un lieu retiré, et Dieu dira : DIEU, ADAM, EVE. DIEU. Adam, où es-tu ? Alors tous les deux se présenteront devant Dieu, non plus la taille droite et haute, mais quelque peu courbés sous le poids de leur péché et profondément tristes. Adam répondra : ADAM. Me voici, beau sire.Si je me suis caché c'est pour éviter ta colère ;Et c'est aussi parce que je suis tout nu Que je me suis blotti dans Un lieu retiré. DIEU. Qu'as-tu fait ? Comment t'es-tu écarté du droit chemin ?Commentas-tu été dépouillé dé ton état bienheureux ?Qu'as-tu fait ? Pourquoi as-tu honte ? ADAM. Comment entrerai-je en explication avec toi ! DIEU. Tu n'avais rien l'autre jourDont tu dusses avoir honte ;Maintenant je te vois triste et morne :Qui demeure ainsi a quelque chose à se reprocher ADAM. Je suis si honteux devant toi, Seigneur, Que je me cache. DIEU. Et pourquoi ? ADAM. Je suis tellement accablé sous le poids de ma honte.Que je n'ose plus te regarder en face. DIEU. Pourquoi as-tu transgressé mes commandements ?As-tu donc beaucoup gagné à cela ? Tu es mon esclave et je suis ton maître. ADAM. Je ne puis te contredire en rien. DIEU. Je t'ai fait à ma ressemblance :Pourquoi as-tu transgressé mon commandement ?Je t'ai formé entièrement à mon image, Ce qui rend l'outrage que tu m'as fait plus grand ;Tu n'as en rien observé mes prescriptions,Tu les as transgressées délibérément.Tu as mangé du fruit que je t'avais dit De ne jamais toucher en aucune occasion. Par là tu t'es imaginé devenir mon égal ;Tu as voulu plaisanter, je pense. Alors Adam étendra la main vers Dieu, puis vers Eve, en disant : ADAM. La femme que tu m'as donné,À la première commis cette désobéissance ;Elle m'a donné la pomme et je l'ai mangé : Maintenant il m'est avis que cela m'est tourné à mal.Cette action m'a mal réussi :J'ai mal agi par la faute de ma femme. DIEU. Tu as cru ta femme plus que moi ?Tu as mangé le fruit sans ma permission ; Voilà la récompense que je te donnerai maintenant :La terre sera maudite ;Partout où tu voudras semerTu en subiras les conséquences.Elle est maudite sous ta main, Tu la cultiveras en vain.Tous ses fruits pour toi seront changésEn épines, transformés en chardons ;Tu voudras changer la semenceElle sera maudite par suite de l'arrêt porté contre toi. Avec grand travail, avec grande douleurIl te faudra manger du pain ;Avec grande peine, avec grande sueurTu vivras nuit et jour. Alors Dieu se tournera vers Eve et lui dira, plein de courroux :Et toi, Eve, femme perverse, Tu as commencé de bonne heure à me faire la guerre,Tu as peu observé mes commandements. EVE. C'est le maudît serpent qui m'a trompée. DIEU. Par lui tu as cru devenir semblable à moi ;Devines-tu bien ce qui va t'arriver ? Autrefois vous aviez la dominationSur tout ce qui a vie dans le monde :Comment l'as-tu sitôt perdue ?Maintenant te voilà triste et inquiète ;As-tu, dis-moi, fait gain ou perte ? Je te récompenserai suivant ton mérite,Je te paierai suivant ce que tu as fait.Des maux te viendront de toute manière :Tu enfanteras dans la douleur,Et ta progéniture sera éternellement malheureuse. Tes enfants naîtront dans la douleurEt mourront au milieu des plus grandes angoisses.Tels sont les maux et les préjudicesDont, par ta faute, vous souffrirez, toi et ta descendance ;Tous ceux qui de toi sortiront Pleureront ton péché. Et Eve répondra, disant : EVE. J'ai mal agi, je me suis conduite follement ;Pour une pomme je vais éprouver un si grand dommage.Que moi et ma descendance en souffrirons beaucoup :Pour peu de chose je subis une grande punition. Si j'ai mal fait, ce n'est pas grande merveille,Puisque j'ai été trompée par le séduisant serpent.Il fait beaucoup de mal, il ne ressemble pas à la brebis ;Mal est dirigé qui à lui se conseille.J'ai pris la pomme, or je sais que j'ai agi follement Contre ta défense, en cela j'ai commis une félonieJ'en goûtai à tort, maintenant je suis haïe de toi :Pour un peu de fruit il faut que je perde la vie. Alors Dieu menacera te serpent, en disant : DIEU. Et toi, serpent, sois maudit !Sur toi je reprendrai bien mes droits. Sur ton ventre tu te traîneras,Tous les jours que tu vivras.Tu te nourriras uniquement de poussière,Dans les bois, les plaines, ou le désert.La femme te portera haine, Et sera pour toi d'un dangereux voisinage.Tu chercheras à la piquer au talon,Mais elle t'arrachera le dard ;Elle te frappera la tête d'un marteau tellement lourd,Qu'il te fera un mal épouvantable. Enfin elle mettra tous ses soinsÀ se venger de toi comme elle pourra.Parce que tu t'es réjoui de sa confusion,Elle te fera courber la tête ;Et un rejeton naîtra d'elle Qui confondra tous tes artifices. Alors Dieu les chassera du paradis, en disant ;Maintenant, sortez du paradis,Que vous avez échangé à tort contre un autre séjour.Sur la terre vous établirez votre famille,Vous n'avez plus aucun motif de demeurer en paradis. Vous n'y pouvez plus rien revendiquer,Vous allez en sortir et pour toujours.Par jugement vous n'y possédez plus rien ;Cherchez donc ailleurs un lieu d'habitation.Vous en sortez à bon droit ; Ne vous manque jamais faim, ni fatigue,Ne vous manque jamais douleur ni peine,Tous les jours de la semaine.Sur la terre vous serez malheureux,Puis vous mourrez, en fin de compte ; Aussitôt que vous serez mort,Sans retard vous irez en enfer.Après l'exil de vos corps sur la terre,Vos âmes subiront leur châtiment en enfer.Satan vous aura sous sa direction. Il n'y a personne qui puisse vous aider ;Par qui seriez vous jamais secouru,Si moi je ne prends pitié de vous. Le Choeur chantera : In suâore vultus tui. DIEU, ANGE. Alors viendra un ange, tout de blanc habillé, une épée flamboyante à la main, que Dieu placera à la porte du paradis, en lui disant : DIEU. Gardez-moi le paradis de telle sorteQue jamais cette engeance n'y puisse entrer ; Qu'elle soit mise dans l'impossibilité complèteDe jamais toucher le fruit de vie.Avec cette épée qui flamboieBarrez-lui le chemin sans pitié. Après leur expulsion du paradis, Adam et Eve, tristes et confus, se tiendront accroupis sur leurs talons ; Dieu les désignera d'un geste à la foule, la figure tournée vers le paradis, et le choeur entonnera : Ecee Adam quasi unus.... Aussitôt après Dieu rentrera dans l'église.[Note : Hoyau : Houe à lame forte, aplatie, taillée en biseau, employée au défoncement des terrains et aux façons de la petite culture qui demandent le plus de force. [L]] Alors Adam prendra un hoyau et Eve un râteau, et tous deux commenceront à cultiver la terre et à semer du blé. Après quoi ils iront s'asseoir un peu à l'écart, en simulant la fatigue, et lèveront par intervalles des yeux larmoyants vers le paradis en se frappant la poitrine. Pendant ce temps le diable viendra mêler à leur culture des épines et des chardons, puis s'en ira. Adam et Eve saisis au retour d'une violente douleur, à la vue des épines et des chardons poussés de tous côtés, se prosterneront à terre et se frapperont la poitrine et les cuisses avec tous les gestes du désespoir ; puis Adam commencera sa lamentation. ADAM. Malheureux que je suis ! Il est donc arrivé le moment Où mes péchés me sont hautement reprochés,Parce que j'ai quitté le Seigneur que l'homme adore !Qui s'interposera jamais pour qu'il me secoure ? En cet endroit Adam fixera le paradis, vers lequel il étendra les deux mains, puis inclinant religieusement la tête, il dira :Oh ! paradis, si beau séjour 1Verger de gloire, que vous êtes beau à voir ! Je vous ai perdu par mon péché, en vérité,Et de vous recouvrer j'ai perdu tout espoir.J'ai été dedans, je n'ai pas su en jouir,J'ai cru conseil qui me l'a fait bientôt quitter ;Maintenant je m'en repens, et c'est justice ; Mais c'est trop tard, mes soupirs ne servent de rien.Où était donc mon bon sens, à quoi ai-je pensé,Lorsque pour Satan j'ai abandonné le roi de gloire ?Or j'en suis très affligé, mais cela me sert très peu ;Mon péché sera marqué dans l'Histoire. Alors Adam de la main montrera Eve placée à une petite distance sur une légère éminence, et remuant la tête avec une profonde indignation, il dira : ADAM. Oh ! Femme perverse, pleine de trahison,Comme tu m'as mis promptement en grande perdition !Comment m'as-tu fait perdre le bon sens, la raison !Or je m'en repens, mais n'en puis obtenir pardon.Misérable Eve, combien tu as été portée au mal, Pour ajouter foi si vite au conseil du serpent !Par ta faute je suis mort, j'ai perdu l'existence ;Ton péché sera écrit dans les livres.Vois-tu déjà les signes de grande confusion ?La terre partout se ressent de notre malédiction ; Nous avons semé du blé, et des chardons naissent ;Le commencement de notre punitionEst grande douleur ; mais mort terrible nous attend.Nous serons conduits en enter ; là, entends-le bien,Nous ne manquerons ni de peines, ni de tourments. Malheureuse Eve, que t'en semble ?Voilà ta conquête, le douaire que tu t'es procuré.Jamais tu ne sauras procurer du bien à l'homme ;Jamais tu ne suivras les sentiers de la droite raison.Tous ceux qui sortiront de notre race Sentiront la punition de ton forfait ;Ton crime est chose jugée aux yeux de tous,Quelle peine ne coûtera pas ta réhabilitation ! Alors Eve répondra à Adam : EVE. Adam, beau sire, vous m'avez beaucoup blâmée,Ma vilainie rappelé et reproché. Si j'ai mal fait, j'en supporte le châtiment :Je suis coupable, je serai jugée par Dieu.J'ai mal agi envers Dieu et envers toi,Mon méfait pendant très longtemps sera rappelé,Ma faute est grande, mon péché me désole, Je suis misérable, je suis privée de tout bien ;Je n'ai pas de bonnes raisons à faire valoir devant Dieu.Tout contribue à me faire paraître plus coupable.Pardonnez-moi, car l'expiation m'est impossible ;Si je pouvais, je ferais dans ce but des offrandes. Pécheresse, infortunée, malheureuse que je suis,Par mon forfait comme je suis coupable envers Dieu Mort, que ne me prends-tu ? Ne souffre pas que je vive.Je suis en péril, je ne puis aborder au rivage.[Note : Guivre : (ou givre) Serpent en terme de blason. [L]]Le serpent félon, la guivre perverse, M'a fait manger la pomme redoutable.Je t'en donnai, je croyais par là bien agir,Et je t'entraînai dans une faute dont tu ne peux te tirer.Pourquoi n'ai-je été soumise au Créateur ?Pourquoi ai-je négligé, Seigneur, tes enseignements ? Tu as mal fait ; mais c'est moi qui suis la causeDe notre malheur, dont nous souffrirons longtemps.Mon méfait, ma grande mésaventure,Payera bien cher notre progéniture.Le péché a été doux, la peine sera dure, Mais, pourtant, en Dieu est mon espérance,Il finira bien par me pardonner ma faute.Dieu nous rendra sa grâce et sa présence,Il nous tirera d'Enfer par son pouvoir. Alors viendra Satan, suivi de trois ou quatre autres démons, portant des chaînes et des anneaux de fer qu'ils attacheront au cou d'Adam et d'Eve. Les uns les pousseront, d'autres les tireront vers l'enfer. D'autres, enfin, iront à leur rencontre jusqu'à la porte en s'entretenant bruyamment de la chute des deux pécheurs ; quelques-uns, les voyant venir, les montreront du doigt, puis les recevront et les introduiront dans l'Enfer. Alors une épaisse fumée s'élèvera et on entendra des cris de joie mêlés au bruit des chaudières et des casseroles. Peu après, les diables sortiront et se promèneront sur la place, à l'exception de quelques-uns qui resteront à l'intérieur. CAÏN et ABEL. Ensuite viendront Caïn et Abel. Caln sera vêtu d'habits rouges, tandis qu'Abel sera costumé de blanc. L'un et l'autre se mettront à labourer la terre préparée d'avance, puis ils prendront un moment de repos, après quoi Abel s'adressera à Cain de sa voix la plus douce et la plus caressante : ABEL. Frère, Caïn, nous sommes deux germains, Et tous les deux nous sommes fils du premier homme.C'est-à-dire d'Adam ; notre mère a nom Eve.Dans le service de Dieu agissons noblement,Soyons toujours soumis au Créateur,C'est en le servant que nous conquerrons son amour. Que nos parents ont follement perdu.Qu'entre nous deux soit la plus étroite amitiéEt servons Dieu de manière à lui être agréable ;Respectons ses droits, sans en rien retrancher.Si de bon coeur nous voulons lui obéir, Nos âmes n'auront pas peur de périr.Offrons-lui la dîme et tout ce qui lui est dû,Prémices, offrandes, dons, sacrifices ;Si au contraire nous refusons d'agir ainsi,Nous serons perdus en Enfer sans retour. Entre nous deux qu'il y ait grande affection ;Pourquoi y aurait-il entre nous deux dispute,Toute la terre ne nous est-elle pas abandonnée. Alors Caïn regardera son frère Abel avec un certain air moqueur, et dira : CAÏN. Beau frère Abel, bien savez sermonner,Votre raison faire valoir et exposer ; Quiconque voudrait se conformer à vos enseignements,En peu de jours n'aurait plus que peu de choses à donner.Payer dîme ne m'a jamais plu.Tu peux faire des libéralités avec ce que tu possèdes,Et moi je ferai ce que je voudrai de ce qui m'appartient ; Pour mon péché tu ne seras pas damné.De nous aimer nature nous enseigneEntre nous il ne peut y avoir aucune dissimulation.Celui de nous deux qui commencera la guerreN'aura pas le droit de se plaindre de ce qui arrivera. Abel de nouveau adresse la parole à son frère Caïn et lui répond d'une voix de plus en plus douce : ABEL. Caïn, beau frère, prête-moi attention. CAÏN. Volontiers, de quoi s'agit-il ? ABEL. Il s'agit de ton avantage. CAÏN. Rien ne peut m'être plus agréable. ABEL. Ne te révolte jamais contre Dieu, Ne te laisse pas aller à des sentiments d'orgueil,Je t'en supplie. CAÏN. Je le veux bien. ABEL. Crois mon conseil, allons offrirAu Seigneur Dieu ce qui pEut lui être agréable.S'il est satisfait de nous Jamais nous ne tomberons dans Le péché,Ni ne ressentirons de tristesse :Il est très utile de rechercher son amour.Allons offrir à son autelUn don qui puisse attirer ses regards ; Prions-le de nous accorder son amour,Et de veiller sur nous nuit et jour. Caïn fera semblant d'agréer le conseil d'Abel, et lui dira : CAÏN. Beau frère Abel, tu as parfaitement parlé,Et ton discours est très bien écrit.Je me conformerai à tout ce que tu as dit ; Allons faire des offrandes, tu as grandement raison.Que comptes-tu donner ? ABEL. Moi, un agneau.Tout le meilleur et le plus beau,Que je pourrai trouver à la maison.Celui-là j'offrirai, c'est mon dessein ; J'offrirai aussi à Dieu de l'encens.Tu connais maintenant toute ma pensée.Toi, que comptes-tu présenter ? CAÏN. Moi, du blé,Tel que Dieu me l'a donné. ABEL. Du meilleur, sans aucun doute ? CAÏN. Nenni, en vérité : Je garde celui-là pour faire du pain le soir. ABEL. Semblable offrande n'est pas acceptable. CAÏN. Que dis-tu ? Te moques-tu de moi. ABEL. Tu es riche et tu as beaucoup de bestiaux. CAÏN. C'est vrai. ABEL. Que ne comptes-tu le nombre des têtes,Et n'offres-tu le dixième de ce que tu possèdes ?Ton offrande s'adresse à Dieu lui-même ;Fais-le donc de bon coeur,Et tu eN recevras une bonne récompense. Est-ce ton intention ? CAÏN. Nenni,Beau frère Abel. Es-tu fou ?De dix il ne m'en restera que neuf,Ce conseil ne vaut pas un oeuf.Allons offrir chacun de notre côté Ce qui nous conviendra. ABEL. Soit. Alors ils iront vers deux grosses pierres préparées à cet effet et assez éloignées l'une de l'autre pour que Dieu, lorsqu'il se présentera, ait la pierre d'Abel à sa droite et celle de Cain à sa gauche. Abel offrira un agneau et de l'encens, dont il fera monter la fumée vers le ciel, et Caïn Une gerbe de blé. Alors Dieu se montrera, il bénira les présents d'Abel et rejettera ceux de Caïn. Aussitôt après, Caïn lancera un regard menaçant sur Abel, et, la cérémonie faite, chacun d'eux s'en ira de son côté. Caïn se rapprochera ensuite d'Abel, qu'il cherchera à entraîner dehors par ses paroles trompeuses, afin de le tuer. Il dira : CAÏN. Allons dehors. ABEL. Pourquoi faire ? CAÏN. Pour délasser nos corpsEt pour regarder notre travail,Si nos blés ont cru, s'ils sont en fleur Puis après nous reviendronsEt nous serons plus allègres. ABEL. J'irai avec toi où tu voudras. CAÏN. Viens donc et tu feras bien. ABEL. Tu es mon frère aîné, Je suivrai tes volontés. CAÏN. Marche devant, moi j'irai après,À petits pas, sans me presser. Alors ils iront tous les deux vers un lieu retiré et presque caché, où Caïn, comme un furieux, se précipitera sur Abel avec l'intention de le tuer ; il lui dira :Abel, tu es mort. ABEL. Moi, et pourquoi ? CAÏN. Je voudrais me venger de toi. ABEL. Quel méfait ai-je commis ? CAÏN. Un assez grand :Tu es un traître bien reconnu. ABEL. Certes, je ne le suis pas. CAÏN. Dis-tu que non ? ABEL. Jamais je n'ai eu l'intention de trahir qui que ce soit. CAÏN. Tu l'as fait. ABEL. Moi, et comment ? CAÏN. Tu vas le savoir. ABEL. Je ne comprends pas. CAÏN. Je vais te le faire comprendre bientôt. ABEL. Tu ne le pourras jamais prouver, en vérité ! CAÏN. La preuve n'est pas loin. ABEL. Dieu m'aidera. CAÏN. Je te tuerai. ABEL. Dieu le saura. Alors Caïn élèvera sa main menaçante contre lui, en disant : CAÏN. Voilà qui en fera l'épreuve. ABEL. En Dieu est toute ma confiance. CAÏN. Contre moi il te sera de peu de secours. ABEL. Il peut bien s'opposer à tes desseins. CAÏN. Il ne pourra pas te garantir de la mort. ABEL. Je me soumets entièrement à sa volonté. CAÏN. Veux-tu savoir pourquoi je vais te tuer ? ABEL. Oui, dis-le moi. CAÏN. Je vais te le dire :Tu vis trop dans l'intimité dé Dieu,À cause de toi il m'a tout refusé, À cause de toi il n'a pas accepté mon offrande ;Penses-tu donc que je ne me vengerai pas ?Je vais te récompenser comme tu le mérités,Et t'étendre mort sur le sol. ABEL. Si tu me tues ce sera à tort, Dieu vengera sur toi ma mort.Je n'ai pas fait de mal, Dieu le sait bien,Je n'ai point contribué à te brouiller avec lui ;Je t'ai, au contraire, dit comment tu devais agirPour te rendre digne de sa miséricorde ; Qu'il te fallait lui accorder ce qui lui était dû,Dîmes, prémices et offrandes ;De cette façon tu pourrais conserver son amour.Au lieu de cela, maintenant tu te mets en colère.Dieu ne ment pas, qui bien le sert Est comblé de tous dons et n'a rien à redouter. CAÏN. Tu as trop parlé, tu vas mourir. ABEL. Que dis-tu, frère ? Tu me menaces ?Et moi qui suis venu ici sur ta foi ! CAÏN. Jamais tu n'auras plus besoin d'avoir confiance en moi. Je vais te tuer, tiens-le pour certain. ABEL. Je prie Dieu qu'il ait pitié de moi. Alors Abel fléchit le genou vers l'Orient ; sous ces vêtements il aura une outre cachée que frappera Caïn, comme s'il voulait tuer Abel. Abel se laissera ensuite choir tout de son long, comme mort. Le choeur chantera : Ubi est Abel, frater tuus ? Après, Dieu sortant de l'Église s'approchera de Caïn, et le choeur ayant fini ses chants, il lui dira plein de colère : DIEU, CAÏN. DIEU. Caïn, où est ton frère Abel ?Es-tu déjà entré en révolte ?Tu as commencé à t'élever contre moi ; Montre-moi maintenant ton frère vivant. CAÏN. Je ne sais point, Seigneur, où il est allé,S'il est à la maison ou dans ses blés.Est-ce à moi d'ailleurs à aller à sa recherche ?Je n'ai jamais été chargé de veiller sur lui. DIEU. Qu'en as-tu fait ? Où l'as-tu mis ?Je sais bien que tu l'as tué :Le cri de son sang s'est élevé jusqu'à moi,Et son âme est venue me trouver dans le ciel.Tu as commis là un acte de grande félonie Qui te fera maudire tant que tu vivras ;La malédiction te poursuivra toujours,La récompense sera proportionnée à ton crime.Aussi je ne veux pas que jamais homme te tue,Mais que tu passes toute ta vie dans la douleur ; Quiconque tuera jamais CaïnSera puni quatorze fois plus sévèrement que lui.Tu as tué ton frère parce qu'il m'était agréableTa punition sera épouvantable. Alors Dieu ira vers l'église. Des diables viendront après et entraîneront, en le bousculant, Caïn en enfer ; tandis qu'ils conduiront Abel avec beaucoup de ménagements. Alors les prophètes seront tenus tout prêts dans un lieu secret, suivant l'ordre dans lequel ils doivent paraître. Le choeur récitera : Vos inqum, etc. ; puis chaque prophète, préalablement appelé par son nom, s'avancera avec majesté et débitera ses prophéties d'une voix claire et nette. Abraham paraîtra le premier, sous la figure d'un vieillard à barbe longue, vêtu d'amples habits. Il s'assiéra quelques instants sur un banc, puis commencera à haute voix sa prophétie :Postidebit semai tuum portas inimleorum tuorum, et benedicentur in semine tuo omnes gentes terra (Gen. XXII, 17 et 18). ABRAHAM. ABRAHAM. Je suis Abraham, tel est mon nom. Or écoutez bien ce que je vais dire.Quiconque met tout son espoir en Dieu,Garde sa foi et sa croyance,Quiconque a une inébranlable confiance en Dieu,Dieu sera avec lui, je le sais par expérience. Il me tenta, je me laissai aller à ses désirs,J'accomplis exactement sa volonté.Je voulus tuer pour lui mon fils ;Mais par lui j'en fus empêché.Je le voulais offrir en sacrifice, Dieu en a tiré occasion de me glorifier.Dieu me l'a promis, et cela arrivera sûrement,De moi sortira un jour un rejetonQui vaincra tous ses ennemis :Aussi sera-t-il fort et puissant. Il tiendra dans ses mains leurs portes,Et leurs châteaux ne pourrontlui faire de résistance.Un homme sortira de ma raceQui changera la sentence portée contre nous.Par lui le monde sera sauvé ; Adam sera délivré de son supplice,Les gens de toutes nationsSeront bénis par son entremise. Cela dit, après un court instant de repos, des diables viendront et entraîneront Abraham en Enfer. Alors paraîtra Moïse, une verge dans la main droite et les tables de la loi dans la gauche. Après s'être assis, il dira sa prophétie : Prophetam de gente tua et de fratribus tuis sicut me, suscitabit tibi Dominus Deus tuus ; ipsum audies.(Deut.xvm, 15) MOÏSE ET LES PROPHÈTES. MOÏSE. Ce que je vous dis, Dieu me le fait voir :Parmi nos frères, parmi ceux qui suivront notre loi. Dieu voudra susciter un homme.Il sera prophète, il résumera toutes qualités en lui.Du ciel il connaîtra tous les secrets ;Vous devez ajouter foi à ses paroles plus qu'aux miennes. Le diable conduira ensuite Moïse en Enfer et ainsi fera-t-il pour tous les autres prophètes. Alors viendra Aaron en vêtements épiscopaux, une verge chargée de rieurs et de fruits à la main. Après s'être assis, il dira :Haec est virga gignens florem Qui salutis dat odorem ;Hujus virga dulcis fructusNostroe mortis terget luctus. AARON. Cette verge sans être plantéePeut donner des fleurs et porter des fruits. Telle verge sortira de ma lignéeQui à Satan fera dommage,Qui sans charnel enfantement,Revêtira la nature humaine.Celle-là sera le fruit de salut Qui tirera Adam de prison. Après Aaron s'avancera David, revêtu des insignes royaux et la tête ornée du diadème. Il parlera ainsi : Veritas de terra orta est ; et justitia de coelo prospexit. Et enim Dominus dabit benignitatem : et terra nostra dabit fructum (Psal. LXXXIV, 12 et 13). DAVID. De terre sortira la véritéEt la justice du ciel.Dieu donnera sa bénédiction,Et notre terre son blé ; De son froment sera formé le painQui sauvera les fils d'Eve.Celui-là sera le maître de toute la terre,Celui-là fera la paix et anéantira la guerre. Ensuite s'avancera Salomon, revêtu des mêmes ornements que David, mais d'apparence plus jeune ; après s'être assis, il dira : Quoniam cum essetis ministri regni iilius, non recte judicastis, nec custodistis legem justitiaa, neque secundum votuntatem Dei ambutastis, horrende et cito apparebit vobis : quoniam judicium durissimum his, qui praesunt, fiet. Exiguo enim conceditur misericordia (Sap. VI, 5,6, 7). SALOMON. Juifs, à vous Dieu a donné sa loi, Mais vous ne lui êtes pas demeurés fidèles ;De son royaume il vous a fait maîtres,Parce que vous lui sembliez des esprits raisonnablesMais vous n'avez pas jugé suivant la justice,Vous vous êtes élevés contre Dieu dans vos arrêts, Vous n'avez pas fait sa volonté,Grande a été votre iniquité.Ce que vous avez fait sera dévoilé entièrement,Car la vengeance sera très dure.Pour ceux qui furent élevés le plus haut, Ils feront tous un mauvais saut.Des petits Dieu aura pitié,Il les remplira de joie.Il vérifiera la prophétie,Quand le Fils de Dieu mourra pour nous. Ceux qui sont les maîtres de la loiLe tueront par mauvaise foi.Contre toute justice, contre la raison,Ils le mettront en croix comme un larron.Pour cela ils perdront la domination, Qu'il leur avait donnée de son vivant.D'une grande hauteur ils seront précipités en bas,Ils se pourront tenir pour bien abattus ;Du pauvre Adam il aura pitié,Il le délivrera du péché. Après cela viendra Balaam, vieillard couvert d'amples habits, qui s'avancera au milieu de la scène sur son ânesse et prophétisera sans mettre pied à terre : Orietur Stella ex Jacob, et consurget virga de Israël : et percutiet duces Moab ; vastabitque omnes filios Seth. (Num. xxiv. 17) BALAAM. De Jacob sortira une étoileQue rougiront les feux du ciel ;Et vous, chefs du peuple d'Israël,Vous vous élèverez contre MoabEt abaisserez son orgueil. Car d'Israël sortira le Christ,Qui sera une étoile brillante.Tout sera par lui éclairé,Il guidera bien ceux qui lui sont fidèles,Mais il confondra tous ses ennemis. Ensuite viendra Daniel, jeune d'âge, mais vêtu comme un vieillard ; après qu'il se sera assis, il dira sa prophétie, en étendant la main vers ceux à qui il s'adresse : Cum veneritSanctus sanctorum, cessabit unctio vestra. DANIEL. Ce que je pense je le dirai, à vous, Juifs,Qui envers Dieu vous êtes montrés trop infidèles :Des saints quand viendra de beaucoup le plus grand,Qui vous fera éprouver de grandes calamités,Vous cesserez d'être un peuple privilégié, Ce dont vous ne pourrez demander compte.Et par le saint dont je parle j'entends le Christ,Qui arrachera le monde aux ténèbres de la mort.Il viendra sur la terre pour son peuple,Mais votre nation lui fera une cruelle guerre ; Elle lui fera subir le dernier supplice.Et pour cela elle sera déchue de sa royauté.Elle n'aura plus ni évêque ni roiEt avec elle entraînera la perte de la loi. Après Daniel viendra Habacuc, vieillard vénérable qui commencera sa prophétie en levant les mains vers l'église, avec des témoignages d'admiration et de respect. Il dira : Dominé, audivi auditionem tuam, et timui ; Domine opus tuum consideravi et expavi. In midio duorum animalium cognosceris. (Habacuc, III, 2) HABACUC. Je viens d'entendre la parole de Dieu, Ma tète en est toute troublée.J'ai prêté tant d'attention à ce qu'il disait,Que de peur le coeur me fend.Entre deux bêtes il sera connu,Par tout le monde il sera craint. Celui dont j'ai entendu dire tant de merveilles,Sera indiqué par une étoile ;Les bergers le trouveront dans une crècheQui sera formée de pierres sèches,Où les bêtes mangeront du foin. Mais une clarté divine l'indiquera avec certitude.L'étoile y conduira les rois :Qui apporteront tous trois des offrandes. Alors viendra Jérêmie portant un rouleau de papier à la main, il dira : Audite verbum Domini, omnis Juda, qui ingredimini per portai has, ut adoretis Dominum (Jérém., VII, 2). Et de la main il montrera les portes de l'église : Max dicit Dominus exercituum, Deus Israël : Bonas facile vias vestra : et studia vestra : et habitabo vobiscum in loco isto (Jérém., VII, 3) JÉREMIE. Écoutez de Dieu la sainte parole,Vous tous qui êtes ses disciples. Écoutez le plus illustre des enfants de Juda,Vous qui êtes de la même famille que lui ;Par cette porte vous qui voulez entrerPour votre Seigneur adorer.Le Seigneur des armées vous en avertit, Lui le Dieu d'Israël, qui règne au plus haut des cieux,Améliorez vos voies,Qu'elles soient droites comme les rayons du soleil ;Que vos actions soient irréprochablesAfin que vous ne subissiez aucun dommage ; Que tous vos désirs aient le bien pour objet,Et que ta félonie n'entre jamais dans nos coeurs.Si vous agissez ainsi. Dieu viendra au milieu de vous.Avec vous il habitera.Le fils de Dieu tout plein de gloire, Sur la terre descendra vers vous ;Au milieu de vous il sera comme un simple mortel.Lui le maître du ciel.Il tirera Adam de sa prison,Il donnera son corps pour rançon. Après cela viendra Isaïe un livre à la main, revêtu d'un grand manteau. Il dira sa prophétie : Et egrédictur virga de radice Jesse, et flos de radice ejus ascendet et requiescet supereum spiritus Domini (Isaïe, XI, 1 et 2). ISAÏE. Je vous dirai, maintenant, de merveilleuses paroles :La tige de Jessé se développera,Un rejeton en sortira qui donnera naissance à une fleur.Qui sera digne de grand honneur.Le Saint-Esprit la couvrirai Sur cette fleur il se reposera. Alors un Juif, sortant de la synagogue, prendra à partie Isaïe et dira : LE JUIF. Réponds-moi maintenant, maître Isaïe.Est-ce fable ou prophétie,Tout ce que tu viens de nous dire ?L'as-tu trouvé quelque part ? Ou est-ce écrit ? Tu viens de dormir et tu as rêvé sans doute ;Est-ce chose certaine ou un effet de ton imagination ? ISAÏE. Ce n'est point une fable, mais la pure vérité. LE JUIF. Fais-le-nous donc toucher du doigt. ISAÏE. Ce que j'ai dit est une prophétie. LE JUIF. Est elle écrite dans un livre ? ISAÏE. Oui, dans le livre de vie.Je n'ai rien imaginé, j'ai tout vu. LE JUIF. Toi, comment ? ISAÏE. Par la puissance de Dieu. LE JUIF. Tu me sembles un vieux radoteur,Et ta raison est toute troublée, Tu me sembles un vieux ramolliQui découvre l'avenir dans un miroir ;Regarde-moi donc dans la main Il lui montrera alors sa main.Pour voir si j'ai le corps malade ou sain. ISAÏE. Tu as le mal de félonie, Dont jamais tu ne guériras en ta vie. LE JUIF. Suis-je donc malade ? ISAÏE. Oui d'erreur. LE JUIF. Quand en guérirai-je ? ISAÏE. Jamais, jamais. LE JUIF. [Note : Devinaille : Art ou profession de devin. [L]]Fais-nous donc part maintenant de ta devinaille. ISAÏE. Tout ce que je dis arrivera. LE JUIF. Redis-nous donc ta vision :Est-ce d'une verge ou d'un bâton que tu veux parler,Et de sa fleur que pourra-t-il sortir ?Nous te tiendrons tous pour notre maître,Si une semblable génération s'accomplit. Et je croirai ensuite ce que tu me diras. ISAÏE. Écoutez donc la grande merveille,Qui surpasse tout ce qui a jamais frappé nos oreilles ;Jamais on n'a qui rien de pareil,Depuis que le monde existe. Ecce virgo concipiet, et pariet filium, et vocahitur nomen ejus EMMANUEL (Isaïe, VII, 14).Le temps est proche, il est tout près,Il ne tardera pais à venir le voilà qui arrive.Qu'une vierge concevraEt vierge un fils enfantera.Il aura nom Emmanuel, Sa venue sera annoncée par Saint-Gabriel.La pucelle sera la Vierge Marie ;Elle portera en elle le fruit de vie,Jésus, notre Sauveur,Qui tirera Adam du séjour de douleur. Et le réintégrera en Paradis :Ce que je vous dis, je l'ai appris de Dieu,Et tout cela sera accompli en vérité,Vous pouvez le croire en toute confiance. Alors viendra Nabuchodonosor vêtu comme un roi. Nonne fret viras misimus in médium ignis compeditos ? Qui respondentès régi, dixerunt : Vero rex. Respondit et ait : Ecce ego video quatuor viros sotutos, et ambulantes in medio ignis, et nihil corruptionis in eis est, et species quarti similis filio Dei (Daniel, III, 91 et 91). NABUCHODONOSOR. Écoutez le récit du merveilleux spectacle, Qui surpasse tout ce qu'homme a jamais entendu. Dont me rendirent témoin les trois enfants Que je fis jeter dans une fournaise ardente. Le feu était vif et d'une grande intensité, La flamme claire et crépitante ; Et cependant les trois enfants, tout joyeux Au milieu des flammes dévorantes, Chantaient d'une voix claire et pure, Qui les faisait ressembler à des anges venus du ciel. Comme je les regardais, j'en vis un quatrième Qui leur prodiguait toutes sortes de consolations. Sa figure était si resp[l]endissante, Qu'il semblait le fils de Dieu tout-puissant. Écoutez, Seigneur, également, Ce dont Notre-Seigneur nous reprend : De ce que de toutes créatures, Chacune, selon sa nature, Reconnaît mieux Notre-Seigneur Que ne fait l'homme, c'est grande douleur ; L'homme, en effet, fait semblant de le servir, Ce dont Notre-Seigneur se plaint Lui qui nous aime si tendrement. De tout ce qui est sous le firmament Il nous a donné la seigneurie ; Mais chacun de nous lui fait la guerre. Bêtes muettes, chats, ours, lions, Oiseaux, serpents et poissons de mer, Accomplissent leurs devoirs sans tristesse Et rendent tous grâce à leur créateur. Le ciel et la terre, le soleil et la lune, Toutes les étoiles sans aucune exception, Font tout ce qu'ils doivent faire. Mais l'homme plus clairvoyant que fait-il ? La perversion a atteint chez lui un tel degré Que les douleurs d'un Dieu ne le touchent plus. Plus volontiers il entendrait chanter Comment Rolland alla jouter Ainsi qu'Olivier son compagnon, Qu'il ne ferait la passion Que souffrit le Christ infortuné Pour le péché que commit Adam. Pourquoi sommes-nous orgueilleux ? Hélas ! Malheureux, il nous faudra mourir. Qui pour nous fera de bonnes oeuvres, Quand notre âme s'échappera de notre corps ? Nous devrions mourir auparavant Que le Seigneur Dieu ne soit courroucé contre nous. Tous nous ne commettons que des crimes Dont nous serons grandement punis au jugement. Si je ne craignais de vous ennuyer Ou de vous arracher à quelque utile occupation, Des quinze signes qui annonceront le jugement dernier, Avant de vous dire un adieu définitif, je tracerais lentement le tableau devant vous. Seigneurs, vous serait-il agréable D'entendre Le récit de la fin du monde ? Car toutes choses finiront. Il n'y a pas sous le ciel homme si félon Pourvu qu'il élève un peu sa pensée vers Dieu, Et qu'il écoute ce que je vais dire Qui ne se mette aujourd'hui promptement à pleurer ; Car quand ce siècle sera prêt de finir Notre-Seigneur l'indiquera par des signes, Ainsi que nous le racontent Jérémie, Zorobabel, Isaïe, Aaron et Moïse, Et tous les autres prophètes à leur suite : Daniel l'a prédit à Babylone, Et Ézéchiel de son côté l'affirme, Un peu avant le dernier jugement Tous les gens infidèles à la loi de Dieu seront punis ; Dieu manifestera sa puissance Sur la terre, du haut du ciel. Qui veut maintenant ouïr la merveille Que doivent redouter ceux qui ne seront pas préparés. Lève la tête et me regarde : Je lui dirai de quel côté Viendra la grande mésaventure Qui dépassera toute mesure. Or écoutez le récit de la journée Qui doit être tant redoutée. Du ciel tombera une pluie sanglante, Ne croyez pas que je vous mente ; Toute la terre en sera colorée, Sa surface disparaîtra comme sous une épaisse rosée Les enfants qui ne seront pas nés De dedans le ventre de leurs mères crieront À voix claire, très hautement : « Pitié, Seigneur Dieu tout-puissant ! Désormais nous ne cherchons plus à naître, Mieux aimerions-nous ne jamais être, Que de naître en un tel jour Qui plonge dans la douleur tout l'univers. » Les enfants à leur tour crieront aussi, Et diront tous : « Pitié, Jésus. » Nous venons de voir ce que sera le premier jour, Le second sera bien plus effrayant encore ; Car du ciel tomberont les étoiles : Et ce sera un spectacle merveilleux. Aucune ne sera si bien fixée Que dans ce jour elle ne tombe du ciel ; Et elles courront sur la terre, Aussi vite que la foudre quand elle éclate. Dessus les monts elles iront courant, Comme de grandes larmes qui s'épandent au loin, Et néanmoins ne font pas de bruit ; Jusqu'aux abîmes elles descendront ; Elles auront perdu leur grande clarté, Qui les fait luire dans les nuits d'été ; Elles seront noires comme le charbon. Hélas ! Dieu Père ! que ferons-nous alors, Nous qui sommes tout accablés Sous le poids des plus affreux péchés. Le troisième signe tiendra du prodige, Et enfantera la douleur et les larmes ; Car le soleil que vous voyez, Qui brille avec tant d'éclat Et illumine tout l'univers, Qui chaque jour frappe vos yeux Et tire le monde de l'obscurité, Dieu nous purifie de nos péchés ! Sera plus noir que nul cheveu, Ici je ne vous en fais pas accroire. Car le soleil en plein midi Le peuple verra si noirci, Qu'ils n'y verront goutte Ceux qui dans ce jour seront. Dieu ! Que feront alors ceux Qui des milliers de péchés dégoûtants ont commis. Et par là se sont attirés le courroux de Dieu ? En ce jour ils seront irrités. En vain ils crieront merci, Eux qui ont tant commis de péchés. Il conviendrait qu'il fasse pénitence, Celui qui voudra plaire à Dieu, Qu'il donne ses biens aux pauvres, Et chaque jour qu'il prie Jésus-Christ Afin qu'à sa mort il aille en Paradis : Comme il est bon de prier toujours ! Le quatrième signe sera très redoutable Et un des plus épouvantables ; Car la lune, qui est si belle, Au commencement du mois, quand elle est nouvelle, Sera changée en sang vermeil Et en couleur semblable à de la fange. Elle descendra tout près de la terre Mais y demeurera peu de temps ; Elle viendra en courant droit à la mer, Dans le sein de laquelle elle voudra entrer par force. Afin d'éviter le jour de colère Choisi par Dieu pour nous juger. La même crainte s'emparera de tous les êtres, Car ce jour sera celui du jugement. Hélas ! Quel malheureux sort attend Ceux qui n'obtiendront pas de Dieu miséricorde. Qui sont demeurés pécheurs Tous les jours de leur existence ! Le cinquième sera le plus horrible, De tous le plus capable de faire naître l'épouvante ; Car toutes les bêtes muettes Vers le ciel lèveront la tête. À Dieu elles voudront demander grâce, Mais elles ne pourront pas parler ; Elles iront droit vers de grands fossés, Au fond desquels elles se précipiteront par peur. L'une d'elles poussera un gémissement plus fort, Que dix-sept à la fois ne le feraient maintenant ; Et toutes avec angoisse attendront L'arrivée du terrible juge. Alors il n'y aura plus de gaieté, Tout l'univers sera plongé dans la tristesse. Le sixième jour je ne tairai pas, Que dans l'univers entier les hauteurs s'abaisseront, Tandis qu'au contraire les vallées s'élèveront Et se mettront de niveau avec les montagnes. Alors, dans le temps que je vous dis, Je vous en fais, Seigneur, la confidence, La guerre se déchaînera sur le monde ; Et un tel bouleversement se fera à sa suite, Qu'il n'y a sous le ciel si haute tour Qui ne soit renversée en ce jour, Et tous les arbres seront abattus, Ainsi que les palais bâtis de marbre. Le septième jour sera terrible. Plus qu'aucun de ceux qui l'ont précédé. Les arbres qui seront tombés Se redresseront en sens inverse ; En haut ils tourneront leurs racines, Et contre terre seront leurs cimes ; Puis ils retomberont avec si grand fracas, Que toute là terre en frémira. Ils ne conserveront aucune de leurs feuilles Et leur tronc se divisera par le milieu. Que deviendront alors vos maisons, Vos belles habitions ? Toutes seront nécessairement renversées, Et il ne restera plus au monde entier qu'à disparaître ; Pour les humains ils périront Dans les plus épouvantables tourments. Le huitième jour sera très redoutable, Plus que tous les autres plein d'angoisses. De son canal la mer sortira ; Elle voudra fuir, mais ne pourra. Au hasard elle se précipitera avec tant de furie, Qu'elle noiera tout sans exception, Si nous n'avons pas ce qui nous est recommandé, C'est Moïse qui l'a écrit. Jusqu'au ciel s'élèvera la mer, S'efforçant d'y pénétrer par force ; Les poissons qui sont dans son sein, Dont nous faisons souvent grand éloge, Dedans la terre feront leur trou, Et croiront se dérober aux regards de Dieu. Alors la mer reviendra en arrière, Comme toute chose dont ta fureur est grande, Elle rentrera dans ses limites, Toutes les eaux se resserreront dans leurs rives. Le neuvième jour sera très varié, Tous les signes s'y manifesteront à la fois. Car tous les fleuves parleront, Et voix d'homme en parlant auront. J'en prends pour garant Saint-Augustin, Qui à donné l'explication de ces signes. Ils diront tous au Créateur : « Seigneur, grâce, au nom de ta bonté. Toi qui as l'éternité en partage Et te montre toujours envers nous secourable, Qui es Dieu et sera toujours ; Seigneur, aie pitié de nous. Nous n'existons que par un effet de ta miséricorde. Et nous sommes en retour bien peu reconnaissants. » Le dixième sera si terrible Qu'il n'est nul saint, tant bien soit-il Au ciel, auprès de son Créateur, Qui ne soit épouvanté par ce signe ; Ainsi nous l'affirment Saint-Grégoire, Et le noble clerc Saint-Jérôme. Alors le chérubin sera jeté à terre, Et le séraphin tremblera, Ainsi que toutes les puissances du ciel. En ce jour Saint-Pierre sera muet, Un seul mot ne sortira de sa bouche, Tant il sera frappé d'épouvante ; Car il verra le ciel se partager, Et on pourra entendre la terre Se lamenter très douloureusement. Elle criera : « Seigneur Dieu, je me fends. » Alors ceux qui sont dans l'Enfer verront clair. Et ils seront tous épouvantés. Tous en sortiront, excepté le diable ; Saint-Paul le dit, ce n'est pas une fable. Or, écoutez ce qu'ils diront À cause de la peur qu'ils auront : « Seigneur père, qui nous donna Le ciel pour demeure et puis nous le ravit, À cause de notre folie ; Dans son accablement vers toi crie merci Cette plaintive créature Qui supporte les tourments du feu ; Elle est très infortunée, et elle souffre de plus en plus ; Elle ne peut obtenir miséricorde de toi Rends-nous notre premier séjour ; Je ne sais quelle force nous en a chassés. » Le onzième jour sera très mouvementé. Les vents viendront de toutes parts Et souffleront si fortement L'un contré l'autre furieusement, Qu'ils bouleverseront la surface de la terre, Qui sera ébranlée sur sa base ; Ils rejetteront dehors les morts nouvellement enterrés, Puis ils emporteront leurs corps dans les airs Et les feront s'entrechoquer. Alors descendra du ciel la ceinture Que nous appelons arc en ciel, Elle étalera ses fauves couleurs Et s'engagera entre les vents Qu'elle entraînera au fond de l'Enfer ; C'est là aussi qu'elle entassera les démons Et leur fera souffrir les tourments Du chaud, du froid, de la douleur, Des grincements de dents et des pleurs. Puis leur dira : « Ici vous demeurez, Sur la terre jamais vous ne reviendrez plus ; Le montent approche où vous aurez Abondance de liens dans ce séjour. » Alors ils commenceront tous à rire : Dieu le Père ! Toi qui es le maître de toutes choses, Protège nous contre cette joie, Car ils seront bien à plaindre Ceux qui participeront à cette gaieté Dont le diable a le privilège. Le douzième sera tout différent. Nulle personne au monde n'est si hardie, En présence de toute la vérité, Qui ne doive avoir le coeur troublé, Et n'amende aussitôt sa vie En servant Dieu, le fils de Marie. Le ciel sera déjà fermé Et tous les hommes se demanderont Les uns aux autres maintes fois conseil. Chacun dira avec étonnement : « Comment pourrons nous demeurer ici, Quant toute chose finira. » Et tous crieront merci au Roi Qui est le maître de toutes choses ; Quand les anges auront peur, Les pécheurs, hélas ! Que feront-ils ? Le treizième sera par trop effrayant ; Car ceux qui ont eu le don de prophétie, Tels que Japhet, le fils de Tharé, Et Abraham, le fils de Nachor, Ne pourraient dire la moitié De la grande et terrible colère, Que notre Seigneur montrera, Quand ce signe adviendra ; Car toutes les pierres qui sont Et dessus la terre par tout l'univers, Et dessous entièrement, Et jusqu'au fond des abîmes, Commenceront une bataille (Ne croyez pas que je vous trompe} Et s'entrechoqueront très violemment En imitant le bruit de la foudre qui tombé. Elles se frapperont à grande force ; Tout prendra un air de tristesse Qui durera tout un jour ; Tout prendra un air de grande douleur. Le quatorzième sera très dur à supporter, Il couvrira le monde entier De neige, de grêle et d'orage, Et d'épouvantables tempêtes. Alors viendront la foudre et les éclairs Qui jetteront de la perturbation dans l'atmosphère. Les nuages, dont la course est si rapide, Se grouperont comme une armée rangée en bataille, Puis droit à la mer iront fuyant, Et donneront naissance à une affreuse tempête. Ils sembleront fuir le jour du jugement. Plus vite iront que vent de bise, Droit à la mer iront fuyant, Arbres et terre confondant. Alors les vallées seront mises à nu, Et ouvertes à toute créature. Je vous dirai le quinzième signé, Car j'entrevois fort bien le bouleversement Que le Seigneur du ciel doit faire naître Quand ce signe se manifestera. Le nom qu'il aura nous vous dirons : Ce sera Consommation. La terre et le ciel seront consommés par les flammes, Il n'en restera absolument rien. La mer endiguée par les continents, Toutes les eaux et tous les flots, Seront réduits entièrement à néant. Comme c'était au commencement. Alors on entendra des voix, Semblables à des symphonies, Qui diront à vous, pécheurs : « Fuyez tous, voici le jour, Tout plein de grandes mésaventures. » Dieu n'eût jamais fait cette créature, S'il eût pu supposer ce qui est arrivé, Que jamais il ne pût jouir de quelque tranquillité. Alors sonneront les trompettes, Qui annonceront l'approche de nos maux, Et feront sortir les morts de leurs tombeaux, Le sort de chacun sera fixé par écrit ; Notre-Seigneur alors refera Le ciel et la terre qu'il aura anéantis ; Puis il prononcera son jugement, Sachez-le bien, avec beaucoup de dureté. S'il nous est donné de parvenir jusque-là, Puissions-nous être suivant son désir. ==================================================