******************************************************** DC.Title = LE TABLEAU PARLANT, COMÉDIE-PARADE. DC.Author = ANSEAUME, Louis DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie-parade DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 29/03/2023 à 06:22:32. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ANSEAUME_TABLEAUPARLANT.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9761831s DC.Source.cote = BnF LLA 8-YTH-16995 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE TABLEAU PARLANT COMÉDIE-PARADE EN UN ACTE ET EN VERS mêlée d'ariettes La musique est de M. GRÉTRY Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi, le Mercredi 20 septembre 1769. M. DCC XXXVII. Par M. ANSEAUME. À PARIS, Chez DIDOT, l'aîné, Imprimeur et Libraire Rue Pavée. Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi, le Mercredi 20 septembre 1769. ACTEURS CASSANDRE. ISABELLE. COLOMBINE, Suivante d'Isabelle. LÉANDRE, Neveu de Cassandre, amoureux d'Isabelle. PIERROT, Valet de Léandre. La Scène est chez Monsieur Cassandre. LE TABLEAU PARLANT Le Tableau qui représente le portrait de Monsieur Cassandre est posé sur un chevalet dans le fond du Théâtre. SCÈNE PREMIÈRE. ISABELLE, seule. ARIETTE.Je suis jeune, je suis fille ;On me trouve allez gentille ; Je possède quelque bien,On me courtise, on me vante.Je devrais être contente : Mais, hélas ! Il n'en est rien.En secret mon coeur soupire :J'entends bien ce qu'il veut dire ; Mais je n'en fais pas semblant.La maudite bienséance M'impose un cruel silence.Quelle gêne ; quel tourment !Je suis jeune, etc.Sans contredit je suis dans l'âgeOù l'on porte aisément le joug du mariage ; J'en ai tout à la fois et désir et besoin.Mais depuis que Monsieur Léandre,Le seul homme pour qui j'ai pu devenir rendre Est parti, pour aller je ne sais où... bien loin ; Un funeste trépas me ravit père et mère. Le vieux Cassandre mon Tuteur,Malgré ses cheveux gris, entreprend de me plaireEt prétend m'engager dans un hymen trompeur. Pour sortir d'embarras, je ne fais comment faire.Il faut pourtant prendre un parti. Mais Colombine, ma suivanteEst une fille intelligente.Il faut la consulter... Jugement, la voici. SCÈNE II. Isabelle, Colombine. COLOMBINE, entre en chantant. Fragment d'une Ariette de la Veuve indécise.Il nous faut au villageUn mari jeune et dodu. À cela près, femme sage ISABELLE. Prend le premier venu. De grâce, modérez ces transports d'allégresse ; Vous voyez que votre maîtresseÀ la tristesse dans la coeur ; Respectez du moins sa douleur. COLOMBINE. Est-ce ma faute si vous soupirez sans cesse ?Que ne faites-vous comme moi ? Elle chante.Je ris toujours, je chante, je badine... ISABELLE. Encore ! En vérité ; ma chère Colombine, Dans l'état ou je suis, j'attendais mieux de toi. COLOMBINE. Eh bien ! Qu'est-ce qui vous chagrine ? ISABELLE. Je t'ai confié mes secrets.Dans mon coeur comme moi tu sais ce qui se passe. Tu sais pour qui l'amour me fait sentir ses traits Conseille-moi, voyons. Que faut-il que je fasse ? COLOMBINE. Restez. Courez. Prenez. C'est tout ce que je vois. ISABELLE. Explique-toi. Restez... COLOMBINE. Restez fille. ISABELLE. Qui ? Moi !Je te le dis en confidence,Mais, mon enfant, cela n'est pas en ma puissance. COLOMBINE. Courez les champs. Allez par voie et par cheminChercher votre amoureux. Peut-être qu'à la fin. ISABELLE. Colombine, je suis une fille bien née ;Malgré mon inclination Je me souviens toujours de l'éducation Que mes chers parents m'ont donnée. COLOMBINE. Prenez Cassandre pour époux. ISABELLE. Il est bien vieux. COLOMBINE. Mais entre nous,Vous n'avez rien de mieux à faire ; Il est riche, il pourrait... ISABELLE. Ma chère, Il est bien vieux. COLOMBINE. Nous y voilà.On a tout dit quand on a dit cela.Faut-il donc pour si peu lui faire une querelle ?Allez, allez, Mademoiselle. Ariette.Il est certains barbons Qui sont encore très bons.Il n'ont pas le caquetD'un jeune freluquet ;Ils n'en ont pas les mines,Les grâces enfantines ; Ils ont je ne fais quoi,Qui vaut mieux, selon moi.Et ne vaut-il pas mieuxÊtre Dame et Maîtresse,Et commander sans cesse, Avec un mari vieux,Que de se voir l'esclaveD'un pimpant qui vous brave, Qui promène en tous lieuxSa tendresse et ses voeux, Tandis que sa moitiéPleure et sèche sur pied.Il est certains barbonsQui sont encore très bons. ISABELLE. Mais ce je ne fais quoi, du moins il faut l'avoir, Et... regarde Monsieur CassandreEt dis-moi si on peut s'attendre... COLOMBINE. Patience donc, il faut voir. ISABELLE. Tiens, voilà son portrait, considère examine,Peux-tu penser que cette mine... COLOMBINE. Oui, le voilà... ISABELLE. Prends garde ; il est encore tout frais.Demain, pour le finir, le Peintre vient exprès.Jusques-là, le bon homme a demandé par grâce,Que l'on n'y touche point, et qu'on le laisse en place. COLOMBINE. Il a raison, c'est un chef-d'oeuvre sur ma foi. ISABELLE. Tu badines toujours. Mais, parlons vrai, dis-moi ;Supposons, c'est toi qu'on marie ;L'original dont voilà la copie,Serait-il à tes yeux un objet bien tentant ? COLOMBINE. Oh bien ! Tentant, c'est autre chose. C'est un époux qui se propose.Il faudrait l'aimer, mais.... je n'exige pas tant.Sachez feindre, il sera content. ISABELLE. Je le sais, puisqu'enfin c'est un point nécessaire ;Depuis quelques jours moins sévère, J'écoute ses propos galants,Et j'affecte pour lui de plus doux sentiments. COLOMBINE. Pas encore assez bien. ISABELLE. C'est que l'on a beau faire ;Quand naturellement on a le coeur sincère,Et qu'il faut en venir à cette extrémité... COLOMBINE. Je vous plains bien en vérité. ISABELLE. Mais je ne suis point à mon aise.Déjà tout occupé du bonheur qu'il attend,Le bonhomme devient plus vif et plus ardent.Si tu savais combien cela me pèse, Combien je prends sur moi, dans de certains instants,Pour résister à mon impatience,Quand il vient me conter d'un air de complaisance,Tout le fade jargon des amours du vieux temps. ARIETTE.Tiens, ma Reine, je soupire ; Vois l'excès de mon amour.Si tu ne veux que j'expire,Sois donc sensible à ton tour.Quelquefois d'un pas incertain,Et d'un allure chancelante, Il m'aborde, il me prend la main,Que par pitié je lui présente ;Alors ce sont des transports,Des transports à faire rire :Il fait les plus grands efforts, Pour me prouver son martyre;Tiens, ma Reine, etc. COLOMBINE. Eh !... Que lui dites-vous ? ISABELLE. Je demeure interdite, Je veux répondre et je ne puis.Il croit qu'amour pour lui m'agite, Quand je succombe à mes ennuis. COLOMBINE. À tout cela, je n'ai qu'un mot à dire.C'est l'arrêt du destin, c'est à vous d'y souscrire.Quand on n'a pas le choix... Le voici. Taisons-nous. ISABELLE. Qui donc ?... COLOMBINE. Votre futur époux, Qui vient vous rendre son hommage. ISABELLE. Monsieur Cassandre ! Ô Ciel ! L'ennuyeux personnage ! COLOMBINE. Songez à suivre ma leçon. SCÈNE III. Isabelle, Colombine, Cassandre. CASSANDRE. Bonjour ma charmante Isabelle !Comment vous portez-vous ? COLOMBINE, à Isabelle. Fort bien. Répondez donc. CASSANDRE. Colombine... Vois qu'elle est belle !Ses beaux yeux dans mon coeur, font naître le plaisirEt rien qu'en la voyant, je me sens rajeunir... À Isabelle.Mais elle ne dit rien ! Qu'avez-vous donc ? À Colombine.Qu'a-t-elle ! COLOMBINE. Beaucoup d'amour pour vous, Monsieur, certainement. CASSANDRE. Quoi ! Tout de bon ! ISABELLE, à part. Comme elle ment ? CASSANDRE. Mais certainement tu me charmes. À Isabelle.Et toi confirme moi ce gracieux aveu,Si tu veux sans retour dissiper mes alarmes. ISABELLE. Colombine exagère un peu. COLOMBINE, à Cassandre. Pures façons.. la modestie...Vous savez ce que c'est, Monsieur, et quels combatsÉprouve dans son coeur une fille attendrie,Qui voudrait s'exprimer et qui ne l'ose pas. CASSANDRE, riant. Mais à la fin. Il vient un temps où l'honneur même L'oblige à confesser qu'elle aime,Et ce temps va bientôt venir.Tel que le loup pressé qu'une faim dévorante,L'hymen guette déjà la brebis innocente.Et sous sa dent cruelle est prêt à la saisir... Tu ris... tu ne crains pas ce loup-là... COLOMBINE. Je vous jureQu'il ne lui fera point de mal. CASSANDRE. Non je t'assure.Ainsi nous voilà donc d'accord.Tu consens de t'unir à moi par mariage ? ISABELLE. Tout comme vous voudrez. COLOMBINE, à Cassandre. Eh bien ! Avais-je tort ? À Isabelle.Appuyez encore davantage. CASSANDRE. Ariette.Cet aveu charmantRépand dans mon âmeUne vive flamme,Un feu ravissant. L'enfant de Cythère,Vois-tu bien, ma chère ;L'enfant de CythèreVeut être caressé :La moindre contrainte Lui porte une atteinte,Dont il est offensé :Mais il prend l'essorDès qu'il se voit maître.Je le sens au transport Qu'en moi tu fais naître.Cet aveu charmantRépand dans mon âme, etc. COLOMBINE, ironiquement. Faites-lui donc quelque caresse, À ce petit enfant. CASSANDRE, ricanant. Hom ! hom ! La bonne pièce ! Ah ! Ça, tout est dit là-dessus. COLOMBINE. C'est de bon coeur, je vous assure. CASSANDRE, à part. Plus j'en vois, plus je veux poursuivre l'aventureEt les projets que j'ai conçus. Haut.Je vais vous causer de la peine, Et j'en suis affligé tout le premier. COLOMBINE. Comment ! CASSANDRE. Il faut pour la ville prochaine,Que je parte dans le moment. ISABELLE. À l'heure même ? CASSANDRE. Dans l'instant.C'est pour une pressante affaire. Tous les notables du paysY sont mandés pour donner leur avis.Vous voyez bien... COLOMBINE. Oui, oui. CASSANDRE. Que j'y suis nécessaire,J'ai toujours différé ; mais enfin, l'on m'attend ;Et je ne puis faire autrement. COLOMBINE. À la veille d'un mariageVous allez vous mettre en voyage ! CASSANDRE. Dans trois jours au plus tard je serai de retour,Pour ne plus m'occuper que de mon seul amour.Dans nos adieux du moins une chose me flatte, C'est que votre tendresse éclate. COLOMBINE. Vous nous jouez un vilain tour. À Isabelle.Allons donc vous. Quelque douce parole.Vous êtes là comme une idole. ISABELLE. À Colombine.Laissez-moi faire. La circonstance...Qui me suffoque... À Cassandre.AssurémentLe tourment...Et puis les craintes COLOMBINE, bas à Isabelle. Bien, bien. CASSANDRE. Fille pleure, je crois.Chère petite calme-toi.Tu m'attendris trop par tes plaintes. TRIO. CASSANDRE. Il faut partir, ô peine extrême ! COLOMBINE. S'éloigne-t-on de ce qu'on aime ? ISABELLE. Hélas ! Que faire seule ici ! CASSANDRE. Console-toi, ma toute belle. COLOMBINE. Que je la plains, pauvre Isabelle ! ISABELLE. Pouvez-vous me quitter ainsi ? CASSANDRE. Ma toute belle ! COLOMBINE. Pauvre Isabelle !Pouvez-vous l'affliger ainsi ! ISABELLE. Pouvez-vous me quitter ainsi ? CASSANDRE. Quel bonheur de te plaire ainsi !Rassure-toi, chère Isabelle : De ton amant le coeur fidèleAuprès de toi toujours sera. ISABELLE. En proie à ma douleur mortelle,Pendant votre absence cruelle,Le noir chagrin m'accablera. COLOMBINE. La friponne ! L'entend-elle ?Pour le peu qu'elle s'en mêle.Des maris elle trompera,Tout autant qu'elle en trouvera. CASSANDRE. Il faut partir ! etc. COLOMBINE. Et cette affaire-là ne saurait se remettre ? ISABELLE, bas à Colombine. Tais-toi donc, laisse-le partir. CASSANDRE. Eh bien ! Pour vous faire plaisirJe vais envoyer une lettreComme si ma santé.... COLOMBINE. Non, non. ISABELLE. Non ; j'appréhenderais que cette complaisanceNe fit tort à votre prudence,Et l'amour doit se taire où parle la raison. CASSANDRE. Croyez-vous ? Il faut donc se foire violence. ISABELLE. Oui, partez. CASSANDRE. Si pourtant.. COLOMBINE, à part. Pars donc, maudit barbon. ISABELLE. Et revenez en diligence. CASSANDRE, à part. J'entrevois du mic-mac, mais voyons jusqu'au bout, À Isabelle.Dans votre appartement rentrez, ma chère amie ;Rentre avec elle aussi, Colombine et surtout,Tiens lui fidèle compagnie. ISABELLE. Allons.... adieu, Monsieur. CASSANDRE. Adieu, consolez-vous. ISABELLE. Prenez bien garde aux voleurs. COLOMBINE. Aux filous. ISABELLE. On dit que l'on en voit tant et plus sur la route. COLOMBINE. Vos pistolets sont-ils en bon état ? CASSANDRE. Sans doute.J'ai tout ce qu'il me faut. COLOMBINE. Adieu Monsieur. CASSANDRE. Adieu. Colombine et Isabelle rentrent dans leurs chambres. SCÈNE IV. CASSANDRE. J'en reviens toujours là. Tout ceci n'est qu'un jeu.Un changement si promet cache quelque mystère.Après tant de rigueur, de rebuts, de mépris,Si cette douleur est sincère,Oh ! Pour le coup je serais bien surpris. Mais à quoi bon cette maudite ruse ?Eh ! N'est-ce pas assez que cela les amuse ?Elles font jeunes toutes deux,Et d'un sexe... moi je suis vieux...Cela suffit. Il faut que je sois leur victime, Et m'épargner serait un crime. ARIETTE.Pour tromper un pauvre vieillard,Il n'est détour que l'on n'invente ;Il n'est effort que l'on ne tente.Enfants, neveux, valet, servante, Chacun brûle d'y prendre partOn le dorlote, on le mitonne...Tout cela n'est que trahison.Tantôt c'est une main friponneQu'on lui passe sous le menton... Le bon homme enchanté s'écrie,« Ah ! Quel bonheur ! ma chère amie...Encor... Encor... » Tu ne vois, pas pauvre butor,Que cette main qui te caresse, Qui de plaisir sait t'enivrer. Cachant le fer dont elle blesse?Te flatte pour te déchirer.Pour tromper un pauvre vieillard?Il n'est détours que l'on n'invente, Il n'est effort que l'on ne tente.Enfants, neveux, valet, servante,Chacun brûle d'y prendre part.Pour mol qui, grâce au Ciel, ai vécu plus d'un jour ;Je connais les ruses d'amour, Et malgré mon air imbécile.Peut-être qu'à tromper je serai difficile.Déjà par un voyage à plaisir inventéJe leur laisse à dessein liberté toute entière.Et dans ce cabinet secrètement posté, Je verrai de quelle manière...Qu'entends-je... des ris, des éclats !Ah ! Tant mieux, le chagrin ne les maigriras pas.Mais pourquoi ce nouveau délire ?... Il appelle.Colombine... SCÈNE V. Cassandre, Colombine. COLOMBINE. Monsieur... comment ! Encore ici ?Nous vous croyons déjà parti. CASSANDRE. Je le pense. Est-ce là ce qui vous faisait rire ! COLOMBINE. Non, vraiment... c'est... que nos deux serins.Qu'on avait mis ensemble en cage, Le mâle est échappé... Vous jugez quel chagrin...La femelle gémit, Isabelle en enrage,Et dans l'excès de sa douleur.Dit, en sanglotant, qu'un malheurNe vas jamais sans l'autre. CASSANDRE. Et toi ? COLOMBINE. Je la console. CASSANDRE. En riant ? COLOMBINE. Justement je ris comme une folle,Par contre-coup je la fais rire aussi. CASSANDRE. Écoute... à coeur ouvert expliquons-nous ici.Est-il bien certain qu'elle m'aime. COLOMBINE. Quoi ! Vous en doutez ! CASSANDRE. Qu'elle m'aime... De la façon que je voudrais ? COLOMBINE. Qu'elle est votre façon, dites-nous ça vous même,Qu'exigez-vous ? CASSANDRE. J'exigeraisQu'étant à m'épouser ainsi déterminée,L'amour fit les honneurs de ce doux hyménée, Et qu'elle ne m'épousât pasDans l'espoir d'être bientôt veuve. COLOMBINE. Quelle idée ! Et sur quelle preuve,Lui prêtez-vous des sentiments si bas ? CASSANDRE. Quand on voit une jeune fille Épouser un vieillard ; on croit toujours que c'estQuelque raison secrète, ou motif d'intérêt,[Note : Babiller : Parler beaucoup, facilement, et surtout pour le seul plaisir de parler. Dire du mal. [L]]Qui la guide, et cela fait que l'on en babille.Je ne veux point donner matière aux médisants.Dans ma femme je veux trouver les sentiments Qu'inspire une tendresse extrême.Je veux enfin, je veux être aimé pour moi-même ; Tout comme si je n'avais que vingt ans. COLOMBINE. C'est votre dernier mot ? CASSANDRE. Oui, voilà mon système.Est-ce ainsi qu'elle pense ? COLOMBINE. Non. CASSANDRE. Pourquoi ? COLOMBINE. C'est qu'il n'est pas possible.Ah ! ça, Monsieur Cassandre, ayez de la raison.Est-ce à vous d'être si sensible ?On veut bien vous aimer ; et qu'importe comment ? CASSANDRE. Vous prétendez apparemment Que j'ai tort d'aspirer à plaire,Moi que dans tous les temps pour modèle on cita,Moi qui fut autrefois le plus vaillant compère... COLOMBINE. Moi qui fus... moi qui fus.. et que nous fait cela ? ARIETTE.Vous étiez ce que vous n'êtes plus. Vous n'étiez pas ce que vous êtes :Et vous aviez pour faire de conquêtes,Et vous aviez ce que vous n'avez plus.Ils sont passés ces jours de fêtes,Ils sont passés, ils ne reviendront plus. Rendez-vous donc plus de justice, Et si l'amour vous est propice,Goûtez en paixSes doux bienfaits.N'en cherchez pas la quintessence, Contentez-vous de l'apparenceQui veut trop voirEt trop savoirTrouve souvent plus qu'il ne pense. CASSANDRE. Moi j'entends voir ce qui me fait plaisir, Rien de plus. COLOMBINE. C'est fort bien l'entendre ! CASSANDRE. Et il l'on cherche à me surprendreJe saurai bien m'en éclaircir.J'examinerai tout... COLOMBINE. Moi, je vous le conseille. CASSANDRE. Pour être sûr de mon fait. COLOMBINE. À merveille CASSANDRE. Vois-tu bien ces yeux-là ? COLOMBINE. Ce sont des yeux d'Argus. CASSANDRE. Ils ne dormiront pas. Compte bien là-dessus.Adieu. COLOMBINE. Vous partez donc ! CASSANDRE. Tout à fait. COLOMBINE. Bon voyage. Cassandre sort. SCÈNE VI. COLOMBINE, seule. À qui diable en a t'il avec son radotage !Il est des gens d'une drôle d'humeur ! Les moindres refus les irritent.On leur accorde plus cent fois qu'ils ne méritent,Ils ne sont pas contents. Il faut en leur faveurOublier que le temps laisse après lui des traces ;Sur un front tout ridé voir folâtrer les grâces, Et dans un corps usé trouver de la fraîcheurVous vous moquez ! Monsieur, cela n'est pas possible,La nature a sur nous une force invincible.Elle indique à nos coeurs tout ce qui nous convientPar un charme qui nous attire ; Et si sur votre compte elle ne nous dit rien,C'est qu'elle n'a rien à nous dire.Je lui parle, ma foi, comme s'il était là.Mais c'est qu'aussi... Mais c'est que le voilà......Le voilà peint à s'y méprendre. Elle regarde le Tableau.Bonjour.... Bonjour... Monsieur Cassandre.Vous voulez qu'on vous aime, oui, l'on vous aimeraEt si vous voulez même, on vous adorera. SCÈNE VII. Colombine, Pierrot. PIERROT, en dehors. Holà, hé, la maison... Picard... Lafleur, Lapierre. COLOMBINE, étonnée. [Note : Carillon : Sonnerie de cloches accordées à différents tons. Fig. et familièrement, tapage, crierie. [L]]Qui diantre fait ce carillon. PIERROT, courant dans la chambre. [Note : Chambrière : Femme attachée au service de la personne et des chambres. On dit maintenant femme de chambre. [L]]Pas un laquais ici, pas une chambrière...!Eh bien personne ne répond ! COLOMBINE. Eh ?... mais... je connais cette mine.Eh !... c'est Pierrot, c'est Pierrot que je vois.Parle donc. PIERROT. Hein ! COLOMBINE. Oui. PIERROT. C'est... Eh ! mais, c'est Colombine. C'est toi ? COLOMBINE. C'est toi ? PIERROT. C'est moi. COLOMBINE. C'est moi. PIERROT. Dans ce logis que viens-tu faire ? COLOMBINE. C'est notre demeure ordinaire. PIERROT. Monsieur Cassandre est-il ou mort ou délogé. COLOMBINE. Ni l'un ni l'autre. Il est encore en vie ; Amoureux comme un enragé ;Et dans trois jours il se marie. PIERROT. Il se marie ! ô ciel qu'ai-je entendu ?Serait-ce toi par hasard qu'il épouse ?Si je le savais, tiens, vois-tu ? Dans les transports de ma fureur jalouse.., COLOMBINE. Mais ce n'est pas de moi qu'il est amoureux. PIERROT. Non ! COLOMBINE. C'est de ma maître Isabelle. PIERROT. Isabelle est ici ? COLOMBINE. Sans doute. PIERROT. Qu'y fait-elle ? COLOMBINE. Elle est chez son tuteur, Monsieur Cassandre. PIERROT. Bon ! COLOMBINE. Elle a perdu son père et sa mère. PIERROT. Léandre, Quand il saura cela... Je vais bien le surprendre. COLOMBINE. Léandre est avec toi ? PIERROT. Nous arrivons tous deux ;Assez mal à propos, si je puis m'y connaître. COLOMBINE. Pourquoi ? PIERROT. Pourquoi ? Comment mordi ! Mon maître Va se voir enlever sa maîtresse à ses yeuxEt... je pourrais fort bien n'être pas plus chanceux !La mienne autant de séquestré peut-être. COLOMBINE. Tu m'aimes donc toujours ! PIERROT. Apparemment.Et toi ? COLOMBINE. Je ne sais pas. PIERROT. Comment. COLOMBINE. Mais, oui. Méritez-vous qu'on ait de la constance,Vous qui, depuis deux ans d'absenceN'avez pas seulement daigné de temps en temps Nous informer si vous étiez morts ou vivants. PIERROT. Ah ! Mon enfant, la fortune inhumaine Avait guidé mes pas au bout de l'univers.J'ai parcouru les terres et les mers :[Note : Cayenne : ville de Guyane en Amérique du Sud. La colonisation de la Guyane remonte au XVIIème siècle.]En un mot je viens de Cayenne. COLOMBINE. C'est donc bien loin ? PIERROT. Je t'en réponds. COLOMBINE. Qu'avez-vous trouvez-là, le Pérou ? PIERROT. Rien de bon ; Des sauvages fort malhonnêtes,Gens grossiers, très peu délicats,Qui, ma foi ne méritent pasQue pour les visiter, on brave les tempêtes. COLOMBINE. Des tempêtes, grands Dieux ! Mais c'est pour en mourir. En as-tu vu quelqu'une ? PIERROT. Oh ! Vraiment : une fièreQui nous a ballottés une journée entière,Je n'y saurais penser encor sans en frémir. COLOMBINE. Fais m'en donc le récit, tu me feras plaisir: PIERROT. Volontiers. Des dangers que l'on a pu courir, En voyage comme à la guerre,On aime assez à discourir.Écoute-donc... ce que tu vas ouïr. ARIETTE.Notre vaisseau, dans une paix profonde,Sur le vaste Océan, Voguait légèrement,Et les zéphirs en se jouantCaressaient tendrement la surface de l'onde.Tout-à-coup le ciel s'obscurcit,Le jour fait place à la nuit, Les vents entr'eux se font la guerre,On entend gronder le tonnerre ;Chacun de nous tremble et pâlit.Le Pilote interditDans sa boussole Cherche le pôle,Et n'y voit goutte en plein midi ;Jouet des flots,Le vaisseau danse,Et jusqu'aux cieux monte et s'élance. Les matelotsSans espéranceGardent tous un affreux silenceQu'interrompent les hurlements,Les jurements, Les sifflementsDes éléments.....Et le tracas....Et le fracas...À chaque instant, un gouffre d'eau, Une cascade menaçante,À nos yeux effrayés présenteTout à la fois la mort et le tombeau...Mais enfin après l'orage,On voit venir le beau temps, Et parmi tout l'équipageLes plaisirs vont renaissants.La joie et le bon vin.Du danger chassent l'image, La joie et le bon vin Dissipent notre chagrin... COLOMBINE, riant. Pierrot, mon cher ami tu viens de loin. PIERROT. N'importe ;Me voilà sain et sauf, assez léger d'argent.Mais plein d'amour, et prêt à finir le roman ;Pour le peu que ton coeur s'y porte. COLOMBINE. Hé !... hé !... La proposition...Nous verrons. Je ne dis pas de non. PIERROT. Et que ferons-nous de Léandre,Mon pauvre maître, à quoi doit-il s'attendre ?Sans espoir de retour sera-t-il supplanté ? COLOMBINE. Non. C'est contre son gré que la tendre IsabelleSe prête à la nécessité.Mais dans le fond du coeur elle est toujours fidèle. PIERROT. En faveur de ces deux amants,Unissons nos efforts pour renouer leur chaîne. COLOMBINE. Va, va, pour les rendre contents,Il n'est rien que je n'entreprenne.Le bonhomme est absent. PIERROT. Bon ! Tant mieux. COLOMBINE. Pour trois jours,Profitons de ce temps. PIERROT, prenant la main de Colombine. C'est bien dit, mes amours COLOMBINE, retirant sa main. Tais-toi donc. PIERROT, batifolant. Oui, mon coeur. COLOMBINE, le repoussant. Veux-tu bien être sage ! PIERROT. Sans doute, car enfin... Ah ! mais.... Le mariage.Si tu m'en crois, formons bien vite ce lien. COLOMBINE. J'y consens si tu m'aimes bien. PIERROT. Je pourrais bien sur toi former le même doute,Mais mon coeur se refuse à de pareils soucis, Et je crois qu'à l'amour que tu m'avais promisTu n'as jamais fait banqueroute. COLOMBINE. Non, Pierrot, et jamais... jamais aucune ardeurNe pourra seulement égratigner mon coeur. DUO. COLOMBINE. Je brûlerai d'une flamme éternelle. PIERROT. Jusqu'au tombeau je te serai fidèle. COLOMBINE. J'en atteste les Dieux. PIERROT. J'en jure par tes yeux. COLOMBINE. Non, jamais je ne changerai. PIERROT. Oui, toujours je te chérirai. Tu m'aimes donc ? COLOMBINE. Ah ! Je t'adore.Et toi Pierrot ? PIERROT. Et moi... je te dévore, Il lui baise la main. COLOMBINE. Doucement, tu me mords. PIERROT. Quels moments ! Quels transports ! COLOMBINE. Je brûlerai d'une ardeur éternelle, Et jamais je ne changerai. PIERROT. Jusqu'au tombeau je te serai fidèle,Et toujours je te chérirai. COLOMBINE. Si tu manquais à ta promesse,Si tu trompais de si beaux noeuds... PIERROT. si tu deviens jamais traîtresse,Si tu trompais mes tendres voeux... COLOMBINE. Au désespoir abandonnée... PIERROT. Dans l'horreur de ma destinée... COLOMBINE. Mon cher Pierrot, je te poignarderais. PIERROT. Mon cher amour, moi je t'étranglerais. COLOMBINE. Quel excès de tendresse ! PIERROT. Ô ma chère maîtresse ? COLOMBINE. De cette main je te poignarderais. PIERROT. De mes deux mains, moi je t'étranglerais.Mais ce n'est pas le tout. Mon maître Ne ressent point. COLOMBINE. Où peut-il être ? PIERROT. Il est allé Ce mettre en habit plus décentPour rendre ces devoirs au bon Monsieur Cassandre.À son oncle. COLOMBINE. Comment ! C'est l'oncle de Léandre.Notre tuteur ? PIERROT. Oui. COLOMBINE. Le trait est plaisant. Tu devrais bien l'aller chercher. PIERROT. Ma fine.Il sait bien le chemin. Pour moi je reste ici,Près de ma chère Colombine. COLOMBINE. Non ; cela sera mieux : vas-y.Vas lui porter cette nouvelle. De mon côté je vais prévenir Isabelle. PIERROT. J'entends quelqu'un... oui ; le voici. COLOMBINE. Et bien ! Je te laisse avec lui. Elle sort. SCÈNE VIII. Pierrot, Léandre. PIERROT, à part. On n'a pas toujours de la peine,On rencontre parfois quelque chose de bon. LÉANDRE. As-tu fait ma commission ? PIERROT, à part. Je ne m'attendais pas à cette bonne aubaine. LÉANDRE. [Note : Daron : Le maître de la maison. [L]]Pierrot, as-tu vu le Daron ?Sait-il que je reviens tout exprès de CayennePour le voir, l'embrasser et pour en hériter ! PIERROT, à part. Ah ! Quel plaisir ! LÉANDRE. Maraud, veux-tu bien m'écouter ! PIERROT, vivement. Ah ! Vous voilà, Monsieur, votre bonne fortuneVous amène en ces lieux ; vous n'y trouvez pointCe que vous y cherchez : mais sur un autre point.Un heureux hasard vous rejoint... Et nous avons ici chacun notre chacune. LÉANDRE. Que veut-tu dire impertinent ? PIERROT. Vous êtes plus heureux que rage.Vous avez un rival, mais le mal n'est pas grand.Je vous protège moi, vous aurez l'avantage. LÉANDRE. Si tu m'y fais mettre, insolent !... PIERROT. Une beauté charmante, belle,Qui vous aime toujours malgré l'éloignement... LÉANDRE. As-tu donc perdu la cervelle ?Tu sais quel est l'objet, je t'en ai fait l'aveu, Pour qui malgré le temps et l'absence cruelle,D'une flamme toujours nouvelleJe brûle encore à petit feu.Ne te souvient-il plus quand certaine négresse,Que le Diable avait fait amoureuse de moi, Prétendit me forcer à vivre sous sa loi,Combattu par l'honneur, la pitié, la tendresse,Pied-à-pied disputant ma foi,Je te dis... Ce n'est pas... Ce n'est pas Isabelle ? PIERROT. Mais c'est elle aujourd'hui, c'est elle. M'entendez-vous ?... C'est Isabelle,Qui vous aime toujours, qui vous attend ici,Ici dedans. LÉANDRE. Ah ! Mon ami !Que me dis-tu ? Par quel prodige ?Dois-je te croire ? PIERROT. Et oui, vous dis-je. Dans l'instant Colombine ici l'amènera. LÉANDRE. Où donc est elle ? PIERROT. La voilà. SCÈNE IX. Léandre, Pierrot, Isabelle, Colombine. ISABELLE, courant au devant de Léandre. Est-ce vous que je vois cher amant ? LÉANDRE. Chère amante ! ISABELLE. N'est-ce point un enchantement ? PIERROT. C'est lui-même, j'en suis garant. ISABELLE. Venez-vous dissiper l'ennui qui me tourmente ? LÉANDRE. J'avouerai qu'en ces lieux, je ne vous cherchez pas.Mais de vous y trouver mon plaisir est extrême.J'y venais voir mon oncle. ISABELLE. Hélas !Il est votre rival, il m'aime, Et, si je l'en eusse cruNotre hymen serait conclu. LÉANDRE. Vous pouviez m'oublier ! ISABELLE. Malgré moi, je vous jure.Colombine vous le dira.Son sentiment était qu'en cette conjoncture Je devais en passer par-là. LÉANDRE, à Colombine. Pourquoi lui conseiller une insigne parjure ? COLOMBINE. Dame ! Monsieur, vous n'étiez pas ici :À Madame il lui faut un mari.C'est un point décidé : son tuteur se présente : Le vieux bonhomme a la marche pesante,Il n'a pas comme vous, les grâces du maintien :Mais un Cassandre enfin vaut encore mieux qu'un rien. PIERROT. C'est quelquefois la même chose. COLOMBINE. Auriez-vous mieux aimé qu'elle restât fille ? LÉANDRE. Oui. ISABELLE, à Léandre. Je ne le pouvais pas décemment, moi ami.Le monde est trop méchant, pour un rien l'on nous glose. LÉANDRE. Je me rends. Je vois bien que tout est mieux,Et vous me trahissiez, sans offenser mes feux. ISABELLE. Non, non bannissez toute crainte. Léandre seul pouvait devenir mon vainqueur ;Et son image dans mon coeurÉtait trop vivement empreinte. ARIETTE.La nuit dans les bras du sommeil,Je rêvais de mon cher Léandre. Je croyais le voir et l'entendre,Je l'appelais à mon réveil,Et je disais d'un ton si tendre !Ah ! Léandre, mon cher Léandre,Veux-tu donc me faire mourir ! DUO. LÉANDRE. Votre amant souffrait même peineEt son coeur était à la gêne.Loin de vos charmes,Dans les alarmesQue j'ai passé des tristes jours ! ISABELLE. Mais l'amour, sensible nos larmes.Vient calmer nos tendres alarmes.D'un long martyre,Par un sourire,Ce Dieu charmant finit le cours. LÉANDRE. Chérissons l'heureuse journéeQui fait cesser notre tourment. ISABELLE. Peut-on être fortunéeQue je la suis en ce moment ? ENSEMBLE. Ah ! Nos coeurs sont faits l'un pour l'autre ! Par le mien je juge du vôtre.Même souffrance,Même espérance,Même désirs,Même plaisirs. COLOMBINE. Madame, il me vient une idée.Nos pauvres amoureux sont las.Faisons-les rafraîchir. ISABELLE. Fais ce que tu voudras ! PIERROT. La cuisine est-elle fondée ? COLOMBINE. Va va, ne t'embarrasse pas. Vient m'aider seulement. PIERROT. Ce trait de prévoyanceMérite de ma part ce doux remerciement. Il l'embrasse. COLOMBINE. Doux pour toi. PIERROT. D'accord ; mais je pense,Quand je me fais plaisir, que je t'en fais autant. ISABELLE, à Léandre. Mais vous m'avez cherché querelle Sur la fidélité que l'on doit en amourPourrais-je savoir à mon tourSi vous avez toujours été fidèle ? LÉANDRE. Toujours. Toujours. Demandez à Pierrot. PIERROT. Monsieur Léandre ?... C'est... un héros de tendresse. Bas à Léandre.Parlerai-je de la négresse ? LÉANDRE, bas à Pierrot. Coquin, si tu dis un seul mot... À lsabelle.Je vous dirai bien plus. Une telle victoireN'ajoute pas beaucoup à votre gloire.Le sexe, en ces lointains climats, Est si gauche, si laid, si dépourvu d'appas ;Qu'un homme comme il faut, que l'honneur sollicite ?Dans le fonds n'a pas grand mérite[Note : Lacs : Piége, embarras dont on a de la peine à se tirer. [L]]À se garantir de ces lacs. ISABELLE. Point du tout ont les dit si jolies Les femmes de ce pays-là. LÉANDRE. Fi donc, ne croyez pas cela. Pour faire excuser leur folies,Des voyageurs, hâbleurs, menteurs,En font de beautés accomplies : Qui d'un regard charment les coeurs.Vains discours, récits infidèles.J'en ai vu beaucoup, et de près,Et n'ai pas sujets d'admirer leurs attraits.Elles n'ont ni vos gentillesses, Ni vos grâces enchanteresses,Ni ce goût délicat qui donne à la beautéPlus de piquant et de vivacité,Et dont je vois ici de si charmants modèles.Comment peut-on les trouver belles ? ISABELLE. Il faut avoir un goût bien dépravé. LÉANDRE. Le terrain serait bon, s'il était cultivé. COLOMBINE, à Pierrot. Que fais-tu donc-là ? PIERROT. Je regarde.Tenez, Monsieur. Vous n'avez pas pris garde...Reconnaissez-vous ce portrait ? LÉANDRE, regardant avec une loupe. Mais je dois croire.... et je crois en effetQue c'est mon très cher oncle.Oui, lui-même en personne. ISABELLE. Eh bien ! Qu'en dites-vous ? LÉANDRE. La peinture est fort bonne ;Mais je le trouve bien vieilli. ISABELLE. Il n'est pas dans son jour, venez le voir ici. COLOMBINE, à Pierrot. Colombine et Pierrot posent le tableau vis-à-vis la seconde coulisse du côté de la Reine.Posons le près de cette table. LÉANDRE, considérant le tableau. Oui voilà bien sa mine véritable. COLOMBINE. Ah ça, tandis qu'on met le couvert.Sans façons quittez-nous la place. Votre présence ici nous embarrasseAllez dans le jardin tous les deux prendre l'air. Isabelle et Léandre sortent. SCÈNE X. Colombine, Pierrot. PIERROT. C'est bien dit : hâtons-nous. Car la faim me talonne.Pourrons cette table à nous deux. Ils apportent au milieu du Théâtre une table couverte d'une nappe, et de quatre couverts.Des lumières dessus. On pose deux bougies sur la Table et Colomb ine apporte un pâté. Un pâté ! Bon, tant mieux. Nous lui dirons deux mots. Ah ! Charmante friponne ! COLOMBINE. Pierrot, finis, ou bien va t'en dans le jardin. PIERROT. Ah ! L'excellent pâté ! Quelle odeur ! Quelle croûte ? COLOMBINE. Si je te laisse ici, tu ne pourras sans douteT'empêcher d'y porter la main : Viens avec moi chercher du vin. Elle sort avec Pierrot. SCÈNE XI. CASSANDRE, seule. Il sort tout doucement du Cabinet où il était caché.Sortir par une porte, rentrer par un autre,En même temps être absent et présent,C'est un tour.... C'est un tour.... Voyant la table mise etc.Celui-ci vaut le nôtre.Avec tant de fracas est-ce moi qu'on attend ? Non ; le couvert est mis pour quatre,Et l'on me croit bien loin. Quand je serais ici,Nous ne sommes que trois, il en faudrait rabattre.Mais non ; je suis tout à fait dans l'oubli :Pour d'autre que pour moi la fête est préparée...... Il compte sur ses doigts.Colombine, Isabelle..... Ah ! C'est partie carrée :Elles n'auront pas lieu de se reprocher rien,Chacune, chacune a le sien. ARIETTE.C'est donc ainsi que l'on m'abuse.Coeurs faux, coeurs doubles, coeurs ingrats !... Mais, non, je vous demande excuse :Non, non ; vous ne me trompiez pas.Quand j'ai feint de quitter ces lieux,Vous avez fait bien des grimaces,Des pleurs ont coulé de vos yeux... J'en vois ici des belles traces Les apprêts d'un festin joyeux !C'est donc ainsi que l'on m'abuse,Coeurs faux, coeurs doubles, coeurs ingrats !....Mais, non, je vous demande excuse : Non, non ; vous ne me trompiez pas.Je m'en doutais, j'étais certain....La trahison était trop claireMais qui... mais qu'est-ce ... mais enfin ...Quel est celui qu'on me préfère ?. Je le verrai... fin contre fin....Je percerai tout ce mystère.Mais le diable est-il plus malin ?...C'est donc ainsi que l'on m'abuse, etc.Mais pourquoi mon portrait est-il changé de place ! Qui l'a mis là pour quel sujet ?...Ils voudraient me narguer et m'insulter en face...Et ma figure au moins remplira leur objet.Pour les contrecarrer, usons de stratagèmes :Et tournons, s'il se peut, la ruse contre eux-mêmes. Mais comment m'y prendre ! Voyons.Me montrer tout-à-coup... Ils auront des raisons.Pour démentir ses apparences.J'aurai tort... Ils reviennent... Non...Non... Pour avoir plus d'assurances, Cachons-nous à quelque part... Sous cette table...Non. Il se met derrière le Tableau. JIci je serai mieux.... Ah ! Le tour serait bon...Oui, c'est une excellente idée....J'adopte vos projets... Bien plus,Je renchérirai par dessus. C'est une affaire décidée.Vous aimez à me voir, et bien vous me verrez ;Non tel que vous me croyez, mais d'une autre manière :Ce fera moi : oui, moi, sans voile, sans mystère....Et de tout ce que vous ferez Je serai témoin oculaire.Point de quartier.... Que vais-je faire ?...Découper ce tableau !... Pourquoi le ménager !...Il est à moi ! Je puis bien sans danger... Il découpe et enlève la tête du portrait.Oui, puisqu'enfin la perfidie S'apprête à me porter le coup le plus fatal,Aux dépens de la copieJe sauverai l'original.L'obscurité me favoriseEt la prétention qui les aveuglera Peut bien encor aider à la méprise.En tout cas j'agirai comme l'on agira. Il se place derrière le tableau et passe sa tête par l'ouverture qu'il a faite. SCÈNE DERNIÈRE. Léandre, Pierrot, Isabelle, Colombine. Cassandre dans le Tableau. LÉANDRE, à Isabelle. Comment ! Trois jours plus tard je perdais ma Maîtresse. CASSANDRE, à part. Je connais ces visages-là. ISABELLE. Assurément. COLOMBINE. Bon, bon ! Oublions tout cela ; D'un fâcheux souvenir bannissons la tristesse Et ne songeons plus qu'au plaisir.À table, à table ; allons point de cérémonie. ISABELLE. M'y voilà. PIERROT. M'y voilà. LÉANDRE, assis à table. Comptez, ma chère amie... PIERROT. Goûtons d'abord le vin... LÉANDRE. Eusse-je dû périr. Mon fortuné rival eut payé de sa vieLe bonheur de jouir de vos divins appas. PIERROT. Ah ! Dame ! C'est un fier à bras.À sa fureur quand il se livre... ISABELLE. Quoi ! Votre oncle ! CASSANDRE, à part. On me tient. LÉANDRE. Ah ! Lui c'est différent. Comme il n'a pas longtemps à vivre,J'eusse attendu sa mort assez patiemment. CASSANDRE, à part. Le méchant garnement ! ISABELLE, à Léandre. Buvez donc. LÉANDRE, tenant son verre. Ma chère Isabelle,Permettez-vous. Il choque avec elle. CASSANDRE, à part. Ah ! Ciel, mon vin ! ISABELLE, à Léandre. De tout mon coeur. PIERROT. Nous avons eu plus de bonheur,Ma Colombine et moi. Toujours tendre et fidèle.... COLOMBINE. Plus que je ne devais. ISABELLE, à Léandre. De quoi vous plaignez-vousPendant deux ans votre silenceM'avait ôté toute espérance. Par raison, par devoir ; je prenais un époux.Mais je ne l'aimais point. En devenant sa femme ;Quand ma bouche feignait de répondre à sa flamme ;D'approuver ses tendres désirs,C'est à vous qu'en secret j'adressais mes soupirs. CASSANDRE, à part. Où m'allais-je fourrer ? COLOMBINE. Le plaisant de l'affaire,[Note : Penard : Terme de dénigrement. Vieux penard, ou, simplement, penard, vieillard usé. [L]]C'est que ce vieux penard... CASSANDRE, à part. J'étouffe de colère. COLOMBINE. Est difficile à contenter.Avec sa face de carême,Il prétend, de plus il ose se flatter, [Note : Céladon : Familièrement et ordinairement avec ironie, amant délicat et langoureux. [L]]Comme un beau Céladon, d'être aimé pour lui-même. CASSANDRE, à part. La coquine. COLOMBINE, à Pierrot en lui donnant un soufflet. Faquin ! PIERROT, surpris. Est-ce pour plaisanter 1 COLOMBINE. C'est pour t'apprendre à m'appeler coquine. ISABELLE. Vous êtes Colombine. COLOMBINE. Non, mais il faut savoir se faire respecter. PIERROT, tenant sa joue. Je ne lui dirais rien. COLOMBINE. Ah ! Point de ton maussade.Mange, et tais-toi. PIERROT. Je n'ai plus d'appétit. COLOMBINE. Pardi te voilà bien malade.Embrasse-moi ; tout sera dit. LÉANDRE, à Isabelle. Si nous faisions chorus ? ISABELLE. Avec plaisir. CASSANDRE, à part. J'enrage. LÉANDRE. En attendant le mariage.... ISABELLE. Mais Cassandre à qui j'ai promis... COLOMBINE. Quand vous auriez juré vos grands Dieux, c'est bien pis ;Il n'en serait pas davantage.Serment d'amour, serment d'usage, Qui ne se fond jamais que sous conditionEt dont on se dédit suivant l'occasion,Quand on trouve son avantage. PIERROT. Fort bien imaginé. CASSANDRE, à part. J'étais le pis aller ! COLOMBINE. Oui, oui, Madame il faut parler. Léandre est de retour, cela change la thèse.N'allez pas faire ici la sotte et la niaise,Je vous conseille moi... ISABELLE. Mais mon destin dépendDe mon tuteur. Sans son consentementQue faire ? LÉANDRE. Nous l'aurons. ISABELLE. Je crains... LÉANDRE. Soyez-en sûre. Il est bonhomme au fond ... et... voyez sa figure...Elle n'annonce rien de dur, ni de méchant. ISABELLE. Ce n'est que son portrait... Mais s'il était présent... LÉANDRE. Pour vous encourager, essayez-vous d'avance.Allez lui déclarer notre tendre penchant. ISABELLE. Parler à ce portrait ! Ah ! Qu'elle extravagance ! Il faudra donc que je lui dise ainsi. Elle se lève de table. PIERROT. Donnez-vous pour l'instant certain air d'innocence. ISABELLE. Les yeux baissés ! LÉANDRE. Fort bien. ISABELLE. Je ne saurais. COLOMBINE ET PIERROT. Si, si. ISABELLE, s'adressant au Tableau. Monsieur, voilà l'amant que mon coeur a choisi, Je ne saurais aimer que lui : Consentez-vous à me le donner ? CASSANDRE, forçant sa voix. Oui. ISABELLE. Ô Ciel ! Ô Ciel !Quel tour cruel.Est-il croyable ? Mais c'est le diable.Maudit vieillard, Qu'on croit parti,Qui dans l'instant se trouve ici !Il a tout vu,Tout entendu. Qui l'aurait cruTout est perdu.Il va crier, pester, jurer,Il va vouloir nous séparer,Nous séparer, Nous désunir.Ah ! Pourriez-vous y consentirJamais, jamais,Je ne pourraisPlutôt mourir, Plutôt mourir. LÉANDRE. Ô Ciel ! Ô Ciel !Quel tour cruel.Est-il croyable ?Mais c'est le diable. J'en suis, j'en suis tout interdit.Tout stupéfait, Tout déconfitIl a tout vu, etc. Comme Isabelle. CASSANDRE. Ah ! j'ai tout vu, Tout entendu.Un tour semblableEst-il croyable ?Qui l'aurait cru ? Bis.J'en doute encor, Moi qui l'ai vu.Vous voilà prisAu dépourvu.Quoi! votre coeurEst abattu ! Il ne faut pas désespérerVous saurez bien vous en tirer.Vous ne cherchiez qu'à me trahir.Et moi j'ai su vous prévenir.Ah! ah ah !ah! ah ! Ah ! Quel plaisir, etc. COLOMBINE. Ô Ciel ! Ô Ciel !Quel tour cruel !Est-il croyable ?Mais c'est le diable. Maudit vieillard qu'on croit parti.Qui dans l'instant se trouve ici !Il a tout vu,Tout entendu.De son courroux Je crains les coups,Il va crier, pester, jurer.Où me cacher ?Où me fourrer ?À ses regards Comment m'offrir ?Comment le fuir ? Que devenir ?Jamais, jamais,Je n'oserais, Je ne pourraisLe démentir. PIERROT. Ô Ciel ! Ô Ciel !Quel tour cruel !Est-il croyable ? Mais c'est le diable.J'en suis, j'en suis tout interditTout stupéfait,Tout déconfit ;Il a tout vu, Tout entendu, etc. Comme Colombine. CASSANDRE, à Isabelle. Eh bien ! Vous ne dites plus mot !Quel est donc à prêtent le soin qui vous occupe ? LÉANDRE. Monsieur... CASSANDRE. Taisez-vous, maître sot. À Isabelle.Vous avez cru que j'étais votre dupe. ISABELLE, d'un air sournois. Monsieur... C'est malgré moi... Je ne prévoyais pas.Et j'espérais si peu ... pour sortir d'embarras... Ma résolution... Parle toi. Colombine. CASSANDRE. Et que dira cette coquine ?... COLOMBINE. Puisque vous savez tout, il faut vous l'avouer. Ce que l'on en faisait, c'était pour vous jouer.On se moquait de vous, Monsieur je le confesse.On ne le fera plus, vous avez trop d'adresse. CASSANDRE. La plus noire des trahisons !... PIERROT. Monsieur, un peu de patience. Nous ne l'avons pas fait sans de grandes raisons.L'amour.... ce petit Dieu... qui fait par sa puissance...Et... Extravaguer l'adolescence ... [Note : Petites-maisons : nom donné autrefois à un hôpital de Paris où l'on renfermait les aliénés. [F]]Conduit la vieillesse aux petites maisons... CASSANDRE. Eh bien ! PIERROT. Eh bien ! Monsieur... lorsque sa flamme brille... Ça fait qu'on ne voit goutte... et la chaleur du feu...Enfin c'est pour votre neveu ;Ça ne sort pas de la famille. CASSANDRE. C'est à merveille ... mais de mon juste courrouxVous devez éprouver les coups. Je veux, quoique vous puissiez dire,Être enfin le dernier à rire... Je vous unis tous deux pour me venger de vous. COLOMBINE, à Cassandre. Nous ne sommes pas moins coupables.Nous avons machiné ces complots détestables. Montrant Pierrot.Voulez-vous nous punir aussi ? CASSANDRE. Mariez-vous. Allez au Diable. COLOMBINE, faisant la révérence. Grand-merci. VAUDEVILLE. TOUS, hors Cassandre. Le Dieu de la tendresseSourit à la jeunesse.Il fuit avec courroux Les vieux et les jaloux.De l'amour En, ce jour,Goûtons l'aimable ivresse.Ses ardeurs Dans nos coeursNe portent que des coupsDoux. CASSANDRE. Du Dieu de la tendresse,Heureux qui peut sans cesse Affronter le courroux, Braver, braver les coups.De l'amour, En ce jour,Je suis la voix traîtresse. Ses douceurs,Ses ardeurs Bientôt, nous rendent toutFous. CASSANDRE. L'amour est un enfant Fier et doux par caprice.Ce qu'il donne, à l'instantIl le reprend.Après quelque service,Il vous met hors de lice. Il ne fait nul étatD'un vieux soldat. Tous reprennent le Rondeau. LÉANDRE et ISABELLE, en Duo. L'amour de nos souhaitsA comblé la mesure.Célébrons à jamais Ses doux bienfaits.Ce moment nous assureUne volupté pure.Pour qui sait en jouirAh ! Quel plaisir ! On reprend le Rondeau. COLOMBINE. Le bonheur de Pierrot.... PIERROT. Est dans sa Colombine. COLOMBINE. Colombine en Pierrot.... PIERROT. Trouve un bon lot. COLOMBINE. Cette oeillade assassine PIERROT. Cette peste de mise... COLOMBINE. Promet, promet beaucoup. PIERROT. Et tiendra tout. On reprend le Rondeau en Choeur. ==================================================